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author | David A. Madore <david+git@madore.org> | 2011-05-11 17:31:24 +0200 |
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Hey, Emacs, -*- latex -*- , get it? +\documentclass[12pt,a4paper]{article} +\usepackage[francais]{babel} +\usepackage[utf8]{inputenc} +\usepackage[T1]{fontenc} +%\usepackage{ucs} +\usepackage{times} +% A tribute to the worthy AMS: +\usepackage{amsmath} +\usepackage{amsfonts} +\usepackage{amssymb} +\usepackage{amsthm} +% +\usepackage{mathrsfs} +\usepackage{wasysym} +\usepackage{url} +% +\usepackage{graphics} +\usepackage[usenames,dvipsnames]{xcolor} +\usepackage{tikz} +\usetikzlibrary{matrix} +% +\theoremstyle{definition} +\newtheorem{comcnt}{Tout}[subsection] +\newcommand\thingy{% +\refstepcounter{comcnt}\smallbreak\noindent\textbf{\thecomcnt.} } +\newtheorem{defn}[comcnt]{Définition} +\newtheorem{prop}[comcnt]{Proposition} +\newtheorem{lem}[comcnt]{Lemme} +\newtheorem{thm}[comcnt]{Théorème} +\newtheorem{cor}[comcnt]{Corollaire} +\newtheorem{rmk}[comcnt]{Remarque} +\newtheorem{scho}[comcnt]{Scholie} +\newtheorem{algo}[comcnt]{Algorithme} +\newtheorem{exmps}[comcnt]{Exemples} +\newtheorem{princ}[comcnt]{Principe} +\newcommand{\limp}{\mathrel{\Rightarrow}} +\newcommand{\liff}{\mathrel{\Longleftrightarrow}} +\newcommand{\pgcd}{\operatorname{pgcd}} +\newcommand{\ppcm}{\operatorname{ppcm}} +\newcommand{\Hom}{\operatorname{Hom}} +\newcommand{\id}{\operatorname{id}} +\newcommand{\Frob}{\operatorname{Frob}} +\newcommand{\Frac}{\operatorname{Frac}} +\newcommand{\Spec}{\operatorname{Spec}} +\newcommand{\degtrans}{\operatorname{deg.tr}} +\newcommand{\Gal}{\operatorname{Gal}} +\newcommand{\alg}{\operatorname{alg}} +\newcommand{\init}{\operatorname{in}} +\newcommand{\ord}{\operatorname{ord}} +\newcommand{\divis}{\operatorname{div}} +\newcommand{\Pic}{\operatorname{Pic}} +\renewcommand{\qedsymbol}{\smiley} +% +\DeclareUnicodeCharacter{00A0}{~} +% +\DeclareMathSymbol{\tiret}{\mathord}{operators}{"7C} +\DeclareMathSymbol{\traitdunion}{\mathord}{operators}{"2D} +% +\DeclareFontFamily{U}{manual}{} +\DeclareFontShape{U}{manual}{m}{n}{ <-> manfnt }{} +\newcommand{\manfntsymbol}[1]{% + {\fontencoding{U}\fontfamily{manual}\selectfont\symbol{#1}}} +\newcommand{\dbend}{\manfntsymbol{127}}% Z-shaped +\newcommand{\danger}{\noindent\hangindent\parindent\hangafter=-2% + \hbox to0pt{\hskip-\hangindent\dbend\hfill}} +% +% +% +\begin{document} +\title{\underline{Brouillon} de notes de cours\\de géométrie algébrique} +\author{David A. Madore} +\maketitle + +\centerline{\textbf{MDI349}} + +% +% +% + +\section*{Conventions} + +Sauf précision expresse du contraire, tous les anneaux considérés sont +commutatifs et ont un élément unité (noté $1$). + +Si $k$ est un anneau, une \textbf{$k$-algèbre} (là aussi : +implicitement commutative) est la donnée d'un morphisme d'anneaux $k +\buildrel\varphi\over\to A$ (appelé \emph{morphisme structural} de +l'algèbre). On peut multiplier un élément de $A$ par un élément +de $k$ avec : $c\cdot x = \varphi(c)\,x \in A$ (pour $c\in k$ et $x\in +A$). + + +% +% +% + +\section{Introduction / motivations} + +Qu'est-ce que la géométrie algébrique ? En condensé : +\begin{itemize} +\item\textbf{But :} Étudier les solutions de systèmes d'équations + polynomiales dans un corps ou un anneau quelconque, ou des objets + apparentés. (Étudier = étudier leur existence, les compter, les + paramétrer, les relier, définir une structure dessus, etc.) +\item\textbf{Géométrie :} Voir de tels systèmes d'équations comme des + objets géo\-mé\-triques, soit plongés dans un espace ambiant (espace + affine, espace projectif), soit intrinsèques ; leur appliquer des + concepts de géométrie (espace tangent, étude locale de singularités, + etc.). +\item\textbf{Moyens :} L'étude locale de ces objets passe par les + fonctions définies dessus, qui sont des anneaux tout à fait + généraux, donc l'\emph{algèbre commutative} (étude des anneaux + commutatifs et de leurs idéaux). +\end{itemize} + +\smallbreak + +Problèmes \emph{géométriques} = étude de solutions sur des corps +algébriquement clos (e.g., $\mathbb{C}$ : géométrie algébrique +complexe ; $\bar{\mathbb{F}}_p$) ou « presque » (e.g., $\mathbb{R}$ : +géométrie algébrique réelle). Problèmes \emph{arithmétiques} = sur +des corps loin d'être algébriquement clos (e.g., $\mathbb{Q}$ : +géométrie arithmétique), ou des anneaux plus gé\-né\-raux +(e.g., $\mathbb{Z}$ : idem, « équations diophantiennes »). + +Applications : cryptographie et codage (géométrie sur $\mathbb{F}_q$), +calcul formel, robotique (géométrie sur $\mathbb{R}$), analyse +complexe (géométrie sur $\mathbb{C}$), théorie des nombres +(sur $\mathbb{Q}$, corps de nombres...), etc. + +\smallbreak + +\textbf{Un exemple :} Pour tout anneau $k$, on définit $C(k) = +\{(x,y)\in k^2 : x^2+y^2 = 1\}$. Interprétation géométrique : ceci +est un cercle ! Il est plongé dans le « plan affine » $\mathbb{A}^2$ +défini par $\mathbb{A}^2(k) = k^2$ pour tout anneau $k$. + +\begin{itemize} +\item Sur $\mathbb{R}$, les solutions forment effectivement un cercle, + au sens naïf. +\item (Sur $\mathbb{C}$, les solutions dans $\mathbb{C}^2$ forment une + surface, qui ressemblerait plutôt à une sphère privée de deux + points.) +\item Sur $\mathbb{F}_q$, on peut compter les solutions : on peut + montrer qu'il y en a $q-1$ ou $q+1$ selon que $q \equiv 1\pmod{4}$ + ou $q \equiv 3\pmod{4}$ (ou encore $q$ pour $q = 2^r$). +\item Sur $\mathbb{Q}$, il n'est pas complètement évident de trouver + des solutions autres que $(\pm 1,0)$ et $(0,\pm 1)$. Un exemple : + $(\frac{4}{5},\frac{3}{5})$ (Pythagore, Euclide...). +\end{itemize} + +Paramétrage des solutions : + +\begin{center} +\begin{tikzpicture}[scale=3] +\draw[step=.2cm,help lines] (-1.25,-1.25) grid (1.25,1.25); +\draw[->] (-1.15,0) -- (1.15,0); \draw[->] (0,-1.15) -- (0,1.15); +\draw (0,0) circle (1cm); +\draw (1,-1.15) -- (1,1.15); +\coordinate (P) at (0.8,0.6); +\coordinate (Q) at (1,0.6666666667); +\draw (0.8,0) -- (P); +\draw (-1,0) -- node[sloped,auto] {$\scriptstyle\mathrm{pente}=t$} (Q); +\fill[black] (P) circle (.5pt); +\fill[black] (Q) circle (.5pt); +\fill[black] (-1,0) circle (.5pt); +\node[anchor=west] at (Q) {$\scriptstyle (1,2t)$}; +\node[anchor=north east] at (-1,0) {$\scriptstyle (-1,0)$}; +\node[anchor=east] at (P) {$\scriptstyle (\frac{1-t^2}{1+t^2},\frac{2t}{1+t^2})$}; +\end{tikzpicture} +\end{center} + +Un petit calcul géométrique (cf. les formules exprimant +$\cos\theta,\sin\theta$ en fonction de $\tan\frac{\theta}{2}$), +valable sur tout corps $k$ de caractéristique $\neq 2$ (ou en fait +tout anneau dans lequel $2$ est inversible\footnote{C'est-à-dire, une + $\mathbb{Z}[\frac{1}{2}]$-algèbre, où $\mathbb{Z}[\frac{1}{2}] = + \{\frac{a}{2^r}:a\in\mathbb{Z},r\in\mathbb{N}\}$}), permet de +montrer que toute solution $(x,y) \in C(k)$ autre que $(-1,0)$ peut +s'écrire de la forme $(\frac{1-t^2}{1+t^2},\frac{2t}{1+t^2})$ avec $t +\in k$ (uniquement défini, et vérifiant $t^2\neq -1$). + +\emph{Remarques :} (a) ceci correspond à un point +$(\frac{1-t^2}{1+t^2},\frac{2t}{1+t^2}) \in C(k(t))$ où $k(t)$ est le +corps des fonctions rationnelles à une indéterminée sur $k$ ; (b) ceci +permet, par exemple, de trouver de nombreuses solutions +sur $\mathbb{Q}$, ou d'en trouver rapidement sur +$\mathbb{F}_q$ ($q$ impair) ; (c) on a, en fait, défini un +« morphisme » d'objets géométriques de la droite affine $\mathbb{A}^1$ +vers le cercle $C$ (privé du point $(-1,0)$). + +On peut aussi définir une structure de \emph{groupe} (abélien) sur les +points de $C(k)$ pour n'importe quel anneau $k$ : si $(x,y) \in C(k)$ +et $(x',y') \in C(k)$, on définit leur composée $(x,y)\star (x',y') = +(x'',y'')$ par +\[ +\left\{\begin{array}{c} +x'' = xx'-yy'\\ +y'' = xy'+yx'\\ +\end{array}\right. +\] +(cf. les formules exprimant +$\cos(\theta+\theta'),\sin(\theta+\theta')$ en fonction de +$\cos\theta,\sin\theta$ et $\cos\theta',\sin\theta'$). Élément +neutre : $(1,0)$ ; inverse de $(x,y)$ : $(x,-y)$. + +(Les fonctions trigonométriques, ``transcendantes'', servent à motiver +ces formules, mais les formules sont parfaitement valables sur +$\mathbb{F}_q$ bien que $\cos\theta,\sin\theta$ n'aient pas de sens !) + +\emph{Remarque :} Tout élément $f$ de l'anneau +$\mathbb{R}[x,y]/(x^2+y^2-1)$ définit une fonction réelle sur le +cercle $C(\mathbb{R})$ : ces fonctions s'appellent « polynômes + trigonométriques ». Tout élément de l'anneau +$\mathbb{Z}[x,y]/(x^2+y^2-1)$ définit une fonction (à valeurs +dans $k$) sur \emph{n'importe quel} $C(k)$. On verra aussi plus loin +qu'un élément de $C(k)$ peut se voir comme un morphisme d'anneaux +$\mathbb{Z}[x,y]/(x^2+y^2-1) \to k$. + + +% +% +% + +\section{Prolégomènes d'algèbre commutative} + +\subsection{Anneaux réduits, intègres}\label{subsection-reduced-and-integral-rings} + +Anneau \textbf{réduit} = anneau dans lequel $x^n = 0$ implique $x = +0$. En général, un $x$ (dans un anneau $A$) tel que $x^n = 0$ pour un +certain $n \in \mathbb{N}$ s'appelle un élément \textbf{nilpotent}. + +Anneau \textbf{intègre} = anneau non nul dans lequel $xy = 0$ implique +$x=0$ ou $y=0$ (remarque : la réciproque vaut dans tout anneau). En +général, un $x$ (dans un anneau $A$) tel qu'il existe $y \neq 0$ tel +que $xy = 0$ s'appelle un \textbf{diviseur de zéro}. + +Élément \textbf{inversible} (ou \emph{unité}) d'un anneau $A$ = +élément $x$ tel qu'il existe $y$ vérifiant $xy = 1$. L'ensemble +$A^\times$ ou $\mathbb{G}_m(A)$ des tels éléments forme un +\emph{groupe}, appelé groupe multiplicatif des inversibles de $A$. Un +\textbf{corps} est un anneau tel que $A^\times = A\setminus\{0\}$. + +Un corps est un anneau intègre. Un anneau intègre est un anneau +réduit. + +\smallbreak + +Idéal \textbf{maximal} d'un anneau $A$ = un idéal $\mathfrak{m} \neq +A$ tel que si $\mathfrak{m} \subseteq \mathfrak{m}'$ (avec +$\mathfrak{m}'$ un autre idéal) alors soit +$\mathfrak{m}'=\mathfrak{m}$ soit $\mathfrak{m}'=A$). Propriété +équivalente : c'est un idéal $\mathfrak{m}$ tel que $A/\mathfrak{m}$ +soit un corps. + +Idéal \textbf{premier} d'un anneau $A$ = un idéal $\mathfrak{p} \neq +A$ tel que si $x,y\not\in\mathfrak{p}$ alors $xy \not\in +\mathfrak{p}$. Propriété équivalente : c'est un idéal $\mathfrak{p}$ +tel que $A/\mathfrak{p}$ soit intègre. + +Idéal \textbf{radical} d'un anneau $A$ = un idéal $\mathfrak{r}$ tel +que si $x^n \in \mathfrak{r}$ alors $x \in \mathfrak{r}$. Propriété +équivalente : c'est un idéal $\mathfrak{r}$ tel que $A/\mathfrak{r}$ +soit réduit. + +\emph{Exemples :} L'idéal $7\mathbb{Z}$ de $\mathbb{Z}$ est maximal +(le quotient $\mathbb{Z}/7\mathbb{Z}$ est un corps), donc \textit{a + fortiori} premier et radical. L'idéal $0$ de $\mathbb{Z}$ est +premier mais non maximal (le quotient $\mathbb{Z}/0\mathbb{Z} = +\mathbb{Z}$ est un anneau intègre mais non un corps). L'idéal +$6\mathbb{Z}$ de $\mathbb{Z}$ est radical mais n'est pas premier. +L'idéal $9\mathbb{Z}$ de $\mathbb{Z}$ n'est pas radical. + +\smallbreak + +Un anneau est un corps ssi son idéal $(0)$ est maximal. Un anneau est +intègre ssi son idéal $(0)$ est premier. Un anneau est réduit ssi son +idéal $(0)$ est radical. + +Un anneau est dit \textbf{local} lorsqu'il a un unique idéal maximal. +(En particulier, un corps est un anneau local.) Le quotient d'un +anneau local par son idéal maximal s'appelle son \emph{corps + résiduel}. \emph{Exercice :} l'anneau $A$ des rationnels de la +forme $\frac{a}{b}$ avec $a,b \in \mathbb{Z}$ et $b$ impair est un +anneau local dont l'idéal maximal $\mathfrak{m}$ est formé des +$\frac{a}{b}$ avec $a$ pair. (Quel est le corps résiduel ?) + +\smallbreak + +On admet le résultat ensembliste suivant : +\begin{lem}[principe maximal de Hausdorff] +Soit $\mathscr{F}$ un ensemble de parties d'un ensemble $A$. On +suppose que $\mathscr{F}$ est non vide et que pour toute partie non +vide $\mathscr{T}$ de $\mathscr{F}$ totalement ordonnée par +l'inclusion (c'est-à-dire telle que pour $I,I' \in \mathscr{T}$ on a +soit $I \subseteq I'$ soit $I \supseteq I'$) la réunion $\bigcup_{I + \in \mathscr{T}} I$ soit contenue dans un élément de $\mathscr{F}$. +Alors il existe dans $\mathscr{F}$ un élément $\mathfrak{M}$ maximal +pour l'inclusion (c'est-à-dire que si $I \supseteq \mathfrak{M}$ avec +$I \in \mathscr{F}$ alors $I=\mathfrak{M}$). +\end{lem} + +\begin{prop}\label{existence-maximal-ideals} +Dans un anneau $A$, tout idéal strict (=autre que $A$) est inclus dans +un idéal maximal. +\end{prop} +\begin{proof} +Si $I$ est un idéal strict de $A$, on applique le principe maximal de +Hausdorff à $\mathscr{F}$ l'ensemble des idéaux stricts de $A$ +contenant $I$. Si $\mathscr{T}$ est une chaîne (=partie totalement +ordonnée pour l'inclusion) de tels idéaux, la réunion $\bigcup_{I \in + \mathscr{T}} I$ en est encore un\footnote{La réunion de deux idéaux + n'est généralement pas un idéal, car si $x\in I$ et $x' \in I'$, la + somme $x+x'$ n'a pas de raison d'appartenir à $I\cup I'$. En + revanche, si $\mathscr{T}$ est une famille d'idéaux totalement + ordonnée par l'inclusion, alors $\bigcup_{I \in \mathscr{T}} I$ est + un idéal : si $x\in I$ et $x' \in I'$, où $I,I'\in \mathscr{T}$, on + peut écrire soit $I \subseteq I'$ soit $I'\subseteq I$, et dans un + cas comme dans l'autre on a $x+x' \in \bigcup_{I \in \mathscr{T}} + I$.} (pour voir que la réunion est encore un idéal strict, remarquer +que $1$ n'y appartient pas). Le principe maximal de Hausdorff permet +de conclure. +\end{proof} + +\begin{prop} +Dans un anneau, l'ensemble des éléments nilpotents est un idéal : +c'est le plus petit idéal radical. Cet idéal est précisément +l'intersection des idéaux premiers de l'anneau. On l'appelle le +\textbf{nilradical} de l'anneau. +\end{prop} +\begin{proof} +L'ensemble des nilpotents est un idéal car si $x^n=0$ et $y^n=0$ alors +$(x+y)^{2n}=0$ en développant. Il est inclus dans tout idéal radical, +et il est visiblement lui-même radical : c'est donc le plus petit +idéal radical. Étant inclus dans tout idéal radical, il est \textit{a + fortiori} inclus dans tout idéal premier. Reste à montrer que si +$z$ est inclus dans tout idéal premier, alors $x$ est nilpotent. + +Supposons que $z$ n'est pas nilpotent. Considérons $\mathfrak{p}$ un +idéal maximal pour l'inclusion parmi les idéaux ne contenant aucun +$z^n$ : un tel idéal existe d'après le principe maximal de Hausdorff +(il existe un idéal ne contenant aucun $z^n$, à savoir $\{0\}$). +Montrons qu'il est premier : si $x,y \not \in \mathfrak{p}$, on veut +voir que $xy \not\in \mathfrak{p}$. Par maximalité de $\mathfrak{p}$, +chacun des idéaux\footnote{On rappelle que si $I,J$ sont deux idéaux + d'un anneau, l'ensemble $I + J = \{u+v : u\in I, v\in J\}$ est un + idéal, c'est l'idéal engendré par $I\cup J$, c'est-à-dire, le plus + petit idéal contenant $I$ et $J$ ; on l'appelle idéal somme de $I$ + et $J$. Dans le cas particulier où $J = (x)$ est engendré par un + élément, c'est donc l'idéal engendré par $I\cup\{x\}$.} +$\mathfrak{p}+(x)$ et $\mathfrak{p}+(y)$ doit rencontrer $\{z^n\}$, +c'est-à-dire qu'on doit pouvoir trouver deux éléments de la forme +$f+ax$ et $g+by$ avec $f,g\in\mathfrak{p}$ et $a,b\in A$, qui soient +des puissances de $z$ ; leur produit est alors aussi une puissance +de $z$, donc n'est pas dans $\mathfrak{p}$, donc $abxy +\not\in\mathfrak{p}$ (car les trois autres termes sont +dans $\mathfrak{p}$), et a plus forte raison $xy \not\in +\mathfrak{p}$. +\end{proof} + +En appliquant ce résultat à $A/I$, on obtient : +\begin{prop} +Si $A$ est un anneau et $I$ un idéal de $A$, l'ensemble des éléments +tels que $z^n \in I$ pour un certain $n \in \mathbb{N}$ est un idéal : +c'est le plus petit idéal radical contenant $I$. Cet idéal est +précisément l'intersection des idéaux premiers de $A$ contenant $I$. +On l'appelle le \textbf{radical} de l'idéal $I$ et on le note $\surd +I$. +\end{prop} + +L'intersection des idéaux maximaux d'un anneau s'appelle le +\textbf{radical de Jacobson} de cet anneau : il est, en général, +strictement plus grand que le nilradical. + +Notons aussi la conséquence facile suivante de la +proposition \ref{existence-maximal-ideals}. +\begin{prop}\label{non-invertible-elements-and-maximal-ideals} +Dans un anneau $A$, l'ensemble des éléments non-inversibles est la +réunion de tous les idéaux maximaux. +\end{prop} +\begin{proof} +Dire que $x$ est inversible signifie que $x$ engendre l'idéal unité. +Si c'est le cas, $x$ n'appartient à aucun idéal strict de $A$, et en +particulier aucun idéal maximal. Réciproquement, si $x$ n'est pas +inversible, l'idéal $(x)$ qu'il engendre est strict, donc inclus dans +un idéal maximal $\mathfrak{m}$ +d'après \ref{existence-maximal-ideals}, donc $x$ est bien dans la +réunion des idéaux maximaux. +\end{proof} + +% +\subsection{Modules} + +Un \textbf{module} $M$ sur un anneau $A$ est un groupe abélien muni +d'une multiplication externe $A \times M \to M$ vérifiant : +\begin{itemize} +\item $a(x+y) = ax + ay$ +\item $1x = x$ +\item $(ab)x = a(bx)$ +\item $(a+b)x = ax + bx$ +\end{itemize} +(Exercice : $a0 = 0$, $a(-x) = -(ax)$, $0x = x$, $(-a)x = -(ax)$...) + +Un \textbf{sous-module} $M'$ d'un module $M$ est un sous-groupe $M'$ +de $M$ tel que $ax \in M'$ dès que $x\in M'$ et $a\in A$. + +Tout anneau est un module sur lui-même de façon évidente. Un +sous-$A$-module de $A$ est la même chose qu'un idéal de $A$. Si $B$ +est une $A$-algèbre, c'est-à-dire si on se donne un morphisme +d'anneaux $A \buildrel\varphi\over\to B$, on peut voir $B$ comme un +$A$-module (par $a\cdot b = \varphi(a)\,b$). + +Module de type fini = il existe une famille \emph{finie} $(x_i)$ +d'éléments de $M$ qui engendre $M$ comme $A$-module, c'est-à-dire que +tout $x \in M$ peut s'écrire $\sum_i a_i x_i$ pour certains $a_i \in +A$. + +Module libre = il existe une base $(x_i)$, c'est-à-dire une famille +(non né\-ces\-sairement finie) telle que tout $x \in M$ peut s'écrire +\emph{de façon unique} comme $\sum_i a_i x_i$ pour certains $a_i \in +A$ tous nuls sauf un nombre fini (de façon unique, c'est-à-dire que +$\sum_i a_i x_i = 0$ implique $a_i = 0$ pour tout $i$). + +% +\subsection{Anneaux noethériens} + +Anneau \textbf{noethérien} : c'est un anneau $A$ vérifiant les +proprités équivalentes suivantes : +\begin{itemize} +\item toute suite croissante pour l'inclusion $I_0 \subseteq I_1 + \subseteq I_2 \subseteq \cdots$ d'idéaux de $A$ stationne + (c'est-à-dire est constante à partir d'un certain rang) ; +\item tout idéal $I$ de $A$ est de type fini : il existe une famille + \emph{finie} $(x_i)$ d'éléments de $I$ qui engendre $I$ comme idéal + (= comme $A$-module) (c'est-à-dire que tout $x \in I$ peut s'écrire + $\sum_i a_i x_i$ pour certains $a_i \in A$) ; +\item plus précisément, si $I$ est l'idéal engendré par une famille + $x_i$ d'éléments, on peut trouver une sous-famille finie des $x_i$ + qui engendre le même idéal $I$ ; +\item un sous-module d'un $A$-module de type fini est de type fini. +\end{itemize} + +L'essentiel des anneaux utilisés en géométrie algébrique (en tout cas, +auxquels on aura affaire) sont noethériens. L'anneau $\mathbb{Z}$ est +noethérien. Tout corps est un anneau noethérien. Tout quotient d'un +anneau noethérien est noethérien (attention : il n'est pas vrai qu'un +sous-anneau d'un anneau noethérien soit toujours noethérien). Et +surtout : +\begin{prop}[théorème de la base de Hilbert] +Si $A$ est un anneau noethérien, alors l'anneau $A[t]$ des polynômes à +une indéterminée sur $A$ est noethérien. +\end{prop} +\begin{proof} +Soit $I \subseteq A[t]$ un idéal. Supposons par l'absurde que $I$ +n'est psa de type fini. On construit par récurrence une suite +$f_0,f_1,f_2,\ldots$ d'éléments de $I$ comme suit. Si +$f_0,\ldots,f_{r-1}$ ont déjà été choisis, comme l'idéal +$(f_0,\ldots,f_{r-1})$ qu'ils engendrent n'est pas $I$, on peut +choisir $f_r$ de plus petit degré possible parmi les éléments de $I$ +non dans $(f_0,\ldots,f_{r-1})$. + +Appelons $c_i$ le coefficient dominant de $f_i$. Comme $A$ est +supposé noethérien, il existe $m$ tel que $c_0,\ldots,c_{m-1}$ +engendrent l'idéal $J$ engendré par tous les $c_i$. Montrons qu'en +fait $f_0,\ldots,f_{m-1}$ engendrent $I$ (ce qui constitue une +contradiction). + +On peut écrire $c_m = a_0 c_0 + \cdots + a_{m-1} c_{m-1}$. Par +ailleurs, le degré de $f_m$ est supérieur ou égal au degré de chacun +de $f_0,\ldots,f_{m-1}$ par minimalité de ces derniers. On peut donc +construire le polynôme $g = \sum_{i=0}^{m-1} a_i f_i t^{\deg f_m - + \deg f_i}$, qui a les mêmes degré et coefficient dominant que $f_m$, +et qui appartient à $(f_0,\ldots,f_{m-1})$. Alors, $f_m - g$ est de +degré strictement plus petit que $f_m$, il appartient à $I$ mais pas +à $(f_0,\ldots,f_{m-1})$ : ceci contredit la minimalité dans le choix +de $f_m$. +\end{proof} + +En itérant ce résultat, on voit que si $A$ est noethérien, alors +$A[t_1,\ldots,t_d]$ l'est pour tout $d\in\mathbb{N}$. Comme un +quotient d'un anneau noethérien est encore noethérien : + +\begin{defn}\label{finite-type-algebras} +Une $A$-algèbre $B$ est dite \textbf{de type fini} (comme $A$-algèbre) +lorsqu'il existe $x_1,\ldots,x_d \in B$ (qu'on dit \emph{engendrer} +$B$ comme $A$-algèbre) tel que tout élément de $B$ s'écrive +$f(x_1,\ldots,x_d)$ pour un certain polynôme $f \in +A[t_1,\ldots,t_d]$. +\end{defn} + +\danger\textbf{Attention :} Cela ne signifie pas que $B$ soit de type +fini comme $A$-module. Lorsque c'est le cas, on dit que $B$ est une +$A$-algèbre \emph{finie}, ce qui est plus fort car cela signifie que +$f$ serait de degré $1$. (Par exemple, $k[t]$ est une $k$-algèbre de +type fini, engendrée par $t$, mais pas finie.) + +Dire que $B$ est une $A$-algèbre de type fini engendrée par +$x_1,\ldots,x_d$ signifie donc que le morphisme $\xi\colon +A[t_1,\ldots,t_d] \to B$ défini par $f \mapsto f(x_1,\ldots,x_d)$ est +\emph{surjectif}. Par conséquent, si $I$ désigne le noyau de ce +morphisme (c'est-à-dire l'ensemble des $f \in A[t_1,\ldots,t_d]$ qui +s'annulent en $(x_1,\ldots,x_d)$) alors $\xi$ définit un isomorphisme +$A[t_1,\ldots,t_d]/I \buildrel\sim\over\to B$. On peut donc dire : +une $A$-algèbre de type fini est un quotient de $A[t_1,\ldots,t_d]$ +(pour un certain $d$). + +\begin{cor}\label{finite-type-algebras-are-noetherian} +Une algèbre de type fini sur un anneau noethérien, et en particulier +sur un corps ou sur $\mathbb{Z}$, est un anneau noethérien. +\end{cor} + +% +\subsection{Notes sur les morphismes}\label{subsection-note-morphisms} + +Si $A,B$ sont deux $k$-algèbres (où $k$ est un anneau), c'est-à-dire +qu'on se donne deux morphismes $\varphi_A \colon k\to A$ et $\varphi_B +\colon k\to B$, on note $\Hom_k(A,B)$ (ou bien +$\Hom_{k\traitdunion\mathrm{Alg}}(A,B)$ s'il y a +ambiguïté\footnote{Par exemple pour bien distinguer de l'ensemble + $\Hom_{k\traitdunion\mathrm{Mod}}(A,B)$ des applications + $k$-linéaires, ou morphismes de $k$-modules, entre $A$ et $B$ vus + comme des $k$-modules.}) l'ensemble des morphismes de $k$-algèbres +$A\to B$, c'est-à-dire l'ensemble des morphismes d'anneaux +$A\buildrel\psi\over\to B$ « au-dessus de $k$ », ou faisant commuter +le diagramme : +\begin{center} +\begin{tikzpicture}[auto] +\matrix(diag)[matrix of math nodes,column sep=2.5em,row sep=5ex]{ +A&&B\\&k&\\}; +\draw[->] (diag-2-2) -- node{$\varphi_A$} (diag-1-1); +\draw[->] (diag-2-2) -- node[swap]{$\varphi_B$} (diag-1-3); +\draw[->] (diag-1-1) -- node{$\psi$} (diag-1-3); +\end{tikzpicture} +\end{center} + +Remarque : une $\mathbb{Z}$-algèbre est la même chose qu'un anneau, et +un morphisme de $\mathbb{Z}$-algèbres qu'un morphisme d'anneaux. + +\begin{prop} +\begin{itemize} +\item $\Hom_k(k,A)$ est un singleton pour toute $k$-algèbre $A$. +\item $\Hom_k(k[t],A)$ est en bijection avec $A$ en envoyant + $\psi\colon k[t]\to A$ sur $\psi(t)$. +\item De même, $\Hom_k(k[t_1,\ldots,t_d],A)$ est en bijection avec + l'ensemble $A^d$ (en envoyant $\psi$ sur + $(\psi(t_1),\ldots,\psi(t_d))$). +\item Si $I$ est un idéal de $R$, alors $\Hom_k(R/I, A)$ est en + bijection avec le sous-ensemble de $\Hom_k(R,A)$ formé des + $\psi\colon R\to A$ qui s'annulent sur $I$ (la bijection envoyant + $\hat\psi \colon R/I \to A$ sur $\psi \colon R\to A$ composé de + $\hat\psi$ avec la surjection canonique $R \to R/I$). +\item (En particulier,) si $I = (f_1,\ldots,f_r)$ est un idéal de + $k[t_1,\ldots,t_d]$ et si $R = k[t_1,\ldots,t_d]/I$, alors + $\Hom_k(R, A)$ est en bijection avec l'ensemble $\{(x_1,\ldots,x_d) + \in A^d :\penalty0 (\forall j)\,f_j(x_1,\ldots,x_d) = 0\}$ (noté + $Z(I)(A)$). +\end{itemize} +\end{prop} + +À titre d'exemple, dans l'introduction on avait posé $C(T) = +\{(x,y)\in T^2 : x^2+y^2 = 1\}$ pour tout anneau $T$. Un élément de +$C(T)$ peut donc se voir comme un morphisme +$\mathbb{Z}[x,y]/(x^2+y^2-1) \to T$. + +\textbf{Exercice :} Si on note $k[x,x^{-1}] = k[x,y]/(xy-1)$, à quoi +peut-on identifier l'ensemble $\Hom_k(k[x,x^{-1}], A)$ ? + +\smallbreak + +Si $\beta\colon B \to B'$, on définit une application +$\Hom_k(A,\beta)\colon \Hom_k(A,B) \to \Hom_k(A,B')$ par $\psi \mapsto +\beta\circ\psi$ ; si $\alpha \colon A' \to A$ (attention au sens de la +flèche !), on définit de même une application $\Hom_k(\alpha,B) \colon +\Hom_k(A,B) \to \Hom_k(A',B)$ par $\psi \mapsto \psi\circ\alpha$. Ces +applications $\Hom_k(A,\beta)$ et $\Hom_k(\alpha,B)$ commutent au sens +où $\Hom_k(\alpha,B') \circ \Hom_k(A,\beta) = \Hom_k(A',\beta) \circ +\Hom_k(\alpha,B) \penalty0\colon \Hom_k(A,B) \to \Hom_k(A',B')$ (c'est +trivial : composer $\psi$ à droite par $\alpha$ puis à gauche +par $\beta$ revient à le composer à gauche par $\beta$ puis à droite +par $\alpha$). De façon à peine moins triviale : + +\begin{prop}[lemme de Yoneda] +Soient $B,B'$ deux $k$-algèbres. On suppose que pour toute +$k$-algèbre $A$ on se donne une application $\beta_A\colon \Hom_k(A,B) +\to \Hom_k(A,B')$ telle que si $\alpha\colon A'\to A$ alors +$\Hom_k(\alpha,B') \circ \beta_A = \beta_{A'} \circ \Hom_k(\alpha,B)$. +Alors il existe un unique morphisme $\beta\colon B \to B'$ de +$k$-algèbres tel que $\beta_A = \Hom_k(A,\beta)$ pour toute +$k$-algèbre $A$. + +Dans l'autre sens : si $A,A'$ sont deux $k$-algèbres, et si pour toute +$k$-algèbre $B$ on se donne une application $\alpha_B\colon +\Hom_k(A,B) \to \Hom_k(A',B)$ telle que $\alpha_{B'} \circ +\Hom_k(A,\beta) = \Hom_k(A',\beta) \circ \alpha_B$, alors il existe un +unique morphisme $\alpha\colon A'\to A$ de $k$-algèbres tel que +$\alpha_B = \Hom_k(\alpha,B)$ pour toute $k$-algèbre $B$. +\end{prop} +\begin{proof} +Prendre pour $\beta$ l'image de l'identité $\id_B$ par $\beta_B$, ou +pour $\alpha$ l'image de l'identité $\id_A$ par $\alpha_A$. +\end{proof} + +% +\subsection{Localisation} + +On dit qu'une partie $S$ d'un anneau $A$ est \emph{multiplicative} +lorsque $1\in S$ et $s,s'\in S \limp ss'\in S$. Par exemple, le +complémentaire d'un idéal premier est, par définition, +multiplicative ; en particulier, dans un anneau intègre, l'ensemble +des éléments non nuls est une partie multiplicative. + +Dans ces conditions, on construit un anneau noté $A[S^{-1}]$ (ou +$S^{-1}A$) de la façon suivante : ses éléments sont notés $a/s$ avec +$a\in A$ et $s \in S$, où on identifie\footnote{Ce racourci de langage + signifie qu'on considère la relation d'équivalence $\sim$ sur + $A\times S$ définie par $(a,s) \sim (a',s')$ lorsqu'il existe $t \in + S$ tel que $t(a's-as') = 0$, on appelle $A[S^{-1}]$ le quotient + $(A\times S)/\sim$, et on note $a/s$ la classe de $(a,s)$ pour cette + relation ; il faudrait encore vérifier que toutes les opérations + proposées ensuite sont bien définies.} $a/s = a'/s'$ lorsqu'il +existe $t \in S$ tel que $t(a's-as') = 0$. L'addition est définie par +$(a/s)+(a'/s') = (a's+as')/(ss')$ (le zéro par $0/1$, l'opposé par +$-(a/s) = (-a)/s$) et la multiplication par $(a/s)\cdot (a'/s') = +(aa')/(ss')$ (l'unité par $1/1$). Cet anneau est muni d'un morphisme +naturel $A \buildrel\iota\over\to A[S^{-1}]$ donné par $a \mapsto +a/1$. On l'appelle le \textbf{localisé} de $A$ inversant la partie +multiplicative $S$. Si $A$ est une $k$-algèbre (pour un certain +anneau $k$) alors $A[S^{-1}]$ est une $k$-algèbre de façon évidente +(en composant le morphisme structural $k\to A$ par le morphisme +naturel $A \to A[S^{-1}]$). + +\begin{prop}\label{properties-localization} +\begin{itemize} +\item Le morphisme naturel $A \buildrel\iota\over\to A[S^{-1}]$ est + injectif si et seulement si $S$ ne contient aucun diviseur de zéro. + (Extrême inverse : si $S$ contient $0$, alors $A[S^{-1}]$ est + l'anneau nul.) +\item Tout idéal $J$ de $A[S^{-1}]$ est de la forme $J = I[S^{-1}] := + \{a/s : a\in I,\penalty0 s \in S\}$ où $I$ est l'image réciproque + dans $A$ (par le morphisme naturel $\iota\colon A \to A[S^{-1}]$) de + l'idéal $J$ considéré. Autrement dit, $J \mapsto \iota^{-1}(J)$ + définit une injection des idéaux de $A[S^{-1}]$ dans ceux de $A$. +\item Un idéal $I$ de $A$ est de la forme $\iota^{-1}(J)$ pour un + idéal $J$ de $A[S^{-1}]$ (né\-ces\-sai\-rement $J = I[S^{-1}]$ d'après le + point précédent) ssi aucun élément de $S$ n'est diviseur de zéro + dans $A/I$. +\item En particulier, $\mathfrak{p} \mapsto \iota^{-1}(\mathfrak{p})$ + définit une bijection entre les idéaux premiers de $A[S^{-1}]$ et + ceux de $A$ ne rencontrant pas $S$. +\item Si $A$ est une $k$-algèbre, $\Hom_k(A[S^{-1}],B)$ s'identifie, + via $\Hom_k(\iota,B)\colon\penalty0 \Hom_k(A[S^{-1}],B) \to + \Hom_k(A,B)$, au sous-ensemble de $\Hom_k(A,B)$ formé des morphismes + $\psi\colon A\to B$ tels que $\psi(s)$ soit inversible pour + tout $s\in S$. +\end{itemize} +\end{prop} + +Cas particuliers importants : si $\mathfrak{p}$ est premier et $S = +A\setminus\mathfrak{p}$ est son com\-plé\-men\-taire, on note +$A_{\mathfrak{p}} = A[S^{-1}]$ ; c'est un anneau local (dont l'idéal +maximal est $\mathfrak{p}[S^{-1}] = \{a/s : a\in \mathfrak{p}, s +\not\in \mathfrak{p}\}$) : on l'appelle le localisé de $A$ +\textbf{en} $\mathfrak{p}$. Si $A$ est un anneau intègre et $S = A +\setminus\{0\}$ l'ensemble des éléments non nuls de $A$, on note +$\Frac(A) = A[S^{-1}]$ : c'est un corps, appelé \textbf{corps des + fractions} de $A$. Par exemple, $\Frac(\mathbb{Z}) = \mathbb{Q}$ et +$\Frac(k[t]) = k(t)$ pour $k$ un corps. + +Toute partie $\Sigma$ de $A$ engendre une partie multiplicative $S$ +(c'est l'intersection de toutes les parties multiplicatives +contenant $\Sigma$, ou simplement l'ensemble de tous les produits +possibles d'éléments de $\Sigma$) : on note généralement +$A[\Sigma^{-1}]$ pour $A[S^{-1}]$. En particulier, lorsque $\Sigma$ +est le singleton d'un élément $\sigma$, on note $A[\sigma^{-1}]$ ou +$A[\frac{1}{\sigma}]$. + +\begin{prop}\label{localization-inverting-one-element} +Si $A$ est un anneau et $f\in A$ alors $A[\frac{1}{f}] \cong +A[z]/(zf-1)$ (ici, $A[z]$ est l'anneau des polynômes en une +indéterminée) par un isomorphisme envoyant $\frac{a}{f^n}$ sur la +classe de $a z^n$. +\end{prop} +\begin{proof} +Considérons le morphisme $A[z] \to A[\frac{1}{f}]$ envoyant $z$ +sur $\frac{1}{f}$, c'est-à-dire $h \mapsto h(\frac{1}{f})$ (pour $h +\in A[z]$). Il est évident qu'il est surjectif ($a z^n$ s'envoie +sur $\frac{a}{f^n}$) et que son noyau contient $zf-1$. Tout revient +donc à montrer que si $h \in A[z]$ est dans le noyau, i.e., vérifie +$h(\frac{1}{f}) = 0 \in A[\frac{1}{f}]$, alors $h$ est dans l'idéal +engendré par $zf-1$. Mettons $h = c_0 + c_1 z + \cdots + c_n z^n$ : +la condition $h(\frac{1}{z}) = 0$ signifie $(c_0 f^n + c_1 f^{n-1} + +\cdots + c_n)/f^n = 0 \in A[\frac{1}{f}]$, c'est-à-dire qu'il existe +$k$ tel que $c_0 f^{n+k} + c_1 f^{n+k-1} + \cdots + c_n f^k = 0$. +Cherchons une écriture $h(z) = q(z)\,(1-zf)$ où $q \in A[z]$, disons +$q(z) = d_0 + d_1 z + \cdots + d_N z^N$. En identifiant les +coefficients, on trouve $c_0 = d_0$, $c_1 = d_1 - d_0 f$, $c_2 = d_2 - +d_1 f$, etc., c'est-à-dire $d_0 = c_0$, $d_1 = c_0 f + c_1$, et +généralement $d_r = c_0 f^r + \cdots + c_{r-1} f + c_r$ en convenant +$c_i = 0$ si $i>n$. Pour que ceci définisse bien un polynôme $q$, il +faut et il suffit que $d_r$ soit nul à partir d'un certain rang (à +savoir $N+1$ avec les notations précédentes). Or la condition qu'on a +trouvé s'exprime précisément par le fait que $d_{n+k} = 0$ ainsi que +tous les $d_i$ ultérieurs. +\end{proof} + +% +\subsection{TODO} + +Lemme de Nakayama ? + +Produit tensoriel ? (Sous quelle forme ?) + + +% +% +% + +\section{Variétés algébriques affines sur un corps algé\-bri\-que\-ment clos} + +Pour le moment, $k$ est un corps, qui sera bientôt algébriquement +clos. + +% +\subsection{Une question d'idéaux maximaux} + +On commence par une remarque : si $x = (x_1,\ldots,x_d)$ est un point +de $k^d$, on dispose d'un \emph{morphisme d'évaluation en $x$}, +$k[t_1,\ldots,t_d] \to k$, donné par $f \mapsto f(x_1,\ldots,x_d)$ +(pour $f$ un polynôme à $d$ indéterminées), qui à $f$ associe sa +valeur en $d$. Ce morphisme est évidemment surjectif (tout $c \in k$ +est l'image du polynôme constant $c$). Si on appelle $\mathfrak{m}_x$ +son noyau, c'est-à-dire, l'ensemble (donc l'idéal) des polynômes $f$ +s'annulant en $x$, alors l'évaluation définit un isomorphisme +$k[t_1,\ldots,t_d]/\mathfrak{m}_x \buildrel\sim\over\to k$. Par +conséquent, $\mathfrak{m}_x$ est un idéal \emph{maximal} +de $k[t_1,\ldots,t_d]$. Notons que $\mathfrak{m}_x$ est l'idéal +$(t_1-x_1,\ldots,t_d-x_d)$ engendré par tous les $t_i - x_i$. + +Si $k$ n'est pas algébriquement clos, il n'est pas vrai que tout idéal +maximal de $k[t_1,\ldots,t_d]$ soit de la forme $\mathfrak{m}_x$ pour +un certain $x \in k^d$ (par exemple, si $k = \mathbb{R}$, l'idéal +qu'on pourrait noter $\mathfrak{m}_{\{\pm i\}}$ de $\mathbb{R}[t]$ et +formé des $f \in \mathbb{R}[t]$ tels que $f(i) = 0$, ou, de façon +équivalente, $f(-i) = 0$, c'est-à-dire l'idéal engendré par $t^2+1$, +n'est pas de cette forme, et d'ailleurs le quotient +$\mathbb{R}[t]/(t^2+1)$ est isomorphe à $\mathbb{C}$ et pas +à $\mathbb{R}$). En revanche, si $k$ \emph{est} algébriquement clos, +on va voir ci-dessous que tout idéal maximal de $k[t_1,\ldots,t_d]$ +est l'idéal $\mathfrak{m}_x$ des polynômes s'annulant en un certain +point $x$. + +% +\subsection{Correspondance entre fermés de Zariski et idéaux} + +\textbf{Comment associer une partie de $k^d$ à un idéal de + $k[t_1,\ldots,t_d]$ ?} + +Si $\mathscr{F}$ est une partie de $k[t_1,\ldots,t_d]$, on définit un +ensemble $Z(\mathscr{F}) = \{(x_1,\ldots,x_d) \in k^d :\penalty0 +(\forall f\in \mathscr{F})\, f(x_1,\ldots,x_d) = 0\}$ (on devrait +plutôt noter $Z(\mathscr{F})(k)$, surtout si $k$ +n'est pas algébriquement clos, mais il le sera bientôt). Plus +généralement, pour toute $k$-algèbre $A$, on définit +$Z(\mathscr{F})(A) = \{(x_1,\ldots,x_d) \in A^d :\penalty0 (\forall +f\in \mathscr{F})\, f(x_1,\ldots,x_d) = 0\}$. + +Remarques évidentes : si $\mathscr{F} \subseteq \mathscr{F}'$ alors +$Z(\mathscr{F}) \supseteq Z(\mathscr{F}')$ (la fonction $Z$ est +« décroissante pour l'inclusion ») ; on a $Z(\mathscr{F}) = \bigcap_{f\in + \mathscr{F}} Z(f)$ (où $Z(f)$ est un racourci de notation pour +$Z(\{f\})$). Plus intéressant : si $I$ est l'idéal engendré par +$\mathscr{F}$ alors $Z(I) = Z(\mathscr{F})$. On peut donc se +contenter de regarder les $Z(I)$ avec $I$ idéal +de $k[t_1,\ldots,t_d]$. Encore un peu mieux : si $\surd I = \{f : +(\exists n)\,f^n\in I\}$ désigne le radical de l'idéal $I$, on a +$Z(\surd I) = Z(I)$ ; on peut donc se contenter de considérer les +$Z(I)$ avec $I$ idéal radical. + +On appellera \textbf{fermé de Zariski} dans $k^d$ une partie $E$ de +$k^d$ vérifiant le premier point, c'est-à-dire de la forme +$Z(\mathscr{F})$ pour une certaine partie $\mathscr{F}$ +de $k[t_1,\ldots,t_d]$, dont on a vu qu'on pouvait supposer qu'il +s'agit d'un idéal radical. + +Le vide est un fermé de Zariski ($Z(1) = \varnothing$) ; l'ensemble +$k^d$ tout entier est un fermé de Zariski ($Z(0) = k^d$) ; tout +singleton est un fermé de Zariski ($Z(\mathfrak{m}_x) = \{x\}$, par +exemple en voyant $\mathfrak{m}_x$ comme $(t_1-x_1,\ldots,t_d-x_d)$). +Si $(E_i)_{i\in \Lambda}$ sont des fermés de Zariski, alors +$\bigcap_{i\in \Lambda} E_i$ est un fermé de Zariski : plus +précisément, si $(I_i)_{i\in \Lambda}$ sont des idéaux +de $k[t_1,\ldots,t_d]$, alors $Z(\sum_{i\in\Lambda} I_i) = +\bigcap_{i\in\Lambda} Z(I_i)$. Si $E,E'$ sont des fermés de Zariski, +alors $E \cup E'$ est un fermé de Zariski : plus précisément, si +$I,I'$ sont des idéaux de $k[t_1,\ldots,t_d]$, alors $Z(I\cap I') = +Z(I) \cup Z(I')$ (l'inclusion $\supseteq$ est évidente ; pour l'autre +inclusion, si $x \in Z(I\cap I')$ mais $x \not\in Z(I)$, il existe +$f\in I$ tel que $f(x) \neq 0$, et alors pour tout $f' \in I'$ on a +$f(x)\,f'(x) = 0$ puisque $ff' \in I\cap I'$, donc $f'(x) = 0$, ce qui +prouve $x \in Z(I')$). + +\medbreak + +\textbf{Comment associer un idéal de $k[t_1,\ldots,t_d]$ à une partie + de $k^d$ ?} + +Réciproquement, si $E$ est une partie de $k^d$, on note +$\mathfrak{I}(E) = \{f\in k[t_1,\ldots,t_d] :\penalty0 (\forall +(x_1,\ldots,x_d)\in E)\, f(x_1,\ldots,x_d)=0\}$. Vérification +facile : c'est un idéal de $k[t_1,\ldots,t_d]$, et même un idéal +radical. Remarque évidente : si $E \subseteq E'$ alors +$\mathfrak{I}(E) \supseteq \mathfrak{I}(E')$ ; on a $\mathfrak{I}(E) = +\bigcap_{x\in E} \mathfrak{m}_x$ (où $\mathfrak{m}_x$ désigne l'idéal +maximal $\mathfrak{I}(\{x\})$ des polynômes s'annulant en $x$), et en +particulier $\mathfrak{I}(E) \neq k[t_1,\ldots,t_d]$ dès que $E \neq +\varnothing$. + +On a de façon triviale $\mathfrak{I}(\varnothing) = +k[t_1,\ldots,t_d]$. De façon moins évidente, si $k$ est infini (ce +qui est en particulier le cas lorsque $k$ est algébriquement clos), on +a $\mathfrak{I}(k^d) = (0)$ (démonstration par récurrence sur $d$, +laissée en exercice). + +\danger Sur un corps fini $\mathbb{F}_q$, on a +$\mathfrak{I}({\mathbb{F}_q}^d) \neq (0)$. Par exemple, si $t$ est +une des in\-dé\-ter\-mi\-nées, le polynôme $t^q-t$ s'annule en tout +point de ${\mathbb{F}_q}^d$. + +\medbreak + +\textbf{Le rapport entre ces deux fonctions} + +On a $E \subseteq Z(\mathscr{F})$ ssi $\mathscr{F} \subseteq +\mathfrak{I}(E)$ (les deux signifiant « tout polynôme dans + $\mathscr{F}$ s'annule en tout point de $E$ »). En particulier, en +appliquant ceci à $\mathscr{F} = \mathfrak{I}(E)$, on a $E \subseteq +Z(\mathfrak{I}(E))$ pour toute partie $E$ de $k^d$ ; et en +l'appliquant à $E = Z(\mathscr{F})$, on a $\mathscr{F} \subseteq +\mathfrak{I}(Z(\mathscr{F}))$. De $E \subseteq Z(\mathfrak{I}(E))$ on +déduit $\mathfrak{I}(E) \supseteq \mathfrak{I}(Z(\mathfrak{I}(E)))$ +(car $\mathfrak{I}$ est décroissante), mais par ailleurs +$\mathfrak{I}(E) \subseteq \mathfrak{I}(Z(\mathfrak{I}(E)))$ en +appliquant l'autre inclusion à $\mathfrak{I}(E)$ : donc +$\mathfrak{I}(E) = \mathfrak{I}(Z(\mathfrak{I}(E)))$ pour toute partie +$E$ de $k^d$ ; de même, $Z(\mathscr{F}) = +Z(\mathfrak{I}(Z(\mathscr{F})))$ pour tout ensemble $\mathscr{F}$ de +polynômes. On a donc prouvé : + +\begin{prop} +Avec les notations ci-dessus : +\begin{itemize} +\item Une partie $E$ de $k^d$ vérifie $E = Z(\mathfrak{I}(E))$ si et + seulement si elle est de la forme $Z(\mathscr{F})$ pour un + certain $\mathscr{F}$ (=: c'est un fermé de Zariski), et dans ce cas + on peut prendre $\mathscr{F} = \mathfrak{I}(E)$, qui est un idéal + radical. +\item Une partie $I$ de $k[t_1,\ldots,t_d]$ vérifie $I = + \mathfrak{I}(Z(I))$ si et seulement si elle est de la forme + $\mathfrak{I}(E)$ pour un certain $E$, et dans ce cas on peut + prendre $E = Z(I)$, et $I$ est un idéal radical + de $k[t_1,\ldots,t_d]$. +\item Les fonctions $\mathfrak{I}$ et $Z$ se restreignent en des + bijections décroissantes réci\-proques entre l'ensemble des parties + $E$ de $k^d$ vérifiant le premier point ci-dessus et l'ensemble des + idéaux radicaux $I$ de $k[t_1,\ldots,t_d]$ vérifiant le second. +\end{itemize} +\end{prop} + +On a appelé \textbf{fermé de Zariski} une partie $E$ de $k^d$ +vérifiant le premier point, c'est-à-dire de la forme $Z(\mathscr{F})$ +pour une certaine partie $\mathscr{F}$ de $k[t_1,\ldots,t_d]$ : on a +vu qu'on pouvait supposer qu'il s'agit d'un idéal radical, et on vient +de voir qu'on peut écrire précisément $E = Z(I)$ où $I = +\mathfrak{I}(E)$. (On ne donne pas de nom particulier aux idéaux +vérifiant le second point (=être dans l'image de la +fonction $\mathfrak{I}$), mais on va voir que pour $k$ algébriquement +clos il s'agit de tous les idéaux radicaux.) + +\medbreak + +\textbf{Fermés irréductibles et idéaux premiers} + +On dit qu'un fermé de Zariski $E \subseteq k^d$ non vide est +\textbf{irréductible} lorsqu'on ne peut pas écrire $E = E' \cup E''$, +où $E',E''$ sont deux fermés de Zariski (forcément contenus +dans $E$...), sauf si $E'=E$ ou $E''=E$. + +\emph{Contre-exemple :} $Z(xy)$ (dans le plan $k^2$ de +coordonnées $x,y$) n'est pas ir\-ré\-duc\-tible, car $Z(xy) = \{(x,y) +\in k^2 : xy=0\} = \{(x,y) \in k^2 : +x=0\penalty0\ \textrm{ou}\penalty0\ y=0\} = Z(x) \cup Z(y)$ est +réunion de $Z(x)$ (l'axe des ordonnées) et $Z(y)$ (l'axe des +abscisses) qui sont tous tous les deux strictement plus petits +que $Z(xy)$. + +\begin{prop}\label{closed-irreducible-iff-prime-ideal} +Un fermé de Zariski $E \subseteq k^d$ est irréductible si, et +seulement si, l'idéal $\mathfrak{I}(E)$ est premier. +\end{prop} +\begin{proof} +Supposons $\mathfrak{I}(E)$ premier : on veut montrer que $E$ est +irréductible. Supposons $E = E' \cup E''$ comme ci-dessus (on a vu +que $E = Z(\mathfrak{I}(E))$, $E' = Z(\mathfrak{I}(E'))$ et $E'' = +Z(\mathfrak{I}(E''))$) : on veut montrer que $E' = E$ ou $E'' = E$. +Supposons le contraire, c'est-à-dire $\mathfrak{I}(E) \neq +\mathfrak{I}(E')$ et $\mathfrak{I}(E) \neq \mathfrak{I}(E'')$. Il +existe alors $f' \in \mathfrak{I}(E') \setminus \mathfrak{I}(E)$ et +$f'' \in \mathfrak{I}(E'') \setminus \mathfrak{I}(E)$. On a alors +$f'f'' \not\in \mathfrak{I}(E)$ car $\mathfrak{I}(E)$ est premier, et +pourtant $f'f''$ s'annule sur $E'$ et $E''$ donc sur $E$, une +contradiction. + +Réciproquement, supposons $E$ irréductible : on veut montrer que +$\mathfrak{I}(E)$ est premier. Soient $f',f''$ tels que $f'f'' \in +\mathfrak{I}(E)$ : posons $E' = Z(\mathfrak{I}(E) + (f'))$ et $E'' = +Z(\mathfrak{I}(E) + (f''))$. On a $E' \subseteq E$ et $E'' \subseteq +E$ puisque $E = Z(\mathfrak{I}(E))$, et en fait $E' = E \cap Z(f')$ et +$E'' = E \cap Z(f'')$ ; on a par ailleurs $E = E' \cup E''$ (car si $x +\in E$ alors $f'(x)\,f''(x) = 0$ donc soit $f'(x)=0$ soit $f''(x)=0$, +et dans le premier cas $x \in E'$ et dans le second $x \in E''$). +Puisqu'on a supposé $E$ irréductible, on a, disons, $E' = E$, +c'est-à-dire $E \subseteq Z(f')$, ce qui signifie $f' \in +\mathfrak{I}(E)$. Ceci montre bien que $\mathfrak{I}(E)$ est premier. +\end{proof} + +% +\subsection{Le Nullstellensatz} + +(Nullstellensatz, littéralement, « théorème du lieu d'annulation », ou +« théorème des zéros de Hilbert ».) + +On suppose maintenant que $k$ est algébriquement clos ! + +\begin{prop}[Nullstellensatz faible] +Soit $k$ un corps algébriquement clos. Si $I$ est un idéal de +$k[t_1,\ldots,t_d]$ tel que $Z(I) = \varnothing$, alors $I = +k[t_1,\ldots,t_d]$. +\end{prop} +\begin{proof}[Démonstration dans le cas particulier où $k$ est indénombrable.] +Supposons par contraposée $I \subsetneq k[t_1,\ldots,t_d]$. Alors il +existe un idéal maximal $\mathfrak{m}$ tel que $I \subseteq +\mathfrak{m}$, et on a $Z(\mathfrak{m}) \subseteq Z(I)$. On va +montrer $Z(\mathfrak{m}) \neq \varnothing$. + +Soit $K = k[t_1,\ldots,t_d]/\mathfrak{m}$. Il s'agit d'un corps, qui +est de dimension au plus dénombrable (=il a une famille génératrice +dénombrable, à savoir les images des monômes dans les $t_i$) sur $k$. +Mais $K$ ne peut pas contenir d'élément transcendant $\tau$ sur $k$ +car, $k$ ayant été supposé indénombrable, la famille des +$\frac{1}{\tau - x}$ pour $x\in k$ serait linéairement indépendante +(par décomposition en élément simples) dans $k(\tau)$ donc dans $K$. +Donc $K$ est algébrique sur $k$. Comme $k$ était supposé +algébriquement clos, on a en fait $K=k$. Les classes des +indéterminées $t_1,\ldots,t_d$ définissent alors des éléments +$x_1,\ldots,x_d \in k$, et pour tout $f \in \mathfrak{m}$, on a +$f(x_1,\ldots,x_d) = 0$. Autrement dit, $(x_1,\ldots,x_d) \in +Z(\mathfrak{m})$, ce qui conclut. +\end{proof} + +En fait, dans le cours de cette démonstration, on a montré (dans le +cas particulier où on s'est placé, mais c'est vrai en général) : +\begin{prop}[{idéaux maximaux de $k[t_1,\ldots,t_d]$}]\label{maximal-ideals-of-polynomial-algebras} +Soit $k$ un corps algé\-bri\-que\-ment clos. Tout idéal maximal +$\mathfrak{m}$ de $k[t_1,\ldots,t_d]$ est de la forme +$\mathfrak{m}_{(x_1,\ldots,x_d)} := \{f : f(x_1,\ldots,x_d) = 0\}$ +pour un certain $(x_1,\ldots,x_d) \in k^d$. +\end{prop} +\begin{proof} +En fait, on a prouvé que si $\mathfrak{m}$ est un idéal maximal, il +existe $(x_1,\ldots,x_d) \in k^d$ tels que $(x_1,\ldots,x_d) \in +Z(\mathfrak{m})$, ce qui donne $\mathfrak{m} \subseteq +\mathfrak{I}(\{(x_1,\ldots,x_d)\})$, mais par maximalité de +$\mathfrak{m}$ ceci est en fait une égalité. +\end{proof} + +En particulier, le corps quotient $k[t_1,\ldots,t_d]/\mathfrak{m}$ est +isomorphe à $k$, l'isomorphisme étant donnée par l'évaluation au point +$(x_1,\ldots,x_d)$ tel que ci-dessus. + +\begin{thm}[Nullstellensatz = théorème des zéros de Hilbert] +Soit $I$ un idéal de $k[t_1,\ldots,t_d]$ (toujours avec $k$ un corps +algébriquement clos) : alors $\mathfrak{I}(Z(I)) = \surd I$ (le +radical de $I$). +\end{thm} +\begin{proof} +On sait que $\surd I \subseteq \mathfrak{I}(Z(I))$ et il s'agit de +montrer la réciproque. Soit $f \in \mathfrak{I}(Z(I))$ : on veut +prouver $f\in \surd I$. On vérifie facilement que ceci revient à +montrer que l'idéal $I[\frac{1}{f}]$ +de $k[t_1,\ldots,t_d,\frac{1}{f}]$ est l'idéal unité. Or +$k[t_1,\ldots,t_d,\frac{1}{f}] = k[t_1,\ldots,t_d,z]/(zf-1)$ +d'après \ref{localization-inverting-one-element}. Soit $J$ l'idéal +engendré par $I$ et $zf-1$ dans $k[t_1,\ldots,t_d,z]$ : on voit que +$Z(J) = \varnothing$ (dans $k^{d+1}$), car on ne peut pas avoir +simultanément $f(x_1,\ldots,x_d) = 0$ et $z\,f(x_1,\ldots,x_d) = 1$, +donc le Nullstellensatz faible entraîne $J = k[t_1,\ldots,t_d,z]$ : +ceci donne $I[\frac{1}{f}] = k[t_1,\ldots,t_d,\frac{1}{f}]$. +\end{proof} + +\begin{scho} +Si $k$ est un corps algébriquement clos, les fonctions $I \mapsto +Z(I)$ et $E \mapsto \mathfrak{I}(E)$ définissent des bijections +réci\-proques, décroissantes pour l'inclusion, entre les idéaux radicaux +de $k[t_1,\ldots,t_d]$ d'une part, et les fermés de Zariski de $k^d$ +d'autre part. + +Ces bijections mettent les \emph{points} (c'est-à-dire les singletons) +de $k^d$ en correspondance avec les idéaux maximaux de +$k[t_1,\ldots,t_d]$ (ils ont tous pour quotient $k$), et les +\emph{fermés irréductibles} en correspondance avec les idéaux +premiers. +\end{scho} + +% +\subsection{L'anneau d'un fermé de Zariski} + +Si $X$ est un fermé de Zariski dans $k^d$ avec $k$ algébriquement +clos, on a vu qu'il existe un unique idéal radical $I$ +de $k[t_1,\ldots,t_d]$, à savoir l'idéal $I = \mathfrak{I}(X)$ des +polynômes s'annulant sur $X$, tel que $X = Z(I)$. Le quotient +$k[t_1,\ldots,t_d] / I$ (qui est donc un anneau réduit, et intègre ssi +$X$ est irréductible) s'appelle l'\emph{anneau des fonctions + régulières} sur $X$ et se note $\mathcal{O}(X)$. + +Pourquoi fonctions régulières ? On peut considérer un élément $f \in +\mathcal{O}(X)$ comme une fonction $X \to k$ de la façon suivante : si +$\tilde f \in k[t_1,\ldots,t_d]$ est un représentant de $f$ +(modulo $I$) et si $x = (x_1,\ldots,x_d) \in X$, la valeur de $\tilde +f(x_1,\ldots,x_d)$ ne dépend pas du choix de $\tilde f$ représentant +$f$ puisque tout élément de $I$ s'annule en $x$ ; on peut donc appeler +$f(x)$ cette valeur. Inversement, un $f \in \mathcal{O}(X)$ est +complètement déterminé par sa valeur sur chaque point $x$ de $X$ +(rappel : $k$ est algébriquement clos ici, et c'est important !) ; en +effet, si $f$ s'annule en tout $x \in X$, tout élément de +$k[t_1,\ldots,t_d]$ représentant $f$ s'annule en tout $x \in X$, +c'est-à-dire appartient à $\mathfrak{I}(X)$, ce qui signifie justement +$f = 0$ dans $\mathcal{O}(X)$. Moralité : on peut bien considérer les +éléments de $\mathcal{O}(X)$ comme des fonctions. Ces fonctions sont, +tout simplement, les restrictions à $X$ des fonctions polynomiales +sur $k^d$. + +Dans le cas où $X = k^d$ tout entier (donc $I = (0)$), évidemment, +$\mathcal{O}(X) = k[t_1,\ldots,t_d]$. + +On définit un fermé de Zariski de $X$ comme un fermé de Zariski +de $k^d$ qui se trouve être inclus dans $X$. La bonne nouvelle est +que la correspondance entre fermés de Zariski de $k^d$ et idéaux de +$k[t_1,\ldots,t_d]$ se généralise presque mot pour mot à une +correspondance entre fermés de Zariski de $X$ et idéaux +de $\mathcal{O}(X)$ : + +\begin{prop} +Avec les notations ci-dessus : +\begin{itemize} +\item Tout fermé de Zariski de $X$ est de la forme $Z(\mathscr{F}) := + \{x\in X :\penalty0 {(\forall f\in \mathscr{F})}\penalty100\, f(x) = + 0\}$ pour un certain ensemble $\mathscr{F}$ d'éléments + de $\mathcal{O}(X)$. +\item En posant $\mathfrak{I}(E) := \{f\in \mathcal{O}(X) :\penalty0 + {(\forall x\in E)}\penalty100\, f(x)=0\}$, les fonctions $I \mapsto + Z(I)$ et $E \mapsto \mathfrak{I}(E)$ définissent des bijections + réci\-proques, décroissantes pour l'inclusion, entre les idéaux + radicaux de $\mathcal{O}(X)$ d'une part, et les fermés de Zariski de + $X$ d'autre part : on a $\mathfrak{I}(Z(I)) = \surd I$ pour tout + idéal $I$ de $\mathcal{O}(X)$. +\item Ces bijections mettent les \emph{points} (c'est-à-dire les + singletons) de $X$ en correspondance avec les idéaux maximaux de + $\mathcal{O}(X)$ (qui sont donc tous de la forme $\mathfrak{m}_x := + \{f \in \mathcal{O}(X) : f(x)=0\}$ pour un $x\in X$) ; et les + \emph{fermés irréductibles} en correspondance avec les idéaux + premiers. +\end{itemize} +\end{prop} + +\smallbreak + +Soulignons en particulier que si $X'$ est un fermé de Zariski de $X$ +(disons défini comme $X' = Z(I)$ où $I$ est un idéal radical +de $\mathcal{O}(X)$), alors la surjection canonique $\mathcal{O}(X) +\to \mathcal{O}(X)/I$ est un morphisme d'anneaux $\mathcal{O}(X) \to +\mathcal{O}(X')$ qu'il faut interpréter comme envoyant une fonction +régulière $f$ sur $X$ sur sa \emph{restriction} à $X'$, parfois +notée $f|_{X'}$. + +% +\subsection{Points à valeurs dans une $k$-algèbre} + +On reprend la même situation : $I$ est un idéal radical de +$k[t_1,\ldots,t_d]$ et $X = Z(I)$ est le fermé de Zariski qu'il +définit (et $\mathcal{O}(X) = k[t_1,\ldots,t_d] / I$ l'anneau des +fonctions régulières sur $X$. + +On a pour l'instant considéré $X$ comme un sous-ensemble de $k^d$, +mais on souhaite changer progressivement de point de vue ; notamment, +l'ensemble pré\-cé\-dem\-ment noté $X$ aura de plus en plus tendance à être +noté $X(k)$, en appliquant la définition suivante : + +Pour toute $k$-algèbre $A$, on note $X(A)$ ou $Z(I)(A)$ (et on appelle +ensemble des \textbf{$A$-points} de $X$) l'ensemble +$\{(x_1,\ldots,x_d) \in A^d :\penalty0 (\forall f \in I)\, +f(x_1,\ldots,x_d) = 0\}$ des points de $A^d$ vérifiant les équations +définissant $X$. L'ensemble $X(k)$ est donc celui qu'on a +pré\-cé\-dem\-ment considéré sous le nom de $X$. + +Le cas particulier de l'espace affine tout entier (soit $I = (0)$) +sera noté $\mathbb{A}^d$ (normalement on devrait écrire +$\mathbb{A}^d_k$, mais c'est rarement important) : ainsi, +$\mathbb{A}^d(A) = A^d$ pour toute $k$-algèbre $A$. + +Si $A \buildrel\varphi\over\to A'$ est un morphisme de $k$-algèbres, +on a une application $X(\varphi) \colon X(A) \to X(A')$ qui à +$(x_1,\ldots,x_d) \in X(A)$ associe +$(\varphi(x_1),\ldots,\varphi(x_d)) \in X(A')$. (Par ailleurs, +$X(\psi\circ\varphi) = X(\psi)\circ X(\varphi)$.) On aura de plus en +plus tendance à considérer que $X$ ``est'' la donnée de ces ensembles +$X(A)$ pour toute $k$-algèbre $A$ et de ces applications $X(\varphi)$ +pour tout morphisme de $k$-algèbres $\varphi$ : la collection de ces +données s'appelle le \textbf{foncteur des points} de $X$. + +\begin{rmk} +D'après ce qu'on a expliqué en \ref{subsection-note-morphisms}, pour +toute $k$-algèbre $A$, l'ensemble $\Hom_{k}(\mathcal{O}(X), A)$ des +morphismes de $k$-algèbres de $\mathcal{O}(X)$ vers $A$ est en +bijection avec $X(A)$ (la bijection envoyant un morphisme $\psi\colon +\mathcal{O}(X) \to A$ sur le $d$-uplet $(\psi(t_1),\ldots,\psi(t_d))$ +où $t_1,\ldots,t_d$ sont les classes des indéterminées dans le +quotient $\mathcal{O}(X) = k[t_1,\ldots,t_d]/I$). On aura tendance à +utiliser cette bijection tacitement, et à considérer que les éléments +de $X(A)$ ``sont'' des morphismes d'anneaux $\mathcal{O}(X) \to A$. + +En particulier, les $k$-points de $X$ (c'est-à-dire l'ensemble +précédemment noté $X$ et maintenant de préférence $X(k)$) peuvent être +identifiés avec les éléments de $\Hom_{k}(\mathcal{O}(X), k)$, le +point $x \in X$ étant identifié avec le morphisme $f \mapsto f(x)$ +d'évaluation en $x$. La classification des idéaux maximaux +de $\mathcal{O}(X)$ signifie donc que (pour $k$ algébriquement clos, +insistons !) tout idéal maximal de $\mathcal{O}(X)$ est l'ensemble des +fonctions régulières s'annulant en un $k$-point de $X$. +\end{rmk} + +% +\subsection{Morphismes de variétés algébriques affines}\label{subsection-morphisms-of-affine-algebraic-varieties} + +On appelle provisoirement \textbf{variété algébrique affine} +dans $k^d$ (toujours avec $k$ algébriquement clos) un fermé de Zariski +$X$ de $k^d$. Pourquoi cette terminologie redondante ? Le terme +« fermé de Zariski » insiste sur $X$ en tant que plongée dans l'espace +affine $\mathbb{A}^d$. Le terme de « variété algébrique affine » +insiste sur l'aspect intrinsèque de $X$, muni de ses propres fermés de +Zariski et de ses propres fonctions régulières, qu'on va maintenant +présenter. On a vu ci-dessus comment associer à $X$ un anneau +$\mathcal{O}(X)$ des fonctions régulières, et, pour chaque +$k$-algèbre, on a identifié l'ensemble $X(A)$ des $A$-points de $X$ +avec $\Hom_k(\mathcal{O}(X), A)$. + +On veut maintenant définir des morphismes entre ces variétés +algébriques. Une fonction régulière doit être la même chose qu'un +morphisme vers la droite affine. On définit donc : +\begin{itemize} +\item un morphisme [de $k$-variétés algébriques affines] $f$ de $X$ + vers l'espace affine $\mathbb{A}^e$ de dimension $e$ est la donnée + de $e$ fonctions régulières sur $X$, c'est-à-dire d'un $e$-uplet + d'éléments de $\mathcal{O}(X)$, +\item un morphisme [de $k$-variétés algébriques affines] $f$ de $X$ + vers le fermé de Zariski $Y = Z(J)$ défini dans l'espace + affine $\mathbb{A}^e$ par un idéal $J = (g_1,\ldots,g_r)$ est la + donnée d'un $e$-uplet $(f_1,\ldots,f_e) \in \mathcal{O}(X)^e$ comme + ci-dessus, vérifiant de plus les contraintes $g_j(f_1,\ldots,f_e) = + 0$ pour tout $j$ (cela revient à demander $g_j(f_1(x),\ldots,f_e(x)) + = 0$ pour tout $j$ et tout $x\in X$) ; +\item on dit qu'un morphisme comme ci-dessus envoie le point $x \in X$ + sur le point $(f_1(x),\ldots,f_e(x)) \in Y$ (c'est-à-dire, le point + $(f_1(x),\ldots,f_e(x)) \in k^e$, qui se trouve appartenir à $Y$) ; + en pariculier, il définit une fonction $X(k) \to Y(k)$, et plus + généralement $X(A) \to Y(A)$ pour toute $k$-algèbre $A$ ; +\item d'après ce qu'on a dit sur les fonctions régulières (un $f \in + \mathcal{O}(X)$ est déterminé par ses valeurs sur $X(k)$, $k$ étant + algébriquement clos), un morphisme $f \colon X\to Y$ est déterminé + par ses valeurs sur $X(k)$ (toujours : $k$ étant algébriquement + clos) ; +\item on définit la composée d'un morphisme $f \colon X \to Y$ comme + ci-dessus (représenté par $f_1,\ldots,f_e \in \mathcal{O}(X)$ si $Y + \subseteq \mathbb{A}^e$) et d'un morphisme $g \colon Y \to Z$ + (représenté par $g_1,\ldots,g_s \in \mathcal{O}(Y)$ si $Z \subseteq + \mathbb{A}^s$) de la façon suivante : si $\tilde g_1,\ldots,\tilde + g_s \in k[u_1,\ldots,u_e]$ relèvent $g_1,\ldots,g_s$, on représente + $g\circ f$ par les éléments $\tilde g_1(f_1,\ldots,f_e), \ldots, + \penalty-100 \tilde g_s(f_1,\ldots,f_e) \penalty-50 \in + \mathcal{O}(X)$ ; on a, heureusement, $(g\circ f)(x) = g(f(x))$ pour + tout $x \in X(k)$ (ou même tout $x \in X(A)$). +\end{itemize} + +Pour dire les choses autrement, un morphisme $X \to \mathbb{A}^e$ est +la donnée d'un $e$-uplet d'éléments de $\mathcal{O}(X)$, c'est-à-dire +un élément de $\mathbb{A}^e(\mathcal{O}(X))$, et un morphise $X \to Y$ +où $Y = Z(g_1,\ldots,g_r)$ est la donné d'un élément de +$Y(\mathcal{O}(X))$. Ceci est encore équivalent à un morphisme de +$k$-algèbres $f^* \colon \mathcal{O}(Y) \to \mathcal{O}(X)$, d'où la +philosophie suivante : + +\begin{center} +Un morphisme de $k$-variétés algébriques affines $f\colon X \to Y$ est +``la même chose'' qu'un morphisme de $k$-algèbres $f^*\colon +\mathcal{O}(Y) \to \mathcal{O}(X)$. +\end{center} + +Concrètement, avec les notations ci-dessus, le morphisme +$\mathcal{O}(Y) \buildrel f^*\over \to \mathcal{O}(X)$ serait celui +qui envoie un élément $h \in \mathcal{O}(Y)$ sur $h(f_1,\ldots,f_e) +\in \mathcal{O}(X)$. Réciproquement, donné un morphisme +$\varphi\colon \mathcal{O}(Y) \to \mathcal{O}(X)$ d'anneaux, le +morphisme $X \to Y$ qui lui correspond est celui qui à un point $x \in +X$ associe le $y \in Y$ défini par $h(y) = \varphi(h)(x)$ pour tout $h +\in \mathcal{O}(Y)$. + +\smallbreak + +Il faut bien se rendre compte que le meme objet --- un morphisme $f +\colon X \to Y$ de $k$-variétés algébriques --- peut être représenté +par différentes données plus ou moins équivalentes : +\begin{itemize} +\item ($Y$ étant plongé dans $\mathbb{A}^e$ comme + $Z(g_1,\ldots,g_r)$,) $e$ éléments de $\mathcal{O}(X)$ vérifiant les + équations $g_j(f_1,\ldots,f_e) = 0$ pour tout $j$, +\item ($Y$ étant plongé dans $\mathbb{A}^e$ comme $Z(g_1,\ldots,g_r)$, + et $X$ dans $\mathbb{A}^d$ comme $Z(I)$,) $e$ éléments $\tilde + f_1,\ldots,\tilde f_e \in k[t_1,\ldots,t_d]$, vus modulo $I$, + définissant une fonction polynomiale $\mathbb{A}^d \to \mathbb{A}^e$ + telle qu'il se trouve que $g_j(\tilde f_1,\ldots,\tilde f_e) \in I$ + pour tout $j$, +\item ($Y$ étant plongé dans $\mathbb{A}^e$ comme $Z(g_1,\ldots,g_r)$, + et $X$ dans $\mathbb{A}^d$ comme $Z(I)$, et en utilisant le fait que + $k$ est algébriquement clos,) une fonction de $X(k)$ vers $Y(k)$ qui + se trouve être la restriction d'une fonction polynomiale $k^d \to + k^e$ (c'est-à-dire donnée par $x \mapsto \tilde f_1(x),\ldots,\tilde + f_e(x)$ pour certains $\tilde f_1,\ldots,\tilde f_e \in + k[t_1,\ldots,t_d]$) qui se trouve avoir envoyer $X(k)$ dans $Y(k)$, +\item un élément de $Y(\mathcal{O}(X))$, +\item un morphisme d'anneaux $\mathcal{O}(Y) \to \mathcal{O}(X)$, +\item pour chaque $k$-algèbre $A$, une application $X(A) \buildrel + f(A)\over\to Y(A)$ telle que : si $A \buildrel\psi\over\to A'$ est + un morphisme de $k$-algèbres, alors les deux composées $X(A) + \buildrel X(\psi)\over\to X(A') \buildrel f(A')\over\to Y(A')$ et + $X(A) \buildrel f(A)\over\to Y(A) \buildrel Y(\psi)\over\to Y(A')$ + coïncident (cf. lemme de Yoneda). +\end{itemize} +On aura tendance à confondre silencieusement tout ou partie de ces +objets. Par ailleurs, on a tendance à appeler $x \mapsto +(f_1(x),\ldots,f_e(x))$ le morphisme, comme s'il s'agissait simplement +d'une application (il faut considérer ça comme une application de +$X(k)$ vers $Y(k)$ définissant le morphisme ou, mieux, de $X(A)$ vers +$Y(A)$ pour toute $k$-algèbre $A$). + +Certaines de ces présentations ne se généraliseront pas (si $k$ n'est +pas algébriquement clos, si la variété n'est plus affine...) : la +dernière est, de ce point de vue, la plus robuste. + +\emph{Remarque :} Un morphisme $X \to \mathbb{A}^1$ est la même chose +qu'une fonction régulière sur $X$ (c'était le point de départ, mais il +est bon d'insister là-dessus). + +\smallbreak + +\textbf{Exemples :} Considérons la courbe d'équation $y^2 = x^3$, +c'est-à-dire $C = Z(g)$ où $g = y^2 - x^3 \in k[x,y]$ (anneau des +polynômes à deux indéterminées $x,y$ sur un corps algébriquement +clos $k$), et $\mathbb{A}^1$ la droite affine sur $k$. On a +$\mathcal{O}(C) = k[x,y]/(y^2-x^3)$ et $\mathcal{O}(\mathbb{A}^1) = +k[t]$. On définit un morphisme $\mathbb{A}^1 \buildrel f\over\to C$ +par $t \mapsto (t^2,t^3)$ : ce morphisme correspond à un morphisme +d'anneaux dans l'autre sens, $\mathcal{O}(C) \buildrel f^*\over\to +\mathcal{O}(\mathbb{A}^1)$, donné par $x \mapsto t^2$ et $y \mapsto +x^3$. Ce morphisme n'est pas un isomorphisme car $t$ n'est pas dans +l'image de $f^*$. Ceci, bien que $\mathbb{A}^1(k) \to C(k)$ soit une +bijection au niveau des $k$-points. + +Considérons la courbe $C^\sharp$ (la « cubique gauche » affine) +d'équations $y = z^3$ et $x = z^2$, c'est-à-dire $C^\sharp = +Z(x-z^2,\penalty-100 y-z^3)$. On a un morphisme $\mathbb{A}^1 \to +C^\sharp$ envoyant $t$ sur $(t^2, t^3, t)$ : cette fois, ce morphisme +est un isomorphisme, et sa réciproque est donnée par $(x,y,z) \mapsto +z$. L'anneau $\mathcal{O}(C^\sharp) = k[x,y,z]/(x-z^2,\penalty-100 +y-z^3)$ est isomorphe à $k[t]$. Par ailleurs, le morphisme +$\mathbb{A}^1 \to C$ décrit au paragraphe précédent peut être vu comme +la composée de l'isomorphisme $\mathbb{A}^1 \to C^\sharp$ et de la +projection $C^\sharp \to C$ décrite par $(x,y,z) \mapsto (x,y)$. + +Sur le cercle $C = Z(x^2+y^2-1)$ (pas le même $C$ que dans les deux +paragraphes précédents, mais le même que dans l'introduction), si $k$ +est de caractéristique $\neq 5$, on peut définir le morphisme $C \to +C$ de « rotation d'angle $\arctan\frac{3}{4}$ » (terminologie abusive +si $k$ n'est pas un corps contenant $\mathbb{R}$) ou « multiplication + par le point $(\frac{4}{5},\frac{3}{5})$ » par $(x,y) \mapsto +(\frac{4}{5}x - \frac{3}{5}y, \frac{3}{5}x + \frac{4}{5}y)$. On +pourrait définir l'opération de composition $C \times C \to C$ par +$((x,y),(x',y')) \mapsto (xx'-yy', xy'+yx')$ mais il faudrait pour +cela avoir défini le produit de deux variétés (pour donner un sens à +$C \times C$), ce qu'on n'a pas encore fait. + +\smallbreak + +Si $X'$ est un fermé de Zariski de $X$, on a expliqué qu'il y avait +naturellement un morphisme d'anneaux $\mathcal{O}(X) \to +\mathcal{O}(X')$ (consistant à restreindre à $X'$ une fonction +régulière sur $X$) : le morphisme de variétés algébriques $X' \to X$ +qui lui est associé est tout simplement le morphisme d'inclusion de +$X'$ dans $X$, qu'on appelle \textbf{immersion fermée} ou +\textbf{plongement} de la sous-variété fermée $X'$ dans $X$. + +De façon très liée, si $f \colon X\to Y$ est un morphisme de +$k$-variétés on peut, dans ce contexte, définir la restriction de $f$ +à $X'$ (parfois notée $f|_{X'}$) comme la composée $X' \to X \to Y$ où +$X' \to X$ est l'immersion de $X'$ dans $X$ ; si on voit $f$ comme +défini par $e$ fonctions régulières sur $X$ (c'est-à-dire $Y$ plongé +dans $\mathbb{A}^e$), les fonctions définissant $f|_{X'}$ sont +simplement $f_1|_{X'},\ldots,f_e|_{X'}$. + +\medbreak + +\textbf{Variétés algébriques affines abstraites, et le spectre d'une + algèbre.} + +\textbf{Note :} On considère que deux variétés algébriques (affines) +sont « la même » lorsqu'elle sont isomorphes, alors que deux fermés de +Zariski sont « le même » lorsqu'ils sont égaux dans le $\mathbb{A}^d$ +dans lequel ils vivent. Par exemple, la cubique gauche $C^\sharp$ +décrite ci-dessus, en tant que fermé de Zariski, n'est pas une droite, +mais en tant que variété algébrique affine c'est juste $\mathbb{A}^1$ +puisqu'on a montré qu'elle lui était isomorphe. Ou, si on préfère, un +fermé de Zariski de $\mathbb{A}^d$ est la donnée d'une variété +algébrique affine \emph{plus} un plongement de celle-ci +dans $\mathbb{A}^d$. + +Dans cette optique, si $R$ est une $k$-algèbre de type fini (on +rappelle, cf. \ref{finite-type-algebras}, que cela signifie que $R$ +est engendrée en tant qu'algèbre par un nombre fini d'éléments +$x_1,\ldots,x_d$, autrement dit que $R$ peut se voir comme le quotient +de $k[t_1,\ldots,t_d]$ par un idéal $(f_1,\ldots,f_r)$ de ce dernier) +et si $R$ est réduite, alors on peut voir $R$ comme l'anneau +$\mathcal{O}(X)$ pour une certaine variété algébrique $X$, à savoir le +$X = Z(f_1,\ldots,f_r)$ défini par les équations +$f_1=0,\ldots,\penalty-100 f_r=0$ dans $\mathbb{A}^d$. Cette variété +est unique en ce sens que toutes les variétés $X$ telles que +$\mathcal{O}(X) = R$ sont isomorphes (puisque leurs $\mathcal{O}(X)$ +sont isomorphes, justement). On peut donc donner un nom à $X$ : c'est +le \textbf{spectre} de $R$, noté $\Spec R$. (Par exemple, $\Spec k[t] += \mathbb{A}^1_k$ et plus généralement $\Spec k[t_1,\ldots,t_d] = +\mathbb{A}^d_k$. Et bien sûr, $\Spec k$ est vu comme un point, ou, +pour être plus explicite, un $k$-point.) + +(\emph{Avertissement 1 :} Tout le monde est d'accord sur l'identité de +$\Spec R$ en tant qu'objet géométrique, en l'occurrence, une variété +algébrique affine ; par exemple, $\Spec k[x,y]/(x^2+y^2-1)$ est +indubitablement une vision idéalisée du « cercle unité ». Néanmoins, +il existe différentes façons de formaliser la notion de variété +algébrique : comme nous nous sommes placés sur $k$ un corps +algébriquement clos, nous avons vu $\Spec R$ plutôt comme l'ensemble +des idéaux maximaux de $R$ ; une description qui marche mieux en +général, et qu'on retrouve souvent, consiste à formaliser $\Spec R$ +comme l'ensemble des idéaux \emph{premiers} de $R$ ; enfin, une autre +description, tout à fait générale, consiste à voir $\Spec R$ par ce +qu'on a appelé son foncteur des points, c'est-à-dire la donnée pour +chaque $k$-algèbre $A$ de l'ensemble $(\Spec R)(A) = \Hom_k(R,A)$, et +pour chaque morphisme de $k$-algèbres $\varphi\colon A \to A'$, de +l'application $(\Spec R)(\varphi) \colon \Hom_k(R,A) \to \Hom_k(R,A')$ +qui s'en déduit.) + +(\emph{Avertissement 2 :} Les gens savants n'ont pas peur de définir +$\Spec R$ même si $R$ n'est pas réduite, c'est-à-dire, a des +nilpotents. Il faut imaginer, par exemple, que si $R = k[\varepsilon] +:= k[t]/(t^2)$, alors $\Spec R$ est un point « un peu épaissi », ou +entouré d'un « flou infinitésimal », comparé à $\Spec k$ qui est un +point sans ornement de ce genre. Ce point de vue rend plus difficile +la vision géométrique des choses, mais a des avantages considérables, +par exemple qu'un morphisme $\Spec k[\varepsilon] \to X$ peut se voir +comme un vecteur tangent à $X$.) + +% +\subsection{La topologie de Zariski} + +On appelle \textbf{ouvert de Zariski} dans $k^d$ (toujours avec $k$ un +corps algébriquement clos) le complémentaire d'un fermé de Zariski. +Autrement dit, si $I$ est un idéal de $k[t_1,\ldots,t_d]$, on définit +$U(I) = \{(x_1,\ldots,x_d) \in k^d :\penalty0 (\exists f\in I)\, +f(x_1,\ldots,x_d) \neq 0\}$ le complémentaire de $Z(I)$ : un ouvert de +Zariski de $k^d$ est un ensemble de la forme $U(I)$. Plus +généralement, si $X$ est une variété algébrique affine, si $I$ est un +idéal de $\mathcal{O}(X)$, on définit $U(I) = \{(x_1,\ldots,x_d) \in X +:\penalty0 (\exists f\in I)\, f(x_1,\ldots,x_d) \neq 0\}$ le +complémentaire de $Z(I)$ : on appelle ces ensembles ouverts de Zariski +de $X$. (Pour l'instant, on les voit comme des ensembles de +$k$-points, on verra plus loin comment définir leurs $A$-points, leurs +morphismes, etc.) + +Étant donné qu'une intersection quelconque ou une réunion finie de +fermés sont des fermés, dualement, \emph{une réunion quelconque ou une + intersection finie d'ouverts sont des ouverts} (par ailleurs, +l'ensemble vide et l'ensemble plein sont des ouverts) --- ces +propriétés sont constitutives de la notion de \emph{topologie}, en +l'occurrence la \textbf{topologie de Zariski} (sur l'ensemble $k^d$ ou +$X(k)$). + +\smallbreak + +Si $X'$ est un fermé de Zariski de $X$, alors les fermés et ouverts de +Zariski de $X'$ sont précisément les intersections avec $X'$ des +fermés et ouverts de Zariski de $X$. (On dit que la topologie de $X'$ +est \emph{induite} par celle de $X$.) + +\smallbreak + +Si $I$ est engendré par les éléments $f_1,\ldots,f_r$, on peut écrire +$U(I) = D(f_1) \cup \cdots \cup D(f_r)$ où $D(f_i) := U(\{f_i\})$ est +l'ouvert où $f_i$ ne s'annule pas. Les $D(f)$ s'appellent parfois +\emph{ouverts principaux}, on verra plus loin pourquoi il est utile de +les distinguer ; ceci montre qu'ils forment une \emph{base d'ouverts} +(un ensemble d'ouverts stable par intersections fines est dit former +une base d'ouverts pour une topologie lorsque tout ouvert est une +réunion d'une sous-famille d'entre eux). + +\begin{prop}\label{covering-by-principal-open-sets} +Si $X$ est une variété algébrique affine et $f_i \in \mathcal{O}(X)$ +(pour $i \in \Lambda$ disons), alors $\bigcup_{i\in\Lambda} D(f_i) = +X$ si et seulement si les $f_i$ engendrent l'idéal unité +dans $\mathcal{O}(X)$ (c'est-à-dire ssi il existe des $g_i$, tous nuls +sauf un nombre fini, tels que $\sum_{i\in\Lambda} g_i f_i = 1$). +\end{prop} +\begin{proof} +Dire $\bigcup_{i\in\Lambda} D(f_i) = X$ équivaut à +$\bigcap_{i\in\Lambda} Z(f_i) = \varnothing$, c'est-à-dire encore +$Z(\{f_i\}) = \varnothing$, soit encore $Z(I) = \varnothing$ où $I$ +est l'idéal engendré par les $f_i$, et l'énoncé découle du +Nullstellensatz faible. +\end{proof} + +On aura besoin pour la suite de remarquer que $D(f) \cap D(f') = +D(ff')$. + +\smallbreak + +Un peu de vocabulaire de topologie : dans ce qui suit, on suppose que +$X$ est un ensemble muni d'une topologie (c'est-à-dire un ensemble de +parties de $X$ dites « ouvertes » contenant $\varnothing$ et $X$ et +telles qu'une réunion quelconque ou une intersection finie d'ouverts +sont des ouverts), sachant qu'on s'intéresse évidemment au cas de la +topologie de Zariski. + +Si $x \in U \subseteq V$ avec $U$ ouvert (et $V$ une partie quelconque +de $X$), on dit que $V$ est un \textbf{voisinage} de $x$. (Un +voisinage ouvert de $x$ est donc tout simplement la même chose qu'un +ouvert contenant $x$.) + +Si $E \subseteq X$ est une partie quelconque, l'intersection de tous +les fermés (=complémentaires des ouverts) contenant $E$, c'est-à-dire +le plus petit fermé contenant $E$, s'appelle \textbf{adhérence} +de $E$, parfois notée $\overline{E}$. Il s'agit de l'ensemble des $x +\in X$ tels que tout voisinage de $x$ rencontre $E$. Lorsque +l'adhérence de $E$ est $X$ tout entier, on dit que $E$ est +\textbf{dense} dans $X$. + +On dit que $X$ est \textbf{irréductible} lorsque toute écriture $X = +F' \cup F''$ avec $F',F''$ fermés impose $F' = X$ ou $F'' = X$ ; de +façon équivalente, cela signifie que tout ouvert non vide de $X$ est +dense. + +On dit que $X$ est \textbf{connexe} lorsque ($X$ est non vide et que) +$\varnothing$ et $X$ sont les seuls ensembles à la fois ouverts et +fermés dans $X$. (« Irréductible » est plus fort que « connexe », car +si $X$ est irréductible, tout ouvert non vide est dense, et en +particulier le seul ouvert fermé non vide est $X$ tout entier.) + +On dit que $X$ est \textbf{quasi-compact} lorsque dès qu'on a une +écriture $X = \bigcup_{i\in \Lambda} U_i$ avec $U_i$ ouverts +(autrement dit, un recouvrement ouvert de $X$), il existe $\Xi +\subseteq \Lambda$ fini tel que $X = \bigcup_{i\in\Xi} U_i$. + +\smallbreak + +Dans le cas de la topologie de Zariski sur une variété algébrique +affine $X$ sur un corps algébriquement clos $k$ (c'est-à-dire, +sur $X(k)$) : +\begin{itemize} +\item $X$ est irréductible ssi $\mathcal{O}(X)$ est intègre + (cf. \ref{closed-irreducible-iff-prime-ideal}), +\item $X$ est toujours quasi-compact (découle + de \ref{covering-by-principal-open-sets} : si $f_i$ engendrent + l'idéal unité, un sous-ensemble fini d'entre eux l'engendrent --- + même sans utiliser le caractère noethérien de l'anneau), +\item l'adhérence de Zariski d'une partie $E \subseteq X(k)$ est + $Z(\mathfrak{I}(E))$ (en effet, ceci est un fermé de Zariski + contenant $E$, et si $Z(J) \supseteq E$ est un autre fermé de + Zariski contenant $E$ alors on a vu $J \subseteq \mathfrak{I}(E)$ + donc $Z(J) \supseteq Z(\mathfrak{I}(E))$ --- ceci montre que + $Z(\mathfrak{I}(E))$ est bien le plus petit pour l'inclusion fermé + de Zariski contenant $E$). +\end{itemize} + +Exemple (idiot) : On suppose $k$ de caractéristique zéro, disons $k = +\mathbb{C}$ ; quelle est l'adhérence de Zariski de $\mathbb{Z}$ dans +$\mathbb{A}^1(k)$ ? Réponse : L'ensemble $\mathfrak{I}(\mathbb{Z})$ +des polynômes s'annulant en chaque point de $\mathbb{Z}$ est réduit +à $(0)$ puisqu'un polynôme en une variable ne peut avoir qu'un nombre +fini de racines ; donc l'adhérence de Zariski de $\mathbb{Z}$ est +$Z(\mathfrak{I}(\mathbb{Z})) = \mathbb{A}^1(k)$ tout entier, +c'est-à-dire que $\mathbb{Z}$ est dense dans la droite affine pour la +topologie de Zariski. Plus généralement, on peut facilement montrer +que les seuls fermés de Zariski de $\mathbb{A}^1(k)$ sont la droite +$\mathbb{A}^1(k)$ tout entière et les parties \emph{finies}. + +\medbreak + +\textbf{Composantes connexes.} + +\begin{prop} +Si $X$ est une variété algébrique affine, alors $X$ est connexe si et +seulement si les seuls éléments $e \in \mathcal{O}(X)$ vérifiant $e^2 += e$ (appelés \textbf{idempotents}) sont $0$ et $1$. +\end{prop} +\begin{proof} +Si $e^2=e$ avec $e \neq 0,1$, alors $e(1-e) = 0$. On a donc $X = Z(e) +\cup Z(1-e)$ ; et $Z(e) \cap Z(1-e) = \varnothing$ (car $e,1-e$ +engendrent l'idéal unité, si on veut). Donc $Z(e)$ et $Z(1-e)$ sont +deux fermés complémentaires l'un de l'autre, donc ils sont aussi +ouverts. Comme $e$ n'est pas nul, $Z(e)$ n'est pas $X$ tout entier, +et de même pour $Z(1-e)$ car $e \neq 1$ ; donc $Z(e)$ est un ouvert +fermé autre que $\varnothing$ et $X$, et $X$ n'est pas connexe. + +Réciproquement, supposons que $X'$ soit un ouvert fermé dans $X$ autre +que $\varnothing$ et $X$, et soit $X''$ son complémentaire, qui +vérifie les mêmes conditions. On peut écrire $X' = Z(I')$ et $X'' = +Z(I'')$ avec $I',I''$ deux idéaux radicaux stricts +de $\mathcal{O}(X)$. Puisque $X' \cap X'' = \varnothing$, on a $I' + +I'' = (1)$ (où $(1)$ désigne l'idéal unité, +c'est-à-dire $\mathcal{O}(X)$ tout entier) ; il existe donc $e \in I'$ +tel que $1-e \in I''$. Mais alors $e(1-e) \in I' \cap I''$, or $I' +\cap I'' = (0)$ car $X' \cup X'' = X$. On a donc $e^2 = e$, et $e +\neq 1$ car $e$ appartient à un idéal strict, et $e \neq 0$ car $1-e +\neq 1$. +\end{proof} + +On pourrait montrer : +\begin{prop} +Toute variété algébrique affine $X$ est réunion d'un nombre fini de +fermés connexes. De plus, il existe une écriture $X = \bigcup_{i=1}^n +X_i$ vérifiant $X_i \cap X_j = \varnothing$ pour $i \neq j$, et une +telle écriture est unique (à l'ordre des facteurs près) : les $X_i$ +s'appellent les \textbf{composantes connexes} de $X$. +\end{prop} + +\medbreak + +\textbf{Composantes irréductibles.} + +\begin{prop} +Toute variété algébrique affine $X$ est réunion d'un nombre fini de +fermés irréductibles. De plus, il existe une écriture $X = +\bigcup_{i=1}^n X_i$ vérifie $X_i \not\subseteq X_j$ pour $i \neq j$, +et une telle écriture est unique (à l'ordre des facteurs près) : les +$X_i$ s'appellent les \textbf{composantes irréductibles} de $X$. +\end{prop} +\begin{proof} +Montrons par l'absurde que $X$ est réunion d'un nombre fini de fermés +irréductibles : comme $X$ n'est pas lui-même irréductible, on peut +écrire $X = X_1 \cup X'_1$ avec $X_1$, $X'_1$ fermés stricts dans $X$, +et l'un d'entre eux ne doit pas être irréductible, disons $X_1$, donc +on peut écrire $X_1 = X_2 \cup X'_2$, et ainsi de suite. On obtient +ainsi une suite de fermés strictement décroissante pour l'inclusion $X +\supsetneq X_1 \supsetneq X_2 \supsetneq\cdots$, qui correspond à une +suite strictement croissante d'idéaux (radicaux) dans +$\mathcal{O}(X)$, ce qui est impossible car $\mathcal{O}(X)$ est +noethérien (cf. \ref{finite-type-algebras-are-noetherian}). + +On peut donc écrire $X = \bigcup_{i=1}^n X_i$, et quitte à jeter les +$X_i$ déjà inclus dans un autre $X_j$ (et à répéter le processus si +nécessaire), on peut supposer $X_i \not\subseteq X_j$ pour $i \neq j$. + +Montrons enfin l'unicité. Si $X = \bigcup_{i=1}^n X_i = +\bigcup_{j=1}^p Y_j$ sont deux telles écritures, on a $X_i = +\bigcup_{j=1}^p (X_i \cap Y_j)$. Comme $X_i$ est irréductible, l'un +des $X_i\cap Y_j$ doit être égal à $X_i$, c'est-à-dire $X_i \subseteq +Y_j$ ; par symétrie de l'argument, ce $Y_j$ est lui-même inclus dans +un $X_{i'}$, et comme $X_i \subseteq X_{i'}$, la condition sur la +décomposition donne $i'=i$, donc $Y_j = X_i$ et on a bien montré que +chaque $X_i$ est un des $Y_j$ et vice versa. +\end{proof} + +\textbf{Exemple :} $Z(xy) \subseteq \mathbb{A}^2$ a pour composantes +irréductibles $Z(x)$ et $Z(y)$. En revanche, il est connexe (=sa +seule composante connexe est lui-même) : en effet, si $U$ est un +ouvert fermé de $Z(xy)$, quitte à remplacer $U$ par son complémentaire +on peut supposer que $U$ contient $(0,0)$, et alors $U$ est un ouvert +fermé rencontrant $Z(x)$ et $Z(y)$ à la fois --- mais comme ceux-ci +sont irréductibles, et en particulier connexes, $U \cap Z(x) = Z(x)$ +et $U \cap Z(y) = Z(y)$, ce qui montre $U = Z(xy)$. + +% +\subsection{Structure de variété affine d'un ouvert principal} + +Pour l'instant, on n'a appelé « variété » qu'un fermé de Zariski. On +voudrait étendre le terme de sorte qu'au moins les \emph{ouverts} de +Zariski deviennent des variétés. Pour l'instant, on va regarder le +cas d'un ouvert principal $D(f) = \{x : f(x) \neq 0\}$ : on souhaite +définir, si possible en motivant intuitivement, ce que seront les +fonctions régulières sur $D(f)$ et les morphismes depuis et +vers $D(f)$. + +\smallbreak + +\textbf{Motivation.} Partons de l'exemple le plus simple : $U = D(t) = +\{t : t\neq 0\}$, le complémentaire de l'origine dans $\mathbb{A}^1$. +On sait qu'un morphisme $X \buildrel f\over\to \mathbb{A}^1$ (si $X$ +est une variété algébrique affine) est la même chose qu'une fonction +régulière sur $X$, c'est-à-dire, un élément $f$ de $\mathcal{O}(X)$. +Que doit être un morphisme $X \buildrel f\over\to U$ ? Certainement +on veut pouvoir le voir (en composant par l'inclusion $U \to +\mathbb{A}^1$) comme une sorte particulière de morphismes $X \buildrel +f\over\to \mathbb{A}^1$, donc de fonctions régulières sur $X$ : +essentiellement, celles qui « évitent zéro » (ou « ne prennent pas la + valeur zéro »). Or dire que $f(x) \neq 0$ pour tout $x \in X(k)$ +(pour $k$ algébriquement clos !) signifie $f \not\in \mathfrak{m}_x$ +pour tout idéal maximal $\mathfrak{m}_x$ (on sait d'après les +résultats autour du Nullstellensatz +(cf. \ref{maximal-ideals-of-polynomial-algebras}) que tout idéal +maximal de $\mathcal{O}(X)$ est de la forme $\mathfrak{m}_x := \{f : +f(x) = 0\}$) ; or dire qu'un élément $f$ d'un anneau n'appartient à +\emph{aucun} idéal maximal signifie qu'il n'appartient à aucun idéal +strict (cf. \ref{existence-maximal-ideals}), donc que l'idéal qu'il +engendre est l'idéal unité, c'est-à-dire que $f$ est +\emph{inversible}. \underline{Moralité :} les morphismes $X \to U$ +devraient être les éléments inversibles de $\mathcal{O}(X)$. + +A contrario, quels devraient être les fonctions régulières sur $U$ ? +On veut au moins avoir l'inclusion $U \to \mathbb{A}^1$, qui +déterminerait une fonction régulière $t$ sur $U$, et plus généralement +tout élément de $k[t]$, comme il détermine un morphisme $\mathbb{A}^1 +\to \mathbb{A}^1$, devrait déterminer une fonction régulière sur $U$. +Mais il y a plus : d'après ce qu'on a dit ci-dessus, si on souhaite +que $U$ se comporte comme une variété algébrique affine, l'identité $U +\to U$, c'est-à-dire l'élément $t$, devrait être un élément +\emph{inversible} de $\mathcal{O}(U)$. Il faut donc trouver une façon +de rendre $t$ inversible : or on en a trouvé une, c'est la +localisation. On va donc poser $\mathcal{O}(U) = k[t][\frac{1}{t}] =: +k[t,t^{-1}]$, l'anneau des fractions rationnelles de la forme +$\frac{f}{t^s}$ avec $f \in k[t]$ et $s\in \mathbb{N}$. Cet anneau +est d'ailleurs isomorphe (via $t \mapsto x$ et $t^{-1} \mapsto y$) à +$k[x,y]/(xy-1)$, l'anneau de l'hyperbole d'équation $xy=1$ : or il +semble naturel de considérer $U$ (la droite privée d'un point) comme +la projection $(x,y) \mapsto x$ de cette hyperbole $Z(xy-1)$. Ceci +est cohérent avec ce qu'on a décidé ci-dessus : les morphismes +$k[t,t^{-1}] \to A$, pour toute $k$-algèbre $A$, s'identifient aux +éléments inversibles de $A$. + +Toute cette motivation semble justifier d'identifier l'ouvert $U = +D(t) = \{t : t\neq 0\}$ de $\mathbb{A}^1$ avec la variété algébrique +affine $\Spec k[t,t^{-1}]$ associée à l'anneau $k[t,t{^-1}]$. + +Plus généralement, on voudrait adopter le : +\begin{princ} +Si $f \in \mathcal{O}(X)$, avec $X$ une variété algébrique affine, on +considérera $D(f)$ lui-même comme la variété algébrique affine $\Spec +\mathcal{O}(X)[\frac{1}{f}]$, associé à l'anneau +$\mathcal{O}(X)[\frac{1}{f}]$ localisé de $\mathcal{O}(X)$ +inversant $f$. +\end{princ} + +(Noter que $R[\frac{1}{f}] = R[z]/(zf-1)$ de façon générale.) + +Pour justifier que le principe ci-dessus est sensé, on a besoin d'un +certains nombre de vérifications de routine, notamment : +\begin{prop} +Si $f \in \mathcal{O}(X)$, avec $X$ une variété algébrique affine sur +un corps algébriquement clos $k$, et si $\iota\colon \mathcal{O}(X) +\to \mathcal{O}(X)[\frac{1}{f}],\penalty-100\; h \mapsto \frac{h}{1}$ +désigne le morphisme naturel vers le localisé : +\begin{itemize} +\item les idéaux maximaux (resp. premiers) + de $\mathcal{O}(X)[\frac{1}{f}]$ sont en bijection avec les idéaux + maximaux de $\mathcal{O}(X)$ ne contenant pas $f$ + (cf. \ref{properties-localization}) ; et si $\psi \colon D(f) \to \Spec + \mathcal{O}(X)[\frac{1}{f}]$ désigne cette bijection, envoyant un + point $x$ de $D(f) \subseteq X$, vu comme idéal maximal + $\mathfrak{m}_x$ de $\mathcal{O}(X)$ ne contenant pas $f$, sur le + point $\psi(x)$ défini par l'idéal maximal + $\iota^{-1}(\mathfrak{m}_x)$, alors : +\item $\psi$ met en bijection les ouverts de Zariski de $X$ contenus + dans $D(f)$ avec les ouverts de Zariski de $X' := \Spec + \mathcal{O}(X)[\frac{1}{f}]$, et les ouverts principaux contenus + dans $D(f)$ (c'est-à-dire les $D(gf) = D(g)\cap D(f)$) avec les + ouverts principaux de $X'$ (et précisément $D(gf)$ avec + $D(\iota(g))$), et +\item si $h \in \mathcal{O}(X)$ et $x \in D(f)$, alors $h(x)$ coïncide + avec $\iota(h)(\psi(x))$ (vus comme éléments de $k$). +\end{itemize} +\end{prop} + +De ce principe découlent : +\begin{defn} +Si $f \in \mathcal{O}(X)$, avec $X$ une variété algébrique affine, +l'anneau $\mathcal{O}(D(f))$ des fonctions régulières sur $D(f)$ sera +par définition $\mathcal{O}(X)[\frac{1}{f}]$. La \textbf{restriction} +$h|_{D(f)}$ d'une fonction régulière $h \in \mathcal{O}(X)$ à $D(f)$ +sera par définition $\iota(h) := \frac{h}{1} \in +\mathcal{O}(X)[\frac{1}{f}]$. + +Si $f \in \mathcal{O}(X)$, avec $X$ une variété algébrique affine, et +$Y$ est une variété algébrique affine, un morphisme $D(f) \to Y$ sera +identifié à la donnée d'un élément de $Y(\mathcal{O}(X)[\frac{1}{f}])$ +ou d'un morphisme de $k$-algèbres $\mathcal{O}(Y) \to +\mathcal{O}(X)[\frac{1}{f}]$ (c'est-à-dire, concrètement, si $Y$ est +vu plongé comme un fermé de Zariski de $\mathbb{A}^e$, comme $e$ +éléments de $\mathcal{O}(X)[\frac{1}{f}]$ vérifiant les équations +de $Y$). + +Si $A$ est une $k$-algèbre, l'ensemble $D(f)(A)$ des $A$-points de +$D(f)$ sera le sous-ensemble de $X(A)$ formé des $x \in X(A)$ tels que +$f(x) \in A$ soit inversible. (Et si $A \buildrel\varphi\over\to A'$ +est un morphisme d'anneaux, $U(I)(\varphi)\colon U(I)(A) \to U(I)(A')$ +est la restriction de $X(\varphi)\colon X(A) \to X(A')$ à $U(I)(A)$.) + +Si $g \in \mathcal{O}(Y)$, avec $Y$ une variété algébrique affine, et +$X$ est une variété algébrique affine, un morphisme $X \to D(g)$ sera +identifié à la donnée d'un morphisme $h\colon X \to Y$ tel que +l'élément $h^*(g) \in \mathcal{O}(X)$ (c'est-à-dire la composée de +$h\colon X\to Y$ avec $g \in \mathcal{O}(Y)$ vu comme un morphisme $Y +\to \mathbb{A}^1$) soit inversible. + +Si $f \in \mathcal{O}(X)$, avec $X$ une variété algébrique affine, et +si $g \in \mathcal{O}(Y)$, avec $Y$ une variété algébrique affine, un +morphisme $D(f) \to D(g)$ sera identifié à la donnée d'un élément $h$ +de $Y(\mathcal{O}(X)[\frac{1}{f}])$ (ou d'un morphisme $h^* \colon +\mathcal{O}(Y) \to \mathcal{O}(X)[\frac{1}{f}]$ de $k$-algèbres) tel +que $h^*(g)$ soit inversible, ou, ce qui revient encore au même, un +morphisme $\mathcal{O}(Y)[\frac{1}{g}] \to +\mathcal{O}(X)[\frac{1}{f}]$ de $k$-algèbres. +\end{defn} + +De nouveau, il existe beaucoup de façons de voir la même donnée ! + +Lorsque $\mathcal{O}(X)$ est intègre (c'est-à-dire que la variété $X$ +est irréductible), on peut voir $\mathcal{O}(D(f))$ de façon simple à +l'intérieur du corps des fractions de $\mathcal{O}(X)$ : ce sont les +éléments de $\Frac(\mathcal{O}(X))$ qui peuvent s'écrire comme +une fraction dont le dénominateur est une puissance de $f$. + + +% +\subsection{Introduction au recollement} + +La proposition suivante peut paraître innocente, mais elle est +fondamentale : + +\begin{prop} +Si $X$ est une variété algébrique affine recouverte par des $D(f_i)$ +(c'est-à-dire, cf. \ref{covering-by-principal-open-sets}, que les +$f_i \in \mathcal{O}(X)$, qu'on pourra toujours supposer en nombre +fini, engendrent l'idéal unité), alors : +\begin{enumerate} +\item si une fonction régulière $h \in \mathcal{O}(X)$ a une + restriction $h|_{D(f_i)}$ nulle sur chacun des $D(f_i)$ alors $h$ + est nulle, +\item donnée une fonction régulière $h_i \in \mathcal{O}(D(f_i)) = + \mathcal{O}(X)[\frac{1}{f_i}]$ pour chaque $i$, telles que + $h_i|_{D(f_i)\cap D(f_j)} = h_j|_{D(f_i)\cap D(f_j)}$ pour + chaque $i,j$ (autrement dit, les $h_i$ coïncident sur leurs + intersections ; on rappelle que $D(f_i) \cap D(f_j) = D(f_i f_j)$), + il existe une fonction régulière $h \in \mathcal{O}(X)$, + nécessairement unique d'après le point précédent, telle que + $h|_{D(f_i)} = h_i$ pour tout $i$. +\end{enumerate} +\end{prop} + +En clair : pour se donner une fonction régulière sur $X$, il suffit de +se donner sa restriction à des ouverts principaux $D(f_i)$ +recouvrant $X$, et pour que de telles restrictions définissent bien +une fonction régulière sur tout $X$, c'est-à-dire « se recollent », il +suffit (comme il faut !) qu'elles soient cohérentes sur les +intersections de deux d'entre eux. On traduit ce fait en disant que +la donnée des $\mathcal{O}(D(f))$ (y compris $\mathcal{O}(X)$ +lui-même) et des morphismes de restrictions entre eux forme un +\textbf{faisceau} (sur la base d'ouverts formée des ouverts +principaux). + +Ceci est la conséquence (reformulation) du résultat purement +algébrique suivant : +\begin{prop} +Soit $R$ un anneau et $f_i \in R$ des éléments engendrant l'idéal +unité. Alors : +\begin{enumerate} +\item si $h \in R$ a une image $\iota_i(h)$ nulle dans chaque + $R[\frac{1}{f_i}]$ alors $h$ est nul, +\item donnée un élément $h_i \in R[\frac{1}{f_i}]$ pour chaque $i$, + tels que $\iota_{i,j}(h_i) = \iota_{j,i}(h_j) \in R[\frac{1}{f_i + f_j}]$ pour chaque $i,j$ (où on identifie tacitement + $R[\frac{1}{f_i f_j}]$ à $R[\frac{1}{f_i}][\frac{1}{f_j}]$ et + $R[\frac{1}{f_j}][\frac{1}{f_i}]$), il existe un unique $h \in R$, + nécessairement unique d'après le point précédent, tel que + $\iota_i(h) = h_i \in R[\frac{1}{f_i}]$ pour tout $i$. +\end{enumerate} +\end{prop} +\begin{proof}[Démonstration du premier point] +Mettons $\sum g_i f_i = 1$ : on oublie tous les $f_i$ sauf le nombre +fini d'entre eux qui intervient vraiment dans cette somme. Dire que +$h$ a une image nulle dans $R[\frac{1}{f_i}]$ signifie qu'il existe +$N_i$ entier assez grand tel que $f_i^{N_i} h = 0$ ; en élevant +l'équation $\sum g_i f_i$ à une puissance $N$ assez grande (par +exemple $\sum N_i$), on peut s'arranger pour que chaque terme du +développement fasse intervenir un certain $f_i$ à la puissance $N_i$ +au moins. Ceci montre $(\sum g_i f_i)^N\, h = 0$. Or $(\sum g_i +f_i)^N = 1$, donc $h = 0$. +\end{proof} +\begin{proof}[Esquisse de démonstration du second point] +On écrit $h_i = \frac{p_i}{f_i^{N_i}}$, et de nouveau, en élevant +$\sum g_i f_i = 1$ à une puissance $N$ assez grande on peut s'arranger +pour que chaque terme $t_{\cdots} = c_{\cdots} \prod_i f_i^{n_i}$ +fasse intervenir un des $f_i$ à une puissance $n_i$ au moins égale +à $N_i$ ; on appelle $h$ la somme des $c_{\cdots} p_i f_i^{n_i-N_i} +\prod_{j\neq i} f_j^{n_j}$ où le facteur $f_i^{N_i}$ correspondant a +été remplacé par $p_i$ (ce qui vaut donc $t_{\cdots} h_i$ dans +$R[\frac{1}{f_i}]$ --- on peut donc vérifier que $\iota_i(h) = h_i$). +\end{proof} + +On peut de même fabriquer des morphismes par recollement : +\begin{cor} +Si $X$ est une variété algébrique affine recouverte par des $D(f_i)$, +alors se donner un morphisme $X \to Y$, pour $Y$ une variété +algébrique affine quelconque, équivaut à se donner des morphismes +$D(f_i) \to Y$ pour chaque $f_i$, qui coïncident sur les intersections +$D(f_i) \cap D(f_j)$ (pour chaque $i,j$). +\end{cor} + +Ceci est la clé pour définir les variétés algébriques non +nécessairement affines, selon le principe général vague suivant : +\begin{princ} +Une variété algébrique non nécessairement affine $X$ est obtenue en +« recollant » des variétés algébriques affines $X_i$ ; une fonction +régulière sur $X$ est la donnée d'une fonction régulière sur chaque +$X_i$ qui coïncident aux intersections ; un morphisme de $X$ vers une +variété algébrique affine $Y$ est, de même, la donnée de morphismes +$X_i \to Y$ qui se recollent. + +On dira que $X$ est \emph{affine} lorsque $X$ est isomorphe à une +variété algébrique $\Spec R$ avec $R$ algèbre de type finie réduite, +ou, de façon équivalente, lorsque le morphisme $X \to \Spec +\mathcal{O}(X)$, où $\mathcal{O}(X)$ est l'anneau des fonctions +régulières sur $X$, défini naturellement, est, en fait, un +isomorphisme. +\end{princ} + + +% +\subsection{Variétés algébriques quasi-affines} + +Une variété algébrique quasi-affine est un ouvert \emph{non + nécessairement principal} d'une variété algébrique affine $X$, +c'est-à-dire, d'un fermé de Zariski dans l'espace affine. Un tel +ouvert peut s'écrire $U(I) := X \setminus Z(I)$ avec $I$ idéal +de $\mathcal{O}(X)$, et il est recouvert par des $D(f_i)$ lorsque les +$f_i$ engendrent l'idéal $\surd I$. + +\begin{defn} +Si $I$ est un idéal de $\mathcal{O}(X)$, avec $X$ une variété +algébrique affine, une fonction régulière sur $U(I) := X \setminus +Z(I)$ sera par définition la donnée d'une fonction régulière $h_i$ sur +chaque $D(f_i)$ où les $f_i \in \mathcal{O}(X)$ engendrent $I$, telles +que $h_i$ et $h_j$ coïncident sur $D(f_i) \cap D(f_j)$ ; on identifie +deux telles données lorsqu'elles coïncident sur toutes les +intersections possibles. + +Si $I$ est un idéal de $\mathcal{O}(X)$, avec $X$ une variété +algébrique affine, et $Y$ est une variété algébrique affine, un +morphisme $U(I) \to Y$ sera identifié à la donnée d'un morphisme +$D(f_i) \to Y$ pour chaque $f_i$ où les $f_i \in \mathcal{O}(X)$ +engendrent $I$, qui coïncident sur les $D(f_i) \cap D(f_j)$ ; on +identifie deux telles données lorsqu'elles coïncident sur toutes les +intersections possibles. + +Si $A$ est une $k$-algèbre, l'ensemble $U(I)(A)$ des $A$-points de +$U(I)$ sera le sous-ensemble de $X(A)$ formé des $x \in X(A)$ tels que +les $f(x) \in A$ pour $f \in I$ engendrent l'idéal unité de $A$. (Et +si $A \buildrel\varphi\over\to A'$ est un morphisme d'anneaux, +$U(I)(\varphi)\colon U(I)(A) \to U(I)(A')$ est la restriction de +$X(\varphi)\colon X(A) \to X(A')$ à $U(I)(A)$.) + +Si $J$ est un idéal de $\mathcal{O}(Y)$, avec $Y$ une variété +algébrique affine (et toujours $I$ un idéal de $\mathcal{O}(X)$ comme +ci-dessus), un morphisme $U(I) \to U(J)$ sera identifié à la donnée +d'éléments $f_i$ engrendant $I$ et $g_i$ appartenant à $J$, indicés +par le même ensemble, et de morphismes $h_i \colon D(f_i) \to D(g_i)$, +tels que $h_i$ et $h_j$ coïncident sur $D(f_i) \cap D(f_j)$ ; on +identifie deux telles données lorsqu'elles coïncident sur toutes les +intersections possibles. +\end{defn} + +Entre autres vérifications de cohérence de ces définitions : +\begin{prop} +Avec les notations ci-dessus, la donnée d'un morphisme $U(I) \buildrel +h\over\to U(J)$ équivaut à celle d'une application $U(I)(A) \buildrel +h(A)\over\to U(J)(A)$ pour chaque $k$-algèbre $A$ telles que : si $A +\buildrel\psi\over\to A'$ est un morphisme de $k$-algèbres, alors les +deux composées $U(I)(A) \buildrel U(I)(\psi)\over\to U(I)(A') +\buildrel h(A')\over\to U(J)(A')$ et $U(I)(A) \buildrel h(A)\over\to +U(J)(A) \buildrel U(J)(\psi)\over\to U(J)(A')$ coïncident (cf. lemme +de Yoneda). +\end{prop} + +Lorsque $\mathcal{O}(X)$ est intègre (c'est-à-dire que la variété $X$ +est irréductible), on peut voir $\mathcal{O}(U(I))$ de façon simple à +l'intérieur du corps des fractions de $\mathcal{O}(X)$ : ce sont les +éléments de $\Frac(\mathcal{O}(X))$ qui peuvent s'écrire comme une +fraction dont le dénominateur est une puissance de $f_i$ pour +n'importe quel $f_i$ d'une famille engendrant $I$. + +\smallbreak + +Pour tout ouvert $U$, on a un morphisme de variétés algébriques $U \to +X$ appelé \textbf{immersion ouverte} de $U$ dans $X$. + +\medbreak + +Pour tout ouvert $U$ d'une $k$-variété algébrique affine $X$, l'anneau +$\mathcal{O}(U)$ est une $k$-algèbre de type fini, et on a un +morphisme de variétés algébriques $U \to \Spec \mathcal{O}(U)$ (défini +en considérant un recouvrement quelconque de $U$ par des $D(f_i)$ et +en recollant les morphismes $D(f_i) \to \Spec \mathcal{O}(U)$ donnés +par les $\mathcal{O}(U) \to \mathcal{O}(X)[\frac{1}{f_i}]$) : lorsque +ce morphisme est un isomorphisme, l'ouvert $U$ est dit \emph{affine}. +Un ouvert principal est toujours affine. Un ouvert peut être affine +sans être principal, mais c'est généralement assez difficile à +détecter. Remarquons cependant si $U = U(\{x,y\}) = D(x) \cup D(y)$ +est le complémentaire de l'origine dans $\mathbb{A}^2$, alors $U$ +n'est pas affine, car $\mathcal{O}(U) = k[x,y]$ (en effet, $k[x,y]$ +est un anneau factoriel, donc une fraction rationnelle en deux +variables $x,y$ admet une forme simplifiée unique à scalaire près, et +si elle peut s'écrire avec une puissance de $x$ ou une puissance de +$y$ comme dénominateurs, il s'agit simplement d'un polynôme), et le +morphisme $U \to \Spec\mathcal{O}(U)$ est l'immersion ouverte de $U$ +dans $\mathbb{A}^2$, qui n'est pas un isomorphisme. + + +% +\subsection{Récapitulation : que doit-on savoir sur une variété algébrique ?} + +On ne proposera pas de définition générale de ce qu'est une variété +algébrique. Cependant, il faut au moins savoir les choses suivantes : +\begin{itemize} +\item une variété algébrique affine ou quasi-affine sur $k$ est une + variété algébrique sur $k$ ; en particulier, pour toute $k$-algèbre + $R$ de type fini réduite sur $k$, on a une variété algébrique + (affine) $\Spec R$ ; +\item une variété algébrique a une notion d'\emph{ouverts} (de + Zariski) : ces ouverts sont eux-mêmes des variétés algébriques ; ces + ouverts vérifient les axiomes d'une topologie, i.e., le vide et le + plein sont des ouverts, une réunion quelconque ou une intersection + finie d'ouverts sont des ouverts ; de plus, une variété algébrique + est quasi-compacte (de tout recouvrement par des ouverts on peut + extraire un sous-recouvrement finie) ; +\item une variété algébrique peut être recouverte par des ouverts + \emph{affines} ; +\item si la variété $X$ est recouverte par des ouverts $U_i$, se + donner une fonction régulière sur $X$ (resp. un morphisme de $X$ + vers une variété $Y$ quelconque) équivaut à se donner une fonction + régulière sur chaque $U_i$ (resp. un morphisme de chaque $U_i$ + vers $Y$) telles que les données coïncident aux intersections $U_i + \cap U_j$ ; en particulier, appliquer ce principe à un recouvrement + par des ouverts affines permet de ramener l'étude d'une variété + quelconque à des variétés affines et à leurs intersections ; +\item pour chaque $k$-algèbre $A$, on a un ensemble $X(A)$ appelé + ensemble des $A$-points de la variété $X$, et pour chaque morphisme + $\varphi\colon A\to A'$ de $k$-algèbres une application $X(A) \to + X(A')$ telle que $X(\psi\circ\varphi) = X(\psi)\circ X(\varphi)$ si + $\varphi\colon A\to A'$ et $\psi\colon A'\to A''$, +\item les morphismes $X \to Y$ sont exactement les données pour chaque + $k$-algèbre d'une application $X(A) \buildrel f(A)\over\to Y(A)$ + telle que : si $A \buildrel\psi\over\to A'$ est un morphisme de + $k$-algèbres, alors les deux composées $X(A) \buildrel + X(\psi)\over\to X(A') \buildrel f(A')\over\to Y(A')$ et $X(A) + \buildrel f(A)\over\to Y(A) \buildrel Y(\psi)\over\to Y(A')$ + coïncident ; +\item si $X$ est affine, les morphismes $X \to Y$ s'identifient avec + les éléments de $Y(\mathscr{O}(X))$ (on ne suppose pas ici que $Y$ + soit affine) ; +\item si $Y$ est affine, les morphismes $X \to Y$ s'identifient avec + les morphismes d'anneaux $\mathcal{O}(Y) \to \mathcal{O}(X)$ (on ne + suppose pas que $X$ soit affine), et en particulier les fonctions + régulières sur $X$ s'identifient avec les morphismes $X \to + \mathbb{A}^1$ ; +\item sur un corps $k$ algébriquement clos, le Nullstellensatz assure + que beaucoup de données se « lisent » sur les $k$-points : + notamment, une fonction régulière sur $X$ est déterminée par ses + valeurs sur $X(k)$, un morphisme $X \to Y$ est déterminée par la + fonction $X(k) \to Y(k)$, un ouvert de $X$ est déterminé par le + sous-ensemble $U(k)$ de $X(k)$... +\end{itemize} + + +% +% +% + +\section{L'espace projectif et les variétés quasiprojectives} + +\subsection{L'espace projectif sur un corps et sur un anneau} + +Si $k$ est un corps, on note $\mathbb{P}^d(k)$ l'ensemble des +$(d+1)$-uplets d'éléments \emph{non tous nuls} de $k$ modulo la +relation d'équivalence $(x_0,\cdots,x_d) \sim (x'_0,\cdots,x'_d)$ ssi +les vecteurs $(x_0,\cdots,x_d)$ et $(x'_0,\cdots,x'_d)$ sont +colinéaires. On note $(x_0:\cdots:x_d)$ (certains auteurs préfèrent +$[x_0,\ldots,x_d]$) la classe de $(x_0,\ldots,x_d)$ pour cette +relation d'équivalence. On peut voir $\mathbb{P}^d(k)$ comme +l'ensemble des droites vectorielles (=passant par l'origine) +de $k^{d+1}$. + +Idée intuitive : tout point de $\mathbb{P}^d$ (sur un corps), selon +que $x_0 \neq 0$ ou $x_0 = 0$, peut être mis sous la forme +$(1:x_1:\cdots:x_d)$ (avec $x_1,\ldots,x_d$ quelconques) ou bien +$(0:x_1:\cdots:x_d)$ (avec $x_1,\ldots,x_d$ non tous nuls). Le point +$(x_1,\ldots,x_d)$ de $\mathbb{A}^d$ sera identifié au point +$(1:x_1:\cdots:x_d)$ de $\mathbb{P}^d$, tandis que les points de la +forme $(0:x_1:\ldots:x_d)$ sont appelés « points à l'infini » (et +collectivement, « hyperplan à l'infini »). On peut donc écrire +$\mathbb{P}^d(k) = \mathbb{A}^d(k) \cup \mathbb{P}^{d-1}(k)$ (réunion +disjointe de l'ensemble $Z(x_0)(k)$ des points où $x_0 \neq 0$ et de +celui $D(x_0)(k)$ des points où $x_0 = 0$) ; moralement, on aura envie +que $\mathbb{A}^d$ soit un ouvert dans $\mathbb{P}^d$ et +$\mathbb{P}^{d-1}$ son fermé complémentaire. Noter que le choix de +$x_0$ est arbitraire : on peut voir $\mathbb{P}^d$ comme réunion de +$d+1$ espaces affines $\mathbb{A}^d$ (à savoir +$D(x_0),\ldots,D(x_d)$). + +\smallbreak + +Si $A$ est un anneau, on définit $\mathbb{P}^d(A)$ comme l'ensemble +des classses d'équivalence de matrices $(d+1)\times (d+1)$ à +coefficients dans $A$, disons $(x_{ij})$ telles que +\[ +\begin{array}{c} +\sum_{i=0}^d x_{ii} = 1\\ +(\forall i,i',j,j')\, x_{ij} x_{i'j'} = x_{ij'} x_{i'j}\\ +\end{array} +\] +(autrement dit, la matrice a trace $1$ et deux lignes quelconques sont +« colinéaires » au sens où tout déterminant $2\times 2$ extrait est +nul), la relation d'équivalence identifiant une matrice $(x_{ij})$ +avec une autre $(x'_{ij})$ lorsque pour tous $i,i',j,j'$ on a $x_{ij} +x'_{i'j'} = x_{ij'} x'_{i'j}$ (toute ligne de $x$ est colinéaire à +toute ligne de $x'$ avec la même définition). + +Ceci généralise bien la définition sur un corps : si $k$ est un corps, +pour un élément $(x_0:\cdots:x_d)$ du $\mathbb{P}^d(k)$ précédemment +défini, il existe $i_0$ tel que $x_{i_0} \neq 0$, et on peut supposer +$x_{i_0} = 1$, auquel cas on identifie le point avec la matrice +$x_{ij}$ définie par $x_{ij} = 0$ sauf si $i=0$ auquel cas $x_{i_0,j} += x_j$. Inversement, si $(x_{ij})$ est une matrice représentant un +élément du $\mathbb{P}^d(k)$ défini en deuxième, avec $k$ un corps, on +peut prendre une ligne quelconque de la matrice dont tous les +coefficients ne sont pas nuls (il en existe nécessairement une puisque +la somme des coefficients diagonaux vaut $1$ !) et elle représente un +point de $\mathbb{P}^d(k)$ défini en premier. Il est facile de +vérifier que ces deux fonctions sont réciproques. + +\emph{Remarque :} Plus généralement, si $x_0,\ldots,x_d \in A$ +engendrent l'idéal unité de $A$ (ceci généralise $d$ éléments non tous +nuls d'un corps !), disons $\sum_{i=0}^d y_i x_i = 1$, on peut définir +un élément de $\mathbb{P}^d(A)$ qu'il est naturel de noter +$(x_0:\cdots:x_d)$, à savoir, en utilisant la définition précédente +$x_{ij} = y_i x_j$. Sur certains anneaux particuliers (par exemple, +tout anneau intègre factoriel, par exemple $k[t_1,\ldots,t_s]$, ou +encore $\mathbb{Z}$), tout élément de $\mathbb{P}^d(A)$ peut, en fait, +s'écrire sous cette forme, mais ce n'est pas vrai en général +(quoiqu'il soit un peu difficile de donner un +contre-exemple\footnote{En voici un : si $A = \mathbb{Z}[\sqrt{-5}]$ + est l'anneau des complexes de la forme $a+b\sqrt{-5}$ (ce sont des + entiers algébriques), la matrice $2\times 2$ dont la première ligne + est $(3,\;1+\sqrt{-5})$ et la seconde $(-1+\sqrt{-5},\;-2)$ est de + trace $1$ et déterminant nul, elle définit donc un point + de $\mathbb{P}^1(A)$ qu'il n'est pas possible d'exprimer sous la + forme $(x_0:\cdots:x_d)$ pour $x_0,\ldots,x_d \in A$ engendrant + l'idéal unité.}). + + +% +\subsection{Polynômes homogènes, fermés et ouverts de Zariski de $\mathbb{P}^d$, + Nullstellensatz projectif} + +On veut voir $\mathbb{P}^d$ comme une variété algébrique (au moins +pour $k$ algébriquement clos pour le moment). Il faudra une notion +d'ouverts et une notion de fonctions régulières. + +On dit qu'un $f \in k[t_0,\ldots,t_d]$ est \textbf{homogène de + degré $\ell$} lorsque tous les monômes qui le constituent ont le +même degré total $\ell$. L'intérêt de cette remarque est que si +$(x_0:\cdots:x_d) \in \mathbb{P}^d(k)$ avec $k$ un corps, et $f \in +k[t_0,\ldots,t_d]$ est homogène, le fait que $f(x_0,\ldots,x_d) = 0$ +ou $\neq 0$ ne dépend pas du choix du représentant choisi de +$(x_0:\cdots:x_d)$. On peut donc définir $Z(f) = \{(x_0:\cdots:x_d) +\in \mathbb{P}^d(k) : f(x_0,\ldots,x_d) = 0\}$ (il faudrait noter +$Z_{\mathbb{P}^d}(f)$, mais bon...) et $D(f)$ son complémentaire. +Ceci signifie en fait $Z(f)(k)$ : pour $Z(f)(A)$, il faut le définir +comme l'ensemble des matrices $(x_{ij})$ de $\mathbb{P}^d(A)$ comme +précédemment telles que $f(x_{i0},\ldots,x_{id})=0$ pour tout $i$, et +pour $D(f)(A)$ ce sera l'ensemble des matrices $(x_{ij})$ +de $\mathbb{P}^d(A)$ comme précédemment telles que les +$f(x_{i0},\ldots,x_{id})$ engendrent l'idéal unité. + +On apppelle \textbf{partie homogène de degré $\ell$} d'un polynôme $f +\in k[t_0,\ldots,t_d]$ la somme de tous ses monômes de degré +total $\ell$. Évidemment, tout polynôme est la somme de ses parties +homogènes. Le produit de deux polynômes homogènes de degrés +respectifs $\ell$ et $\ell'$ est homogène de degré $\ell+\ell'$. + +On dit qu'un idéal $I$ de $k[t_0,\ldots,t_d]$ est \textbf{homogène} +lorsqu'il peut être engendré par des polynômes homogènes (cela ne +signifie pas, évidemment, qu'il ne contient que des polynômes +homogènes, ni même que \emph{tout} ensemble de générateurs de $I$ soit +constitué de polynômes homogènes). De façon équivalente, il s'agit +d'un idéal tel que pour tout $f\in I$, toute partie homogène de $f$ +est encore dans $I$. (Démonstration de l'équivalence : si toute +partie homogène d'un élément de $I$ appartient encore à $I$, en +prenant un ensemble quelconque de générateurs de $I$, les parties +homogènes de ceux-ci appartiennent encore à $I$ et sont encore +génératrices puisqu'elles engendrent les générateurs choisis, donc $I$ +admet bien un ensemble de générateurs homogènes ; réciproquement, si +$I$ est engendré par $f_1,\ldots,f_r$ homogènes de degrés +$\ell_1,\ldots,\ell_r$ et si $h$ appartient à $I$, disons $h = \sum_i +g_i f_i$, alors pour tout $\ell$, la partie homogène de degré $\ell$ +de $h$ est $h^{[\ell]} = \sum_i g_i^{[\ell-\ell_i]} f_i$ où +$g_i^{[\ell-\ell_i]}$ désigne la partie homogène de degré +$\ell-\ell_i$ de $g_i$, donc $h^{[\ell]}$ appartient aussi à $I$.) + +(Concrètement, dire que $I$ est homogène signifie --- au moins lorsque +$I$ est radical et que $k$ est algébriquement clos --- que le fermé +\emph{affine} qu'il définit dans $\mathbb{A}^{d+1}$ est un +\emph{cône}, c'est-à-dire stable par homothéties. L'ensemble $Z(I)$ +défini ci-dessus va être ce cône vu comme un ensemble de droites +vectorielles donc comme un objet géométrique dans $\mathbb{P}^d$.) + +Pour $I$ idéal homogène de $k[t_0,\ldots,t_d]$, on définit $Z(I)$ +comme l'intersection des $Z(f)$ pour $f\in I$ homogène, ou simplement, +d'après ce qui précède, l'intersection des $Z(f)$ pour $f$ parcourant +un ensemble de générateurs homogènes de $I$. Les $Z(I)$ s'appellent +les fermés [de Zariski] de $\mathbb{P}^d$. Inversement, si $E$ est +une partie de $\mathbb{P}^d$, on appelle $\mathfrak{I}(E)$ l'idéal +(par définition homogène) engendré par les polynômes homogènes $f$ +s'annulant en tout point de $E$ (c'est-à-dire tels que $Z(f) \supseteq +E$). + +\begin{thm} +Si $k$ est un corps algébriquement clos : +\begin{itemize} +\item (Nullstellensatz faible projectif.) Pour $I$ un idéal homogène + de $k[t_0,\ldots,t_d]$, on a $Z(I) = \varnothing$ dans + $\mathbb{P}^d$ ssi il existe un entier naturel $\ell$ tel que $I$ + contienne tous les monômes en $t_0,\ldots,t_d$ de degré total $\ell$ + (et, par conséquent, de tout degré plus grand). Un tel idéal + s'appelle \textbf{irrelevant} [avec un bel anglicisme]. +\item (Nullstellensatz projectif.) Les fonctions $I \mapsto Z(I)$ et + $E \mapsto \mathfrak{I}(E)$ définissent des bijections réciproques, + décroissantes pour l'inclusion, entre les idéaux homogènes radicaux + de $k[t_0,\ldots,t_d]$ autres que $(t_0,\ldots,t_d)$ d'une part, et + les fermés de Zariski de $\mathbb{P}^d(k)$ d'autre part. +\item Ces bijections mettent en corrrespondance les idéaux homogènes + premiers de $k[t_0,\ldots,t_d]$ avec les fermés irréductibles + de $\mathbb{P}^d$. +\end{itemize} +\end{thm} + +\begin{rmk} +Pour qu'un idéal homogène $I$ de $k[t_0,\ldots,t_d]$ contienne tous +les monômes à partir d'un certain degré total $\ell$ (c'est-à-dire, +qu'il soit irrelevant), il faut et il suffit qu'il contienne tous les +$t_i^n$ à partir d'un certain $n$. (En effet, un sens est trivial, et +pour l'autre sens, si $I$ contient tous les $t_i^n$, alors il contient +tout monôme de degré $(d+1)n$, puisqu'un tel monôme contient au moins +un $t_i$ à la puissance $n$.) Comme il n'y a qu'un nombre fini des +$t_i$, on peut aussi intervertir les quantificateurs : c'est encore la +même chose que de dire que pour chaque $i$, l'idéal $I$ contient une +certaine puissance $t_i^{n_i}$ de $t_i$. +\end{rmk} + + +% +\subsection{Fonctions régulières sur l'espace projectif} + +On veut voir $D(t_0) = \{t_0\neq 0\}$ comme un espace +affine $\mathbb{A}^d$ dans $\mathbb{P}^d$ (ici sur $k$). On sait +quelles sont les fonctions régulières dessus : ce sont les polynômes +sur $k$ en $d$ variables, qu'on doit ici considérer comme +$\frac{t_1}{t_0},\ldots,\frac{t_d}{t_0}$. De façon équivalente, il +s'agit de fractions rationnelles de la forme $\frac{h}{t_0^\ell}$ avec +$h \in k[t_0,\ldots,t_d]$ homogène de degré $\ell$. Plus +généralement, on veut définir les fonctions régulières sur $D(f)$ +dans $\mathbb{P}^d$ (où $f$ est homogène de degré $D$, disons) comme +les fractions rationnelles de la forme $\frac{h}{f^r}$ avec $h$ +homogène de degré $rD$ (ce qui assure que (1) l'évaluation d'une telle +fonction sur un élément de $\mathbb{P}^d(k)$ a un sens lorsque cet +élément appartient à $D(f)$, et (2) elle ne dépend pas du représentant +choisi). + +De façon peut-être surprenante, on en arrive donc à ce que les +fonctions régulières sur $\mathbb{P}^d$ \emph{tout entier} sont +uniquement les constantes. De fait, on pourrait montrer que c'est +inévitable avec les exigences qu'on a sur les variétés +algébriques\footnote{Ou encore : puisqu'une fonction régulière sur + $\mathbb{P}^d$ est censée être la même chose qu'un morphisme + $\mathbb{P}^d \to \mathbb{A}^1$, la seule façon de définir une + application $\mathbb{P}^d(A) \to \mathbb{A}^1(A)$ pour toute + $k$-algèbre $A$, de façon compatible aux changements d'anneaux $A + \to A'$, consiste à prendre la fonction constante valant un élément + de $k$, toujours le même.} : notamment, si on recouvre +$\mathbb{P}^d$ par les $d+1$ ouverts affines $D(t_i)$ (pour +$i=0,\ldots,d$), la seule façon de se donner une fonction régulière +sur chacune qui coïncident aux intersections est d'avoir une constante +(toujours la même) sur chaque ouvert. + +Ceci ne constitue pas une contradiction (mais prouve que +$\mathbb{P}^d$ ne saurait être affine). Cependant, pour garder +l'information des polynômes homogènes non constants, il est utile de +définir aussi : +\begin{defn} +Si $\ell \in \mathbb{Z}$, une \textbf{section de $\mathcal{O}(\ell)$} +sur $D(f)$ dans $\mathbb{P}^d$ (où $f$ est un polynôme homogène de +degré $D$) est, par définition, une fraction rationnelle de la forme +$\frac{h}{f^r}$ avec $h$ homogène de degré $rD+\ell$. (Quand $\ell = +0$, il s'agit donc simplement d'une fonction régulière.) +\end{defn} +En particulier, les sections globales de $\mathcal{O}(\ell)$, +c'est-à-dire, sur $\mathbb{P}^d$ tout entier, n'existent pas si +$\ell<0$, et sont les polynômes homogènes de degré $\ell$ en +$t_0,\ldots,t_d$ si $\ell \geq 0$ (pour $\ell=0$, il n'y a que les +constantes). + +\medbreak + +Un morphisme $\mathbb{P}^d \buildrel f\over\to \mathbb{P}^e$ est la +donnée de $e+1$ polynômes $(f_0,\ldots,f_e) \in k[t_0,\ldots,t_d]$ en +$d+1$ variables, homogènes de même degré $\ell$, qui ne s'annulent +jamais simultanément sur un corps $k$ algébriquement clos, +c'est-à-dire, pour éviter de dépendre de cette hypothèse, que +$f_0,\ldots,f_e$ engendrent un idéal irrelevant dans +$k[t_0,\ldots,t_d]$. Évidemment, si $f_0,\ldots,f_e$ vérifient +certaines équations homogènes $g_j(f_0,\ldots,f_e) = 0$ (avec $g_j \in +k[u_0,\ldots,u_e]$ homogène), on pourra considérer le morphisme $f$ +comme allant de $\mathbb{P}^d$ vers la variété projective +(cf. ci-dessous pour ce terme) $Y = Z(J)$ où $J$ est l'idéal homogène +engendré par les $g_j$. + + +% +\subsection{Variétés projectives} + +On appelle \textbf{variété projective} un fermé de Zariski $X$ de +$\mathbb{P}^d$, c'est-à-dire un $Z(I)$ pour $I = \mathfrak{I}(X)$ un +certain idéal homogène radical de $k[t_0,\ldots,t_d]$ différent de +$(t_0,\ldots,t_d)$. Pour définir la structure de variété, on remarque +d'abord que comme $I$ est homogène, on peut définir la notion de +« partie de degré $\ell$ » d'un élément de $k[t_0,\ldots,t_d]/I$ comme +la classe modulo $I$ de la partie de degré $\ell$ de n'importe lequel +de ses représentants ; et d'élément homogène de degré $\ell$ dans +$k[t_0,\ldots,t_d]/I$ (un élément représenté par un polynôme homogène +de degré $\ell$, ou égal à sa partie homogène de degré $\ell$). + +On appelle \textbf{anneau gradué (naïf) de $X$ dans $\mathbb{P}^d$} +l'anneau $k[t_0,\ldots,t_d]/I$ (« gradué » signifiant qu'on s'est +donné cette notion d'éléments homogènes de degré $\ell$ pour +chaque $\ell$ avec la décomposition en parties correspondantes, et que +le produit d'un élément homogène de degré $\ell$ et d'un élément de +degré $\ell'$ est, comme pour les polynômes, homogène de +degré $\ell+\ell'$). On appelle \emph{irrelevant} un idéal de +$k[t_0,\ldots,t_d]/I$ contenant tous les éléments homogène de degré +suffisamment grand, ou, de façon équivalente, dont l'image réciproque +dans $k[t_0,\ldots,t_d]$ est irrelevante. On peut établir une +correspondance entre fermés de Zariski de $X$ et idéaux homogènes +radicaux non-irrelevants de $k[t_0,\ldots,t_d]/I$ analogue au +Nullstellensatz. Pour $f \in k[t_0,\ldots,t_d]/I$ on peut définir +l'ouvert principal $D(f)$ (intersection de $D(\tilde f)$, pour $\tilde +f \in k[t_0,\ldots,t_d]$ relevant $f$, avec $X$) ; les $D(f_i)$ +recouvrent $X$ lorsque les $f_i$ engendrent un idéal irrelevant +de $k[t_0,\ldots,t_d]/I$ (résultat analogue +à \ref{covering-by-principal-open-sets} et qui découle de façon +analogue du Nullstellensatz projectif). + +\underline{Mais, une déception :} comme le mot « naïf » utilisé +ci-dessus, le laisse penser, l'anneau $k[t_0,\ldots,t_d]/I$ souffre de +plusieurs problèmes : +\begin{itemize} +\item Il ne dépend pas que de $X$ mais aussi de son plongement + dans $\mathbb{P}^d$ (même si c'est un peu difficile à illustrer à ce + stade, faute de savoir quels sont les morphismes entre variétés + projectives abstraites ; mais si on admet que $\mathbb{P}^1$ est + isomorphe à une conique plane telle que celle d'équation homogène + $x^2 + y^2 - z^2 = 0$ dans $\mathbb{P}^2$ sur un corps de + caractéristique $\neq 2$, on se rend compte que dans le premier cas + $k[t_0,t_1]$ n'a que deux éléments homogènes de degré $1$ + linéairement indépendants à savoir $t_0$ et $t_1$, alors que dans le + second $k[x,y]/(x^2+y^2-z^2)$ en a trois, à savoir $x,y,z$, puisque + leur relation n'apparaît qu'en degré $2$). +\item Les éléments homogènes de degré zéro de $k[t_0,\ldots,t_d]/I$, + c'est-à-dire, les constantes, ne sont pas, en général, les seules + fonctions régulières sur $X$ (car si $X$ n'est pas connexe, penser + par exemple à $Z(t_0 t_1)$, qui définit la réunion des deux points + ``$0$'' ($t_1=0$) et ``$\infty$'' ($t_0=0$) dans $\mathbb{P}^1$, + alors manifestement les fonctions valant une valeur sur un point et + une autre sur l'autre doivent être régulières). Plus généralement, + le problème est que les éléments de degré donné de + $k[t_0,\ldots,t_d]/I$ ne vérifient pas la propriété de recollement + (=ne forment pas un « faisceau »). On pourrait corriger ce problème + pour construire l'anneau gradué qu'on notera $\bigoplus_{\ell} + \mathcal{O}(\ell)(X)$, mais il faut travailler un peu. (On peut + cependant montrer que, pour $\ell$ suffisamment grand, les éléments + de $k[t_0,\ldots,t_d]/I$ sont « les bons », et notamment, se + recollent.) +\item Même une fois ces problèmes pris en compte ou corrigés, les + morphismes $X \to \mathbb{P}^e$ ne seront toujours pas définis + simplement par la donnée de $e+1$ éléments de $k[t_0,\ldots,t_d]/I$, + homogènes de même degré $\ell$, engendrant l'idéal irrelevant. +\end{itemize} + +\underline{Conclusion :} pour définir proprement les constructions sur +une variété projectives, on ne peut généralement pas se contenter de +reprendre le travail du cadre affine en remplaçant « affine » par +« projectif » et les anneaux par des anneaux gradués : il faut +généralement travailler \emph{localement}, c'est-à-dire, à partir des +variétés affines dont la variété projective est la réunion. + + +% +\subsection{Le lien affine-projectif}\label{subsection-affine-vs-projective} + +On a déjà signalé que $\mathbb{P}^d$ est la réunion des $d+1$ ouverts +$D(t_0),\ldots,D(t_d)$, qu'on veut considérer comme $d+1$ espaces +affines, ou $d+1$ copies de l'espace affine $\mathbb{A}^d$. Il faut +considérer que les coordonnées affines sur $D(t_i)$ sont les +$\frac{t_j}{t_i}$ avec $j\neq i$ (ce qui fait $d$ coordonnées). +Notamment : +\begin{itemize} +\item Si $f \in k[t_0,\ldots,t_d]$ est homogène de degré $\ell$, + l'intersection de $Z(f) \subseteq \mathbb{P}^d$ avec $D(t_i)$ est + donnée par $Z(\frac{f}{t_i^\ell}) \subseteq \mathbb{A}^d$ en voyant + $\frac{f}{t_i^\ell}$ comme un polynôme en les $\frac{t_j}{t_i}$. +\item Plus généralement, si $X = Z(I) \subseteq \mathbb{P}^d$ est la + variété projective définie par un idéal homogène $I$ de + $k[t_0,\ldots,t_d]$, l'intersection de $X$ avec $D(t_i)$ est la + variété affine $Z(I_{t_i}) \subseteq \mathbb{A}^d$ où $I_{t_i}$ est + l'idéal engendré par les $\frac{f_j}{t_i^{\ell_j}}$ pour $f_j$ + parcourant des générateurs homogènes de $I$ et $\ell_j = \deg f_j$ + (l'idéai $I_{t_i}$ ne dépend pas du choix des $f_j$). +\item Bon à savoir : si $I$ est un idéal homogène de + $k[t_0,\ldots,t_d]$, alors + $k[\frac{t_0}{t_i},\ldots,\frac{t_d}{t_i}]/I_{t_i}$, où $I_{t_i}$ + est défini ci-dessus, est l'ensemble des éléments homogènes de degré + zéro de $(k[t_0,\ldots,t_d]/I)[\frac{1}{\bar t_i}]$. L'un ou + l'autre, donc, est vu comme l'ensemble des fonctions régulières sur + $Z(I) \cap D(t_i)$. +\item Une fonction régulière sur $X = Z(I)$ est la donnée d'une + fonction régulière sur chaque $X \cap D(t_i)$ qui coïncident sur les + intersections. C'est-à-dire : pour chaque $i$ on se donne un + élément $h_i$ de $(k[t_0,\ldots,t_d]/I)[\frac{1}{\bar t_i}]$ + homogène de degré zéro, tel que pour tous $i$ et $j$ les éléments + $h_i$ et $h_j$ correspondants coïcident dans + $(k[t_0,\ldots,t_d]/I)[\frac{1}{\bar t_i \bar t_j}]$. On note + $\mathcal{O}(X)$ l'ensemble des fonctions régulières sur $X$. + Concrètement, si $k$ est algébriquement clos, on peut donc voir une + fonction régulière sur $X$ comme une fonction sur $X(k)$ (à valeurs + dans $k$) qui sur chaque ouvert affine $X \cap D(t_i)$ est une + fonction régulière sur cette variété, c'est-à-dire la restriction + d'une fonction polynomiale en les variables $\frac{t_j}{t_i}$ + (pour $j\neq i$). En fait, les seules fonctions régulières sur une + variété projective sont les fonctions constantes sur chaque + composante connexe (mais ce n'est pas évident). +\item Une « section globale de $\mathcal{O}(\ell)$ sur $X$ » est la + donnée pour chaque $i$ d'un élément $h_i$ de + $(k[t_0,\ldots,t_d]/I)[\frac{1}{\bar t_i}]$ homogène de + degré $\ell$, tels que pour tous $i$ et $j$ les éléments $h_i$ et + $h_j$ correspondants coïcident dans + $(k[t_0,\ldots,t_d]/I)[\frac{1}{\bar t_i \bar t_j}]$. On note + $\mathcal{O}(\ell)(X)$ l'ensemble de ces sections : tout élément + homogène de degré $\ell$ de $k[t_0,\ldots,t_d]/I$ définit un élément + de $\mathcal{O}(\ell)(X)$ (mais il peut y en avoir d'autres, comme + on l'a signalé déjà pour $\ell=0$). +\item On pourrait également définir les morphismes $X \to + \mathbb{P}^e$ (donc resp. aussi $X \to Y$ avec $Y$ variété + projective vue comme $Z(J)$ dans $\mathbb{P}^e$) selon ce procédé : + avec les notations précédentes, ce serait la donnée de $d+1$ + morphismes $X \cap D(t_i) \to \mathbb{P}^e$ (resp. $X \cap D(t_i) + \to Y$) qui se recollent, or $X \cap D(t_i)$ est affine donc un + morphisme $X \cap D(t_i) \to \mathbb{P}^e$ est la même chose qu'un + élément de $\mathbb{P}^e(\mathcal{O}(X\cap D(t_i)))$ où + $\mathcal{O}(X\cap D(t_i)) = (k[t_0,\ldots,t_d]/I)[\frac{1}{\bar + t_i}]$ comme on vient de l'expliquer (resp. un élément de + $Y(\mathcal{O}(X\cap D(t_i)))$, c'est-à-dire un élément de + $\mathbb{P}^e(\mathcal{O}(X\cap D(t_i)))$ qui vérifie les équations + de $Y$). Ce n'est probablement pas la façon la plus simple de + procéder ! +\end{itemize} + +\medbreak + +Inversement, donnée une variété affine $X = Z(I)$ où $I$ est un idéal +(radical...) de $k[\tau_1,\ldots,\tau_d]$, on peut définir une variété +projective $X^+ = Z(I^+)$ dont l'idéal $I^+$ est engendré par les $f^+ +:= t_0^{\deg f} f(\frac{t_1}{t_0},\ldots,\frac{t_d}{t_0}) \in +k[t_0,\ldots,t_d]$ pour tous les $f\in I$ (c'est-à-dire les polynômes +homogénéisés) : il s'agit précisément de l'adhérence de $X$ +dans $\mathbb{P}^d$. Malheureusement, il ne suffit pas en général de +prendre un ensemble de générateurs de $I$ pour que leurs homogénéisés +engendrent $I^+$ (penser à $I = (\tau_2-\tau_1^2,\; \tau_3-\tau_1^3)$ +qui contient $\tau_3-\tau_1\tau_2$ alors que $(t_0 t_2 - t_1^2,\; t_0 +t_3 - t_1^3)$ ne contient pas $t_0 t_3-t_1 t_2$, il faut le mettre +explicitement dans $I^+$). Il y a cependant un cas favorable : +lorsque $X = Z(f)$ est une hypersurface, alors $X^+ = Z(f^+)$. + + +% +\subsection{Variétés quasiprojectives, morphismes}\label{subsection-quasiprojective-varieties-and-morphisms} + +Variété quasiprojective = ouvert d'une variété projective = +intersection d'un ouvert et d'un fermé de $\mathbb{P}^d$. + +Si $X$ et $Y$ sont des variétés quasiprojectives, un morphisme $X +\buildrel h\over\to Y$ est la donnée d'un recouvrement de $X$ par des +ouverts affines $X\cap U_i$, d'ouverts affines $Y\cap V_i$ de $Y$ +indicés par le même ensemble d'indice, et d'un morphisme de variétés +algébriques affines $X \cap U_i \buildrel h_i\over\to Y\cap V_i$ pour +chaque $i$, tels que les morphismes $h_i$ et $h_j$ coïncident sur $X +\cap U_i \cap U_j$ (ce qui sous-entend, pour commencer, qu'ils +arrivent tous deux dans $Y \cap V_i \cap V_j$). Remarquons qu'on peut +supposer que les $U_i$ et $V_i$ sont des ouverts principaux, +c'est-à-dire qu'ils sont de la forme $D(f_i)$ et $D(g_i)$ avec +$f_i,g_i$ dans les anneaux gradués naïfs de $X$ et $Y$ (ou, pour +simplifier, de variétés projectives dont $X$ et $Y$ sont des ouverts). + +De façon plus concrète, sur un corps algébriquement clos, un morphisme +$X \buildrel h\over\to Y$ se voit comme une fonction $X(k) \to Y(k)$ +qui est « localement un morphisme », c'est-à-dire que pour tout point +$x$ de $X(k)$ il y a un voisinage (au sens de Zariski) de $x$ dans $X$ +et de $h(x)$ dans $Y$ tel que la restriction de $h$ à ces voisinages +soit un morphisme de variétés algébriques affines (donc, concrètement, +soit définie par des fonctions polynomiales à ceci près qu'on autorise +les dénomiateurs). + +\medbreak + +On peut également donner une description « globale » des morphismes, +mais elle est peu maniable : +\begin{itemize} +\item Si $X$ est $Z(I)$ (où $I$ est un idéal + homogène\footnote{Attention, ce genre d'écriture, ici comme + ailleurs, sous-entend toujours que l'idéal $I$ est radical, sauf + si on est prêt à considérer $X$ comme un schéma et pas juste comme + une variété, ce qui dépasse le cadre de ce cours.} de + $k[t_0,\ldots,t_d]$), un morphisme $X \to \mathbb{P}^e$ peut se + décrire comme une matrice rectangulaire avec $e+1$ colonnes (le + nombre de lignes n'étant pas spécifié) dont les entrées sont dans + $k[t_0,\ldots,t_d]/I$ et (a) engendrent un idéal irrelevant dans cet + anneau, (b) sont toutes de même degré (ou si on préfère : toutes de + même degré sur chaque ligne), et (c) dont tous les mineurs $2\times + 2$ s'annulent (cf. la définition de $\mathbb{P}^e(A)$ pour $A$ un + anneau). +\item Si $X$ est un ouvert \emph{dense} de $Z(I)$ comme ci-dessus + (rappel : ceci est automatiquement le cas pour un ouvert non vide si + $I$ est premier donc $Z(I)$ irréductible), ce qu'on peut toujours + supposer, même description en remplaçant la condition (a) que les + entrées de la matrice engendrent un idéal irrelevant par celle que + les $D(f)$ correspondant recouvrent l'ouvert $X$ (pour un ouvert + strict, cela peut se traduire en disant que l'idéal engendré par les + éléments de la matrice engendrent un idéal dont le radical contient + l'idéal $I$). +\item Un morphisme vers une variété projective $Y$ de $\mathbb{P}^e$ + est un morphisme vers $\mathbb{P}^e$ comme ci-dessus avec la + condition supplémentaire que chaque ligne vérifie les équations + de $Y$. +\item Enfin, pour un morphisme vers un ouvert d'une variété + projective, on demande en plus que tous les éléments obtenus en + appliquant une des équations de l'ouvert (i.e., un des générateurs + de $J'$ si l'ouvert est le complémentaire de $Z(J')$) à une des + lignes de la matrice engendre un idéal vérifiant la même condition + qu'en. +\end{itemize} + +\medbreak + +\textbf{Exemples :} + +¶ On reprend l'exemple donné dans l'introduction, mais rendu +projectif. Soit $C^+$ le cercle, cette fois projectif, d'équation +$x^2 + y^2 = z^2$ (équation homogénéisée de $x^2 + y^2 = 1$) dans +$\mathbb{P}^2$ de coordonnées homogènes $(z:x:y)$ (sur un corps $k$ de +caractéristique $\neq 2$), et soit le $\mathbb{P}^1$ de coordonnées +$(t_0:t_1)$. On définit un morphisme $\mathbb{P}^1 \to C^+$ par +$(t_0:t_1) \mapsto (t_0^2+t_1^2 : t_0^2-t_1^2 : 2t_0t_1)$ (c'est bien +l'homogénéisation de $t \mapsto +(\frac{1-t^2}{1+t^2},\frac{2t}{1+t^2})$) : tout d'abord il est clair +que ces équations définissent un morphisme $\mathbb{P}^1 \to +\mathbb{P}^2$ car $t_0^2+t_1^2 , t_0^2-t_1^2 , 2t_0t_1$ engendrent +tous les monômes de degré $2$ donc un idéal irrelevant ; ensuite, +comme $(t_0^2-t_1^2)^2 + (2t_0t_1)^2 = (t_0^2+t_1^2)^2$, ce morphisme +arrive bien dans $C^+$. + +Dans l'autre sens : on définit un morphisme $C^+ \to \mathbb{P}^1$ de +la façon suivante : a priori on veut lui donner l'équation $(z:x:y) +\mapsto (x+z:y)$, mais ceci ne définit un morphisme que sur l'ouvert +complémentaire de $Z(x+z,y)$ (c'est-à-dire du point +$(z:x:y)=(1:-1:0)$). Il faut donc trouver une autre équation, ou +plutôt une autre forme, sur un ouvert qui contienne ce point. Ce +n'est pas difficile : en se disant que de façon assez générale on a +$(x+z:y) = ((x+z)(x-z):y(x-z)) = (x^2-z^2:y(x-z)) = (-y^2:y(x-z)) = +(y:z-x)$, on va considérer $(z:x:y) \mapsto (y:z-x)$, qui est, cette +fois, défini sur le complémentaire de $Z(y,z-x)$, c'est-à-dire de du +point $(z:x:y) = (1:1:0)$. Le calcul qu'on vient de faire montre que +$(x+z:y) = (y:z-x)$ sur l'intersection des deux ouverts, donc ces deux +équations se recollent bien en un unique morphisme. + +La composée des morphismes qu'on vient de définir est l'identité : +dans le sens $\mathbb{P}^1 \to C^+ \to \mathbb{P}^1$, c'est clair car +l'identité s'obtient bien en recollant $(t_0:t_1) \mapsto (2t_0^2 : +2t_0 t_1)$ et $(t_0:t_1) \mapsto (2t_0 t_1 : 2t_1^2)$. Dans le sens +$C^+ \to \mathbb{P}^1 \to C^+$, on peut faire des calculs dans +$k[x,y,z]/(x^2+y^2-z^2)$, mais le plus simple est sans doute de se +dire que sur une variété irréductible, pour montrer l'égalité de deux +morphismes vers une variété quasiprojective quelconque, il suffit de +la montrer sur un ouvert non vide quelconque (puisque cet ouvert est +dense), et le calcul est alors simplifié. + +\smallbreak + +¶ Appelons maintenant $C^\sharp$ la variété d'équations $x_0 x_2 = +x_1^2, \penalty-100\; x_1 x_3 = x_2^2, \penalty-100\; x_0 x_3 = x_1 +x_2$ dans $\mathbb{P}^3$ de coordonnées homogènes $(x_0:x_1:x_2:x_3)$, +et considérons le $\mathbb{P}^1$ de coordonnées homogènes $(t_0:t_1)$. +On définit un morphisme $\mathbb{P}^1 \to C^\sharp$ par $(t_0:t_1) +\mapsto (t_0^3: t_0^2 t_1: t_0 t_1^2: t_1^3)$ : ceci définit bien un +morphisme vers $\mathbb{P}^3$ car l'idéal engendré par $(t_0^3, t_0^2 +t_1, t_0 t_1^2, t_1^3)$ est irrelevant (ce sont tous les monômes de +degré $3$ !), et il tombe bien dans $C^\sharp$ car $(t_0^3, t_0^2 t_1, +t_0 t_1^2, t_1^3)$ vérifient les équations de $C^\sharp$. + +Réciproquement, définissons un morphisme $C^\sharp \to \mathbb{P}^1$ : +il sera donné par les équations $(x_0:\cdots:x_3) \mapsto (x_0:x_1)$ +et $(x_0:\cdots:x_3) \mapsto (x_2:x_3)$. Le fait que ces équations se +recollent bien est assuré par l'équation $x_0 x_3 = x_1 x_2$ +sur $C^\sharp$ ; le morphisme est alors défini sur tout $C^\sharp$ +puisque $(x_0,x_1,x_2,x_3)$ engendrent un idéal irrelevant. De +nouveau, on peut vérifier que la composée dans les deux sens est +l'identité. + +\smallbreak + +¶ Un exemple avec des variétés ouvertes : $\mathbb{A}^{d+1} +\setminus\{(0,0)\} \to \mathbb{P}^d$ donné par $(x_0,\ldots,x_d) +\mapsto (x_0:\cdots:x_d)$. + +\medbreak + +\begin{thm}\label{projective-to-affine-morphisms-are-constant} +Tout morphisme d'une variété projective connexe vers une variété +affine est constant. (En particulier, toute fonction régulière sur +une variété projective, c'est-à-dire morphisme vers $\mathbb{A}^1$, +est constant sur chaque composante connexe.) +\end{thm} + + +% +\subsection{Le polynôme de Hilbert-Samuel} + +\begin{thm}\label{hilbert-samuel-polynomial} +Soit $X$ une variété projective dans $\mathbb{P}^d$ (sur un +corps $k$). Alors pour tout $\ell\in\mathbb{Z}$, le $k$-espace +vectoriel $\mathcal{O}(\ell)(X)$, également noté +$H^0(X,\mathcal{O}(\ell))$, des sections globales de +$\mathcal{O}(\ell)$ sur $X$, est de dimension finie. Pour $\ell$ +assez grand, il s'identifie à l'espace des éléments de degré $\ell$ de +$k[t_0,\ldots,t_d]/I$ si $I = \mathfrak{I}(X)$. Pour $\ell$ assez +grand, sa dimension est une fonction \emph{polynomiale} de $\ell$ : on +appelle \textbf{polynôme de Hilbert-Samuel} de $X$ +(dans $\mathbb{P}^d$) le polynôme auquel elle est égale pour $\ell$ +assez grand. +\end{thm} + +Le terme dominant du polynôme de Hilbert-Samuel est très +significatif : son degré $d$ sera la \emph{dimension} de $X$ (ceci +peut servir de définition pour $X$ projectif), et le coefficient +devant $\ell^d$ est de la forme $\frac{n_X}{\ell!}$ où $n_X$ est un +entier, appelé \emph{degré} de $X$. + +\medbreak + +\textbf{Exemple :} Pour $\mathbb{P}^d$, l'espace $H^0(\mathbb{P}^d, +\mathcal{O}(\ell))$ est l'espace vectoriel des polynômes de +degré $\ell$ en $d+1$ indéterminées. Pour $\ell\geq 0$, sa dimension +vaut +\[ +\frac{(\ell+d)!}{\ell!\,d!} +\] +C'est un polynôme de degré $d$ de $\ell$ (donc le polynôme de +Hilbert-Samuel de $\mathbb{P}^d$), dont le terme dominant vaut +$\frac{1}{d!}\ell^d$. + +Pour le cercle $Z(x^2+y^2-z^2)$ dans $\mathbb{P}^2$, les polynômes de +degré $\ell$ en $x,y,z$ modulo $z^2$ peuvent se réduire en un polynôme +de degré $\ell$ en $x,y$, plus $z$ fois un polynôme de degré $\ell-1$ +en $x,y$ : leur dimension est donc $2\ell+1$ (une base est donnée par +$x^\ell,\penalty100 x^{\ell-1}y,\ldots,\penalty200 y^\ell,\penalty-100 +x^{\ell-1}z,\penalty100 x^{\ell-2}yz,\ldots,\penalty200 y^{\ell-1}z$), +donc le polynôme de Hilbert-Samuel vaut $2\ell+1$. + + +% +\subsection{Produit de variétés} + +Si $X$ et $Y$ sont deux variétés quasiprojectives sur $k$, on veut que +leur produit $X\times Y$ vérifie $(X\times Y)(A) = X(A) \times Y(A)$. + +Dans l'espace affine, c'est facile : si $X$ est défini par les +équations $f_1,\ldots,f_r$ en les variables $x_1,\ldots,x_d$ et $Y$ +par les équations $g_1,\ldots,g_s$ en les variables $y_1,\ldots,y_e$, +alors $X\times Y$ sera défini par les équations $f_1,\ldots,f_r, +\penalty0 g_1,\ldots,g_s$ en les $d+e$ variables $x_1,\ldots,x_d, +\penalty0 y_1,\ldots,y_e$. En particulier, $\mathbb{A}^d \times +\mathbb{A}^e = \mathbb{A}^{d+e}$. + +Pour l'espace projectif, c'est plus compliqué, il faut trouver moyen +de recoller les morceaux : notamment, +\underline{$\mathbb{P}^1\times\mathbb{P}^1$ n'est pas $\mathbb{P}^2$} +(tous deux ressemblent à des complétés de $\mathbb{A}^2$, mais, +moralement, $\mathbb{P}^2$ possède un point à l'infini dans chaque +direction de droites parallèles, alors que +$\mathbb{P}^1\times\mathbb{P}^1$ possède un point à l'infini +$(x,\infty)$ différent pour chaque droite verticale, un $(\infty,y)$ +pour chaque droite horizontale, et un unique point à l'infini +$(\infty,\infty)$ commun à toutes les autres droites). + +On définit\footnote{Façon de parler, puisque, justement, on ne sait + pas ce qu'est un produit.} un morphisme $\mathbb{P}^d \times +\mathbb{P}^e \to \mathbb{P}^{de+d+e}$, dit \textbf{plongement de + Segre}, de la façon suivante : +\[ +((x_0:\cdots:x_d),(y_0:\cdots:y_e)) \mapsto +(x_0 y_0:x_0 y_1:\cdots:x_0 y_e:x_1 y_0:\cdots:x_d y_e) +\] +(faire tous les $(d+1)(e+1)$ produits possibles). Ce morphisme arrive +dans la variété projective $S$ dont les équations sont tous les +mineurs $2\times 2$ de la matrice $(d+1)\times (e+1)$ des coordonnées +homogènes sur $\mathbb{P}^{de+d+e}$. Réciproquement, on a un +morphisme $S \to \mathbb{P}^d$ donné par $(z_{00}:\cdots:z_{de}) +\mapsto (z_{0j}:\cdots:z_{dj})$ pour n'importe quel $j$ (en les +considérant tous à la fois ceci se recolle et définit bien un +morphisme), et de même $S \to \mathbb{P}^e$ par +$(z_{00}:\cdots:z_{de}) \mapsto (z_{i0}:\cdots:z_{ie})$. Sur un +corps, au moins, ces deux morphismes définissent bien des bijections +réciproques $\mathbb{P}^d(k) \times \mathbb{P}^e(k) \to S(k)$ et $S(k) +\to \mathbb{P}^d(k) \times \mathbb{P}^e(k)$ (car l'annulation des +mineurs $2\times 2$ traduit le fait que la matrice a rang $1$, donc +qu'elle peut s'écrire comme le produit d'un vecteur ligne $(x_i)$ et +d'un vecteur colonne $(y_j)$). On prendra pour définition du produit +$\mathbb{P}^d \times \mathbb{P}^e$ la variété projective $S$. + +(Exemple : le produit $\mathbb{P}^1 \times \mathbb{P}^1$ se voit comme +la surface d'équation $z_{00} z_{11} = z_{01} z_{10}$ +dans $\mathbb{P}^3$, c'est-à-dire un paraboloïde hyperbolique.) + +Plus généralement, si $X$ et $Y$ sont des variétés projectives dans +$\mathbb{P}^d$ et $\mathbb{P}^e$, on peut définir $X\times Y$ comme un +fermé dans $S$ : pour chaque équation $f(x_0,\ldots,x_d) = 0$ de $X$, +on met une équation $f(z_{0j},\ldots,z_{dj}) = 0$ pour chaque $j$, et +de même pour chaque équation $g(y_0,\ldots,y_e) = 0$ de $Y$, on met +une équation $g(z_{i0},\cdots,z_{ie}) = 0$ pour chaque $i$. + + +% +\subsection{La dimension} + +\textbf{Rappel :} Si $K$ est un corps contenant un corps $k$, on dit +que des éléments $x_i$ de $K$ sont \textbf{algébriquement + indépendants} (comprendre : « collectivement transcendants ») +sur $k$ lorsque les seuls polynômes $f \in k[t_1,\ldots,t_d]$ tel que +$f(x_{i_1},\ldots,x_{i_d}) = 0$ pour certains $i_1,\ldots,i_d$ deux à +deux distincts sont les polynômes nuls. Ceci est équivalent au fait +que le sous-corps $k(x_i)$ de $K$ engendré par les $x_i$ avec $k$ est +isomorphe au corps des fractions rationnelles sur autant +d'indéterminées que de $x_i$ (il est plus simple de penser au cas où +les $x_i$ sont en nombre fini, qui nous suffira). On appelle +\textbf{base de transcendance} de $K$ sur $k$ un ensemble maximal +d'éléments algébriquement indépendants, c'est-à-dire, un ensemble de +$x_i$ algébriquement indépendants sur $k$ et tels que $K$ soit +algébrique sur le sous-corps $k(x_i)$ qu'ils engendrent au-dessus +de $k$. Une base de transcendance de $K$ sur $k$ existe toujours, et +toutes ont le même cardinal : on appelle celui-ci \textbf{degré de + transcendance} de $K$ sur $k$ et on le note $\degtrans_k(K)$. + +Par exemple, $\degtrans_k k(t_1,\ldots,t_d) = d$ (où +$k(t_1,\ldots,t_d)$ désigne le corps des fractions rationnelles en $d$ +indéterminées sur $k$). Lorsque $K$ est algébrique sur $k$, on a +$\degtrans_k K = 0$ et réciproquement. Par ailleurs, lorsque $k +\subseteq K \subseteq L$ sont trois corps, on a toujours $\degtrans_k L += \degtrans_k K + \degtrans_K L$. + +\begin{defn}\label{definition-rational-function-and-dimension} +Si $X$ est une variété \emph{irréductible} sur $k$, on appelle +\textbf{fonction rationnelle} sur $X$ une fonction régulière sur un +ouvert non-vide=dense quelconque de $X$, en identifiant deux fonctions +si elles coïncident sur l'intersection de leur domaine de définition ; +on note $k(X)$ l'ensemble des fonctions régulières sur $X$. Lorsque +$X$ est une variété affine irréductible, $k(X)$ est le corps des +fractions (noté $k(X)$) de $\mathcal{O}(X)$ (=l'anneau des fonctions +régulières sur $X$, qui est intègre). De façon générale, $k(X)$ +coïncide avec $k(U)$ pour n'importe quel ouvert non-vide=dense $U$ +de $X$ (on peut donc définir $k(X) = \Frac \mathcal{O}(U)$ pour $U$ un +ouvert affine dense de $X$). + +On appelle \textbf{dimension de $X$} le degré de transcendance sur $k$ +de $k(X)$. +\end{defn} + +Pour $\mathbb{A}^d$ ou $\mathbb{P}^d$, le corps des fractions +rationnelles est $k(t_1,\ldots,t_d)$ et +$k(\frac{t_1}{t_0},\ldots,\frac{t_d}{t_0})$. La dimension de +$\mathbb{A}^d$ ou $\mathbb{P}^d$ est donc $d$. De façon générale, +d'après ce qu'on vient de dire, la dimension d'une variété +irréductible est égale à celle de n'importe lequel de ses ouverts +non-vides. + +(Lorsque $X$ n'est pas irréductible, on appelle dimension de $X$ la +plus grande dimension d'une composante irréductible de $X$. Parfois +on convient que la dimension du vide est $-1$.) + +\begin{thm}[Hauptidealsatz de Krull]\label{hauptidealsatz} +Soit $X$ une variété irréductible de dimension $d$ et $f \in +\mathcal{O}(X)$ un élément qui n'est pas inversible (c'est-à-dire +$Z(f) \neq\varnothing$) et pas nul. Alors chaque composante +irréductible de $Z(f)$ est de dimension $d-1$. + +Variante projective : si $X$ est une variété irréductible de +dimension $d$ dans $\mathbb{P}^e$ et $f$ homogène non constant (en +$e+1$ variables). Alors chaque composante irréductible de $X \cap +Z(f)$ est de dimension $d-1$, \emph{et de plus $X \cap Z(f)$ n'est pas + vide} lorsque $d\geq 1$. +\end{thm} + +\begin{cor} +Si $f_1,\ldots,f_r$ sont des polynômes homogènes en $e+1$ variables, +avec $r \leq e$, alors $Z(f_1,\ldots,f_r) \neq \varnothing$, +c'est-à-dire que sur $k$ corps algébriquement clos, les $r$ équations +$f_i=0$ ont une solution (non-nulle) commune. +\end{cor} + +De plus, $Z(f_1,\ldots,f_r)$ est de dimension \emph{au moins} $e-r$. +Il peut évidemment être de dimension plus grande (les $f_i$ pourraient +être tous égaux, par exemple). Lorsqu'il est exactement de dimension +$e-r$, on dit que les $f_i$ sont \emph{en intersection complète} +(projective, globale). Lorsque c'est le cas, on peut être plus +précis : le terme dominant de la fonction de Hilbert-Samuel de +$Z(f_1,\ldots,f_r)$ est $\frac{\prod_i \deg f_i}{(e-r)!} \ell^{e-r}$. + +\begin{cor} +Si $X$ est une variété algébrique (quasiprojective) irréductible de +dimension $d$, alors le seul fermé $Y$ de $X$ tel que $\dim Y = d$ est +$X$ lui-même. Par ailleurs, il existe toujours des fermés +irréductibles $Y$ de dimension $d-1$ dans $X$. + +(Autrement dit, on peut définir la dimension de $X$ comme $1 + +\max\dim Y$ où le $\max$ est pris sur tous les fermés irréductibles +de $X$.) +\end{cor} + +\begin{thm} +Si $X$ et $Y$ sont des variétés algébriques (quasiprojectives), alors +$\dim (X\times Y) = \dim X + \dim Y$. (Remarque : si $X$ et $Y$ sont +irréductibles alors $X \times Y$ l'est.) + +Plus généralement : soit $f\colon Z\to X$ un morphisme de variétés +algébriques (quasiprojectives) irréductibles, surjectif (au sens où +pour tout $x \in X(k)$, pour $k$ algébriquement clos, il existe $z \in +Z(k)$ tel que $x = f(z)$, cf. la section suivante), et soit $d = \dim +X$ et $e = \dim Z$. Alors $e \geq d$, et de plus : +\begin{itemize} +\item Si $x \in X$, alors toute composante de $f^{-1}(x)$ (cf. section + suivante) est de dimension \emph{au moins} $e-d$. +\item Il existe un ouvert non vide (donc dense) $U \subseteq X$ tel + que $\dim f^{-1}(x) = e - d$ (au sens où toute composante + irréductible de $f^{-1}(x)$ a cette dimension) si $x \in U$. +\end{itemize} +\end{thm} + + +% +\subsection{L'image d'un morphisme}\label{image-of-a-morphism} + +Si $X \buildrel f\over\to Y$ est un morphisme entre variétés +quasiprojectives et $Y' \subseteq Y$ un fermé ou un ouvert (ou +l'intersection d'un fermé et d'un ouvert) dans $Y$, il est facile de +définir l'\emph{image réciproque} de $Y'$ par $f$ : il suffit de +« tirer » les équations de $Y'$ de $Y$ à $X$, c'est-à-dire écrire les +équations $h\circ f = 0$ pour chaque équation $h = 0$ de $Y'$ (et +pareil avec $\neq 0$ si on a affaire à un ouvert). + +Définir l'\emph{image (directe)} d'un $X' \subseteq X$ est plus +délicat. Quitte à restreindre $f$ à $X'$, on peut supposer $X' = X$, +et la question devient celle définir l'image de $f$ : notamment, si +$k$ est algébriquement clos, quel est l'ensemble des $y \in Y(k)$ tels +qu'il existe $x \in X(k)$ pour lequel $f(x) = y$ ? + +\begin{thm}[Chevalley]\label{image-of-a-morphism-chevalley} +\begin{itemize} +\item L'image d'un morphisme $X \buildrel f\over\to Y$ entre variété + quasiprojectives est localement fermée dans $Y$, au sens suivant : + il existe $Y' \subseteq Y$ l'intersection d'un ouvert et d'un fermé + dans $Y$ (c'est-à-dire une sous-variété quasiprojective de $Y$) + telle que $Y'(k)$ soit l'ensemble des $y \in Y(k)$ pour lesquels il + existe $x \in X(k)$ pour lequel $f(x) = y$. +\item Si $X$ est projective, alors l'image d'un morphisme $X \buildrel + f\over\to Y$ est un \emph{fermé} dans $Y$. +\item Variante : si $X$ est projective et $Y$ quasiprojective, la + seconde projection $X\times Y \to Y$ est une application fermée au + sens où l'image d'un fermé de $X \times Y$ dans $Y$ est un fermé. +\end{itemize} +\end{thm} + + +% +\subsection{Vecteurs tangents et points lisses} +\label{subsection-tangent-vectors-and-smooth-points} + +Si $X$ est une variété quasiprojective sur un corps (algébriquement +clos) $k$, on appelle \textbf{vecteur tangent} à $X$ un élément de +$X(k[\varepsilon])$ où $k[\varepsilon]$ est la $k$-algèbre +$k[t]/(t^2)$ (on note $\varepsilon$ la classe de $t$ dans cette +algèbre, c'est-à-dire que $\varepsilon^2 = 0$). Le \emph{point-base} +de ce vecteur tangent est l'image de cet élément par l'application +$X(k[\varepsilon]) \to X(k)$ qui résulte du morphisme d'anneaux +$k[\varepsilon] \to k$ envoyant $\varepsilon$ sur $0$ ; si $x$ est ce +point base, on dit aussi qu'on a affaire à un vecteur tangent à $X$ +\emph{en} $x$. L'ensemble des vecteurs tangents à $X$ en $x$ est noté +$T_x X$ et s'appelle \emph{espace tangent} à $X$ en $x$. + +On peut voir les choses plus concrètement en passant en affine : +l'espace tangent à $X$ en $x$ est le même que l'espace tangent en $x$ +à n'importe quel voisinage affine de $x$, donc on peut faire tout +calcul en supposant que $X$ est affine. Si $X = Z(f_1,\ldots,f_r)$ +est défini\footnote{Ce genre d'affirmation, ici et ailleurs, + sous-entend toujours que l'idéal $(f_1,\ldots,f_r)$ est radical, sauf + si on est prêt à considérer $X$ comme un schéma et pas juste comme + une variété, ce qui dépasse le cadre de ce cours.} par les équations +$f_i = 0$ dans $\mathbb{A}^d$ alors un point tangent à $X$ peut +s'écrire $(x_1+v_1 \varepsilon,\ldots, x_d + v_d\varepsilon)$ où +$(x_1,\ldots,x_d) \in X(k)$ (i.e. $f_i(x_1,\ldots,x_d) = 0$ pour +tout $i$) sont les coordonnées du point-base, et où $\sum_{j=1}^d v_j +\frac{\partial f_i}{\partial t_j}(x_1,\ldots,x_d) = 0$ : autrement +dit, les $v_i$ appartiennent au noyau de la matrice des dérivées +partielles des équations de $X$. Ceci permet de dire, en le voyant +comme le noyau en question, que $T_x X$ est un \emph{espace vectoriel} +pour chaque $x$ donné (implicitement dans cette affirmation il y a +celle que la structure d'espace vectoriel ne dépend pas du voisinage +affine dans lequel on a considéré les coordonnées) ; sa dimension est +$d - r$ où $r$ est le rang de la matrice des $\frac{\partial + f_i}{\partial t_j}(x_1,\ldots,x_d)$. + +\medbreak + +\begin{prop} +Si $X$ est une variété irréductible sur un corps $k$ (algébriquement +clos), pour tout $x \in X(k)$ on a $\dim_k T_x X \geq \dim X$. +\end{prop} + +Un point $x$ tel que l'espace tangent $T_x X$ à $X$ en ce point soit +d'une dimension (comme espace vectoriel) égale à la dimension de $X$ +(comme variété algébrique), c'est-à-dire la dimension maximale que +peut avoir cet espace tangent, est appelé un point \textbf{lisse} (ou +\textbf{régulier}, ou \textbf{nonsingulier}) de $X$. Lorsque tout +point de $X$ (sur un corps algébriquement clos !) est lisse, on dit +que $X$ lui-même est lisse (ou régulier) (sur son corps de base). + +(Pour une variété réductible, un point situé sur une seule composante +irréductible est dit lisse lorsqu'il est lisse sur la composante en +question ; et un point situé sur plusieurs composantes irréductibles à +la fois n'est jamais lisse --- on peut prendre ça comme définition ou +le montrer en prenant comme définition de la lissité le fait que la +dimension de l'espace tangent au point considéré soit égale à la plus +grande dimension d'une composante irréductible passant par ce point.) + +\begin{prop} +Soit $X$ une variété quasiprojective sur un corps (algébriquement +clos) $k$ : alors les points lisses de $X(k)$ forment un ouvert de +Zariski. +\end{prop} +\begin{proof} +L'affirmation est locale, donc on peut supposer $X$ affine. Si $X$ +est de codimension $r$ (c'est-à-dire de dimension $d-r$ +dans $\mathbb{A}^d$), le fait que $x$ soit lisse se traduit par le +fait que la matrice des dérivées partielles en $x$ des équations +définissant $X$ est de rang \emph{au moins} $r$ (sachant qu'elle ne +peut pas être strictement supérieure). Or ceci se traduit par le fait +qu'il existe un mineur $r\times r$ de cette matrice qui ne s'annule +pas : la réunion des ouverts définis par tous les mineurs $r\times r$ +(qui sont bien polynomiaux dans les variables) donne bien une +condition ouverte de Zariski. +\end{proof} + +\begin{rmk} +\begin{itemize} +\item D'après \ref{hauptidealsatz}, une hypersurface $Z(f)$ + dans $\mathbb{A}^d$, pour $f$ non constant, est de dimension $d-1$, + donc elle est lisse ssi aucun point de $Z(f)$ n'annule simultanément + les $d$ dérivées partielles de $f$. Grâce au Nullstellensatz, ceci + peut encore se reformuler en : $Z(f)$ est lisse ssi les polynômes + $f$ et $\frac{\partial f}{\partial t_i}$ (soit $d+1$ polynômes au + total) engendrent l'idéal unité de $k[t_1,\ldots,t_d]$. +\item Variante projective : pour $f$ homogène de degré non nul dans + $k[t_0,\ldots,t_d]$, on peut montrer que $Z(f) \subseteq + \mathbb{P}^d$ est lisse ssi les polynômes $\frac{\partial + f}{\partial t_i}$ n'ont aucun zéro commun sur $k$ (algébriquement + clos !), car un zéro commun des $\frac{\partial f}{\partial t_i}$ + est forcément zéro de $f = \sum_{i=0}^d t_i \frac{\partial + f}{\partial t_i}$. Grâce au Nullstellensatz projectif, on peut + encore reformuler cela en : les $\frac{\partial f}{\partial t_i}$ + engendrent un idéal irrelevant. +\item Quand $X = Z(f_1,\ldots,f_r)$ (affine, disons + dans $\mathbb{A}^d$) est définie par plusieurs polynômes + $f_1,\ldots,f_r$, \emph{si} la matrice $\frac{\partial f_i}{\partial + t_j}$ est de rang $r$ en un point de $X = Z(f_1,\ldots,f_r)$, on + peut conclure que ce point est lisse et que $X$ est de + dimension $d-r$. En revanche, lorsque le rang est plus petit + que $r$, on ne peut pas conclure sauf en connaissant la dimension + de $X$. +\end{itemize} +\end{rmk} + +\begin{prop} +Soit $X$ une variété\footnote{Ici, le mot « variété » est + particulièrement important : beaucoup de définitions ou concepts + introduits ailleurs fonctionneraient aussi pour un schéma, + c'est-à-dire un objet défini par un idéal non radical, mais ici ce + n'est pas le cas.} quasiprojective sur un corps (algébriquement +clos) $k$ : alors il existe un point lisse de $X(k)$ --- par +conséquent, il existe un ouvert dense de points lisses. +\end{prop} + +Ceci permet parfois de calculer la dimension d'une variété, en +reformulant en : la dimension d'une variété irréductible $X$ est le +\emph{minimum} des dimensions des espaces vectoriels $T_x X$ (donc, +dans $\mathbb{A}^d$, la codimension est le plus grand rang possible +que prend la matrice des dérivés partielles). + +\medbreak + +\begin{rmk} +Dans énormément d'énoncés, on a utilisé des expressions comme « soit + $X = Z(I)$ la variété (blabla) », qui sous-entendent que $I$ est un +idéal \emph{radical} (à savoir $I = \mathfrak{I}(X)$) : ceci est +nécessaire pour éviter de parler de schémas (qui seraient des objets +localement comme « $\Spec k[t_1,\ldots,t_d]/I$ » avec $I$ idéal non +nécessairement radical). L'inconvénient de cette approche est qu'à +peu près toute manipulation d'équations est subordonnée à la +vérification du fait que celles-ci engendrent un idéal radical, ce qui +est souvent fastidieux. + +Voici une bonne nouvelle : un « schéma » lisse est nécessairement +réduit (=est une variété) ; c'est-à-dire, dans un langage qu'on +comprend, que si $f_1,\ldots,f_r \in k[t_1,\ldots,t_d]$, qui ne sont +pas supposés \textit{a priori} engendrer un idéal radical, vérifient +la condition de lissité (=le rang de la matrice $\frac{\partial + f_i}{\partial t_j}$ vaut partout au moins $d - \dim X$, donc +exactement ce nombre, où $X$ est la variété définie par +$\surd(f_1,\ldots,f_r)$ ; et en particulier s'il vaut partout au moins +$d-r$), alors automatiquement l'idéal $(f_1,\ldots,f_r)$ est radical. + +(Par contre, dans ce contexte, on ne peut pas utiliser la proposition +précédente.) +\end{rmk} + +\medbreak + +\textbf{Un exemple : la cubique gauche.} On reprend l'exemple étudié +à plusieurs reprises de la cubique gauche, la variété $C$ définie dans +$\mathbb{P}^3$ par $t_0 t_2 = t_1^2$, $t_1 t_3 = t_2^2$ et $t_0 t_3 = +t_1 t_2$. Sur l'ouvert affine $D(t_0) = \{t_0\neq 0\}$, ses équations +deviennent (en posant $\tau_1 = t_1/t_0$, $\tau_2 = t_2/t_0$ et +$\tau_3 = t_3/t_0$) : $\tau_2 = \tau_1^2$ et $\tau_3 = \tau_1^3$ +(l'équation $\tau_1 \tau_3 = \tau_2^2$ est redondante) ; on peut en +conclure que la dimension de cet ouvert affine $C \cap D(t_0)$ est au +moins $3-2 = 1$, en fait il est visiblement isomorphe à $\mathbb{A}^1$ +via le morphisme $\tau \mapsto (\tau,\tau^2,\tau^3)$ considéré dans la +section \ref{subsection-morphisms-of-affine-algebraic-varieties}. (Attention, on +ne peut pas conclure directement que la dimension de $C$ est $3$ à +moins de donner une explication du fait que $C$ est irréductible.) +Par symétrie des variables (remplacer $t_i$ par $t_{3-i}$ partout +conserve les mêmes équations), on peut aussi conclure que $C \cap +D(t_3)$ est de dimension $1$ (et isomorphe à $\mathbb{A}^1$). +Remarquons par ailleurs que « si $t_0=0$ et $t_3=0$ alors $t_1=0$ et + $t_2=0$ aussi d'après les équations de $C$, ce qui n'est pas + possible » (plus précisément, l'idéal engendré par $t_0$ et $t_3$ et +les équations de $C$ contient aussi $t_1^2$ et $t_2^2$, c'est donc un +idéal irrelevant), ce qui permet de dire que les ovuerts $D(t_0)$ et +$D(t_3)$ recouvrent $C$. Donc $C$ est bien de dimension $1$. +S'agissant de la lissité, le fait que $C \cap D(t_0)$ et $C\cap +D(t_3)$ soient isomorphes à $\mathbb{A}^1$ permet de conclure (car +$\mathbb{A}^1$ est lisse), mais on peut vouloir le voir sur les +équations : sur $C \cap D(t_0)$, les dérivées partielles des deux +équations $\tau_2 = \tau_1^2$ et $\tau_3 = \tau_1^3$ sont $(2\tau_1, +1, 0)$ et $(3\tau_1^2, 0, 1)$, donc linéairement indépendantes, ce qui +assure que tout cet ouvert est lisse, et par symétrie des coordonnées, +c'est aussi le cas pour $C \cap D(t_3)$. On a donc bien affaire à une +courbe (=variété (irréductible ?) de dimension $1$) lisse +dans $\mathbb{P}^3$. + +Soit dit en passant, on ne peut pas omettre une des trois équations +utilisées pour définir $C$ : si on omet $t_0 t_2 = t_1^2$, la variété +ainsi obtenue contiendra toute la droite $\{(t_0:t_1:0:0)\}$ +d'équation $t_2=t_3=0$ (par exemple le point $(1:1:0:0)$), qui n'est +pas dans $C$, si on omet $t_1 t_3 = t_2^2$ de même (par symétrie) avec +la droite $\{(0:0:t_2:t_3)\}$ d'équation $t_0=t_1=0$ ; et si on omet +$t_0 t_3 = t_1 t_2$, la variété contient toute la droite +$\{(t_0:0:0:t_3)\}$ d'équation $t_1=t_2=0$ (par exemple le point +$(1:0:0:1)$). Il n'est en fait pas possible de définir $C$ avec +seulement deux équations qui engendrent un idéal radical : en effet, +premièrement, le polynôme de Hilbert-Samuel de $C$ vaut $3\ell+1$ (car +il est facile de voir que les équations de $C$ réduisent deux monômes +$t_0^{d_0} t_1^{d_1} t_2^{d_2} t_3^{d_3}$ exactement lorsqu'ils ont le +même degré total $d_0+d_1+d_2+d_3$ et le même « degré sur $C$ », $d_1 ++ 2d_2 + 3d_3$, donc on est ramené à compter les valeurs possibles de +$d_1 + 2d_2 + 3d_3$ connaissant $d_0+d_1+d_2+d_3 = \ell$, et ce sont +tous les entiers entre $0$ et $3\ell$ inclus) ; ceci confirme que la +dimension de $C$ est $1$ mais aussi que son degré (au sens donné par +le coefficient dominant du polynôme de Hilbert-Samuel) vaut $3$ : si +$C$ était définie par deux équations $\mathfrak{I}(C) = (f_1,f_2)$, +donc en intersection complète, on aurait $\deg f_1 \cdot \deg f_2 = +3$, ce qui impose soit $\deg f_1 = 1$ soit $\deg f_2 = 3$, donc $C$ +serait une courbe plane, ce qui n'est visiblement pas le cas. + +\medbreak + +\textbf{Différentielle d'un morphisme.} Si $h\colon X\to Y$ est un +morphisme entre variétés quasiprojectives sur un corps algébriquement +clos $k$ et $x \in X(k)$, on a une application $dh_x\colon T_x X \to +T_{h(x)} Y$ qui est définie formellement par $h(k[\varepsilon]) \colon +X(k[\varepsilon]) \to Y(k[\varepsilon])$ et plus concrètement, si +localement $X$ est défini par des équations $f_1=\cdots=f_r = 0$ +dans $\mathbb{A}^d$ (de sorte que $T_x X$ se voit comme l'ensemble des +$(v_i)$ tels que $\sum_{j=1}^d v_j \frac{\partial f_i}{\partial + t_j}(x_1,\ldots,x_d) = 0$) et $Y$ par $g_1=\cdots=g_s = 0$ +dans $\mathbb{A}^e$ (de sorte que $T_y Y$ se voit comme l'ensemble des +$(w_i)$ tels que $\sum_{j=1}^e w_j \frac{\partial g_i}{\partial + u_j}(y_1,\ldots,y_d) = 0$), et le morphisme $h$ par des polynômes +$(h_1,\ldots,h_e)$ (vérifiant $g_i(h_1,\ldots,h_e) = 0$) envoyant +$(x_1,\ldots,x_d)$ sur $(h_1(x_1,\ldots,x_d),\ldots,\penalty-100 +h_e(x_1,\ldots,x_d))$, alors $dh_x$ envoie $(v_1,\ldots,v_d)$ sur +$(w_1,\ldots,w_e)$ où $w_i = \sum_{j=1}^d v_j\frac{\partial + h_i}{\partial t_j}$ (et la condition souhaitée, $\sum_{i=1}^e w_j +\frac{\partial g_i}{\partial u_j}(y_1,\ldots,y_d) = 0$ est une +conséquence de la formule des dérivées composées appliquée à +$g_i(h_1,\ldots,h_e) = 0$ : on a $\sum_{j=1}^e \frac{\partial + g_i}{\partial u_j} \frac{\partial h_j}{\partial t_l} = 0$). Cette +application $dh_x$ est linéaire (pour chaque $x$ donné) : on l'appelle +différentielle du morphisme $h$ au point $x$. + +\textbf{Lissité des morphismes.} On ne définira le concept de +morphisme lisse entre variétés quasiprojectives $X \to Y$ que lorsque +$Y$ elle-même est lisse. Plus exactement, on dit qu'un morphisme $X +\buildrel h\over\to Y$ est \emph{lisse} en un point $x \in X$ tel que +$Y$ soit lisse en $h(x)$, lorsque $dh_x \colon T_x X \to T_{h(x)} Y$ +est \emph{surjective}. On dit qu'un morphisme $X \to Y$, avec $Y$ +lisse, est lisse (partout) lorsque la différentielle est surjective en +tout point. Une conséquence importante de la lissité de $h$ est que +la fibre $h^{-1}(y)$ est elle-même lisse (en tant que variété, un +fermé à l'intérieur de $X$) pour chaque $y\in Y$. + + + +% +% +% + +\section{Géométrie algébrique sur un corps non algébriquement clos} + +\subsection{Crash-course de théorie de Galois} + +Rappel : corps parfait = corps de caractéristique $0$ \emph{ou} de +caractéristique $p$ tel que tout élément ait une racine $p$-ième = +corps tel que tout polynôme irréductible soit à racines simples sur la +clôture algébrique. Exemples : $\mathbb{R}$, $\mathbb{Q}$, +$\mathbb{F}_q$ sont parfaits comme l'est tout corps algébriquement +clos. Contre-exemple : $\mathbb{F}_p(t)$ n'est pas parfait ($t$ n'a +pas de racine $p$-ième). + +Si $k$ est un corps parfait (et qu'on en fixe une fois pour toutes une +clôture algébrique), on note $\Gal(k)$ ou $\Gamma_k$ et on appelle +\textbf{groupe de Galois absolu} de $k$ le groupe des automorphismes +de corps de sa clôture algébrique qui laissent $k$ fixe +(i.e. $\sigma(x) = x$ pour tout $x\in k$). + +\textbf{Exemples :} Si $\Gamma_{\mathbb{R}} = \{\id_{\mathbb{C}}, +(z\mapsto\bar z)\}$ est le groupe cyclique d'ordre $2$. Si $k$ est +algébriquement clos, $\Gamma_k$ est trivial. Si $k = \mathbb{F}_q$ +est fini, $\Gamma_{\mathbb{F}_q}$ contient au moins toutes les +puissances $\Frob_q^i \colon x \mapsto x^{q^i}$ du Frobenius +$\Frob_q\colon x \mapsto x^q$ ; il contient en fait d'autres éléments, +mais « en gros » il n'y a que les puissances du Frobenius (au sens : +la restriction de tout $\sigma \in \Gamma_{\mathbb{F}_q}$ à un +$\mathbb{F}_{q^n}$ est de la forme $\Frob_q^i$ pour un certain $i \in +\mathbb{Z}$ (qu'on peut voir dans $\mathbb{Z}/n\mathbb{Z}$ si on +préfère) ; en tout cas, pour voir qu'un élément de $k^{\alg}$ (ou de +n'importe quoi qui sera considéré plus bas) est fixé/stable par +$\Gamma_{\mathbb{F}_q}$, il suffit de vérifier qu'il est fixé/stable +par $\Frob_q$. + +\begin{thm}\label{rational-iff-fixed-by-galois} +Si $k$ est un corps parfait de clôture algébrique $k^{\alg}$, un +élément $x$ de $k^{\alg}$ appartient à $k$ si [et seulement si, mais + ça c'est juste la définition de $\Gamma_k$] on a $\sigma(x) = x$ +pour tout $\sigma \in \Gamma_k$. +\end{thm} + +Slogan : « rationnel = fixé par Galois ». + +Si $k \subseteq K$ est une extension algébrique (on note parfois ça +$K/k$, mauvaise notation car elle fait penser à un quotient), si $k$ +est parfait alors $K$ l'est aussi, et $\Gamma_{K}$ est un sous-groupe +de $\Gamma_k$. Ce sous-groupe est \emph{distingué} exactement lorsque +$\sigma(K) = K$ (c'est-à-dire $K$ est \emph{globalement} stable +par $\sigma$, pas nécessairement fixé point à point) pour tout +$\sigma\in\Gamma_k$ : dans ce cas on dit que $K$ est une +\textbf{extension galoisienne} de $k$, et on pose $\Gal(k\subseteq K) += \Gamma_k/\Gamma_{K}$, qui s'appelle groupe de Galois de l'extension +$k \subseteq K$. Il peut se voir comme l'ensemble des automorphismes +de $K$ laissant $k$ fixe. Remarque : si $\Gamma_k$ est abélien (c'est +le cas de $\mathbb{F}_q$), \emph{toute} extension algébrique de $k$ +est galoisienne. + +\begin{thm} +\begin{itemize} +\item Si $k\subseteq K$ est une extension finie (donc algébrique) + galoisienne, alors un élément $x$ de $K$ appartient à $k$ si [et + seulement si] on a $\sigma(x) = x$ pour tout $\sigma \in + \Gal(k\subseteq K)$. De plus, il y a une bijection entre extensions + intermédiaires $k \subseteq E \subseteq K$ et sous-groupes de + $\Gal(k\subseteq K)$ donnée par $E \mapsto \Gamma_E/\Gamma_K = + \Gal(E\subseteq K)$ et réciproquement $H \mapsto \{x \in K + :\penalty-100 (\forall \sigma \in H)\, \sigma(x)=x\}$. (Note : + l'extension $E \subseteq K$ est toujours galoisienne (on rappelle + que $k \subseteq K$ était supposée l'être !), et $k \subseteq E$ + l'est lorsque $\Gal(E\subseteq K)$ est distingué dans + $\Gal(k\subseteq K)$.) +\item Version absolue : pour $k$ parfait, il y a une bijection entre + les extensions finies (et en particulier, algébriques) $k\subseteq + K$ de $k$ dans une clôture algébrique $k^{\alg}$ fixée, et les + sous-groupes de $\Gamma_k$ qui sont « ouverts » au sens où ils + contiennent un $\Gamma_{k'}$ pour $k'$ extension finie de $k$. +\end{itemize} +\end{thm} + +La première partie du résultat suivant est une conséquence triviale +de \ref{rational-iff-fixed-by-galois}, la seconde est beaucoup plus +subtile. +\begin{thm} +Pour $k$ parfait : +\begin{itemize} +\item Si $x \in \mathbb{A}^d(k^{\alg})$ est fixé par $\Gamma_k$, alors + $x \in \mathbb{A}^d(k)$ (au sens où ses coordonnées affines sont + dans $k$). +\item Si $x \in \mathbb{P}^d(k^{\alg})$ est fixé par $\Gamma_k$, alors + $x \in \mathbb{P}^d(k)$ (au sens où \emph{il admet} des coordonnées + homogènes dans $k$). +\end{itemize} +\end{thm} + + + +\subsection{Variétés sur un corps non algébriquement clos} + +Soit $k$ un corps parfait. Si $I$ est un idéal de +$k[t_1,\ldots,t_d]$, on définit l'idéal $I_{k^{\alg}} := I\cdot +k^{\alg}[t_1,\ldots,t_d]$ engendré par $I$ dans +$k^{\alg}[t_1,\ldots,t_d]$. + +\begin{prop} +\begin{itemize} +\item L'idéal $I_{k^{\alg}}$ est radical si et seulement si $I$ l'est. +\item Un idéal $J$ de $k^{\alg}[t_1,\ldots,t_d]$ est de la forme + $I_{k^{\alg}}$ pour $I$ idéal de $k[t_1,\ldots,t_d]$ si et seulement + si $\sigma(J) = J$ pour tout $\sigma \in \Gamma_k$. Lorsque c'est + le cas, $I = J \cap k[t_1,\ldots,t_d]$. +\item Lorsque $J$ est radical, c'est le cas (=$J$ est de la + forme $I_{k^{\alg}}$) si et seulement si $\sigma(Z(J)) = Z(J)$ (où + ici $Z(J)$ désigne $Z(J)(k^{\alg})$, les $k^{\alg}$-points + de $Z(J)$). Remarque : $Z(J)(k^{\alg}) = Z(I)(k^{\alg})$. +\item On a des bijections réciproques, décroissantes pour l'inclusion, + entre idéaux radicaux de $k[t_1,\ldots,t_d]$ et fermés de Zariski de + $\mathbb{A}^d(k^{\alg})$ stables par Galois, donnée par $I \mapsto + Z(I_{k^{\alg}})(k^{\alg})$ et $E \mapsto \mathfrak{I}(E) \cap + k[t_1,\ldots,t_d]$. +\end{itemize} +\end{prop} + +On qualifiera un fermé de Zariski $X$ de $\mathbb{A}^d(k^{\alg})$ +stable par Galois de $k$-variété algébrique affine (moralité : c'est +une variété dont les équations peuvent être définies sur $k$), et on +considère que $Z(I)$ désigne cette variété $X$ (et pas juste +l'ensemble des points sur $k$). On a alors effectivement un ensemble +de $k$-points $X(k) = Z(I)(k)$ : concrètement, ce sont les points dont +les coordonnées affines sont dans $k$, c'est-à-dire, sont fixées par +Galois ; mais \emph{attention}, cet ensemble peut très bien être vide +sans que $X$ le soit (car le Nullstellensatz ne fonctionne que sur un +corps algébriquement clos). Par exemple, $Z(x^2+y^2+1) \subseteq +\mathbb{A}^2$ définit une variété algébrique affine sur $\mathbb{R}$ +qui n'a aucun $\mathbb{R}$-point. + +La même chose fonctionne en projectif : on a des bijections +réciproques, décroissantes pour l'inclusion, entre idéaux homogènes +radicaux de $k[t_0,\ldots,t_d]$ autres que $(t_0,\ldots,t_d)$ et +fermés de Zariski de $\mathbb{P}^d(k^{\alg})$ stables par Galois, +donnée par $I \mapsto Z(I_{k^{\alg}})(k^{\alg})$ et $E \mapsto +\mathfrak{I}(E) \cap k[t_0,\ldots,t_d]$. + +On appelle variété quasiprojective sur $k$ une variété quasiprojective +$X$ (dans $\mathbb{P}^d$) sur $k^{\alg}$ qui soit stable par Galois +(moralité : c'est une variété dont les équations peuvent être définies +sur $k$). On peut donc définir une action de Galois sur +$X(k^{\alg})$, et $X(k)$ est l'ensemble des points fixés par Galois +(et pour toute extension $k'$ de $k$, l'ensemble $X(k')$ est le +sous-ensemble de $X(k^{\alg})$ fixé par $\Gamma_{k'}$). + +Pour éviter les confusions, on note souvent $X_{k^{\alg}}$ la variété +sur $k^{\alg}$ définie par $X$ (c'est-à-dire celle où on oublie la +structure sur $k$ / l'action de Galois). + +\medbreak + +\underline{Attention :} si un idéal $I \subseteq k[t_1,\ldots,t_d]$ est premier +(cela signifie qu'il est radical et que la variété $X = Z(I) \subseteq +\mathbb{A}^d$ définie sur $k$ est irréductible au sens où elle n'est +pas réunion de deux fermés plus petits définis sur $k$), cela +n'implique pas que $I_{k^{\alg}}$ soit premier, c'est-à-dire que +$X_{k^{\alg}}$ soit irréductible ; par contre, la réciproque est +vraie. On dit parfois que $X$ est \emph{absolument irréducible} ou +\emph{géométriquement irréductible} lorsque $X_{k^{\alg}}$ est +irréductible. Contre-exemple : $Z(x^2+y^2)$ dans $\mathbb{A}^2$ +sur $\mathbb{R}$ n'est pas absolument irréductible puisque sur +$\mathbb{C}$ il est réunion des deux droites $Z(x+iy)$ et $Z(x-iy)$, +mais sur $\mathbb{R}$ il est irréductible car tout fermé défini +sur $\mathbb{R}$ qui contient une de ces droites doit contenir +l'autre. + +\medbreak + +Quant aux idéaux \emph{maximaux} de $k[t_1,\ldots,t_d]$, ils +correspondent aux \emph{orbites} sous $\Gamma_k$, c'est-à-dire aux +ensembles (nécessairement finis) de $k^{\alg}$-points tels que +n'importe lequel puisse être envoyé sur n'importe lequel par un +élément de $\Gamma_k$ (c'est-à-dire, si on préfère, qu'aucun +sous-ensemble non-vide n'est stable par $\Gamma_k$). (On peut, si on +le souhaite, considérer que ce sont là les « points » de l'espace +affine $\mathbb{A}^d$, auquel cas on les appelle « points fermés » +pour bien les distinguer des « $k$-points », c'est-à-dire les éléments +de $k^d$, ou orbites réduites à un seul élément.) Une remarque +analogue vaut pour des variétés algébriques sur $k$ plus générales : +les idéaux maximaux de $k[t_1,\ldots,t_d]/I$, pour $I$ idéal radical +de $k[t_1,\ldots,t_d]$, correspondent aux orbites sous $\Gamma_k$ de +$Z(I)(k^{\alg})$. + + + +\subsection{Morphismes entre icelles} + +Si $X$ et $Y$ sont deux variétés quasiprojectives sur un corps +parfait $k$, un morphisme $X_{k^{\alg}} \buildrel f\over\to +Y_{k^{\alg}}$ sera considéré comme un morphisme $X \to Y$ de +$k$-variétés lorsqu'il vérifie les conditions équivalentes suivantes : +\begin{itemize} +\item Il existe des équations à coefficients dans $k$ définissant $f$. +\item Le morphisme $f$ commute à l'action de Galois, au sens où + $\sigma(f(x)) = f(\sigma(x))$ pour tout $x \in X(k^{\alg})$. +\end{itemize} + +(Cas particulier éclairant : si $f \in \mathbb{F}_{q^n}[t]$, alors +$f(t)^q = f(t^q)$ si et seulement si $f \in \mathbb{F}_q[t]$.) + +En particulier, $f$ définit une application $X(k) \to Y(k)$, mais la +donnée de celle-ci \emph{ne suffit pas} à caractériser $f$ (penser au +fait que $X(k)$ peut très bien être vide !). + +On peut aussi caractériser les morphismes $X \to Y$ de $k$-variétés +comme les données pour toute $k$-algèbre $A$ d'un application $X(A) +\buildrel f(A)\over\to Y(A)$ telle que : si $A \buildrel\psi\over\to +A'$ est un morphisme de $k$-algèbres, alors les deux composées $X(A) +\buildrel X(\psi)\over\to X(A') \buildrel f(A')\over\to Y(A')$ et +$X(A) \buildrel f(A)\over\to Y(A) \buildrel Y(\psi)\over\to Y(A')$ +coïncident (cf. lemme de Yoneda). + +\medbreak + +Pour les fonctions régulières, on a ce qu'on imagine : un morphisme $X +\to \mathbb{A}^1$ est la même chose qu'une fonction régulière sur +$X_{k^{\alg}}$ stable par Galois, et c'est ce qu'on appelle une +fonction régulière sur $X$. Lorsque $X = Z(I) \subseteq \mathbb{A}^d$ +est affine (avec $I = \mathfrak{I}(X)$ idéal de $k[t_1,\ldots,t_d]$), +les fonctions régulières sur $X$ sont les éléments de +$k[t_1,\ldots,t_d]/I$. En général, on peut toujours définir une +fonction régulière sur $X$ par recollement de fonctions régulières sur +des ouverts affines (c'est-à-dire : on peut le faire \emph{sur $k$}, +il n'y a pas besoin de passer à la clôture algébrique). + + + +% +% +% + +\section{Introduction aux bases de Gröbner} + +\subsection{Monômes et idéaux monomiaux} + +On appelle \textbf{monôme} de $k[t_1,\ldots,t_d]$ un +$t_1^{\ell_1}\cdots t_d^{\ell_d}$. On dit qu'un monôme +$t_1^{\ell_1}\cdots t_d^{\ell_d}$ \textbf{divise} un monôme +$t_1^{\ell'_1}\cdots t_d^{\ell'_d}$ lorsque $\ell_i \leq \ell'_i$ pour +tout $i$ (c'est bien la relation de divisibilité dans l'anneau +factoriel $k[t_1,\ldots,t_d]$, restreinte aux monômes, et le rapport +est alors lui-même un monôme). Un \textbf{terme} est un monôme +multiplié par une constante (=élément de $k$) non nulle : on parle +alors du monôme \emph{de} ce terme. Tout polynôme s'écrit de façon +unique comme somme de termes dont les monômes sont distincts : ce sont +les termes de (=intervenant dans) ce polynôme. + +Commençons par la remarque suivante, qui est évidente, mais +essentielle : +\begin{prop}\label{divisibility-of-monomials} +Si $s_1,\ldots,s_r$ sont des monômes de $k[t_1,\ldots,t_d]$, alors +pour chaque terme $c s$ de $g_1 s_1 + \cdots + g_r s_r$ (où +$g_1,\ldots,g_r \in k[t_1,\ldots,t_d]$) le monôme $s$ de ce terme est +divisible par l'un des $s_i$. +\end{prop} +\begin{proof} +En développant l'écriture $g_1 s_1 + \cdots + g_r s_r$, puisque la +somme comporte le terme $c s$, au moins un des facteurs comporte un +terme dont le monôme est $s$, ce qui montre bien que $s$ est divisible +par un des $s_i$. +\end{proof} + +\begin{cor} +Si $s_1,\ldots,s_r$ sont des monômes de $k[t_1,\ldots,t_d]$, l'idéal +qu'ils engendrent est exactement l'idéal des polynômes dont le monôme +de chaque terme est divisible par un des $s_i$. +\end{cor} +\begin{proof} +On vient de montrer que si $f$ est dans $(s_1,\ldots,s_r)$ alors le +monôme de chaque terme de $f$ est divisible par un des $s_i$. +Réciproquement, si c'est le cas, $f$ est somme de termes multiples +des $s_i$, qui appartiennent donc à l'idéal engendré par les $s_i$. +\end{proof} + +On appelle \textbf{idéal monomial} un idéal de $k[t_1,\ldots,t_d]$ qui +peut être engendré par des monômes : le corollaire ci-dessus montre +que si $I$ est un idéal monomial, alors tout terme d'un élément de $I$ +est encore un élément de $I$. Réciproquement, si $I$ est un idéal tel +que tout terme d'un élément de $I$ soit un élément de $I$, alors $I$ +est monomial (en effet, on peut choisir un ensemble de générateurs +de $I$, et les monômes des termes de ces générateurs donnent des +éléments de $I$ qui engendrent les générateurs choisis, donc +engendrent $I$). + + + +% +\subsection{Ordres admissibles sur les monômes} + +On appelle \textbf{ordre admissible} (ou \textbf{ordre monomial}) sur +les monômes de $k[t_1,\ldots,t_d]$ une relation d'ordre total +$\preceq$ sur les monômes de ce dernier telle que : +\begin{itemize} +\item $1 \preceq s$ pour tout monôme $s$, et +\item si $s_1 \preceq s_2$ et $s$ est un monôme quelconque, alors $s + s_1 \preceq s s_2$. +\end{itemize} +(On notera souvent abusivement $c s \preceq c' s'$, lorsque $cs, c's'$ +sont deux termes, pour signifier que leurs monômes vérifient $s +\preceq s'$.) + +\begin{prop}\label{properties-of-admissible-orders} +Si $\preceq$ est un ordre admissible sur les monômes de +$k[t_1,\ldots,t_d]$, alors +\begin{itemize} +\item si $s_1 | s_2$ alors $s_1 \preceq s_2$, +\item $\preceq$ est un bon ordre (c'est-à-dire : tout ensemble non + vide de monômes a un plus petit élément pour $\preceq$, ou de façon + équivalente, il n'y a pas de suite infinie strictement décroissante + de monômes pour $\preceq$). +\end{itemize} +\end{prop} +\begin{proof} +Le premier point est évident : si $s_2 = s s_1$ alors $1 \preceq s$ +entraîne $s_1 \preceq s s_1 = s_2$. Montrons le second : si $S$ est +un ensemble de monômes, soit $I$ l'idéal qu'ils engendrent ; comme +$k[t_1,\ldots,t_d]$ est noethérien, il existe un sous-ensemble fini +$S_0 \subseteq S$ qui engendre le même idéal $I$. Soit $s$ le plus +petit élément de $S_0$ : on prétend que $s$ est aussi le plus petit +élément de $S$. En effet, si $s' \in S$ alors $s' \in I$ donc $s'$ +s'écrit comme combinaison d'éléments de $S_0$, mais alors +d'après \ref{divisibility-of-monomials}, $s'$ est simplement multiple d'un +élément de $S_0$, et d'après le premier point, $s\preceq s'$, ce qui +conclut. +\end{proof} + +Lorsque $d=1$, le seul ordre admissible sur les monômes est évidemment +celui donné par $t^\ell \preceq t^{\ell'}$ ssi $\ell \leq \ell'$. + +Une fois fixé un ordre admissible $\preceq$ sur les monômes, si $f \in +k[t_1,\ldots,t_d]$ est non nul, on note $\init_{\preceq}(f)$ (ou +simplement $\init(f)$ si l'ordre est sous-entendu) et on appelle +\textbf{terme initial} (ou \textbf{terme de tête}) de $f$ le terme au +\emph{plus grand} monôme pour l'ordre en question. (Lorsque $d=1$, +pour le seul ordre admissible sur les monômes, ceci est simplement le +terme dominant de $f$.) Si $f=0$ on pose (un peu abusivement) +$\init(f) = 0$. + +\medbreak + +Exemples importants d'ordres admissibles sur les monômes : (on +supposera toujours, quitte à renuméroter les variables, que $t_1 +\preceq t_2 \preceq \cdots \preceq t_d$) : + +* L'\textbf{ordre lexicographique (pur)} est défini par $t_1^{\ell_1} +\cdots t_d^{\ell_d} \mathrel{\preceq_{\mathtt{lex}}} t_1^{\ell'_1} +\cdots t_d^{\ell'_d}$ ssi $\ell_i < \ell'_i$ pour le \emph{plus + grand} $i$ tel que $\ell_i \neq \ell'_i$. Pour cet ordre on a donc +$1 \preceq t_1 \preceq t_1^2 \preceq t_1^3 \preceq \cdots \preceq t_2 +\preceq t_1 t_2 \preceq t_1^2 t_2 \preceq \cdots \preceq t_2^2 \preceq +t_1 t_2^2 \preceq \cdots \preceq t_2^3 \preceq \cdots \preceq t_3 +\preceq t_1 t_3 \preceq t_1^2 t_3 \preceq \cdots \preceq t_2 t_3 +\preceq t_1 t_2 t_3 \preceq \cdots \preceq t_3^2 \preceq \cdots +\preceq t_4 \preceq \cdots$. (Attention, l'ordre donne le poids fort +à l'exposant de la dernière variable, ce qui correspond à la +convention faite $t_1 \preceq t_2 \preceq \cdots \preceq t_d$ ; plus +généralement, tout ordre total sur l'ensemble des variables définit un +unique ordre lexicographique pur associé.) + +\emph{Caractérisation :} Si $\init_{\mathtt{lex}}(f) \in +k[t_1,\ldots,t_s]$ (pour un $s\leq d$) alors $f \in +k[t_1,\ldots,t_s]$. + +* L'\textbf{ordre lexicographique par degré} ou \textbf{ordre + lexicographique gradué} est défini par $t_1^{\ell_1} \cdots +t_d^{\ell_d} \mathrel{\preceq_{\mathtt{glex}}} t_1^{\ell'_1} \cdots +t_d^{\ell'_d}$ ssi $\sum \ell_i < \sum \ell'_i$ ou $\sum \ell_i = \sum +\ell'_i$ et $\ell_i < \ell'_i$ pour le \emph{plus grand} $i$ tel que +$\ell_i \neq \ell'_i$. Autrement dit, les monômes sont classés par +degré total en priorité puis, faute de cela, par l'ordre +lexicographique pur défini ci-dessus. Pour cet ordre, on a donc $1 +\preceq t_1 \preceq t_2 \preceq t_3 \preceq t_4 \preceq \cdots \preceq +t_1^2 \preceq t_1 t_2 \preceq t_2^2 \preceq t_1 t_3 \preceq t_2 t_3 +\preceq t_3^2 \preceq \cdots \preceq t_1^3 \preceq t_1^2 t_2 \preceq +t_1 t_2^2 \preceq t_2^3 \preceq t_1^2 t_3 \preceq t_1 t_2 t_3 \preceq +\cdots$. (Même remarque que ci-dessus : il y a un tel ordre pour +chaque ordre total sur les variables.) + +\emph{Caractérisation :} L'ordre $\mathrel{\preceq_{\mathtt{glex}}}$ +raffine l'ordre partiel donné par le degré total ; et si $f$ homogène +vérifie $\init_{\mathtt{glex}}(f) \in k[t_1,\ldots,t_s]$ (pour +un $s\leq d$) alors $f \in k[t_1,\ldots,t_s]$. + +* L'\textbf{ordre lexicographique inversé par degré} (ou +\textbf{...gradué}) est défini par $t_1^{\ell_1} \cdots t_d^{\ell_d} +\mathrel{\preceq_{\mathtt{grevlex}}} t_1^{\ell'_1} \cdots +t_d^{\ell'_d}$ ssi $\sum \ell_i < \sum \ell'_i$ ou $\sum \ell_i = \sum +\ell'_i$ et $\ell_i > \ell'_i$ (attention au sens !) pour le +\emph{plus petit} $i$ tel que $\ell_i \neq \ell'_i$. Pour cet ordre, +on a donc $1 \preceq t_1 \preceq t_2 \preceq t_3 \preceq t_4 \preceq +\cdots \preceq t_1^2 \preceq t_1 t_2 \preceq t_1 t_3 \preceq t_1 t_4 +\preceq \cdots \preceq t_2^2 \preceq t_2 t_3 \preceq \cdots \preceq +t_3^2 \preceq \cdots \preceq t_1^3 \preceq t_1^2 t_2 \preceq t_1^2 t_3 +\preceq \cdots \preceq t_1 t_2^2 \preceq t_1 t_2 t_3 \preceq \cdots +\preceq t_2^3 \preceq \cdots$. (Même remarque que ci-dessus : il y a +un tel ordre pour chaque ordre total sur les variables. De plus, +$\mathrel{\preceq_{\mathtt{grevlex}}}$ et +$\mathrel{\preceq_{\mathtt{glex}}}$ coïncident lorsqu'il n'y a que +deux variables, une fois fixé l'ordre entre celles-ci.) + +\emph{Caractérisation :} L'ordre +$\mathrel{\preceq_{\mathtt{grevlex}}}$ raffine l'ordre partiel donné +par le degré total ; et si $f$ homogène vérifie +$\init_{\mathtt{grevlex}}(f) \in (t_1,\ldots,t_s)$ (pour un $s\leq d$) +alors $f \in (t_1,\ldots,t_s)$. + + +% +\subsection{Bases de Gröbner} + +Si $I$ est un idéal de $k[t_1,\ldots,t_d]$ (et $\preceq$ un ordre +admissible), on appelle $\init_{\preceq}(I)$ l'idéal engendré par les +$\init_{\preceq}(f)$ pour tous les $f\in I$ (c'est donc un idéal +monomial). Attention ! il n'y a aucune raison que prendre les +$\init_{\preceq}(f)$ pour $f$ parcourant des générateur de $I$ suffise +à engendrer $\init_{\preceq}(I)$. + +\begin{defn} +Si $I$ est un idéal de $k[t_1,\ldots,t_d]$ et $\preceq$ un ordre +admissible sur les monômes de ce dernier, on appelle \textbf{base de + Gröbner} de $I$ un ensemble $f_1,\ldots,f_r$ d'éléments de $I$ tels +que $\init_{\preceq}(f_1),\ldots,\init_{\preceq}(f_r)$ +engendrent $\init_{\preceq}(I)$. +\end{defn} + +A priori, rien ne dit que $f_1,\ldots,f_r$ engendrent $I$. C'est +pourtant le cas : +\begin{prop} +Dans les conditions ci-dessus, on a $I = (f_1,\ldots,f_r)$. +\end{prop} +\begin{proof} +On a $I \supseteq (f_1,\ldots,f_r)$ puisque les $f_i$ sont supposés +dans $I$. Supposons maintenant qu'il n'y ait pas égalité. Soit $h +\in I$ un polynôme avec le monôme dans $\init(h)$ le plus petit +possible (pour $\preceq$) tel que $h \not\in (f_1,\ldots,f_r)$. +Puisque $\init(h) \in \init(I)$, on peut écrire $\init(h) = g_1 +\init(f_1) + \cdots + g_r \init(f_r)$ par l'hypothèse faite sur +les $f_i$ (pour certains $g_1,\ldots,g_r$). +D'après \ref{divisibility-of-monomials}, ceci montre que $\init(h) = c s +\init(f_i)$ pour un certain monôme $s$ et $c$ une constante. On a +alors $s f_i \in I$, et $\init(c s f_i) = c s \init(f_i) = \init(h)$, +donc $h - c s f_i$, qui appartient à $I$, a un terme initial de monôme +strictement plus petit que $h$, donc par minimalité de ce dernier, $h +- c s f_i \in (f_1,\ldots,f_r)$. Mais alors $h \in (f_1,\ldots,f_r)$, +une contradiction. +\end{proof} + +Une évidence : tout idéal admet une base de Gröbner. En effet, parmi +les $\init(f)$ pour $f\in I$ qui engendrent $\init(I)$ on peut +extraire un ensemble fini engendrant $\init(I)$ --- il s'agit d'une +base de Gröbner de $I$. + +\begin{algo}[algorithme de division]\label{division-algorithm} +Soient $f,f_1,\ldots,f_r \in k[t_1,\ldots,t_d]$ et $\preceq$ un ordre +admissible sur les monômes. Alors il existe une écriture +\[ +f = g_1 f_1 + \cdots + g_r f_r + \rho +\tag{$*$} +\] +où $g_1,\ldots,g_r,\rho \in k[t_1,\ldots,t_d]$, où aucun des monômes +de $\rho$ n'est divisible par un des $\init(f_i)$, et où $\init(g_i +f_i) \preceq \init(f)$ pour chaque $i$ ; et on va donner un algorithme +pour calculer cette écriture ; un tel $\rho$ s'appelle un +\textbf{reste} de $f$ par rapport au $f_1,\ldots,f_r$ et pour l'ordre +monomial $\preceq$ (on dit aussi que l'écriture ($*$) s'appelle une +\textbf{écriture standard} de $f$ par rapport aux $f_1,\ldots,f_r$ et +pour cet ordre monomial). + +Lorsque les $f_1,\ldots,f_r$ forment une base de Gröbner (d'un +idéal $I = (f_1,\ldots,f_r)$), on a $f \in (f_1,\ldots,f_r)$ si et +seulement si $\rho = 0$, et $\rho$ est défini de façon unique par $f$. +\end{algo} + +\begin{proof}[Description de l'algorithme] +Si aucun terme de $f$ n'est divisible par aucun des $\init(f_i)$, +retourner $\rho = f$ (et tous les $g_i = 0$). Sinon, soit $c s +\init(f_i)$ (où $c\neq 0$ est une constante et $s$ un monôme) le +$\preceq$-plus grand terme de $f$ qui soit divisible par un +des $\init(f_i)$ : on applique récursivement l'algorithme à $f' = f - +c s f_i$ (qui vérifie $\init(f') \preceq \init(f)$), si $f' = g'_1 f_1 ++ \cdots + g'_r f_r + \rho'$ est le résultat, renvoyer $g_j = g'_j$ +sauf $g_i = g'_i + c s$, et $\rho = \rho'$. +\end{proof} + +\begin{proof} +L'algorithme termine car le $\preceq$-plus grand monôme de $f$ +divisible par un des $\init(f_i)$ décroît strictement à chaque +itération, or $\preceq$ est un bon ordre +(cf. \ref{properties-of-admissible-orders}). La propriété sur $\rho$ +est évidente. La propriété $\init(g_j f_j) \preceq \init(f)$ découle +par induction de $\init(g'_j f_j) \preceq \init(f') \preceq \init(f)$ +et $\init(c s f_i) = c s \init(f_i) = c\init(f)$. + +Si $\rho = 0$, le fait que $f \in (f_1,\ldots,f_r)$ est trivial. Si +$f_1,\ldots,f_r$ forment une base de Gröbner et $f \in +(f_1,\ldots,f_r)$, comme on a aussi $\rho \in (f_1,\ldots,f_r)$, alors +$\init(\rho) \in (\init(f_1),\ldots,\init(f_r))$, ce qui vu le fait +qu'aucun monôme de $\rho$ n'est divisible par un des $\init(f_i)$, +n'est possible que si $\rho = 0$ (cf. \ref{divisibility-of-monomials}) ; de +même, si $\rho$ et $\rho'$ sont deux restes différents du même $f$, +disons $f = g_1 f_1 + \cdots + g_r f_r + \rho$ et $f = g'_1 f_1 + +\cdots + g'_r f_r + \rho'$, alors $(g'_1-g_1) f_1 + \cdots + +(g'_r-g_r) f_r + (\rho'-\rho)$ est une écriture standard de $0$, donc +$\rho'=\rho$. +\end{proof} + +\textbf{Moralité :} Connaître une base de Gröbner d'un idéal $I$ +permet de répondre à la question de savoir si $f\in I$ pour un idéal +donné. Mieux, si $(f_1,\ldots,f_r)$ est cette base de Gröbner, +l'ensemble des classes des monômes qui ne sont divisibles par aucun +des $\init(f_i)$ constitue une base de $k[t_1,\ldots,t_d]/I$, ce qui, +avec l'algorithme de division, permet de calculer dans l'anneau en +question. + +Lorsque $f_1,\ldots,f_r$ ne forment pas une base de Gröbner, on peut +très bien avoir $\rho \neq 0$ et pourtant que $\rho$ +(c'est-à-dire, $f$) appartienne à l'idéal $(f_1,\ldots,f_r)$. Par +exemple, pour deux polynômes, $g_1 f_1 + g_2 f_2$ pourrait avoir un +coefficient initial beaucoup plus petit que ceux de $f_1,f_2$ à cause +d'une annulation entre ceux-ci (dans ce cas, l'algorithme de division +appliqué à $g_1 f_1 + g_2 f_2$ par rapport à $f_1,f_2$ donnerait $g_1 +f_1 + g_2 f_2$ lui-même comme reste, bien que ce polynôme appartienne +à $(f_1,f_2)$). L'algorithme de Buchberger pour calculer les bases de +Gröbner se fonde sur l'idée qu'il suffit d'éviter ce phénomène. + + +% +\subsection{L'algorithme de Buchberger} + +Soient $f_1,\ldots,f_r\in k[t_1,\ldots,t_d]$ : pour chaque +couple $(i,j)$ (où $i \neq j$), on définit le \textbf{polynôme de + syzygie} entre $f_i$ et $f_j$ : +\[ +\begin{array}{c} +f_{i,j} = c_{j,i} s_{j,i} f_i - c_{i,j} s_{i,j} f_j\\ +\hbox{où~} +c_{i,j} s_{i,j} = \init(f_i)/\pgcd(\init(f_i),\init(f_j)) +\end{array} +\] +Le pgcd (unitaire) de deux termes $c s$ et $c' s'$ étant défini comme +le plus grand monôme (pour n'importe quel ordre admissible, ou pour +l'ordre partiel de divisibilité) parmi les monômes qui divisent à la +fois $s$ et $s'$ (c'est-à-dire $t_1^{\min(\ell_1,\ell'_1)} \cdots +t_d^{\min(\ell_d,\ell'_d)}$ si $s = t_1^{\ell_1} \cdots t_d^{\ell_d}$ +et $s' = t_1^{\ell'_1} \cdots t_d^{\ell'_d}$). Remarquons que +$c_{i,j} s_{i,j} f_i$ et $c_{j,i} s_{j,i} f_j$ ont le même terme +initial, de sorte que celui de $f_{i,j}$ a un monôme strictement plus +petit. (Bien sûr, $f_{i,i} = 0$ pour tout $i$, donc on ne s'intéresse +qu'aux $f_{i,j}$ pour $i\neq j$.) + +On appelle \textbf{module des relations} entre $f_1,\ldots,f_r$ +l'ensemble (qui est un sous-module de $(k[t_1,\ldots,t_d])^r$, d'où le +terme) des $(g_1,\ldots,g_r)$ tels que $g_1 f_1 + \cdots + g_r f_r = +0$, ces $(g_1,\ldots,g_r)$ étant appelés des \textbf{relations} entre +les $f_i$ (relation non-triviale si les $g_i$ ne sont pas tous nuls). + +Soit $\rho_{i,j}$ le reste (au sens de \ref{division-algorithm}) +de $f_{i,j}$ par rapport aux $f_1,\ldots,f_r$ (pour un ordre +monomial $\preceq$) : si les $f_1,\ldots,f_r$ forment une base de +Gröbner alors $\rho_{i,j} = 0$ puisque $f_{i,j} \in (f_1,\ldots,f_r)$. +Ce qui est plus surprenant est que la réciproque est également vraie : + +\begin{thm}[critère de Buchberger] +Avec les notations ci-dessus, on a $\rho_{i,j} = 0$ pour tous $i,j$ si +et seulement $f_1,\ldots,f_r$ forment une base de Gröbner (de l'idéal +qu'ils engendrent). + +(Spears-Schreyer) De plus, lorsque c'est le cas, les relations +$c_{j,i} s_{j,i} f_i - c_{i,j} s_{i,j} f_j - \sum_u g^{(i,j)}_u f_u$, +où $f_{i,j} = g^{(i,j)}_1 f_1 + \cdots + g^{(i,j)}_r f_r$ est une +écriture standard de $f_{i,j}$, engendrent\footnote{En fait, les + relations en question forment elles-même une base de Gröbner du + module des relations, si on prend la peine de définir la notion de + « base de Gröbner » d'un module et non seulement d'un idéal, pour un + ordre admissible sur les monômes de $k[t_1,\ldots,t_d]^r$ qui se + déduit facilement de $\preceq$.} le module des relations +entre $f_1,\ldots,f_r$. +\end{thm} + +\begin{algo}[algorithme de Buchberger] +Donné $f_1,\ldots,f_r \in k[t_1,\ldots,t_d]$, on peut calculer +effectivement une base de Gröbner de l'idéal qu'ils engendrent. +\end{algo} +\begin{proof}[Description de l'algorithme] +Calculer les $\rho_{i,j}$ définis plus hauts : si les $\rho_{i,j}$ +sont tous nuls, terminer (les $f_1,\ldots,f_r$ forment une base de +Gröbner). Si un des $\rho_{i,j}$ est non nul, dès qu'on le trouve, +ajouter ce $\rho_{i,j}$ parmi les $f_1,\ldots,f_r$ (c'est-à-dire, +recommencer l'algorithme avec $f_1,\ldots,f_r,\rho_{i,j}$). +\end{proof} +\begin{proof} +L'algorithme termine car l'idéal engendré par +$\init(f_1),\ldots,\init(f_r)$ ne cesse de croître strictement : le +processus doit donc terminer, ce qui ne peut se produire que parce que +tous les $\rho_{i,j}$ sont tous nuls, et le critère précédent permet +de dire qu'on a bien une base de Gröbner. +\end{proof} + +\medbreak + +\textbf{Bases de Gröbner réduites.} + +\begin{defn} +Une base de Gröbner $f_1,\ldots,f_r$ est dite \textbf{réduite} +lorsque, pour $i\neq j$, le monôme du terme $\init(f_i)$ ne divise +aucun des monômes apparaissant dans $f_j$, et si, de plus, chacun des +termes $\init(f_i)$ est unitaire (=la constante devant le monôme +est $1$). +\end{defn} + +On peut facilement calculer une base de Gröbner réduite à partir d'une +base de Gröbner, en soustrayant, pour chaque $f_j$, chaque terme +divisible par un des $\init(f_i)$ (et en commençant par le plus grand +pour l'ordre monomial), le multiple de $f_i$ qui permet de l'annuler, +et en répétant cette opération aussi souvent que nécessaire (il est +clair que cela termine). Il faut, bien sûr, retirer tous les éléments +nuls, puis normaliser à $1$ la constante devant le monôme initial de +chaque $f_i$. + +\begin{prop} +Pour un idéal $I$ de $k[t_1,\ldots,t_d]$ et un ordre +admissible $\preceq$, il existe une unique base de Gröbner réduite (on +l'appelle donc \emph{la} base de Gröbner réduite de $I$ pour cet +ordre). +\end{prop} + + +% +\subsection{Bases de Gröbner et élimination} + +\begin{prop} +Soit $I$ un idéal de $k[t_1,\ldots,t_d]$ et $s\leq d$ : si +$f_1,\ldots,f_r$ est une base de Gröbner de $I$ pour +l'ordre $\mathrel{\preceq_{\mathtt{lex}}}$ (où on est convenu que $t_1 +\preceq t_2 \preceq \cdots \preceq t_d$), alors ceux des $f_i$ qui +appartiennent à $k[t_1,\ldots,t_s]$ forment une base de Gröbner de $I +\cap k[t_1,\ldots,t_s]$. +\end{prop} + +(En fait, il suffit que l'ordre $\preceq$ utilisé vérifie la +propriété : si $\init_{\preceq}(f) \in k[t_1,\ldots,t_s]$ alors $f \in +k[t_1,\ldots,t_s]$. Une façon parfois plus efficace que l'ordre +lexicographique pur, \emph{si on connaît $s$ à l'avance}, consiste à +prendre l'ordre sur le degré total en les seules variables +$t_1,\ldots,t_s$ comme premier critère de comparaison, et en cas +d'égalité comparer avec $\mathrel{\preceq_{\mathtt{grevlex}}}$.) + +\begin{prop} +Soit $I$ un idéal de $k[t_1,\ldots,t_d]$ et $s \leq d$. Alors $Z(I +\cap k[t_1,\ldots,t_s])$ est l'adhérence de Zariski dans +$\mathbb{A}^s$ de la projection (c'est-à-dire l'image au sens +de \ref{image-of-a-morphism} par le morphisme $\mathbb{A}^d \to +\mathbb{A}^s$ qui projette sur les $s$ premières coordonnées +c'est-à-dire $(x_1,\ldots,x_d) \mapsto (x_1,\ldots,x_d)$) de $Z(I)$. +\end{prop} + + + +% +% +% + +\section{Les courbes} + +\subsection{Corps des fonctions et morphismes vers $\mathbb{P}^1$} + +\begin{defn} +On appelle \textbf{courbe (projective lisse)} sur un corps $k$ une +variété algébrique projective lisse géométriquement +irréductible\footnote{C'est-à-dire qu'elle est irréductible quand on + la voit sur la clôture algébrique $k^{\alg}$ de $k$.} de +dimension $1$ sur $k$. Lorsque la variété n'est pas supposée lisse, +on parle de courbe « non nécessairement lisse ». +\end{defn} + +Les fermés de Zariski d'une courbe qui ne sont pas la courbe tout +entière sont de dimension zéro (cf. \ref{hauptidealsatz}) donc sont +(sur $k^{\alg}$) des réunions finies de points. + +Si $C$ est une courbe non nécessairement lisse, on note $k(C)$ le +corps des fonctions rationnelles sur $C$ +(cf. \ref{definition-rational-function-and-dimension}). Rappelons +qu'il s'agit des fonctions régulières sur un ouvert non-vide (=dense) +de $C$, définies sur $k$ (où on identifie deux fonctions quand elles +coïncident sur l'intersection des ouverts sur lesquels elles sont +données) ; on l'appelle simplement \textbf{corps des fonctions} +de $C$. On a $k(C) = \Frac(\mathcal{O}(U))$ pour n'importe quel +ouvert affine\footnote{\label{footnote-affine}En fait, on verra que + tout ouvert de $C$ différent de $C$ est automatiquement affine.} +non-vide (=dense) de $C$. On appelle évidemment \textbf{constantes} +les éléments de $k$ vus dans $k(C)$. + +On note aussi $k^{\alg}(C)$ le corps des fonctions rationnelles +sur $C_{k^{\alg}}$, c'est-à-dire après passage à la clôture algébrique +$k^{\alg}$ de $k$. On voit $k(C)$ à l'intérieur de $k^{\alg}(C)$ ; +pour $k$ parfait, le corps $k(C)$ est simplement le corps des éléments +de $k^{\alg}(C)$ fixés par le groupe de Galois absolu de $k$. + +Le degré de transcendance de $k(C)$ (ou $k^{\alg}(C)$) sur $k$ +(ou $k^{\alg}$, s'agissant de $k^{\alg}(C)$) est $1$ : c'est-à-dire +qu'il existe des éléments de $k(C)$ n'appartenant pas à $k^{\alg}$, et +que deux tels éléments sont toujours algébriques l'un par rapport à +l'autre. + +\textbf{Exemple :} $\mathbb{P}^1$ sur $k$ est une courbe sur $k$, son +corps des fonctions est $k(\mathbb{P}^1) = k(t)$ où $t$ est un +paramètre affine quelconque sur $\mathbb{P}^1$ ; et on a bien sûr +$k^{\alg}(\mathbb{P}^1) = k^{\alg}(t)$. + +\medbreak + +\begin{defn} +Soit $X$ une variété quasiprojective irréductible (non nécessairement +lisse), et $P$ un $k^{\alg}$-point de $X$, on note $\mathcal{O}_{X,P}$ +et on appelle \textbf{anneau local de $X$ en $P$} le sous-anneau de +$k(X)$ formé des fonctions rationnelles qui sont données sur un ouvert +contenant $P$. Ces fonctions sont dites \textbf{régulières en $P$}. +\end{defn} + +Grâce au recollement on peut affirmer que, si $U$ est la réunion de +tous les ouverts sur lesquels $f$ peut être donnée comme une fonction +régulière, on peut effectivement représenter $f$ comme une fonction +régulière sur tout $U$ : on appelle $U$ \textbf{l'ouvert de + régularité} de $f$ (ou parfois l'ouvert de définition). + +On peut décrire $\mathcal{O}_{X,P}$ autrement : si $U$ est un ouvert +affine contenant $P$, et $\mathfrak{m}_P$ l'idéal maximal de +$\mathcal{O}(U)$ des fonctions s'annulant en $P$, alors +$\mathcal{O}_{X,P}$ est le \emph{localisé} de $\mathcal{O}(U)$ en +l'idéal $\mathfrak{m}_P$ (c'est-à-dire inversant toutes les fonctions +qui ne sont pas dans $\mathfrak{m}_P$, cf. les remarques suivant +\ref{properties-localization}). Il s'agit bien d'un anneau local au sens +définit en \ref{subsection-reduced-and-integral-rings}. + +\medbreak + +Le fait suivant peut sembler clair, mais il joue un rôle +crucial\footnote{Pour voir qu'il n'est pas vrai de façon plus + générale, penser à la fonction rationnelle $x/y$ sur $\mathbb{P}^2$, + où $x,y$ sont deux des trois coordonnées homogènes : ni elle ni son + inverse ne sont régulières au point $x=y=0$.} pour expliquer +pourquoi la dimension $1$ est particulièrement simple : +\begin{prop} +Si $C$ est une courbe non nécessairement lisse, et $P$ un +$k^{\alg}$-point \emph{lisse} de $C$, alors pour tout $f \in k(C)$ non +nul on a $f \in \mathcal{O}_{C,P}$ ou bien $f^{-1} \in +\mathcal{O}_{C,P}$. + +Autrement dit : pour $f$ une fonction rationnelle sur une courbe $C$ +et $P$ un point lisse sur $C$, si $f$ n'est pas régulière en $P$ alors +$f^{-1}$ l'est. +\end{prop} + +Pour $C$ une courbe (lisse), on peut considérer une fonction +rationnelle $f \in k(C)$ comme une fonction régulière $U \to +\mathbb{A}^1$ sur son ouvert $U$ de régularité (l'ensemble des points +où $f$ est régulière). La proposition affirme donc que les ouverts de +régularité $U$ de $f$ et $U'$ de $f^{-1}$ recouvrent $C$. Les +morphismes $U \to \mathbb{P}^1$ et $U' \to \mathbb{P}^1$ définis par +$P \mapsto (1:f(P))$ et $P \mapsto (f^{-1}(P):1)$ se recollent et +définissent donc un morphisme $C \to \mathbb{P}^1$ qu'on veut +identifier à $f$. Réciproquement, tout morphisme $C \to \mathbb{P}^1$ +qui n'est pas constamment égal à $\infty$ (=le point complémentaire +de $\mathbb{A}^1$) définit une fonction régulière sur l'ouvert $U = +f^{-1}(\mathbb{A}^1)$ de $C$. On a donc expliqué pourquoi : +\begin{prop}\label{rational-function-on-a-curve-is-regular} +Si $C$ est une courbe (lisse), les fonctions rationnelles sur $C$ +s'identifient (comme expliqué ci-dessus) aux morphismes $C \to +\mathbb{P}^1$ non constamment égaux à $\infty$. + +Plus généralement, tout morphisme d'un ouvert non-vide de $C$ vers une +variété \emph{projective} $Y$ s'étend à $C$ tout entier. +\end{prop} + +\bigbreak + +\thingy\textbf{Une remarque sur Galois.}\label{remark-on-galois} Quand on considère les points +d'une variété sur un corps $k$ parfait non algébriquement clos, il est +parfois préférable de considérer les $k^{\alg}$-points séparément +(qu'on peut appeler \emph{points géométriques} pour insister), parfois +il est préférable de considérer ensemble tous les $k^{\alg}$-points +qui s'envoie les uns sur les autres par l'action du groupe de Galois +absolu $\Gal(k)$ de $k$, c'est-à-dire les « orbites galoisiennes » de +points géométriques, qu'on appelle aussi \emph{points fermés}. Par +exemple, pour droite affine $\mathbb{A}^1$ réelle, les +$\mathbb{C}$-points $i$ et $-i$ constituent collectivement un point +fermé, défini par l'équation $t^2+1$. L'intérêt des points fermés est +qu'ils correspondent aux idéaux maximaux (sur $k$) pour une variété +affine sur $k$ (exemple : l'idéal des polynômes réels s'annulant en +$i$ est le même que celui des polynômes réels s'annulant en $-i$, +c'est l'idéal engendré par $t^2+1$). On appelle \emph{degré} d'un +point fermé le nombre de points géométriques qui le constitue : c'est +aussi le degré (=la dimension comme $k$-espace vectoriel) du corps +résiduel $\kappa(P) = \mathcal{O}(X)/\mathfrak{m}_P$ si $X$ est affine +et $\mathfrak{m}_P$ l'idéal correspondant au point fermé $P$. +Certains résultats s'énoncent mieux en parlant d'un point fermé de +degré $n$, d'autres en parlant de $n$ points géométriques (constituant +une orbite galoisienne). + + + +% +\subsection{Valuation d'une fonction en un point} + +Soit $C$ une courbe (non nécessairement lisse) et $P$ un +$k^{\alg}$-point lisse sur $C$. On appelle $\mathfrak{m}_P$ l'idéal +dans $\mathcal{O}_{C,P}$ formé des fonctions s'annulant en $P$. + +\begin{prop}\label{properties-valuation} +Avec les notations ci-dessus, il existe une unique fonction $\ord_P +\colon k(C) \to \mathbb{Z} \cup \{+\infty\}$ vérifiant : +\begin{itemize} +\item si $\ord_P(f) = +\infty$ ssi $f=0$, et $\ord_P(c) = 0$ pour tout + $c \in k^\times$, +\item si $f,g \in k(C)$, on a $\ord_P(f+g) \geq + \min(\ord_P(f),\ord_P(g))$ (note : ceci implique qu'il y a égalité + si $\ord_P(f) \neq \ord_P(g)$), +\item si $f,g \in k(C)$, on a $\ord_P(fg) = \ord_P(f) + \ord_P(g)$, +\item on a $\ord_P(f) \geq 0$ ssi $f \in \mathcal{O}_{C,P}$ (i.e., + $f$ est régulière en $P$), et $\ord_P(f) > 0$ ssi $f \in + \mathfrak{m}_P$ (i.e., $f$ s'annule en $P$), +\item il existe des $f$ tels que $\ord_P(f) = 1$. +\end{itemize} +\end{prop} + +Cette fonction s'appelle la \textbf{valuation en $P$} ou +l'\textbf{ordre (du zéro) en $P$}. Lorsque $\ord_P(f) = v > 0$, on +dit que $f$ a un zéro d'ordre $v$ en $P$ ; lorsque $\ord_P(f) = (-v) < +0$, on dit que $f$ a un pôle d'ordre $v$ en $P$ ; lorsque $\ord_P(f) = +0$, on dit que $f$ est inversible en $P$ (cela signifie bien que $f$ +est inversible dans $\mathcal{O}_{C,P}$) ; lorsque $\ord_P(f) = 1$, on +dit que $f$ est une \textbf{uniformisante} en $P$ (il n'est pas +difficile de voir que cela signifie que $f$ engendre +l'idéal $\mathfrak{m}_P$). + +\textbf{Exemple :} Si on voit $k(t)$ comme $k(\mathbb{P}^1)$, alors +\begin{itemize} +\item pour $P \in \mathbb{A}^1(k) = k$, la valuation en $P$ est bien + l'ordre d'annulation en $P$ de la fraction rationnelle $f$ (en + particulier, si $f$ est un polynôme, $\ord_P(f)$ est la multiplicité + de $(t-P)$ dans la décomposition en facteurs irréductibles de $f$ ; + et si $P = 0$, c'est ce qu'on appelle souvent, sans autre précision, + la valuation d'un polynôme) ; +\item pour $P = \infty$, la valuation en $\infty$ d'un polynôme est + l'opposé de son degré, et la valuatin en $\infty$ d'une fraction + rationnelle $f$ est le degré de son dénominateur moins le degré de + son numérateur ; +\item pour $P \in \mathbb{A}^1(k^{alg}) = k^{\alg}$, la valuation en + $P$ d'un polynôme $f$ est la multiplicité de $\mu_P$ dans la + décomposition en facteurs irréductibles de celui-ci, où $\mu_P$ est + le polynôme minimal de $P$ (par exemple, sur les réels, + $\ord_i(t^2+1) = 1$), et pour une fraction rationnelle on peut bien + sûr le calculer comme l'ordre du numérateur moins celui du + dénominateur. +\end{itemize} + +Remarquons que $\ord_P(f)$ est le même que $f$ soit considéré comme +vivant dans $k(C)$ ou dans $k^{\alg}(C)$ (à cause de l'unicité +affirmée pour la fonction $\ord_P$). Par ailleurs, pour $f \in k(C)$, +on a $\ord_P(f) = \ord_{\sigma(P)}(f)$ pour tout $\sigma \in \Gal(k)$ +(le groupe de Galois absolu de $k$), autrement dit, $\ord_P(f)$ ne +dépend que de l'orbite de $P$ par $\Gal(k)$ (c'est-à-dire, du point +fermé défini par $P$). + +\begin{prop} +Soit $C$ une courbe (lisse) sur un corps $k$. Alors toute fonction +$k(C) \to \mathbb{Z} \cup \{+\infty\}$ vérifiant les trois premières +et la dernière des propriétés énumérées pour $\ord_P$ +en \ref{properties-valuation} est de la forme $\ord_P$ pour un certain +$P \in C(k^{\alg})$. +\end{prop} + +Les $\ord_P$ sont distinctes lorsque les points $P$ ne sont pas +conjugués par Galois (cf. ci-dessus) : on va voir un résultat plus +précis affirmant qu'elles sont, en fait, aussi indépendantes que +possible (\ref{approximation-lemma} ci-dessous). + +\begin{prop}\label{basic-ord-facts} +Soit $C$ une courbe (lisse) sur un corps $k$ : +\begin{itemize} +\item Pour tout $f \in k(C)$, il n'y a qu'un nombre fini de $P \in + C(k^{\alg})$ tels que $\ord_P(f) \neq 0$. +\item Si $\ord_P(f) \geq 0$ pour tout $f$, alors $f \in k$ (la + fonction est constante). +\end{itemize} +\end{prop} +\begin{proof} +La première affirmation vient de ce que tout fermé de Zariski d'une +courbe est fini. La seconde découle de ce que toute fonction +régulière (ce qu'est un $f$ comme annoncé) sur une variété projective +connexe est constante +(cf. \ref{projective-to-affine-morphisms-are-constant}). +\end{proof} + +\begin{prop}[lemme d'approximation]\label{approximation-lemma} +Soit $C$ une courbe sur un corps $k$ et $U$ un ouvert +affine\footnote{Cf. note \ref{footnote-affine}.} de $C$. Soient +$Q_1,\ldots,Q_s$ des points dans $U$ dont aucun n'est image d'un autre +sous l'action de Galois (=dont les orbites sous $\Gal(k)$ sont deux à +deux disjointes, =dont les idéaux maximaux $\mathfrak{m}_{Q_i}$ sont +deux à deux distincts, =définissant des points fermés deux à deux +distincts), et $f_1,\ldots,f_s \in k(C)$ et $v_1,\ldots,v_s \in +\mathbb{Z}$. Alors il existe $f \in k(C)$ telle que +\[ +\begin{array}{cl} +\ord_{Q_i}(f-f_i) \geq v_i&\hbox{~pour tout $i$}\\ +\ord_{P}(f) \geq 0&\hbox{~pour tout $P \in U \setminus \{\sigma(Q_i)\}$}\\ +\end{array} +\] +\end{prop} + +\emph{Moralité :} On peut toujours trouver une fonction $f$ qui +approche les fonctions $f_i$ spécifiées à l'ordre $v_i$ spécifié aux +points $Q_i$ spécifiés, et qui soit régulière à tout point de $U$ sauf +évidemment ceux pour lesquels la condition imposée demande qu'ils ne +le soient pas. + +\emph{Remarque :} Ce résultat recouvre l'existence des polynômes +interpolateurs de Lagrange (pour $C = \mathbb{P}^1$ et $U = +\mathbb{A}^1$, les $f_i$ des polynômes ayant les développements de +Taylor souhaités aux ordres $v_i$, le résultat montre qu'il existe un +polynôme $f$ ayant les développements spécifiés aux ordres spécifiés). + +\begin{proof}[Idée de démonstration] +Pour $Q \in U$, si $\mathfrak{m}_{Q}$ désigne l'idéal des fonctions de +$\mathcal{O}(U)$ s'annulant en $Q$, i.e., telles que $\ord_Q(h) \geq +1$, le point clé est que $\mathfrak{m}_Q \neq \mathfrak{m}_{Q'}$ si +$Q$ et $Q'$ ne sont pas conjugués par Galois, donc il existe une +fonction $h \in \mathcal{O}(U)$ telle que $\ord_Q(h) \geq 1$ et +$\ord_{Q'}(h) = 0$, et, quitte à diviser par une constante, autant +supposer $h(Q') = 1$, et une autre $h'$ telle que $h'(Q) = 1$ et +$\ord_{Q'}(h') \geq 1$. Quitte à multiplier de telles fonctions entre +elles et à les elever à des puissances assez grandes, on peut obtenir +des $h_i$ telles que $h_i(Q_i) = 1$ et $\ord_{Q_j}(h_i) \geq +\min(1,v_i)$ si $j\neq i$. Lorsque les $f_i$ sont dans +$\mathcal{O}(U)$, poser $f = \sum_i f_i h_i$ convient. Sinon, on met +les $f_i$ sur un même dénominateur et en cherchant $h$ comme une +fraction sur le dénominateur en question on se ramène à un problème +d'approximation sur le numérateur. +\end{proof} + +\begin{prop}\label{dimension-of-space-of-jets} +Soit $P$ un $k^{\alg}$-point lisse d'une courbe $C$ non nécessairement +lisse sur un corps $k$, et pour $v\geq 0$ soit $\mathfrak{m}^v_P = \{f +\in k(C) : \ord_P(f) \geq v\}$ (idéal de $\mathcal{O}_{C,P}$). Alors +$\mathcal{O}_{C,P} / \mathfrak{m}^v_P$ est un espace vectoriel de +dimension $v$ sur le corps $\kappa(P) := \mathcal{O}_{C,P} / +\mathfrak{m}_P$, donc $dv$ sur $k$, où $d$ est le degré de $P$, +c'est-à-dire (pour $k$ parfait) le nombre de conjugués de $P$ sous +l'action de Galois. +\end{prop} +\begin{proof} +Il existe une uniformisante $t$ de $C$ en $P$ : il n'est pas difficile +de voir que $1,t,t^2,\ldots,t^{v-1}$ forment une base de +$\mathcal{O}_{C,P} / \mathfrak{m}^v_P$ sur $\kappa(P)$ +(cf. \ref{remark-on-galois} pour la dimension de $\kappa(P)$ sur $k$). +\end{proof} + + + +% +\subsection{Morphismes entre courbes} + +\begin{prop}\label{non-constant-morphisms-of-curves-are-surjective} +Tout morphisme entre courbes non nécessairement lisses est soit +constant ou surjectif. +\end{prop} +\begin{proof} +Soit $h \colon C' \to C$ un tel morphisme. Puisque $C'$ est +projective, l'image de $h$ est un fermé dans $C$ +(cf. \ref{image-of-a-morphism-chevalley}). Si c'est $C$, le morphisme +est surjectif. Sinon, c'est un ensemble fini, et comme $C'$ est +connexe, il est réduit à un point, donc $h$ est constant. +\end{proof} + +Si $h\colon C' \to C$ est un morphisme non constant de courbes +sur $k$, à tout $f \in k(C)$, vu comme un morphisme $C \to +\mathbb{P}^1$ (non constamment égal à $\infty$), on peut associer +$h^*(f) := h\circ f \colon C' \to \mathbb{P}^1$ vu comme un élément de +$k(C')$ (car il est n'est pas constant égal à $\infty$). (Si on +préfère, pour $U$ ouvert affine de $C$, le morphisme d'algèbres $h^* +\colon \mathcal{O}(U) \to \mathcal{O}(h^{-1}(U))$ donne un $h^* \colon +k(C) \to k(C')$ entre les corps des fractions ; ceci fonctionne même +si $C,C'$ ne sont pas supposées lisses.) Il s'agit d'un morphisme de +$k$-algèbres qui sont des corps, donc automatiquement injectif : +c'est-à-dire que $h^*$ plonge $k(C)$ comme un sous-corps de $k(C')$ +(en commutant à l'action du groupe de Galois, et en particulier en +préservant $k$). Avec ce plongement, $k(C')$ est une extension +\emph{algébrique} de $k(C)$ (car tous deux ont le même degré de +transcendance, $1$, sur $k$), et $k(C')$ est engendré en tant que +corps, sur $k$ donc sur $k(C)$, par un nombre fini d'éléments : ceci +montre que $k(C')$ est une \emph{extension finie} de $k(C)$ +(c'est-à-dire, de dimension finie comme $k(C)$-espace vectoriel), et +son degré (=sa dimension comme $k(C)$-espace vectoriel) s'appelle le +\textbf{degré} de $h$, noté $\deg h$. Lorsque $h$ est un morphisme +constant, on pose $\deg h = 0$. + +\textbf{Exemple :} Si $h \in k[t]$, on peut voir $h$ comme un +morphisme $\mathbb{P}^1 \to \mathbb{P}^1$ (par $(t_0:t_1) \mapsto +(t_0^{\deg h} : t_0^{\deg h}\,h(t_1/t_0))$, +cf. \ref{subsection-affine-vs-projective} ; ou, de façon équivalente, +en considérant $h$ comme un élément de $k(t) = k(\mathbb{P}^1)$ qui +définit donc un morphisme $\mathbb{P}^1 \to \mathbb{P}^1$). +L'inclusion $h^*$ est celle qui considère $k(u)$ pour $u = h(t)$ comme +un sous-corps de $k(t)$. Manifestement, le polynôme minimal de $t$ +sur $k(u)$ est justement $h(x)-u$ (écrit en l'indéterminée $x$), qui +est de degré $\deg h$, donc le degré de $h$ en tant que polynôme ou en +tant que morphisme est le même ! + +\textbf{Fonctorialité :} Si $C'' \buildrel h'\over\to C' \buildrel +h\over\to C$ sont deux morphismes entre courbes, on a $(h'\circ h)^* = +h^* \circ h^{\prime*}$, c'est-à-dire que $k(C)$ se voit à l'intérieur +de $k(C')$ quand celui-ci se voit à l'intérieur de $k(C'')$. Grâce à +la composition des degrés dans les extensions de corps, on a $\deg +(h'\circ h) = \deg(h') \cdot \deg(h)$. + +\begin{prop}\label{function-map-on-curves-is-fully-faithful} +Si $C, C'$ sont deux courbes sur $k$, où $C$ peut ne pas être lisse +(mais $C'$ est tenue de l'être), et si $\iota\colon k(C) \to k(C')$ +est une inclusion fixant $k$ du corps $k(C)$ dans $k(C')$, alors il +existe un unique morphisme $h\colon C' \to C$ de courbes sur $k$ tel +que $\iota = h^*$. +\end{prop} +\begin{proof}[Esquisse de démonstration] +Si $C \subseteq \mathbb{P}^d$, on peut considérer les rapports +$t_1/t_0, \ldots, t_d/t_0$ de coordonnées homogènes sur $\mathbb{P}^d$ +comme des éléments de $k(C)$. Leurs images par $\iota$ dans $k(C')$ +définissent un morphisme d'un ouvert non vide de $C'$ +vers $\mathbb{P}^d$, donc de tout $C'$ vers $\mathbb{P}^d$ +(cf. \ref{rational-function-on-a-curve-is-regular}), et comme ces +fonctions vérifient les équations de $C$ dans $\mathbb{P}^d$, on a un +morphisme $C' \buildrel h\over\to C$, qui vérifie $h^* = \iota$. De +plus, une fois $C$ plongé dans $\mathbb{P}^d$ comme on l'a fait, +c'était le seul morphisme possible, donc on a bien l'unicité. +\end{proof} + +\begin{cor}\label{degree-one-map-of-curves-is-isomorphism} +Si $C, C'$ sont deux courbes (lisses) sur $k$ et $h\colon C'\to C$ un +morphisme de degré $1$, alors $h$ est un isomorphisme. +\end{cor} +\begin{proof} +Dire que $h$ est un morphisme de degré $1$ signifie que $h^*$ est un +isomorphisme de $k(C)$ avec $k(C')$. Son isomorphisme réciproque peut +lui-même s'écrire sous la forme $g^*$ d'après la proposition qui +précède, et les relations de fonctorialité $(h\circ g)^* = g^* \circ +h^*$ et $(g \circ h)^* = h^* \circ g^*$ ainsi que l'unicité du +morphisme dans la proposition montrent que $h \circ g = \id_{C'}$ et +$g \circ h = \id_C$. +\end{proof} + +\medbreak + +Revenons brièvement sur le corps des fonctions d'une courbe. + +On sait que $k(C)$ est engendré (en tant que corps)\footnote{Ceci + signifie qu'il existe $x_1,\ldots,x_r \in k(C)$ tels que tout + sous-corps de $k(C)$ contenant $k$ et $x_1,\ldots,x_r$ soit $k(C)$ + tout entier.} par un nombre fini d'éléments au-dessus de $k$ (en +effet, si $U$ est un ouvert affine non-vide de $C$, alors +$\mathcal{O}(U)$ est une $k$-algèbre de type fini, et si +$x_1,\ldots,x_r$ en sont des générateurs, ils engendrent aussi $k(C) = +\Frac(\mathcal{O}(U))$ en tant que corps sur $k$). D'autre part, +remarquons que $k^{\alg} \cap k(C) = k$ (ce qui est clair si on a +décrit $k(C)$ comme les éléments de $k^{\alg}(C)$ fixes par Galois), +c'est-à-dire que tout élément de $k(C)$ algébrique sur $k$ est en fait +dans $k(C)$. Ces remarques sont pertinentes car : +\begin{prop} +Soit $K$ un corps contenant $k$, de degré de transcendance $1$ dessus, +engendré en tant que corps par un nombre fini d'éléments au-dessus +de $k$ (ou, de façon équivalente, $K$ est de degré \emph{fini} +sur $k(t)$ où $t \in K$ est transcendant sur $k$), et tel que $k$ soit +algébriquement fermé dans $K$. Alors $K$ est le corps des fonctions +$k(C)$ d'une certaine courbe (lisse) $C$ sur $k$. +\end{prop} + +Le corollaire suivant permet d'oublier les courbes non lisses : +\begin{cor} +Soit $C$ une courbe non nécessairement lisse. Alors il existe un +morphisme $\tilde C \to C$ depuis une courbe lisse $\tilde C$ +vers $C$, unique à isomorphisme unique près de $\tilde C$ +au-dessus\footnote{Ceci signifie que si $\tilde C \buildrel\nu\over\to + C$ et $\tilde C' \buildrel\nu'\over\to C$ sont deux morphismes comme + expliqué, alors il existe un unique isomorphisme $\tilde C' + \buildrel h\over\to \tilde C$ tel que $\nu' = h\circ \nu$.} de $C$, +qui soit de degré $1$, c'est-à-dire que $\nu^*$ identifie $k(C)$ +à $k(\tilde C)$. La courbe $\tilde C$ s'appelle la +\textbf{normalisation} de $C$. +\end{cor} +\begin{proof} +La proposition garantit qu'il existe une courbe lisse $\tilde C$ de +corps des fonctions $k(C)$. Le morphisme identité $k(C) \to k(\tilde +C)$ donne alors d'après \ref{function-map-on-curves-is-fully-faithful} +le morphisme $\nu \colon \tilde C \to C$ désiré. L'unicité est +analogue à \ref{degree-one-map-of-curves-is-isomorphism}. +\end{proof} + +\begin{cor} +Soit $C$ une courbe (lisse) sur un corps $k$. Si $K$ est un +sous-corps de $k(C)$ contenant $k$ et tel que $k(C)$ soit fini sur $K$ +(c'est-à-dire, de dimension finie comme $K$-espace vectoriel), alors +il existe une courbe $C_0$ et un morphisme $h\colon C \to C_0$, unique +à isomorphisme près de $C_0$ au-dessous de $C$, tel que $h^*$ plonge +$k(C_0)$ comme le sous-corps $K$ de $k(C)$. +\end{cor} +\begin{proof} +Le corps $K$ est de degré de transcendance $1$ sur $k$ car $k(C)$ est +algébrique sur $K$ ; et $k$ est algébriquement fermé dans $K$. Le +point non-évident est que $K$ est engendré par un nombre fini +d'éléments sur $k$ : mais $K$ contient un élément $t$ transcendant +sur $k$, et $k(C)$, donc $K$, est de degré fini sur $k(t)$. Ainsi $K$ +peut bien s'écrire comme $k(C_0)$ pour une certaine courbe $C_0$, et +l'inclusion $K = k(C_0) \to k(C)$ fournit un morphisme $C \to C_0$ +d'après \ref{function-map-on-curves-is-fully-faithful}. De nouveau, +l'unicité découle aussi +de \ref{function-map-on-curves-is-fully-faithful} de manière analogue +à \ref{degree-one-map-of-curves-is-isomorphism}. +\end{proof} + + + +% +\subsection{Ramification d'un morphisme} + +\begin{prop} +Si $h \colon C' \to C$ est un morphisme non constant entre courbes +sur $k$, pour tout point $P$ de $C'$ (sur $k^{\alg}$), il existe un +(unique) entier $e_P \geq 1$ tel que $\ord_P h^*(f) = e_P \ord_{h(P)} +f$ pour tout $f \in k(C)$. On appelle $e_P$ l'\textbf{indice de + ramification} de $h$ en $P$. +\end{prop} + +\begin{rmk}\label{ramification-of-functions-as-morphisms} +Si $h \in k(C)$ n'est pas constant, on peut considérer $h$ comme un +morphisme $C \to \mathbb{P}^1$ correspondant à l'inclusion $k(t) \cong +k(h) \subseteq k(C)$. En voyant $h$ comme $h^*(t)$, on voit que $e_P += \ord_P h$ pour tout $P$ tel que $h(P)=0$. Si $P$ est tel que $h(P) += \infty$ alors $e_P = -\ord_P h$. Enfin, si $h(P)$ n'est ni $0$ ni +$\infty$ alors $e_P = \ord_P (h-h(P))$. +\end{rmk} + +\begin{prop} +Pour $h \colon C' \to C$ un morphisme non constant entre courbes +sur $k$ et $P$ un point de $C'$ (sur $k^{\alg}$), l'indice de +ramification $e_P$ de $h$ en $P$ vaut $1$ ssi $h$ est lisse en $P$ +(c'est-à-dire que $dh_P \colon T_P C' \to T_P C$ est un +isomorphisme\footnote{La définition de la lissité demande seulement + que $dh_P$ soit surjective, mais comme les espaces au départ et à + l'arrivée ont même dimension, c'est alors un isomorphisme.} de +$k^{\alg}$-espaces vectoriels de dimension $1$, +cf. \ref{subsection-tangent-vectors-and-smooth-points} \textit{in + fine}). +\end{prop} + +\begin{prop}\label{sum-of-ramification-degrees} +Soit $h \colon C' \to C$ un morphisme non constant entre courbes +sur $k$. Pour tout point $Q$ de $C$, on a +\[ +\sum_{h(P)=Q} e_P = \deg h +\] +où la somme est prise sur tous les points $P$ de $C'$ (sur $k^{\alg}$) +tels que $h(P) = Q$. +\end{prop} +\begin{proof}[Idée-clé de démonstration] +Soit $U$ un ouvert affine de $C$ contenant $Q$, et $U' = h^{-1}(U)$ +son image réciproque dans $C'$ (qui est également affine) ; on +considère la $k$-algèbre $\mathcal{O}(U')/h^*\mathfrak{m}_Q +\mathcal{O}(U')$ des fonctions sur $U'$ modulo l'idéal +$h^*\mathfrak{m}_Q$ engendré par les $h\circ f$ avec $f \in +\mathcal{O}(U)$ : on peut montrer que cette $k$-algèbre +$\mathcal{O}(U')/h^*\mathfrak{m}_Q \mathcal{O}(U')$ est un $k$-espace +vectoriel de dimension $\deg h$. Mais le lemme +d'approximation \ref{approximation-lemma} permet de montrer que cette +algèbre est le produit d'algèbres $\mathcal{O}(U)/\mathfrak{m}_P +\mathcal{O}(U)$ où $\mathfrak{m}_P$ parcourt les idéaux maximaux tels +que $h(P)=Q$ (un seul par orbite sous Galois), et la dimension de ce +produit est $\sum_{h(P)=Q} e_P$ +d'après \ref{dimension-of-space-of-jets}. +\end{proof} + +\begin{cor}\label{principal-divisors-have-degree-zero} +Soit $C$ une courbe sur un corps $k$, et soit $f \in k(C)$ non +constant. Alors +\[ +\sum_P \ord_P(f) = 0 +\] +où la somme est prise sur tous les points $P$ de $C$. Plus +précisément, +\[ +\begin{array}{c} +\sum_{P\;:\;\ord_P(f)>0} \ord_P(f) = \deg f\\ +\sum_{P\;:\;\ord_P(f)<0} \ord_P(f) = -\deg f\\ +\end{array} +\] +\end{cor} +\begin{proof} +On a vu en \ref{ramification-of-functions-as-morphisms} que si $f$ est +vu comme un morphisme $C \to \mathbb{P}^1$, alors son indice de +ramification en un point $P$ de $C$ tel que $f(P) = 0$ est $e_P = +\ord_P(f)$, et en un point $P$ tel que $f(P) = \infty$ est $e_P = +-\ord_P(f)$. La proposition précédente permet de conclure. +\end{proof} + + + +% +\subsection{Diviseurs sur une courbe} + +\begin{defn} +Soit $C$ une courbe (lisse) sur un corps parfait $k$. On appelle +\textbf{diviseur} sur $C$ une combinaison linéaire formelle (finie) +$\sum n_P (P)$, à coefficients dans $\mathbb{Z}$, de $k^{\alg}$-points +de $C$, qui soit stable par l'action du groupe de Galois +absolu $\Gal(k)$ (ou, si on préfère, une combinaison linéaire formelle +de « points fermés » de $C$, chacun étant vu comme la somme d'une +orbite galoisienne). + +On appelle \textbf{degré} du diviseur $\sum n_P (P)$ l'entier $\sum +n_P$. +\end{defn} + +Si $f \in k(C)$ n'est pas constant, on peut notamment considérer les diviseurs +\[ +\begin{array}{c} +f^*((0)) := \sum_{P\;:\;\ord_P(f) > 0} \ord_P(f)\, (P)\\ +f^*((\infty)) := \sum_{P\;:\;\ord_P(f) < 0} -\ord_P(f)\, (P)\\ +f^*((0)-(\infty)) = \divis(f) := \sum_{P\in C} \ord_P(f)\, (P)\\ +\end{array} +\] +appelés respectivement \textbf{diviseur des zéros}, \textbf{diviseur + des pôles} et \textbf{diviseur principal} définis par $f$ +(différence des deux premiers). Le contenu du +corollaire \ref{principal-divisors-have-degree-zero} est que ces +diviseurs ont degré respectivement $\deg f$, $\deg f$ et $0$. + +Plus généralement, si $h \colon C' \to C$ est un morphisme non +constant entre courbes, et $D = \sum_P n_P (P)$ un diviseur sur $C$, +on définit $h^*(D) = \sum_Q n_{h(P)} e_Q (Q)$ qu'on appelle +\textbf{image réciproque} (ou \textbf{tiré en arrière}) de $D$ +par $h$ : il est clair que le diviseur des zéros $f^*((0))$ défini +ci-dessus est bien le tiré en arrière du diviseur $(0)$ +sur $\mathbb{P}^1$ par $f$ vu comme morphisme $C \to \mathbb{P}^1$. +Il est évident que le tiré en arrière d'un diviseur principal est +encore principal (en fait, $h^*(\divis(f)) = \divis(h\circ f)$). On +peut aussi définir l'\textbf{image directe} (ou \textbf{poussé en + avant}) par $h$ d'un diviseur $D' = \sum_Q n_Q (Q)$ sur $C'$ comme +$h_*(D') = \sum_Q n_Q (h(Q))$ : il est aussi vrai, mais un chouïa +moins évident, que l'image directe d'un diviseur principal est un +diviseur principal. + +\begin{prop} +Si $h \colon C' \to C$ est un morphisme non constant entre courbes, +pour tout diviseur $D$ sur $C$ on a +\[ +\begin{array}{c} +h_* h^* D = (\deg h)\, D\\ +\end{array} +\] +\end{prop} +\begin{proof} +C'est une conséquence immédiate de \ref{sum-of-ramification-degrees} +(et du fait qu'un morphisme non-constants entre courbes est +surjectif !, +cf. \ref{non-constant-morphisms-of-curves-are-surjective}). +\end{proof} + +\begin{defn} +On appelle \textbf{principal} un diviseur (de degré zéro) de la forme +$\divis(f) := \sum_{P\in C} \ord_P(f)\, (P)$ pour une certaine +fonction $f \in k(C)$ non constante. Les diviseurs principaux forment +un sous-groupe du groupe des diviseurs (car $\divis(fg) = +\divis(f)+\divis(g)$, cf. \ref{properties-valuation}) : on dit que +deux divieurs sont \textbf{linéairement équivalents} (notation : $D +\sim D'$) lorsque leur différence est un diviseur principal. Le +groupe des diviseurs (resp. diviseurs de degré $0$) modulo les +diviseurs principaux (=modulo équivalence linéaire) s'appelle +\textbf{groupe de Picard} (resp. groupe de Picard de degré zéro) de la +courbe $C$, noté $\Pic(C)$ (resp. $\Pic^0(C)$). +\end{defn} + +\textbf{Exemple :} Sur $\mathbb{P}^1$, pour tout diviseur $\sum n_P +(P)$ de degré zéro, on peut trouver une fraction rationnelle $\prod +(t-P)^{n_P}$ qui a les ordres $n_P$ à ceux des points $P$ qui sont +dans $\mathbb{A}^1$, et le degré à l'infini sera automatiquement le +bon puisque $\sum n_P = 0$. Ceci montre que \emph{tout diviseur de + degré zéro sur $\mathbb{P}^1$ est principal}, donc que +$\Pic^0(\mathbb{P}^1) = 0$, et $\Pic(\mathbb{P}^1) = \mathbb{Z}$. + +On a un morphisme de degré $\deg\colon \Pic(C) \to \mathbb{Z}$, dont +le noyau est $\Pic^0(C)$. Si la courbe $C$ vérifie $C(k) \neq +\varnothing$, c'est-à-dire qu'il existe $P$ un $k$-point sur $C$, +alors tout diviseur peut s'écrire comme somme de $n (P)$ et d'un +diviseur de degré zéro, et il est facile de voir que $\Pic(C) = +\Pic^0(C) \oplus \mathbb{Z}$ (où $\mathbb{Z}$ désigne +$\mathbb{Z}\cdot(P)$, le groupe des diviseurs de la forme $n (P)$). + +\emph{Attention :} Pour une fois, le slogan « rationnel = fixe par + Galois » n'est pas vérifié : quand $C$ est une courbe sur un corps +$k$ parfait non algébriquement clos, il faut bien distinguer le groupe +de Picard rationnel $\Pic C$ de $C$, c'est-à-dire les diviseurs +stables par Galois modulos ceux de la forme $\divis(f)$ avec $f \in +k(C)$, et le groupe de Picard fixé par Galois noté $(\Pic +C_{k^{\alg}})^{\Gal(k)}$, c'est-à-dire les classes des diviseurs $D$ +tels que $\sigma(D)$ soit linéairement équivalent à $D$ +(sur $k^{\alg}$) pour tout $\sigma \in \Gal(k)$. Néanmoins, certains +auteurs appellent (à tort) $\Pic C$ ce deuxième groupe (d'autres +encore appellent $\Pic C$ tout le groupe de Picard géométrique $\Pic +C_{k^{\alg}}$) : il faut donc faire attention à qui utilise quoi. + + + +% +\subsection{Différentielles} + +\begin{prop} +Soit $C$ une courbe (lisse) sur un corps $k$. Il existe un +$k(C)$-espace vectoriel de dimension $1$, noté\footnote{Notation + abusive, en fait. Une bonne notation serait $\Omega^1_{C/k} + \otimes_{\mathcal{O}_C} k(C)$, mais c'est un peu encombrant.} +$\Omega^1_C$ et appelé \textbf{espace des (formes) différentielles + méromorphes} sur $C$, et une application $k$-linéaire $d\colon k(C) +\to \Omega^1_C$, vérifiant les conditions suivantes : +\begin{itemize} +\item on a $dc = 0$ pour $c \in k$, +\item on a $d(fg) = f\,dg + g\,df$ pour $f,g\in k(C)$, +\item si $t \in k(C)$ vérifie $\ord_P(t) = 1$ en au moins un + point alors $dt \neq 0$, +\end{itemize} +et ces conditions caractérisent à isomorphisme près $\Omega^1_C$ muni +de l'application $d\colon k(C) \to \Omega^1_C$. +\end{prop} + +La moralité est que $\frac{df}{dt}$ a un sens, comme élément de +$k(C)$, dès que $f$ et $t$ sont deux éléments de $k(C)$ et que $t$ est +une uniformisante en au moins un point ou simplement\footnote{Si $k$ + est de caractéristique zéro, cette condition est réalisée dès que + $t$ n'est pas constant.} que $dt \neq 0$. + +\textbf{Remarque :} On peut relier $\frac{df}{dt} \in k(C)$ à ce qui a +été fait en \ref{subsection-tangent-vectors-and-smooth-points} de la +façon suivante : si $Q$ est un point de $C$ tel que $t$ et $f$ soient +régulières en $Q$, on peut voir $t$ et $f$ comme deux morphismes $U +\to \mathbb{A}^1$ pour un certain voisinage (affine, disons) $U$ +de $Q$, on a des applications linéaires $dt_Q\colon T_Q C \to +k^{\alg}$ et $df_Q\colon T_Q C \to k^{\alg}$, et la valeur de +$\frac{df}{dt}$ en $Q$ est le rapport entre ces deux applications +linéaires (ceci a bien un sens car ce sont des applications entre +espaces de dimension $1$). + +\begin{prop}\label{order-of-derivative} +Soit $C$ une courbe (lisse) sur un corps $k$, $P$ un point de $C$ et +$t$ une uniformisante en $P$ (i.e., $\ord_P(t) = 1$). Pour $f \in +k(C)$, on a +\begin{itemize} +\item $\ord_P(df/dt) = \ord_P(f)-1$ si $\ord_P(f) \neq 0$, et +\item $\ord_P(df/dt) \geq 0$ si $\ord_P(f) = 0$. +\end{itemize} +\end{prop} + +(Ces propriétés découlent des propriétés correspondantes des +polynômes.) + +\begin{defn} +Si $C$ est une courbe (lisse) sur un corps $k$, $P$ un point de $C$ +(sur $k^{\alg}$) et $\omega \in \Omega^1_C$, on définit +\[ +\ord_P(\omega) = \ord_P(\omega/dt) +\] +où $t \in k(C)$ est tel que $\ord_P(t) = 1$ (=est une uniformisante +en $P$). Cette définition ne dépend pas du choix de $t$. + +Si $\omega \neq 0$, le diviseur $\divis(\omega) := \sum_P +\ord_P(\omega) (P)$ s'appelle \textbf{diviseur canonique} de la forme +différentielle $\omega$. +\end{defn} + +La définition de $\ord_P(\omega)$ ne dépend pas du choix de $t$, car +si $t' = u t$ où $\ord_P(u) = 0$, alors $dt'/dt = u + t\,(du/dt)$, et +$\ord_P(du/dt) \geq 0$ d'après \ref{order-of-derivative} donc +$\ord_P(t\,(du/dt)) \geq 1$, ce qui assure $\ord_P(dt'/dt) = 0$, et +donc $\ord_P(\omega/dt') = \ord_P(\omega/dt)$. + +La définition qu'on vient de faire permet de reformuler la +proposition \ref{order-of-derivative} en : + +\begin{prop}\label{order-of-differential} +Soit $C$ une courbe (lisse) sur un corps $k$, et $P$ un point de $C$. +Pour $f \in k(C)$, on a +\begin{itemize} +\item $\ord_P(df) = \ord_P(f)-1$ si $\ord_P(f) \neq 0$, et +\item $\ord_P(df) \geq 0$ si $\ord_P(f) = 0$. +\end{itemize} +\end{prop} + +\textbf{Exemple :} Soit $t$ la coordonnée affine sur $\mathbb{A}^1$, +vue comme élément de $k(\mathbb{P}^1) = k(t)$. Alors $dt$ a pour +ordre $0$ en tout $P \neq \infty$ (en $P=0$ c'est clair d'après la +proposition qui précède, et en tout autre $P \in \mathbb{A}^1$ on peut +remarquer que $dt = d(t-P)$ d'après les règles de calcul, donc de même +$dt$ est d'ordre $0$) ; en $\infty$, en revanche, son ordre est $-2$ +puisque l'ordre de $t$ est $-1$. On a donc $\divis(dt) = -2(\infty)$. + +\medbreak + +La classe de $\divis(\omega)$ dans $\Pic(C)$ ne dépend pas du choix +de $\omega \neq 0$, puisque visiblement $\divis(f\omega) = \divis(f) + +\divis(\omega)$. Cette classe s'appelle la \textbf{classe canonique} +dans $\Pic(C)$ (très souvent notée $K$). On vient par exemple de voir +que la classe canonique de $\mathbb{P}^1$ est de degré $-2$. + +\textbf{Exemple :} Soit $C$ la courbe d'équation $y^2 = h(x)$ où $h(t) +\in k[t]$ est de degré $3$ (c'est-à-dire, $C$ la complétée projective +de cette courbe affine, complétée d'équation $Z Y^2 = Z^3 h(X/Z)$ si +$X,Y,Z$ sont les coordonnées homogènes avec $y = Y/Z$ et $x = X/Z$). +Soit $h(t) = (t-\lambda_1) (t-\lambda_2) (t-\lambda_3)$ la +factorisation de $h$ sur $k^{\alg}$. Outre les points affines, la +courbe $C$ a un unique point à l'infini noté $O$ (en coordonnées +homogènes, $X=Z=0$). Le diviseur de la fonction $y$ sur $C$ est +$(P_1) + (P_2) + (P_3) - 3(O)$ où $P_i$ est le point de coordonnées +affines $(\lambda_i,0)$ (ce sont les trois points où $y$ s'annule, +alors que $O$ est le point où $y$ a un pôle triple). Le diviseur de +$x-\lambda_i$ est $2(P_i) - 2(O)$, d'où il résulte que $dx$ a un +ordre $1$ en chaque $P_i$ et $-3$ en $O$, et $0$ partout ailleurs. +Autrement dit, le diviseur de $dx$ est le même que celui de $y$, ou, +si on veut, la différentielle $\omega := dx/y$ a un ordre $0$ partout. +Ceci signifie que la classe canonique $K$ sur $C$ est \emph{nulle}. + + + +% +\subsection{Le théorème de Riemann-Roch} + +\begin{defn} +Un diviseur $D$ sur une courbe $C$ est dit \textbf{effectif}, noté $D +\geq 0$, lorsque $D$ est combinaison de points à coefficients +positifs : $D = \sum n_P (P)$ avec $n_P \geq 0$ pour tout $P$. + +Si $D = \sum n_P (P)$ est un diviseur (non nécessairement effectif) +sur une courbe $C$, on note $\mathscr{L}(D)$ ou parfois +$\mathcal{O}(D)$ le $k$-espace vectoriel $\{f \in k(C) : \divis(f)+D +\geq 0\}$ des fonctions rationnelles sur $C$ vérifiant $\ord_P(f) \geq +-n_P$ pour tout point $P$ de $C$. (S'il faut lui donner un nom, c'est +« l'(ensemble des sections globales du) faisceau associé à $D$ ».) +\end{defn} + +\begin{rmk} +Si $D$ et $D'$ sont linéairement équivalents, alors $\mathscr{L}(D) +\cong \mathscr{L}(D')$ comme $k$-espaces vectoriels. En effet, si $D += D' + \divis(g)$ et $f \in \mathscr{L}(D)$ alors $\divis(fg) + D' = +\divis(f) + D \geq 0$ donc $fg \in \mathscr{L}(D')$ et réciproquement. +On peut donc considérer que $\mathscr{L}(D)$ ne dépend que de la +classe de $D$ dans $\Pic(C)$. + +D'autre part, l'ensemble $\{\omega \in \Omega^1_C : \divis(\omega) +\geq 0\}$ (des différentielles « holomorphes ») peut être identifié à +$\mathscr{L}(K)$ pour les mêmes raisons. (Et plus généralement, +$\mathscr{L}(K-D)$ peut être identifié à $\{\omega \in \Omega^1_C : +\divis(\omega)-D \geq 0\}$.) +\end{rmk} + +\begin{prop} +Le $k$-espace vectoriel $\mathscr{L}(D)$ est de dimension finie. +\end{prop} + +On note $l(D)$ cette dimension. Notons par exemple que $l(0) = 1$ (le +diviseur nul, à ne pas confondre avec le diviseur $(0)$ +sur $\mathbb{P}^1$ !), puisque $\mathscr{L}(0) = \mathcal{O}(C) = k$ +(les seules fonctions régulières partout sont les constantes, +d'après \ref{basic-ord-facts}). + +\begin{prop}\label{negative-degree-divisors-have-no-sections} +\begin{itemize} +\item Si $\deg D < 0$ alors $l(D) = 0$. +\item Si $\deg D = 0$ et $l(D) \neq 0$ alors $l(D) = 1$ et $D \sim 0$. +\end{itemize} +\end{prop} +\begin{proof} +Dire que $l(D) \neq 0$ signifie que pour un certain $f$ on a $D' := +\divis(f) + D \geq 0$. Or le degré de $\divis(f)$ est nul (et le +degré d'un diviseur effectif $D'$ est évidemment positif), donc le +degré de $D$ est $\geq 0$. De plus, si le degré de $D$ (donc de $D'$) +est nul, cela signifie que $\divis(f) + D' = 0$, c'est-à-dire $D \sim +0$, qui entraîne $l(D) = 1$. +\end{proof} + +\begin{thm}[Riemann-Roch] +Il existe un entier $g \geq 0$, appelé \textbf{genre} de $C$ tel que +pour tout diviseur $D$ on ait, en notant $K$ un diviseur canonique : +\[ +l(D) - l(K-D) = \deg D + 1 - g +\] +\end{thm} + +\begin{cor}\label{degree-of-canonical-divisor} +\begin{itemize} +\item Pour $K$ un diviseur canonique sur une courbe $C$, on a : +\[ +\begin{array}{c} +l(K) = g\\ +\deg(K) = 2g-2\\ +\end{array} +\] +\item Si $D$ est un diviseur avec $\deg D > 2g-2$, alors $l(D) = \deg + D + 1 - g$. +\end{itemize} +\end{cor} +\begin{proof} +Pour la première affirmation, appliquer Riemann-Roch à $D=0$ donne +$1-l(K) = 0+1-g$, d'où $l(K) = g$ ; puis à $D=K$ donne $g-1 = \deg K + +1 - g$ d'où $\deg K = 2g-2$. Pour la seconde affirmation, on utilise +\ref{negative-degree-divisors-have-no-sections} pour conclure que +$l(K-D) = 0$. +\end{proof} + +\textbf{Remarque :} Si $C$ est une courbe sur un corps $k$, alors le +genre de $C$ est égal au genre de $C_{k^{\alg}}$. En effet, un +diviseur canonique $K$ sur $C$ est encore un diviseur canonique quand +on le voit sur $C_{k^{\alg}}$, et son degré, censé valoir $2g-2$ est +le même qu'on le voie d'une façon ou d'une autre. On dit que le genre +est un \emph{invariant géométrique}. + +S'agissant de $\mathbb{P}^1$, on a vu que $\deg(K) = -2$ donc $g=0$. +La réciproque est vraie : +\begin{cor} +Soit $C$ une courbe (lisse !) de genre $0$ sur un corps algébriquement +clos : alors $C$ est isomorphe à $\mathbb{P}^1$. +\end{cor} +\begin{proof} +Soient $P,Q$ deux points distincts de $C$ : on applique Riemann-Roch +au diviseur $D := (P)-(Q)$. Comme $\deg D = 0 > -2 = 2g-2$, le +corollaire précédent montre que $l(D) = 1$. +Mais \ref{negative-degree-divisors-have-no-sections} montre que $D +\sim 0$, c'est-à-dire qu'il existe $f \in k(C)$ tel que $\divis(f) = +(P) - (Q)$. En considérant $f$ comme un morphisme $C \to +\mathbb{P}^1$, on voit que $\deg f = 1$ +(cf. \ref{principal-divisors-have-degree-zero}), donc $f$ est un +isomorphisme (cf. \ref{degree-one-map-of-curves-is-isomorphism}). +\end{proof} + +\emph{Remarque :} Cette démonstration utilise le fait que $k$ est +algébriquement clos pour pouvoir fabriquer le diviseur $(P)-(Q)$ comme +différence de deux diviseurs de degré $1$. En fait, on peut faire +mieux : il suffit que $C(k)$ soit non-vide (démonstration : si $P \in +C(k)$, Riemann-Roch appliqué au diviseur $(P)$ montre que $l((P)) = +2$, donc il existe une fonction $f$ non-constante, admettant au plus +un pôle simple en $P$, donc admettant effectivement un pôle simple +en $P$ d'après \ref{basic-ord-facts}, et du coup $\divis(f)$, qui doit +être de degré $0$, est de la forme $(P) - (Q)$, et le reste est comme +ci-dessus). On ne peut pas se dispenser de cette hypothèse $C(k) \neq +\varnothing$ : si $C$ est la conique\footnote{En fait, on peut montrer + que toute courbe de genre $0$ peut s'écrire comme une conique + plane.} d'équation projective $t_0^2 + t_1^2 + t_2^2 = 0$ dans +$\mathbb{P}^2$ sur les réels, qui a $C(\mathbb{R}) = \varnothing$, +alors $C$ a pour genre $0$ car le genre est un invariant géométrique +(cf. ci-dessus) et que, sur les complexes, cette conique est isomorphe +au cercle (quitte à changer $t_0$ en $i t_0$) donc à $\mathbb{P}^1$ +(cf. introduction et exemples +de \ref{subsection-quasiprojective-varieties-and-morphisms}). +Pourtant, $C$ \emph{n'est pas} isomorphe à $\mathbb{P}^1$ sur les +réels, précisément parce que $C(\mathbb{R}) = \varnothing$ alors que +$\mathbb{P}^1(\mathbb{R}) \neq \varnothing$ ! + +\begin{cor} +Si $C$ est une courbe, tout ouvert $U$ de $C$ autre que $C$ tout +entier est affine. (Cf. \ref{approximation-lemma} pour un contexte +utile de ce résultat.) +\end{cor} +\begin{proof}[Démonstration (partielle)] +Le cas $U=\varnothing$ est vrai (on a $U = \Spec 0$ où $0$ désigne +l'anneau nul) mais inintéressant : supposons donc $U$ non vide. + +On admet\footnote{Il n'y a pas d'arnaque : c'est là un résultat + beaucoup plus facile et moins profond que Riemann-Roch ; il s'agit + de dire que $f$ est un morphisme « fini », donc en particulier + « affine » c'est-à-dire que l'image réciproque d'un ouvert affine + est affine.} le résultat suivant : si $f \colon C \to C_0$ est un +morphisme non-constant de courbes, alors l'image réciproque par $f$ de +tout ouvert affine de $C_0$ est affine. + +Soit $P$ un point du complémentaire de $U$ : le théorème de +Riemann-Roch, et notamment le corollaire \ref{degree-of-canonical-divisor}, montre que si $n$ +est assez grand, alors $l(n(P)) > 1$, autrement dit, il existe une +fonction $f \in k(C)$ non constante et régulière partout sauf en $P$ +(où elle ne peut pas être régulière). En considérant $f$ comme un +morphisme $C \to \mathbb{P}^1$, on voit alors que $U' := C +\setminus\{P\} = f^{-1}(\mathbb{A}^1)$, et d'après le résultat admis, +$U'$ est affine. Le lemme d'approximation \ref{approximation-lemma} +montre que si $Q_1,\ldots,Q_s$ sont les points de $U'\setminus U$, il +existe une fonction $h$ ayant un pôle d'ordre $1$ en chacun des $Q_i$ +et régulière sur tout $U \setminus \{Q_i\}$ ; si de plus on exige que +$h$ ait un zéro d'ordre très élevé (c'est-à-dire supérieur à $s$) en +un quelconque autre point $R$ (ce que le lemme d'approximation permet +toujours de faire), on assure que $h$ aura aussi un pôle en $P$ +d'après \ref{principal-divisors-have-degree-zero}. Autrement dit, +ceci assure que $U = h^{-1}(\mathbb{A}^1)$ (en voyant de nouveau $h$ +comme un morphisme $C \to \mathbb{P}^1$), ce qui conclut. +\end{proof} + + + +% +% +% +\end{document} |