From 8dd97a29c3a559721dd106276f9b654a0f636ce8 Mon Sep 17 00:00:00 2001 From: "David A. Madore" Date: Fri, 18 Mar 2016 17:17:43 +0100 Subject: Irreducibility versus geometric irreducibility. --- notes-accq205.tex | 166 ++++++++++++++++++++++++++++++++++++++---------------- 1 file changed, 116 insertions(+), 50 deletions(-) diff --git a/notes-accq205.tex b/notes-accq205.tex index a4d5484..aa2a15a 100644 --- a/notes-accq205.tex +++ b/notes-accq205.tex @@ -163,7 +163,8 @@ lorsque l'anneau quotient $A/\mathfrak{m}$ est un corps : de façon maximal pour l'inclusion parmi les idéaux $\neq A$. Un idéal maximal est, en particulier, premier. -\thingy À titre d'exemple, l'idéal $n\mathbb{Z}$ de $\mathbb{Z}$ (on +\thingy\label{examples-prime-ideals} +À titre d'exemple, l'idéal $n\mathbb{Z}$ de $\mathbb{Z}$ (on rappelle que tous les idéaux de $\mathbb{Z}$ sont de cette forme, pour un $n \in \mathbb{N}$ défini de façon unique) est premier si et seulement si $n = 0$ (le quotient étant $\mathbb{Z}$ lui-même) ou bien @@ -2541,7 +2542,7 @@ algébriquement clos, le \emph{Nullstellensatz fort} \surd I$. Pour en déduire le résultat pour $k$ quelconque, on aura besoin du lemme suivant : -\begin{lem} +\begin{lem}\label{change-of-coefficients-on-polynomial-ideals} Soit $k$ un corps et $k \subseteq k'$ une extension quelconque. Soit $I$ un idéal de $k[t_1,\ldots,t_d]$. Soit $I'$ l'idéal engendré par $I$ dans $k'[t_1,\ldots,t_d]$ (c'est simplement le $k'$-espace @@ -2573,7 +2574,7 @@ les notations $Z$ et $\mathfrak{I}$ introduites en Si $I$ est un idéal de $k[t_1,\ldots,t_d]$, alors $\mathfrak{I}(Z(I))$ est le radical $\surd I$ de $I$. Si $E$ est une partie de $(k^{\alg})^d$, alors $Z(\mathfrak{I}(E))$ est le plus petit (pour -l'inclusion) fermé de Zariski qui contient $E$. +l'inclusion) fermé de Zariski défini sur $k$ qui contient $E$. De plus, les fonctions $Z$ et $\mathfrak{I}$ définissent des bijections réciproques décroissantes (pour l'inclusion) entre idéaux @@ -2612,26 +2613,28 @@ les ensembles qu'on a dit, et on a observé qu'elles sont décroissantes. \end{proof} -\thingy\label{rational-points-of-zariski-closed-sets} -On aurait pu être tenté de définir $Z(\mathscr{F})$ comme -l'ensemble des zéros dans $k^d$, plutôt que $(k^{\alg})^d$, des -éléments de $\mathscr{F}$ : le problème avec ce point de vue est qu'on -peut avoir $Z(I) \cap k^d = \varnothing$ alors que $I$ n'est pas -l'idéal unité : penser au cas de l'idéal engendré par $t^2 + 1$ dans -$\mathbb{R}[t]$ (qui n'est pas l'idéal unité puisque $t^2 + 1$ n'est -pas inversible, et qui n'a pourtant pas de zéro dans $\mathbb{R}$). -Avec le point de vue choisi ici, on a $Z(t^2+1) = \{\pm i\} \subseteq -\mathbb{C}$. On remarquera bien que $\{+i\}$ seul n'est pas un fermé -de Zariski défini sur $\mathbb{R}$ (c'est, en revanche, un fermé de -Zariski défini sur $\mathbb{C}$). +\thingy\label{rational-points-of-zariski-closed-sets} On aurait pu +être tenté d'associer dès le départ à $\mathscr{F}$ l'ensemble +$Z(\mathscr{F}) \cap k^d$ des zéros dans $k^d$, plutôt que +$(k^{\alg})^d$, des éléments de $\mathscr{F}$ : le problème avec ce +point de vue est qu'on peut avoir $Z(I) \cap k^d = \varnothing$ alors +que $I$ n'est pas l'idéal unité : penser au cas de l'idéal engendré +par $t^2 + 1$ dans $\mathbb{R}[t]$ (qui n'est pas l'idéal unité +puisque $t^2 + 1$ n'est pas inversible, et qui n'a pourtant pas de +zéro dans $\mathbb{R}$). Avec le point de vue choisi ici, on a +$Z(t^2+1) = \{\pm\sqrt{-1}\} \subseteq \mathbb{C}$. On remarquera +bien que $\{\sqrt{-1}\}$ seul n'est pas un fermé de Zariski défini +sur $\mathbb{R}$ (c'est, en revanche, un fermé de Zariski défini +sur $\mathbb{C}$). Lorsqu'on a besoin de désigner les éléments de $Z(I) \cap k^d$, c'est-à-dire les solutions dans $k^d$, on dira que ce sont les \textbf{points rationnels} du fermé de Zariski $Z(I)$ : cette terminologie vient de la situation $k=\mathbb{Q}$ et a été étendue à n'importe quel corps. (À titre d'exemple, $(\frac{4}{5},\frac{3}{5})$ -est un point rationnel du « cercle » $Z(x^2+y^2-1)$ sur $\mathbb{Q}$.) -D'après le théorème \ref{main-results-galois-theory} +est un point rationnel du « cercle » $Z(x^2+y^2-1)$ sur $\mathbb{Q}$, +cf. \ref{example-curve-circle}.) D'après le +théorème \ref{main-results-galois-theory} (cf. surtout \ref{rational-is-stable-under-galois}), si $k$ est parfait (cf. \ref{definition-perfect-field} et \ref{field-is-perfect-iff-every-algebraic-is-separable}), @@ -2639,6 +2642,11 @@ on peut dire que les points rationnels de $Z(I)$ sont ceux qui sont fixés par le groupe de Galois absolu, i.e., par tous les automorphismes de $k^{\alg}$ au-dessus de $k$. +Par opposition à « point rationnel », un élément de $Z(I)$ peut +s'appeler un \textbf{point géométrique} : de façon générale, le terme +« géométrique » a souvent la signification « défini sur la clôture + algébrique ». + \thingy\label{regular-functions-on-a-zariski-closed-set} Si $I$ est un idéal radical de $k[t_1,\ldots,t_d]$ si bien que $\mathfrak{I}(Z(I)) = I$ comme on vient de le voir en \ref{zeros-and-ideals-bijections}, on @@ -2672,8 +2680,10 @@ différents de lui, i.e., si $Z(I) = Z(I_1) \cup Z(I_2)$ alors $Z(I_1) À titre de contre-exemple, $Z(xy) = Z(x) \cup Z(y)$ (car $xy$ s'annule si et seulement si $x$ s'annule ou $y$ s'annule) n'est pas irréductible dans le plan de coordonnées $(x,y)$ : c'est la réunion -des deux axes de coordonnées. Ce contre-exemple suggère le résultat -suivant : +des deux axes de coordonnées ; le problème vient du fait que le +polynôme $xy$ n'est pas irréductible, ou de façon équivalente +(cf. \ref{examples-prime-ideals}) que l'idéal qu'il engendre n'est pas +premier. Ce contre-exemple suggère le résultat suivant : \begin{prop}\label{closed-irreducible-iff-prime-ideal} Un fermé de Zariski $Z(I)$, avec $I$ un idéal radical, est @@ -2707,6 +2717,34 @@ d'après \ref{zeros-and-ideals-bijections}. Ceci montre bien que $I$ est premier. \end{proof} +\thingy\label{geometric-irreducibility} Il est important de noter +qu'un polynôme $f \in k[t_1,\ldots,t_n]$ peut être irréductible mais +cesser de l'être quand on le considère à coefficients dans un corps +plus gros (notamment, tout polynôme de degré $>1$ en $n=1$ variable se +factorise dans $k^{\alg}$). Lorsque ceci \emph{ne} se produit +\emph{pas}, on dit que le polynôme est \textbf{géométriquement + irréductible} ou \textbf{absolument irréductible}. Plus +précisément : + +\begin{itemize} +\item Un polynôme $f \in k[t_1,\ldots,t_n]$ est dit géométriquement + (ou absolument) irréductible lorsque $f$ est irréductible dans + $k^{\alg}[t_1,\ldots,t_n]$. Ceci implique, évidemment, qu'il est + irréductible. En $n=1$ variable, les seuls polynômes + géométriquement irréductibles sont ceux de degré $1$. +\item Un fermé de Zariski $Z(I)$ avec $I$ idéal radical de + $k[t_1,\ldots,t_n]$ est dit géométriquement (ou absolument) + irréductible lorsque l'idéal $I.k^{\alg}$ engendré par $I$ (comme + $k^{\alg}$-espace vectoriel ou comme idéal, cela revient au même, + cf. \ref{change-of-coefficients-on-polynomial-ideals}) dans + $k^{\alg}[t_1,\ldots,t_n]$ est premier. Notamment, si $I = (f)$ est + principal (engendré par un unique polynôme), cela signifie + exactement que $f$ est soit nul soit géométriquement irréductible. +\end{itemize} + +(On renvoie à \ref{example-curve-irreducible-but-not-geometrically} +pour un exemple illustrant ces notions.) + % % @@ -2743,11 +2781,12 @@ d'équation $y^2 = x^3$ dans le plan va simplement revenir à celle de la droite qui la paramètre par $t \mapsto (x,y) = (t^2,t^3)$, et de même on ne peut pas retirer des points à une courbe ; pour cette raison, ce que nous appelons « courbe » s'appellerait « courbe normale - projective » chez d'autres auteurs), et \textbf{(b)} les hypothèses -effectuées ne sont pas forcément les mêmes (notamment, beaucoup -d'auteurs restreignent les courbes à ce qu'on appellera plus bas les -courbes « géométriquement intègres »). On sera éventuellement amené à -restreindre la définition qui vient d'être donnée. + projective » ou « courbe projective lisse » chez d'autres auteurs), +et \textbf{(b)} les hypothèses effectuées ne sont pas forcément les +mêmes (notamment, beaucoup d'auteurs restreignent les courbes à ce +qu'on appellera plus bas les courbes « géométriquement intègres »). +On sera éventuellement amené à restreindre la définition qui vient +d'être donnée. \thingy La courbe la plus simple est donnée par le corps $k(t)$ des fractions rationnelles en une indéterminée $t$ : on l'appelle @@ -2817,8 +2856,9 @@ hautement du point de vue choisi pour étudier les courbes). Donnons quelques exemples plus précis, puis discutons ce qui se passe dans des cas adjacents. -\thingy Considérons l'exemple de $P = x^2 + y^2 - 1$ sur un corps $k$ -de caractéristique $\neq 2$ (on pensera notamment au corps des réels). +\thingy\label{example-curve-circle} Considérons l'exemple de $P = x^2 ++ y^2 - 1$ sur un corps $k$ de caractéristique $\neq 2$ (on pensera +notamment au corps des réels). Le polynôme $P$ est irréductible dans $k[x,y]$. En effet, comme il est de degré total $2$, une factorisation non triviale serait @@ -2917,29 +2957,8 @@ d'une extension de corps de $\mathbb{R}$ de type fini et de degré de transcendance $1$ mais qui n'est pas trancendante pure. La courbe décrite par cet exemple est ce qu'on appelle généralement -une « conique sans point(s) » (c'est-à-dire : sans point rationnel). - -\thingy Lorsque $P \in k[x,y]$ n'est pas irréductible, disons $P = -P_1\,P_2$ avec $P_1,P_2$ non constants, alors $Z(P) = Z(P_1) \cup -Z(P_2)$ : autrement dit, on a affaire non pas à une seule courbe mais -à une réunion de courbes (certains auteurs appellent encore « courbe » -cet objet). Si on s'est placé dans le cadre où $(P)$ est radical, -alors $P_1,P_2$ sont premiers entre eux, car s'ils avaient un diviseur -commun $Q$ non-trivial, on aurait $P_1\,P_2/Q \in k[x,y]$ non nul -modulo $P$ (puisque $Q$ est non-trivial) mais de carré nul (puisque -c'est le produit de $P$ par $(P_1/Q)(P_2/Q) \in k[x,y]$), ce qui -contredit la radicalité supposée. Cet argument valant encore dans -$k(x)[y]$, on a $k(x)[y]/(P) \cong k(x)[y]/(P_1) \times k(x)[y]/(P_2)$ -par le théorème chinois : autrement dit, $k(x)[y]/(P)$ n'est pas un -corps dans ces conditions (et $k[x,y]/(P)$ n'est pas un anneau -intègre : il a $P_1,P_2$ comme diviseurs de zéro). - -Pour souligner que cette situation ne se produit pas, on pourra parler -de « courbes irréductibles » (avec la définition que nous avons prise, -c'est redondant). On rappelle -(cf. \ref{definition-irreducible-closed-set}) qu'un fermé de Zariski -$Z(I)$ est dit « irréductible » lorsqu'il n'est pas réunion de deux -fermés strictement plus petits. +une « conique sans point(s) » (c'est-à-dire : sans point +\emph{rationnel}). \thingy Mentionnons encore quelques exemples de courbes rationnelles données par des fermés de Zariski ayant des points \emph{singuliers}. @@ -3041,7 +3060,54 @@ courbe est simplement le corps $k(t)$ (pour le paramétrage qu'on a donné), mais le fermé de Zariski $\{P=0\}$ présente des complications géométriques, et on pourrait se convaincre que l'anneau $k[x,y]/(P)$ des fonctions régulières sur $\{P=0\}$ \emph{n'est pas} -l'anneau $k[t]$. +l'anneau $k[t]$ (bien qu'il ait $k(t)$ comme corps des fractions). + +\thingy Lorsque $P \in k[x,y]$ n'est pas irréductible, disons $P = +P_1\,P_2$ avec $P_1,P_2$ non constants, alors $Z(P) = Z(P_1) \cup +Z(P_2)$ : autrement dit, on a affaire non pas à une seule courbe mais +à une réunion de courbes (certains auteurs appellent encore « courbe » +cet objet). Si on s'est placé dans le cadre où $(P)$ est radical, +alors $P_1,P_2$ sont premiers entre eux, car s'ils avaient un diviseur +commun $Q$ non-trivial, on aurait $P_1\,P_2/Q \in k[x,y]$ non nul +modulo $P$ (puisque $Q$ est non-trivial) mais de carré nul (puisque +c'est le produit de $P$ par $(P_1/Q)(P_2/Q) \in k[x,y]$), ce qui +contredit la radicalité supposée. Cet argument valant encore dans +$k(x)[y]$, on a $k(x)[y]/(P) \cong k(x)[y]/(P_1) \times k(x)[y]/(P_2)$ +par le théorème chinois : autrement dit, $k(x)[y]/(P)$ n'est pas un +corps dans ces conditions (et $k[x,y]/(P)$ n'est pas un anneau +intègre : il a $P_1,P_2$ comme diviseurs de zéro). + +Pour souligner que cette situation ne se produit pas, on pourra parler +de « courbes irréductibles » (avec la définition que nous avons prise, +c'est redondant). On rappelle +(cf. \ref{definition-irreducible-closed-set}) qu'un fermé de Zariski +$Z(I)$ est dit « irréductible » lorsqu'il n'est pas réunion de deux +fermés strictement plus petits. + +\thingy\label{example-curve-irreducible-but-not-geometrically} +Mentionnons encore une situation à garder à l'esprit : si $P = y^2+1 +\in k[x,y]$ sur un corps $k$ dans lequel $-1$ n'est pas un carré, par +exemple le corps des réels, alors $P$ est bien irréductible, mais il +cesse de l'être sur la clôture algébrique où $P = +(y+\sqrt{-1})(y-\sqrt{-1})$ : on dit que ce polynôme est irréductible +mais non \emph{géométriquement} irréductible, +cf. \ref{geometric-irreducibility}. (Dans les exemples vus +précédemment, $x^2+y^2+1$, $x^2+y^2-1$, $y^2-x^3-x^2$, $y^2-x^3+x^2$ +et $y^2-x^3$, l'irréductibilité de $P$ n'était jamais perdue en +montant à un corps plus gros.) + +Le corps $k(x)[y]/(P)$ des fonctions de la courbe est simplement +$k(\sqrt{-1},x)$ (par exemple, $\mathbb{R}(x)[y]/(y^2+1)$ est +$\mathbb{C}(x)$). + +Il faut imaginer cette courbe de la façon suivante : c'est la réunion +de deux droites « géométriques » (c'est-à-dire définies sur la clôture +algébrique), $y = \sqrt{-1}$ et $y = -\sqrt{-1}$, ces droites étant +permutées par le groupe de Galois (qui échange $\sqrt{-1}$ et +$-\sqrt{-1}$). Autrement dit, on a affaire à un fermé de Zariski qui +est irréductible (cf. \ref{closed-irreducible-iff-prime-ideal}) mais +qui cesse de l'être sur la clôture algébrique +(cf. \ref{geometric-irreducibility}). -- cgit v1.2.3