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diff --git a/notes-accq205.tex b/notes-accq205.tex index aa2a15a..e766682 100644 --- a/notes-accq205.tex +++ b/notes-accq205.tex @@ -40,6 +40,7 @@ \newcommand{\sep}{\operatorname{sep}} \newcommand{\Gal}{\operatorname{Gal}} \newcommand{\Fix}{\operatorname{Fix}} +\newcommand{\Hom}{\operatorname{Hom}} % \DeclareUnicodeCharacter{00A0}{~} % @@ -2746,6 +2747,197 @@ précisément : pour un exemple illustrant ces notions.) +\subsection{Extension des scalaires des algèbres sur un corps} + +\thingy Soit $k \subseteq k'$ une extension de corps et $A$ une +$k$-algèbre : on voudrait associer à $A$ une $k'$-algèbre $A'$ obtenue +en « étendant les scalaires » de $k$ à $k'$ (les « scalaires », dans +cette expression, sont les éléments de $k$). + +\thingy Soit $k \subseteq k'$ une extension de corps et $V$ un +$k$-espace vectoriel. Soit $(e_i)_{i\in I}$ une base de $V$ et $V'$ +le $k'$-espace vectoriel de base $(e_i)_{i\in I}$ (c'est-à-dire +l'ensemble des combinaisons linéaires formelles $\sum_{i\in I} +\lambda_i e_i$ avec $\lambda_i \in k'$ tous nuls sauf un nombre fini). +On a une application $k$-linéaire $V \to V'$ « naturelle » qui envoie +$e_i$ sur $e_i$ (donc $\sum_{i\in I} \lambda_i e_i$ avec $\lambda_i +\in k$ sur la même somme où les $\lambda_i$ sont maintenant considérés +dans $k'$) ; cette application est, bien entendue, injective, et son +image engendre $V'$ comme $k'$-espace vectoriel (puisqu'elle contient +les $e_i$). Appelons-la $\iota\colon V \to V'$. + +Alors, quel que soit le $k'$-espace vectoriel $W$, toute application +$k$-linéaire $u\colon V \to W$ se factorise de façon unique à +travers $\iota$, c'est-à-dire qu'il existe une unique application +\underline{$k'$-linéaire} $u'\colon V'\to W$ telle que $u = +u'\circ\iota$. Ou, si on préfère, l'application $\Hom_{k'}(V',W) \to +\Hom_k(V,W)$ de composition à droite par $\iota$, qui à une +application $k'$-linéaire $u'\colon V' \to W$ associe l'application +$k$-linéaire $u\colon V \to W$ donnée par $u\circ\iota$, est une +bijection. Il suffit pour s'en convaincre de se rappeler que +$\Hom_k(V,W)$ et $\Hom_{k'}(V',W)$ peuvent tous les deux s'identifier +à $W^I$ (l'ensemble des fonctions de $I$ dans $W$) grâce au choix de +la base $(e_i)_{i\in I}$ : autrement dit, on doit poser $u'(e_i) = +u(e_i)$, et ceci construit bien $u'$. On pourra dire qu'il s'agit là +d'une « propriété universelle » de $V'$. + +En particulier, \emph{la construction effectuée de $V'$ ne dépend pas + du choix de la base} : si on construit $V'_1$ et $V'_2$ en utilisant +deux bases différentes de $V$, non seulement on obtient deux espaces +vectoriels isomorphes, mais il y a un \emph{unique} isomorphisme entre +eux qui soit compatible avec les applications $\iota_1\colon V\to +V'_1$ et $\iota_2\colon V\to V'_2$ construites en même temps. + +Cet espace $V'$ s'appelle l'\textbf{extension des scalaires} de $V$ de +$k$ à $k'$ et se note $V \otimes_k k'$. Sa dimension sur $k'$ est, +par contruction, égale à la dimension de $V$ sur $k$. On notera +$x\otimes 1$ l'élément $\iota(x)$ défini ci-dessus (dont les +coordonnées sur la base $e_i$ sont celles de $x$), et plus +généralement $x\otimes c$ pour $c\in k'$ l'élément $c\iota(x)$ dont +les coordonnées sur la base $e_i$ sont celles de $x$ multipliées +par $c$. + +\thingy La « propriété universelle » de $\iota$ permet d'associer à +une application $k$-linéaire $u\colon V \to W$ entre $k$-espaces +vectoriels une application $k'$-linéaire $u'\colon V' \to W'$ entre +leurs extensions des scalaires $V' := V\otimes_k k'$ et $W' := +W\otimes_k k'$. À savoir : on considère $\iota_W \circ u$ (où +$\iota_W \colon W\to W'$ est $x \mapsto x\otimes 1$ pour $x\in W$) et +la propriété universelle de $\iota_V$ assure qu'on peut l'écrire de +façon unique sous la forme $u' \circ \iota_V$. On dira que $u'$ est +obtenu à partir de $u$ par « extension des scalaires » de $k$ à $k'$ +(ou par « fonctorialité »). Concrètement, $u'$ est définie par la +même matrice que $u$ (ou, si on veut éviter de parler de matrices +possiblement infinies, les mêmes coefficients sur des bases). + +La même propriété universelle de $\iota$ vaut encore pour les +applications bilinéaires, et plus généralement, multilinéaires : si +$V_1,V_2$ sont deux $k$-espaces vectoriels et $V'_1 := V_1 \otimes_k +k'$ et $V'_2 := V_2 \otimes_k k'$ sont obtenus par extension des +scalaires, alors pour tout $k'$-espace vectoriel $W$, toute +application $k$-bilinéaire $b\colon V_1 \times V_2 \to W$ se factorise +de façon unique sous la forme $b(x_1,x_2) = b'(\iota(x_1),\iota(x_2))$ +(c'est-à-dire $b'(x_1\otimes 1, x_2\otimes 1)$) avec $b'\colon V'_1 +\times V'_2 \to W$ qui soit $k'$-bilinéaire (la démonstration est la +même : les applications $k$-bilinéaires $V_1 \times V_2 \to W$ ou +$k'$-bilinéaires $V'_1 \times V'_2 \to W$ sont en bijection avec +$W^{I_1\times I_2}$ une fois choisies des bases $(e_i)_{i\in I_1}$ et +$(f_j)_{j\in I_2}$ de $V_1$ et $V_2$). La même chose vaut encore avec +trois espaces vectoriels ou plus. + +\thingy Signalons au passage, sans plus développer, que l'extension +des scalaires qu'on a définie ci-dessus fait partie d'une construction +plus générale appelée \textbf{produit tensoriel}. Le produit +tensoriel de deux espaces vectoriels $V$ et $W$ sur un corps $k$ est +l'espace vectoriel $V\otimes_k W$ dont une base est le produit d'une +base de $V$ et d'une base de $W$ (dans le cas qu'on a considéré, une +base de $V \otimes_k k'$ est bien donnée par les $b_j e_i$ avec +$(b_j)$ une base de $k'$ comme $k$-espace vectoriel) ; on a une +application bilinéaire $\beta\colon V \times W \to V\otimes_k W$ qui +envoie un couple d'éléments des deux bases sur l'élément de la base +d'arrivée défini par ce même couple (dans le cas qu'on a considéré, +$\beta(x,c) = c\iota(x)$). Cette application bilinéaire possède la +propriété « universelle » que toute application $k$-bilinéaire +$V\times W \to E$ se factorise de façon unique en la composée de +$\beta$ et d'une application $k$-linéaire $V\otimes_k W \to E$ : +autrement dit, une application $k$-bilinéaire $V\times W \to E$ et une +application $k$-linéaire $V\otimes_k W \to E$ sont essentiellement +« la même chose ». Cette même propriété permet de définir de façon +plus générale le produit tensoriel de deux modules quelconques sur un +anneau quelconque, mais nous ne le ferons pas. + +\begin{prop}[« exactitude » de l'extension des scalaires sur un corps]\label{exactness-of-tensor-product-over-a-field} +Soit $k \subseteq k'$ une extension de corps et $U \subseteq V$ un +sous-$k$-espace vectoriel d'un $k$-espace vectoriel $V$ dont le +quotient sera noté $W := V/U$. Notons $U',V',W'$ les extensions des +scalaires de $U,V,W$ de $k$ à $k'$, et $U'\to V'$ et $V'\to W'$ les +applications $k'$-linéaires obtenues par extension des scalaires à +partir de l'injection d'inclusion (i.e., l'identité) $U\to V$ et la +surjection canonique $V\to W$. Alors (a) $V'\to W'$ est surjective, +(b) son noyau est exactement l'image de $U'\to V'$ et (c) cette +dernière est injective. (\textbf{Note :} l'affirmation (c) ici dépend +crucialement du fait que $k$ est un corps.) +\end{prop} +\begin{proof} +Soit $(e_i)_{i\in I}$ une base de $U$, qu'on complète en une base +de $V$, disons $(e_i)_{i\in I\cup J}$ (avec $I\cap J=\varnothing$), +l'image des $(e_i)_{i\in J}$ définissant alors une base de $W$. Ces +$k$-bases de $U,V,W$ donnent $k'$-bases de $U',V',W'$. Les +applications $U'\to V'$ et $V'\to W'$ s'obtiennent alors +respectivement en envoyant $e_i$ sur $e_i$ si $i\in I$ pour la +première, et pour la seconde en envoyant $e_i$ sur $\bar e_i$ si $i\in +J$ et $0$ si $i\in I$ : avec cette description, les affirmations (a), +(b) et (c) sont triviales. +\end{proof} + +\thingy Supposons maintenant, toujours que $k\subseteq k'$ est une +extension de corps, mais maintenant que $A$ est une $k$-algèbre. On a +défini un $k'$-espace vectoriel $A' := A\otimes_k k'$ par « extension + des scalaires » de $k$ à $k'$. L'application $k$-bilinéaire $A +\times A \to A$ de multiplication (envoyant $(a,b)$ sur $ab$), +composée avec $\iota\colon A\to A'$, se factorise de façon unique +d'après la « propriété universelle » pour les applications bilinéaires +qu'on a vue plus haut : il existe donc une unique multiplication +$k'$-bilinéaire sur $A'$ qui vérifie $\iota(a)\,\iota(b) = \iota(ab)$. +L'associativité de $A$ donne l'associativité de $A'$ (puisque +l'application trilinéaire $(a,b,c) \mapsto a(bc)-(ab)c$ est nulle, son +unique factorisation par $\iota$ l'est encore). + +Concrètement, cette algèbre $A' = A\otimes_k k'$ peut être construite +ainsi : on part d'une base $(e_i)_{i\in I}$ de $A$, on écrit chaque +produit $e_{i_1} e_{i_2}$ sous la forme $e_{i_1} e_{i_2} = \sum_{j\in + I} c_{i_1,i_2,j} e_j$ (les $c_{i_1,i_2,j}$ s'appellent les +« constantes de structure » de $A$ sur cette base), et l'algèbre $A'$ +est la $k'$-algèbre obtenue en reprenant ces mêmes relations mais sur +un $k'$-espace vectoriel de base $(e_i)_{i\in I}$. Pour une algèbre +de type fini, on verra une description encore plus simple ci-dessous. + +On a par ailleurs toujours la « propriété universelle » suivante : si +$B$ est une $k'$-algèbre, alors tout morphisme $\psi\colon A\to B$ de +$k$-algèbres (c'est-à-dire $k$-linéaire préservant le produit) se +factorise de façon unique comme la composée de $\iota A\to A'$ par un +morphisme de $k'$-algèbres $\psi'\colon A'\to B$ (comme on a déjà vu +la factorisation unique pour des morphismes d'espaces vectoriels, il +n'y a plus qu'à vérifier que $\psi'\colon A'\to B$ préserve la +multiplication, ce qui résulte du fait que $\psi(ab) - +\psi(a)\,\psi(b)$ est nulle donc son unique factorisation par $\iota$ +l'est aussi). + +\thingy Si $k\subseteq k'$ est toujours une extension de corps et si +maintenant $A = k[t_1,\ldots,t_d]/I$ alors on peut décrire $A' := +A\otimes_k k'$ comme $k'[t_1,\ldots,t_d]/I'$ où $I'$ est l'idéal +engendré par $I$ dans $k'[t_1,\ldots,t_d]$, qui est aussi le +$k'$-espace vectoriel engendré par $I$ +d'après \ref{change-of-coefficients-on-polynomial-ideals}. En effet, +le cas où $I=0$, c'est-à-dire quand $A = k[t_1,\ldots,t_d]$, est +clair, puisque les monômes forment une base sur $k$ de +$k[t_1,\ldots,t_d]$ et une base sur $k'$ de $k'[t_1,\ldots,t_d]$, avec +la même multiplication, et la +proposition \ref{exactness-of-tensor-product-over-a-field} permet d'en +déduire le cas général (l'affirmation (c) montre que $I' = I\otimes_k +k'$, l'affirmation (a) montre que $k'[t_1,\ldots,t_d] \to +(k[t_1,\ldots,t_d]/I)\otimes_k k'$ est surjective et l'affirmation (b) +montre que son noyau est précisément $I'$). + +Autrement dit, concrètement, si $h_1,\ldots,h_m \in k[t_1,\ldots,t_d]$ +et si $A = k[t_1,\ldots,t_d]/(h_1,\ldots,h_m)$ (ce qui est la +structure générale d'une algèbre de type fini sur $k$ d'après +\ref{subalgebra-generated-is-polynomials} et +\ref{hilbert-basis-theorem-for-polynomials}), on a $A\otimes_k k' = +k'[t_1,\ldots,t_d]/(h_1,\ldots,h_m)$. Ce qui n'était pas évident +\textit{a priori} sur cette écriture, mais qui résulte de ce qu'on a +fait ci-dessus, est que, à isomorphisme près, cette définition ne +dépend pas de la « présentation » de $A$ comme +$k[t_1,\ldots,t_d]/(h_1,\ldots,h_m)$ (c'est-à-dire du choix des +générateurs, les images des $t_i$, et des relations entre eux, +c'est-à-dire les $h_i$). + +À titre d'exemple, $\mathbb{C} = \mathbb{R}[t]/(t^2+1)$ donc +$\mathbb{C}\otimes_\mathbb{R}\mathbb{C} = \mathbb{C}[t]/(t^2+1) = +\mathbb{C}[t]/((t+\sqrt{-1})(t-\sqrt{-1})) \cong +\mathbb{C}\times\mathbb{C}$. + + % % % |