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Par ailleurs, la propriété $C_r$ est d'autant plus forte +que $r$ est petit. +\item Les corps $C_0$ sont les corps algébriquement clos : cela +résulte du fait que, pour $a_d\neq 0$, le polynôme $a_0 X_0^d + a_1 +X_0^{d-1} X_1 + \cdots + a_d X_1^d \in k[X_0,X_1]$ (homogène de +degré $d$) a un zéro non trivial si et seulement si le polynôme $a_0 + +a_1 X + \cdots + a_d X^d \in k[X]$ a un zéro. On va voir +en \ref{les-corps-algebriquement-clos-sont-c-prime-0} que les corps +algébriquement clos sont même $C'_0$, c'est-à-dire que les propriétés +$C_0$ et $C'_0$ sont en fait équivalentes. +\item Tous les corps vérifient les deux propriétés ci-dessus (même +pour $r=0$) si les polynômes intervenant sont de degré $1$, +c'est-à-dire, sont des formes linéaires (car l'intersection des noyaux +des $P_i$ est de dimension $> n-s \geq 0$). +\end{itemize} +\end{remarques2} + +\begin{definition2}\label{definition-forme-normique} +On dit qu'un polynôme homogène $P \in k[X_1,\ldots,X_n]$ de degré $d$ +en $n$ variables est une \emph{forme normique d'ordre $r$} (et de +degré $d$) lorsque le nombre $n$ de variables vaut exactement $d^r$ et +que $P$ n'a pas de zéro non trivial (sur $k$). +\end{definition2} + +Autrement dit, une forme normique d'ordre $r$ est un polynôme homogène +dont le nombre de variables est le plus grand possible pour ne pas +réfuter le fait que $k$ soit $C_r$. La notion de forme normique +d'ordre $r$ n'est intéressante que lorsque $k$ est un corps $C_r$. + +La proposition suivante explique le choix du mot « normique » : + +\begin{proposition2}\label{extension-non-triviale-donne-forme-normique-d-ordre-1} +Soit $K$ une extension de degré $d$ fini d'un corps $k$, et +$a_1,\ldots,a_d$ une base de $K$ comme $k$-espace vectoriel. Alors la +fonction $x_1,\ldots,x_d \mapsto \N_{K\bo k}(x_1 a_1 + \cdots + x_d +a_d)$ est une forme normique d'ordre $1$ et de degré $d$ sur $k$. +\end{proposition2} +\begin{proof} +La fonction $x_1,\ldots,x_d \mapsto \N_{K\bo k}(x_1 a_1 + \cdots + x_d +a_d)$ s'écrit comme (la fonction associée à) un polynôme de degré $d$ +en $d$ variables en l'explicitant comme un déterminant. Si $c\in K$ +vérifie $\N_{K\bo k}(c) = 0$, alors $c=0$ : ceci prouve qu'on a bien +affaire à une forme normique d'ordre $1$. +\end{proof} + +Introduisons temporairement la notation suivante : si $f$ est un +polynôme homogène de degré $d$ en $n$ variables et $g$ un polynôme +homogène de degré $e$ en $m$ variables, on note $f(g|g|g|\ldots|g)$ le +polynôme de degré $de$ en $mn$ variables (non spécifiées) obtenu en +substituant à chacune des $n$ variables de $f$ le polynôme $g$ +appliqué à un nouveau jeu de $m$ variables (parmi $mn$ au total) ; la +barre « $|$ » signifie donc qu'on introduit de nouvelles variables. + +Plus généralement, si $f$ est un polynôme homogène de degré $d$ en $n$ +variables et $g_1,\ldots,g_s$ (avec $s\leq n$) des polynômes homogènes +chacun de degré $e$ en $m$ variables (communes), on note +$f(g_1,\ldots,g_s\,|\, g_1,\ldots,g_s\,| \ldots |\, +g_1,\ldots,g_s \,|\, 0,\ldots,0)$ le polynôme de degré $de$ en +$m\lfloor \frac{n}{s}\rfloor$ variables (où $\lfloor\tiret\rfloor$ +désigne la fonction partie entière) obtenu en substituant à chacun des +$\lfloor \frac{n}{s}\rfloor$ premiers blocs de $s$ variables de $f$ +les polynômes $g_1,\ldots,g_s$ appliqués à un nouveau jeu de $m$ +variables, et $0$ aux variables restantes (au nombre de +$n-s\lfloor \frac{n}{s}\rfloor$, soit le reste de la division +euclidienne de $n$ par $s$) : formellement, il s'agit donc du polynôme +$f (g_1(Z_{1,1},\ldots,Z_{1,n}),\ldots,\penalty500 +g_s(Z_{1,1},\ldots,Z_{1,n}),\penalty-100 +g_1(Z_{2,1},\ldots,Z_{2,n}),\ldots,\penalty500 g_s(Z_{\lfloor +\frac{n}{s}\rfloor,1},\ldots,Z_{\lfloor \frac{n}{s}\rfloor,n}), \penalty-100 +0,\ldots,0)$ en des variables $Z_{i,j}$ pour $1 \leq i \leq \lfloor +\frac{n}{s}\rfloor$ et $1 \leq j \leq m$. + +Cette notation permet de démontrer très facilement le lemme suivant : +\begin{lemme2}\label{grandissement-degres-formes-normiques} +Soit $k$ un corps admettant une forme normique d'ordre $r$ et de degré +$d>1$ (en $d^r$ variables). Alors $k$ admet des formes normiques +d'ordre $r$ et de degrés arbitrairement grands. +\end{lemme2} +\begin{proof} +Si $f$ est une forme normique d'ordre $r$ et de degré $d$, alors en +définissant $f^{(1)} = f$ et par récurrence $f^{(\ell+1)} = +f^{(\ell)}(f|f|\ldots|f)$, on voit que $f^{(\ell)}$ est un polynôme +homogène de degré $d^\ell$ en $d^{r\ell}$ variables et il est clair +(par récurrence sur $\ell$) que $f^{(\ell)}$ ne peut s'annuler que +lorsque toutes ses variables s'annulent. +\end{proof} + +\begin{proposition2}\label{plusieurs-polynomes-meme-degre-sur-corps-c-r} +Soit $k$ un corps $C_r$. Si $P_1,\ldots,P_s \in k[X_1,\ldots,X_n]$ +sont des polynômes homogènes \emph{de même degré} $d>0$ en $n$ +variables (communes) sur $k$, et que $n > s d^r$, alors +$P_1,\ldots,P_s$ ont un zéro commun non trivial (dans $k$). +\end{proposition2} +\begin{proof} +Si $k$ est algébriquement clos, le résultat découle +de \ref{les-corps-algebriquement-clos-sont-c-prime-0} ci-dessous. + +Sinon, la +proposition \ref{extension-non-triviale-donne-forme-normique-d-ordre-1} +assure que $k$ admet une forme normique $\Phi^{(0)}$ d'ordre $1$ et de +degré disons $N_0 = D_0$. D'après le +lemme \ref{grandissement-degres-formes-normiques}, on peut supposer +$N_0 \geq s$ (on imposera éventuellement d'autres contraintes sur +$N_0$ ci-dessous). + +Définissons alors par récurrence sur $\ell$ des polynômes homogènes +$\Phi^{(\ell)}$ de degré $D_\ell$ en $N_\ell$ variables, en posant +$\Phi^{(\ell+1)} = \Phi^{(\ell)}(P_1,\ldots,P_s\,|\, +P_1,\ldots,P_s\,| \ldots |\, P_1,\ldots,P_s \,|\, 0,\ldots,0)$ (avec +la notation expliquée plus haut). Ainsi, $N_{\ell+1} = +n\lfloor\frac{N_\ell}{s}\rfloor$ et $D_\ell = D_0 d^\ell$. Si l'on +parvient à prouver que $N_\ell > D_\ell^r$ pour un certain $\ell$, le +fait que $k$ soit $C_r$ entraînera que $\Phi^{(\ell)}$ a un zéro non +trivial, or il est clair par récurrence sur $\ell$ que ceci entraîne +que $P_1,\ldots,P_s$ ont un zéro commun non trivial. + +Il suffit donc pour conclure d'établir, à partir de l'hypothèse $n > s +d^r$, que $\frac{N_\ell}{D_\ell^r}$ tend vers $+\infty$ +(quand $\ell\to+\infty$). Posons $\alpha = \frac{n}{sd^r}$, de sorte +que $\alpha>1$. Remarquons d'abord que la suite $N_\ell$ est +strictement croissante, au moins si $N_0$ est choisi assez grand (par +exemple, si $N_\ell > \frac{n}{\frac{n}{s}-1}$, alors $\lfloor +x\rfloor > x-1$ donne $N_{\ell+1} - N_\ell > (\frac{n}{s}-1) N_\ell - +n > 0$, donc en choisissant $N_0 > \frac{n}{\frac{n}{s}-1}$ on a +$N_\ell$ strictement croissante et vérifiant toujours cette égalité) ; +puisqu'il s'agit d'une suite d'entiers naturels, on a $N_\ell \to ++\infty$. Posant $u_\ell = \frac{N_\ell}{D_\ell^r} += \frac{N_\ell}{D_0 d^{r \ell}}$, on a donc montré $d^{r\ell} +u_\ell \to +\infty$. Or $u_{\ell+1} > \alpha (u_\ell - \frac{s}{D_0 +d^{r\ell}})$ (toujours en appliquant $\lfloor x\rfloor > x-1$), donc +$u_{\ell+1} > \alpha (1- \frac{s}{D_0 d^{r\ell} u_\ell}) u_\ell$ ; et +on vient de voir que le terme entre parenthèses tend vers $1$, de +sorte que si on choisit $1<\alpha'<\alpha$, on a $u_{\ell+1} > \alpha' +u_\ell$ à partir d'un certain rang. Ceci montre $u_\ell \to +\infty$ +comme souhaité. +\end{proof} + +\begin{proposition2}\label{extension-finie-de-corps-c-r} +Soit $k$ un corps $C_r$ (resp. $C'_r$), et $K$ une extension finie +de $k$. Alors $K$ est un corps $C_r$ (resp. $C'_r$). +\end{proposition2} +\begin{proof} +Soit $t$ le degré de $K$ sur $k$, et $a_1,\ldots,a_t$ une base de $K$ +comme $k$-espace vectoriel. + +Considérons d'abord le cas $C_r$ : soit $P \in K[X_1,\ldots,X_n]$ un +polynôme homogène de degré $d$ en $n > d^r$ variables. On définit $t$ +polynômes $Q_1,\ldots,Q_t$ homogènes à coefficients dans $k$, tous de +degré $d$, en $nt$ variables communes $X_{j,v}$ (pour $j$ allant de +$1$ à $n$ et $v$ de $1$ à $t$), par $P(x_{1,1} a_1 + \cdots + x_{1,d} +a_d,\,\ldots\penalty-100\,, x_{n,1} a_1 + \cdots + x_{n,d} a_d) = +Q_1(x_{1,1},\ldots,x_{n,d}) \, a_1 + \cdots + +Q_t(x_{1,1},\ldots,x_{n,d}) \, a_t$. Puisque $nt > d^r\,t$, la +proposition \ref{plusieurs-polynomes-meme-degre-sur-corps-c-r} +garantit que les $Q_v$ ont un zéro commun non trivial, qui fournit un +zéro non trivial de $P$. + +La démonstration dans le cas $C'_r$ est semblable en utilisant +directement la définition : soient $P_1,\ldots,P_s \in +K[X_1,\ldots,X_n]$ des polynômes homogènes de degrés $d_1,\ldots,d_s$ +en $n > d_1^r + \cdots + d_s^r$ variables. On définit $st$ polynômes +$Q_{1,1},\ldots,Q_{s,t}$ homogènes à coefficients dans $k$, avec +$Q_{i,v}$ de degré $d_i$, en $nt$ variables communes $X_{j,v}$ (pour +$j$ allant de $1$ à $n$ et $v$ de $1$ à $t$), par $P_i(x_{1,1} a_1 ++ \cdots + x_{1,d} a_d,\,\ldots\penalty-100\,, x_{n,1} a_1 + \cdots + +x_{n,d} a_d) = Q_{i,1}(x_{1,1},\ldots,x_{n,d}) \, a_1 + \cdots + +Q_{i,t}(x_{1,1},\ldots,x_{n,d}) \, a_t$. Puisque $nt > \sum_i +d_i^r\,t$, la définition d'un corps $C'_r$ garantit que les $Q_{i,v}$ +ont un zéro commun non trivial, qui fournit un zéro non trivial +des $P_i$. +\end{proof} + +\begin{proposition2}\label{extension-algebrique-de-corps-c-r} +Soit $k$ un corps $C_r$ (resp. $C'_r$), et $K$ une extension +algébrique de $k$. Alors $K$ est un corps $C_r$ (resp. $C'_r$). +\end{proposition2} +\begin{proof} +Soit $P \in K[X_1,\ldots,X_n]$ un polynôme homogène de degré $d>0$ en +$n > d^r$ variables. Soit $K_0$ le sous-corps de $K$ engendré par $k$ +et par les coefficients de $P$ : étant engendré par un nombre fini +d'éléments algébriques sur $k$, il est de degré fini sur lui +(cf. \ref{Alg}{multiplicativité degré}). La +proposition \ref{extension-finie-de-corps-c-r} s'applique donc, et il +existe $x_1,\ldots,x_n$ dans $K_0$, et \textit{a fortiori} dans $K$, +tels que $P(x_1,\ldots,x_n) = 0$. Le cas $C'_r$ est tout à fait +analogue. +\end{proof} + +\begin{proposition2}\label{plusieurs-polynomes-degres-differents-sur-corps-c-r} +Soit $k$ un corps $C_r$. On fait l'hypothèse qu'il existe sur $k$ des +formes normiques d'ordre $r$ et de tout degré $d>0$. Si +$P_1,\ldots,P_s \in k[X_1,\ldots,X_n]$ sont des polynômes homogènes de +degrés $d_1,\ldots,d_s>0$ en $n$ variables (communes) sur $k$, et que +$n > d_1^r + \cdots + d_s^r$, alors $P_1,\ldots,P_s$ ont un zéro +commun non trivial (dans $k$) : autrement dit, $k$ est $C'_r$. +\end{proposition2} +\begin{proof} +Dans ce qui suit, la variable $i$ parcourra les entiers de $1$ à $s$, +la variable $j$ les entiers de $1$ à $n$, et les variables $u_i$ (pour +$1\leq i \leq s$) les entiers de $1$ à $d_i^r$. + +Soit $D = d_1 d_2 \cdots d_s$, et pour chaque $i$ soit $f_i$ une forme +normique d'ordre $r$ et de degré $D/d_i$ donc en $D^r/d_i^r$ +variables. On considère d'abord, pour chaque $i$, des variables +$Z_{i,j,u_1,\ldots,\widehat{u_i},\ldots,u_s}$ (où $\widehat{u_i}$ +signifie que l'indice $u_i$ a été omis) au nombre de $n D^r/d_i^r$ et, +en ces variables, le polynôme homogène $g_i = f_i(P_i|P_i|\ldots|P_i)$ +de degré $D$ : on rappelle qu'il est explicitement défini comme +$g_i(Z_{i,\ldots}) = f_i(p_{i,\ldots})$ où +$p_{i,u_1,\ldots,\widehat{u_i},\ldots,u_s}$ s'obtient en appliquant +$P_i$ aux $n$ variables $Z_{i,j,u_1,\ldots,\widehat{u_i},\ldots,u_s}$ +(ici seul $j$ varie), et où $f_i$ est ensuite appliqué aux $D^r/d_i^r$ +variables $p_{i,\ldots}$. + +Soient maintenant $n D^r$ nouvelles variables $Z'_{j,u_1,\ldots,u_s}$ +(cette fois l'indice $u_i$ est présent mais l'indice $i$ ne l'est +plus), et pour chaque $i$ soient $h_{i,u_i}$ les $d_i^r$ polynômes +obtenus en appliquant $g_i$ aux $D^r/d_i^r$ variables +$Z_{i,j,u_1,\ldots,\widehat{u_i},\ldots,u_s} = Z'_{j,u_1,\ldots,u_s}$ +(la valeur de $u_i$ est précisée dans l'indice sur $h_{i,u_i}$ et +prend $d_i^r$ valeurs possibles). On obtient ainsi au total +$\sum_{i=1}^s d_i^r$ polynômes $h_{i,u_i}$, tous de degré $D$, en $n +D^r$ variables communes $Z'_{\ldots}$. Puisque $n D^r > (\sum_i +d_i^r) D^r$, la +proposition \ref{plusieurs-polynomes-meme-degre-sur-corps-c-r} assure +que les $h_{i,u_i}$ ont un zéro commun non trivial +$z'_{j,u_1,\ldots,u_s}$. En fixant arbitrairement les valeurs +$u_1,\ldots,u_s$, les $n$ valeurs $z'_{j,u_1,\ldots,u_s}$ définissent +un zéro commun des $g_i$ donc des $P_i$, et il existe $u_1,\ldots,u_s$ +tels que toutes les valeurs $z'_{j,u_1,\ldots,u_s}$ ne soient pas +simultanément nulles. Ceci fournit le zéro commun recherché +des $P_i$. +\end{proof} + +\begin{corollaire2} +Un corps $C_1$ admettant une extension algébrique de chaque degré +$d>0$ est $C'_1$. +\end{corollaire2} +\begin{proof} +Cela découle immédiatement +de \ref{plusieurs-polynomes-degres-differents-sur-corps-c-r}, compte +tenu de la +proposition \ref{extension-non-triviale-donne-forme-normique-d-ordre-1}. +\end{proof} + +\subsubsection{Corps fortement $C_r$}\label{corps-fortement-c-r} Dans +tout ce qui précède, nous avons utilisé les polynômes homogènes de +degré $>0$. Si on remplace ceux-ci par les polynômes sans terme +constant, on obtient une théorie analogue à celle des corps $C_r$, +celle des corps \emph{fortement} $C_r$ : + +\begin{definition2}\label{definition-corps-fortement-c-r} +Un corps $k$ est dit fortement $C_r$ (resp. fortement $C'_r$) +lorsqu'il vérifie la propriété suivante : si $P \in k[X_1,\ldots,X_n]$ +est un polynôme de degré au plus $d$ sans terme constant en $n$ +variables (resp. si $P_1,\ldots,P_s \in k[X_1,\ldots,X_n]$ sont des +polynômes de degrés au plus respectivement $d_1,\ldots,d_s$ sans +termes constants en $n$ variables communes) et que $n > d^r$ (resp. $n +> d_1^r + \cdots + d_s^r$), alors $P$ a un zéro non trivial +(resp. $P_1,\ldots,P_s$ ont un zéro commun non trivial). + +On dit qu'un polynôme sans terme constant $P \in k[X_1,\ldots,X_n]$ de +degré $d$ (\XXX exactement ?) en $n$ variables est une \emph{faible +forme normique d'ordre $r$} (et de degré $d$) lorsque le nombre $n$ de +variables vaut exactement $d^r$ et que $P$ n'a pas de zéro non +trivial. +\end{definition2} + +Les résultats suivants admettent des démonstrations rigoureusement +parallèles dans la théorie des corps fortement $C_r$ que dans celle +des corps $C_r$, et nous nous contentons donc de les énoncer : + +\begin{proposition2}\label{plusieurs-polynomes-meme-degre-sur-corps-fortement-c-r} +Soit $k$ un corps fortement $C_r$. Si $P_1,\ldots,P_s \in +k[X_1,\ldots,X_n]$ sont des polynômes sans termes constants de degrés +majorés par un \emph{même} $d$ en $n$ variables communes sur $k$, et +si $n > s d^r$, alors $P_1,\ldots,P_s$ ont un zéro commun non trivial +(dans $k$). +\end{proposition2} +\begin{proof} +Cf. \ref{plusieurs-polynomes-meme-degre-sur-corps-c-r}. +\end{proof} + +\begin{proposition2} +Soit $k$ un corps fortement $C_r$ (resp. fortement $C'_r$), et $K$ une +extension finie de $k$. Alors $K$ est un corps fortement $C_r$ +(resp. fortement $C'_r$). (\XXX Ce résultat est peut-être faux --- +Lang est obscur dans sa façon de dire les choses --- mais je ne +comprends pas où la démonstration échoue. À vérifier soigneusement, +donc.) +\end{proposition2} + +\begin{proposition2}\label{plusieurs-polynomes-degres-differents-sur-corps-fortement-c-r} +Soit $k$ un corps fortement $C_r$. On fait l'hypothèse qu'il existe +sur $k$ des faibles formes normiques d'ordre $r$ et de tout degré +$d>0$. Si $P_1,\ldots,P_s \in k[X_1,\ldots,X_n]$ sont des polynômes +sans termes constants de degrés au plus $d_1,\ldots,d_s$ en $n$ +variables (communes) sur $k$, et si $n > d_1^r + \cdots + d_s^r$, +alors $P_1,\ldots,P_s$ ont un zéro commun non trivial (dans $k$) : +autrement dit, $k$ est fortement $C'_r$. +\end{proposition2} +\begin{proof} +Cf. \ref{plusieurs-polynomes-degres-differents-sur-corps-c-r}. +\end{proof} + +\begin{corollaire2} +Un corps fortement $C_1$ admettant une extension algébrique de chaque +degré $d>0$ est fortement $C'_1$. +\end{corollaire2} + +\subsection{Les corps algébriquement clos} + +Nous montrons à présent que les corps algébriquement clos sont $C'_0$ +(et même fortement $C'_0$ \XXX), c'est-à-dire l'énoncé suivant : + +\begin{proposition2}\label{les-corps-algebriquement-clos-sont-c-prime-0} +Si $k$ est algébriquement clos et si $P_1,\ldots,P_s \in +k[X_1,\ldots,X_n]$ sont des polynômes homogènes de degrés non nuls (ou +simplement sans termes constants \XXX) en $n$ variables (communes) +sur $k$, et que $n > s$, alors $P_1,\ldots,P_s$ ont un zéro commun non +trivial (dans $k$). +\end{proposition2} + +Pour cela, on admettra provisoirement les deux lemmes suivants, dont +la démonstration utilise des résultats qui seront démontrés +ultérieurement (le Nullstellensatz et la théorie du degré de transcendance) : + +\begin{lemme2}\label{nullstellensatz-faible-provisoire} +Si $k$ est algébriquement clos et si $P_1,\ldots,P_s \in +k[X_1,\ldots,X_n]$ sans termes constants sont tels que +$P_1,\ldots,P_s$ n'aient pas de zéro commun non trivial (dans $k$), +alors pour tout $1 \leq j \leq n$ il existe $r_j$ tel que $X_j^{r_j}$ +appartienne à l'idéal de $k[X_1,\ldots,X_n]$ engendré par +$P_1,\ldots,P_s$. +\end{lemme2} +\begin{proof} +L'hypothèse que $P_1,\ldots,P_s$ n'aient pas de zéro commun non +trivial donne $x_j = 0$ pour tout $(x_1,\ldots,x_s)$ tel que +$P_i(x_1,\ldots,x_s) = 0$ pour tout $i$. Le Nullstellensatz \XXX{} +permet alors de conclure que $X_j$ est dans le radical de l'idéal +engendré par les $P_1,\ldots,P_s$, c'est-à-dire précisément qu'il +existe $r_j$ tel que $X_j^{r_j}$ appartienne à cet idéal. +\end{proof} + +\begin{lemme2}\label{degre-transcendance-enonce-provisoire} +Si $k$ est un corps et si $P_1,\ldots,P_s \in k(X_1,\ldots,X_n)$ sont +tels que $k(X_1,\ldots,X_n)$ soit un $k(P_1,\ldots,P_s)$-espace +vectoriel de dimension finie, alors $s \geq n$. +\end{lemme2} +\begin{proof} +L'hypothèse entraîne \XXX{} que $\degtr_k k(P_1,\ldots,P_s) = \degtr_k +k(X_1,\ldots,X_n) = n$. On en déduit $s \geq n$. +\end{proof} + +\begin{lemme2}\label{dimension-enonce-provisoire} +Si $k$ est un corps et si $P_1,\ldots,P_s \in k[X_1,\ldots,X_n]$ sont +tels que $k[X_1,\ldots,X_n]$ soit un $k[P_1,\ldots,P_s]$-module de +type fini, alors $s \geq n$. +\end{lemme2} +\begin{proof} +Appelons $A = k[P_1,\ldots,P_s]$ et $K = k(P_1,\ldots,P_s)$ le +sous-anneau de $k[X_1,\ldots,X_n]$ et le sous-corps de +$k(X_1,\ldots,X_n)$ respectivement engendrés par les $P_i$. + +L'hypothèse que $k[X_1,\ldots,X_n]$ soit engendré linéairement sur $A$ +par un nombre fini d'éléments assure à plus forte raison que ces mêmes +éléments engendrent $K[X_1,\ldots,X_n]$ linéairement sur $K$ (où +$K[X_1,\ldots,X_n]$ désigne le sous-anneau de $k(X_1,\ldots,X_n)$ +engendrée par $K$ et par $X_1,\ldots,X_n$). Autrement dit, +$K[X_1,\ldots,X_n]$ est un $K$-espace vectoriel de dimension finie. +Or c'est également un anneau intègre (puisque c'est un sous-anneau du +corps $k(X_1,\ldots,X_n)$) : et un anneau intègre de dimension finie +sur un corps est lui-même un corps (\refext{Alg}{fini integre=corps}). Ainsi, +$K[X_1,\ldots,X_n]$ est le corps $K(X_1,\ldots,X_n)$, qui coïncide +donc avec $k(X_1,\ldots,X_n)$ (étant contenu dedans). On a donc +prouvé que $k(X_1,\ldots,X_n)$ est un $K$-espace vectoriel de +dimension finie. Le lemme \ref{degre-transcendance-enonce-provisoire} +donne la conclusion souhaitée. +\end{proof} + +\begin{proof}[Démonstration de la proposition \ref{les-corps-algebriquement-clos-sont-c-prime-0}] +Posons $A = k[P_1,\ldots,P_s]$. + +Le lemme \ref{nullstellensatz-faible-provisoire} assure que pour +chaque $j$ il existe $r_j$ tel que $X_j^{r_j}$ appartienne à l'idéal +engendré par $P_1,\ldots,P_s$ dans $k[X_1,\ldots,X_n]$. Si on appelle +$r$ la somme des $r_j$, alors tout monôme $q$ de degré total au moins +$r$ comporte nécessairement un facteur $X_j^{r_j}$ pour un certain +$j$, et appartient donc à l'idéal engendré par les $P_i$, c'est-à-dire +s'écrit $q = h_1 P_1 + \cdots + h_s P_s$ pour certains +$h_1,\ldots,h_s \in k[X_1,\ldots,X_n]$. Dans une telle écriture, si +on remplace chaque $h_i$ par sa composante homogène de degré total +$\deg q - \deg P_j$ (définie comme la somme des monômes ayant ce degré +total), alors on a toujours $q = h_1 P_1 + \cdots + h_s P_s$ (puisque +les monômes de degré $\deg q$ sont inchangés), et on a $\deg h_i +< \deg q$. Cette égalité peut se voir comme $q = g(X_1,\ldots,X_n)$ +où $g \in A[T_1,\ldots,T_n]$ et $\deg g < \deg q$ (où par $\deg g$ on +désigne son degré total en les indéterminées $T_1,\ldots,T_n$). + +On peut itérer ce procédé : tant qu'il subsiste dans $g$ des monômes +de degré $\geq r$, on peut les réécrire comme combinaison linéaire +sur $A$ des monômes de degré strictement plus petit qu'eux, et en +itérant ce processus (qui termine vu que le degré de $g$ décroît +strictement à chaque étape tant qu'il est au moins égal à $r$), on +finit par arriver à $\deg g < r$. On a donc prouvé que $q = +g(X_1,\ldots,X_n)$ où $g \in A[T_1,\ldots,T_n]$ et $\deg g < r$. + +On vient de voir que tout monôme en les $X_1,\ldots,X_n$ s'écrit comme +combinaison linéaire à coefficients dans $A$ des monômes de degré +$<r$. Comme il n'y a qu'un nombre fini de monômes de degré $<r$, le +$A$-module $k[X_1,\ldots,X_n]$ est de type fini. Le +lemme \ref{dimension-enonce-provisoire} permet de conclure. +\end{proof} + + +\section{Polynômes sur les corps finis} + +\subsection{Le théorème de Chevalley-Warning} + +Les corps finis possèdent la propriété qu'un polynôme homogène dont le +degré est strictement plus grand que le nombre de variables a un zéro +non trivial : +\begin{theoreme2}[Chevalley-Warning]\label{theoreme-chevalley-warning} +Soit $P \in \FF[X_1,\ldots,X_n]$ un polynôme homogène (ou même +seulement sans terme constant) de degré $d>0$ en $n$ variables sur un +corps fini $\FF$, et on suppose $n > d$. Alors $P$ a un zéro non +trivial, c'est-à-dire qu'il existe $x_1,\ldots,x_n$ dans $\FF$, non +tous nuls, tels que $P(x_1,\ldots,x_n) = 0$. + +Autrement dit : les corps finis sont $C_1$ (et même fortement $C_1$). +\end{theoreme2} +\begin{proof} +Soit $q = \#\FF$, de sorte que $\FF = \FF_q$, et soit $p$ la +caractéristique de $\FF$. + +Considérons la somme $S = \sum_{(x_0,\ldots,x_n) \in \FF^{n+1}} +P(x_0,\ldots,x_n)^{q-1}$. Puisque $t^{q-1}$ (pour $t \in \FF$) vaut +$0$ ou $1$ selon que $t$ est nul ou non, cette somme est égale +(modulo $p$) au nombre de $(x_0,\ldots,x_n) \in \FF^{n+1}$ tels que +$P(x_0,\ldots,x_n) \neq 0$. Si on montre que $S = 0$ (dans $\FF$), +cela prouvera que ce nombre est multiple de $p$, donc que le nombre de +$(x_0,\ldots,x_n)$ tels que $P(x_0,\ldots,x_n) = 0$ est lui aussi +multiple de $p$ ; comme $P(0,\ldots,0) = 0$, ceci montrera l'existence +de $(x_0,\ldots,x_n) \neq 0$ tels que $P(x_0,\ldots,x_n) = 0$, la +conclusion souhaitée. + +Le polynôme $P(X_0,\ldots,X_n)^{q-1}$ est de degré $d(q-1)$. Pour +montrer que $S=0$ il suffit de montrer que +$\sum_{(x_0,\ldots,x_n) \in \FF^{n+1}} X_0^{s_0} \cdots X_n^{s_n} = 0$ +pour $c_{s_0,\ldots,s_n}\, X_0^{s_0} \cdots X_n^{s_n}$ (avec +$s_0+\cdots+s_n \leq d(q-1)$) parcourant les monômes apparaissant dans +ce polynôme. Or ceci s'écrit encore $(\sum_{x\in\FF} x^{s_0})\cdots +(\sum_{x\in\FF} x^{s_n})$ : il suffit de montrer qu'un des facteurs +est nul. Mais $s_0+\cdots+s_n \leq d(q-1) < (n+1)(q-1)$ entraîne +qu'un des $s_i$ doit être $<q-1$, auquel cas $\sum_{x\in\FF} x^{s_i} = +0$ d'après le lemme \refext{Fin}{somme-x-s-dans-f-q}. +\end{proof} + +La borne fournie par le théorème \ref{theoreme-chevalley-warning} est +optimale : +\begin{proposition2}\label{existence-forme-normique-corps-finis} +Soit $\FF$ un corps fini. Alors, pour tout $d$, il existe un polynôme +homogène de degré $d$ en $d$ variables ne s'annulant qu'en +$(0,\ldots,0) \in \FF^d$, c'est-à-dire une forme normique d'ordre $1$ +et de degré $d$. +\end{proposition2} +\begin{proof} +On sait que $\FF$ a une extension $\FF'$ de degré $d$ +(cf. \refext{Fin}{existence-polynome-irreductible-tout-degre-corps-finis}) : +on applique +alors \ref{extension-non-triviale-donne-forme-normique-d-ordre-1}. +\end{proof} + +\begin{corollaire2} +Soient $P_1,\ldots,P_s \in \FF[X_1,\ldots,X_n]$ des polynômes +homogènes de degrés respectivement $d_1,\ldots,d_s>0$ en $n$ variables +sur un corps fini $\FF$, et on suppose $n > d_1 + \cdots + d_s$. +Alors $P_1,\ldots,P_s$ ont un zéro non trivial commun. + +Autrement dit, les corps finis sont (fortement ? \XXX) $C'_1$. +\end{corollaire2} +\begin{proof} +Cela découle immédiatement +de \ref{plusieurs-polynomes-degres-differents-sur-corps-c-r}, compte +tenu de la proposition \ref{existence-forme-normique-corps-finis}. +\end{proof} + +\subsection{Géométries finies et coniques} + +Rappelons d'abord quelques généralités sur la géométrie projective +plane (dans un premier temps, le corps $\FF$ sera quelconque). + +\begin{definition2} +Si $\FF$ est un corps, on appelle \emph{plan projectif} sur $\FF$ et +on note $\PP^2(\FF)$ la donnée combinatoire suivante : +\begin{itemize} +\item les \emph{points} de $\PP^2(\FF)$ sont les triplets $(x,y,z)$ +d'éléments de $\FF$ modulo la relation d'équivalence $(x,y,z) \sim +(x',y',z')$ lorsqu'il existe $t \in \FF^\times$ tel que $x'=tx, y'=ty, +z'=tz$ (on note parfois $(x:y:z)$ la classe d'équivalence de $(x,y,z)$ +pour $\sim$, et on dit que $x,y,z$ sont des coordonnés projectives, ou +homogènes, du point en question) ; +\item les \emph{droites} de $\PP^2(\FF)$ sont des données (identiques) +de triplets $(u,v,z)$ d'éléments de $\FF$ modulo la relation +d'équivalence $(u,v,w) \sim (u',v',w')$ lorsqu'il existe +$t \in \FF^\times$ tel que $u'=tu, v'=tv, w'=tw$ (la classe +d'équivalence de $(u,v,w)$ sera souvent appelée « droite d'équation +$uX+vY+wZ=0$ ») ; +\item la relation d'\emph{incidence} relie un point $(x:y:z)$ à une +droite définie par le triplet $(u,v,w)$ lorsque $ux+vy+wz=0$ (on dit +souvent que le point est \emph{sur} la droite, ou que cette +dernière \emph{passe} par le point). +\end{itemize} +On dit que des points $P_i$ de $\PP^2(\FF)$ sont \emph{alignés} (sur +une droite $d$) lorsque les $P_i$ sont tous incidents à $d$ ; on dit +que des droites $d_i$ de $\PP^2(\FF)$ sont \emph{concourantes} (en un +point $P$) lorsque les $d_i$ sont toutes incidentes à $P$ (on dit +encore que $P$ est l'intersection des droites $d_i$). +\end{definition2} + +\begin{remarques2} +\begin{itemize} +\item Le plan projectif $\PP^2(\FF)$ ainsi défini est évidemment isomorphe +(en tant qu'objet combinatoire, c'est-à-dire qu'il existe une +bijection entre points et points et entre droites et droites +préservant la relation d'incidence) avec l'espace projectif $\PP(E)$ +sur un quelconque espace vectoriel $E$ de dimension $3$ sur $\FF$, les +points de $\PP(E)$ étant définis comme les droites vectorielles +(sous-espaces vectoriels de dimension $1$) de $E$ et les droites de +$\PP(E)$ comme les plans vectoriels (sous-espaces vectoriels de +dimension $2$) de $E$, la relation d'incidence étant donnée par +l'inclusion d'une droite vectorielle dans un plan vectoriel. Plus +précisément, si $e_x,e_y,e_z$ est une base de $E$, on peut identifier +le point $(x:y:z)$ de $\PP^2(\FF)$ avec la droite vectorielle +engendrée par $x e_x + y e_y + z e_z$ dans $E$, et la droite +d'équation $ux+vy+wz = 0$ de $\PP^2(\FF)$ avec le plan vectoriel noyau +de la forme linéaire $x e_x + y e_y + z e_z \mapsto ux+vy+wz$. +\item De cette remarque il résulte que toute bijection linéaire de +$\FF^3$ sur lui-même définit un automorphisme de $\PP^2(\FF)$ +(c'est-à-dire une bijection de points sur points et droites sur +droites préservant la relation d'incidence) : on les +appelle \emph{transformations projectives} sur $\FF$ (planes, ou de +$\PP^2(\FF)$). Ce ne sont généralement pas les seules : si $\FF$ est +un corps fini ayant $q$ éléments, alors $(x:y:z) \mapsto +(x^q:y^q:z^q)$ est un automorphisme de $\PP^2(\FF)$ qui n'est pas une +transformation projective sur $\FF$. +\item Lorsque $P,Q,R$ sont trois points de $\PP^2(\FF)$ non alignés, +il existe une transformation projective envoyant $P,Q,R$ sur +$(1:0:0)$, $(0:1:0)$ et $(0:0:1)$ respectivement (en effet, des +coordonnées projectives quelconques de $P,Q,R$ définissent une base +de $\FF^3$, et on peut la ramener à la base canonique par une +bijection linéaire). De façon moins évidente, si $P,Q,R,S$ sont +quatre points dont trois quelconques ne sont jamais alignés, on peut +les ramener à $(1:0:0)$, $(0:1:0)$, $(0:0:1)$ et $(1:1:1)$ +respectivement (en effet, une fois ramenés $P,Q,R$ aux coordonnées +prescrites, si des coordonnées projectives de $S$ sont +$(x_S:y_S:z_S)$, toutes non nulles par l'hypothèse sur les +alignements, on peut appliquer la transformation projective +$(x:y:z) \mapsto (x/x_S : y/y_S : z/z_S)$ donnée par une application +linéaire diagonale). +\item Les droites de $\PP(E)$, si $E$ est un espace vectoriel de +dimension $3$, peuvent se voir comme les points de $\PP(E^\vee)$ où +$E^\vee$ est l'espace vectoriel dual de $E$ (en voyant une droite de +$\PP(E)$ comme un plan vectoriel de $E$ ou comme la droite vectorielle +des formes linéaires ayant ce plan pour noyau, ce qui définit un point +de $\PP(E^\vee)$), et de même les points de $\PP(E^\vee)$ peuvent se +voir comme des droites de $\PP(E)$ : le fait que cette identification +préserve la relation d'incidence s'appelle \emph{principe de dualité +projective}. Lorsque $E$ est $\FF^3$, espace vectoriel pour lequel on +dispose d'un isomorphisme standard avec son dual, la dualité +projective correspondante envoie le point $(u:v:w)$ sur la droite +d'équation $uX+vY+wZ = 0$. +\item Il résulte par exemple des formules de Cramer que +la droite passant par les points $(x_1:y_1:z_1)$ et $(x_2:y_2:z_2)$ +peut être définie par l'équation $ux+vy+wz=0$ avec $u = y_1z_2 - +z_1y_2$, $v = z_1x_2 - x_1z_2$ et $w = x_1y_2 - y_1x_2$ (la condition +que ces trois nombres ne soient pas tous nuls étant justement celle +que les points donnés ne soient pas confondus). La condition que +trois points $(x_1:y_1:z_1)$, $(x_2:y_2:z_2)$ et $(x_3:y_3:z_3)$ +soient alignés équivaut au fait que le déterminant +$\left|\begin{matrix}x_1&y_1&z_1\\ x_2&y_2&z_2\\ +x_3&y_3&z_3\\\end{matrix}\right|$ soit nul. On a des formules duales +pour l'intersection de deux droites distinctes et la concurrence de +trois droites. +\item Si $\FF$ est un corps fini ayant $q$ éléments, le nombre +de points de $\PP^2(\FF)$ est $q^2+q+1$, et c'est aussi le nombre de +droites. Le nombre de points sur une droite quelconque est $q+1$, et +c'est aussi le nombre de droites par un point quelconque. +\end{itemize} +\end{remarques2} + +\begin{proposition2} +Les points et droites de $\PP^2(\FF)$ vérifient les axiomes suivants : +\begin{enumerate} +\item Il existe une unique droite passant par deux points distincts donnés. +\item Il existe un unique point d'intersection à deux droites +distinctes données. +\item Il existe au moins quatre points tels que trois quelconques +d'entre eux ne soient jamais alignés. +\item Si $A,B,C$ sont trois points alignés, et $A',B',C'$ trois autres +points alignés, et si on note $A''$ (resp. $B''$, resp. $C''$) +l'intersection des droites $BC'$ et $CB'$ (resp. $AC'$ et $CA'$, +resp. $AB'$ et $BA'$) --- ce qui sous-entend que $B$ est distinct de +$C'$ et $C$ de $B'$ et que la droite $BC'$ est distincte de la droite +$CB'$ (resp...) --- alors les points $A'',B'',C''$ sont +alignés. \emph{(Théorème de Pappus.)} +\end{enumerate} +\end{proposition2} +\begin{proof} +La première affirmation est claire, ainsi que la seconde (qui en est +la duale). La troisième est mise en évidence par les points +$(1:0:0)$, $(0:1:0)$, $(0:0:1)$ et $(1:1:1)$. Reste à montrer le +théorème de Pappus. + +Les droites $ABC$ et $A'B'C'$ ne peuvent pas être identiques : on peut +donc supposer, pour simplfier les calculs, que la première s'écrit +$x=0$ et la seconde $y=0$. Si l'un des points $A',B',C'$ est situé +sur la droite $ABC$, ou un des points $A,B,C$ sur la droite $A'B'C'$, +alors le théorème est clair (si $A'$ est sur $ABC$ alors +$B''=C''=A$) : on peut donc supposer ce cas exclu. Écrivant alors +$A=(0:1:a)$, $B=(0:1:b)$, $C=(0:1:c)$ et $A'=(1:0:a')$, $B'=(1:0:b')$, +$C'=(1:0:c')$, on obtient les coordonnées $A''=(b-c:b'-c':bb'-cc')$, +$B''=(c-a:c'-a':cc'-aa')$ et $C''=(a-b:a'-b':aa'-bb')$. Le théorème +de Pappus énonce alors l'annulation du déterminant +\[ +\left| +\begin{matrix} +b-c&b'-c'&bb'-cc'\\ +c-a&c'-a'&cc'-aa'\\ +a-b&a'-b'&aa'-bb'\\ +\end{matrix} +\right| +\] +--- qui se vérifie aisément. +\end{proof} + +\begin{definition2} +On appelle \emph{conique} d'équation $Q=0$ de $\PP^2(\FF)$ la donnée +d'une certaine forme quadratique non nulle $Q$ sur $\FF^3$ +(c'est-à-dire un polynôme homogène de degré $2$), où on identifie les +coniques d'équation $Q=0$ et $cQ=0$ pour $c \in \FF^\times$ ; on +appelle ensemble des points de la conique (noté $C(\FF)$) l'ensemble +des points $(x:y:z)$ vérifiant $Q(x,y,z) = 0$ ; la conique d'équation +$Q=0$ est dite \emph{intègre} lorsque le polynôme $Q$ (vu dans +$\FF[X,Y,Z]$) est irréductible, et \emph{géométriquement intègre} +(ou \emph{lisse}, cf. \ref{coniques-lisses} plus bas) lorsque $Q$ est +irréductible vu sur la clôture algébrique de $\FF$. + +Si $(x_0:y_0:z_0)$ est un point de la conique $Q=0$, on dit qu'il +s'agit d'un point \emph{lisse} (ou \emph{régulier}) sur celle-ci +lorsque les trois quantités $u = \frac{\partial Q}{\partial +x}(x_0,y_0,z_0)$, $v = \frac{\partial Q}{\partial y}(x_0,y_0,z_0)$ et +$w = \frac{\partial Q}{\partial z}(x_0,y_0,z_0)$ ne sont pas toutes +nulles : dans ce cas, la droite d'équation $ux+vy+wz = 0$ est +appelée \emph{droite tangente} à la conique par le point considéré. +(Si le point $(x_0:y_0:z_0)$ n'est pas lisse, toute droite pourra être +considérée comme tangente.) +\end{definition2} + +En général, la donnée de l'ensemble de ses points ne détermine pas la +conique, c'est-à-dire la forme quadratique $Q$ même à multiplication +près par une constante (ainsi, sur $\RR$, les coniques d'équation $X^2 ++ Y^2 + Z^2 = 0$ et $X^2 + Y^2 + 2 Z^2 = 0$ ne sont pas égales bien +qu'elles aient le même ensemble de points, à savoir l'ensemble vide). + +\begin{proposition2}\label{coniques-lisses} +Tout point d'une conique géométriquement intègre est lisse sur +celle-ci. + +Réciproquement, si tout point d'une conique est lisse sur un corps +algébriquement clos, alors cette conique est (géométriquement) +intègre. + +S'il existe un point $P$ d'une conique $C$ tel que $C$ soit lisse en +$C$ et que la droite $d$ tangente à $C$ en $P$ ne soit pas contenue +dans $C$, alors $C$ est lisse. +\end{proposition2} +\begin{proof} +Pour la première affirmation, on peut se ramener au cas où le point +est $(0:0:1)$, auquel cas l'équation de la conique doit s'écrire $a +X^2 + b Y^2 + c' XY + b' XZ + a' YZ = 0$ (il n'y a pas de terme +en $Z^2$). Si le point n'est pas lisse, l'hypothèse d'annulation des +dérivées partielles signifie que $b'=0$ et $a'=0$ : l'équation de la +conique s'écrit donc $a X^2 + b Y^2 + c' XY = 0$. Le polynôme $a T^2 ++ c' T + b$ (de degré $\leq 2$) se factorise dans $\FF\alg[T]$ en deux +facteurs de degré $\leq 1$, donc quitte à ré-homogénéiser, le polynôme +homogène $Q = a X^2 + c' X Y + b Y^2$ de degré $2$ se factorise +dans $\FF\alg[X,Y]$ en deux facteurs homogènes de degré $1$. Ceci +montre que la conique n'est pas géométriquement irréductible. + +Pour ce qui est de la deuxième affirmation, si l'équation de la +conique est $Q=0$ et que $Q$ est réductible comme produit de deux +facteurs de degré $1$, ces facteurs définissent deux droites (non +nécessairement distinctes). Considérant un point d'intersection de +ces deux droites, qu'on peut supposer être $(0:0:1)$, les deux droites +doivent s'écrire $uX + vY = 0$ et $u'X + v'Y = 0$ (pour $u$ et $v$ non +tous deux nuls, et de même pour $u'$ et $v'$), auquel cas la conique +s'écrit $uu' X^2 + (uv'+u'v) XY + vv' Y^2 = 0$, et le point $(0:0:1)$ +n'est pas lisse. + +Si $C$ est une conique qui n'est pas lisse, on vient de voir que, +quitte à remplacer le corps $\FF$ par sa clôture +algébrique $\FF\alg$, l'équation $Q=0$ de la conique se factorise +comme $Q = \ell_1 \ell_2$ avec $\ell_1,\ell_2$ deux formes linéaires +dans les variables $X,Y,Z$. Si $\ell_1,\ell_2$ sont proportionnelles +(on peut supposer qu'il s'agit de $X$ et que la conique est alors +d'équation $X^2 = 0$), la conique n'a aucun point lisse ; si elle ne +le sont pas (on peut supposer qu'il s'agit de $X$ et $Y$, et la +conique est alors d'équation $XY = 0$), les points lisses de $C$ sont +exactement ceux qui sont sur une des deux droites d'équation $\ell_1 = +0$ et $\ell_2 = 0$ mais pas sur l'autre, et la tangente en un tel +point est la droite sur laquelle il se trouve, qui est contenue +dans $C$ (et la définition de la tangente assure qu'elle est définie +sur $\FF$ si $P$ l'est). Il s'ensuit que si une conique a un point +lisse $P$ dont la tangente $d$ \emph{n'est pas} contenue dans $C$, +alors $C$ est lisse, ce qu'on voulait prouver. +\end{proof} + +\begin{proposition2} +La conique d'équation $Q=0$, où $Q$ est une forme quadratique (en +trois variables) sur un corps $\FF$ de caractéristique $\neq 2$, est +lisse si et seulement si la forme bilinéaire associée à $Q$ est +non-dégénérée (c'est-à-dire, de rang $3$). +\end{proposition2} +\begin{proof} +Soit $\varphi$ la forme bilinéaire associée à $Q$. Si $Q$ se +factorise comme un produit $\ell_1 \ell_2$ de formes linéaires, alors +on a $\varphi(v,v') = \frac{1}{2}(\ell_1(v)\,\ell_2(v') ++ \ell_1(v')\,\ell_2(v))$ pour tous $v,v' \in \FF^3$ : donc tout +vecteur situé dans le noyau de $\ell_1$ et de $\ell_2$ est dans celui +de $\varphi$, et la forme $\varphi$ a pour rang au plus $2$. +Réciproquement, si $v \neq 0$ est tel que $\varphi(v,v') = 0$ pour +tout $v'$, alors on a $Q(v+v') = Q(v')$ pour tout $v'$, donc les +dérivées partielles de $Q$ s'annulent en $v$, et $v$ représente un +point de $C$ qui n'est pas lisse. +\end{proof} + +\begin{exemples2} +\item La conique d'équation $X^2 = 0$ (sur un corps quelconque) est +réductible (car $X^2 = X\times X$), et n'est lisse en aucun de ces +points. On qualifiera cette conique de \emph{droite double}. +\item La conique d'équation $XY = 0$ (sur un corps quelconque) est +réductible, et n'est pas lisse au point $(0:0:1)$ tandis qu'elle est +lisse en n'importe quel autre point ($(1:0:z)$ ou $(0:1:z)$). On +qualifiera cette conique de \emph{réunion de deux droites rationnelles +distinctes} (à savoir $X=0$ et $Y=0$). +\item La conique d'équation $X^2 - Y^2 = 0$ est réductible (comme +$(X-Y)(X+Y)$) et n'est pas lisse au point $(0:0:1)$, tandis qu'elle +est lisse en tout autre point ($(1:1:z)$ ou $(1:-1:z)$) en +caractéristique $\neq 2$. En caractéristique $\neq 2$, il s'agit de +nouveau de la réunion de deux droites rationnelles distinctes, tandis +qu'en caractéristique $2$ il s'agit d'une droite double (pour la +droite d'équation $X=Y$). +\item La conique d'équation $X^2 + Y^2 = 0$ sur un corps tel que $-1$ +ne soit pas un carré (par exemple $\RR$) est irréductible, mais elle +est géométriquement réductible (car $X^2+Y^2 = (X+iY)(X-iY)$ si $i$ +est une racine carrée de $-1$). Elle n'est pas lisse au point +$(0:0:1)$, qui est son seul point sur le corps considéré. On +qualifiera cette conique de \emph{réunion de deux droites conjuguées}. +\item La conique d'équation $Y^2 - t X^2$ sur le corps $\FF_2(t)$ est +irréductible mais géométriquement réductible. Elle ne possède aucun +point sur le corps $\FF_2(t)$. +\item La conique d'équation $X^2 + Y^2 - Z^2 = 0$ est une conique +lisse sur tout corps de caractéristique $\neq 2$ puisque la forme +bilinéaire associée n'est pas dégénérée (en caractéristique $2$, il +s'agit d'une droite double). +\end{exemples2} + +\begin{proposition2}\label{intersection-droite-conique} +\begin{itemize} +\item Trois points situés sur une même conique lisse ne sont jamais +alignés. +\item Une droite $d$ rencontre une conique lisse $C$ en un unique point +si et seulement si elle lui est tangente à ce point. +\end{itemize} +Autrement dit, une droite $d$ rencontre une conique lisse $C$ en zéro, +un ou deux points, la possibilité « un » se produisant exactement +lorsque la droite est tangente à la conique au point en question. +\end{proposition2} +\begin{proof} +Si $\ell$ est une forme linéaire (sur $\FF^3$, où $\FF$ est le corps +sur lequel $C$ est définie), les points d'intersection de $C$ avec la +droite $\ell=0$ sont les points vérifiant $\ell=0$ et $Q=0$ où $Q$ est +l'équation de $C$. On peut supposer que $\ell$ est la forme +linéaire $Z$, auquel cas ces points sont ceux vérifiant $\tilde Q = +0$ où $\tilde Q$ est la forme quadratique dans les variables $X$ et +$Y$ obtenue en substituant $0$ à la variable $Z$ dans $Q$. Si $\tilde +Q = a X^2 + c' XY + b Y^2$, comme le polynôme $a T^2 + c' T + b$ a au +plus deux racines distinctes dans $\FF$, l'intersection considérée a +au plus deux éléments. De plus, en supposant que $P = (0:1:0)$ soit +dans l'intersection considérée, c'est-à-dire $b=0$, il s'agit de +l'unique point d'intersection si et seulement si la racine est double, +c'est-à-dire qu'on a aussi $c'=0$, ce qui signifie justement que la +droite $d$ d'équation $Z=0$ est la tangente en $P = (0:1:0)$ à la +conique d'équation $a X^2 + c Z^2 + c' XY + b' XZ + a' YZ = 0$. +\end{proof} + +\begin{proposition2}\label{parametrage-conique} +Soit $P$ un point sur une conique lisse $C$ sur un corps $\FF$. Alors +il y a une bijection entre les points de $C$ et les droites +de $\PP^2(\FF)$ passant par $P$, associant à un point $Q$ de $C$ la +droite $PQ$ si $Q \neq P$, ou bien la tangente à $C$ en $P$ si $Q=P$. +\end{proposition2} +\begin{proof} +C'est une conséquence immédiate de la +proposition \ref{intersection-droite-conique}. +\end{proof} + +\begin{corollaire2}\label{denombrement-coniques-corps-finis} +Si $C$ est une conique lisse sur un corps $\FF$ \emph{fini} ayant $q$ +éléments, alors $\#C(\FF) = q+1$. Dualement, il existe $q+1$ droites +tangentes à $C$. +\end{corollaire2} +\begin{proof} +Le théorème \ref{theoreme-chevalley-warning} montre que $C(\FF)$ n'est +pas vide : soit $P$ un de ses points. La +proposition \ref{parametrage-conique} montre alors que $C(\FF)$ est en +bijection avec l'ensemble des droites passant par $P$ dans +$\PP^2(\FF)$. Ces dernières sont au nombre de $q+1$ (par exemple +parce qu'elles sont en bijection, de la même façon, avec les points de +n'importe quelle droite ne passant pas par $P$). + +La seconde affirmation est évidente puisque chaque point de $C$ +définit une unique tangente, et que toute tangente à $C$ est tangente +en un unique point. +\end{proof} + +\begin{exemple2} +Sur $\FF_7$, les solutions non triviales de l'équation $X^2 + Y^2 + +Z^2 = 0$ sont, à proportionalité près, l'une des huit solutions +$(1:2:3)$, $(1:2:4)$, $(1:3:2)$, $(1:3:5)$, $(1:4:2)$, $(1:4:5)$, +$(1:5:3)$ et $(1:5:4)$. +\end{exemple2} + +\subsubsection{}\label{points-interieurs-coniques} Les droites +tangentes à une conique lisse $C$ donnée de +$\PP^2(\FF)$, où $\FF$ est un corps de caractéristique $\neq 2$, +forment elles-mêmes une conique lisse, notée $C^\vee$, dans +$\PP^{2\vee}(\FF)$. Ceci peut se voir avec des coordonnées : si $C$ a +pour équation $a X^2 + b Y^2 + c Z^2 = 0$ (ce qu'on peut toujours +faire, quitte à diagonaliser la forme quadratique qui donne son +équation), dire que la droite $UX + VY + WZ = 0$ lui est tangente +signifie que $U,V,W$ vérifient $\frac{1}{a} U^2 + \frac{1}{b} V^2 ++ \frac{1}{c} W^2 = 0$, qui définit alors l'équation de $C^\vee$. + +Si $P$ est un point de $\PP^2(\FF)$ (toujours avec $\FF$ de +caractéristique $\neq 2$) non situé sur une conique lisse $C$, les +tangentes à $C$ passant par $P$ peuvent se voir comme l'intersection +de la conique $C^\vee$ et de la droite $P^\vee$ +dans $\PP^{2\vee}(\FF)$ : il y en a donc (sur $\FF$) soit $2$ soit $0$ +selon que le polynôme de degré $2$ définissant cette intersection a +$2$ ou $0$ racines sur $\FF$ (le cas d'une racine double correspondant +à la situation où $P$ est sur $C$, ce qu'on a exclu). On dira que $P$ +est \emph{extérieur} ou \emph{intérieur} à la conique $C$ selon qu'il +existe $2$ ou $0$ tangentes à $C$ passant par $P$. (Sur le corps +$\RR$ des réels, la notion ainsi définie est bien celle qu'on a +l'habitude de désigner par là, au moins dans le cas où on pense à une +ellipse --- c'est-à-dire que la conique ne croise pas la droite à +l'infini. La terminologie est cependant désagréable en général : +ainsi, sur un corps algébriquement clos, une conique n'a jamais +d'intérieur. On se contentera de l'utiliser ci-dessous dans le cas +d'un corps fini.) + +\begin{corollaire2}\label{denombrement-points-interieurs-coniques-corps-finis} +Si $C$ est une conique lisse sur un corps $\FF$ \emph{fini} ayant $q$ +éléments, avec $q$ \emph{impair}, alors il existe $\frac{1}{2}(q^2-q)$ +points intérieurs à $C$ (au sens de \ref{points-interieurs-coniques}, +c'est-à-dire par lesquels ne passe aucune tangente à $C$), et +$\frac{1}{2}(q^2+q)$ points extérieurs. + +Dualement, et sans hypothèse sur $q$, sur les $q^2 + q + 1$ droites +de $\PP^2(\FF_q)$, outre les $q+1$ qui sont tangentes à $C$, il en +existe $\frac{1}{2}(q^2-q)$ qui ne rencontrent pas $C$, et +$\frac{1}{2}(q^2+q)$ qui la rencontrent en deux points distincts. +\end{corollaire2} +\begin{proof} +La conique $C$ a $q+1$ tangentes +(cf. \ref{denombrement-coniques-corps-finis}). Chacune de ces +tangentes comporte, outre le point de tangence, $q$ points extérieurs +à $C$. De cette manière, chaque point extérieur à $C$ a été compté +deux fois puisqu'il est situé sur $2$ tangentes distinctes. On a donc +$\frac{1}{2}q(q+1)$ points extérieurs, et comme il y a $q^2$ points +non situés sur $C$ (soit $q^2+q+1$ points au total dont $q+1$ sont +sur $C$), on en déduit le nombre de points intérieurs annoncé. + +L'énoncé dual se montre soit de même : par chaque point de $C$ passent +$q$ droites outre la tangente au point en question, chacune de ces $q$ +droites coupe $C$ en deux points distincts, et chaque droite coupant +$C$ en deux points distincts a ainsi été comptée deux fois. Si $q$ +est impair, on peut aussi obtenir ce résultat en appliquant ce qui +précède à la conique $C^\vee$. +\end{proof} + +Sur un corps fini de caractéristique $2$, la situation est très +différente : on va voir en \ref{ovales-et-hyperovales} ci-dessous que +par tout point non situé sur une conique lisse passe +exactement \emph{une} tangente à celle-ci, exceptée pour un point par +lequel passent \emph{toutes} les tangentes. (Il faut imaginer que la +conique duale de n'importe quelle conique lisse serait une droite +double.) + +\begin{definition2}\label{definition-ovale-hyperovale} +On appelle \emph{ovale} (resp. \emph{hyperovale}) de $\PP^2(\FF_q)$ un +ensemble de $q+1$ (resp. $q+2$) points de $\PP^2(\FF_q)$ dont trois +quelconques ne sont jamais alignés. On appelle \emph{tangente} à un +ovale (en un point $P$ de celui-ci) une droite qui ne rencontre +l'ovale qu'en un seul point (à savoir $P$). +\end{definition2} + +On a vu +en \ref{intersection-droite-conique}, \ref{denombrement-coniques-corps-finis} +que les coniques lisses sont des ovales, et que la notion de tangence +qu'on vient de définir recouvre bien la notion de tangence à une +conique. On verra en \ref{segre-ovale-est-conique} une réciproque de +cette affirmation en caractéristique impaire. + +\begin{proposition2}\label{tangente-ovale} +Si $E$ est un ovale de $\PP^2(\FF_q)$, il existe une unique tangente à +$E$ par chaque point de $E$. + +Si $E$ est un hyperovale, toute droite rencontre $E$ en exactement +$0$ ou $2$ points. +\end{proposition2} +\begin{proof} +Soit $P$ un point de $E$. Pour chacun des $q$ points $Q$ de $E$ +distinct de $P$, la droite $PQ$ rencontre $E$ en exactement deux +points, $P$ et $Q$, et ces droites $PQ$ sont deux à deux distinctes. +Il passe $q+1$ droites par $P$, donc la dernière droite $d$ passant +par $P$ dans $\PP^2(\FF_q)$ ne rencontre $E$ qu'en $P$ et est donc +l'unique tangente à $E$ en $P$. + +Le raisonnement de la seconde partie est analogue : si $P$ est +sur $E$, pour chacun des $q+1$ points $Q$ de $E$ distinct de $P$, la +droite $PQ$ rencontre $E$ en exactement deux points, $P$ et $Q$, et +ces droites $PQ$ sont deux à deux distinctes. Il passe $q+1$ droites +par $P$, donc chacune rencontre $E$ en exactement un point autre +que $P$. Ainsi, toute droite de $\PP^2(\FF_q)$ qui rencontre $E$ le +rencontre en exactement deux points. +\end{proof} + +\begin{proposition2}\label{ovales-et-hyperovales} +Si $q$ est pair, et $E$ un ovale de $\PP^2(\FF_q)$, alors toutes les +tangentes à $E$ se coupent en un unique point. Si $N$ est point en +question, alors $E \cup \{N\}$ est un hyperovale. (Et si $A'$ est un +hyperovale et $N$ un point quelconque de $A'$, alors $E = +A'\setminus\{N\}$ définit un ovale dont toutes les tangentes se +coupent en $N$.) + +Si $q$ est impair, il n'existe pas d'hyperovale dans $\PP^2(\FF_q)$. +\end{proposition2} +\begin{proof} +Soit $E$ un ovale de $\PP^2(\FF_q)$ : notons $n_i$ le nombre de points +non situés sur $E$ qui appartiennent à exactement $i$ tangentes à $E$ +(cf. \ref{tangente-ovale}). Comme il y a $q^2$ points non situés +sur $E$, on a $\sum_{i=0}^{q+1} n_i = q^2$. Comme chacune des $q+1$ +tangentes à $E$ contient $q+1$ points dont $q$ ne sont pas situés +sur $E$, on a $\sum_{i=0}^{q+1} i\, n_i = q(q+1)$. Comme chaque paire +de tangentes distinctes définit un unique point d'intersection situé +en-dehors de $E$, on a $\sum_{i=0}^{q+1} {i \choose 2} \, n_i = +{q+1 \choose 2}$. En combinant linéairement ces formules, on a +$\sum_{i=0}^{q+1} (i-1) (q+1-i) \, n_i = 0$. Puisque $q$ est pair, +$\#E$ est impair, donc, si $R$ est un point non situé sur $E$, il doit +exister une droite passant par $R$ ne contenant qu'un seul point +de $E$, c'est-à-dire une tangente à $E$ : ceci prouve $n_0 = 0$. La +somme $\sum_{i=0}^{q+1} (i-1) (q+1-i) \, n_i$ est donc une somme de +nombres positifs, donc tous les termes sont nuls, et seuls $n_1$ et +$n_{q+1}$ peuvent être non nuls. Comme $n_1 + n_{q+1} = q^2$ et $n_1 ++ (q+1) n_{q+1} = q^2+q$ d'après ce qu'on a vu, on a $n_1 = q^2-1$ et +$n_{q+1} = 1$ : il existe bien un unique point situé à l'intersection +de toutes les tangentes à $E$. Il est alors évident qu'en ajoutant ce +point $N$ à l'ovale, trois points ne seront jamais alignés, +c'est-à-dire que $E \cup \{N\}$ est un hyperovale. La remarque entre +parenthèses est également évidente. + +Si $q$ est impair, en revanche, s'il existait un hyperovale $E$, alors +pour $R$ un point non situé sur $E$, chacune des $q+1$ droites passant +par $R$ doit rencontrer $E$ en $0$ ou $2$ points +d'après \ref{tangente-ovale} : ceci montre que le cardinal de $E$ est +pair, une contradiction. +\end{proof} + +\begin{proposition2}\label{centre-de-l-ovale-inscrit} +Soit $E$ un ovale de $\PP^2(\FF_q)$ avec $q$ impair, et $P,Q,R$ trois +points distincts de $E$, et soient $A,B,C$ les intersections +respectives des tangentes à $E$ en $Q,R$, en $P,R$ et en $P,Q$ +(c'est-à-dire que $BC,AC,AB$ sont les tangentes à $E$ en $P,Q,R$ +respectivement). Alors les droites $AP$, $BQ$ et $CR$ sont +concourantes en un point $S$. +\end{proposition2} +\begin{proof} +On peut supposer $P=(1:0:0)$, $Q=(0:1:0)$ et $R=(0:0:1)$. Les +équations des droites $BC$, $AC$ et $AB$ (dont aucune ne coïncide avec +une des droites $QR$, $PR$ ni $PQ$) peuvent alors s'écrire +respectivement $Y+aZ=0$, $Z+bX=0$ et $X+cY=0$, où les nombres $a,b,c$ +sont dans $\FF_q^\times$. On a alors $A=(-c:1:bc)$, $B=(ac:-a:1)$ et +$C=(1:ab:-b)$. + +Soit $T=(x:y:z)$ un point de l'ovale $E$ distinct de $P,Q,R$ (de sorte +que $x,y,z$ sont tous les trois non nuls), et considérons les trois +produits $\xi = \prod_{T \in E \setminus\{P,Q,R\}} (z/y)$, $\eta += \prod_{T \in E \setminus\{P,Q,R\}} (x/z)$ et $\zeta = \prod_{T \in +E \setminus\{P,Q,R\}} (y/x)$ (les rapports $z/y$, $x/z$ et $y/x$ sont +bien définis et ne dépendent que de $T$ et non des coordonnées le +représentant). On a visiblement $\xi\eta\zeta = \prod_{T \in +E \setminus\{P,Q,R\}} 1 = 1$. Cependant, le rapport $z/y$ est +déterminé par la droite $TP$ (d'équation $zY-yZ=0$), et quand $T$ +parcourt $E \setminus\{P,Q,R\}$, la droite $TP$ d'équation parcourt +toutes les droites passant par $P$ exceptée la tangente $BC$ à $E$ +par $P$ (pour laquelle ce rapport $z/y$ vaudrait $-\frac{1}{a}$) et +les droites $PQ$ et $PR$ (pour lesquelles ce rapport $z/y$ vaudrait +$0$ et $\infty$). Autrement dit, $\xi$ est le produit de tous les +éléments de $\FF_q^\times$ différents de $-\frac{1}{a}$, +c'est-à-dire $a$ (le produit de tous les éléments de $\FF_q^\times$ +est $-1$ car chaque $t \in \FF_q^\times$ vérifie $t \cdot t^{-1} = 1$, +avec $t \neq t^{-1}$ sauf si $t = -1$). De même, $\eta = b$ et $\zeta += c$. On a donc prouvé $abc = 1$. + +Les droites $AP,BQ,CR$ concourent alors en $(c:1:bc) = (ac:a:1) = +(1:ab:b)$. +\end{proof} + +\begin{lemme2}\label{comparaison-ovale-conique-trois-points-deux-tangentes} +Soit $E$ un ovale de $\PP^2(\FF_q)$ avec $q$ impair, et $P,Q,R$ trois +points distincts de $E$. Si une conique $D$ passe par $P,Q,R$ et a +les mêmes droites tangentes que $E$ en $P,Q$, alors elle a aussi la +même tangente que $E$ en $R$. +\end{lemme2} +\begin{proof} +On reprend les notations de la démonstration de la +proposition \ref{centre-de-l-ovale-inscrit} : comme $D$ passe +par $P,Q,R$, son équation s'écrit $c' XY + b' XZ + a' YZ = 0$ pour +certaines constantes $a',b',c'$. Les tangentes à $D$ par $P,Q,R$ ont +alors pour équations $c'Y + b'Z = 0$, $a'Z + c'X = 0$ et $b'X + a'Y = +0$ respectivement : les quantités $a,b,c$ introduites dans la +démonstration précédente vérifient alors $a = b'/c'$ et $b = c'/a'$ +d'après l'égalité des tangentes à $E$ et $D$ en $P$ et $Q$ : du fait +que $abc = 1$ on déduit $c = a'/b'$, ce qui démontre l'égalité des +tangentes en $R$. +\end{proof} + +\begin{proposition2}[B. Segre]\label{segre-ovale-est-conique} +Soit $E$ un ovale de $\PP^2(\FF_q)$ avec $q$ impair : alors $E$ est +(l'ensemble des points sur $\FF_q$ d')une conique lisse. +\end{proposition2} +\begin{proof} +On reprend les notations de la démonstration de la +proposition \ref{centre-de-l-ovale-inscrit} ; pour simplifier les +calculs, on peut encore choisir $(1:1:1)$ comme coordonnées pour le +point $S$ intersection commune de $AP$, $BQ$ et $CR$. Alors on a +$a=b=c=1$, et les tangentes à $E$ par $P$, $Q$ et $R$ ont +respectivement pour équations $Y+Z=0$ et $Z+X=0$ et $X+Y=0$. On veut +montrer que $E$ coïncide avec la conique $D$ d'équation $XY+XZ+YZ=0$. + +Soit $T = (x:y:z)$ un point quelconque de $E$ distinct de $P,Q,R$. La +conique $D'_s$ d'équation $XY+XZ+YZ + sZ^2 = 0$ passe par $P$ et $Q$ +et y a les même tangentes que $E$. En choisissant $s$ de sorte que la +conique $D'_s$ passe par $T$, on déduit du +lemme \ref{comparaison-ovale-conique-trois-points-deux-tangentes} que +$D'_s$ et $E$ ont même tangente en $T$. Cette tangente est $(y+z)X + +(x+z)Y + (y+x+2sz)Z = 0$. La conique $D''_t$ d'équation $XY+XZ+YZ + +tX^2 = 0$ passe par $Q$ et $R$ et y a les mêmes tangentes que $E$. En +choisissant $t$ de sorte que $D''_t$ passe par $T$ on déduit de même +que $D''_t$ et $E$ ont même tangente en $T$. Cette tangente est +$(y+z+2tx)X + (x+z)Y + (y+x)Z = 0$. En comparant les deux équations +trouvées pour la même tangente à $E$ en $T$, on trouve $s=t=0$ : donc +$D'_s = D''_t = D$, et le point $T$ est situé sur $D$, ce qu'on +voulait prouver. +\end{proof} + +\begin{remarque2} +On peut se demander s'il existe un résultat analogue en +caractéristique $2$ qui affirmerait que tout hyperovale s'obtient +comme réunion d'une conique et de l'unique point d'intersection de +toutes ses tangentes (cf. \ref{ovales-et-hyperovales}). Il n'en est +rien : il existe des hyperovales « irréguliers » : l'exemple le plus +simple connu (hyperovale de Lunelli-Sce) est celui de l'ensemble des +points de $\PP^2(\FF_{16})$ de la forme $(0:1:0)$ ou $(1:0:0)$ ou bien +$(x:f(x):1)$ avec $x\in \FF_{16}$ et $f(x) = x^{12} + x^{10} ++ \gamma^{11} x^8 + x^6 + \gamma^2 x^4 + \gamma^9 x^2$, où $\gamma$ +(élément primitif) est solution de $\gamma^4 = \gamma + 1$. +\end{remarque2} + + +\section{Polynômes sur les fractions rationnelles} + +\subsection{Le théorème de Tsen} + +\begin{theoreme2}\label{theoreme-tsen} +Soit $k$ un corps $C_r$. Alors le corps $k(T)$ des fractions +rationnelles en une indéterminée sur $k$ est $C_{r+1}$. (Marche aussi +fortement ? Oui, si j'en crois Nagata. Marche aussi +avec $C'$ ? \XXX) +\end{theoreme2} +\begin{proof} +Soit $P \in k(T)[X_1,\ldots,X_n]$ un polynôme homogène de degré $d$ en +$n$ variables avec $n > d^{r+1}$. Quitte à chasser les dénominateurs, +on peut supposer $P \in k[T,X_1,\ldots,X_n]$, c'est-à-dire que les +coefficients de $P$ sont dans $k[T]$. Soit $M$ un majorant des degrés +de ces éléments de $k[T]$ (disons, le degré de $P$ en $T$), et soit +$N$ un entier naturel qui sera choisi suffisamment grand : on +introduit $n(N+1)$ variables $Y_{j\ell}$ avec $1\leq j \leq n$ et +$0\leq\ell\leq N$, et on pose $x_j = \sum_{\ell=0}^N Y_{j\ell} +T^\ell$. Alors $f(x_1,\ldots,x_n)$ s'écrit comme un polynôme de degré +$Nd+M$ en $T$, dont les coefficients, qu'on appellera +$f_\ell(Y_{\cdots})$, sont des polynômes homogènes de degré $d$. +L'annulation de $f(x_1,\ldots,x_n)$ revient donc à un système de +$Nd+M+1$ équations $f_\ell(Y_{\cdots}) = 0$, toutes homogènes de +degré $d$, en les $n(N+1)$ variables $Y_{j\ell}$ : lorsque $n(N+1) > +d^r (Nd+M+1)$, ce qui compte tenu de $n > d^{r+1}$ se produit bien +pour $N$ assez grand, la propriété $C_r$ assure que ce système a une +solution non triviale. +\end{proof} + +La réciproque suivante montre que le théorème précédent en un +certain sens optimal : +\begin{proposition2}\label{reciproque-tsen} +Soit $k$ tel que le corps $k(T)$ soit $C_{r+1}$. Alors $k$ est $C_r$. +\end{proposition2} +\begin{proof} +Soit $P \in k[X_1,\ldots,X_n]$ homogène de degré $d>0$ tel que $n > +d^r$. Définissons un polynôme homogène de degré $d$ en $dn$ variables +par $Q = f(P|P|\cdots|P)$, où $f(U_0,\ldots,U_{d-1}) = U_0 + U_1 T ++ \cdots + U_{d-1} T^{d-1}$, c'est-à-dire $Q = +P(Z_{0,1},\ldots,Z_{0,n}) + P(Z_{1,1},\ldots,Z_{1,n})\,T + \cdots + +P(Z_{d-1,1},\ldots,Z_{d-1,n})\, T^{d-1}$ (en les variables +$Z_{\ell,j}$). Puisque $dn > d^{r+1}$, la condition $C_{r+1}$ +signifie que $Q$ a un zéro non trivial $(z_{\ell,j})$. Quitte à +chasser les dénominateurs, on peut supposer $(z_{\ell,j}) \in k[T]$, +et quitte à diviser par $T$ on peut supposer que tous ne sont pas +multiples de $T$. En évaluant $Q(z_{\cdots})$ en $T=0$, on trouve +$P(z_{0,1}(0),\ldots,z_{0,n}(0)) = 0$ : si tous les $Z_{0,\ell}(0)$ +sont nuls, alors $P(z_{0,1},\ldots,z_{0,})$ est multiple de $T^d$, et +en en divisant $Q(z_{\cdots})$ par $T$ et en l'évaluant en $T=0$, on +trouve ensuite $P(z_{1,1}(0),\ldots,z_{1,n}(0)) = 0$, et ainsi de +suite. Comme tous les $z_{\ell,j}(0)$ ne peuvent pas être nuls, il +doit exister $\ell$ tel que $P(z_{\ell,1}(0),\ldots,z_{\ell,n}(0)) = +0$ avec $z_{\ell,1}(0),\ldots,z_{\ell,n}(0)$ non tous nuls. Ceci +montre que $k$ est $C_r$. +\end{proof} + +En admettant la notion de degré de transcendance (une extension $K$ +d'un corps $k$ est de degré de transcendance $\delta$, notée $\degtr_k +K = \delta$, lorsque $K$ est algébrique sur un sous-corps +$k(t_1,\ldots,t_\delta)$, où $t_1,\ldots,t_\delta$ sont algébriquement +indépendants sur $k$ c'est-à-dire que $k(t_1,\ldots,t_\delta)$ est +isomorphe au corps $k(T_1,\ldots,T_\delta)$ des fractions rationnelles +en autant d'indéterminées par un isomorphisme envoyant $t_\iota$ sur +$T_\iota$), on peut énoncer : +\begin{corollaire2} +Soit $k$ un corps $C_r$, et $K$ un corps tel que $\degtr_k K += \delta$. Alors $K$ est $C_{r+\delta}$. +\end{corollaire2} +\begin{proof} +Soient $t_1,\ldots,t_\delta$ algébriquement indépendants dans $K$ tels +que $K$ soit algébrique sur $k(t_1,\ldots,t_\delta)$. Le +théorème \ref{theoreme-tsen} appliqué $\delta$ fois successivement +assure que $k(t_1,\ldots,t_\delta)$ est $C_{r+\delta}$, et la +proposition \ref{extension-algebrique-de-corps-c-r} permet de conclure +que $K$ l'est. +\end{proof} + + +\ifx\danslelivre\undefined +\end{document} +\fi |