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diff --git a/notes-geoalg-2011.tex b/notes-geoalg-2011.tex index f61895f..bc12fc8 100644 --- a/notes-geoalg-2011.tex +++ b/notes-geoalg-2011.tex @@ -1685,11 +1685,291 @@ Pour les fonctions régulières, on a ce qu'on imagine : un morphisme $X $X_{k^{\alg}}$ stable par Galois, et c'est ce qu'on appelle une fonction régulière sur $X$. Lorsque $X = Z(I) \subseteq \mathbb{A}^d$ est affine (avec $I = \mathfrak{I}(X)$ idéal de $k[t_1,\ldots,t_d]$), -les fonctions régulières sur $X$ sont les éléments de -$k[t_1,\ldots,t_d]/I$. En général, on peut toujours définir une -fonction régulière sur $X$ par recollement de fonctions régulières sur -des ouverts affines (c'est-à-dire : on peut le faire \emph{sur $k$}, -il n'y a pas besoin de passer à la clôture algébrique). +les fonctions régulières sur $X$ sont les éléments de $\mathcal{O}(X) +:= k[t_1,\ldots,t_d]/I$, qui est donc plus petit que +$\mathcal{O}(X_{k^{\alg}}) = k^{\alg}[t_1,\ldots,t_d]/I_{k^{\alg}}$. +En général, on peut toujours définir une fonction régulière sur $X$ +par recollement de fonctions régulières sur des ouverts affines +(c'est-à-dire : on peut le faire \emph{sur $k$}, il n'y a pas besoin +de passer à la clôture algébrique). + + + +% +% +% + +\section{Quelques résultats fondamentaux de la géométrie algébrique} + +\subsection{L'opposition affine-projectif} + +\begin{thm}\label{projective-to-affine-morphisms-are-constant} +Tout morphisme d'une variété projective connexe vers une variété +affine est constant. (En particulier, toute fonction régulière sur +une variété projective, c'est-à-dire morphisme vers $\mathbb{A}^1$, +est constant sur chaque composante connexe.) +\end{thm} + + +% +\subsection{La dimension} + +\textbf{Rappel :} Si $K$ est un corps contenant un corps $k$, on dit +que des éléments $x_i$ de $K$ sont \textbf{algébriquement + indépendants} (comprendre : « collectivement transcendants ») +sur $k$ lorsque les seuls polynômes $f \in k[t_1,\ldots,t_d]$ tel que +$f(x_{i_1},\ldots,x_{i_d}) = 0$ pour certains $i_1,\ldots,i_d$ deux à +deux distincts sont les polynômes nuls. Ceci est équivalent au fait +que le sous-corps $k(x_i)$ de $K$ engendré par les $x_i$ avec $k$ est +isomorphe au corps des fractions rationnelles sur autant +d'indéterminées que de $x_i$ (il est plus simple de penser au cas où +les $x_i$ sont en nombre fini, qui nous suffira). On appelle +\textbf{base de transcendance} de $K$ sur $k$ un ensemble maximal +d'éléments algébriquement indépendants, c'est-à-dire, un ensemble de +$x_i$ algébriquement indépendants sur $k$ et tels que $K$ soit +algébrique sur le sous-corps $k(x_i)$ qu'ils engendrent au-dessus +de $k$. Une base de transcendance de $K$ sur $k$ existe toujours, et +toutes ont le même cardinal : on appelle celui-ci \textbf{degré de + transcendance} de $K$ sur $k$ et on le note $\degtrans_k(K)$. + +Par exemple, $\degtrans_k k(t_1,\ldots,t_d) = d$ (où +$k(t_1,\ldots,t_d)$ désigne le corps des fractions rationnelles en $d$ +indéterminées sur $k$). Lorsque $K$ est algébrique sur $k$, on a +$\degtrans_k K = 0$ et réciproquement. Par ailleurs, lorsque $k +\subseteq K \subseteq L$ sont trois corps, on a toujours $\degtrans_k L += \degtrans_k K + \degtrans_K L$. + +\begin{defn}\label{definition-rational-function-and-dimension} +Si $X$ est une variété \emph{irréductible} sur un corps $k$, on appelle +\textbf{fonction rationnelle} sur $X$ une fonction régulière sur un +ouvert non-vide=dense quelconque de $X$, en identifiant deux fonctions +si elles coïncident sur l'intersection de leur domaine de définition ; +on note $k(X)$ l'ensemble des fonctions régulières sur $X$. Lorsque +$X$ est une variété affine irréductible, $k(X)$ est le corps des +fractions (noté $k(X)$) de $\mathcal{O}(X)$ (=l'anneau des fonctions +régulières sur $X$, qui est intègre). De façon générale, $k(X)$ +coïncide avec $k(U)$ pour n'importe quel ouvert non-vide=dense $U$ +de $X$ (on peut donc définir $k(X) = \Frac \mathcal{O}(U)$ pour $U$ un +ouvert affine dense de $X$). + +On appelle \textbf{dimension de $X$} le degré de transcendance sur $k$ +de $k(X)$. +\end{defn} + +Pour $\mathbb{A}^d$ ou $\mathbb{P}^d$, le corps des fractions +rationnelles est $k(t_1,\ldots,t_d)$ et +$k(\frac{t_1}{t_0},\ldots,\frac{t_d}{t_0})$. La dimension de +$\mathbb{A}^d$ ou $\mathbb{P}^d$ est donc $d$. De façon générale, +d'après ce qu'on vient de dire, la dimension d'une variété +irréductible est égale à celle de n'importe lequel de ses ouverts +non-vides. + +(Lorsque $X$ n'est pas irréductible, on appelle dimension de $X$ la +plus grande dimension d'une composante irréductible de $X$. Parfois +on convient que la dimension du vide est $-1$.) + +La dimension de $X$ est une notion « géométrique » : on a $\dim X = +\dim X_{k^{\alg}}$. + +\begin{thm}[Hauptidealsatz de Krull]\label{hauptidealsatz} +Soit $X$ une variété irréductible de dimension $d$ et $f \in +\mathcal{O}(X)$ un élément qui n'est pas inversible (c'est-à-dire +$Z(f) \neq\varnothing$) et pas nul. Alors chaque composante +irréductible de $Z(f)$ est de dimension $d-1$. + +Variante projective : si $X$ est une variété irréductible de +dimension $d$ dans $\mathbb{P}^e$ et $f$ homogène non constant (en +$e+1$ variables). Alors chaque composante irréductible de $X \cap +Z(f)$ est de dimension $d-1$, \emph{et de plus $X \cap Z(f)$ n'est pas + vide}\footnote{On rappelle que « non vide » signifie ici que la + variété a des points sur $k^{\alg}$ algébriquement clos, pas + nécessairement qu'elle a des $k$-points.} lorsque $d\geq 1$. +\end{thm} + +\begin{cor} +Si $f_1,\ldots,f_r$ sont des polynômes homogènes en $e+1$ variables, +avec $r \leq e$, alors $Z(f_1,\ldots,f_r) \neq \varnothing$, +c'est-à-dire que sur $k$ corps algébriquement clos, les $r$ équations +$f_i=0$ ont une solution (non-nulle) commune. +\end{cor} + +De plus, $Z(f_1,\ldots,f_r)$ est de dimension \emph{au moins} $e-r$. +Il peut évidemment être de dimension plus grande (les $f_i$ pourraient +être tous égaux, par exemple). Lorsqu'il est exactement de dimension +$e-r$, on dit que les $f_i$ sont \emph{en intersection complète} +(projective, globale). + +\begin{cor} +Si $X$ est une variété algébrique (quasiprojective) irréductible de +dimension $d$, alors le seul fermé $Y$ de $X$ tel que $\dim Y = d$ est +$X$ lui-même. Par ailleurs, il existe toujours des fermés +irréductibles $Y$ de dimension $d-1$ dans $X$. + +(Autrement dit, on peut définir la dimension de $X$ comme $1 + +\max\dim Y$ où le $\max$ est pris sur tous les fermés irréductibles +de $X$.) +\end{cor} + +\begin{thm} +Soit $f\colon Z\to X$ un morphisme de variétés algébriques +(quasiprojectives) irréductibles, surjectif (au sens où pour tout $x +\in X$ il existe $z \in Z$ tel que $x = f(z)$, $x,z$ étant des points +sur un corps $k^{\alg}$ algébriquement clos,, cf. la section +suivante), et soit $d = \dim X$ et $e = \dim Z$. Alors $e \geq d$, et +de plus : +\begin{itemize} +\item Si $x \in X$, alors toute composante de $f^{-1}(x)$ (cf. section + suivante) est de dimension \emph{au moins} $e-d$. +\item Il existe un ouvert non vide (donc dense) $U \subseteq X$ tel + que $\dim f^{-1}(x) = e - d$ (au sens où toute composante + irréductible de $f^{-1}(x)$ a cette dimension) si $x \in U$. +\end{itemize} +\end{thm} + + +% +\subsection{L'image d'un morphisme}\label{image-of-a-morphism} + +Si $X \buildrel f\over\to Y$ est un morphisme entre variétés +quasiprojectives et $Y' \subseteq Y$ un fermé ou un ouvert (ou +l'intersection d'un fermé et d'un ouvert) dans $Y$, il est facile de +définir l'\emph{image réciproque} de $Y'$ par $f$ : il suffit de +« tirer » les équations de $Y'$ de $Y$ à $X$, c'est-à-dire écrire les +équations $h\circ f = 0$ pour chaque équation $h = 0$ de $Y'$ (et +pareil avec $\neq 0$ si on a affaire à un ouvert). + +Définir l'\emph{image (directe)} d'un $X' \subseteq X$ est plus +délicat. Quitte à restreindre $f$ à $X'$, on peut supposer $X' = X$, +et la question devient celle définir l'image de $f$ : notamment, si +$k$ est algébriquement clos, quel est l'ensemble des $y \in Y(k)$ tels +qu'il existe $x \in X(k)$ pour lequel $f(x) = y$ ? + +\begin{thm}[Chevalley]\label{image-of-a-morphism-chevalley} +\begin{itemize} +\item L'image d'un morphisme $X \buildrel f\over\to Y$ entre variété + quasiprojectives est localement fermée dans $Y$, au sens suivant : + il existe $Y' \subseteq Y$ l'intersection d'un ouvert et d'un fermé + dans $Y$ (c'est-à-dire une sous-variété quasiprojective de $Y$) + telle que $y \in Y'$ (point sur un corps $k^{\alg}$ algébriquement + clos) si et seulement si il existe $x \in X(k)$ pour lequel $f(x) = + y$. +\item Si $X$ est projective, alors l'image d'un morphisme $X \buildrel + f\over\to Y$ est un \emph{fermé} dans $Y$. +\item Variante : si $X$ est projective et $Y$ quasiprojective, la + seconde projection $X\times Y \to Y$ est une application fermée au + sens où l'image d'un fermé de $X \times Y$ dans $Y$ est un fermé. +\end{itemize} +\end{thm} + + +% +\subsection{Vecteurs tangents et points lisses} +\label{subsection-tangent-vectors-and-smooth-points} + +Si $X = Z(I) \subseteq \mathbb{A}^d$ est une variété affine où $I$ est +un idéal radical engendré par $f_1,\ldots,f_r \in k[t_1,\ldots,t_d]$, +et si $x \in X(k)$ (on prendra généralement $k$ algébriquement clos +ici), on appelle \textbf{vecteur tangent à $X$ en $x$} un élément du +noyau de la matrice $\frac{\partial f_i}{\partial + t_j}(x_1,\ldots,x_d)$ (c'est-à-dire un $d$-uplet $v_1,\ldots,v_d$ +tel que $\sum_{j=1}^d \frac{\partial f_i}{\partial + t_j}(x_1,\ldots,x_d)\, v_j = 0$). Intuitivement, il faut comprendre +un tel élément comme un vecteur basé en $(x_1,\ldots,x_d)$ et le +reliant à $(x_1+v_1 \varepsilon, \ldots, x_d+v_d\varepsilon)$ avec +$\varepsilon$ infinitésimal (en fait, $\varepsilon^2=0$). L'espace +vectoriel des vecteurs tangents à $X$ en $x$ (ou simplement +\textbf{espace tangent à $X$ en $x$}) se note $T_x X$. + +Si $X$ est une variété algébrique quasiprojective quelconque, on +rappelle que tout point $x \in X$ a un voisinage affine $V$, et on +définit alors $T_x X = T_x V$. (Cette définition passe sous silence +un certain nombre de choses, par exemple la manière dont on identifie +$T_x V$ et $T_x V'$ si $V,V'$ sont deux voisinages affines différents +du même point $x$, à commencer par le fait qu'ils ont la même +dimension.) + +\medbreak + +\begin{prop} +Si $X$ est une variété irréductible sur un corps $k$ (algébriquement +clos), pour tout $x \in X(k)$ on a $\dim_k T_x X \geq \dim X$. +\end{prop} + +Un point $x$ tel que l'espace tangent $T_x X$ à $X$ en ce point soit +d'une dimension (comme espace vectoriel) égale à la dimension de $X$ +(comme variété algébrique), c'est-à-dire la dimension maximale que +peut avoir cet espace tangent, est appelé un point \textbf{lisse} (ou +\textbf{régulier}, ou \textbf{nonsingulier}) de $X$. Lorsque tout +point de $X$ (sur un corps algébriquement clos !) est lisse, on dit +que $X$ lui-même est lisse (ou régulier) (sur son corps de base). + +(Pour une variété réductible, un point situé sur une seule composante +irréductible est dit lisse lorsqu'il est lisse sur la composante en +question ; et un point situé sur plusieurs composantes irréductibles à +la fois n'est jamais lisse --- on peut prendre ça comme définition ou +le montrer en prenant comme définition de la lissité le fait que la +dimension de l'espace tangent au point considéré soit égale à la plus +grande dimension d'une composante irréductible passant par ce point.) + +\begin{prop} +Soit $X$ une variété quasiprojective sur un corps algébriquement +clos $k$ : alors les points lisses de $X$ forment un ouvert de +Zariski. +\end{prop} +\begin{proof} +L'affirmation est locale, donc on peut supposer $X$ affine. Si $X$ +est de codimension $r$ (c'est-à-dire de dimension $d-r$ +dans $\mathbb{A}^d$), le fait que $x$ soit lisse se traduit par le +fait que la matrice des dérivées partielles en $x$ des équations +définissant $X$ est de rang \emph{au moins} $r$ (sachant qu'elle ne +peut pas être strictement supérieure). Or ceci se traduit par le fait +qu'il existe un mineur $r\times r$ de cette matrice qui ne s'annule +pas : la réunion des ouverts définis par tous les mineurs $r\times r$ +(qui sont bien polynomiaux dans les variables) donne bien une +condition ouverte de Zariski. +\end{proof} + +\begin{rmk} +\begin{itemize} +\item D'après \ref{hauptidealsatz}, une hypersurface $Z(f)$ + dans $\mathbb{A}^d$, pour $f$ non constant, est de dimension $d-1$, + donc elle est lisse ssi aucun point de $Z(f)$ n'annule simultanément + les $d$ dérivées partielles de $f$. Grâce au Nullstellensatz, ceci + peut encore se reformuler en : $Z(f)$ est lisse ssi les polynômes + $f$ et $\frac{\partial f}{\partial t_i}$ (soit $d+1$ polynômes au + total) engendrent l'idéal unité de $k[t_1,\ldots,t_d]$. +\item Variante projective : pour $f$ homogène de degré non nul dans + $k[t_0,\ldots,t_d]$, on peut montrer que $Z(f) \subseteq + \mathbb{P}^d$ est lisse ssi les polynômes $\frac{\partial + f}{\partial t_i}$ n'ont aucun zéro commun sur $k$ (algébriquement + clos !), car un zéro commun des $\frac{\partial f}{\partial t_i}$ + est forcément zéro de $f = \sum_{i=0}^d t_i \frac{\partial + f}{\partial t_i}$. Grâce au Nullstellensatz projectif, on peut + encore reformuler cela en : les $\frac{\partial f}{\partial t_i}$ + engendrent un idéal irrelevant. +\item Quand $X = Z(f_1,\ldots,f_r)$ (affine, disons + dans $\mathbb{A}^d$) est définie par plusieurs polynômes + $f_1,\ldots,f_r$, \emph{si} la matrice $\frac{\partial f_i}{\partial + t_j}$ est de rang $r$ en un point de $X = Z(f_1,\ldots,f_r)$, on + peut conclure que ce point est lisse et que $X$ est de + dimension $d-r$. En revanche, lorsque le rang est plus petit + que $r$, on ne peut pas conclure sauf en connaissant la dimension + de $X$. +\end{itemize} +\end{rmk} + +\begin{prop} +Soit $X$ une variété quasiprojective : alors il existe un point lisse +de $X$ sur un corps algébriquement clos $k$ --- par conséquent, sur il +existe un ouvert dense de points lisses sur une variété +quasiprojective irréductible. +\end{prop} + +Ceci permet parfois de calculer la dimension d'une variété, en +reformulant en : la dimension d'une variété irréductible $X$ est le +\emph{minimum} des dimensions des espaces vectoriels $T_x X$ (donc, +dans $\mathbb{A}^d$, la codimension est le plus grand rang possible +que prend la matrice des dérivés partielles). % |