From ac239a29de2f13010d1f2ea141c2dd6e7c73d1d1 Mon Sep 17 00:00:00 2001 From: "David A. Madore" Date: Wed, 3 Feb 2016 12:13:40 +0100 Subject: Copy notes from MDI349. --- old-notes.tex | 3747 +++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++ 1 file changed, 3747 insertions(+) create mode 100644 old-notes.tex (limited to 'old-notes.tex') diff --git a/old-notes.tex b/old-notes.tex new file mode 100644 index 0000000..eb8930e --- /dev/null +++ b/old-notes.tex @@ -0,0 +1,3747 @@ +%% This is a LaTeX document. Hey, Emacs, -*- latex -*- , get it? +\documentclass[12pt,a4paper]{article} +\usepackage[francais]{babel} +\usepackage[utf8]{inputenc} +\usepackage[T1]{fontenc} +%\usepackage{ucs} +\usepackage{times} +% A tribute to the worthy AMS: +\usepackage{amsmath} +\usepackage{amsfonts} +\usepackage{amssymb} +\usepackage{amsthm} +% +\usepackage{mathrsfs} +\usepackage{wasysym} +\usepackage{url} +% +\usepackage{graphics} +\usepackage[usenames,dvipsnames]{xcolor} +\usepackage{tikz} +\usetikzlibrary{matrix} +% +\theoremstyle{definition} +\newtheorem{comcnt}{Tout}[subsection] +\newcommand\thingy{% +\refstepcounter{comcnt}\smallbreak\noindent\textbf{\thecomcnt.} } +\newtheorem{defn}[comcnt]{Définition} +\newtheorem{prop}[comcnt]{Proposition} +\newtheorem{lem}[comcnt]{Lemme} +\newtheorem{thm}[comcnt]{Théorème} +\newtheorem{cor}[comcnt]{Corollaire} +\newtheorem{rmk}[comcnt]{Remarque} +\newtheorem{scho}[comcnt]{Scholie} +\newtheorem{algo}[comcnt]{Algorithme} +\newtheorem{exmps}[comcnt]{Exemples} +\newtheorem{princ}[comcnt]{Principe} +\newcommand{\limp}{\mathrel{\Rightarrow}} +\newcommand{\liff}{\mathrel{\Longleftrightarrow}} +\newcommand{\pgcd}{\operatorname{pgcd}} +\newcommand{\ppcm}{\operatorname{ppcm}} +\newcommand{\Hom}{\operatorname{Hom}} +\newcommand{\id}{\operatorname{id}} +\newcommand{\Frob}{\operatorname{Frob}} +\newcommand{\Frac}{\operatorname{Frac}} +\newcommand{\Spec}{\operatorname{Spec}} +\newcommand{\degtrans}{\operatorname{deg.tr}} +\newcommand{\Gal}{\operatorname{Gal}} +\newcommand{\alg}{\operatorname{alg}} +\newcommand{\init}{\operatorname{in}} +\newcommand{\ord}{\operatorname{ord}} +\newcommand{\divis}{\operatorname{div}} +\newcommand{\Pic}{\operatorname{Pic}} +\renewcommand{\qedsymbol}{\smiley} +% +\DeclareUnicodeCharacter{00A0}{~} +% +\DeclareMathSymbol{\tiret}{\mathord}{operators}{"7C} +\DeclareMathSymbol{\traitdunion}{\mathord}{operators}{"2D} +% +\DeclareFontFamily{U}{manual}{} +\DeclareFontShape{U}{manual}{m}{n}{ <-> manfnt }{} +\newcommand{\manfntsymbol}[1]{% + {\fontencoding{U}\fontfamily{manual}\selectfont\symbol{#1}}} +\newcommand{\dbend}{\manfntsymbol{127}}% Z-shaped +\newcommand{\danger}{\noindent\hangindent\parindent\hangafter=-2% + \hbox to0pt{\hskip-\hangindent\dbend\hfill}} +% +% +% +\begin{document} +\title{Géométrie algébrique} +\author{David A. Madore} +\maketitle + +\centerline{\textbf{MDI349}} + + +% +% +% + +\section*{Introduction / motivations} + +Qu'est-ce que la géométrie algébrique ? En condensé : +\begin{itemize} +\item\textbf{But :} Étudier les solutions de systèmes d'équations + polynomiales dans un corps ou un anneau commutatif quelconque, ou + des objets apparentés. (Étudier = étudier leur existence, les + compter, les paramétrer, les relier, définir une structure dessus, + etc.) +\item\textbf{Géométrie :} Voir de tels systèmes d'équations comme des + objets géo\-mé\-triques, soit plongés dans un espace ambiant (espace + affine, espace projectif), soit intrinsèques ; leur appliquer des + concepts de géométrie (espace tangent, étude locale de singularités, + etc.). +\item\textbf{Moyens :} L'étude locale de ces objets passe par les + fonctions définies dessus, qui sont des anneaux commutatifs tout à + fait généraux, donc l'\emph{algèbre commutative} (étude des anneaux + commutatifs et de leurs idéaux). +\end{itemize} + +\smallbreak + +Problèmes \emph{géométriques} = étude de solutions sur des corps +algébriquement clos (e.g., $\mathbb{C}$ : géométrie algébrique +complexe ; $\bar{\mathbb{F}}_p$) ou « presque » (e.g., $\mathbb{R}$ : +géométrie algébrique réelle). Problèmes \emph{arithmétiques} = sur +des corps loin d'être algébriquement clos (e.g., $\mathbb{Q}$ : +géométrie arithmétique), ou des anneaux commutatifs plus gé\-né\-raux +(e.g., $\mathbb{Z}$ : idem, « équations diophantiennes »). + +Applications : cryptographie et codage (géométrie sur $\mathbb{F}_q$), +calcul formel, robotique (géométrie sur $\mathbb{R}$), analyse +complexe (géométrie sur $\mathbb{C}$), théorie des nombres +(sur $\mathbb{Q}$, corps de nombres...), etc. + +\smallbreak + +\textbf{Un exemple :} Pour tout anneau commutatif $k$, on définit +$C(k) = \{(x,y)\in k^2 : x^2+y^2 = 1\}$. Interprétation géométrique : +ceci est un cercle ! Il est plongé dans le « plan affine » +$\mathbb{A}^2$ défini par $\mathbb{A}^2(k) = k^2$ pour tout +anneau $k$. + +\begin{itemize} +\item Sur $\mathbb{R}$, les solutions forment effectivement un cercle, + au sens naïf. +\item (Sur $\mathbb{C}$, les solutions dans $\mathbb{C}^2$ forment une + surface, qui ressemblerait plutôt à une sphère privée de deux + points.) +\item Sur $\mathbb{F}_q$, on peut compter les solutions : on peut + montrer qu'il y en a $q-1$ ou $q+1$ selon que $q \equiv 1\pmod{4}$ + ou $q \equiv 3\pmod{4}$ (ou encore $q$ pour $q = 2^r$). +\item Sur $\mathbb{Q}$, il n'est pas complètement évident de trouver + des solutions autres que $(\pm 1,0)$ et $(0,\pm 1)$. Un exemple : + $(\frac{4}{5},\frac{3}{5})$ (Pythagore, Euclide...). +\end{itemize} + +Paramétrage des solutions : + +\begin{center} +\begin{tikzpicture}[scale=3] +\draw[step=.2cm,help lines] (-1.25,-1.25) grid (1.25,1.25); +\draw[->] (-1.15,0) -- (1.15,0); \draw[->] (0,-1.15) -- (0,1.15); +\draw (0,0) circle (1cm); +\draw (1,-1.15) -- (1,1.15); +\coordinate (P) at (0.8,0.6); +\coordinate (Q) at (1,0.6666666667); +\draw (0.8,0) -- (P); +\draw (-1,0) -- node[sloped,auto] {$\scriptstyle\mathrm{pente}=t$} (Q); +\fill[black] (P) circle (.5pt); +\fill[black] (Q) circle (.5pt); +\fill[black] (-1,0) circle (.5pt); +\node[anchor=west] at (Q) {$\scriptstyle (1,2t)$}; +\node[anchor=north east] at (-1,0) {$\scriptstyle (-1,0)$}; +\node[anchor=east] at (P) {$\scriptstyle (\frac{1-t^2}{1+t^2},\frac{2t}{1+t^2})$}; +\end{tikzpicture} +\end{center} + +Un petit calcul géométrique (cf. les formules exprimant +$\cos\theta,\sin\theta$ en fonction de $\tan\frac{\theta}{2}$), +valable sur tout corps $k$ de caractéristique $\neq 2$ (ou en fait +tout anneau commutatif dans lequel $2$ est +inversible\footnote{C'est-à-dire, une + $\mathbb{Z}[\frac{1}{2}]$-algèbre, où $\mathbb{Z}[\frac{1}{2}] = + \{\frac{a}{2^r}:a\in\mathbb{Z},r\in\mathbb{N}\}$.}), permet de +montrer que toute solution $(x,y) \in C(k)$ autre que $(-1,0)$ peut +s'écrire de la forme $(\frac{1-t^2}{1+t^2},\frac{2t}{1+t^2})$ avec $t +\in k$ (uniquement défini, et vérifiant $t^2\neq -1$). + +\emph{Remarques :} (a) ceci correspond à un point +$(\frac{1-t^2}{1+t^2},\frac{2t}{1+t^2}) \in C(k(t))$ où $k(t)$ est le +corps des fonctions rationnelles à une indéterminée sur $k$ ; (b) ceci +permet, par exemple, de trouver de nombreuses solutions +sur $\mathbb{Q}$, ou d'en trouver rapidement sur +$\mathbb{F}_q$ ($q$ impair) ; (c) on a, en fait, défini un +« morphisme » d'objets géométriques de la droite affine $\mathbb{A}^1$ +vers le cercle $C$ (privé du point $(-1,0)$). + +On peut aussi définir une structure de \emph{groupe} (abélien) sur les +points de $C(k)$ pour n'importe quel anneau commutatif $k$ : si $(x,y) +\in C(k)$ et $(x',y') \in C(k)$, on définit leur composée $(x,y)\star +(x',y') = (x'',y'')$ par +\[ +\left\{\begin{array}{c} +x'' = xx'-yy'\\ +y'' = xy'+yx'\\ +\end{array}\right. +\] +(cf. les formules exprimant +$\cos(\theta+\theta'),\sin(\theta+\theta')$ en fonction de +$\cos\theta,\sin\theta$ et $\cos\theta',\sin\theta'$). Élément +neutre : $(1,0)$ ; inverse de $(x,y)$ : $(x,-y)$. + +(Les fonctions trigonométriques, ``transcendantes'', servent à motiver +ces formules, mais les formules sont parfaitement valables sur +$\mathbb{F}_q$ bien que $\cos\theta,\sin\theta$ n'aient pas de sens !) + +\emph{Remarque :} Tout élément $f$ de l'anneau commutatif +$\mathbb{R}[x,y]/(x^2+y^2-1)$ définit une fonction réelle sur le +cercle $C(\mathbb{R})$ : ces fonctions s'appellent « polynômes + trigonométriques ». Tout élément de l'anneau commutatif +$\mathbb{Z}[x,y]/(x^2+y^2-1)$ définit une fonction (à valeurs +dans $k$) sur \emph{n'importe quel} $C(k)$. On verra aussi plus loin +qu'un élément de $C(k)$ peut se voir comme un morphisme d'anneaux +commutatifs $\mathbb{Z}[x,y]/(x^2+y^2-1) \to k$. + + +% +% +% + +\section{Prolégomènes d'algèbre commutative}\label{commutative-algebra} + +\subsection{Anneaux réduits, intègres}\label{subsection-reduced-and-integral-rings} + +Sauf précision expresse du contraire, tous les anneaux considérés sont +commutatifs et ont un élément unité (noté $1$). Il existe un unique +anneau dans lequel $0=1$, c'est l'anneau réduit à un seul élément, +appelé l'\textbf{anneau nul}. + +Si $k$ est un anneau, une \textbf{$k$-algèbre} (là aussi : +implicitement commutative) est la donnée d'un morphisme d'anneaux $k +\buildrel\varphi\over\to A$ (appelé \emph{morphisme structural} de +l'algèbre). On peut multiplier un élément de $A$ par un élément +de $k$ avec : $c\cdot x = \varphi(c)\,x \in A$ (pour $c\in k$ et $x\in +A$). + +\smallbreak + +Anneau \textbf{réduit} = anneau dans lequel $x^n = 0$ implique $x = +0$. En général, un $x$ (dans un anneau $A$) tel que $x^n = 0$ pour un +certain $n \in \mathbb{N}$ s'appelle un élément \textbf{nilpotent}. + +Anneau \textbf{intègre} = anneau non nul dans lequel $xy = 0$ implique +$x=0$ ou $y=0$ (remarque : la réciproque vaut dans tout anneau). En +général, un $x$ (dans un anneau $A$) tel qu'il existe $y \neq 0$ tel +que $xy = 0$ s'appelle un \textbf{diviseur de zéro}. + +Élément \textbf{inversible} (ou \emph{unité}) d'un anneau $A$ = +élément $x$ tel qu'il existe $y$ vérifiant $xy = 1$. L'ensemble +$A^\times$ ou $\mathbb{G}_m(A)$ des tels éléments forme un +\emph{groupe}, appelé groupe multiplicatif des inversibles de $A$. Un +\textbf{corps} est un anneau tel que $A^\times = A\setminus\{0\}$. + +Tout corps est un anneau intègre. Tout anneau intègre est un anneau +réduit. + +\smallbreak + +On rappelle qu'un \textbf{idéal} d'un anneau est un sous-groupe +additif $I$ de $A$ tel que $AI \subseteq I$. Si $(x_i)_{i\in + \Lambda}$ sont des éléments de $A$, l'intersection de tous les +idéaux contenant les $x_i$ est un idéal et s'appelle l'idéal +\textbf{engendré} par les $x_i$ : c'est l'ensemble des toutes les +combinaisons linéaires $a_1 x_{i_1} + \cdots + a_n x_{i_n}$ avec +$a_1,\ldots,a_n \in A$ et $i_1,\ldots,i_n \in \Lambda$. Lorsque +$\Lambda$ est fini : l'idéal $I$ engendré par $x_1,\ldots,x_n$ est +l'ensemble des toutes les combinaisons linéaires $a_1 x_1 + \cdots + +a_n x_n$ et il peut se noter $Ax_1 + \cdots + Ax_n$ ou parfois +$(x_1,\ldots,x_n)$ : on dit que $I$ est un idéal \textbf{de type + fini}. Si $I$ peut être engendré par un seul élément, $I = Ax$ +(aussi noté $(x)$), on dit que $I$ est un idéal \textbf{principal}. + +Idéal nul $(0) = \{0\}$. Idéal plein ou idéal unité $A$ : un élément +$x$ est inversible ssi l'idéal $(x)$ qu'il engendre est l'idéal unité. + +\smallbreak + +Idéal \textbf{maximal} d'un anneau $A$ = un idéal $\mathfrak{m} \neq +A$ tel que si $\mathfrak{m} \subseteq \mathfrak{m}'$ (avec +$\mathfrak{m}'$ un autre idéal) alors soit +$\mathfrak{m}'=\mathfrak{m}$ soit $\mathfrak{m}'=A$). Propriété +équivalente : c'est un idéal $\mathfrak{m}$ tel que $A/\mathfrak{m}$ +soit un corps. + +Idéal \textbf{premier} d'un anneau $A$ = un idéal $\mathfrak{p} \neq +A$ tel que si $x,y\not\in\mathfrak{p}$ alors $xy \not\in +\mathfrak{p}$. Propriété équivalente : c'est un idéal $\mathfrak{p}$ +tel que $A/\mathfrak{p}$ soit intègre. + +Idéal \textbf{radical} d'un anneau $A$ = un idéal $\mathfrak{r}$ tel +que si $x^n \in \mathfrak{r}$ alors $x \in \mathfrak{r}$. Propriété +équivalente : c'est un idéal $\mathfrak{r}$ tel que $A/\mathfrak{r}$ +soit réduit. + +\emph{Exemples :} L'idéal $7\mathbb{Z}$ de $\mathbb{Z}$ est maximal +(le quotient $\mathbb{Z}/7\mathbb{Z}$ est un corps), donc \textit{a + fortiori} premier et radical. L'idéal $0$ de $\mathbb{Z}$ est +premier mais non maximal (le quotient $\mathbb{Z}/0\mathbb{Z} = +\mathbb{Z}$ est un anneau intègre mais non un corps). L'idéal +$6\mathbb{Z}$ de $\mathbb{Z}$ est radical mais n'est pas premier. +L'idéal $9\mathbb{Z}$ de $\mathbb{Z}$ n'est pas radical. + +\smallbreak + +Un anneau est un corps ssi son idéal $(0)$ est maximal. Un anneau est +intègre ssi son idéal $(0)$ est premier. Un anneau est réduit ssi son +idéal $(0)$ est radical. + +Un anneau est dit \textbf{local} lorsqu'il a un unique idéal maximal. +(En particulier, un corps est un anneau local.) Le quotient d'un +anneau local par son idéal maximal s'appelle son \emph{corps + résiduel}. \emph{Exercice :} l'anneau $A$ des rationnels de la +forme $\frac{a}{b}$ avec $a,b \in \mathbb{Z}$ et $b$ impair est un +anneau local dont l'idéal maximal $\mathfrak{m}$ est formé des +$\frac{a}{b}$ avec $a$ pair. (Quel est le corps résiduel ?) + +\smallbreak + +On admet le résultat ensembliste suivant : +\begin{lem}[principe maximal de Hausdorff] +Soit $\mathscr{F}$ un ensemble de parties d'un ensemble $A$. On +suppose que $\mathscr{F}$ est non vide et que pour toute partie non +vide $\mathscr{T}$ de $\mathscr{F}$ totalement ordonnée par +l'inclusion (c'est-à-dire telle que pour $I,I' \in \mathscr{T}$ on a +soit $I \subseteq I'$ soit $I \supseteq I'$) la réunion $\bigcup_{I + \in \mathscr{T}} I$ soit contenue dans un élément de $\mathscr{F}$. +Alors il existe dans $\mathscr{F}$ un élément $\mathfrak{M}$ maximal +pour l'inclusion (c'est-à-dire que si $I \supseteq \mathfrak{M}$ avec +$I \in \mathscr{F}$ alors $I=\mathfrak{M}$). +\end{lem} + +\begin{prop}\label{existence-maximal-ideals} +Dans un anneau $A$, tout idéal strict (=autre que $A$) est inclus dans +un idéal maximal. +\end{prop} +\begin{proof} +Si $I$ est un idéal strict de $A$, on applique le principe maximal de +Hausdorff à $\mathscr{F}$ l'ensemble des idéaux stricts de $A$ +contenant $I$. Si $\mathscr{T}$ est une chaîne (=partie totalement +ordonnée pour l'inclusion) de tels idéaux, la réunion $\bigcup_{I \in + \mathscr{T}} I$ en est encore un\footnote{La réunion de deux idéaux + n'est généralement pas un idéal, car si $x\in I$ et $x' \in I'$, la + somme $x+x'$ n'a pas de raison d'appartenir à $I\cup I'$. En + revanche, si $\mathscr{T}$ est une famille d'idéaux totalement + ordonnée par l'inclusion, alors $\bigcup_{I \in \mathscr{T}} I$ est + un idéal : si $x\in I$ et $x' \in I'$, où $I,I'\in \mathscr{T}$, on + peut écrire soit $I \subseteq I'$ soit $I'\subseteq I$, et dans un + cas comme dans l'autre on a $x+x' \in \bigcup_{I \in \mathscr{T}} + I$.} (pour voir que la réunion est encore un idéal strict, remarquer +que $1$ n'y appartient pas). Le principe maximal de Hausdorff permet +de conclure. +\end{proof} + +\begin{prop} +Dans un anneau, l'ensemble des éléments nilpotents est un idéal : +c'est le plus petit idéal radical (intersection des idéaux radicaux). +Cet idéal est aussi l'intersection des idéaux premiers de l'anneau. +On l'appelle le \textbf{nilradical} de l'anneau. +\end{prop} +\begin{proof} +L'ensemble des nilpotents est un idéal car si $x^n=0$ et $y^n=0$ alors +$(x+y)^{2n}=0$ en développant. Il est inclus dans tout idéal radical, +et il est visiblement lui-même radical : c'est donc le plus petit +idéal radical. Étant inclus dans tout idéal radical, il est \textit{a + fortiori} inclus dans tout idéal premier. Reste à montrer que si +$z$ est inclus dans tout idéal premier, alors $x$ est nilpotent. + +Supposons que $z$ n'est pas nilpotent. Considérons $\mathfrak{p}$ un +idéal maximal pour l'inclusion parmi les idéaux ne contenant aucun +$z^n$ : un tel idéal existe d'après le principe maximal de Hausdorff +(il existe un idéal ne contenant aucun $z^n$, à savoir $\{0\}$). +Montrons qu'il est premier : si $x,y \not \in \mathfrak{p}$, on veut +voir que $xy \not\in \mathfrak{p}$. Par maximalité de $\mathfrak{p}$, +chacun des idéaux\footnote{On rappelle que si $I,J$ sont deux idéaux + d'un anneau, l'ensemble $I + J = \{u+v : u\in I, v\in J\}$ est un + idéal, c'est l'idéal engendré par $I\cup J$, c'est-à-dire, le plus + petit idéal contenant $I$ et $J$ ; on l'appelle idéal somme de $I$ + et $J$. Dans le cas particulier où $J = (x)$ est engendré par un + élément, c'est donc l'idéal engendré par $I\cup\{x\}$.} +$\mathfrak{p}+(x)$ et $\mathfrak{p}+(y)$ doit rencontrer $\{z^n\}$, +c'est-à-dire qu'on doit pouvoir trouver deux éléments de la forme +$f+ax$ et $g+by$ avec $f,g\in\mathfrak{p}$ et $a,b\in A$, qui soient +des puissances de $z$ ; leur produit est alors aussi une puissance +de $z$, donc n'est pas dans $\mathfrak{p}$, donc $abxy +\not\in\mathfrak{p}$ (car les trois autres termes sont +dans $\mathfrak{p}$), et a plus forte raison $xy \not\in +\mathfrak{p}$. +\end{proof} + +En appliquant ce dernier résultat à $A/I$, on obtient : +\begin{prop} +Si $A$ est un anneau et $I$ un idéal de $A$, l'ensemble des éléments +tels que $z^n \in I$ pour un certain $n \in \mathbb{N}$ est un idéal : +c'est le plus petit idéal radical contenant $I$. Cet idéal est +précisément l'intersection des idéaux premiers de $A$ contenant $I$. +On l'appelle le \textbf{radical} de l'idéal $I$ et on le note $\surd +I$. +\end{prop} + +L'intersection des idéaux maximaux d'un anneau s'appelle le +\textbf{radical de Jacobson} de cet anneau : il est, en général, +strictement plus grand que le nilradical. + +Notons aussi la conséquence facile suivante de la +proposition \ref{existence-maximal-ideals}. +\begin{prop}\label{non-invertible-elements-and-maximal-ideals} +Dans un anneau $A$, l'ensemble des éléments non-inversibles est la +réunion de tous les idéaux maximaux. +\end{prop} +\begin{proof} +Dire que $x$ est inversible signifie que $x$ engendre l'idéal unité. +Si c'est le cas, $x$ n'appartient à aucun idéal strict de $A$, et en +particulier aucun idéal maximal. Réciproquement, si $x$ n'est pas +inversible, l'idéal $(x)$ qu'il engendre est strict, donc inclus dans +un idéal maximal $\mathfrak{m}$ +d'après \ref{existence-maximal-ideals}, donc $x$ est bien dans la +réunion des idéaux maximaux. +\end{proof} + +% +\subsection{Anneaux noethériens} + +Anneau \textbf{noethérien} : c'est un anneau $A$ vérifiant les +proprités équivalentes suivantes : +\begin{itemize} +\item toute suite croissante pour l'inclusion $I_0 \subseteq I_1 + \subseteq I_2 \subseteq \cdots$ d'idéaux de $A$ stationne + (c'est-à-dire est constante à partir d'un certain rang) ; +\item tout idéal $I$ de $A$ est de type fini : il existe une famille + \emph{finie} $(x_i)$ d'éléments de $I$ qui engendre $I$ comme + idéal ; +\item plus précisément, si $I$ est l'idéal engendré par une famille + $x_i$ d'éléments, on peut trouver une sous-famille finie des $x_i$ + qui engendre le même idéal $I$. +\end{itemize} + +L'essentiel des anneaux utilisés en géométrie algébrique (en tout cas, +auxquels on aura affaire) sont noethériens. L'anneau $\mathbb{Z}$ est +noethérien. Tout corps est un anneau noethérien. Tout quotient d'un +anneau noethérien est noethérien (attention : il n'est pas vrai qu'un +sous-anneau d'un anneau noethérien soit toujours noethérien). Et +surtout : +\begin{prop}[théorème de la base de Hilbert] +Si $A$ est un anneau noethérien, alors l'anneau $A[t]$ des polynômes à +une indéterminée sur $A$ est noethérien. +\end{prop} +\begin{proof} +Soit $I \subseteq A[t]$ un idéal. Supposons par l'absurde que $I$ +n'est pas de type fini. On construit par récurrence une suite +$f_0,f_1,f_2,\ldots$ d'éléments de $I$ comme suit. Si +$f_0,\ldots,f_{r-1}$ ont déjà été choisis, comme l'idéal +$(f_0,\ldots,f_{r-1})$ qu'ils engendrent n'est pas $I$, on peut +choisir $f_r$ de plus petit degré possible parmi les éléments de $I$ +non dans $(f_0,\ldots,f_{r-1})$. + +Appelons $c_i$ le coefficient dominant de $f_i$. Comme $A$ est +supposé noethérien, il existe $m$ tel que $c_0,\ldots,c_{m-1}$ +engendrent l'idéal $J$ engendré par tous les $c_i$. Montrons qu'en +fait $f_0,\ldots,f_{m-1}$ engendrent $I$ (ce qui constitue une +contradiction). + +On peut écrire $c_m = a_0 c_0 + \cdots + a_{m-1} c_{m-1}$. Par +ailleurs, le degré de $f_m$ est supérieur ou égal au degré de chacun +de $f_0,\ldots,f_{m-1}$ par minimalité de ces derniers. On peut donc +construire le polynôme $g = \sum_{i=0}^{m-1} a_i f_i t^{\deg f_m - + \deg f_i}$, qui a les mêmes degré et coefficient dominant que $f_m$, +et qui appartient à $(f_0,\ldots,f_{m-1})$. Alors, $f_m - g$ est de +degré strictement plus petit que $f_m$, il appartient à $I$ mais pas +à $(f_0,\ldots,f_{m-1})$ : ceci contredit la minimalité dans le choix +de $f_m$. +\end{proof} + +En itérant ce résultat, on voit que si $A$ est noethérien, alors +$A[t_1,\ldots,t_d]$ l'est pour tout $d\in\mathbb{N}$. Comme un +quotient d'un anneau noethérien est encore noethérien : + +\begin{defn}\label{finite-type-algebras} +Une $A$-algèbre $B$ est dite \textbf{de type fini} (comme $A$-algèbre) +lorsqu'il existe $x_1,\ldots,x_d \in B$ (qu'on dit \emph{engendrer} +$B$ comme $A$-algèbre) tel que tout élément de $B$ s'écrive +$f(x_1,\ldots,x_d)$ pour un certain polynôme $f \in +A[t_1,\ldots,t_d]$. +\end{defn} + +Dire que $B$ est une $A$-algèbre de type fini engendrée par +$x_1,\ldots,x_d$ signifie donc que le morphisme $\xi\colon +A[t_1,\ldots,t_d] \to B$ défini par $f \mapsto f(x_1,\ldots,x_d)$ est +\emph{surjectif}. Par conséquent, si $I$ désigne le noyau de ce +morphisme (c'est-à-dire l'ensemble des $f \in A[t_1,\ldots,t_d]$ qui +s'annulent en $(x_1,\ldots,x_d)$) alors $\xi$ définit un isomorphisme +$A[t_1,\ldots,t_d]/I \buildrel\sim\over\to B$. On peut donc dire : +une $A$-algèbre de type fini est un quotient de $A[t_1,\ldots,t_d]$ +(pour un certain $d$). + +\begin{cor}\label{finite-type-algebras-are-noetherian} +Une algèbre de type fini sur un anneau noethérien, et en particulier +sur un corps ou sur $\mathbb{Z}$, est un anneau noethérien. +\end{cor} + +% +\subsection{Localisation}\label{subsection-localization} + +On dit qu'une partie $S$ d'un anneau $A$ est \emph{multiplicative} +lorsque $1\in S$ et $s,s'\in S \limp ss'\in S$. Par exemple, le +complémentaire d'un idéal premier est, par définition, +multiplicative ; en particulier, dans un anneau intègre, l'ensemble +des éléments non nuls est une partie multiplicative. + +Dans ces conditions, on construit un anneau noté $A[S^{-1}]$ (ou +$S^{-1}A$) de la façon suivante : ses éléments sont notés $a/s$ avec +$a\in A$ et $s \in S$, où on identifie\footnote{Ce racourci de langage + signifie qu'on considère la relation d'équivalence $\sim$ sur + $A\times S$ définie par $(a,s) \sim (a',s')$ lorsqu'il existe $t \in + S$ tel que $t(a's-as') = 0$, on appelle $A[S^{-1}]$ le quotient + $(A\times S)/\sim$, et on note $a/s$ la classe de $(a,s)$ pour cette + relation ; il faudrait encore vérifier que toutes les opérations + proposées ensuite sont bien définies.} $a/s = a'/s'$ lorsqu'il +existe $t \in S$ tel que $t(a's-as') = 0$. L'addition est définie par +$(a/s)+(a'/s') = (a's+as')/(ss')$ (le zéro par $0/1$, l'opposé par +$-(a/s) = (-a)/s$) et la multiplication par $(a/s)\cdot (a'/s') = +(aa')/(ss')$ (l'unité par $1/1$). Cet anneau est muni d'un morphisme +naturel $A \buildrel\iota\over\to A[S^{-1}]$ donné par $a \mapsto +a/1$. On l'appelle le \textbf{localisé} de $A$ inversant la partie +multiplicative $S$. Si $A$ est une $k$-algèbre (pour un certain +anneau $k$) alors $A[S^{-1}]$ est une $k$-algèbre de façon évidente +(en composant le morphisme structural $k\to A$ par le morphisme +naturel $A \to A[S^{-1}]$). + +\begin{prop}\label{properties-localization} +\begin{itemize} +\item Le morphisme naturel $A \buildrel\iota\over\to A[S^{-1}]$ est + injectif si et seulement si $S$ ne contient aucun diviseur de zéro. + (Extrême inverse : si $S$ contient $0$, alors $A[S^{-1}]$ est + l'anneau nul.) +\item Tout idéal $J$ de $A[S^{-1}]$ est de la forme $J = I[S^{-1}] := + \{a/s : a\in I,\penalty0 s \in S\}$ où $I$ est l'image réciproque + dans $A$ (par le morphisme naturel $\iota\colon A \to A[S^{-1}]$) de + l'idéal $J$ considéré. +\item L'application $\mathfrak{p} \mapsto \iota^{-1}(\mathfrak{p})$ + définit une bijection entre les idéaux premiers de $A[S^{-1}]$ et + ceux de $A$ ne rencontrant pas $S$. +\end{itemize} +\end{prop} + +Cas particuliers importants : si $\mathfrak{p}$ est premier et $S = +A\setminus\mathfrak{p}$ est son com\-plé\-men\-taire, on note +$A_{\mathfrak{p}} = A[S^{-1}]$ ; c'est un anneau local (dont l'idéal +maximal est $\mathfrak{p}[S^{-1}] = \{a/s : a\in \mathfrak{p}, s +\not\in \mathfrak{p}\}$) : on l'appelle le localisé de $A$ +\textbf{en} $\mathfrak{p}$. Si $A$ est un anneau intègre et $S = A +\setminus\{0\}$ l'ensemble des éléments non nuls de $A$, on note +$\Frac(A) = A[S^{-1}]$ : c'est un corps, appelé \textbf{corps des + fractions} de $A$. Par exemple, $\Frac(\mathbb{Z}) = \mathbb{Q}$ et +$\Frac(k[t]) = k(t)$ pour $k$ un corps. + +Toute partie $\Sigma$ de $A$ engendre une partie multiplicative $S$ +(c'est l'intersection de toutes les parties multiplicatives +contenant $\Sigma$, ou simplement l'ensemble de tous les produits +possibles d'éléments de $\Sigma$) : on note généralement +$A[\Sigma^{-1}]$ pour $A[S^{-1}]$. En particulier, lorsque $\Sigma = +\{\sigma_1,\ldots,\sigma_n\}$, on note +$A[\sigma_1^{-1},\ldots,\sigma_n^{-1}]$ ou +$A[\frac{1}{\sigma_1},\ldots,\frac{1}{\sigma_n}]$. + +\begin{prop}\label{localization-inverting-one-element} +Si $A$ est un anneau et $\sigma_1,\ldots,\sigma_n \in A$, alors +\begin{itemize} +\item L'anneau $A[\frac{1}{\sigma_1},\ldots,\frac{1}{\sigma_n}]$ + s'identifie à $A[\frac{1}{f}]$ où $f = \sigma_1\cdots\sigma_n$. +\item De plus, $A[\frac{1}{f}] \cong A[z]/(zf-1)$ (ici, $A[z]$ est + l'anneau des polynômes en une indéterminée), par un isomorphisme + envoyant $\frac{a}{f^n}$ sur la classe de $a z^n$ +\end{itemize} +\end{prop} + + +% +% +% + +\section{Variétés algébriques affines sur un corps algé\-bri\-que\-ment clos} + +Dans cette section, $k$ sera un corps algébriquement clos. + +On appelle \textbf{espace affine de dimension $d$} sur $k$ +l'ensemble $k^d$ (on parle de droite ou plan affine lorsque $d=1,2$). +Il sera aussi parfois noté $\mathbb{A}^d$ ou $\mathbb{A}^d(k)$ pour +des raisons qui apparaîtront plus loin. + +% +\subsection{Correspondance entre fermés de Zariski et idéaux} + +\textbf{Comment associer une partie de $k^d$ à un idéal de + $k[t_1,\ldots,t_d]$ ?} + +Si $\mathscr{F}$ est une partie de $k[t_1,\ldots,t_d]$, on définit un +ensemble $Z(\mathscr{F}) = \{(x_1,\ldots,x_d) \in k^d :\penalty0 +(\forall f\in \mathscr{F})\, f(x_1,\ldots,x_d) = 0\}$. + +Remarques évidentes : si $\mathscr{F} \subseteq \mathscr{F}'$ alors +$Z(\mathscr{F}) \supseteq Z(\mathscr{F}')$ (la fonction $Z$ est +« décroissante pour l'inclusion ») ; on a $Z(\mathscr{F}) = +\bigcap_{f\in \mathscr{F}} Z(f)$ (où $Z(f)$ est un racourci de +notation pour $Z(\{f\})$). Plus intéressant : si $I$ est l'idéal +engendré par $\mathscr{F}$ alors $Z(I) = Z(\mathscr{F})$. On peut +donc se contenter de regarder les $Z(I)$ avec $I$ idéal +de $k[t_1,\ldots,t_d]$. Encore un peu mieux : si $\surd I = \{f : +(\exists n)\,f^n\in I\}$ désigne le radical de l'idéal $I$, on a +$Z(\surd I) = Z(I)$ ; on peut donc se contenter de considérer les +$Z(I)$ avec $I$ idéal radical. + +On appellera \textbf{fermé de Zariski} dans $k^d$ une partie $E$ de la +forme $Z(\mathscr{F})$ pour une certaine partie $\mathscr{F}$ +de $k[t_1,\ldots,t_d]$, dont on a vu qu'on pouvait supposer qu'il +s'agit d'un idéal radical. + +Le vide est un fermé de Zariski ($Z(1) = \varnothing$) ; l'ensemble +$k^d$ tout entier est un fermé de Zariski ($Z(0) = k^d$). Tout +singleton est un fermé de Zariski : en effet, $Z(\mathfrak{m}_x) = +\{x\}$, où $\mathfrak{m}_x$ est l'idéal $(t_1-x_1,\ldots,t_d-x_d)$ ; +remarquer que $\mathfrak{m}_x$ est un idéal maximal, le quotient +$k[t_1,\ldots,t_d]/\mathfrak{m}_x$ s'identifiant à $k$ par la fonction +$f \mapsto f(x)$ d'évaluation en $x$. + +Si $(E_i)_{i\in \Lambda}$ sont des fermés de Zariski, alors +$\bigcap_{i\in \Lambda} E_i$ est un fermé de Zariski : plus +précisément, si $(I_i)_{i\in \Lambda}$ sont des idéaux +de $k[t_1,\ldots,t_d]$, alors $Z(\sum_{i\in\Lambda} I_i) = +\bigcap_{i\in\Lambda} Z(I_i)$. Si $E,E'$ sont des fermés de Zariski, +alors $E \cup E'$ est un fermé de Zariski : plus précisément, si +$I,I'$ sont des idéaux de $k[t_1,\ldots,t_d]$, alors $Z(I\cap I') = +Z(I) \cup Z(I')$ (l'inclusion $\supseteq$ est évidente ; pour l'autre +inclusion, si $x \in Z(I\cap I')$ mais $x \not\in Z(I)$, il existe +$f\in I$ tel que $f(x) \neq 0$, et alors pour tout $f' \in I'$ on a +$f(x)\,f'(x) = 0$ puisque $ff' \in I\cap I'$, donc $f'(x) = 0$, ce qui +prouve $x \in Z(I')$). + +\medbreak + +\textbf{Comment associer un idéal de $k[t_1,\ldots,t_d]$ à une partie + de $k^d$ ?} + +Réciproquement, si $E$ est une partie de $k^d$, on note +$\mathfrak{I}(E) = \{f\in k[t_1,\ldots,t_d] :\penalty0 (\forall +(x_1,\ldots,x_d)\in E)\, f(x_1,\ldots,x_d)=0\}$. Vérification +facile : c'est un idéal de $k[t_1,\ldots,t_d]$, et même un idéal +radical. Remarque évidente : si $E \subseteq E'$ alors +$\mathfrak{I}(E) \supseteq \mathfrak{I}(E')$ ; on a $\mathfrak{I}(E) = +\bigcap_{x\in E} \mathfrak{m}_x$ (où $\mathfrak{m}_x$ désigne l'idéal +maximal $\mathfrak{I}(\{x\})$ des polynômes s'annulant en $x$), et en +particulier $\mathfrak{I}(E) \neq k[t_1,\ldots,t_d]$ dès que $E \neq +\varnothing$. + +On a de façon triviale $\mathfrak{I}(\varnothing) = +k[t_1,\ldots,t_d]$. De façon moins évidente, si $k$ est infini (ce +qui est en particulier le cas lorsque $k$ est algébriquement clos), on +a $\mathfrak{I}(k^d) = (0)$ (démonstration par récurrence sur $d$, +laissée en exercice). + +\danger Sur un corps fini $\mathbb{F}_q$, on a +$\mathfrak{I}({\mathbb{F}_q}^d) \neq (0)$. Par exemple, si $t$ est +une des in\-dé\-ter\-mi\-nées, le polynôme $t^q-t$ s'annule en tout +point de ${\mathbb{F}_q}^d$. + +\medbreak + +\textbf{Le rapport entre ces deux fonctions} + +On a $E \subseteq Z(\mathscr{F})$ ssi $\mathscr{F} \subseteq +\mathfrak{I}(E)$, puisque les deux signifient « tout polynôme dans + $\mathscr{F}$ s'annule en tout point de $E$ ». + +En particulier, en appliquant cette remarque à $\mathscr{F} = +\mathfrak{I}(E)$, on a $E \subseteq Z(\mathfrak{I}(E))$ pour toute +partie $E$ de $k^d$ ; et en appliquant la remarque à $E = +Z(\mathscr{F})$, on a $\mathscr{F} \subseteq +\mathfrak{I}(Z(\mathscr{F}))$. De $E \subseteq Z(\mathfrak{I}(E))$ on +déduit $\mathfrak{I}(E) \supseteq \mathfrak{I}(Z(\mathfrak{I}(E)))$ +(car $\mathfrak{I}$ est décroissante), mais par ailleurs +$\mathfrak{I}(E) \subseteq \mathfrak{I}(Z(\mathfrak{I}(E)))$ en +appliquant l'autre inclusion à $\mathfrak{I}(E)$ : donc +$\mathfrak{I}(E) = \mathfrak{I}(Z(\mathfrak{I}(E)))$ pour toute partie +$E$ de $k^d$ ; de même, $Z(\mathscr{F}) = +Z(\mathfrak{I}(Z(\mathscr{F})))$ pour tout ensemble $\mathscr{F}$ de +polynômes. On a donc prouvé : + +\begin{prop} +Avec les notations ci-dessus : +\begin{itemize} +\item Une partie $E$ de $k^d$ vérifie $E = Z(\mathfrak{I}(E))$ si et + seulement si elle est de la forme $Z(\mathscr{F})$ pour un + certain $\mathscr{F}$ (=: c'est un fermé de Zariski), et dans ce cas + on peut prendre $\mathscr{F} = \mathfrak{I}(E)$, qui est un idéal + radical. +\item Une partie $I$ de $k[t_1,\ldots,t_d]$ vérifie $I = + \mathfrak{I}(Z(I))$ si et seulement si elle est de la forme + $\mathfrak{I}(E)$ pour un certain $E$, et dans ce cas on peut + prendre $E = Z(I)$, et $I$ est un idéal radical + de $k[t_1,\ldots,t_d]$. +\item Les fonctions $\mathfrak{I}$ et $Z$ se restreignent en des + bijections décroissantes réci\-proques entre l'ensemble des fermés + de Zariski $E$ de $k^d$ et l'ensemble des idéaux (radicaux) $I$ + de $k[t_1,\ldots,t_d]$ tels que $I = \mathfrak{I}(Z(I))$. +\end{itemize} +\end{prop} + +On va voir ci-dessous que les idéaux tels que $I = \mathfrak{I}(Z(I))$ +sont exactement (tous) les idéaux radicaux de $k[t_1,\ldots,t_d]$. + +\medbreak + +\textbf{Fermés irréductibles et idéaux premiers} + +On dit qu'un fermé de Zariski $E \subseteq k^d$ non vide est +\textbf{irréductible} lorsqu'on ne peut pas écrire $E = E' \cup E''$, +où $E',E''$ sont deux fermés de Zariski (forcément contenus +dans $E$...), sauf si $E'=E$ ou $E''=E$. + +\emph{Contre-exemple :} $Z(xy)$ (dans le plan $k^2$ de +coordonnées $x,y$) n'est pas ir\-ré\-duc\-tible, car $Z(xy) = \{(x,y) +\in k^2 : xy=0\} = \{(x,y) \in k^2 : +x=0\penalty0\ \textrm{ou}\penalty0\ y=0\} = Z(x) \cup Z(y)$ est +réunion de $Z(x)$ (l'axe des ordonnées) et $Z(y)$ (l'axe des +abscisses) qui sont tous les deux strictement plus petits +que $Z(xy)$. + +\begin{prop}\label{closed-irreducible-iff-prime-ideal} +Un fermé de Zariski $E \subseteq k^d$ est irréductible si, et +seulement si, l'idéal $\mathfrak{I}(E)$ est premier. +\end{prop} +\begin{proof} +Supposons $\mathfrak{I}(E)$ premier : on veut montrer que $E$ est +irréductible. Supposons $E = E' \cup E''$ comme ci-dessus (on a vu +que $E = Z(\mathfrak{I}(E))$, $E' = Z(\mathfrak{I}(E'))$ et $E'' = +Z(\mathfrak{I}(E''))$) : on veut montrer que $E' = E$ ou $E'' = E$. +Supposons le contraire, c'est-à-dire $\mathfrak{I}(E) \neq +\mathfrak{I}(E')$ et $\mathfrak{I}(E) \neq \mathfrak{I}(E'')$. Il +existe alors $f' \in \mathfrak{I}(E') \setminus \mathfrak{I}(E)$ et +$f'' \in \mathfrak{I}(E'') \setminus \mathfrak{I}(E)$. On a alors +$f'f'' \not\in \mathfrak{I}(E)$ car $\mathfrak{I}(E)$ est premier, et +pourtant $f'f''$ s'annule sur $E'$ et $E''$ donc sur $E$, une +contradiction. + +Réciproquement, supposons $E$ irréductible : on veut montrer que +$\mathfrak{I}(E)$ est premier. Soient $f',f''$ tels que $f'f'' \in +\mathfrak{I}(E)$ : posons $E' = Z(\mathfrak{I}(E) + (f'))$ et $E'' = +Z(\mathfrak{I}(E) + (f''))$. On a $E' \subseteq E$ et $E'' \subseteq +E$ puisque $E = Z(\mathfrak{I}(E))$, et en fait $E' = E \cap Z(f')$ et +$E'' = E \cap Z(f'')$ ; on a par ailleurs $E = E' \cup E''$ (car si $x +\in E$ alors $f'(x)\,f''(x) = 0$ donc soit $f'(x)=0$ soit $f''(x)=0$, +et dans le premier cas $x \in E'$ et dans le second $x \in E''$). +Puisqu'on a supposé $E$ irréductible, on a, disons, $E' = E$, +c'est-à-dire $E \subseteq Z(f')$, ce qui signifie $f' \in +\mathfrak{I}(E)$. Ceci montre bien que $\mathfrak{I}(E)$ est premier. +\end{proof} + +% +\subsection{Le Nullstellensatz} + +(Nullstellensatz, littéralement, « théorème du lieu d'annulation », ou +« théorème des zéros de Hilbert ».) + +On rappelle que $k$ est algébriquement clos ! (Pour l'instant, cela +n'a pas beaucoup servi.) + +\begin{prop}[Nullstellensatz faible] +Soit $k$ un corps algébriquement clos. Si $I$ est un idéal de +$k[t_1,\ldots,t_d]$ tel que $Z(I) = \varnothing$, alors $I = +k[t_1,\ldots,t_d]$. +\end{prop} +\begin{proof}[Démonstration dans le cas particulier où $k$ est indénombrable.] +Supposons par contraposée $I \subsetneq k[t_1,\ldots,t_d]$. Alors il +existe un idéal maximal $\mathfrak{m}$ tel que $I \subseteq +\mathfrak{m}$, et on a $Z(\mathfrak{m}) \subseteq Z(I)$. On va +montrer $Z(\mathfrak{m}) \neq \varnothing$. + +Soit $K = k[t_1,\ldots,t_d]/\mathfrak{m}$. Il s'agit d'un corps, qui +est de dimension au plus dénombrable (=il a une famille génératrice +dénombrable, à savoir les images des monômes dans les $t_i$) sur $k$. +Mais $K$ ne peut pas contenir d'élément transcendant $\tau$ sur $k$ +car, $k$ ayant été supposé indénombrable, la famille des +$\frac{1}{\tau - x}$ pour $x\in k$ serait linéairement indépendante +(par décomposition en élément simples) dans $k(\tau)$ donc dans $K$. +Donc $K$ est algébrique sur $k$. Comme $k$ était supposé +algébriquement clos, on a en fait $K=k$. Les classes des +indéterminées $t_1,\ldots,t_d$ définissent alors des éléments +$x_1,\ldots,x_d \in k$, et pour tout $f \in \mathfrak{m}$, on a +$f(x_1,\ldots,x_d) = 0$. Autrement dit, $(x_1,\ldots,x_d) \in +Z(\mathfrak{m})$, ce qui conclut. +\end{proof} + +En fait, dans le cours de cette démonstration, on a montré (dans le +cas particulier où on s'est placé, mais c'est vrai en général) : +\begin{prop}[{idéaux maximaux de $k[t_1,\ldots,t_d]$}]\label{maximal-ideals-of-polynomial-algebras} +Soit $k$ un corps algé\-bri\-que\-ment clos. Tout idéal maximal +$\mathfrak{m}$ de $k[t_1,\ldots,t_d]$ est de la forme +$\mathfrak{m}_{(x_1,\ldots,x_d)} := \{f : f(x_1,\ldots,x_d) = 0\}$ +pour un certain $(x_1,\ldots,x_d) \in k^d$. +\end{prop} +\begin{proof} +En fait, on a prouvé que si $\mathfrak{m}$ est un idéal maximal, il +existe $(x_1,\ldots,x_d) \in k^d$ tels que $(x_1,\ldots,x_d) \in +Z(\mathfrak{m})$, ce qui donne $\mathfrak{m} \subseteq +\mathfrak{I}(\{(x_1,\ldots,x_d)\})$, mais par maximalité de +$\mathfrak{m}$ ceci est en fait une égalité. +\end{proof} + +En particulier, le corps quotient $k[t_1,\ldots,t_d]/\mathfrak{m}$ est +isomorphe à $k$, l'isomorphisme étant donnée par l'évaluation au point +$(x_1,\ldots,x_d)$ tel que ci-dessus. + +\begin{thm}[Nullstellensatz = théorème des zéros de Hilbert] +Soit $I$ un idéal de $k[t_1,\ldots,t_d]$ (toujours avec $k$ un corps +algébriquement clos) : alors $\mathfrak{I}(Z(I)) = \surd I$ (le +radical de $I$). +\end{thm} +\begin{proof} +On sait que $\surd I \subseteq \mathfrak{I}(Z(I))$ et il s'agit de +montrer la réciproque. Soit $f \in \mathfrak{I}(Z(I))$ : on veut +prouver $f\in \surd I$. On vérifie facilement que ceci revient à +montrer que l'idéal $I[\frac{1}{f}]$ +de $k[t_1,\ldots,t_d,\frac{1}{f}]$ est l'idéal unité. Or +$k[t_1,\ldots,t_d,\frac{1}{f}] = k[t_1,\ldots,t_d,z]/(zf-1)$ +d'après \ref{localization-inverting-one-element}. Soit $J$ l'idéal +engendré par $I$ et $zf-1$ dans $k[t_1,\ldots,t_d,z]$ : on voit que +$Z(J) = \varnothing$ (dans $k^{d+1}$), car on ne peut pas avoir +simultanément $f(x_1,\ldots,x_d) = 0$ et $z\,f(x_1,\ldots,x_d) = 1$, +donc le Nullstellensatz faible entraîne $J = k[t_1,\ldots,t_d,z]$ : +ceci donne $I[\frac{1}{f}] = k[t_1,\ldots,t_d,\frac{1}{f}]$. +\end{proof} + +\begin{scho} +Si $k$ est un corps algébriquement clos, les fonctions $I \mapsto +Z(I)$ et $E \mapsto \mathfrak{I}(E)$ définissent des bijections +réci\-proques, décroissantes pour l'inclusion, entre les idéaux radicaux +de $k[t_1,\ldots,t_d]$ d'une part, et les fermés de Zariski de $k^d$ +d'autre part. + +Ces bijections mettent les \emph{points} (c'est-à-dire les singletons) +de $k^d$ en correspondance avec les idéaux maximaux de +$k[t_1,\ldots,t_d]$ (ils ont tous pour quotient $k$), et les +\emph{fermés irréductibles} en correspondance avec les idéaux +premiers. +\end{scho} + +% +\subsection{L'anneau d'un fermé de Zariski} + +Si $X$ est un fermé de Zariski dans $k^d$ avec $k$ algébriquement +clos, on a vu qu'il existe un unique idéal radical $I$ +de $k[t_1,\ldots,t_d]$, à savoir l'idéal $I = \mathfrak{I}(X)$ des +polynômes s'annulant sur $X$, tel que $X = Z(I)$. Le quotient +$k[t_1,\ldots,t_d] / I$ (qui est donc un anneau réduit, et intègre ssi +$X$ est irréductible) s'appelle l'\textbf{anneau des fonctions + régulières} sur $X$ et se note $\mathcal{O}(X)$ (ou parfois $k[X]$). + +Pourquoi fonctions régulières ? On peut considérer un élément $f \in +\mathcal{O}(X)$ comme une fonction $X \to k$ de la façon suivante : si +$\tilde f \in k[t_1,\ldots,t_d]$ est un représentant de $f$ +(modulo $I$) et si $x = (x_1,\ldots,x_d) \in X$, la valeur de $\tilde +f(x_1,\ldots,x_d)$ ne dépend pas du choix de $\tilde f$ représentant +$f$ puisque tout élément de $I$ s'annule en $x$ ; on peut donc appeler +$f(x)$ cette valeur. Inversement, un $f \in \mathcal{O}(X)$ est +complètement déterminé par sa valeur sur chaque point $x$ de $X$ +(rappel : $k$ est algébriquement clos ici, et c'est important !) ; en +effet, si $f$ s'annule en tout $x \in X$, tout élément de +$k[t_1,\ldots,t_d]$ représentant $f$ s'annule en tout $x \in X$, +c'est-à-dire appartient à $\mathfrak{I}(X)$, ce qui signifie justement +$f = 0$ dans $\mathcal{O}(X)$. Moralité : on peut bien considérer les +éléments de $\mathcal{O}(X)$ comme des fonctions. Ces fonctions sont, +tout simplement, \emph{les restrictions à $X$ des fonctions + polynomiales sur l'espace affine $\mathbb{A}^d$}. + +Dans le cas où $X = \mathbb{A}^d = k^d$ tout entier (donc $I = (0)$), +évidemment, $\mathcal{O}(\mathbb{A}^d) = k[t_1,\ldots,t_d]$. + +\smallbreak + +On définit un \textbf{fermé de Zariski de $X$} comme un fermé de +Zariski de $k^d$ qui se trouve être inclus dans $X$. La bonne +nouvelle est que la correspondance entre fermés de Zariski de $k^d$ et +idéaux de $k[t_1,\ldots,t_d]$ se généralise presque mot pour mot à une +correspondance entre fermés de Zariski de $X$ et idéaux +de $\mathcal{O}(X)$ : + +\begin{prop} +Avec les notations ci-dessus : +\begin{itemize} +\item Tout fermé de Zariski de $X$ est de la forme $Z(\mathscr{F}) := + \{x\in X :\penalty0 {(\forall f\in \mathscr{F})}\penalty100\, f(x) = + 0\}$ pour un certain ensemble $\mathscr{F}$ d'éléments + de $\mathcal{O}(X)$. +\item En posant $\mathfrak{I}(E) := \{f\in \mathcal{O}(X) :\penalty0 + {(\forall x\in E)}\penalty100\, f(x)=0\}$, les fonctions $I \mapsto + Z(I)$ et $E \mapsto \mathfrak{I}(E)$ définissent des bijections + réci\-proques, décroissantes pour l'inclusion, entre les idéaux + radicaux de $\mathcal{O}(X)$ d'une part, et les fermés de Zariski de + $X$ d'autre part : on a $\mathfrak{I}(Z(I)) = \surd I$ pour tout + idéal $I$ de $\mathcal{O}(X)$. +\item Ces bijections mettent les \emph{points} (c'est-à-dire les + singletons) de $X$ en correspondance avec les idéaux maximaux de + $\mathcal{O}(X)$ (qui sont donc tous de la forme $\mathfrak{m}_x := + \{f \in \mathcal{O}(X) : f(x)=0\}$ pour un $x\in X$) ; et les + \emph{fermés irréductibles} en correspondance avec les idéaux + premiers. +\end{itemize} +\end{prop} + +\smallbreak + +Soulignons en particulier que si $X'$ est un fermé de Zariski de $X$ +(disons défini comme $X' = Z(I)$ où $I$ est un idéal radical +de $\mathcal{O}(X)$), alors la surjection canonique $\mathcal{O}(X) +\to \mathcal{O}(X)/I$ est un morphisme d'anneaux $\mathcal{O}(X) \to +\mathcal{O}(X')$ qu'il faut interpréter comme envoyant une fonction +régulière $f$ sur $X$ sur sa \emph{restriction} à $X'$, parfois +notée $f|_{X'}$. + +% +\subsection{Variétés algébriques affines, morphismes} + +On appelle provisoirement \textbf{variété algébrique affine} +dans $k^d$ (toujours avec $k$ algébriquement clos) un fermé de Zariski +$X$ de $k^d$. Pourquoi cette double terminologie ? Le terme « fermé + de Zariski » insiste sur $X$ en tant que plongé dans l'espace +affine $\mathbb{A}^d$. Le terme de « variété algébrique affine » +insiste sur l'aspect intrinsèque de $X$, muni de ses propres fermés de +Zariski et de ses propres fonctions régulières, qu'on va maintenant +présenter. On a vu ci-dessus comment associer à $X$ un anneau +$\mathcal{O}(X)$ des fonctions régulières, qui coïncide avec +l'ensemble des fonctions $X \to k$ qui sont restrictions de fonctions +polynomiales sur $k^d$. + +On appelle \textbf{morphisme de variétés algébriques affines} sur $k$ +entre un fermé de Zariski $X \subseteq k^d$ et un fermé de Zariski $Y +\subseteq k^e$ une application $X \to Y$ telle que chacune des $e$ +coordonnées à l'arrivée soit une fonction régulière sur $X$. +Autrement dit, il s'agit de la donnée de $e$ éléments $f_1,\ldots,f_e$ +de $\mathcal{O}(X)$ tels que $(f_1(x),\ldots,f_e(x)) \in Y$ pour tout +$x \in X$. +\begin{prop} +Si $X = Z(I) \subseteq k^d$ et $Y = Z(J) \subseteq k^e$, et si +$(f_1,\ldots,f_e) \in \mathcal{O}(X)$, alors $f = (f_1,\ldots,f_e)$ +définit un morphisme $X\to Y$ (autrement dit $(f_1(x),\ldots,f_e(x)) +\in Y$ pour tout $x \in X$) \emph{si et seulement si} +$h(f_1,\ldots,f_e) = 0$ (vu comme élément de $\mathcal{O}(X)$) pour +tout $h \in J$. +\end{prop} +\begin{proof} +Il y a équivalence entre : +\begin{itemize} +\item $h(f_1,\ldots,f_e) = 0$ dans $\mathcal{O}(Y)$ pour tout $h \in J$, +\item $h(f_1(x),\ldots,f_e(x)) = 0$ pour tout $h \in J$ et $x \in X$, et +\item $(f_1(x),\ldots,f_e(x)) \in Y$ pour tout $x \in X$. +\end{itemize} +(L'équivalence entre les deux premières affirmations vient du fait que +pour $g\in \mathcal{O}(X)$, ici $g = h(f_1,\ldots,f_e)$, on a $g=0$ si +et seulement si $g(x)=0$ pour tout $x\in X$. L'équivalence entre les +deux dernières vient du fait que $(y_1,\ldots,y_e) \in Y$ si et +seulement si $h(y_1,\ldots,y_e) = 0$ pour tout $h \in J$ par +définition de $Y = Z(J)$.) +\end{proof} + +Remarquons en particulier que les fonctions régulières sur $X$ +(c'est-à-dire les éléments de $\mathcal{O}(X)$) peuvent se voir comme +des morphismes $X \to \mathbb{A}^1$ de $X$ vers la droite affine. + +Remarquons par ailleurs que les morphismes de variétés algébriques se +composent : donnés deux morphismes $X \to Y$ et $Y \to Z$, on peut +définir un morphisme $X \to Z$ en composant les applications. + +Lorsque $f \colon X \to Y$ est un morphisme comme ci-dessus, on +définit $f^* \colon \mathcal{O}(Y) \to \mathcal{O}(X)$ de la façon +suivante : si $h \in \mathcal{O}(Y)$ est une fonction régulière vue +comme un morphisme $Y \to \mathbb{A}^1$, on définit $f^*(h) \in +\mathcal{O}(X)$ comme la fonction régulière donnée par le morphisme +composé $h\circ f \colon X \to \mathbb{A}^1$. (Autrement dit, $f^*$ +est l'application de composition à droite par $f$.) + +\begin{prop} +Si $X \subseteq \mathbb{A}^d$ et $Y \subseteq \mathbb{A}^e$ sont deux +variétés algébriques affines, la correspondance $f \mapsto f^*$ +définie ci-dessus définit une bijection entre les morphismes $X \to Y$ +de variétés algébriques affines et les morphismes $\mathcal{O}(Y) \to +\mathcal{O}(X)$ de $k$-algèbres. +\end{prop} +\begin{proof} +Si les indéterminées $u_1,\ldots,u_e$ sont les $e$ coordonnées sur +$\mathbb{A}^e$, alors les classes de $u_1,\ldots,u_e$ définissent des +éléments de $\mathcal{O}(Y)$ : si $f \colon X \to Y$ est un morphisme +de variétés algébriques, alors les fonctions $f_1,\ldots,f_e \in +\mathcal{O}(X)$ le définissant sont simplement les images par $f^*$ de +ces éléments. Ceci montre que $f^*$ permet de retrouver $f$ (la +correspondance $f \mapsto f^*$ est injective). Et si $\psi \colon +\mathcal{O}(Y) \to \mathcal{O}(X)$ est un morphisme quelconque, alors +en définissant $f_1,\ldots,f_e$ comme les images de $u_1,\ldots,u_e +\in \mathcal{O}(Y)$ par $\psi$, on a $h(f_1,\ldots,f_e) = 0$ dans +$\mathcal{O}(Y)$ pour tout $h \in J$ (puisque $h(u_1,\ldots,u_e) = 0$ +dans $\mathcal{O}(Y)$) donc $f_1,\ldots,f_e$ définissent bien un +morphisme $X \to Y$. +\end{proof} + +\smallbreak + +Une fois qu'on dispose de cette notion de morphisme, on peut par +exemple dire que deux variétés algébriques affines $X,Y$ sont +\textbf{isomorphes} lorsqu'il existe des morphismes $X \to Y$ et $Y +\to X$ dont la composée chaque sens est l'identité. Ceci signifie, +tout simplement, que les $k$-algèbres $\mathcal{O}(X)$ et +$\mathcal{O}(Y)$ sont isomorphes. + +Ceci justifie partiellement la différence de terminologie entre +« fermé de Zariski » (dans $k^d$) et « variété algébrique affine » +(sur $k$) : dans le premier cas, on insiste sur $X$ en tant que partie +de $k^d$, tandis que dans le second cas on la considère \emph{à + isomorphisme près} de variété algébrique affine (sur $k$). + +Pour souligner qu'on parle de l'ensemble des points de $X$, plutôt que +de $X$ comme variété algébrique affine, on écrit parfois $X(k)$. + +\smallbreak + +\textbf{Exemples :} Considérons la courbe d'équation $y^2 = x^3$, +c'est-à-dire $C = Z(g)$ où $g = y^2 - x^3 \in k[x,y]$ (anneau des +polynômes à deux indéterminées $x,y$ sur un corps algébriquement +clos $k$), et $\mathbb{A}^1$ la droite affine sur $k$. On a +$\mathcal{O}(C) = k[x,y]/(y^2-x^3)$ et $\mathcal{O}(\mathbb{A}^1) = +k[t]$. On définit un morphisme $\mathbb{A}^1 \buildrel f\over\to C$ +par $t \mapsto (t^2,t^3)$ : ce morphisme correspond à un morphisme +d'anneaux dans l'autre sens, $\mathcal{O}(C) \buildrel f^*\over\to +\mathcal{O}(\mathbb{A}^1)$, donné par $x \mapsto t^2$ et $y \mapsto +t^3$. Ce morphisme n'est pas un isomorphisme car $t$ n'est pas dans +l'image de $f^*$. Ceci, bien que $\mathbb{A}^1(k) \to C(k)$ soit une +bijection au niveau des $k$-points. + +Considérons la courbe $C^\sharp$ (la « cubique gauche » affine) +d'équations $y = z^3$ et $x = z^2$, c'est-à-dire $C^\sharp = +Z(x-z^2,\penalty-100 y-z^3)$. On a un morphisme $\mathbb{A}^1 \to +C^\sharp$ envoyant $t$ sur $(t^2, t^3, t)$ : cette fois, ce morphisme +est un isomorphisme, et sa réciproque est donnée par $(x,y,z) \mapsto +z$. L'anneau $\mathcal{O}(C^\sharp) = k[x,y,z]/(x-z^2,\penalty-100 +y-z^3)$ est isomorphe à $k[t]$. Par ailleurs, le morphisme +$\mathbb{A}^1 \to C$ décrit au paragraphe précédent peut être vu comme +la composée de l'isomorphisme $\mathbb{A}^1 \to C^\sharp$ et de la +projection $C^\sharp \to C$ décrite par $(x,y,z) \mapsto (x,y)$. + +Sur le cercle $C = Z(x^2+y^2-1)$ (pas le même $C$ que dans les deux +paragraphes précédents), si $k$ est de caractéristique $\neq 5$, on +peut définir le morphisme $C \to C$ de « rotation + d'angle $\arctan\frac{3}{4}$ » (terminologie abusive si $k$ n'est +pas un corps contenant $\mathbb{R}$) ou « multiplication par le + point $(\frac{4}{5},\frac{3}{5})$ » par $(x,y) \mapsto (\frac{4}{5}x +- \frac{3}{5}y, \frac{3}{5}x + \frac{4}{5}y)$. C'est un isomorphisme +de $C$ avec lui-même. On pourrait définir l'opération de composition +$C \times C \to C$ par $((x,y),(x',y')) \mapsto (xx'-yy', xy'+yx')$ +mais il faudrait pour cela avoir défini le produit de deux variétés +(pour donner un sens à $C \times C$), ce qu'on n'a pas encore fait. + +\medbreak + +\textbf{Variétés algébriques affines abstraites, et le spectre d'une + algèbre.} + +\textbf{Note :} On considère que deux variétés algébriques (affines) +sont « la même » lorsqu'elle sont isomorphes, alors que deux fermés de +Zariski sont « le même » lorsqu'ils sont égaux dans le $\mathbb{A}^d$ +dans lequel ils vivent. Par exemple, la cubique gauche $C^\sharp$ +décrite ci-dessus, en tant que fermé de Zariski, n'est pas une droite, +mais en tant que variété algébrique affine c'est juste $\mathbb{A}^1$ +puisqu'on a montré qu'elle lui était isomorphe. Ou, si on préfère, un +fermé de Zariski de $\mathbb{A}^d$ est la donnée d'une variété +algébrique affine \emph{plus} un plongement de celle-ci +dans $\mathbb{A}^d$. + +Dans cette optique, si $R$ est une $k$-algèbre de type fini (on +rappelle, cf. \ref{finite-type-algebras}, que cela signifie que $R$ +est engendrée en tant qu'algèbre par un nombre fini d'éléments +$x_1,\ldots,x_d$, autrement dit que $R$ peut se voir comme le quotient +de $k[t_1,\ldots,t_d]$ par un idéal $(f_1,\ldots,f_r)$ de ce dernier) +et si $R$ est réduite, alors on peut voir $R$ comme l'anneau +$\mathcal{O}(X)$ pour une certaine variété algébrique $X$, à savoir le +$X = Z(f_1,\ldots,f_r)$ défini par les équations +$f_1=0,\ldots,\penalty-100 f_r=0$ dans $\mathbb{A}^d$. Cette variété +est unique en ce sens que toutes les variétés $X$ telles que +$\mathcal{O}(X) = R$ sont isomorphes (puisque leurs $\mathcal{O}(X)$ +sont isomorphes, justement). On peut donc donner un nom à $X$ : c'est +le \textbf{spectre} de $R$, noté $\Spec R$. (Par exemple, $\Spec k[t] += \mathbb{A}^1_k$ et plus généralement $\Spec k[t_1,\ldots,t_d] = +\mathbb{A}^d_k$. Et bien sûr, $\Spec k$ est vu comme un point. Quant +à l'ensemble vide, c'est $\Spec 0$ où $0$ est l'anneau nul.) + +Abstraitement, on peut donc dire que les variétés algébriques affines +sont les $\Spec R$ pour $R$ une $k$-algèbre réduite de type fini. + +% +\subsection{La topologie de Zariski} + +On appelle \textbf{ouvert de Zariski} dans $k^d$ (toujours avec $k$ un +corps algébriquement clos) le complémentaire d'un fermé de Zariski. +Autrement dit, si $I$ est un idéal de $k[t_1,\ldots,t_d]$, on définit +$U(I) = \{(x_1,\ldots,x_d) \in k^d :\penalty0 (\exists f\in I)\, +f(x_1,\ldots,x_d) \neq 0\}$ le complémentaire de $Z(I)$ : un ouvert de +Zariski de $k^d$ est un ensemble de la forme $U(I)$. Plus +généralement, si $X$ est une variété algébrique affine, si $I$ est un +idéal de $\mathcal{O}(X)$, on définit $U(I) = \{(x_1,\ldots,x_d) \in X +:\penalty0 (\exists f\in I)\, f(x_1,\ldots,x_d) \neq 0\}$ le +complémentaire de $Z(I)$ : on appelle ces ensembles ouverts de Zariski +de $X$. + +Étant donné qu'une intersection quelconque ou une réunion finie de +fermés sont des fermés, dualement, \emph{une réunion quelconque ou une + intersection finie d'ouverts sont des ouverts} (par ailleurs, +l'ensemble vide et l'ensemble plein sont des ouverts) --- ces +propriétés sont constitutives de la notion de \emph{topologie}, en +l'occurrence la \textbf{topologie de Zariski} (sur l'ensemble $k^d$ ou +$X(k)$). + +\smallbreak + +Si $X'$ est un fermé de Zariski de $X$, alors les fermés et ouverts de +Zariski de $X'$ sont précisément les intersections avec $X'$ des +fermés et ouverts de Zariski de $X$. (On dit que la topologie de $X'$ +est \emph{induite} par celle de $X$.) + +\smallbreak + +Si $I$ est engendré par les éléments $f_1,\ldots,f_r$, on peut écrire +$U(I) = D(f_1) \cup \cdots \cup D(f_r)$ où $D(f_i) := U(\{f_i\})$ est +l'ouvert où $f_i$ ne s'annule pas. Les $D(f)$ s'appellent parfois +\emph{ouverts principaux}, on verra plus loin pourquoi il est utile de +les distinguer ; ceci montre qu'ils forment une \emph{base d'ouverts} +(un ensemble d'ouverts stable par intersections finies est dit former +une base d'ouverts pour une topologie lorsque tout ouvert est une +réunion d'une sous-famille d'entre eux). + +\begin{prop}\label{covering-by-principal-open-sets} +Si $X$ est une variété algébrique affine et $f_i \in \mathcal{O}(X)$ +(pour $i \in \Lambda$ disons), alors $\bigcup_{i\in\Lambda} D(f_i) = +X$ si et seulement si les $f_i$ engendrent l'idéal unité +dans $\mathcal{O}(X)$ (c'est-à-dire ssi il existe des $g_i$, tous nuls +sauf un nombre fini, tels que $\sum_{i\in\Lambda} g_i f_i = 1$). +\end{prop} +\begin{proof} +Dire $\bigcup_{i\in\Lambda} D(f_i) = X$ équivaut à +$\bigcap_{i\in\Lambda} Z(f_i) = \varnothing$, c'est-à-dire encore +$Z(\{f_i\}) = \varnothing$, soit encore $Z(I) = \varnothing$ où $I$ +est l'idéal engendré par les $f_i$, et l'énoncé découle du +Nullstellensatz faible. +\end{proof} + +On aura besoin pour la suite de remarquer que $D(f) \cap D(f') = +D(ff')$. + +\smallbreak + +Un peu de vocabulaire de topologie : dans ce qui suit, on suppose que +$X$ est un ensemble muni d'une topologie (c'est-à-dire un ensemble de +parties de $X$ dites « ouvertes » contenant $\varnothing$ et $X$ et +telles qu'une réunion quelconque ou une intersection finie d'ouverts +sont des ouverts), sachant qu'on s'intéresse évidemment au cas de la +topologie de Zariski. + +Si $x \in U \subseteq V$ avec $U$ ouvert (et $V$ une partie quelconque +de $X$), on dit que $V$ est un \textbf{voisinage} de $x$. (Un +voisinage ouvert de $x$ est donc tout simplement la même chose qu'un +ouvert contenant $x$.) + +Si $E \subseteq X$ est une partie quelconque, l'intersection de tous +les fermés (=complémentaires des ouverts) contenant $E$, c'est-à-dire +le plus petit fermé contenant $E$, s'appelle \textbf{adhérence} +de $E$, parfois notée $\overline{E}$. Il s'agit de l'ensemble des $x +\in X$ tels que tout voisinage de $x$ rencontre $E$. Lorsque +l'adhérence de $E$ est $X$ tout entier, on dit que $E$ est +\textbf{dense} dans $X$. + +On dit que $X$ est \textbf{irréductible} lorsque toute écriture $X = +F' \cup F''$ avec $F',F''$ fermés impose $F' = X$ ou $F'' = X$ ; de +façon équivalente, cela signifie que tout ouvert non vide de $X$ est +dense. + +On dit que $X$ est \textbf{connexe} lorsque ($X$ est non vide et que) +$\varnothing$ et $X$ sont les seuls ensembles à la fois ouverts et +fermés dans $X$. (« Irréductible » est plus fort que « connexe », car +si $X$ est irréductible, tout ouvert non vide est dense, et en +particulier le seul ouvert fermé non vide est $X$ tout entier.) + +\smallbreak + +Dans le cas de la topologie de Zariski sur une variété algébrique +affine $X$ sur un corps algébriquement clos $k$ (c'est-à-dire, +sur $X(k)$) : +\begin{itemize} +\item $X$ est irréductible ssi $\mathcal{O}(X)$ est intègre + (cf. \ref{closed-irreducible-iff-prime-ideal}), +\item l'adhérence de Zariski d'une partie $E \subseteq X(k)$ est + $Z(\mathfrak{I}(E))$ (en effet, ceci est un fermé de Zariski + contenant $E$, et si $Z(J) \supseteq E$ est un autre fermé de + Zariski contenant $E$ alors on a vu $J \subseteq \mathfrak{I}(E)$ + donc $Z(J) \supseteq Z(\mathfrak{I}(E))$ --- ceci montre que + $Z(\mathfrak{I}(E))$ est bien le plus petit pour l'inclusion fermé + de Zariski contenant $E$). +\end{itemize} + +Exemple (idiot) : On suppose $k$ de caractéristique zéro, disons $k = +\mathbb{C}$ ; quelle est l'adhérence de Zariski de $\mathbb{Z}$ dans +$\mathbb{A}^1(k)$ ? Réponse : L'ensemble $\mathfrak{I}(\mathbb{Z})$ +des polynômes s'annulant en chaque point de $\mathbb{Z}$ est réduit +à $(0)$ puisqu'un polynôme en une variable ne peut avoir qu'un nombre +fini de racines ; donc l'adhérence de Zariski de $\mathbb{Z}$ est +$Z(\mathfrak{I}(\mathbb{Z})) = \mathbb{A}^1(k)$ tout entier, +c'est-à-dire que $\mathbb{Z}$ est dense dans la droite affine pour la +topologie de Zariski. Plus généralement, on peut facilement montrer +que les seuls fermés de Zariski de $\mathbb{A}^1(k)$ sont la droite +$\mathbb{A}^1(k)$ tout entière et les parties \emph{finies}. + +\medbreak + +\textbf{Composantes connexes.} + +\begin{prop} +Si $X$ est une variété algébrique affine, alors $X$ est connexe si et +seulement si les seuls éléments $e \in \mathcal{O}(X)$ vérifiant $e^2 += e$ (appelés \textbf{idempotents}) sont $0$ et $1$. +\end{prop} +\begin{proof} +Si $e^2=e$ avec $e \neq 0,1$, alors $e(1-e) = 0$. On a donc $X = Z(e) +\cup Z(1-e)$ ; et $Z(e) \cap Z(1-e) = \varnothing$ (car $e,1-e$ +engendrent l'idéal unité, si on veut). Donc $Z(e)$ et $Z(1-e)$ sont +deux fermés complémentaires l'un de l'autre, donc ils sont aussi +ouverts. Comme $e$ n'est pas nul, $Z(e)$ n'est pas $X$ tout entier, +et de même pour $Z(1-e)$ car $e \neq 1$ ; donc $Z(e)$ est un ouvert +fermé autre que $\varnothing$ et $X$, et $X$ n'est pas connexe. + +Réciproquement, supposons que $X'$ soit un ouvert fermé dans $X$ autre +que $\varnothing$ et $X$, et soit $X''$ son complémentaire, qui +vérifie les mêmes conditions. On peut écrire $X' = Z(I')$ et $X'' = +Z(I'')$ avec $I',I''$ deux idéaux radicaux stricts +de $\mathcal{O}(X)$. Puisque $X' \cap X'' = \varnothing$, on a $I' + +I'' = (1)$ (où $(1)$ désigne l'idéal unité, +c'est-à-dire $\mathcal{O}(X)$ tout entier) ; il existe donc $e \in I'$ +tel que $1-e \in I''$. Mais alors $e(1-e) \in I' \cap I''$, or $I' +\cap I'' = (0)$ car $X' \cup X'' = X$. On a donc $e^2 = e$, et $e +\neq 1$ car $e$ appartient à un idéal strict, et $e \neq 0$ car $1-e +\neq 1$. +\end{proof} + +\begin{prop} +Toute variété algébrique affine $X$ est réunion d'un nombre fini de +fermés connexes. De plus, il existe une écriture $X = \bigcup_{i=1}^n +X_i$ vérifiant $X_i \cap X_j = \varnothing$ pour $i \neq j$, et une +telle écriture est unique (à l'ordre des facteurs près) : les $X_i$ +s'appellent les \textbf{composantes connexes} de $X$. +\end{prop} + +\medbreak + +\textbf{Composantes irréductibles.} + +\begin{prop} +Toute variété algébrique affine $X$ est réunion d'un nombre fini de +fermés irréductibles. De plus, il existe une écriture $X = +\bigcup_{i=1}^n X_i$ vérifie $X_i \not\subseteq X_j$ pour $i \neq j$, +et une telle écriture est unique (à l'ordre des facteurs près) : les +$X_i$ s'appellent les \textbf{composantes irréductibles} de $X$. +\end{prop} +\begin{proof} +Montrons par l'absurde que $X$ est réunion d'un nombre fini de fermés +irréductibles : comme $X$ n'est pas lui-même irréductible, on peut +écrire $X = X_1 \cup X'_1$ avec $X_1$, $X'_1$ fermés stricts dans $X$, +et l'un d'entre eux ne doit pas être irréductible, disons $X_1$, donc +on peut écrire $X_1 = X_2 \cup X'_2$, et ainsi de suite. On obtient +ainsi une suite de fermés strictement décroissante pour l'inclusion $X +\supsetneq X_1 \supsetneq X_2 \supsetneq\cdots$, qui correspond à une +suite strictement croissante d'idéaux (radicaux) dans +$\mathcal{O}(X)$, ce qui est impossible car $\mathcal{O}(X)$ est +noethérien (cf. \ref{finite-type-algebras-are-noetherian}). + +On peut donc écrire $X = \bigcup_{i=1}^n X_i$, et quitte à jeter les +$X_i$ déjà inclus dans un autre $X_j$ (et à répéter le processus si +nécessaire), on peut supposer $X_i \not\subseteq X_j$ pour $i \neq j$. + +Montrons enfin l'unicité. Si $X = \bigcup_{i=1}^n X_i = +\bigcup_{j=1}^p Y_j$ sont deux telles écritures, on a $X_i = +\bigcup_{j=1}^p (X_i \cap Y_j)$. Comme $X_i$ est irréductible, l'un +des $X_i\cap Y_j$ doit être égal à $X_i$, c'est-à-dire $X_i \subseteq +Y_j$ ; par symétrie de l'argument, ce $Y_j$ est lui-même inclus dans +un $X_{i'}$, et comme $X_i \subseteq X_{i'}$, la condition sur la +décomposition donne $i'=i$, donc $Y_j = X_i$ et on a bien montré que +chaque $X_i$ est un des $Y_j$ et vice versa. +\end{proof} + +\textbf{Exemple :} $Z(xy) \subseteq \mathbb{A}^2$ a pour composantes +irréductibles $Z(x)$ et $Z(y)$. En revanche, il est connexe (=sa +seule composante connexe est lui-même) : en effet, si $U$ est un +ouvert fermé de $Z(xy)$, quitte à remplacer $U$ par son complémentaire +on peut supposer que $U$ contient $(0,0)$, et alors $U$ est un ouvert +fermé rencontrant $Z(x)$ et $Z(y)$ à la fois --- mais comme ceux-ci +sont irréductibles, et en particulier connexes, $U \cap Z(x) = Z(x)$ +et $U \cap Z(y) = Z(y)$, ce qui montre $U = Z(xy)$. + +% +\subsection{Fonctions régulières sur un ouvert, morphismes} + +Soit $X$ une variété algébrique affine sur $k$, et $f \in +\mathcal{O}(X)$. On définira \textbf{l'anneau des fonctions + régulières} sur l'ouvert principal $D(f) = X \setminus Z(f)$ comme +le localisé $\mathcal{O}(X)[\frac{1}{f}]$ inversant $f$ de l'anneau +$\mathcal{O}(X)$ des fonctions régulières sur $X$. Autrement dit +(cf. \ref{subsection-localization}), les fonctions régulières sont +$D(f)$ sont définies comme des fractions de fonctions régulières +sur $X$ admettant une puissance de $f$ au dénominateur. + +On peut bien les voir comme des fonctions : si $x \in D(f)$, cela +signifie que $x \in X$ et que $f(x) \neq 0$, ce qui permet d'évaluer +en $x$ une fonction de la forme $\frac{g}{f^n}$. + +\textbf{Exemple :} Les fonctions régulières sur +$\mathbb{A}^1\setminus\{0\}$ (la droite affine privée de l'origine, +c'est-à-dire $D(t)$ dans $\mathbb{A}^1 = \Spec k[t]$) sont les +fonctions rationnelles de la forme $\frac{g}{t^n}$ avec $n\geq 0$ +(=les fonctions rationnelles n'ayant pas d'autre pôle qu'en zéro). +Plus généralement, toute fonction rationnelle $h \in k(t)$ peut être +considérée comme une fonction régulière sur un certain ouvert +de $\mathbb{A}^1$, à savoir l'ouvert où le dénominateur de $h$ ne +s'annule pas. + +\smallbreak + +Si $I = (f_1,\ldots,f_r)$ est un idéal de $\mathcal{O}(X)$, avec $X$ +une variété algébrique affine, on appelle \textbf{fonction régulière} +sur $U := U(I) = D(f_1) \cup \cdots \cup D(f_r) = X \setminus Z(I)$ la +donnée d'une fonction $h \colon U \to k$ telle que la restriction de +$h$ à chaque $D(f_i)$ soit une fonction régulière. \emph{Fait :} Ceci +ne dépend pas du choix des $f_i$ engendrant l'idéal $I$. Ces +fonctions régulières forment un anneau, noté $\mathcal{O}(U)$. + +\smallbreak + +Si $U$ est un ouvert de Zariski d'une variété algébrique affine $X$, +et $V$ un ouvert de Zariski d'une variété algébrique affine $Y +\subseteq \mathbb{A}^e$, on appelle \textbf{morphisme} $U \to V$ une +application $U \to V$ telle que chacune des $e$ coordonnées à +l'arrivée soit une fonction régulière sur $U$. Autrement dit, il +s'agit de la donnée de $e$ éléments $f_1,\ldots,f_e$ de +$\mathcal{O}(U)$ tels que $(f_1(x),\ldots,f_e(x)) \in V$ pour tout $x +\in U$. Comme précédemment, les fonctions régulières ne sont autres +que les morphismes vers $\mathbb{A}^1$. On appellera +\textbf{isomorphisme} entre $U$ et $V$ la donnée de morphismes $U \to +V$ et $V \to U$ dont la composée chaque sens est l'identité. + +On appelle \textbf{variété algébrique quasi-affine}, un ouvert d'une +variété algébrique affine (considérée à isomorphisme près) comme on +vient de le décrire. + +\begin{prop}\label{morphisms-to-affines} +Si $U$ est une variété algébrique \emph{quasi-affine} et $Y$ une +variété algébrique \emph{affine}, alors les morphismes $U \to Y$ sont +en correspondance avec les morphismes $\mathcal{O}(Y) \to +\mathcal{O}(U)$ (de $k$-algèbres) en envoyant $f\colon U\to Y$ sur +$f^* \colon \mathcal{O}(Y) \to \mathcal{O}(U)$ (défini comme le +morphisme qui envoie une fonction régulière $h \colon Y \to +\mathbb{A}^1$ sur $f^*(h) := h\circ f \colon U\to \mathbb{A}^1$). +\end{prop} + +Les ouverts \emph{principaux} (les $D(f)$), en fait, n'apportent rien +de nouveau : +\begin{prop}\label{principal-open-sets-are-affine} +Si $f\in \mathcal{O}(X)$ avec $X$ une variété algébrique affine, alors +l'ouvert principal $D(f) = X \setminus Z(f)$ est isomorphe à la +variété algébrique affine $\Spec \mathcal{O}(X)[\frac{1}{f}]$. +\end{prop} + +En revanche, pour un ouvert quelconque, on obtient véritablement des +choses nouvelles. + +\danger La proposition \ref{morphisms-to-affines} cesse d'être vraie +si on considère des morphismes entre deux variétés algébriques +quasi-affines quelconques. Par exemple, le plan affine $\mathbb{A}^2 += \Spec k[x,y]$ et le complémentaire $\mathbb{A}^2\setminus\{(0,0)\}$ +de l'origine dans le plan affine ont exactement le même anneau des +fonctions régulières, pourtant, ces deux variétés quasi-affines ne +sont pas isomorphes. + +Si $U$ est une variété algébrique quasi-affine, il existe un morphisme +naturel $\psi\colon U \to \Spec \mathcal{O}(U)$ d'après la +proposition \ref{morphisms-to-affines}, à savoir celui qui correspond +à l'identité sur $\mathcal{O}(U)$. On dit que la variété algébrique +quasi-affine $U$ est \textbf{affine} lorsque $\psi$ est un +isomorphisme (de façon équivalente, lorsque $U$ est isomorphe à une +variété algébrique affine telle qu'on l'a définie précédemment). + +La proposition \ref{principal-open-sets-are-affine} a pour conséquence +utile le fait que tout point d'une variété algébrique quasi-affine a +un \emph{voisinage} affine (autrement dit, « pour l'étude locale, les + affines suffisent »). + + +% +% +% + +\section{L'espace projectif et les variétés quasiprojectives} + +\subsection{L'espace projectif sur un corps} + +Si $k$ est un corps, on note $\mathbb{P}^d(k)$ (ou juste +$\mathbb{P}^d$ si $k$ est algébriquement clos et sous-entendu) +l'ensemble des $(d+1)$-uplets d'éléments \emph{non tous nuls} de $k$ +modulo la relation d'équivalence $(x_0,\cdots,x_d) \sim +(x'_0,\cdots,x'_d)$ ssi les vecteurs $(x_0,\cdots,x_d)$ et +$(x'_0,\cdots,x'_d)$ sont colinéaires. On note $(x_0:\cdots:x_d)$ +(certains auteurs préfèrent $[x_0,\ldots,x_d]$) la classe de +$(x_0,\ldots,x_d)$ pour cette relation d'équivalence. On peut voir +$\mathbb{P}^d(k)$ comme l'ensemble des droites vectorielles (=passant +par l'origine) de $k^{d+1}$. + +Idée intuitive : tout point de $\mathbb{P}^d(k)$, selon +que $x_0 \neq 0$ ou $x_0 = 0$, peut être mis sous la forme +$(1:x_1:\cdots:x_d)$ (avec $x_1,\ldots,x_d$ quelconques) ou bien +$(0:x_1:\cdots:x_d)$ (avec $x_1,\ldots,x_d$ non tous nuls). Le point +$(x_1,\ldots,x_d)$ de $\mathbb{A}^d$ sera identifié au point +$(1:x_1:\cdots:x_d)$ de $\mathbb{P}^d$, tandis que les points de la +forme $(0:x_1:\ldots:x_d)$ sont appelés « points à l'infini » (et +collectivement, « hyperplan à l'infini »). On peut donc écrire +$\mathbb{P}^d(k) = \mathbb{A}^d(k) \cup \mathbb{P}^{d-1}(k)$ (réunion +disjointe de l'ensemble $Z(x_0)(k)$ des points où $x_0 \neq 0$ et de +celui $D(x_0)(k)$ des points où $x_0 = 0$) ; moralement, on aura envie +que $\mathbb{A}^d$ soit un ouvert dans $\mathbb{P}^d$ et +$\mathbb{P}^{d-1}$ son fermé complémentaire. Noter que le choix de +$x_0$ est arbitraire : on peut voir $\mathbb{P}^d$ comme réunion de +$d+1$ espaces affines $\mathbb{A}^d$ (à savoir +$D(x_0),\ldots,D(x_d)$). + +% +\subsection{Polynômes homogènes, fermés et ouverts de Zariski de $\mathbb{P}^d$, + Nullstellensatz projectif} + +On veut voir $\mathbb{P}^d$ comme une variété algébrique (au moins +pour $k$ algébriquement clos pour le moment). Il faudra une notion +d'ouverts et une notion de fonctions régulières. + +On dit qu'un $f \in k[t_0,\ldots,t_d]$ est \textbf{homogène de + degré $\ell$} lorsque tous les monômes qui le constituent ont le +même degré total $\ell$. L'intérêt de cette remarque est que si +$(x_0:\cdots:x_d) \in \mathbb{P}^d(k)$ avec $k$ un corps, et $f \in +k[t_0,\ldots,t_d]$ est homogène, le fait que $f(x_0,\ldots,x_d) = 0$ +ou $\neq 0$ ne dépend pas du choix du représentant choisi de +$(x_0:\cdots:x_d)$. On peut donc définir $Z(f) = \{(x_0:\cdots:x_d) +\in \mathbb{P}^d(k) : f(x_0,\ldots,x_d) = 0\}$ et $D(f)$ son +complémentaire. + +On apppelle \textbf{partie homogène de degré $\ell$} d'un polynôme $f +\in k[t_0,\ldots,t_d]$ la somme de tous ses monômes de degré +total $\ell$. Évidemment, tout polynôme est la somme de ses parties +homogènes. Le produit de deux polynômes homogènes de degrés +respectifs $\ell$ et $\ell'$ est homogène de degré $\ell+\ell'$. + +On dit qu'un idéal $I$ de $k[t_0,\ldots,t_d]$ est \textbf{homogène} +lorsqu'il peut être engendré par des polynômes homogènes (cela ne +signifie pas, évidemment, qu'il ne contient que des polynômes +homogènes, ni même que \emph{tout} ensemble de générateurs de $I$ soit +constitué de polynômes homogènes). De façon équivalente, il s'agit +d'un idéal tel que pour tout $f\in I$, toute partie homogène de $f$ +est encore dans $I$. (Démonstration de l'équivalence : si toute +partie homogène d'un élément de $I$ appartient encore à $I$, en +prenant un ensemble quelconque de générateurs de $I$, les parties +homogènes de ceux-ci appartiennent encore à $I$ et sont encore +génératrices puisqu'elles engendrent les générateurs choisis, donc $I$ +admet bien un ensemble de générateurs homogènes ; réciproquement, si +$I$ est engendré par $f_1,\ldots,f_r$ homogènes de degrés +$\ell_1,\ldots,\ell_r$ et si $h$ appartient à $I$, disons $h = \sum_i +g_i f_i$, alors pour tout $\ell$, la partie homogène de degré $\ell$ +de $h$ est $h^{[\ell]} = \sum_i g_i^{[\ell-\ell_i]} f_i$ où +$g_i^{[\ell-\ell_i]}$ désigne la partie homogène de degré +$\ell-\ell_i$ de $g_i$, donc $h^{[\ell]}$ appartient aussi à $I$.) + +(Concrètement, dire que $I$ est homogène signifie --- au moins lorsque +$I$ est radical et que $k$ est algébriquement clos --- que le fermé +\emph{affine} qu'il définit dans $\mathbb{A}^{d+1}$ est un +\emph{cône}, c'est-à-dire stable par homothéties. L'ensemble $Z(I)$ +défini ci-dessus va être ce cône vu comme un ensemble de droites +vectorielles donc comme un objet géométrique dans $\mathbb{P}^d$.) + +Pour $I$ idéal homogène de $k[t_0,\ldots,t_d]$, on définit $Z(I)$ +comme l'intersection des $Z(f)$ pour $f\in I$ homogène, ou simplement, +d'après ce qui précède, l'intersection des $Z(f)$ pour $f$ parcourant +un ensemble de générateurs homogènes de $I$. Les $Z(I)$ s'appellent +les fermés [de Zariski] de $\mathbb{P}^d$. Inversement, si $E$ est +une partie de $\mathbb{P}^d$, on appelle $\mathfrak{I}(E)$ l'idéal +(par définition homogène) engendré par les polynômes homogènes $f$ +s'annulant en tout point de $E$ (c'est-à-dire tels que $Z(f) \supseteq +E$). + +\begin{thm} +Si $k$ est un corps algébriquement clos : +\begin{itemize} +\item (Nullstellensatz faible projectif.) Pour $I$ un idéal homogène + de $k[t_0,\ldots,t_d]$, on a $Z(I) = \varnothing$ dans + $\mathbb{P}^d$ ssi il existe un entier naturel $\ell$ tel que $I$ + contienne tous les monômes en $t_0,\ldots,t_d$ de degré total $\ell$ + (et, par conséquent, de tout degré plus grand). Un tel idéal + s'appelle \textbf{irrelevant} [avec un bel anglicisme]. +\item (Nullstellensatz projectif.) Les fonctions $I \mapsto Z(I)$ et + $E \mapsto \mathfrak{I}(E)$ définissent des bijections réciproques, + décroissantes pour l'inclusion, entre les idéaux homogènes radicaux + de $k[t_0,\ldots,t_d]$ autres que $(t_0,\ldots,t_d)$ d'une part, et + les fermés de Zariski de $\mathbb{P}^d(k)$ d'autre part. +\item Ces bijections mettent en correspondance les idéaux homogènes + premiers de $k[t_0,\ldots,t_d]$ avec les fermés irréductibles + de $\mathbb{P}^d$. +\item Si $I$ est un idéal homogène de $k[t_0,\ldots,t_d]$ tel que + $Z(I) \neq \varnothing$ (i.e., qui n'est pas irrelevant) alors + $\mathfrak{I}(Z(I)) = \surd I$ (le radical de $I$). +\end{itemize} +\end{thm} + +\begin{rmk} +Pour qu'un idéal homogène $I$ de $k[t_0,\ldots,t_d]$ contienne tous +les monômes à partir d'un certain degré total $\ell$ (c'est-à-dire, +qu'il soit irrelevant), il faut et il suffit qu'il contienne tous les +$t_i^n$ à partir d'un certain $n$. (En effet, un sens est trivial, et +pour l'autre sens, si $I$ contient tous les $t_i^n$, alors il contient +tout monôme de degré $(d+1)n$, puisqu'un tel monôme contient au moins +un $t_i$ à la puissance $n$.) Comme il n'y a qu'un nombre fini des +$t_i$, on peut aussi intervertir les quantificateurs : c'est encore la +même chose que de dire que pour chaque $i$, l'idéal $I$ contient une +certaine puissance $t_i^{n_i}$ de $t_i$. +\end{rmk} + +\smallbreak + +Les ouverts de Zariski de $\mathbb{P}^d$ sont bien sûr, par +définition, les complémentaires $U(I)$ des fermés de Zariski $Z(I)$. +Ils peuvent toujours s'écrire de la forme $D(f_1) \cup \cdots \cup +D(f_r)$ où $f_1,\ldots,f_r$ sont des polynômes homogènes en +$t_0,\ldots,t_d$. + + +% +\subsection{Le lien affine-projectif}\label{subsection-affine-vs-projective} + +On a déjà signalé que $\mathbb{P}^d$ est la réunion des $d+1$ ouverts +$D(t_0),\ldots,D(t_d)$, qu'on veut considérer comme $d+1$ espaces +affines, ou $d+1$ copies de l'espace affine $\mathbb{A}^d$. Il faut +considérer que les coordonnées affines sur $D(t_i)$ sont les +$\frac{t_j}{t_i}$ avec $j\neq i$ (ce qui fait $d$ coordonnées). + +Le lien affine-projectif est explicité par les affirmations +suivantes : +\begin{itemize} +\item Si $f \in k[t_0,\ldots,t_d]$ est homogène de degré $\ell$, + l'intersection de $Z(f) \subseteq \mathbb{P}^d$ avec $D(t_i)$ est + donnée par $Z(\frac{f}{t_i^\ell}) \subseteq \mathbb{A}^d$ en voyant + $\frac{f}{t_i^\ell}$ comme un polynôme en les $\frac{t_j}{t_i}$. +\item Plus généralement, si $X = Z(I) \subseteq \mathbb{P}^d$ est le + fermé de Zariski défini par un idéal homogène $I$ de + $k[t_0,\ldots,t_d]$, l'intersection de $X$ avec $D(t_i)$ est la + variété affine $Z(I_{t_i}) \subseteq \mathbb{A}^d$ où $I_{t_i}$ est + l'idéal engendré par les $\frac{f_j}{t_i^{\ell_j}}$ pour $f_j$ + parcourant des générateurs homogènes de $I$ et $\ell_j = \deg f_j$ + (l'idéal $I_{t_i}$ ne dépend pas du choix des $f_j$). +\item Bon à savoir : si $I$ est un idéal homogène de + $k[t_0,\ldots,t_d]$, alors + $k[\frac{t_0}{t_i},\ldots,\frac{t_d}{t_i}]/I_{t_i}$, où $I_{t_i}$ + est défini ci-dessus, est l'ensemble des éléments homogènes de degré + zéro de $(k[t_0,\ldots,t_d]/I)[\frac{1}{\bar t_i}]$. L'un ou + l'autre, donc, est vu comme l'ensemble des fonctions régulières sur + $Z(I) \cap D(t_i)$. +\item Inversement, donnée un fermé de Zariski $X = Z(I) \subseteq + \mathbb{A}^d$ de l'espace affine, où $I$ est un idéal radical de + $k[\tau_1,\ldots,\tau_d]$, on peut définir une variété projective + $X^+ = Z(I^+)$ dont l'idéal $I^+$ est engendré par les $f^+ := + t_0^{\deg f} f(\frac{t_1}{t_0},\ldots,\frac{t_d}{t_0}) \in + k[t_0,\ldots,t_d]$ pour tous les $f\in I$ (c'est-à-dire les + polynômes homogénéisés) : on peut montrer qu'il s'agit précisément + de l'adhérence de $X$ dans $\mathbb{P}^d$. Malheureusement, il ne + suffit pas en général de prendre un ensemble de générateurs de $I$ + pour que leurs homogénéisés engendrent $I^+$ (penser à $I = + (\tau_2-\tau_1^2,\; \tau_3-\tau_1^3)$ qui contient + $\tau_3-\tau_1\tau_2$ alors que $(t_0 t_2 - t_1^2,\; t_0 t_3 - + t_1^3)$ ne contient pas $t_0 t_3-t_1 t_2$, il faut le mettre + explicitement dans $I^+$). Il y a cependant un cas favorable : + lorsque $X = Z(f)$ est une hypersurface, alors $X^+ = Z(f^+)$. +\end{itemize} + + +% +\subsection{Variétés projectives et quasi\-projectives, morphismes}\label{subsection-quasiprojective-varieties-and-morphisms} + +On appelle \textbf{variété algébrique projective}, +resp. \textbf{variété algébrique quasiprojective}, un fermé de Zariski +de l'espace projectif $\mathbb{P}^d$, resp. un ouvert de Zariski d'une +telle variété (autrement dit, l'intersection d'un ouvert et d'un fermé +de Zariski de $\mathbb{P}^d$). + +Si $X$ est une variété algébrique projective (resp. quasiprojective) +dans $\mathbb{P}^d$ et qu'on note $D(t_0),\ldots,D(t_d)$ les $d+1$ +ouverts $\{t_0\neq 0\},\ldots,\{t_d\neq 0\}$ chacun identifié à un +espace affine $\mathbb{A}^d$, alors, comme expliqué +en \ref{subsection-affine-vs-projective}, chacun des $X\cap D(t_i)$ +peut être considéré comme une variété algébrique affine +(resp. quasi-affine). + +Comment définir un morphisme entre variétés algébriques projectives ou +quasiprojectives ? Moralement, on veut le définir comme une +application qui est « localement » un morphisme entre variétés +algébriques affines. + +On peut par exemple définir une \textbf{fonction régulière} $h$ sur +une variété projective ou quasiprojective $X$ comme une fonction +$h\colon X \to \mathbb{A}^1$ telle que $h|_{X \cap D(t_i)}$ soit une +fonction régulière sur $X \cap D(t_i)$ pour chaque $i$. Pour les +morphismes, la situation est un peu plus compliquée car il faut +considérer non seulement des recouvrements au départ mais aussi à +l'arrivée. + +Voici une \underline{première définition possible} : si $X \subseteq +\mathbb{P}^d$ et $Y \subseteq \mathbb{P}^e$ sont deux variétés +quasiprojectives, un \textbf{morphisme} $X \to Y$ est une fonction +$h\colon X \to Y$ telle qu'il existe un recouvrement $X = +\bigcup_\lambda V_\lambda$ [qu'on peut toujours supposer fini] de $X$ +par des ouverts de Zariski $V_\lambda$, chacun complètement contenu +dans un $D(t_{i_\lambda}) \cong \mathbb{A}^d$ (ce qui permet de +considérer au moins $V_\lambda$ ou $X \cap D(t_{i_\lambda})$ comme une +variété quasi-affine) et tel que $h(V_\lambda)$ soit contenu dans un +$D(u_{j_\lambda}) \cong \mathbb{A}^e$ de $\mathbb{P}^e$ où on a noté +$(u_0:\cdots:u_e)$ les coordonnées sur $\mathbb{P}^e$ (ceci permet de +considérer $Y \cap D(u_{j_\lambda})$ comme une variété quasi-affine), +avec $h|_{V_\lambda} \colon V_\lambda \to (Y \cap D(u_{j_\lambda}))$ +un morphisme (pour chaque $\lambda$). + +Décrivons une \underline{autre définition possible}, qui soit un peu +plus opérationnelle (on admettra, entre autres choses, que ces +définitions sont bien équivalentes !). Si $X \subseteq \mathbb{P}^d$ +est une variété quasiprojective, on considère des $(e+1)$-uplets de +polynômes homogènes $f_0,\ldots,f_e$ \emph{de même degré} en $d+1$ +variables $t_0,\ldots,t_d$. Un tel $(e+1)$-uplet $f = +(f_0:\cdots:f_e)$ définit une application $V \to \mathbb{P}^e$ par $x +\mapsto (f_0(x):\cdots:f_e(x))$, où $V$ est l'ensemble (ouvert de +Zariski) des points $x$ de $X$ tels que $f_0(x), \ldots, f_e(x)$ ne +s'annulent pas simultanément. Un morphisme $X \to \mathbb{P}^e$ est +une application $h\colon X \to \mathbb{P}^e$ tel que des restrictions +$h|_{V_\lambda}\colon V_\lambda \to \mathbb{P}^e$ puissent s'écrire +sous la forme précédente, pour des ouverts $V_\lambda$ recouvrant $X$. +Si de plus l'image est contenue dans une variété quasiprojective $Y +\subseteq \mathbb{P}^e$, on pourra dire qu'il s'agit d'un morphisme $X +\to Y$. + +Concrètement, donc, selon cette seconde définition, se donner un +morphisme $X \to \mathbb{P}^e$, si $X = Z(I)$ est une variété +projective avec $I$ idéal radical homogène de $k[t_0,\ldots,t_d]$, +revient à se donner un certain nombre d'écritures +$(f^{(\lambda)}_0:\cdots:f^{(\lambda)}_e)$ telles que (i) pour +chaque $\lambda$, les polynômes +$f^{(\lambda)}_0,\cdots,f^{(\lambda)}_e$ sont homogènes de même degré, +(ii) les $f^{(\lambda)}_i$ et $I$ (tous ensemble) engendrent un idéal +irrelevant (ce qui par le Nullstellensatz revient à dire que pour tout +point de $X = Z(I)$ il y a au moins un $f^{(\lambda)}_i$ qui ne +s'annule pas), et (iii) $f^{(\lambda)}_i f^{(\mu)}_j - f^{(\lambda)}_j +f^{(\mu)}_i$ appartient à $I$ pour tous $\lambda,\mu,i,j$ (ce qui +revient à dire que $(f^{(\lambda)}_0:\cdots:f^{(\lambda)}_e)$ et +$(f^{(\mu)}_0:\cdots:f^{(\mu)}_e)$ définissent bien la même fonction). +Pour définir un morphisme $X \to Y$ avec $Y = Z(J)$ une autre variété +projective, on demande de plus (iv) que, pour chaque $\lambda$, les +$f^{(\lambda)}_0,\ldots,f^{(\lambda)}_e$ vérifient, modulo $I$, les +équations données par des générateurs de $J$. + +\medbreak + +Avant de donner des exemples, citons le fait suivant, qui aide à +comprendre qu'on a énormément de rigidité dans la définition d'un +morphisme (notamment, une fois donnée la restriction de celui-ci à un +ouvert dense $V$, le morphisme est complètement défini) : +\begin{prop} +Si $h,h' \colon X \to Y$ sont deux morphismes entre variétés +quasiprojectives et si $h,h'$ coïncident sur une partie \emph{dense} +de $X$ (pour la topologie de Zariski), alors $h = h'$. Plus +généralement, l'ensemble des points où $h$ et $h'$ coïncident est un +fermé de $X$. +\end{prop} + +On rappelle que si $X$ est irréductible, alors tout ouvert de $X$ non +vide est dense (c'est même équivalent). + +\medbreak + +\textbf{Exemples} de morphismes : + +¶ Soit $C^+$ le cercle, cette fois projectif, d'équation $x^2 + y^2 = +z^2$ (équation homogénéisée de $x^2 + y^2 = 1$) dans $\mathbb{P}^2$ de +coordonnées homogènes $(z:x:y)$ (sur un corps $k$ de +caractéristique $\neq 2$), et soit le $\mathbb{P}^1$ de coordonnées +$(t_0:t_1)$. On définit un morphisme $\mathbb{P}^1 \to C^+$ par +$(t_0:t_1) \mapsto (t_0^2+t_1^2 : t_0^2-t_1^2 : 2t_0t_1)$. Il est +clair que ces équations définissent un morphisme $\mathbb{P}^1 \to +\mathbb{P}^2$ car $t_0^2+t_1^2 , t_0^2-t_1^2 , 2t_0t_1$ engendrent +tous les monômes de degré $2$ donc un idéal irrelevant ; ensuite, +comme $(t_0^2-t_1^2)^2 + (2t_0t_1)^2 = (t_0^2+t_1^2)^2$, ce morphisme +arrive bien dans $C^+$. + +Dans l'autre sens : on définit un morphisme $C^+ \to \mathbb{P}^1$ de +la façon suivante : on commence par l'équation $(z:x:y) \mapsto +(x+z:y)$, mais ceci ne définit un morphisme que sur l'ouvert +complémentaire de $Z(x+z,y)$ (c'est-à-dire du point +$(z:x:y)=(1:-1:0)$). Il faut donc trouver une autre équation, ou +plutôt une autre forme, sur un ouvert qui contienne ce point. Ce +n'est pas difficile : en se disant que de façon assez générale on a +$(x+z:y) = ((x+z)(x-z):y(x-z)) = (x^2-z^2:y(x-z)) = (-y^2:y(x-z)) = +(y:z-x)$, on va considérer $(z:x:y) \mapsto (y:z-x)$, qui est, cette +fois, défini sur le complémentaire de $Z(y,z-x)$, c'est-à-dire de du +point $(z:x:y) = (1:1:0)$. Le calcul qu'on vient de faire montre que +$(x+z:y) = (y:z-x)$ sur l'intersection des deux ouverts, donc ces deux +équations se recollent bien en un unique morphisme $C^+ \to +\mathbb{P}^1$. + +La composée des morphismes qu'on vient de définir est l'identité : +dans le sens $\mathbb{P}^1 \to C^+ \to \mathbb{P}^1$, c'est clair car +l'identité s'obtient bien en recollant $(t_0:t_1) \mapsto (2t_0^2 : +2t_0 t_1)$ et $(t_0:t_1) \mapsto (2t_0 t_1 : 2t_1^2)$. Dans le sens +$C^+ \to \mathbb{P}^1 \to C^+$, on constate que la composée de +$(z:x:y) \mapsto (x+z:y)$ avec $(t_0:t_1) \mapsto (t_0^2+t_1^2 : +t_0^2-t_1^2 : 2t_0t_1)$ donne $(z:x:y) \mapsto (x^2+2xz+z^2+y^2 : +x^2+2xz+z^2-y^2 : 2xy+2yz)$ ce qui, modulo $x^2+y^2-z^2$, vaut +$(2z(x+z) : 2x(x+z) : 2y(z+x))$, soit $(z:x:y)$ dès que $x+z\neq 0$. +Comme l'ouvert $\{x+z\neq0\}$ est dense, ceci suffit à montrer qu'on a +affaire à l'identité. + +On a donc prouvé que le cercle (projectif !) $C^+$ d'équation $x^2+y^2 += z^2$ est isomorphe à $\mathbb{P}^1$. + +\smallbreak + +¶ Un exemple avec des variétés ouvertes : $\mathbb{A}^{d+1} +\setminus\{(0,0)\} \to \mathbb{P}^d$ donné par $(x_0,\ldots,x_d) +\mapsto (x_0:\cdots:x_d)$. + + + +% +% +% + +\section{Géométrie algébrique sur un corps non algébriquement clos} + +\subsection{Crash-course de théorie de Galois} + +Rappel : corps parfait = corps de caractéristique $0$ \emph{ou} de +caractéristique $p$ tel que tout élément ait une racine $p$-ième = +corps tel que tout polynôme irréductible soit à racines simples sur la +clôture algébrique. Exemples : $\mathbb{R}$, $\mathbb{Q}$, +$\mathbb{F}_q$ sont parfaits comme l'est tout corps algébriquement +clos. Contre-exemple : $\mathbb{F}_p(t)$ n'est pas parfait ($t$ n'a +pas de racine $p$-ième). + +Si $k$ est un corps parfait (et qu'on en fixe une fois pour toutes une +clôture algébrique), on note $\Gal(k)$ ou $\Gamma_k$ et on appelle +\textbf{groupe de Galois absolu} de $k$ le groupe des automorphismes +de corps de sa clôture algébrique qui laissent $k$ fixe +(i.e. $\sigma(x) = x$ pour tout $x\in k$). + +\textbf{Exemples :} $\Gamma_{\mathbb{R}} = \{\id_{\mathbb{C}}, +(z\mapsto\bar z)\}$ est le groupe cyclique d'ordre $2$. Si $k$ est +algébriquement clos, $\Gamma_k$ est trivial. Si $k = \mathbb{F}_q$ +est fini, $\Gamma_{\mathbb{F}_q}$ contient au moins toutes les +puissances $\Frob_q^i \colon x \mapsto x^{q^i}$ du Frobenius +$\Frob_q\colon x \mapsto x^q$ ; il contient en fait d'autres éléments, +mais « en gros » il n'y a que les puissances du Frobenius (au sens : +la restriction de tout $\sigma \in \Gamma_{\mathbb{F}_q}$ à un +$\mathbb{F}_{q^n}$ est de la forme $\Frob_q^i$ pour un certain $i \in +\mathbb{Z}$ (qu'on peut voir dans $\mathbb{Z}/n\mathbb{Z}$ si on +préfère) ; en tout cas, pour voir qu'un élément de $k^{\alg}$ (ou de +n'importe quoi qui sera considéré plus bas) est fixé/stable par +$\Gamma_{\mathbb{F}_q}$, il suffit de vérifier qu'il est fixé/stable +par $\Frob_q$. + +\begin{thm}\label{rational-iff-fixed-by-galois} +Si $k$ est un corps parfait de clôture algébrique $k^{\alg}$, un +élément $x$ de $k^{\alg}$ appartient à $k$ si [et seulement si, mais + ça c'est juste la définition de $\Gamma_k$] on a $\sigma(x) = x$ +pour tout $\sigma \in \Gamma_k$. +\end{thm} + +Slogan : « rationnel = fixé par Galois ». + +Si $k \subseteq K$ est une extension algébrique (on note parfois ça +$K/k$, mauvaise notation car elle fait penser à un quotient), si $k$ +est parfait alors $K$ l'est aussi, et $\Gamma_{K}$ est un sous-groupe +de $\Gamma_k$. Ce sous-groupe est \emph{distingué} exactement lorsque +$\sigma(K) = K$ (c'est-à-dire $K$ est \emph{globalement} stable +par $\sigma$, pas nécessairement fixé point à point) pour tout +$\sigma\in\Gamma_k$ : dans ce cas on dit que $K$ est une +\textbf{extension galoisienne} de $k$, et on pose $\Gal(k\subseteq K) += \Gamma_k/\Gamma_{K}$, qui s'appelle groupe de Galois de l'extension +$k \subseteq K$. Il peut se voir comme l'ensemble des automorphismes +de $K$ laissant $k$ fixe. Remarque : si $\Gamma_k$ est abélien (c'est +le cas de $\mathbb{F}_q$), \emph{toute} extension algébrique de $k$ +est galoisienne. + +\begin{thm} +\begin{itemize} +\item Si $k\subseteq K$ est une extension finie (donc algébrique) + galoisienne, alors un élément $x$ de $K$ appartient à $k$ si [et + seulement si] on a $\sigma(x) = x$ pour tout $\sigma \in + \Gal(k\subseteq K)$. De plus, il y a une bijection entre extensions + intermédiaires $k \subseteq E \subseteq K$ et sous-groupes de + $\Gal(k\subseteq K)$ donnée par $E \mapsto \Gamma_E/\Gamma_K = + \Gal(E\subseteq K)$ et réciproquement $H \mapsto \{x \in K + :\penalty-100 (\forall \sigma \in H)\, \sigma(x)=x\}$. (Note : + l'extension $E \subseteq K$ est toujours galoisienne (on rappelle + que $k \subseteq K$ était supposée l'être !), et $k \subseteq E$ + l'est lorsque $\Gal(E\subseteq K)$ est distingué dans + $\Gal(k\subseteq K)$.) +\item Version absolue : pour $k$ parfait, il y a une bijection entre + les extensions finies (et en particulier, algébriques) $k\subseteq + K$ de $k$ dans une clôture algébrique $k^{\alg}$ fixée, et les + sous-groupes de $\Gamma_k$ qui sont « ouverts » au sens où ils + contiennent un $\Gamma_{k'}$ pour $k'$ extension finie de $k$. +\end{itemize} +\end{thm} + +La première partie du résultat suivant est une conséquence triviale +de \ref{rational-iff-fixed-by-galois}, la seconde est beaucoup plus +subtile. +\begin{thm} +Pour $k$ parfait : +\begin{itemize} +\item Si $x \in \mathbb{A}^d(k^{\alg})$ est fixé par $\Gamma_k$, alors + $x \in \mathbb{A}^d(k)$ (au sens où ses coordonnées affines sont + dans $k$). +\item Si $x \in \mathbb{P}^d(k^{\alg})$ est fixé par $\Gamma_k$, alors + $x \in \mathbb{P}^d(k)$ (au sens où \emph{il admet} des coordonnées + homogènes dans $k$). +\end{itemize} +\end{thm} + + + +\subsection{Variétés sur un corps non algébriquement clos} + +Soit $k$ un corps parfait. Si $I$ est un idéal de +$k[t_1,\ldots,t_d]$, on définit l'idéal $I_{k^{\alg}} := I\cdot +k^{\alg}[t_1,\ldots,t_d]$ engendré par $I$ dans +$k^{\alg}[t_1,\ldots,t_d]$. + +\begin{prop} +\begin{itemize} +\item L'idéal $I_{k^{\alg}}$ est radical si et seulement si $I$ l'est. +\item Un idéal $J$ de $k^{\alg}[t_1,\ldots,t_d]$ est de la forme + $I_{k^{\alg}}$ pour $I$ idéal de $k[t_1,\ldots,t_d]$ si et seulement + si $\sigma(J) = J$ pour tout $\sigma \in \Gamma_k$. Lorsque c'est + le cas, $I = J \cap k[t_1,\ldots,t_d]$. +\item Lorsque $J$ est radical, c'est le cas (=$J$ est de la + forme $I_{k^{\alg}}$) si et seulement si $\sigma(Z(J)) = Z(J)$ dans + $\mathbb{A}^d(k^{\alg})$. Remarque : $Z(J) = Z(I)$ dans + $\mathbb{A}^d(k^{\alg})$. +\item On a des bijections réciproques, décroissantes pour l'inclusion, + entre idéaux radicaux de $k[t_1,\ldots,t_d]$ et fermés de Zariski de + $\mathbb{A}^d(k^{\alg})$ stables par Galois, donnée par $I \mapsto + Z(I_{k^{\alg}})$ et $E \mapsto \mathfrak{I}(E) \cap + k[t_1,\ldots,t_d]$. +\end{itemize} +\end{prop} + +On qualifiera un fermé de Zariski $X$ de $\mathbb{A}^d(k^{\alg})$ +stable par Galois de $k$-variété algébrique affine ou variété +algébrique affine \emph{sur $k$} (moralité : c'est une variété dont +les équations peuvent être définies sur $k$). On qualifie alors les +éléments de $X \cap k^d$ (c'est-à-dire les points de $X$ dont les +coordonnées sont dans $k$, ou les solutions \emph{dans $k$} des +équations de $X$) de $k$-points de $X$, et on note généralement $X(k)$ +cet ensemble. (Ainsi, $X(k^{\alg})$ est la même chose que $X$.) + +\emph{Attention}, $X(k)$ ne détermine pas $X$ ; notamment, cet +ensemble peut très bien être vide sans que $X$ le soit (car le +Nullstellensatz ne fonctionne que sur un corps algébriquement clos). +Par exemple, $Z(x^2+y^2+1) \subseteq \mathbb{A}^2$ définit une variété +algébrique affine sur $\mathbb{R}$ qui n'a aucun $\mathbb{R}$-point. + +La même chose fonctionne en projectif : on a des bijections +réciproques, décroissantes pour l'inclusion, entre idéaux homogènes +radicaux de $k[t_0,\ldots,t_d]$ autres que $(t_0,\ldots,t_d)$ et +fermés de Zariski de $\mathbb{P}^d(k^{\alg})$ stables par Galois, +donnée par $I \mapsto Z(I_{k^{\alg}})$ et $E \mapsto \mathfrak{I}(E) +\cap k[t_0,\ldots,t_d]$. + +On appelle variété quasiprojective sur $k$ une variété quasiprojective +$X$ (dans $\mathbb{P}^d$) sur $k^{\alg}$ qui soit stable par Galois +(moralité : c'est une variété dont les équations peuvent être définies +sur $k$). On peut donc définir une action de Galois sur +$X(k^{\alg})$, et $X(k)$ est l'ensemble des points fixés par Galois +(et pour toute extension $k'$ de $k$, l'ensemble $X(k')$ est le +sous-ensemble de $X(k^{\alg})$ fixé par $\Gamma_{k'}$). + +Pour éviter les confusions, on note souvent $X_{k^{\alg}}$ la variété +sur $k^{\alg}$ définie par $X$ (c'est-à-dire celle où on oublie la +structure sur $k$ / l'action de Galois). + +\medbreak + +\underline{Attention :} si un idéal $I \subseteq k[t_1,\ldots,t_d]$ est premier +(cela signifie qu'il est radical et que la variété $X = Z(I) \subseteq +\mathbb{A}^d$ définie sur $k$ est irréductible au sens où elle n'est +pas réunion de deux fermés plus petits définis sur $k$), cela +n'implique pas que $I_{k^{\alg}}$ soit premier, c'est-à-dire que +$X_{k^{\alg}}$ soit irréductible ; par contre, la réciproque est +vraie. On dit parfois que $X$ est \emph{absolument irréductible} ou +\emph{géométriquement irréductible} lorsque $X_{k^{\alg}}$ est +irréductible. Contre-exemple : $Z(x^2+y^2)$ dans $\mathbb{A}^2$ +sur $\mathbb{R}$ n'est pas absolument irréductible puisque sur +$\mathbb{C}$ il est réunion des deux droites $Z(x+iy)$ et $Z(x-iy)$, +mais sur $\mathbb{R}$ il est irréductible car tout fermé défini +sur $\mathbb{R}$ qui contient une de ces droites doit contenir +l'autre. + +\medbreak + +Quant aux idéaux \emph{maximaux} de $k[t_1,\ldots,t_d]$, ils +correspondent aux \emph{orbites} sous $\Gamma_k$, c'est-à-dire aux +ensembles (nécessairement finis) de $k^{\alg}$-points tels que +n'importe lequel puisse être envoyé sur n'importe lequel par un +élément de $\Gamma_k$ (c'est-à-dire, si on préfère, qu'aucun +sous-ensemble non-vide n'est stable par $\Gamma_k$). (On peut, si on +le souhaite, considérer que ce sont là les « points » de l'espace +affine $\mathbb{A}^d$, auquel cas on les appelle « points fermés » +pour bien les distinguer des « $k$-points », c'est-à-dire les éléments +de $k^d$, ou orbites réduites à un seul élément.) Une remarque +analogue vaut pour des variétés algébriques sur $k$ plus générales : +les idéaux maximaux de $k[t_1,\ldots,t_d]/I$, pour $I$ idéal radical +de $k[t_1,\ldots,t_d]$, correspondent aux orbites sous $\Gamma_k$ de +$Z(I)(k^{\alg})$. + + + +\subsection{Morphismes entre icelles} + +Si $X$ et $Y$ sont deux variétés quasiprojectives sur un corps +parfait $k$, un morphisme $X_{k^{\alg}} \buildrel f\over\to +Y_{k^{\alg}}$ sera considéré comme un morphisme $X \to Y$ de +$k$-variétés lorsqu'il vérifie les conditions équivalentes suivantes : +\begin{itemize} +\item Il existe des équations à coefficients dans $k$ définissant $f$. +\item Le morphisme $f$ commute à l'action de Galois, au sens où + $\sigma(f(x)) = f(\sigma(x))$ pour tout $x \in X(k^{\alg})$. +\end{itemize} + +(Cas particulier éclairant : si $f \in \mathbb{F}_{q^n}[t]$, alors +$f(t)^q = f(t^q)$ si et seulement si $f \in \mathbb{F}_q[t]$.) + +En particulier, $f$ définit une application $X(k) \to Y(k)$, mais la +donnée de celle-ci \emph{ne suffit pas} à caractériser $f$ (penser au +fait que $X(k)$ peut très bien être vide !). + +\medbreak + +Pour les fonctions régulières, on a ce qu'on imagine : un morphisme $X +\to \mathbb{A}^1$ est la même chose qu'une fonction régulière sur +$X_{k^{\alg}}$ stable par Galois, et c'est ce qu'on appelle une +fonction régulière sur $X$. Lorsque $X = Z(I) \subseteq \mathbb{A}^d$ +est affine (avec $I = \mathfrak{I}(X)$ idéal de $k[t_1,\ldots,t_d]$), +les fonctions régulières sur $X$ sont les éléments de $\mathcal{O}(X) +:= k[t_1,\ldots,t_d]/I$, qui est donc plus petit que +$\mathcal{O}(X_{k^{\alg}}) = k^{\alg}[t_1,\ldots,t_d]/I_{k^{\alg}}$. +En général, on peut toujours définir une fonction régulière sur $X$ +par recollement de fonctions régulières sur des ouverts affines +(c'est-à-dire : on peut le faire \emph{sur $k$}, il n'y a pas besoin +de passer à la clôture algébrique). + + + +% +% +% + +\section{Quelques résultats fondamentaux de la géométrie algébrique} + +\subsection{L'opposition affine-projectif} + +\begin{thm}\label{projective-to-affine-morphisms-are-constant} +Tout morphisme d'une variété projective connexe vers une variété +affine est constant. (En particulier, toute fonction régulière sur +une variété projective, c'est-à-dire morphisme vers $\mathbb{A}^1$, +est constante sur chaque composante connexe.) +\end{thm} + + +% +\subsection{La dimension} + +\textbf{Rappel :} Si $K$ est un corps contenant un corps $k$, on dit +que des éléments $x_i$ de $K$ sont \textbf{algébriquement + indépendants} (comprendre : « collectivement transcendants ») +sur $k$ lorsque les seuls polynômes $f \in k[t_1,\ldots,t_d]$ tel que +$f(x_{i_1},\ldots,x_{i_d}) = 0$ pour certains $i_1,\ldots,i_d$ deux à +deux distincts sont les polynômes nuls. Ceci est équivalent au fait +que le sous-corps $k(x_i)$ de $K$ engendré par les $x_i$ avec $k$ est +isomorphe au corps des fractions rationnelles sur autant +d'indéterminées que de $x_i$ (il est plus simple de penser au cas où +les $x_i$ sont en nombre fini, qui nous suffira). On appelle +\textbf{base de transcendance} de $K$ sur $k$ un ensemble maximal +d'éléments algébriquement indépendants, c'est-à-dire, un ensemble de +$x_i$ algébriquement indépendants sur $k$ et tels que $K$ soit +algébrique sur le sous-corps $k(x_i)$ qu'ils engendrent au-dessus +de $k$. Une base de transcendance de $K$ sur $k$ existe toujours, et +toutes ont le même cardinal : on appelle celui-ci \textbf{degré de + transcendance} de $K$ sur $k$ et on le note $\degtrans_k(K)$. + +Par exemple, $\degtrans_k k(t_1,\ldots,t_d) = d$ (où +$k(t_1,\ldots,t_d)$ désigne le corps des fractions rationnelles en $d$ +indéterminées sur $k$). Lorsque $K$ est algébrique sur $k$, on a +$\degtrans_k K = 0$ et réciproquement. Par ailleurs, lorsque $k +\subseteq K \subseteq L$ sont trois corps, on a toujours $\degtrans_k L += \degtrans_k K + \degtrans_K L$. + +\begin{defn}\label{definition-rational-function-and-dimension} +Si $X$ est une variété \emph{irréductible} sur un corps $k$, on appelle +\textbf{fonction rationnelle} sur $X$ une fonction régulière sur un +ouvert non-vide=dense quelconque de $X$, en identifiant deux fonctions +si elles coïncident sur l'intersection de leur domaine de définition ; +on note $k(X)$ l'ensemble des fonctions régulières sur $X$. Lorsque +$X$ est une variété affine irréductible, $k(X)$ est le corps des +fractions (noté $k(X)$) de $\mathcal{O}(X)$ (=l'anneau des fonctions +régulières sur $X$, qui est intègre). De façon générale, $k(X)$ +coïncide avec $k(U)$ pour n'importe quel ouvert non-vide=dense $U$ +de $X$ (on peut donc définir $k(X) = \Frac \mathcal{O}(U)$ pour $U$ un +ouvert affine dense de $X$). + +On appelle \textbf{dimension de $X$} le degré de transcendance sur $k$ +de $k(X)$. +\end{defn} + +Pour $\mathbb{A}^d$ ou $\mathbb{P}^d$, le corps des fractions +rationnelles est $k(t_1,\ldots,t_d)$ et +$k(\frac{t_1}{t_0},\ldots,\frac{t_d}{t_0})$. La dimension de +$\mathbb{A}^d$ ou $\mathbb{P}^d$ est donc $d$. De façon générale, +d'après ce qu'on vient de dire, la dimension d'une variété +irréductible est égale à celle de n'importe lequel de ses ouverts +non-vides. + +(Lorsque $X$ n'est pas irréductible, on appelle dimension de $X$ la +plus grande dimension d'une composante irréductible de $X$. Parfois +on convient que la dimension du vide est $-1$.) + +La dimension de $X$ est une notion « géométrique » : on a $\dim X = +\dim X_{k^{\alg}}$. + +\begin{thm}[Hauptidealsatz de Krull]\label{hauptidealsatz} +Soit $X$ une variété irréductible de dimension $d$ et $f \in +\mathcal{O}(X)$ un élément qui n'est pas inversible (c'est-à-dire +$Z(f) \neq\varnothing$) et pas nul. Alors chaque composante +irréductible de $Z(f)$ est de dimension $d-1$. + +Variante projective : si $X$ est une variété irréductible de +dimension $d$ dans $\mathbb{P}^e$ et $f$ homogène (en $e+1$ variables) +non constant sur $X$. Alors chaque composante irréductible de $X \cap +Z(f)$ est de dimension $d-1$, \emph{et de plus $X \cap Z(f)$ n'est pas + vide}\footnote{On rappelle que « non vide » signifie ici que la + variété a des points sur $k^{\alg}$ algébriquement clos, pas + nécessairement qu'elle a des $k$-points.} lorsque $d\geq 1$. +\end{thm} + +\begin{cor} +Si $f_1,\ldots,f_r$ sont des polynômes homogènes en $e+1$ variables, +avec $r \leq e$, alors $Z(f_1,\ldots,f_r) \neq \varnothing$, +c'est-à-dire que sur $k$ corps algébriquement clos, les $r$ équations +$f_i=0$ ont une solution (non-nulle) commune. +\end{cor} + +De plus, $Z(f_1,\ldots,f_r)$ est de dimension \emph{au moins} $e-r$. +Il peut évidemment être de dimension plus grande (les $f_i$ pourraient +être tous égaux, par exemple). Lorsqu'il est exactement de dimension +$e-r$, on dit que les $f_i$ sont \emph{en intersection complète} +(projective, globale). + +\begin{cor} +Si $X$ est une variété algébrique (quasiprojective) irréductible de +dimension $d$, alors le seul fermé $Y$ de $X$ tel que $\dim Y = d$ est +$X$ lui-même. Par ailleurs, il existe toujours des fermés +irréductibles $Y$ de dimension $d-1$ dans $X$. + +Par conséquent, on peut définir la dimension de $X$ comme $1 + +\max\dim Y$ où le $\max$ est pris sur tous les fermés irréductibles +de $X$ différents de $X$ (et cette définition récursive a bien un sens !). +\end{cor} + +\begin{thm} +Soit $f\colon Z\to X$ un morphisme de variétés algébriques +(quasiprojectives) irréductibles, surjectif (au sens où pour tout $x +\in X$ il existe $z \in Z$ tel que $x = f(z)$, $x,z$ étant des points +sur un corps $k^{\alg}$ algébriquement clos, cf. la section +suivante), et soit $d = \dim X$ et $e = \dim Z$. Alors $e \geq d$, et +de plus : +\begin{itemize} +\item Si $x \in X$, alors toute composante de $f^{-1}(x)$ (cf. section + suivante) est de dimension \emph{au moins} $e-d$. +\item Il existe un ouvert non vide (donc dense) $U \subseteq X$ tel + que $\dim f^{-1}(x) = e - d$ (au sens où toute composante + irréductible de $f^{-1}(x)$ a cette dimension) si $x \in U$. +\end{itemize} +\end{thm} + +\medbreak + +Voici enfin un résultat qui permet, notamment avec les outils de la +section \ref{section-groebner-bases} (bases de Gröbner), de rendre +algorithmique le calcul des dimensions : + +\begin{thm} +\begin{itemize} +\item\textbf{Variante projective :} Soit $I$ un idéal homogène de + $k[t_0,\ldots,t_d]$. La fonction « de Hilbert-Samuel » qui à $\ell + \in \mathbb{N}$ associe la dimension (en tant que $k$-espace + vectoriel) $\dim_k k[t_0,\ldots,t_d]^{[\ell]}/I^{[\ell]} = + \frac{(d+\ell)!}{d!\,\ell!} - \dim_k I^{[\ell]}$ de l'ensemble des + polynômes homogènes de degré $\ell$ modulo ceux de $I$, coïncide + avec un polynôme (« de Hilbert-Samuel ») pour $\ell$ suffisamment + grand : le degré de ce polynôme est exactement la dimension de la + variété $Z(I) \subseteq \mathbb{P}^d$ définie par l'idéal $I$ (et en + particulier, les polynômes de Hilbert-Samuel de $I$ et $\surd I$ ont + même degré). + +De plus, en anticipant sur les définitions de la +section \ref{section-groebner-bases} : pour tout tout ordre +admissible $\preceq$, la fonction de Hilbert-Samuel de $I$ coïncide +avec celle de $\init_{\preceq}(I)$ et est égale au nombre de monômes +de degré $\ell$ qui n'appartiennent pas à $\init_{\preceq}(I)$. (Ceci +permet de la calculer à partir d'une base de Gröbner de $I$.) + +\item\textbf{Variante affine :} Soit $I$ un idéal de + $k[t_1,\ldots,t_d]$. La fonction « de Hilbert-Samuel affine » qui à + $\ell \in \mathbb{N}$ associe la dimension (en tant que $k$-espace + vectoriel) $\dim_k k[t_1,\ldots,t_d]^{[\leq\ell]}/I^{[\leq\ell]} = + \frac{(d+\ell)!}{d!\,\ell!} - \dim_k I^{[\ell]}$ de l'ensemble des + polynômes de degré total $\leq\ell$ modulo ceux de $I$, coïncide + avec un polynôme (« de Hilbert-Samuel affine ») pour $\ell$ + suffisamment grand : le degré de ce polynôme est exactement la + dimension de la variété $Z(I) \subseteq \mathbb{A}^d$ définie par + l'idéal $I$ (et en particulier, les polynômes de Hilbert-Samuel + affine de $I$ et $\surd I$ ont même degré). + +De plus, en anticipant sur les définitions de la +section \ref{section-groebner-bases} : pour tout tout ordre admissible +\emph{gradué} $\preceq$, la fonction de Hilbert-Samuel affine de $I$ +coïncide avec celle de $\init_{\preceq}(I)$ et est égale au nombre de +monômes de degré $\leq\ell$ qui n'appartiennent pas +à $\init_{\preceq}(I)$. (Ceci permet de la calculer à partir d'une +base de Gröbner de $I$.) +\end{itemize} +\end{thm} + +\textbf{Exemple :} Pour $\mathbb{P}^d$ (i.e., pour $I$ l'idéal nul), +le $k$-espace vectoriel $k[t_0,\ldots,t_d]^{[\ell]}$ des polynômes +homogènes de degré $\ell$ en $d+1$ indéterminées a pour base les +monômes de degré (total) $\ell$, qui sont au nombre de +$\frac{(d+\ell)!}{d!\,\ell!}$. C'est là la fonction de Hilbert-Samuel +de $\mathbb{P}^d$ (c'est aussi la fonction de Hilbert-Samuel affine de +$\mathbb{A}^d$), et son terme dominant vaut $\frac{1}{d!}\,\ell^d$, ce +qui est cohérent avec le fait que $\mathbb{P}^d$ (ou $\mathbb{A}^d$) +est de dimension $d$. + +Si on considère maintenant le cercle $C^+ = Z(x^2+y^2-z^2)$ +dans $\mathbb{P}^2$, les polynômes de degré $\ell$ en $x,y,z$ modulo +$z^2$ peuvent se réduire en un polynôme de degré $\ell$ en $x,y$, plus +$z$ fois un polynôme de degré $\ell-1$ en $x,y$ : leur dimension est +donc $2\ell+1$ (une base est donnée par $x^\ell,\penalty100 +x^{\ell-1}y,\ldots,\penalty200 y^\ell,\penalty-100 +x^{\ell-1}z,\penalty100 x^{\ell-2}yz,\ldots,\penalty200 y^{\ell-1}z$), +donc le polynôme de Hilbert-Samuel vaut $2\ell+1$. On voit ici que le +cercle est de dimension $1$. + + +% +\subsection{L'image d'un morphisme}\label{image-of-a-morphism} + +Si $X \buildrel f\over\to Y$ est un morphisme entre variétés +quasiprojectives et $Y' \subseteq Y$ un fermé ou un ouvert (ou +l'intersection d'un fermé et d'un ouvert) dans $Y$, il est facile de +définir l'\emph{image réciproque} de $Y'$ par $f$ : il suffit de +« tirer » les équations de $Y'$ de $Y$ à $X$, c'est-à-dire écrire les +équations $h\circ f = 0$ pour chaque équation $h = 0$ de $Y'$ (et +pareil avec $\neq 0$ si on a affaire à un ouvert). + +Définir l'\emph{image (directe)} d'un $X' \subseteq X$ est plus +délicat. Quitte à restreindre $f$ à $X'$, on peut supposer $X' = X$, +et la question devient celle de définir l'image de $f$ : notamment, quel +est l'ensemble des $y \in Y$ tels qu'il existe $x \in X$ ($x,y$ des +points sur $k^{\alg}$) pour lequel $f(x) = y$ ? + +\begin{thm}[Chevalley]\label{image-of-a-morphism-chevalley} +\begin{itemize} +\item L'image d'un morphisme $X \buildrel f\over\to Y$ entre variété + quasiprojectives est « constructible » dans $Y$, au sens suivant : + il existe $Y'_1,\ldots,Y'_s \subseteq Y$, chacun intersections d'un + ouvert et d'un fermé dans $Y$ (c'est-à-dire que chaque $Y'_i$ est + une sous-variété quasiprojective de $Y$), tels que, pour $y \in Y$, + on ait $\exists i (y \in Y'_i)$ si et seulement si il existe $x \in + X$ pour lequel $f(x) = y$. +\item Si $X$ est projective, alors l'image d'un morphisme $X \buildrel + f\over\to Y$ est un \emph{fermé} dans $Y$. +\end{itemize} +\end{thm} + + +% +\subsection{Vecteurs tangents, points lisses, et différentielles} +\label{subsection-tangent-vectors-and-smooth-points} + +Si $X = Z(I) \subseteq \mathbb{A}^d$ est une variété affine où $I$ est +un idéal radical engendré par $f_1,\ldots,f_r \in k[t_1,\ldots,t_d]$, +et si $x \in X(k)$ (on prendra généralement $k$ algébriquement clos +ici), on appelle \textbf{vecteur tangent à $X$ en $x$} un élément du +noyau de la matrice $\left.\frac{\partial f_i}{\partial + t_j}\right|_{x_1,\ldots,x_d}$, c'est-à-dire un $d$-uplet $v_1,\ldots,v_d$ +tel que $\sum_{j=1}^d \left.\frac{\partial f_i}{\partial + t_j}\right|_{x_1,\ldots,x_d}\, v_j = 0$. Intuitivement, il faut comprendre +un tel élément comme un vecteur basé en $(x_1,\ldots,x_d)$ et le +reliant à $(x_1+v_1 \varepsilon, \ldots, x_d+v_d\varepsilon)$ avec +$\varepsilon$ infinitésimal ($\varepsilon^2=0$). L'espace vectoriel +des vecteurs tangents à $X$ en $x$ (ou simplement \textbf{espace + tangent à $X$ en $x$}) se note $T_x X$. + +Si $X$ est une variété algébrique quasiprojective quelconque, on +rappelle que tout point $x \in X$ a un voisinage affine $V$, et on +définit alors $T_x X = T_x V$. (Cette définition passe sous silence +un certain nombre de choses, par exemple la manière dont on identifie +$T_x V$ et $T_x V'$ si $V,V'$ sont deux voisinages affines différents +du même point $x$, à commencer par le fait qu'ils ont la même +dimension : cela est en fait justifié par la notion de différentielle +d'un morphisme, expliquée plus bas.) + +\medbreak + +\begin{prop} +Si $X$ est une variété algébrique quasiprojective irréductible sur un +corps $k$, pour tout $x \in X$ on a $\dim_k T_x X \geq \dim X$. +\end{prop} + +Un point $x$ tel que l'espace tangent $T_x X$ à $X$ en ce point soit +d'une dimension (comme espace vectoriel) égale à la dimension de $X$ +(comme variété algébrique), c'est-à-dire la dimension minimale que +peut avoir cet espace tangent, est appelé un point \textbf{lisse} (ou +\textbf{régulier}, ou \textbf{nonsingulier}) de $X$. Lorsque tout +point de $X$ (sur un corps algébriquement clos !) est lisse, on dit +que $X$ lui-même est lisse (ou régulier) (sur son corps de base). + +(Pour une variété réductible, un point situé sur une seule composante +irréductible est dit lisse lorsqu'il est lisse sur la composante en +question ; et un point situé sur plusieurs composantes irréductibles à +la fois n'est jamais lisse --- on peut prendre ça comme définition ou +le montrer en prenant comme définition de la lissité le fait que la +dimension de l'espace tangent au point considéré soit égale à la plus +grande dimension d'une composante irréductible passant par ce point.) + +\begin{prop} +Soit $X$ une variété quasiprojective sur un corps algébriquement +clos $k$ : alors les points lisses de $X$ forment un ouvert de +Zariski. +\end{prop} +\begin{proof} +L'affirmation est locale, donc on peut supposer $X$ affine. Si $X$ +est de codimension $r$ (c'est-à-dire de dimension $d-r$ +dans $\mathbb{A}^d$), le fait que $x$ soit lisse se traduit par le +fait que la matrice des dérivées partielles en $x$ des équations +définissant $X$ est de rang \emph{au moins} $r$ (sachant qu'elle ne +peut pas être strictement supérieure). Or ceci se traduit par le fait +qu'il existe un mineur $r\times r$ de cette matrice qui ne s'annule +pas : la réunion des ouverts définis par tous les mineurs $r\times r$ +(qui sont bien polynomiaux dans les variables) donne bien une +condition ouverte de Zariski. +\end{proof} + +\begin{rmk} +\begin{itemize} +\item D'après \ref{hauptidealsatz}, une hypersurface $Z(f)$ + dans $\mathbb{A}^d$, pour $f$ non constant, est de dimension $d-1$, + donc elle est lisse ssi aucun point de $Z(f)$ n'annule simultanément + les $d$ dérivées partielles de $f$. Grâce au Nullstellensatz, ceci + peut encore se reformuler en : $Z(f)$ est lisse ssi les polynômes + $f$ et $\frac{\partial f}{\partial t_i}$ (soit $d+1$ polynômes au + total) engendrent l'idéal unité de $k[t_1,\ldots,t_d]$. +\item Variante projective : pour $f$ homogène de degré non nul dans + $k[t_0,\ldots,t_d]$, on peut montrer que $Z(f) \subseteq + \mathbb{P}^d$ est lisse ssi les polynômes $\frac{\partial + f}{\partial t_i}$ n'ont aucun zéro commun sur $k$ (algébriquement + clos !), car un zéro commun des $\frac{\partial f}{\partial t_i}$ + est forcément zéro de $\deg(f)\cdot f = \sum_{i=0}^d t_i \frac{\partial + f}{\partial t_i}$. Grâce au Nullstellensatz projectif, on peut + encore reformuler cela en : les $\frac{\partial f}{\partial t_i}$ + engendrent un idéal irrelevant. +\item Quand $X = Z(f_1,\ldots,f_r)$ (affine, disons + dans $\mathbb{A}^d$) est définie par plusieurs polynômes + $f_1,\ldots,f_r$, \emph{si} la matrice $\frac{\partial f_i}{\partial + t_j}$ est de rang $r$ en un point de $X = Z(f_1,\ldots,f_r)$, on + peut conclure que ce point est lisse et que $X$ est de + dimension $d-r$. En revanche, lorsque le rang est plus petit + que $r$, on ne peut pas conclure sauf en connaissant la dimension + de $X$. +\end{itemize} +\end{rmk} + +\begin{prop} +Soit $X$ une variété quasiprojective : alors il existe un point lisse +de $X$ sur un corps algébriquement clos $k$ --- par conséquent, il +existe un ouvert dense de points lisses sur une variété +quasiprojective irréductible. +\end{prop} + +Ceci permet parfois de calculer la dimension d'une variété, en +reformulant en : la dimension d'une variété irréductible $X$ est le +\emph{minimum} des dimensions des espaces vectoriels $T_x X$ (donc, +dans $\mathbb{A}^d$, la codimension est le plus grand rang possible +que prend la matrice des dérivés partielles). + +\medbreak + +\textbf{Différentielle d'un morphisme.} Si $h\colon X\to Y$ est un +morphisme entre variétés quasiprojectives sur un corps algébriquement +clos $k$ et $x \in X$, on a une application $dh_x\colon T_x X \to +T_{h(x)} Y$ qui est définie de la façon suivante. Quitte à remplacer +$X$ par un voisinage affine de $x$ et $Y$ par un voisinage affine de +$h(x)$, on peut supposer que $X$ et $Y$ sont affines. Dans ce cadre, +si $X$ est défini par des équations\footnote{Ce genre de formulation + sous-entend non seulement que $X = Z(f_1,\ldots,f_r)$ mais, plus + fortement, que l'idéal $(f_1,\ldots,f_r)$ est \emph{radical}, + c'est-à-dire que c'est $\mathfrak{I}(X)$.} $f_1=\cdots=f_r = 0$ +dans $\mathbb{A}^d$ (de sorte que $T_x X$ se voit comme l'ensemble des +$(v_i)$ tels que $\sum_{j=1}^d \left.\frac{\partial f_i}{\partial + t_j}\right|_{x_1,\ldots,x_d}\, v_j = 0$) et $Y$ par $g_1=\cdots=g_s = 0$ +dans $\mathbb{A}^e$ (de sorte que $T_y Y$ se voit comme l'ensemble des +$(w_i)$ tels que $\sum_{j=1}^e \left.\frac{\partial g_i}{\partial + u_j}\right|_{y_1,\ldots,y_d}\, w_j = 0$), et le morphisme $h$ par des +polynômes $(h_1,\ldots,h_e)$ (vérifiant $g_i(h_1,\ldots,h_e) \equiv 0$ +modulo $f_1,\ldots,f_r$) envoyant $(x_1,\ldots,x_d)$ sur +$(h_1(x_1,\ldots,x_d),\ldots,\penalty-100 h_e(x_1,\ldots,x_d))$, alors +$dh_x$ envoie $(v_1,\ldots,v_d)$ sur $(w_1,\ldots,w_e)$ où $w_i = +\sum_{j=1}^d \left.\frac{\partial h_i}{\partial t_j} +\right|_{x_1,\ldots,x_d}\, v_j$ (et la condition +souhaitée, $\sum_{i=1}^e w_j \left.\frac{\partial g_i}{\partial + u_j}\right|_{y_1,\ldots,y_d} = 0$ est une conséquence de la formule des +dérivées composées appliquée à $g_i(h_1,\ldots,h_e) \equiv 0$ : on a +$\sum_{j=1}^e \frac{\partial g_i}{\partial u_j} \frac{\partial + h_j}{\partial t_l}$ combinaison des $\frac{\partial +f_i}{\partial t_j}$). Cette application $dh_x$ est linéaire +(pour chaque $x$ donné) : on l'appelle \textbf{différentielle} du +morphisme $h$ au point $x$. + +Si $h = h'' \circ h'$, alors on a $dh_x = dh''_{h'(x)} \circ dh'_x$ +comme on s'y attend. + +\textbf{Lissité des morphismes.} On ne définira le concept de +morphisme lisse entre variétés quasiprojectives $X \to Y$ que lorsque +$Y$ elle-même est lisse. Plus exactement, on dit qu'un morphisme $X +\buildrel h\over\to Y$ est \emph{lisse} en un point $x \in X$ tel que +$Y$ soit lisse en $h(x)$, lorsque $dh_x \colon T_x X \to T_{h(x)} Y$ +est \emph{surjective}. On dit qu'un morphisme $X \to Y$, avec $Y$ +lisse, est lisse (partout) lorsque la différentielle est surjective en +tout point. Une conséquence importante de la lissité de $h$ est que +la fibre $h^{-1}(y)$ est elle-même lisse (en tant que variété, un +fermé à l'intérieur de $X$) pour chaque $y\in Y$. + + + +% +% +% + +\section{Introduction aux bases de Gröbner}\label{section-groebner-bases} + +(À part pour la proposition \ref{projection-by-elimination}, toute +cette partie ne dépend que de la partie \ref{commutative-algebra} et +d'aucune des suivantes.) + +\subsection{Monômes et idéaux monomiaux} + +On appelle \textbf{monôme} de $k[t_1,\ldots,t_d]$ un +$t_1^{\ell_1}\cdots t_d^{\ell_d}$. On dit qu'un monôme +$t_1^{\ell_1}\cdots t_d^{\ell_d}$ \textbf{divise} un monôme +$t_1^{\ell'_1}\cdots t_d^{\ell'_d}$ lorsque $\ell_i \leq \ell'_i$ pour +tout $i$ (c'est bien la relation de divisibilité dans l'anneau +factoriel $k[t_1,\ldots,t_d]$, restreinte aux monômes, et le rapport +est alors lui-même un monôme). Un \textbf{terme} est un monôme +multiplié par une constante (=élément de $k$) non nulle : on parle +alors du monôme \emph{de} ce terme. Tout polynôme s'écrit de façon +unique comme somme de termes dont les monômes sont distincts : ce sont +les termes de (=intervenant dans) ce polynôme. + +Commençons par la remarque suivante, qui est évidente, mais +essentielle : +\begin{prop}\label{divisibility-of-monomials} +Si $s_1,\ldots,s_r$ sont des monômes de $k[t_1,\ldots,t_d]$, alors +pour chaque terme $c s$ de $g_1 s_1 + \cdots + g_r s_r$ (où +$g_1,\ldots,g_r \in k[t_1,\ldots,t_d]$) le monôme $s$ de ce terme est +divisible par l'un des $s_i$. +\end{prop} +\begin{proof} +En développant l'écriture $g_1 s_1 + \cdots + g_r s_r$, puisque la +somme comporte le terme $c s$, au moins un des facteurs comporte un +terme dont le monôme est $s$, ce qui montre bien que $s$ est divisible +par un des $s_i$. +\end{proof} + +\begin{cor} +Si $s_1,\ldots,s_r$ sont des monômes de $k[t_1,\ldots,t_d]$, l'idéal +qu'ils engendrent est exactement l'idéal des polynômes dont le monôme +de chaque terme est divisible par un des $s_i$. +\end{cor} +\begin{proof} +On vient de montrer que si $f$ est dans $(s_1,\ldots,s_r)$ alors le +monôme de chaque terme de $f$ est divisible par un des $s_i$. +Réciproquement, si c'est le cas, $f$ est somme de termes multiples +des $s_i$, qui appartiennent donc à l'idéal engendré par les $s_i$. +\end{proof} + +On appelle \textbf{idéal monomial} un idéal de $k[t_1,\ldots,t_d]$ qui +peut être engendré par des monômes : le corollaire ci-dessus montre +que si $I$ est un idéal monomial, alors tout terme d'un élément de $I$ +est encore un élément de $I$. Réciproquement, si $I$ est un idéal tel +que tout terme d'un élément de $I$ soit un élément de $I$, alors $I$ +est monomial (en effet, on peut choisir un ensemble de générateurs +de $I$, et les monômes des termes de ces générateurs donnent des +éléments de $I$ qui engendrent les générateurs choisis, donc +engendrent $I$). + + + +% +\subsection{Ordres admissibles sur les monômes} + +On appelle \textbf{ordre admissible} (ou \textbf{ordre monomial}) sur +les monômes de $k[t_1,\ldots,t_d]$ une relation d'ordre total +$\preceq$ sur les monômes de ce dernier telle que : +\begin{itemize} +\item $1 \preceq s$ pour tout monôme $s$, et +\item si $s_1 \preceq s_2$ et $s$ est un monôme quelconque, alors $s + s_1 \preceq s s_2$. +\end{itemize} +(On notera souvent abusivement $c s \preceq c' s'$, lorsque $cs, c's'$ +sont deux termes, pour signifier que leurs monômes vérifient $s +\preceq s'$.) + +Si de plus l'ordre vérifie la propriété que $\deg s < \deg s'$ +implique $s \preceq s'$, on dit qu'il est \textbf{gradué}. + +\begin{prop}\label{properties-of-admissible-orders} +Si $\preceq$ est un ordre admissible sur les monômes de +$k[t_1,\ldots,t_d]$, alors +\begin{itemize} +\item si $s_1 | s_2$ alors $s_1 \preceq s_2$, +\item $\preceq$ est un bon ordre (c'est-à-dire : tout ensemble non + vide de monômes a un plus petit élément pour $\preceq$, ou de façon + équivalente, il n'y a pas de suite infinie strictement décroissante + de monômes pour $\preceq$). +\end{itemize} +\end{prop} +\begin{proof} +Le premier point est évident : si $s_2 = s s_1$ alors $1 \preceq s$ +entraîne $s_1 \preceq s s_1 = s_2$. Montrons le second : si $S$ est +un ensemble de monômes, soit $I$ l'idéal qu'ils engendrent ; comme +$k[t_1,\ldots,t_d]$ est noethérien, il existe un sous-ensemble fini +$S_0 \subseteq S$ qui engendre le même idéal $I$. Soit $s$ le plus +petit élément de $S_0$ : on prétend que $s$ est aussi le plus petit +élément de $S$. En effet, si $s' \in S$ alors $s' \in I$ donc $s'$ +s'écrit comme combinaison d'éléments de $S_0$, mais alors +d'après \ref{divisibility-of-monomials}, $s'$ est simplement multiple d'un +élément de $S_0$, et d'après le premier point, $s\preceq s'$, ce qui +conclut. +\end{proof} + +Lorsque $d=1$, le seul ordre admissible sur les monômes est évidemment +celui donné par $t^\ell \preceq t^{\ell'}$ ssi $\ell \leq \ell'$. + +Une fois fixé un ordre admissible $\preceq$ sur les monômes, si $f \in +k[t_1,\ldots,t_d]$ est non nul, on note $\init_{\preceq}(f)$ (ou +simplement $\init(f)$ si l'ordre est sous-entendu) et on appelle +\textbf{terme initial} (ou \textbf{terme de tête}) de $f$ le terme au +\emph{plus grand} monôme pour l'ordre en question. (Lorsque $d=1$, +pour le seul ordre admissible sur les monômes, ceci est simplement le +terme dominant de $f$.) Si $f=0$ on pose (un peu abusivement) +$\init(f) = 0$. + +\medbreak + +Exemples importants d'ordres admissibles sur les monômes : (on +supposera toujours, quitte à renuméroter les variables, que $t_1 +\preceq t_2 \preceq \cdots \preceq t_d$) : + +* L'\textbf{ordre lexicographique (pur)} est défini par $t_1^{\ell_1} +\cdots t_d^{\ell_d} \mathrel{\preceq_{\mathtt{lex}}} t_1^{\ell'_1} +\cdots t_d^{\ell'_d}$ ssi $\ell_i < \ell'_i$ pour le \emph{plus + grand} $i$ tel que $\ell_i \neq \ell'_i$. Pour cet ordre on a donc +$1 \preceq t_1 \preceq t_1^2 \preceq t_1^3 \preceq \cdots \preceq t_2 +\preceq t_1 t_2 \preceq t_1^2 t_2 \preceq \cdots \preceq t_2^2 \preceq +t_1 t_2^2 \preceq \cdots \preceq t_2^3 \preceq \cdots \preceq t_3 +\preceq t_1 t_3 \preceq t_1^2 t_3 \preceq \cdots \preceq t_2 t_3 +\preceq t_1 t_2 t_3 \preceq \cdots \preceq t_3^2 \preceq \cdots +\preceq t_4 \preceq \cdots$. (Attention, l'ordre donne le poids fort +à l'exposant de la dernière variable, ce qui correspond à la +convention faite $t_1 \preceq t_2 \preceq \cdots \preceq t_d$ ; plus +généralement, tout ordre total sur l'ensemble des variables définit un +unique ordre lexicographique pur associé.) + +\emph{Caractérisation :} Si $\init_{\mathtt{lex}}(f) \in +k[t_1,\ldots,t_s]$ (pour un $s\leq d$) alors $f \in +k[t_1,\ldots,t_s]$. + +* L'\textbf{ordre lexicographique par degré} ou \textbf{ordre + lexicographique gradué} est défini par $t_1^{\ell_1} \cdots +t_d^{\ell_d} \mathrel{\preceq_{\mathtt{glex}}} t_1^{\ell'_1} \cdots +t_d^{\ell'_d}$ ssi $\sum \ell_i < \sum \ell'_i$ ou $\sum \ell_i = \sum +\ell'_i$ et $\ell_i < \ell'_i$ pour le \emph{plus grand} $i$ tel que +$\ell_i \neq \ell'_i$. Autrement dit, les monômes sont classés par +degré total en priorité puis, faute de cela, par l'ordre +lexicographique pur défini ci-dessus. Pour cet ordre, on a donc $1 +\preceq t_1 \preceq t_2 \preceq t_3 \preceq t_4 \preceq \cdots \preceq +t_1^2 \preceq t_1 t_2 \preceq t_2^2 \preceq t_1 t_3 \preceq t_2 t_3 +\preceq t_3^2 \preceq \cdots \preceq t_1^3 \preceq t_1^2 t_2 \preceq +t_1 t_2^2 \preceq t_2^3 \preceq t_1^2 t_3 \preceq t_1 t_2 t_3 \preceq +\cdots$. (Même remarque que ci-dessus : il y a un tel ordre pour +chaque ordre total sur les variables.) + +\emph{Caractérisation :} L'ordre $\mathrel{\preceq_{\mathtt{glex}}}$ +raffine l'ordre partiel donné par le degré total ; et si $f$ homogène +vérifie $\init_{\mathtt{glex}}(f) \in k[t_1,\ldots,t_s]$ (pour +un $s\leq d$) alors $f \in k[t_1,\ldots,t_s]$. + +* L'\textbf{ordre lexicographique inversé par degré} (ou +\textbf{...gradué}) est défini par $t_1^{\ell_1} \cdots t_d^{\ell_d} +\mathrel{\preceq_{\mathtt{grevlex}}} t_1^{\ell'_1} \cdots +t_d^{\ell'_d}$ ssi $\sum \ell_i < \sum \ell'_i$ ou $\sum \ell_i = \sum +\ell'_i$ et $\ell_i > \ell'_i$ (attention au sens !) pour le +\emph{plus petit} $i$ tel que $\ell_i \neq \ell'_i$. Pour cet ordre, +on a donc $1 \preceq t_1 \preceq t_2 \preceq t_3 \preceq t_4 \preceq +\cdots \preceq t_1^2 \preceq t_1 t_2 \preceq t_1 t_3 \preceq t_1 t_4 +\preceq \cdots \preceq t_2^2 \preceq t_2 t_3 \preceq \cdots \preceq +t_3^2 \preceq \cdots \preceq t_1^3 \preceq t_1^2 t_2 \preceq t_1^2 t_3 +\preceq \cdots \preceq t_1 t_2^2 \preceq t_1 t_2 t_3 \preceq \cdots +\preceq t_2^3 \preceq \cdots$. (Même remarque que ci-dessus : il y a +un tel ordre pour chaque ordre total sur les variables. De plus, +$\mathrel{\preceq_{\mathtt{grevlex}}}$ et +$\mathrel{\preceq_{\mathtt{glex}}}$ coïncident lorsqu'il n'y a que +deux variables, une fois fixé l'ordre entre celles-ci.) + +\emph{Caractérisation :} L'ordre +$\mathrel{\preceq_{\mathtt{grevlex}}}$ raffine l'ordre partiel donné +par le degré total ; et si $f$ homogène vérifie +$\init_{\mathtt{grevlex}}(f) \in (t_1,\ldots,t_s)$ (pour un $s\leq d$) +alors $f \in (t_1,\ldots,t_s)$. + + +% +\subsection{Bases de Gröbner} + +Si $I$ est un idéal de $k[t_1,\ldots,t_d]$ (et $\preceq$ un ordre +admissible), on appelle $\init_{\preceq}(I)$ l'idéal engendré par les +$\init_{\preceq}(f)$ pour tous les $f\in I$ (c'est donc un idéal +monomial). Attention ! il n'y a aucune raison que prendre les +$\init_{\preceq}(f)$ pour $f$ parcourant des générateurs de $I$ suffise +à engendrer $\init_{\preceq}(I)$. + +\begin{defn} +Si $I$ est un idéal de $k[t_1,\ldots,t_d]$ et $\preceq$ un ordre +admissible sur les monômes de ce dernier, on appelle \textbf{base de + Gröbner} de $I$ un ensemble $f_1,\ldots,f_r$ d'éléments de $I$ tels +que $\init_{\preceq}(f_1),\ldots,\init_{\preceq}(f_r)$ +engendrent $\init_{\preceq}(I)$. +\end{defn} + +A priori, rien ne dit que $f_1,\ldots,f_r$ engendrent $I$. C'est +pourtant le cas : +\begin{prop} +Dans les conditions ci-dessus, on a $I = (f_1,\ldots,f_r)$. +\end{prop} +\begin{proof} +On a $I \supseteq (f_1,\ldots,f_r)$ puisque les $f_i$ sont supposés +dans $I$. Supposons maintenant qu'il n'y ait pas égalité. Soit $h +\in I$ un polynôme avec le monôme dans $\init(h)$ le plus petit +possible (pour $\preceq$) tel que $h \not\in (f_1,\ldots,f_r)$. +Puisque $\init(h) \in \init(I)$, on peut écrire $\init(h) = g_1 +\init(f_1) + \cdots + g_r \init(f_r)$ par l'hypothèse faite sur +les $f_i$ (pour certains $g_1,\ldots,g_r$). +D'après \ref{divisibility-of-monomials}, ceci montre que $\init(h) = c s +\init(f_i)$ pour un certain monôme $s$ et $c$ une constante. On a +alors $s f_i \in I$, et $\init(c s f_i) = c s \init(f_i) = \init(h)$, +donc $h - c s f_i$, qui appartient à $I$, a un terme initial de monôme +strictement plus petit que $h$, donc par minimalité de ce dernier, $h +- c s f_i \in (f_1,\ldots,f_r)$. Mais alors $h \in (f_1,\ldots,f_r)$, +une contradiction. +\end{proof} + +Une évidence : tout idéal admet une base de Gröbner. En effet, parmi +les $\init(f)$ pour $f\in I$ qui engendrent $\init(I)$ on peut +extraire un ensemble fini engendrant $\init(I)$ --- il s'agit d'une +base de Gröbner de $I$. + +\begin{algo}[algorithme de division]\label{division-algorithm} +Soient $f,f_1,\ldots,f_r \in k[t_1,\ldots,t_d]$ et $\preceq$ un ordre +admissible sur les monômes. Alors il existe une écriture +\[ +f = g_1 f_1 + \cdots + g_r f_r + \rho +\tag{$*$} +\] +où $g_1,\ldots,g_r,\rho \in k[t_1,\ldots,t_d]$, où aucun des monômes +de $\rho$ n'est divisible par un des $\init(f_i)$, et où $\init(g_i +f_i) \preceq \init(f)$ pour chaque $i$ ; et on va donner un algorithme +pour calculer cette écriture ; un tel $\rho$ s'appelle un +\textbf{reste} de $f$ par rapport au $f_1,\ldots,f_r$ et pour l'ordre +monomial $\preceq$ (on dit aussi que l'écriture ($*$) s'appelle une +\textbf{écriture standard} de $f$ par rapport aux $f_1,\ldots,f_r$ et +pour cet ordre monomial). + +Lorsque les $f_1,\ldots,f_r$ forment une base de Gröbner (d'un +idéal $I = (f_1,\ldots,f_r)$), on a $f \in (f_1,\ldots,f_r)$ si et +seulement si $\rho = 0$, et $\rho$ est défini de façon unique par $f$. +\end{algo} + +\begin{proof}[Description de l'algorithme] +Si aucun terme de $f$ n'est divisible par aucun des $\init(f_i)$, +retourner $\rho = f$ (et tous les $g_i = 0$). Sinon, soit $c s +\init(f_i)$ (où $c\neq 0$ est une constante et $s$ un monôme) le +$\preceq$-plus grand terme de $f$ qui soit divisible par un +des $\init(f_i)$ : on applique récursivement l'algorithme à $f' = f - +c s f_i$ (qui vérifie $\init(f') \preceq \init(f)$), si $f' = g'_1 f_1 ++ \cdots + g'_r f_r + \rho'$ est le résultat, renvoyer $g_j = g'_j$ +sauf $g_i = g'_i + c s$, et $\rho = \rho'$. +\end{proof} + +\begin{proof} +L'algorithme termine car le $\preceq$-plus grand monôme de $f$ +divisible par un des $\init(f_i)$ décroît strictement à chaque +itération, or $\preceq$ est un bon ordre +(cf. \ref{properties-of-admissible-orders}). La propriété sur $\rho$ +est évidente. La propriété $\init(g_j f_j) \preceq \init(f)$ découle +par induction de $\init(g'_j f_j) \preceq \init(f') \preceq \init(f)$ +et $\init(c s f_i) = c s \init(f_i) = c\init(f)$. + +Si $\rho = 0$, le fait que $f \in (f_1,\ldots,f_r)$ est trivial. Si +$f_1,\ldots,f_r$ forment une base de Gröbner et $f \in +(f_1,\ldots,f_r)$, comme on a aussi $\rho \in (f_1,\ldots,f_r)$, alors +$\init(\rho) \in (\init(f_1),\ldots,\init(f_r))$, ce qui vu le fait +qu'aucun monôme de $\rho$ n'est divisible par un des $\init(f_i)$, +n'est possible que si $\rho = 0$ (cf. \ref{divisibility-of-monomials}) ; de +même, si $\rho$ et $\rho'$ sont deux restes différents du même $f$, +disons $f = g_1 f_1 + \cdots + g_r f_r + \rho$ et $f = g'_1 f_1 + +\cdots + g'_r f_r + \rho'$, alors $(g'_1-g_1) f_1 + \cdots + +(g'_r-g_r) f_r + (\rho'-\rho)$ est une écriture standard de $0$, donc +$\rho'=\rho$. +\end{proof} + +\textbf{Moralité :} Connaître une base de Gröbner d'un idéal $I$ +permet de répondre à la question de savoir si $f\in I$ pour un idéal +donné. Mieux, si $(f_1,\ldots,f_r)$ est cette base de Gröbner, +l'ensemble des classes des monômes qui ne sont divisibles par aucun +des $\init(f_i)$ constitue une base de $k[t_1,\ldots,t_d]/I$, ce qui, +avec l'algorithme de division, permet de calculer dans l'anneau en +question. + +Lorsque $f_1,\ldots,f_r$ ne forment pas une base de Gröbner, on peut +très bien avoir $\rho \neq 0$ et pourtant que $\rho$ +(c'est-à-dire, $f$) appartienne à l'idéal $(f_1,\ldots,f_r)$. Par +exemple, pour deux polynômes, $g_1 f_1 + g_2 f_2$ pourrait avoir un +terme initial beaucoup plus petit que ceux de $f_1,f_2$ à cause +d'une annulation entre ceux-ci (dans ce cas, l'algorithme de division +appliqué à $g_1 f_1 + g_2 f_2$ par rapport à $f_1,f_2$ donnerait $g_1 +f_1 + g_2 f_2$ lui-même comme reste, bien que ce polynôme appartienne +à $(f_1,f_2)$). L'algorithme de Buchberger pour calculer les bases de +Gröbner se fonde sur l'idée qu'il suffit d'éviter ce phénomène. + + +% +\subsection{L'algorithme de Buchberger} + +Soient $f_1,\ldots,f_r\in k[t_1,\ldots,t_d]$ : pour chaque +couple $(i,j)$ (où $i \neq j$), on définit le \textbf{polynôme de + syzygie} entre $f_i$ et $f_j$ : +\[ +\begin{array}{c} +f_{i,j} = c_{j,i} s_{j,i} f_i - c_{i,j} s_{i,j} f_j\\ +\hbox{où~} +c_{i,j} s_{i,j} = \init(f_i)/\pgcd(\init(f_i),\init(f_j)) +\end{array} +\] +Le pgcd (unitaire) de deux termes $c s$ et $c' s'$ étant défini comme +le plus grand monôme (pour n'importe quel ordre admissible, ou pour +l'ordre partiel de divisibilité) parmi les monômes qui divisent à la +fois $s$ et $s'$ (c'est-à-dire $t_1^{\min(\ell_1,\ell'_1)} \cdots +t_d^{\min(\ell_d,\ell'_d)}$ si $s = t_1^{\ell_1} \cdots t_d^{\ell_d}$ +et $s' = t_1^{\ell'_1} \cdots t_d^{\ell'_d}$). Remarquons que +$c_{i,j} s_{i,j} f_i$ et $c_{j,i} s_{j,i} f_j$ ont le même terme +initial, de sorte que celui de $f_{i,j}$ a un monôme strictement plus +petit. (Bien sûr, $f_{i,i} = 0$ pour tout $i$, donc on ne s'intéresse +qu'aux $f_{i,j}$ pour $i\neq j$.) + +On appelle \textbf{module des relations} entre $f_1,\ldots,f_r$ +l'ensemble (qui est un sous-module de $(k[t_1,\ldots,t_d])^r$, d'où le +terme) des $(g_1,\ldots,g_r)$ tels que $g_1 f_1 + \cdots + g_r f_r = +0$, ces $(g_1,\ldots,g_r)$ étant appelés des \textbf{relations} entre +les $f_i$ (relation non-triviale si les $g_i$ ne sont pas tous nuls). + +Soit $\rho_{i,j}$ le reste (au sens de \ref{division-algorithm}) +de $f_{i,j}$ par rapport aux $f_1,\ldots,f_r$ (pour un ordre +monomial $\preceq$) : si les $f_1,\ldots,f_r$ forment une base de +Gröbner alors $\rho_{i,j} = 0$ puisque $f_{i,j} \in (f_1,\ldots,f_r)$. +Ce qui est plus surprenant est que la réciproque est également vraie : + +\begin{thm}[critère de Buchberger] +Avec les notations ci-dessus, on a $\rho_{i,j} = 0$ pour tous $i,j$ si +et seulement $f_1,\ldots,f_r$ forment une base de Gröbner (de l'idéal +qu'ils engendrent). + +(Spears-Schreyer) De plus, lorsque c'est le cas, les relations +$c_{j,i} s_{j,i} f_i - c_{i,j} s_{i,j} f_j - \sum_u g^{(i,j)}_u f_u$, +où $f_{i,j} = g^{(i,j)}_1 f_1 + \cdots + g^{(i,j)}_r f_r$ est une +écriture standard de $f_{i,j}$, engendrent\footnote{En fait, les + relations en question forment elles-même une base de Gröbner du + module des relations, si on prend la peine de définir la notion de + « base de Gröbner » d'un module et non seulement d'un idéal, pour un + ordre admissible sur les monômes de $k[t_1,\ldots,t_d]^r$ qui se + déduit facilement de $\preceq$.} le module des relations +entre $f_1,\ldots,f_r$. +\end{thm} + +\begin{algo}[algorithme de Buchberger] +Donné $f_1,\ldots,f_r \in k[t_1,\ldots,t_d]$, on peut calculer +effectivement une base de Gröbner de l'idéal qu'ils engendrent. +\end{algo} +\begin{proof}[Description de l'algorithme] +Calculer les $\rho_{i,j}$ définis plus hauts : si les $\rho_{i,j}$ +sont tous nuls, terminer (les $f_1,\ldots,f_r$ forment une base de +Gröbner). Si un des $\rho_{i,j}$ est non nul, dès qu'on le trouve, +ajouter ce $\rho_{i,j}$ parmi les $f_1,\ldots,f_r$ (c'est-à-dire, +recommencer l'algorithme avec $f_1,\ldots,f_r,\rho_{i,j}$). +\end{proof} +\begin{proof} +L'algorithme termine car l'idéal engendré par +$\init(f_1),\ldots,\init(f_r)$ ne cesse de croître strictement : le +processus doit donc terminer, ce qui ne peut se produire que parce que +tous les $\rho_{i,j}$ sont tous nuls, et le critère précédent permet +de dire qu'on a bien une base de Gröbner. +\end{proof} + +\medbreak + +\textbf{Bases de Gröbner réduites.} + +\begin{defn} +Une base de Gröbner $f_1,\ldots,f_r$ est dite \textbf{réduite} +lorsque, pour $i\neq j$, le monôme du terme $\init(f_i)$ ne divise +aucun des monômes apparaissant dans $f_j$, et si, de plus, chacun des +termes $\init(f_i)$ est unitaire (=la constante devant le monôme +est $1$). +\end{defn} + +On peut facilement calculer une base de Gröbner réduite à partir d'une +base de Gröbner, en soustrayant, pour chaque $f_j$, chaque terme +divisible par un des $\init(f_i)$ (et en commençant par le plus grand +pour l'ordre monomial), le multiple de $f_i$ qui permet de l'annuler, +et en répétant cette opération aussi souvent que nécessaire (il est +clair que cela termine). Il faut, bien sûr, retirer tous les éléments +nuls, puis normaliser à $1$ la constante devant le monôme initial de +chaque $f_i$. + +\begin{prop} +Pour un idéal $I$ de $k[t_1,\ldots,t_d]$ et un ordre +admissible $\preceq$, il existe une unique base de Gröbner réduite (on +l'appelle donc \emph{la} base de Gröbner réduite de $I$ pour cet +ordre). +\end{prop} + + +% +\subsection{Bases de Gröbner et élimination} + +\begin{prop} +Soit $I$ un idéal de $k[t_1,\ldots,t_d]$ et $s\leq d$ : si +$f_1,\ldots,f_r$ est une base de Gröbner de $I$ pour +l'ordre $\mathrel{\preceq_{\mathtt{lex}}}$ (où on est convenu que $t_1 +\preceq t_2 \preceq \cdots \preceq t_d$), alors ceux des $f_i$ qui +appartiennent à $k[t_1,\ldots,t_s]$ forment une base de Gröbner de $I +\cap k[t_1,\ldots,t_s]$. +\end{prop} + +(En fait, il suffit que l'ordre $\preceq$ utilisé vérifie la +propriété : si $\init_{\preceq}(f) \in k[t_1,\ldots,t_s]$ alors $f \in +k[t_1,\ldots,t_s]$. Une façon parfois plus efficace que l'ordre +lexicographique pur, \emph{si on connaît $s$ à l'avance}, consiste à +prendre l'ordre sur le degré total en les seules variables +$t_1,\ldots,t_s$ comme premier critère de comparaison, et en cas +d'égalité comparer avec $\mathrel{\preceq_{\mathtt{grevlex}}}$.) + +\begin{prop}\label{projection-by-elimination} +Soit $I$ un idéal de $k[t_1,\ldots,t_d]$ et $s \leq d$. Alors $Z(I +\cap k[t_1,\ldots,t_s])$ est l'adhérence de Zariski dans +$\mathbb{A}^s$ de la projection (c'est-à-dire l'image au sens +de \ref{image-of-a-morphism} par le morphisme $\mathbb{A}^d \to +\mathbb{A}^s$ qui projette sur les $s$ premières coordonnées +c'est-à-dire $(x_1,\ldots,x_d) \mapsto (x_1,\ldots,x_d)$) de $Z(I)$. +\end{prop} + + + +% +% +% + +\section{Les courbes} + +\subsection{Corps des fonctions et morphismes vers $\mathbb{P}^1$} + +\begin{defn} +On appelle \textbf{courbe (projective lisse)} sur un corps $k$ une +variété algébrique projective lisse géométriquement +irréductible\footnote{C'est-à-dire qu'elle est irréductible quand on + la voit sur la clôture algébrique $k^{\alg}$ de $k$.} de +dimension $1$ sur $k$. Lorsque la variété n'est pas supposée lisse, +on parle de courbe « non nécessairement lisse ». +\end{defn} + +Les fermés de Zariski d'une courbe qui ne sont pas la courbe tout +entière sont de dimension zéro (cf. \ref{hauptidealsatz}) donc sont +(sur $k^{\alg}$) des réunions finies de points. + +Si $C$ est une courbe non nécessairement lisse, on note $k(C)$ le +corps des fonctions rationnelles sur $C$ +(cf. \ref{definition-rational-function-and-dimension}). Rappelons +qu'il s'agit des fonctions régulières sur un ouvert non-vide (=dense) +de $C$, définies sur $k$ (où on identifie deux fonctions quand elles +coïncident sur l'intersection des ouverts sur lesquels elles sont +données) ; on l'appelle simplement \textbf{corps des fonctions} +de $C$. On a $k(C) = \Frac(\mathcal{O}(U))$ pour n'importe quel +ouvert affine\footnote{\label{footnote-affine}En fait, on verra que + tout ouvert de $C$ différent de $C$ est automatiquement affine.} +non-vide (=dense) de $C$. On appelle évidemment \textbf{constantes} +les éléments de $k$ vus dans $k(C)$. + +On note aussi $k^{\alg}(C)$ le corps des fonctions rationnelles +sur $C_{k^{\alg}}$, c'est-à-dire après passage à la clôture algébrique +$k^{\alg}$ de $k$. On voit $k(C)$ à l'intérieur de $k^{\alg}(C)$ ; +pour $k$ parfait, le corps $k(C)$ est simplement le corps des éléments +de $k^{\alg}(C)$ fixés par le groupe de Galois absolu de $k$. + +Le degré de transcendance de $k(C)$ (ou $k^{\alg}(C)$) sur $k$ +(ou $k^{\alg}$, s'agissant de $k^{\alg}(C)$) est $1$ : c'est-à-dire +qu'il existe des éléments de $k(C)$ n'appartenant pas à $k^{\alg}$, et +que deux tels éléments sont toujours algébriques l'un par rapport à +l'autre. + +\textbf{Exemple :} $\mathbb{P}^1$ sur $k$ est une courbe sur $k$, son +corps des fonctions est $k(\mathbb{P}^1) = k(t)$ où $t$ est un +paramètre affine quelconque sur $\mathbb{P}^1$ ; et on a bien sûr +$k^{\alg}(\mathbb{P}^1) = k^{\alg}(t)$. + +\medbreak + +\begin{defn} +Soit $X$ une variété quasiprojective irréductible (non nécessairement +lisse), et $P$ un $k^{\alg}$-point de $X$, on note $\mathcal{O}_{X,P}$ +et on appelle \textbf{anneau local de $X$ en $P$} le sous-anneau de +$k(X)$ formé des fonctions rationnelles qui sont données sur un ouvert +contenant $P$. Ces fonctions sont dites \textbf{régulières en $P$}. +\end{defn} + +Grâce au recollement on peut affirmer que, si $U$ est la réunion de +tous les ouverts sur lesquels $f$ peut être donnée comme une fonction +régulière, on peut effectivement représenter $f$ comme une fonction +régulière sur tout $U$ : on appelle $U$ \textbf{l'ouvert de + régularité} de $f$ (ou parfois l'ouvert de définition). + +On peut décrire $\mathcal{O}_{X,P}$ autrement : si $U$ est un ouvert +affine contenant $P$, et $\mathfrak{m}_P$ l'idéal maximal de +$\mathcal{O}(U)$ des fonctions s'annulant en $P$, alors +$\mathcal{O}_{X,P}$ est le \emph{localisé} de $\mathcal{O}(U)$ en +l'idéal $\mathfrak{m}_P$ (c'est-à-dire inversant toutes les fonctions +qui ne sont pas dans $\mathfrak{m}_P$, cf. les remarques suivant +\ref{properties-localization}). Il s'agit bien d'un anneau local au sens +définit en \ref{subsection-reduced-and-integral-rings}. + +\medbreak + +Le fait suivant peut sembler clair, mais il joue un rôle +crucial\footnote{Pour voir qu'il n'est pas vrai de façon plus + générale, penser à la fonction rationnelle $x/y$ sur $\mathbb{P}^2$, + où $x,y$ sont deux des trois coordonnées homogènes : ni elle ni son + inverse ne sont régulières au point $x=y=0$.} pour expliquer +pourquoi la dimension $1$ est particulièrement simple : +\begin{prop} +Si $C$ est une courbe non nécessairement lisse, et $P$ un +$k^{\alg}$-point \emph{lisse} de $C$, alors pour tout $f \in k(C)$ non +nul on a $f \in \mathcal{O}_{C,P}$ ou bien $f^{-1} \in +\mathcal{O}_{C,P}$. + +Autrement dit : pour $f$ une fonction rationnelle sur une courbe $C$ +et $P$ un point lisse sur $C$, si $f$ n'est pas régulière en $P$ alors +$f^{-1}$ l'est. +\end{prop} + +Pour $C$ une courbe (lisse), on peut considérer une fonction +rationnelle $f \in k(C)$ comme une fonction régulière $U \to +\mathbb{A}^1$ sur son ouvert $U$ de régularité (l'ensemble des points +où $f$ est régulière). La proposition affirme donc que les ouverts de +régularité $U$ de $f$ et $U'$ de $f^{-1}$ recouvrent $C$. Les +morphismes $U \to \mathbb{P}^1$ et $U' \to \mathbb{P}^1$ définis par +$P \mapsto (1:f(P))$ et $P \mapsto (f^{-1}(P):1)$ se recollent et +définissent donc un morphisme $C \to \mathbb{P}^1$ qu'on veut +identifier à $f$. Réciproquement, tout morphisme $C \to \mathbb{P}^1$ +qui n'est pas constamment égal à $\infty$ (=le point complémentaire +de $\mathbb{A}^1$) définit une fonction régulière sur l'ouvert $U = +f^{-1}(\mathbb{A}^1)$ de $C$. On a donc expliqué pourquoi : +\begin{prop}\label{rational-function-on-a-curve-is-regular} +Si $C$ est une courbe (lisse), les fonctions rationnelles sur $C$ +s'identifient (comme expliqué ci-dessus) aux morphismes $C \to +\mathbb{P}^1$ non constamment égaux à $\infty$. + +Plus généralement, tout morphisme d'un ouvert non-vide de $C$ vers une +variété \emph{projective} $Y$ s'étend à $C$ tout entier. +\end{prop} + +\bigbreak + +\thingy\textbf{Une remarque sur Galois.}\label{remark-on-galois} Quand on considère les points +d'une variété sur un corps $k$ parfait non algébriquement clos, il est +parfois préférable de considérer les $k^{\alg}$-points séparément +(qu'on peut appeler \emph{points géométriques} pour insister), parfois +il est préférable de considérer ensemble tous les $k^{\alg}$-points +qui s'envoie les uns sur les autres par l'action du groupe de Galois +absolu $\Gal(k)$ de $k$, c'est-à-dire les « orbites galoisiennes » de +points géométriques, qu'on appelle aussi \emph{points fermés}. Par +exemple, pour droite affine $\mathbb{A}^1$ réelle, les +$\mathbb{C}$-points $i$ et $-i$ constituent collectivement un point +fermé, défini par l'équation $t^2+1$. L'intérêt des points fermés est +qu'ils correspondent aux idéaux maximaux (sur $k$) pour une variété +affine sur $k$ (exemple : l'idéal des polynômes réels s'annulant en +$i$ est le même que celui des polynômes réels s'annulant en $-i$, +c'est l'idéal engendré par $t^2+1$). On appelle \emph{degré} d'un +point fermé le nombre de points géométriques qui le constitue : c'est +aussi le degré (=la dimension comme $k$-espace vectoriel) du corps +résiduel $\kappa(P) = \mathcal{O}(X)/\mathfrak{m}_P$ si $X$ est affine +et $\mathfrak{m}_P$ l'idéal correspondant au point fermé $P$. +Certains résultats s'énoncent mieux en parlant d'un point fermé de +degré $n$, d'autres en parlant de $n$ points géométriques (constituant +une orbite galoisienne). + + + +% +\subsection{Valuation d'une fonction en un point} + +Soit $C$ une courbe (non nécessairement lisse) et $P$ un +$k^{\alg}$-point lisse sur $C$. On appelle $\mathfrak{m}_P$ l'idéal +dans $\mathcal{O}_{C,P}$ formé des fonctions s'annulant en $P$. + +\begin{prop}\label{properties-valuation} +Avec les notations ci-dessus, il existe une unique fonction $\ord_P +\colon k(C) \to \mathbb{Z} \cup \{+\infty\}$ vérifiant : +\begin{itemize} +\item si $\ord_P(f) = +\infty$ ssi $f=0$, et $\ord_P(c) = 0$ pour tout + $c \in k^\times$, +\item si $f,g \in k(C)$, on a $\ord_P(f+g) \geq + \min(\ord_P(f),\ord_P(g))$ (note : ceci implique qu'il y a égalité + si $\ord_P(f) \neq \ord_P(g)$), +\item si $f,g \in k(C)$, on a $\ord_P(fg) = \ord_P(f) + \ord_P(g)$, +\item on a $\ord_P(f) \geq 0$ ssi $f \in \mathcal{O}_{C,P}$ (i.e., + $f$ est régulière en $P$), et $\ord_P(f) > 0$ ssi $f \in + \mathfrak{m}_P$ (i.e., $f$ s'annule en $P$), +\item il existe des $f$ tels que $\ord_P(f) = 1$. +\end{itemize} +\end{prop} + +Cette fonction s'appelle la \textbf{valuation en $P$} ou +l'\textbf{ordre (du zéro) en $P$}. Lorsque $\ord_P(f) = v > 0$, on +dit que $f$ a un zéro d'ordre $v$ en $P$ ; lorsque $\ord_P(f) = (-v) < +0$, on dit que $f$ a un pôle d'ordre $v$ en $P$ ; lorsque $\ord_P(f) = +0$, on dit que $f$ est inversible en $P$ (cela signifie bien que $f$ +est inversible dans $\mathcal{O}_{C,P}$) ; lorsque $\ord_P(f) = 1$, on +dit que $f$ est une \textbf{uniformisante} en $P$ (il n'est pas +difficile de voir que cela signifie que $f$ engendre +l'idéal $\mathfrak{m}_P$). + +\textbf{Exemple :} Si on voit $k(t)$ comme $k(\mathbb{P}^1)$, alors +\begin{itemize} +\item pour $P \in \mathbb{A}^1(k) = k$, la valuation en $P$ est bien + l'ordre d'annulation en $P$ de la fraction rationnelle $f$ (en + particulier, si $f$ est un polynôme, $\ord_P(f)$ est la multiplicité + de $(t-P)$ dans la décomposition en facteurs irréductibles de $f$ ; + et si $P = 0$, c'est ce qu'on appelle souvent, sans autre précision, + la valuation d'un polynôme) ; +\item pour $P = \infty$, la valuation en $\infty$ d'un polynôme est + l'opposé de son degré, et la valuatin en $\infty$ d'une fraction + rationnelle $f$ est le degré de son dénominateur moins le degré de + son numérateur ; +\item pour $P \in \mathbb{A}^1(k^{alg}) = k^{\alg}$, la valuation en + $P$ d'un polynôme $f$ est la multiplicité de $\mu_P$ dans la + décomposition en facteurs irréductibles de celui-ci, où $\mu_P$ est + le polynôme minimal de $P$ (par exemple, sur les réels, + $\ord_i(t^2+1) = 1$), et pour une fraction rationnelle on peut bien + sûr le calculer comme l'ordre du numérateur moins celui du + dénominateur. +\end{itemize} + +Remarquons que $\ord_P(f)$ est le même que $f$ soit considéré comme +vivant dans $k(C)$ ou dans $k^{\alg}(C)$ (à cause de l'unicité +affirmée pour la fonction $\ord_P$). Par ailleurs, pour $f \in k(C)$, +on a $\ord_P(f) = \ord_{\sigma(P)}(f)$ pour tout $\sigma \in \Gal(k)$ +(le groupe de Galois absolu de $k$), autrement dit, $\ord_P(f)$ ne +dépend que de l'orbite de $P$ par $\Gal(k)$ (c'est-à-dire, du point +fermé défini par $P$). + +\begin{prop} +Soit $C$ une courbe (lisse) sur un corps $k$. Alors toute fonction +$k(C) \to \mathbb{Z} \cup \{+\infty\}$ vérifiant les trois premières +et la dernière des propriétés énumérées pour $\ord_P$ +en \ref{properties-valuation} est de la forme $\ord_P$ pour un certain +$P \in C(k^{\alg})$. +\end{prop} + +Les $\ord_P$ sont distinctes lorsque les points $P$ ne sont pas +conjugués par Galois (cf. ci-dessus) : on va voir un résultat plus +précis affirmant qu'elles sont, en fait, aussi indépendantes que +possible (\ref{approximation-lemma} ci-dessous). + +\begin{prop}\label{basic-ord-facts} +Soit $C$ une courbe (lisse) sur un corps $k$ : +\begin{itemize} +\item Pour tout $f \in k(C)$, il n'y a qu'un nombre fini de $P \in + C(k^{\alg})$ tels que $\ord_P(f) \neq 0$. +\item Si $\ord_P(f) \geq 0$ pour tout $P \in C(k^{\alg})$, alors $f + \in k$ (la fonction est constante). +\end{itemize} +\end{prop} +\begin{proof} +La première affirmation vient de ce que tout fermé de Zariski d'une +courbe est fini. La seconde découle de ce que toute fonction +régulière (ce qu'est un $f$ comme annoncé) sur une variété projective +connexe est constante +(cf. \ref{projective-to-affine-morphisms-are-constant}). +\end{proof} + +\begin{prop}[lemme d'approximation]\label{approximation-lemma} +Soit $C$ une courbe sur un corps $k$ et $U$ un ouvert +affine\footnote{Cf. note \ref{footnote-affine}.} de $C$. Soient +$Q_1,\ldots,Q_s$ des points dans $U$ dont aucun n'est image d'un autre +sous l'action de Galois (=dont les orbites sous $\Gal(k)$ sont deux à +deux disjointes, =dont les idéaux maximaux $\mathfrak{m}_{Q_i}$ sont +deux à deux distincts, =définissant des points fermés deux à deux +distincts), et $f_1,\ldots,f_s \in k(C)$ et $v_1,\ldots,v_s \in +\mathbb{Z}$. Alors il existe $f \in k(C)$ telle que +\[ +\begin{array}{cl} +\ord_{Q_i}(f-f_i) \geq v_i&\hbox{~pour tout $i$}\\ +\ord_{P}(f) \geq 0&\hbox{~pour tout $P \in U \setminus \{\sigma(Q_i)\}$}\\ +\end{array} +\] +\end{prop} + +\emph{Moralité :} On peut toujours trouver une fonction $f$ qui +approche les fonctions $f_i$ spécifiées à l'ordre $v_i$ spécifié aux +points $Q_i$ spécifiés, et qui soit régulière à tout point de $U$ sauf +évidemment ceux pour lesquels la condition imposée demande qu'ils ne +le soient pas. + +\emph{Remarque :} Ce résultat recouvre l'existence des polynômes +interpolateurs de Lagrange (pour $C = \mathbb{P}^1$ et $U = +\mathbb{A}^1$, les $f_i$ des polynômes ayant les développements de +Taylor souhaités aux ordres $v_i$, le résultat montre qu'il existe un +polynôme $f$ ayant les développements spécifiés aux ordres spécifiés). + +\begin{proof}[Idée de démonstration] +Pour $Q \in U$, si $\mathfrak{m}_{Q}$ désigne l'idéal des fonctions de +$\mathcal{O}(U)$ s'annulant en $Q$, i.e., telles que $\ord_Q(h) \geq +1$, le point clé est que $\mathfrak{m}_Q \neq \mathfrak{m}_{Q'}$ si +$Q$ et $Q'$ ne sont pas conjugués par Galois, donc il existe une +fonction $h \in \mathcal{O}(U)$ telle que $\ord_Q(h) \geq 1$ et +$\ord_{Q'}(h) = 0$, et, quitte à diviser par une constante, autant +supposer $h(Q') = 1$, et une autre $h'$ telle que $h'(Q) = 1$ et +$\ord_{Q'}(h') \geq 1$. Quitte à multiplier de telles fonctions entre +elles et à les elever à des puissances assez grandes, on peut obtenir +des $h_i$ telles que $h_i(Q_i) = 1$ et $\ord_{Q_j}(h_i) \geq +\min(1,v_i)$ si $j\neq i$. Lorsque les $f_i$ sont dans +$\mathcal{O}(U)$, poser $f = \sum_i f_i h_i$ convient. Sinon, on met +les $f_i$ sur un même dénominateur et en cherchant $h$ comme une +fraction sur le dénominateur en question on se ramène à un problème +d'approximation sur le numérateur. +\end{proof} + +\begin{prop}\label{dimension-of-space-of-jets} +Soit $P$ un $k^{\alg}$-point lisse d'une courbe $C$ non nécessairement +lisse sur un corps $k$, et pour $v\geq 0$ soit $\mathfrak{m}^v_P = \{f +\in k(C) : \ord_P(f) \geq v\}$ (idéal de $\mathcal{O}_{C,P}$). Alors +$\mathcal{O}_{C,P} / \mathfrak{m}^v_P$ est un espace vectoriel de +dimension $v$ sur le corps $\kappa(P) := \mathcal{O}_{C,P} / +\mathfrak{m}_P$, donc $dv$ sur $k$, où $d$ est le degré de $P$, +c'est-à-dire (pour $k$ parfait) le nombre de conjugués de $P$ sous +l'action de Galois. +\end{prop} +\begin{proof} +Il existe une uniformisante $t$ de $C$ en $P$ : il n'est pas difficile +de voir que $1,t,t^2,\ldots,t^{v-1}$ forment une base de +$\mathcal{O}_{C,P} / \mathfrak{m}^v_P$ sur $\kappa(P)$ +(cf. \ref{remark-on-galois} pour la dimension de $\kappa(P)$ sur $k$). +\end{proof} + + + +% +\subsection{Morphismes entre courbes} + +\begin{prop}\label{non-constant-morphisms-of-curves-are-surjective} +Tout morphisme entre courbes non nécessairement lisses est soit +constant ou surjectif. +\end{prop} +\begin{proof} +Soit $h \colon C' \to C$ un tel morphisme. Puisque $C'$ est +projective, l'image de $h$ est un fermé dans $C$ +(cf. \ref{image-of-a-morphism-chevalley}). Si c'est $C$, le morphisme +est surjectif. Sinon, c'est un ensemble fini, et comme $C'$ est +connexe, il est réduit à un point, donc $h$ est constant. +\end{proof} + +Si $h\colon C' \to C$ est un morphisme non constant de courbes +sur $k$, à tout $f \in k(C)$, vu comme un morphisme $C \to +\mathbb{P}^1$ (non constamment égal à $\infty$), on peut associer +$h^*(f) := h\circ f \colon C' \to \mathbb{P}^1$ vu comme un élément de +$k(C')$ (car il est n'est pas constant égal à $\infty$). (Si on +préfère, pour $U$ ouvert affine de $C$, le morphisme d'algèbres $h^* +\colon \mathcal{O}(U) \to \mathcal{O}(h^{-1}(U))$ donne un $h^* \colon +k(C) \to k(C')$ entre les corps des fractions ; ceci fonctionne même +si $C,C'$ ne sont pas supposées lisses.) Il s'agit d'un morphisme de +$k$-algèbres qui sont des corps, donc automatiquement injectif : +c'est-à-dire que $h^*$ plonge $k(C)$ comme un sous-corps de $k(C')$ +(en commutant à l'action du groupe de Galois, et en particulier en +préservant $k$). Avec ce plongement, $k(C')$ est une extension +\emph{algébrique} de $k(C)$ (car tous deux ont le même degré de +transcendance, $1$, sur $k$), et $k(C')$ est engendré en tant que +corps, sur $k$ donc sur $k(C)$, par un nombre fini d'éléments : ceci +montre que $k(C')$ est une \emph{extension finie} de $k(C)$ +(c'est-à-dire, de dimension finie comme $k(C)$-espace vectoriel), et +son degré (=sa dimension comme $k(C)$-espace vectoriel) s'appelle le +\textbf{degré} de $h$, noté $\deg h$. Lorsque $h$ est un morphisme +constant, on pose $\deg h = 0$. + +\textbf{Exemple :} Si $h \in k[t]$, on peut voir $h$ comme un +morphisme $\mathbb{P}^1 \to \mathbb{P}^1$ (par $(t_0:t_1) \mapsto +(t_0^{\deg h} : t_0^{\deg h}\,h(t_1/t_0))$, +cf. \ref{subsection-affine-vs-projective} ; ou, de façon équivalente, +en considérant $h$ comme un élément de $k(t) = k(\mathbb{P}^1)$ qui +définit donc un morphisme $\mathbb{P}^1 \to \mathbb{P}^1$). +L'inclusion $h^*$ est celle qui considère $k(u)$ pour $u = h(t)$ comme +un sous-corps de $k(t)$. Manifestement, le polynôme minimal de $t$ +sur $k(u)$ est justement $h(x)-u$ (écrit en l'indéterminée $x$), qui +est de degré $\deg h$, donc le degré de $h$ en tant que polynôme ou en +tant que morphisme est le même ! + +\textbf{Fonctorialité :} Si $C'' \buildrel h'\over\to C' \buildrel +h\over\to C$ sont deux morphismes entre courbes, on a $(h'\circ h)^* = +h^* \circ h^{\prime*}$, c'est-à-dire que $k(C)$ se voit à l'intérieur +de $k(C')$ quand celui-ci se voit à l'intérieur de $k(C'')$. Grâce à +la composition des degrés dans les extensions de corps, on a $\deg +(h'\circ h) = \deg(h') \cdot \deg(h)$. + +\begin{prop}\label{function-map-on-curves-is-fully-faithful} +Si $C, C'$ sont deux courbes sur $k$, où $C$ peut ne pas être lisse +(mais $C'$ est tenue de l'être), et si $\iota\colon k(C) \to k(C')$ +est une inclusion fixant $k$ du corps $k(C)$ dans $k(C')$, alors il +existe un unique morphisme $h\colon C' \to C$ de courbes sur $k$ tel +que $\iota = h^*$. +\end{prop} +\begin{proof}[Esquisse de démonstration] +Si $C \subseteq \mathbb{P}^d$, on peut considérer les rapports +$t_1/t_0, \ldots, t_d/t_0$ de coordonnées homogènes sur $\mathbb{P}^d$ +comme des éléments de $k(C)$. Leurs images par $\iota$ dans $k(C')$ +définissent un morphisme d'un ouvert non vide de $C'$ +vers $\mathbb{P}^d$, donc de tout $C'$ vers $\mathbb{P}^d$ +(cf. \ref{rational-function-on-a-curve-is-regular}), et comme ces +fonctions vérifient les équations de $C$ dans $\mathbb{P}^d$, on a un +morphisme $C' \buildrel h\over\to C$, qui vérifie $h^* = \iota$. De +plus, une fois $C$ plongé dans $\mathbb{P}^d$ comme on l'a fait, +c'était le seul morphisme possible, donc on a bien l'unicité. +\end{proof} + +\begin{cor}\label{degree-one-map-of-curves-is-isomorphism} +Si $C, C'$ sont deux courbes (lisses) sur $k$ et $h\colon C'\to C$ un +morphisme de degré $1$, alors $h$ est un isomorphisme. +\end{cor} +\begin{proof} +Dire que $h$ est un morphisme de degré $1$ signifie que $h^*$ est un +isomorphisme de $k(C)$ avec $k(C')$. Son isomorphisme réciproque peut +lui-même s'écrire sous la forme $g^*$ d'après la proposition qui +précède, et les relations de fonctorialité $(h\circ g)^* = g^* \circ +h^*$ et $(g \circ h)^* = h^* \circ g^*$ ainsi que l'unicité du +morphisme dans la proposition montrent que $h \circ g = \id_{C'}$ et +$g \circ h = \id_C$. +\end{proof} + +\medbreak + +Revenons brièvement sur le corps des fonctions d'une courbe. + +On sait que $k(C)$ est engendré (en tant que corps)\footnote{Ceci + signifie qu'il existe $x_1,\ldots,x_r \in k(C)$ tels que tout + sous-corps de $k(C)$ contenant $k$ et $x_1,\ldots,x_r$ soit $k(C)$ + tout entier.} par un nombre fini d'éléments au-dessus de $k$ (en +effet, si $U$ est un ouvert affine non-vide de $C$, alors +$\mathcal{O}(U)$ est une $k$-algèbre de type fini, et si +$x_1,\ldots,x_r$ en sont des générateurs, ils engendrent aussi $k(C) = +\Frac(\mathcal{O}(U))$ en tant que corps sur $k$). D'autre part, +remarquons que $k^{\alg} \cap k(C) = k$ (ce qui est clair si on a +décrit $k(C)$ comme les éléments de $k^{\alg}(C)$ fixes par Galois), +c'est-à-dire que tout élément de $k(C)$ algébrique sur $k$ est en fait +dans $k(C)$. Ces remarques sont pertinentes car : +\begin{prop} +Soit $K$ un corps contenant $k$, de degré de transcendance $1$ dessus, +engendré en tant que corps par un nombre fini d'éléments au-dessus +de $k$ (ou, de façon équivalente, $K$ est de degré \emph{fini} +sur $k(t)$ où $t \in K$ est transcendant sur $k$), et tel que $k$ soit +algébriquement fermé dans $K$. Alors $K$ est le corps des fonctions +$k(C)$ d'une certaine courbe (lisse) $C$ sur $k$. +\end{prop} + +Le corollaire suivant permet d'oublier les courbes non lisses : +\begin{cor} +Soit $C$ une courbe non nécessairement lisse. Alors il existe un +morphisme $\tilde C \to C$ depuis une courbe lisse $\tilde C$ +vers $C$, unique à isomorphisme unique près de $\tilde C$ +au-dessus\footnote{Ceci signifie que si $\tilde C \buildrel\nu\over\to + C$ et $\tilde C' \buildrel\nu'\over\to C$ sont deux morphismes comme + expliqué, alors il existe un unique isomorphisme $\tilde C' + \buildrel h\over\to \tilde C$ tel que $\nu' = h\circ \nu$.} de $C$, +qui soit de degré $1$, c'est-à-dire que $\nu^*$ identifie $k(C)$ +à $k(\tilde C)$. La courbe $\tilde C$ s'appelle la +\textbf{normalisation} de $C$. +\end{cor} +\begin{proof} +La proposition garantit qu'il existe une courbe lisse $\tilde C$ de +corps des fonctions $k(C)$. Le morphisme identité $k(C) \to k(\tilde +C)$ donne alors d'après \ref{function-map-on-curves-is-fully-faithful} +le morphisme $\nu \colon \tilde C \to C$ désiré. L'unicité est +analogue à \ref{degree-one-map-of-curves-is-isomorphism}. +\end{proof} + +\begin{cor} +Soit $C$ une courbe (lisse) sur un corps $k$. Si $K$ est un +sous-corps de $k(C)$ contenant $k$ et tel que $k(C)$ soit fini sur $K$ +(c'est-à-dire, de dimension finie comme $K$-espace vectoriel), alors +il existe une courbe $C_0$ et un morphisme $h\colon C \to C_0$, unique +à isomorphisme près de $C_0$ au-dessous de $C$, tel que $h^*$ plonge +$k(C_0)$ comme le sous-corps $K$ de $k(C)$. +\end{cor} +\begin{proof} +Le corps $K$ est de degré de transcendance $1$ sur $k$ car $k(C)$ est +algébrique sur $K$ ; et $k$ est algébriquement fermé dans $K$. Le +point non-évident est que $K$ est engendré par un nombre fini +d'éléments sur $k$ : mais $K$ contient un élément $t$ transcendant +sur $k$, et $k(C)$, donc $K$, est de degré fini sur $k(t)$. Ainsi $K$ +peut bien s'écrire comme $k(C_0)$ pour une certaine courbe $C_0$, et +l'inclusion $K = k(C_0) \to k(C)$ fournit un morphisme $C \to C_0$ +d'après \ref{function-map-on-curves-is-fully-faithful}. De nouveau, +l'unicité découle aussi +de \ref{function-map-on-curves-is-fully-faithful} de manière analogue +à \ref{degree-one-map-of-curves-is-isomorphism}. +\end{proof} + + + +% +\subsection{Ramification d'un morphisme} + +\begin{prop} +Si $h \colon C' \to C$ est un morphisme non constant entre courbes +sur $k$, pour tout point $P$ de $C'$ (sur $k^{\alg}$), il existe un +(unique) entier $e_P \geq 1$ tel que $\ord_P h^*(f) = e_P \ord_{h(P)} +f$ pour tout $f \in k(C)$. On appelle $e_P$ l'\textbf{indice de + ramification} de $h$ en $P$. +\end{prop} + +\begin{rmk}\label{ramification-of-functions-as-morphisms} +Si $h \in k(C)$ n'est pas constant, on peut considérer $h$ comme un +morphisme $C \to \mathbb{P}^1$ correspondant à l'inclusion $k(t) \cong +k(h) \subseteq k(C)$. En voyant $h$ comme $h^*(t)$, on voit que $e_P += \ord_P h$ pour tout $P$ tel que $h(P)=0$. Si $P$ est tel que $h(P) += \infty$ alors $e_P = -\ord_P h$. Enfin, si $h(P)$ n'est ni $0$ ni +$\infty$ alors $e_P = \ord_P (h-h(P))$. +\end{rmk} + +\begin{prop} +Pour $h \colon C' \to C$ un morphisme non constant entre courbes +sur $k$ et $P$ un point de $C'$ (sur $k^{\alg}$), l'indice de +ramification $e_P$ de $h$ en $P$ vaut $1$ ssi $h$ est lisse en $P$ +(c'est-à-dire que $dh_P \colon T_P C' \to T_{h(P)} C$ est un +isomorphisme\footnote{La définition de la lissité demande seulement + que $dh_P$ soit surjective, mais comme les espaces au départ et à + l'arrivée ont même dimension, c'est alors un isomorphisme.} de +$k^{\alg}$-espaces vectoriels de dimension $1$, +cf. \ref{subsection-tangent-vectors-and-smooth-points} \textit{in + fine}). +\end{prop} + +\begin{prop}\label{sum-of-ramification-degrees} +Soit $h \colon C' \to C$ un morphisme non constant entre courbes +sur $k$. Pour tout point $Q$ de $C$, on a +\[ +\sum_{h(P)=Q} e_P = \deg h +\] +où la somme est prise sur tous les points $P$ de $C'$ (sur $k^{\alg}$) +tels que $h(P) = Q$. +\end{prop} +\begin{proof}[Idée-clé de démonstration] +Soit $U$ un ouvert affine de $C$ contenant $Q$, et $U' = h^{-1}(U)$ +son image réciproque dans $C'$ (qui est également affine) ; on +considère la $k$-algèbre $\mathcal{O}(U')/h^*\mathfrak{m}_Q +\mathcal{O}(U')$ des fonctions sur $U'$ modulo l'idéal +$h^*\mathfrak{m}_Q$ engendré par les $h\circ f$ avec $f \in +\mathcal{O}(U)$ : on peut montrer que cette $k$-algèbre +$\mathcal{O}(U')/h^*\mathfrak{m}_Q \mathcal{O}(U')$ est un $k$-espace +vectoriel de dimension $\deg h$. Mais le lemme +d'approximation \ref{approximation-lemma} permet de montrer que cette +algèbre est le produit d'algèbres $\mathcal{O}(U)/\mathfrak{m}_P +\mathcal{O}(U)$ où $\mathfrak{m}_P$ parcourt les idéaux maximaux tels +que $h(P)=Q$ (un seul par orbite sous Galois), et la dimension de ce +produit est $\sum_{h(P)=Q} e_P$ +d'après \ref{dimension-of-space-of-jets}. +\end{proof} + +\begin{cor}\label{principal-divisors-have-degree-zero} +Soit $C$ une courbe sur un corps $k$, et soit $f \in k(C)$ non +constant. Alors +\[ +\sum_P \ord_P(f) = 0 +\] +où la somme est prise sur tous les points $P$ de $C$. Plus +précisément, +\[ +\begin{array}{c} +\sum_{P\;:\;\ord_P(f)>0} \ord_P(f) = \deg f\\ +\sum_{P\;:\;\ord_P(f)<0} \ord_P(f) = -\deg f\\ +\end{array} +\] +\end{cor} +\begin{proof} +On a vu en \ref{ramification-of-functions-as-morphisms} que si $f$ est +vu comme un morphisme $C \to \mathbb{P}^1$, alors son indice de +ramification en un point $P$ de $C$ tel que $f(P) = 0$ est $e_P = +\ord_P(f)$, et en un point $P$ tel que $f(P) = \infty$ est $e_P = +-\ord_P(f)$. La proposition précédente permet de conclure. +\end{proof} + + + +% +\subsection{Diviseurs sur une courbe} + +\begin{defn} +Soit $C$ une courbe (lisse) sur un corps parfait $k$. On appelle +\textbf{diviseur} sur $C$ une combinaison linéaire formelle (finie) +$\sum n_P (P)$, à coefficients dans $\mathbb{Z}$, de $k^{\alg}$-points +de $C$, qui soit stable par l'action du groupe de Galois +absolu $\Gal(k)$ (ou, si on préfère, une combinaison linéaire formelle +de « points fermés » de $C$, chacun étant vu comme la somme d'une +orbite galoisienne). + +On appelle \textbf{degré} du diviseur $\sum_{P \in C} n_P \cdot (P)$ +l'entier $\sum_{P \in C} n_P$. +\end{defn} + +Si $f \in k(C)$ n'est pas constant, on peut notamment considérer les diviseurs +\[ +\begin{array}{c} +f^*((0)) := \sum_{P\;:\;\ord_P(f) > 0} \ord_P(f)\, (P)\\ +f^*((\infty)) := \sum_{P\;:\;\ord_P(f) < 0} -\ord_P(f)\, (P)\\ +f^*((0)-(\infty)) = \divis(f) := \sum_{P\in C} \ord_P(f)\, (P)\\ +\end{array} +\] +appelés respectivement \textbf{diviseur des zéros}, \textbf{diviseur + des pôles} et \textbf{diviseur principal} définis par $f$ +(différence des deux premiers). Le contenu du +corollaire \ref{principal-divisors-have-degree-zero} est que ces +diviseurs ont degré respectivement $\deg f$, $\deg f$ et $0$. + +Plus généralement, si $h \colon C' \to C$ est un morphisme non +constant entre courbes, et $D = \sum_{P\in C} n_P \cdot (P)$ un +diviseur sur $C$, on définit $h^*(D) = \sum_{Q\in C'} n_{h(Q)} e_Q +\cdot (Q)$ qu'on appelle \textbf{image réciproque} (ou \textbf{tiré en + arrière}) de $D$ par $h$ : il est clair que le diviseur des zéros +$f^*((0))$ défini ci-dessus est bien le tiré en arrière du +diviseur $(0)$ sur $\mathbb{P}^1$ par $f$ vu comme morphisme $C \to +\mathbb{P}^1$. Il est évident que le tiré en arrière d'un diviseur +principal est encore principal (en fait, $h^*(\divis(f)) = +\divis(f\circ h)$). On peut aussi définir l'\textbf{image directe} +(ou \textbf{poussé en avant}) par $h$ d'un diviseur $D' = \sum_{Q\in + C'} n_Q \cdot (Q)$ sur $C'$ comme $h_*(D') = \sum_{Q\in C'} n_Q +\cdot (h(Q))$ : il est aussi vrai, mais un chouïa moins évident, que +l'image directe d'un diviseur principal est un diviseur principal. + +\begin{prop} +Si $h \colon C' \to C$ est un morphisme non constant entre courbes, +pour tout diviseur $D$ sur $C$ on a +\[ +\begin{array}{c} +h_* h^* D = (\deg h)\, D\\ +\end{array} +\] +\end{prop} +\begin{proof} +C'est une conséquence immédiate de \ref{sum-of-ramification-degrees} +(et du fait qu'un morphisme non-constants entre courbes est +surjectif !, +cf. \ref{non-constant-morphisms-of-curves-are-surjective}). +\end{proof} + +\begin{defn} +On appelle \textbf{principal} un diviseur (de degré zéro) de la forme +$\divis(f) := \sum_{P\in C} \ord_P(f)\cdot (P)$ pour une certaine +fonction $f \in k(C)$ non constante. Les diviseurs principaux forment +un sous-groupe du groupe des diviseurs (car $\divis(fg) = +\divis(f)+\divis(g)$, cf. \ref{properties-valuation}) : on dit que +deux divieurs sont \textbf{linéairement équivalents} (notation : $D +\sim D'$) lorsque leur différence est un diviseur principal. Le +groupe des diviseurs (resp. diviseurs de degré $0$) modulo les +diviseurs principaux (=modulo équivalence linéaire) s'appelle +\textbf{groupe de Picard} (resp. groupe de Picard de degré zéro) de la +courbe $C$, noté $\Pic(C)$ (resp. $\Pic^0(C)$). +\end{defn} + +\textbf{Exemple :} Sur $\mathbb{P}^1$, pour tout diviseur $\sum n_P +\cdot (P)$ de degré zéro, on peut trouver une fraction rationnelle +$\prod (t-P)^{n_P}$ qui a les ordres $n_P$ à ceux des points $P$ qui +sont dans $\mathbb{A}^1$, et le degré à l'infini sera automatiquement +le bon puisque $\sum n_P = 0$. Ceci montre que \emph{tout diviseur de + degré zéro sur $\mathbb{P}^1$ est principal}, donc que +$\Pic^0(\mathbb{P}^1) = 0$, et $\Pic(\mathbb{P}^1) = \mathbb{Z}$. + +On a un morphisme de degré $\deg\colon \Pic(C) \to \mathbb{Z}$, dont +le noyau est $\Pic^0(C)$. Si la courbe $C$ vérifie $C(k) \neq +\varnothing$, c'est-à-dire qu'il existe $P$ un $k$-point sur $C$, +alors tout diviseur peut s'écrire comme somme de $n (P)$ et d'un +diviseur de degré zéro, et il est facile de voir que $\Pic(C) = +\Pic^0(C) \oplus \mathbb{Z}$ (où $\mathbb{Z}$ désigne +$\mathbb{Z}\cdot(P)$, le groupe des diviseurs de la forme $n\cdot +(P)$). + +\emph{Attention :} Pour une fois, le slogan « rationnel = fixe par + Galois » n'est pas vérifié : quand $C$ est une courbe sur un corps +$k$ parfait non algébriquement clos, il faut bien distinguer le groupe +de Picard rationnel $\Pic C$ de $C$, c'est-à-dire les diviseurs +stables par Galois modulos ceux de la forme $\divis(f)$ avec $f \in +k(C)$, et le groupe de Picard fixé par Galois noté $(\Pic +C_{k^{\alg}})^{\Gal(k)}$, c'est-à-dire les classes des diviseurs $D$ +tels que $\sigma(D)$ soit linéairement équivalent à $D$ +(sur $k^{\alg}$) pour tout $\sigma \in \Gal(k)$. (Un exemple de +situation où il y a une différence est celui de la conique sans points +$\{t_0^2 + t_1^2 + t_2^2 = 0\} \subset \mathbb{P}^2_{\mathbb{R}}$ : +les diviseurs rationnels sont tous de degré pair, donc $\Pic C$ est le +sous-groupe $2\mathbb{Z}$ si on identifie $\Pic C_{\mathbb{C}}$ à +$\mathbb{Z}$ via le degré, sur lequel $\Gamma_{\mathbb{R}}$ opère +trivialement.) Certains auteurs appellent (à tort) $\Pic C$ ce +deuxième groupe (d'autres encore appellent $\Pic C$ tout le groupe de +Picard géométrique $\Pic C_{k^{\alg}}$) : il faut donc faire attention +à qui utilise quoi. Cependant, cette distinction ne doit pas nous +inquiéter, parce qu'on peut montrer que $\Pic C$ coïncide bien avec le +groupe $(\Pic C_{k^{\alg}})^{\Gal(k)}$ des invariants sous Galois +lorsque $k$ est un corps fini \emph{ou bien} que $C(k) \neq +\varnothing$ (=la courbe a un point rationnel). + + + +% +\subsection{Différentielles} + +\begin{prop} +Soit $C$ une courbe (lisse) sur un corps $k$. Il existe un +$k(C)$-espace vectoriel de dimension $1$, noté\footnote{Notation + abusive, en fait. Une bonne notation serait $\Omega^1_{C/k} + \otimes_{\mathcal{O}_C} k(C)$, mais c'est un peu encombrant.} +$\Omega^1_C$ et appelé \textbf{espace des (formes) différentielles + méromorphes} sur $C$, et une application $k$-linéaire $d\colon k(C) +\to \Omega^1_C$, vérifiant les conditions suivantes : +\begin{itemize} +\item on a $dc = 0$ pour $c \in k$, +\item on a $d(fg) = f\,dg + g\,df$ pour $f,g\in k(C)$, +\item si $t \in k(C)$ vérifie $\ord_P(t) = 1$ en au moins un + point alors $dt \neq 0$, +\end{itemize} +et ces conditions caractérisent à isomorphisme près $\Omega^1_C$ muni +de l'application $d\colon k(C) \to \Omega^1_C$. +\end{prop} + +La moralité est que $\frac{df}{dt}$ a un sens, comme élément de +$k(C)$, dès que $f$ et $t$ sont deux éléments de $k(C)$ et que $t$ est +une uniformisante en au moins un point ou simplement\footnote{Si $k$ + est de caractéristique zéro, cette condition est réalisée dès que + $t$ n'est pas constant.} que $dt \neq 0$. + +\textbf{Remarque :} On peut relier $\frac{df}{dt} \in k(C)$ à ce qui a +été fait en \ref{subsection-tangent-vectors-and-smooth-points} de la +façon suivante : si $Q$ est un point de $C$ tel que $t$ et $f$ soient +régulières en $Q$, on peut voir $t$ et $f$ comme deux morphismes $U +\to \mathbb{A}^1$ pour un certain voisinage (affine, disons) $U$ +de $Q$, on a des applications linéaires $dt_Q\colon T_Q C \to +k^{\alg}$ et $df_Q\colon T_Q C \to k^{\alg}$, et la valeur de +$\frac{df}{dt}$ en $Q$ est le rapport entre ces deux applications +linéaires (ceci a bien un sens car ce sont des applications entre +espaces de dimension $1$). + +\begin{prop}\label{order-of-derivative} +Soit $C$ une courbe (lisse) sur un corps $k$, $P$ un point de $C$ et +$t$ une uniformisante en $P$ (i.e., $\ord_P(t) = 1$). Pour $f \in +k(C)$, on a +\begin{itemize} +\item $\ord_P(df/dt) = \ord_P(f)-1$ si $\ord_P(f) \neq 0$, et +\item $\ord_P(df/dt) \geq 0$ si $\ord_P(f) = 0$. +\end{itemize} +\end{prop} + +(Ces propriétés découlent des propriétés correspondantes des +polynômes.) + +\begin{defn} +Si $C$ est une courbe (lisse) sur un corps $k$, $P$ un point de $C$ +(sur $k^{\alg}$) et $\omega \in \Omega^1_C$, on définit +\[ +\ord_P(\omega) = \ord_P(\omega/dt) +\] +où $t \in k(C)$ est tel que $\ord_P(t) = 1$ (=est une uniformisante +en $P$). Cette définition ne dépend pas du choix de $t$. + +Si $\omega \neq 0$, le diviseur $\divis(\omega) := \sum_P +\ord_P(\omega)\cdot (P)$ s'appelle \textbf{diviseur canonique} de la +forme différentielle $\omega$. +\end{defn} + +La définition de $\ord_P(\omega)$ ne dépend pas du choix de $t$, car +si $t' = u t$ où $\ord_P(u) = 0$, alors $dt'/dt = u + t\,(du/dt)$, et +$\ord_P(du/dt) \geq 0$ d'après \ref{order-of-derivative} donc +$\ord_P(t\,(du/dt)) \geq 1$, ce qui assure $\ord_P(dt'/dt) = 0$, et +donc $\ord_P(\omega/dt') = \ord_P(\omega/dt)$. + +La définition qu'on vient de faire permet de reformuler la +proposition \ref{order-of-derivative} en : + +\begin{prop}\label{order-of-differential} +Soit $C$ une courbe (lisse) sur un corps $k$, et $P$ un point de $C$. +Pour $f \in k(C)$, on a +\begin{itemize} +\item $\ord_P(df) = \ord_P(f)-1$ si $\ord_P(f) \neq 0$, et +\item $\ord_P(df) \geq 0$ si $\ord_P(f) = 0$. +\end{itemize} +\end{prop} + +\textbf{Exemple :} Soit $t$ la coordonnée affine sur $\mathbb{A}^1$, +vue comme élément de $k(\mathbb{P}^1) = k(t)$. Alors $dt$ a pour +ordre $0$ en tout $P \neq \infty$ (en $P=0$ c'est clair d'après la +proposition qui précède, et en tout autre $P \in \mathbb{A}^1$ on peut +remarquer que $dt = d(t-P)$ d'après les règles de calcul, donc de même +$dt$ est d'ordre $0$) ; en $\infty$, en revanche, son ordre est $-2$ +puisque l'ordre de $t$ est $-1$. On a donc $\divis(dt) = -2(\infty)$. + +\medbreak + +La classe de $\divis(\omega)$ dans $\Pic(C)$ ne dépend pas du choix +de $\omega \neq 0$, puisque visiblement $\divis(f\omega) = \divis(f) + +\divis(\omega)$. Cette classe s'appelle la \textbf{classe canonique} +dans $\Pic(C)$ (très souvent notée $K$). On vient par exemple de voir +que la classe canonique de $\mathbb{P}^1$ est de degré $-2$. + +\textbf{Exemple :} Soit $C$ la courbe d'équation $y^2 = h(x)$ où $h(t) +\in k[t]$ est de degré $3$ (c'est-à-dire, $C$ la complétée projective +de cette courbe affine, complétée d'équation $Z Y^2 = Z^3 h(X/Z)$ si +$X,Y,Z$ sont les coordonnées homogènes avec $y = Y/Z$ et $x = X/Z$). +Soit $h(t) = (t-\lambda_1) (t-\lambda_2) (t-\lambda_3)$ la +factorisation de $h$ sur $k^{\alg}$. Outre les points affines, la +courbe $C$ a un unique point à l'infini noté $O$ (en coordonnées +homogènes, $X=Z=0$). Le diviseur de la fonction $y$ sur $C$ est +$(P_1) + (P_2) + (P_3) - 3(O)$ où $P_i$ est le point de coordonnées +affines $(\lambda_i,0)$ (ce sont les trois points où $y$ s'annule, +alors que $O$ est le point où $y$ a un pôle triple). Le diviseur de +$x-\lambda_i$ est $2(P_i) - 2(O)$, d'où il résulte que $dx$ a un +ordre $1$ en chaque $P_i$ et $-3$ en $O$, et $0$ partout ailleurs. +Autrement dit, le diviseur de $dx$ est le même que celui de $y$, ou, +si on veut, la différentielle $\omega := dx/y$ a un ordre $0$ partout. +Ceci signifie que la classe canonique $K$ sur $C$ est \emph{nulle}. + + + +% +\subsection{Le théorème de Riemann-Roch} + +\begin{defn} +Un diviseur $D$ sur une courbe $C$ est dit \textbf{effectif}, noté $D +\geq 0$, lorsque $D$ est combinaison de points à coefficients +positifs : $D = \sum n_P\cdot (P)$ avec $n_P \geq 0$ pour tout $P$. + +Si $D = \sum n_P\cdot (P)$ est un diviseur (non nécessairement +effectif) sur une courbe $C$, on note $\mathscr{L}(D)$ ou parfois +$\mathcal{O}(D)$ le $k$-espace vectoriel $\{f \in k(C) : \divis(f)+D +\geq 0\}$ des fonctions rationnelles sur $C$ vérifiant $\ord_P(f) \geq +-n_P$ pour tout point $P$ de $C$. (S'il faut lui donner un nom, c'est +« l'(ensemble des sections globales du) faisceau associé à $D$ ».) +\end{defn} + +\begin{rmk} +Si $D$ et $D'$ sont linéairement équivalents, alors $\mathscr{L}(D) +\cong \mathscr{L}(D')$ comme $k$-espaces vectoriels. En effet, si $D += D' + \divis(g)$ et $f \in \mathscr{L}(D)$ alors $\divis(fg) + D' = +\divis(f) + D \geq 0$ donc $fg \in \mathscr{L}(D')$ et réciproquement. +On peut donc considérer que $\mathscr{L}(D)$ ne dépend que de la +classe de $D$ dans $\Pic(C)$. + +D'autre part, l'ensemble $\{\omega \in \Omega^1_C : \divis(\omega) +\geq 0\}$ (des différentielles « holomorphes ») peut être identifié à +$\mathscr{L}(K)$ pour les mêmes raisons. (Et plus généralement, +$\mathscr{L}(K-D)$ peut être identifié à $\{\omega \in \Omega^1_C : +\divis(\omega)-D \geq 0\}$.) +\end{rmk} + +\begin{prop} +Le $k$-espace vectoriel $\mathscr{L}(D)$ est de dimension finie. +\end{prop} + +On note $l(D)$ cette dimension. Notons par exemple que $l(0) = 1$ (le +diviseur nul, à ne pas confondre avec le diviseur $(0)$ +sur $\mathbb{P}^1$ !), puisque $\mathscr{L}(0) = \mathcal{O}(C) = k$ +(les seules fonctions régulières partout sont les constantes, +d'après \ref{basic-ord-facts}). + +\begin{prop}\label{negative-degree-divisors-have-no-sections} +\begin{itemize} +\item Si $\deg D < 0$ alors $l(D) = 0$. +\item Si $\deg D = 0$ et $l(D) \neq 0$ alors $l(D) = 1$ et $D \sim 0$. +\end{itemize} +\end{prop} +\begin{proof} +Dire que $l(D) \neq 0$ signifie que pour un certain $f$ on a $D' := +\divis(f) + D \geq 0$. Or le degré de $\divis(f)$ est nul (et le +degré d'un diviseur effectif $D'$ est évidemment positif), donc le +degré de $D$ est $\geq 0$. De plus, si le degré de $D$ (donc de $D'$) +est nul, cela signifie que $\divis(f) + D = 0$, c'est-à-dire $D \sim +0$, qui entraîne $l(D) = 1$. +\end{proof} + +\begin{thm}[Riemann-Roch] +Il existe un entier $g \geq 0$, appelé \textbf{genre} de $C$ tel que +pour tout diviseur $D$ on ait, en notant $K$ un diviseur canonique : +\[ +l(D) - l(K-D) = \deg D + 1 - g +\] +\end{thm} + +\begin{cor}\label{degree-of-canonical-divisor} +\begin{itemize} +\item Pour $K$ un diviseur canonique sur une courbe $C$, on a : +\[ +\begin{array}{c} +l(K) = g\\ +\deg(K) = 2g-2\\ +\end{array} +\] +\item Si $D$ est un diviseur avec $\deg D > 2g-2$, alors $l(D) = \deg + D + 1 - g$. +\end{itemize} +\end{cor} +\begin{proof} +Pour la première affirmation, appliquer Riemann-Roch à $D=0$ donne +$1-l(K) = 0+1-g$, d'où $l(K) = g$ ; puis à $D=K$ donne $g-1 = \deg K + +1 - g$ d'où $\deg K = 2g-2$. Pour la seconde affirmation, on utilise +\ref{negative-degree-divisors-have-no-sections} pour conclure que +$l(K-D) = 0$. +\end{proof} + +\textbf{Remarque :} Si $C$ est une courbe sur un corps $k$, alors le +genre de $C$ est égal au genre de $C_{k^{\alg}}$. En effet, un +diviseur canonique $K$ sur $C$ est encore un diviseur canonique quand +on le voit sur $C_{k^{\alg}}$, et son degré, censé valoir $2g-2$ est +le même qu'on le voie d'une façon ou d'une autre. On dit que le genre +est un \emph{invariant géométrique}. + +S'agissant de $\mathbb{P}^1$, on a vu que $\deg(K) = -2$ donc $g=0$. +La réciproque est vraie : +\begin{cor} +Soit $C$ une courbe (lisse !) de genre $0$ sur un corps algébriquement +clos : alors $C$ est isomorphe à $\mathbb{P}^1$. +\end{cor} +\begin{proof} +Soient $P,Q$ deux points distincts de $C$ : on applique Riemann-Roch +au diviseur $D := (P)-(Q)$. Comme $\deg D = 0 > -2 = 2g-2$, le +corollaire précédent montre que $l(D) = 1$. +Mais \ref{negative-degree-divisors-have-no-sections} montre que $D +\sim 0$, c'est-à-dire qu'il existe $f \in k(C)$ tel que $\divis(f) = +(P) - (Q)$. En considérant $f$ comme un morphisme $C \to +\mathbb{P}^1$, on voit que $\deg f = 1$ +(cf. \ref{principal-divisors-have-degree-zero}), donc $f$ est un +isomorphisme (cf. \ref{degree-one-map-of-curves-is-isomorphism}). +\end{proof} + +\emph{Remarque :} Cette démonstration utilise le fait que $k$ est +algébriquement clos pour pouvoir fabriquer le diviseur $(P)-(Q)$ comme +différence de deux diviseurs de degré $1$. En fait, on peut faire +mieux : il suffit que $C(k)$ soit non-vide (démonstration : si $P \in +C(k)$, Riemann-Roch appliqué au diviseur $(P)$ montre que $l((P)) = +2$, donc il existe une fonction $f$ non-constante, admettant au plus +un pôle simple en $P$, donc admettant effectivement un pôle simple +en $P$ d'après \ref{basic-ord-facts}, et du coup $\divis(f)$, qui doit +être de degré $0$, est de la forme $(P) - (Q)$, et le reste est comme +ci-dessus). On ne peut pas se dispenser de cette hypothèse $C(k) \neq +\varnothing$ : si $C$ est la conique\footnote{En fait, on peut montrer + que toute courbe de genre $0$ peut s'écrire comme une conique + plane.} d'équation projective $t_0^2 + t_1^2 + t_2^2 = 0$ dans +$\mathbb{P}^2$ sur les réels, qui a $C(\mathbb{R}) = \varnothing$, +alors $C$ a pour genre $0$ car le genre est un invariant géométrique +(cf. ci-dessus) et que, sur les complexes, cette conique est isomorphe +au cercle (quitte à changer $t_0$ en $i t_0$) donc à $\mathbb{P}^1$ +(cf. exemples +de \ref{subsection-quasiprojective-varieties-and-morphisms}). +Pourtant, $C$ \emph{n'est pas} isomorphe à $\mathbb{P}^1$ sur les +réels, précisément parce que $C(\mathbb{R}) = \varnothing$ alors que +$\mathbb{P}^1(\mathbb{R}) \neq \varnothing$ ! + +\begin{cor} +Si $C$ est une courbe, tout ouvert $U$ de $C$ autre que $C$ tout +entier est affine. (Cf. \ref{approximation-lemma} pour un contexte +utile de ce résultat.) +\end{cor} +\begin{proof}[Démonstration (partielle)] +Le cas $U=\varnothing$ est vrai (on a $U = \Spec 0$ où $0$ désigne +l'anneau nul) mais inintéressant : supposons donc $U$ non vide. + +On admet\footnote{Il n'y a pas d'arnaque : c'est là un résultat + beaucoup plus facile et moins profond que Riemann-Roch ; il s'agit + de dire que $f$ est un morphisme « fini », donc en particulier + « affine » c'est-à-dire que l'image réciproque d'un ouvert affine + est affine.} le résultat suivant : si $f \colon C \to C_0$ est un +morphisme non-constant de courbes, alors l'image réciproque par $f$ de +tout ouvert affine de $C_0$ est affine. + +Soit $P$ un point du complémentaire de $U$ : le théorème de +Riemann-Roch, et notamment le +corollaire \ref{degree-of-canonical-divisor}, montre que si $n$ est +assez grand, alors $l(n\cdot (P)) > 1$, autrement dit, il existe une +fonction $f \in k(C)$ non constante et régulière partout sauf en $P$ +(où elle ne peut pas être régulière). En considérant $f$ comme un +morphisme $C \to \mathbb{P}^1$, on voit alors que $U' := C +\setminus\{P\} = f^{-1}(\mathbb{A}^1)$, et d'après le résultat admis, +$U'$ est affine. Le lemme d'approximation \ref{approximation-lemma} +montre que si $Q_1,\ldots,Q_s$ sont les points de $U'\setminus U$, il +existe une fonction $h$ ayant un pôle d'ordre $1$ en chacun des $Q_i$ +et régulière sur tout $U \setminus \{Q_i\}$ ; si de plus on exige que +$h$ ait un zéro d'ordre très élevé (c'est-à-dire supérieur à $s$) en +un quelconque autre point $R$ (ce que le lemme d'approximation permet +toujours de faire), on assure que $h$ aura aussi un pôle en $P$ +d'après \ref{principal-divisors-have-degree-zero}. Autrement dit, +ceci assure que $U = h^{-1}(\mathbb{A}^1)$ (en voyant de nouveau $h$ +comme un morphisme $C \to \mathbb{P}^1$), ce qui conclut. +\end{proof} + + +% +% +% +\end{document} -- cgit v1.2.3