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+%% This is a LaTeX document. Hey, Emacs, -*- latex -*- , get it?
+\documentclass[12pt,a4paper]{article}
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+\theoremstyle{definition}
+\newtheorem{comcnt}{Tout}[subsection]
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+\refstepcounter{comcnt}\smallbreak\noindent\textbf{\thecomcnt.} }
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+%
+\begin{document}
+\title{Géométrie algébrique}
+\author{David A. Madore}
+\maketitle
+
+\centerline{\textbf{MDI349}}
+
+
+%
+%
+%
+
+\section*{Introduction / motivations}
+
+Qu'est-ce que la géométrie algébrique ? En condensé :
+\begin{itemize}
+\item\textbf{But :} Étudier les solutions de systèmes d'équations
+ polynomiales dans un corps ou un anneau commutatif quelconque, ou
+ des objets apparentés. (Étudier = étudier leur existence, les
+ compter, les paramétrer, les relier, définir une structure dessus,
+ etc.)
+\item\textbf{Géométrie :} Voir de tels systèmes d'équations comme des
+ objets géo\-mé\-triques, soit plongés dans un espace ambiant (espace
+ affine, espace projectif), soit intrinsèques ; leur appliquer des
+ concepts de géométrie (espace tangent, étude locale de singularités,
+ etc.).
+\item\textbf{Moyens :} L'étude locale de ces objets passe par les
+ fonctions définies dessus, qui sont des anneaux commutatifs tout à
+ fait généraux, donc l'\emph{algèbre commutative} (étude des anneaux
+ commutatifs et de leurs idéaux).
+\end{itemize}
+
+\smallbreak
+
+Problèmes \emph{géométriques} = étude de solutions sur des corps
+algébriquement clos (e.g., $\mathbb{C}$ : géométrie algébrique
+complexe ; $\bar{\mathbb{F}}_p$) ou « presque » (e.g., $\mathbb{R}$ :
+géométrie algébrique réelle). Problèmes \emph{arithmétiques} = sur
+des corps loin d'être algébriquement clos (e.g., $\mathbb{Q}$ :
+géométrie arithmétique), ou des anneaux commutatifs plus gé\-né\-raux
+(e.g., $\mathbb{Z}$ : idem, « équations diophantiennes »).
+
+Applications : cryptographie et codage (géométrie sur $\mathbb{F}_q$),
+calcul formel, robotique (géométrie sur $\mathbb{R}$), analyse
+complexe (géométrie sur $\mathbb{C}$), théorie des nombres
+(sur $\mathbb{Q}$, corps de nombres...), etc.
+
+\smallbreak
+
+\textbf{Un exemple :} Pour tout anneau commutatif $k$, on définit
+$C(k) = \{(x,y)\in k^2 : x^2+y^2 = 1\}$. Interprétation géométrique :
+ceci est un cercle ! Il est plongé dans le « plan affine »
+$\mathbb{A}^2$ défini par $\mathbb{A}^2(k) = k^2$ pour tout
+anneau $k$.
+
+\begin{itemize}
+\item Sur $\mathbb{R}$, les solutions forment effectivement un cercle,
+ au sens naïf.
+\item (Sur $\mathbb{C}$, les solutions dans $\mathbb{C}^2$ forment une
+ surface, qui ressemblerait plutôt à une sphère privée de deux
+ points.)
+\item Sur $\mathbb{F}_q$, on peut compter les solutions : on peut
+ montrer qu'il y en a $q-1$ ou $q+1$ selon que $q \equiv 1\pmod{4}$
+ ou $q \equiv 3\pmod{4}$ (ou encore $q$ pour $q = 2^r$).
+\item Sur $\mathbb{Q}$, il n'est pas complètement évident de trouver
+ des solutions autres que $(\pm 1,0)$ et $(0,\pm 1)$. Un exemple :
+ $(\frac{4}{5},\frac{3}{5})$ (Pythagore, Euclide...).
+\end{itemize}
+
+Paramétrage des solutions :
+
+\begin{center}
+\begin{tikzpicture}[scale=3]
+\draw[step=.2cm,help lines] (-1.25,-1.25) grid (1.25,1.25);
+\draw[->] (-1.15,0) -- (1.15,0); \draw[->] (0,-1.15) -- (0,1.15);
+\draw (0,0) circle (1cm);
+\draw (1,-1.15) -- (1,1.15);
+\coordinate (P) at (0.8,0.6);
+\coordinate (Q) at (1,0.6666666667);
+\draw (0.8,0) -- (P);
+\draw (-1,0) -- node[sloped,auto] {$\scriptstyle\mathrm{pente}=t$} (Q);
+\fill[black] (P) circle (.5pt);
+\fill[black] (Q) circle (.5pt);
+\fill[black] (-1,0) circle (.5pt);
+\node[anchor=west] at (Q) {$\scriptstyle (1,2t)$};
+\node[anchor=north east] at (-1,0) {$\scriptstyle (-1,0)$};
+\node[anchor=east] at (P) {$\scriptstyle (\frac{1-t^2}{1+t^2},\frac{2t}{1+t^2})$};
+\end{tikzpicture}
+\end{center}
+
+Un petit calcul géométrique (cf. les formules exprimant
+$\cos\theta,\sin\theta$ en fonction de $\tan\frac{\theta}{2}$),
+valable sur tout corps $k$ de caractéristique $\neq 2$ (ou en fait
+tout anneau commutatif dans lequel $2$ est
+inversible\footnote{C'est-à-dire, une
+ $\mathbb{Z}[\frac{1}{2}]$-algèbre, où $\mathbb{Z}[\frac{1}{2}] =
+ \{\frac{a}{2^r}:a\in\mathbb{Z},r\in\mathbb{N}\}$}), permet de
+montrer que toute solution $(x,y) \in C(k)$ autre que $(-1,0)$ peut
+s'écrire de la forme $(\frac{1-t^2}{1+t^2},\frac{2t}{1+t^2})$ avec $t
+\in k$ (uniquement défini, et vérifiant $t^2\neq -1$).
+
+\emph{Remarques :} (a) ceci correspond à un point
+$(\frac{1-t^2}{1+t^2},\frac{2t}{1+t^2}) \in C(k(t))$ où $k(t)$ est le
+corps des fonctions rationnelles à une indéterminée sur $k$ ; (b) ceci
+permet, par exemple, de trouver de nombreuses solutions
+sur $\mathbb{Q}$, ou d'en trouver rapidement sur
+$\mathbb{F}_q$ ($q$ impair) ; (c) on a, en fait, défini un
+« morphisme » d'objets géométriques de la droite affine $\mathbb{A}^1$
+vers le cercle $C$ (privé du point $(-1,0)$).
+
+On peut aussi définir une structure de \emph{groupe} (abélien) sur les
+points de $C(k)$ pour n'importe quel anneau commutatif $k$ : si $(x,y)
+\in C(k)$ et $(x',y') \in C(k)$, on définit leur composée $(x,y)\star
+(x',y') = (x'',y'')$ par
+\[
+\left\{\begin{array}{c}
+x'' = xx'-yy'\\
+y'' = xy'+yx'\\
+\end{array}\right.
+\]
+(cf. les formules exprimant
+$\cos(\theta+\theta'),\sin(\theta+\theta')$ en fonction de
+$\cos\theta,\sin\theta$ et $\cos\theta',\sin\theta'$). Élément
+neutre : $(1,0)$ ; inverse de $(x,y)$ : $(x,-y)$.
+
+(Les fonctions trigonométriques, ``transcendantes'', servent à motiver
+ces formules, mais les formules sont parfaitement valables sur
+$\mathbb{F}_q$ bien que $\cos\theta,\sin\theta$ n'aient pas de sens !)
+
+\emph{Remarque :} Tout élément $f$ de l'anneau commutatif
+$\mathbb{R}[x,y]/(x^2+y^2-1)$ définit une fonction réelle sur le
+cercle $C(\mathbb{R})$ : ces fonctions s'appellent « polynômes
+ trigonométriques ». Tout élément de l'anneau commutatif
+$\mathbb{Z}[x,y]/(x^2+y^2-1)$ définit une fonction (à valeurs
+dans $k$) sur \emph{n'importe quel} $C(k)$. On verra aussi plus loin
+qu'un élément de $C(k)$ peut se voir comme un morphisme d'anneaux
+commutatif $\mathbb{Z}[x,y]/(x^2+y^2-1) \to k$.
+
+
+%
+%
+%
+
+\section{Prolégomènes d'algèbre commutative}\label{commutative-algebra}
+
+\subsection{Anneaux réduits, intègres}\label{subsection-reduced-and-integral-rings}
+
+Sauf précision expresse du contraire, tous les anneaux considérés sont
+commutatifs et ont un élément unité (noté $1$). Il existe un unique
+anneau dans lequel $0=1$, c'est l'anneau réduit à un seul élément,
+appelé l'\textbf{anneau nul}.
+
+Si $k$ est un anneau, une \textbf{$k$-algèbre} (là aussi :
+implicitement commutative) est la donnée d'un morphisme d'anneaux $k
+\buildrel\varphi\over\to A$ (appelé \emph{morphisme structural} de
+l'algèbre). On peut multiplier un élément de $A$ par un élément
+de $k$ avec : $c\cdot x = \varphi(c)\,x \in A$ (pour $c\in k$ et $x\in
+A$).
+
+\smallbreak
+
+Anneau \textbf{réduit} = anneau dans lequel $x^n = 0$ implique $x =
+0$. En général, un $x$ (dans un anneau $A$) tel que $x^n = 0$ pour un
+certain $n \in \mathbb{N}$ s'appelle un élément \textbf{nilpotent}.
+
+Anneau \textbf{intègre} = anneau non nul dans lequel $xy = 0$ implique
+$x=0$ ou $y=0$ (remarque : la réciproque vaut dans tout anneau). En
+général, un $x$ (dans un anneau $A$) tel qu'il existe $y \neq 0$ tel
+que $xy = 0$ s'appelle un \textbf{diviseur de zéro}.
+
+Élément \textbf{inversible} (ou \emph{unité}) d'un anneau $A$ =
+élément $x$ tel qu'il existe $y$ vérifiant $xy = 1$. L'ensemble
+$A^\times$ ou $\mathbb{G}_m(A)$ des tels éléments forme un
+\emph{groupe}, appelé groupe multiplicatif des inversibles de $A$. Un
+\textbf{corps} est un anneau tel que $A^\times = A\setminus\{0\}$.
+
+Tout corps est un anneau intègre. Tout anneau intègre est un anneau
+réduit.
+
+\smallbreak
+
+On rappelle qu'un \textbf{idéal} d'un anneau est un sous-groupe
+additif $I$ de $A$ tel que $AI \subseteq I$. Si $(x_i)_{i\in
+ \Lambda}$ sont des éléments de $A$, l'intersection de tous les
+idéaux contenant les $x_i$ est un idéal et s'appelle l'idéal
+\textbf{engendré} par les $x_i$ : c'est l'ensemble des toutes les
+combinaisons linéaires $a_1 x_{i_1} + \cdots + a_n x_{i_n}$ avec
+$a_1,\ldots,a_n \in A$ et $i_1,\ldots,i_n \in \Lambda$. Lorsque
+$\Lambda$ est fini : l'idéal $I$ engendré par $x_1,\ldots,x_n$ est
+l'ensemble des toutes les combinaisons linéaires $a_1 x_1 + \cdots +
+a_n x_n$ et il peut se noter $Ax_1 + \cdots + Ax_n$ ou parfois
+$(x_1,\ldots,x_n)$ : on dit que $I$ est un idéal \textbf{de type
+ fini}. Si $I$ peut être engendré par un seul élément, $I = Ax$
+(aussi noté $(x)$), on dit que $I$ est un idéal \textbf{principal}.
+
+Idéal nul $(0) = \{0\}$. Idéal plein ou idéal unité $A$ : un élément
+$x$ est inversible ssi l'idéal $(x)$ qu'il engendre est l'idéal unité.
+
+\smallbreak
+
+Idéal \textbf{maximal} d'un anneau $A$ = un idéal $\mathfrak{m} \neq
+A$ tel que si $\mathfrak{m} \subseteq \mathfrak{m}'$ (avec
+$\mathfrak{m}'$ un autre idéal) alors soit
+$\mathfrak{m}'=\mathfrak{m}$ soit $\mathfrak{m}'=A$). Propriété
+équivalente : c'est un idéal $\mathfrak{m}$ tel que $A/\mathfrak{m}$
+soit un corps.
+
+Idéal \textbf{premier} d'un anneau $A$ = un idéal $\mathfrak{p} \neq
+A$ tel que si $x,y\not\in\mathfrak{p}$ alors $xy \not\in
+\mathfrak{p}$. Propriété équivalente : c'est un idéal $\mathfrak{p}$
+tel que $A/\mathfrak{p}$ soit intègre.
+
+Idéal \textbf{radical} d'un anneau $A$ = un idéal $\mathfrak{r}$ tel
+que si $x^n \in \mathfrak{r}$ alors $x \in \mathfrak{r}$. Propriété
+équivalente : c'est un idéal $\mathfrak{r}$ tel que $A/\mathfrak{r}$
+soit réduit.
+
+\emph{Exemples :} L'idéal $7\mathbb{Z}$ de $\mathbb{Z}$ est maximal
+(le quotient $\mathbb{Z}/7\mathbb{Z}$ est un corps), donc \textit{a
+ fortiori} premier et radical. L'idéal $0$ de $\mathbb{Z}$ est
+premier mais non maximal (le quotient $\mathbb{Z}/0\mathbb{Z} =
+\mathbb{Z}$ est un anneau intègre mais non un corps). L'idéal
+$6\mathbb{Z}$ de $\mathbb{Z}$ est radical mais n'est pas premier.
+L'idéal $9\mathbb{Z}$ de $\mathbb{Z}$ n'est pas radical.
+
+\smallbreak
+
+Un anneau est un corps ssi son idéal $(0)$ est maximal. Un anneau est
+intègre ssi son idéal $(0)$ est premier. Un anneau est réduit ssi son
+idéal $(0)$ est radical.
+
+Un anneau est dit \textbf{local} lorsqu'il a un unique idéal maximal.
+(En particulier, un corps est un anneau local.) Le quotient d'un
+anneau local par son idéal maximal s'appelle son \emph{corps
+ résiduel}. \emph{Exercice :} l'anneau $A$ des rationnels de la
+forme $\frac{a}{b}$ avec $a,b \in \mathbb{Z}$ et $b$ impair est un
+anneau local dont l'idéal maximal $\mathfrak{m}$ est formé des
+$\frac{a}{b}$ avec $a$ pair. (Quel est le corps résiduel ?)
+
+\smallbreak
+
+On admet le résultat ensembliste suivant :
+\begin{lem}[principe maximal de Hausdorff]
+Soit $\mathscr{F}$ un ensemble de parties d'un ensemble $A$. On
+suppose que $\mathscr{F}$ est non vide et que pour toute partie non
+vide $\mathscr{T}$ de $\mathscr{F}$ totalement ordonnée par
+l'inclusion (c'est-à-dire telle que pour $I,I' \in \mathscr{T}$ on a
+soit $I \subseteq I'$ soit $I \supseteq I'$) la réunion $\bigcup_{I
+ \in \mathscr{T}} I$ soit contenue dans un élément de $\mathscr{F}$.
+Alors il existe dans $\mathscr{F}$ un élément $\mathfrak{M}$ maximal
+pour l'inclusion (c'est-à-dire que si $I \supseteq \mathfrak{M}$ avec
+$I \in \mathscr{F}$ alors $I=\mathfrak{M}$).
+\end{lem}
+
+\begin{prop}\label{existence-maximal-ideals}
+Dans un anneau $A$, tout idéal strict (=autre que $A$) est inclus dans
+un idéal maximal.
+\end{prop}
+\begin{proof}
+Si $I$ est un idéal strict de $A$, on applique le principe maximal de
+Hausdorff à $\mathscr{F}$ l'ensemble des idéaux stricts de $A$
+contenant $I$. Si $\mathscr{T}$ est une chaîne (=partie totalement
+ordonnée pour l'inclusion) de tels idéaux, la réunion $\bigcup_{I \in
+ \mathscr{T}} I$ en est encore un\footnote{La réunion de deux idéaux
+ n'est généralement pas un idéal, car si $x\in I$ et $x' \in I'$, la
+ somme $x+x'$ n'a pas de raison d'appartenir à $I\cup I'$. En
+ revanche, si $\mathscr{T}$ est une famille d'idéaux totalement
+ ordonnée par l'inclusion, alors $\bigcup_{I \in \mathscr{T}} I$ est
+ un idéal : si $x\in I$ et $x' \in I'$, où $I,I'\in \mathscr{T}$, on
+ peut écrire soit $I \subseteq I'$ soit $I'\subseteq I$, et dans un
+ cas comme dans l'autre on a $x+x' \in \bigcup_{I \in \mathscr{T}}
+ I$.} (pour voir que la réunion est encore un idéal strict, remarquer
+que $1$ n'y appartient pas). Le principe maximal de Hausdorff permet
+de conclure.
+\end{proof}
+
+\begin{prop}
+Dans un anneau, l'ensemble des éléments nilpotents est un idéal :
+c'est le plus petit idéal radical (intersection des idéaux radicaux).
+Cet idéal est aussi l'intersection des idéaux premiers de l'anneau.
+On l'appelle le \textbf{nilradical} de l'anneau.
+\end{prop}
+\begin{proof}
+L'ensemble des nilpotents est un idéal car si $x^n=0$ et $y^n=0$ alors
+$(x+y)^{2n}=0$ en développant. Il est inclus dans tout idéal radical,
+et il est visiblement lui-même radical : c'est donc le plus petit
+idéal radical. Étant inclus dans tout idéal radical, il est \textit{a
+ fortiori} inclus dans tout idéal premier. Reste à montrer que si
+$z$ est inclus dans tout idéal premier, alors $x$ est nilpotent.
+
+Supposons que $z$ n'est pas nilpotent. Considérons $\mathfrak{p}$ un
+idéal maximal pour l'inclusion parmi les idéaux ne contenant aucun
+$z^n$ : un tel idéal existe d'après le principe maximal de Hausdorff
+(il existe un idéal ne contenant aucun $z^n$, à savoir $\{0\}$).
+Montrons qu'il est premier : si $x,y \not \in \mathfrak{p}$, on veut
+voir que $xy \not\in \mathfrak{p}$. Par maximalité de $\mathfrak{p}$,
+chacun des idéaux\footnote{On rappelle que si $I,J$ sont deux idéaux
+ d'un anneau, l'ensemble $I + J = \{u+v : u\in I, v\in J\}$ est un
+ idéal, c'est l'idéal engendré par $I\cup J$, c'est-à-dire, le plus
+ petit idéal contenant $I$ et $J$ ; on l'appelle idéal somme de $I$
+ et $J$. Dans le cas particulier où $J = (x)$ est engendré par un
+ élément, c'est donc l'idéal engendré par $I\cup\{x\}$.}
+$\mathfrak{p}+(x)$ et $\mathfrak{p}+(y)$ doit rencontrer $\{z^n\}$,
+c'est-à-dire qu'on doit pouvoir trouver deux éléments de la forme
+$f+ax$ et $g+by$ avec $f,g\in\mathfrak{p}$ et $a,b\in A$, qui soient
+des puissances de $z$ ; leur produit est alors aussi une puissance
+de $z$, donc n'est pas dans $\mathfrak{p}$, donc $abxy
+\not\in\mathfrak{p}$ (car les trois autres termes sont
+dans $\mathfrak{p}$), et a plus forte raison $xy \not\in
+\mathfrak{p}$.
+\end{proof}
+
+En appliquant ce dernier résultat à $A/I$, on obtient :
+\begin{prop}
+Si $A$ est un anneau et $I$ un idéal de $A$, l'ensemble des éléments
+tels que $z^n \in I$ pour un certain $n \in \mathbb{N}$ est un idéal :
+c'est le plus petit idéal radical contenant $I$. Cet idéal est
+précisément l'intersection des idéaux premiers de $A$ contenant $I$.
+On l'appelle le \textbf{radical} de l'idéal $I$ et on le note $\surd
+I$.
+\end{prop}
+
+L'intersection des idéaux maximaux d'un anneau s'appelle le
+\textbf{radical de Jacobson} de cet anneau : il est, en général,
+strictement plus grand que le nilradical.
+
+Notons aussi la conséquence facile suivante de la
+proposition \ref{existence-maximal-ideals}.
+\begin{prop}\label{non-invertible-elements-and-maximal-ideals}
+Dans un anneau $A$, l'ensemble des éléments non-inversibles est la
+réunion de tous les idéaux maximaux.
+\end{prop}
+\begin{proof}
+Dire que $x$ est inversible signifie que $x$ engendre l'idéal unité.
+Si c'est le cas, $x$ n'appartient à aucun idéal strict de $A$, et en
+particulier aucun idéal maximal. Réciproquement, si $x$ n'est pas
+inversible, l'idéal $(x)$ qu'il engendre est strict, donc inclus dans
+un idéal maximal $\mathfrak{m}$
+d'après \ref{existence-maximal-ideals}, donc $x$ est bien dans la
+réunion des idéaux maximaux.
+\end{proof}
+
+%
+\subsection{Anneaux noethériens}
+
+Anneau \textbf{noethérien} : c'est un anneau $A$ vérifiant les
+proprités équivalentes suivantes :
+\begin{itemize}
+\item toute suite croissante pour l'inclusion $I_0 \subseteq I_1
+ \subseteq I_2 \subseteq \cdots$ d'idéaux de $A$ stationne
+ (c'est-à-dire est constante à partir d'un certain rang) ;
+\item tout idéal $I$ de $A$ est de type fini : il existe une famille
+ \emph{finie} $(x_i)$ d'éléments de $I$ qui engendre $I$ comme
+ idéal ;
+\item plus précisément, si $I$ est l'idéal engendré par une famille
+ $x_i$ d'éléments, on peut trouver une sous-famille finie des $x_i$
+ qui engendre le même idéal $I$.
+\end{itemize}
+
+L'essentiel des anneaux utilisés en géométrie algébrique (en tout cas,
+auxquels on aura affaire) sont noethériens. L'anneau $\mathbb{Z}$ est
+noethérien. Tout corps est un anneau noethérien. Tout quotient d'un
+anneau noethérien est noethérien (attention : il n'est pas vrai qu'un
+sous-anneau d'un anneau noethérien soit toujours noethérien). Et
+surtout :
+\begin{prop}[théorème de la base de Hilbert]
+Si $A$ est un anneau noethérien, alors l'anneau $A[t]$ des polynômes à
+une indéterminée sur $A$ est noethérien.
+\end{prop}
+\begin{proof}
+Soit $I \subseteq A[t]$ un idéal. Supposons par l'absurde que $I$
+n'est pas de type fini. On construit par récurrence une suite
+$f_0,f_1,f_2,\ldots$ d'éléments de $I$ comme suit. Si
+$f_0,\ldots,f_{r-1}$ ont déjà été choisis, comme l'idéal
+$(f_0,\ldots,f_{r-1})$ qu'ils engendrent n'est pas $I$, on peut
+choisir $f_r$ de plus petit degré possible parmi les éléments de $I$
+non dans $(f_0,\ldots,f_{r-1})$.
+
+Appelons $c_i$ le coefficient dominant de $f_i$. Comme $A$ est
+supposé noethérien, il existe $m$ tel que $c_0,\ldots,c_{m-1}$
+engendrent l'idéal $J$ engendré par tous les $c_i$. Montrons qu'en
+fait $f_0,\ldots,f_{m-1}$ engendrent $I$ (ce qui constitue une
+contradiction).
+
+On peut écrire $c_m = a_0 c_0 + \cdots + a_{m-1} c_{m-1}$. Par
+ailleurs, le degré de $f_m$ est supérieur ou égal au degré de chacun
+de $f_0,\ldots,f_{m-1}$ par minimalité de ces derniers. On peut donc
+construire le polynôme $g = \sum_{i=0}^{m-1} a_i f_i t^{\deg f_m -
+ \deg f_i}$, qui a les mêmes degré et coefficient dominant que $f_m$,
+et qui appartient à $(f_0,\ldots,f_{m-1})$. Alors, $f_m - g$ est de
+degré strictement plus petit que $f_m$, il appartient à $I$ mais pas
+à $(f_0,\ldots,f_{m-1})$ : ceci contredit la minimalité dans le choix
+de $f_m$.
+\end{proof}
+
+En itérant ce résultat, on voit que si $A$ est noethérien, alors
+$A[t_1,\ldots,t_d]$ l'est pour tout $d\in\mathbb{N}$. Comme un
+quotient d'un anneau noethérien est encore noethérien :
+
+\begin{defn}\label{finite-type-algebras}
+Une $A$-algèbre $B$ est dite \textbf{de type fini} (comme $A$-algèbre)
+lorsqu'il existe $x_1,\ldots,x_d \in B$ (qu'on dit \emph{engendrer}
+$B$ comme $A$-algèbre) tel que tout élément de $B$ s'écrive
+$f(x_1,\ldots,x_d)$ pour un certain polynôme $f \in
+A[t_1,\ldots,t_d]$.
+\end{defn}
+
+Dire que $B$ est une $A$-algèbre de type fini engendrée par
+$x_1,\ldots,x_d$ signifie donc que le morphisme $\xi\colon
+A[t_1,\ldots,t_d] \to B$ défini par $f \mapsto f(x_1,\ldots,x_d)$ est
+\emph{surjectif}. Par conséquent, si $I$ désigne le noyau de ce
+morphisme (c'est-à-dire l'ensemble des $f \in A[t_1,\ldots,t_d]$ qui
+s'annulent en $(x_1,\ldots,x_d)$) alors $\xi$ définit un isomorphisme
+$A[t_1,\ldots,t_d]/I \buildrel\sim\over\to B$. On peut donc dire :
+une $A$-algèbre de type fini est un quotient de $A[t_1,\ldots,t_d]$
+(pour un certain $d$).
+
+\begin{cor}\label{finite-type-algebras-are-noetherian}
+Une algèbre de type fini sur un anneau noethérien, et en particulier
+sur un corps ou sur $\mathbb{Z}$, est un anneau noethérien.
+\end{cor}
+
+%
+\subsection{Localisation}\label{subsection-localization}
+
+On dit qu'une partie $S$ d'un anneau $A$ est \emph{multiplicative}
+lorsque $1\in S$ et $s,s'\in S \limp ss'\in S$. Par exemple, le
+complémentaire d'un idéal premier est, par définition,
+multiplicative ; en particulier, dans un anneau intègre, l'ensemble
+des éléments non nuls est une partie multiplicative.
+
+Dans ces conditions, on construit un anneau noté $A[S^{-1}]$ (ou
+$S^{-1}A$) de la façon suivante : ses éléments sont notés $a/s$ avec
+$a\in A$ et $s \in S$, où on identifie\footnote{Ce racourci de langage
+ signifie qu'on considère la relation d'équivalence $\sim$ sur
+ $A\times S$ définie par $(a,s) \sim (a',s')$ lorsqu'il existe $t \in
+ S$ tel que $t(a's-as') = 0$, on appelle $A[S^{-1}]$ le quotient
+ $(A\times S)/\sim$, et on note $a/s$ la classe de $(a,s)$ pour cette
+ relation ; il faudrait encore vérifier que toutes les opérations
+ proposées ensuite sont bien définies.} $a/s = a'/s'$ lorsqu'il
+existe $t \in S$ tel que $t(a's-as') = 0$. L'addition est définie par
+$(a/s)+(a'/s') = (a's+as')/(ss')$ (le zéro par $0/1$, l'opposé par
+$-(a/s) = (-a)/s$) et la multiplication par $(a/s)\cdot (a'/s') =
+(aa')/(ss')$ (l'unité par $1/1$). Cet anneau est muni d'un morphisme
+naturel $A \buildrel\iota\over\to A[S^{-1}]$ donné par $a \mapsto
+a/1$. On l'appelle le \textbf{localisé} de $A$ inversant la partie
+multiplicative $S$. Si $A$ est une $k$-algèbre (pour un certain
+anneau $k$) alors $A[S^{-1}]$ est une $k$-algèbre de façon évidente
+(en composant le morphisme structural $k\to A$ par le morphisme
+naturel $A \to A[S^{-1}]$).
+
+\begin{prop}\label{properties-localization}
+\begin{itemize}
+\item Le morphisme naturel $A \buildrel\iota\over\to A[S^{-1}]$ est
+ injectif si et seulement si $S$ ne contient aucun diviseur de zéro.
+ (Extrême inverse : si $S$ contient $0$, alors $A[S^{-1}]$ est
+ l'anneau nul.)
+\item Tout idéal $J$ de $A[S^{-1}]$ est de la forme $J = I[S^{-1}] :=
+ \{a/s : a\in I,\penalty0 s \in S\}$ où $I$ est l'image réciproque
+ dans $A$ (par le morphisme naturel $\iota\colon A \to A[S^{-1}]$) de
+ l'idéal $J$ considéré.
+\item L'application $\mathfrak{p} \mapsto \iota^{-1}(\mathfrak{p})$
+ définit une bijection entre les idéaux premiers de $A[S^{-1}]$ et
+ ceux de $A$ ne rencontrant pas $S$.
+\end{itemize}
+\end{prop}
+
+Cas particuliers importants : si $\mathfrak{p}$ est premier et $S =
+A\setminus\mathfrak{p}$ est son com\-plé\-men\-taire, on note
+$A_{\mathfrak{p}} = A[S^{-1}]$ ; c'est un anneau local (dont l'idéal
+maximal est $\mathfrak{p}[S^{-1}] = \{a/s : a\in \mathfrak{p}, s
+\not\in \mathfrak{p}\}$) : on l'appelle le localisé de $A$
+\textbf{en} $\mathfrak{p}$. Si $A$ est un anneau intègre et $S = A
+\setminus\{0\}$ l'ensemble des éléments non nuls de $A$, on note
+$\Frac(A) = A[S^{-1}]$ : c'est un corps, appelé \textbf{corps des
+ fractions} de $A$. Par exemple, $\Frac(\mathbb{Z}) = \mathbb{Q}$ et
+$\Frac(k[t]) = k(t)$ pour $k$ un corps.
+
+Toute partie $\Sigma$ de $A$ engendre une partie multiplicative $S$
+(c'est l'intersection de toutes les parties multiplicatives
+contenant $\Sigma$, ou simplement l'ensemble de tous les produits
+possibles d'éléments de $\Sigma$) : on note généralement
+$A[\Sigma^{-1}]$ pour $A[S^{-1}]$. En particulier, lorsque $\Sigma =
+\{\sigma_1,\ldots,\sigma_n\}$, on note
+$A[\sigma_1^{-1},\ldots,\sigma_n^{-1}]$ ou
+$A[\frac{1}{\sigma_1},\ldots,\frac{1}{\sigma_n}]$.
+
+\begin{prop}\label{localization-inverting-one-element}
+Si $A$ est un anneau et $\sigma_1,\ldots,\sigma_n \in A$, alors
+\begin{itemize}
+\item L'anneau $A[\frac{1}{\sigma_1},\ldots,\frac{1}{\sigma_n}]$
+ s'identifie à $A[\frac{1}{f}]$ où $f = \sigma_1\cdots\sigma_n$.
+\item De plus, $A[\frac{1}{f}] \cong A[z]/(zf-1)$ (ici, $A[z]$ est
+ l'anneau des polynômes en une indéterminée), par un isomorphisme
+ envoyant $\frac{a}{f^n}$ sur la classe de $a z^n$
+\end{itemize}
+\end{prop}
+
+
+%
+%
+%
+
+\section{Variétés algébriques affines sur un corps algé\-bri\-que\-ment clos}
+
+Dans cette section, $k$ sera un corps algébriquement clos.
+
+On appelle \textbf{espace affine de dimension $d$} sur $k$
+l'ensemble $k^d$ (on parle de droite ou plan affine lorsque $d=1,2$).
+Il sera aussi parfois noté $\mathbb{A}^d$ ou $\mathbb{A}^d(k)$ pour
+des raisons qui apparaîtront plus loin.
+
+%
+\subsection{Correspondance entre fermés de Zariski et idéaux}
+
+\textbf{Comment associer une partie de $k^d$ à un idéal de
+ $k[t_1,\ldots,t_d]$ ?}
+
+Si $\mathscr{F}$ est une partie de $k[t_1,\ldots,t_d]$, on définit un
+ensemble $Z(\mathscr{F}) = \{(x_1,\ldots,x_d) \in k^d :\penalty0
+(\forall f\in \mathscr{F})\, f(x_1,\ldots,x_d) = 0\}$.
+
+Remarques évidentes : si $\mathscr{F} \subseteq \mathscr{F}'$ alors
+$Z(\mathscr{F}) \supseteq Z(\mathscr{F}')$ (la fonction $Z$ est
+« décroissante pour l'inclusion ») ; on a $Z(\mathscr{F}) =
+\bigcap_{f\in \mathscr{F}} Z(f)$ (où $Z(f)$ est un racourci de
+notation pour $Z(\{f\})$). Plus intéressant : si $I$ est l'idéal
+engendré par $\mathscr{F}$ alors $Z(I) = Z(\mathscr{F})$. On peut
+donc se contenter de regarder les $Z(I)$ avec $I$ idéal
+de $k[t_1,\ldots,t_d]$. Encore un peu mieux : si $\surd I = \{f :
+(\exists n)\,f^n\in I\}$ désigne le radical de l'idéal $I$, on a
+$Z(\surd I) = Z(I)$ ; on peut donc se contenter de considérer les
+$Z(I)$ avec $I$ idéal radical.
+
+On appellera \textbf{fermé de Zariski} dans $k^d$ une partie $E$ de la
+forme $Z(\mathscr{F})$ pour une certaine partie $\mathscr{F}$
+de $k[t_1,\ldots,t_d]$, dont on a vu qu'on pouvait supposer qu'il
+s'agit d'un idéal radical.
+
+Le vide est un fermé de Zariski ($Z(1) = \varnothing$) ; l'ensemble
+$k^d$ tout entier est un fermé de Zariski ($Z(0) = k^d$). Tout
+singleton est un fermé de Zariski : en effet, $Z(\mathfrak{m}_x) =
+\{x\}$, où $\mathfrak{m}_x$ est l'idéal $(t_1-x_1,\ldots,t_d-x_d)$ ;
+remarquer que $\mathfrak{m}_x$ est un idéal maximal, le quotient
+$k[t_1,\ldots,t_d]/\mathfrak{m}_x$ s'identifiant à $k$ par la fonction
+$f \mapsto f(x)$ d'évaluation en $x$.
+
+Si $(E_i)_{i\in \Lambda}$ sont des fermés de Zariski, alors
+$\bigcap_{i\in \Lambda} E_i$ est un fermé de Zariski : plus
+précisément, si $(I_i)_{i\in \Lambda}$ sont des idéaux
+de $k[t_1,\ldots,t_d]$, alors $Z(\sum_{i\in\Lambda} I_i) =
+\bigcap_{i\in\Lambda} Z(I_i)$. Si $E,E'$ sont des fermés de Zariski,
+alors $E \cup E'$ est un fermé de Zariski : plus précisément, si
+$I,I'$ sont des idéaux de $k[t_1,\ldots,t_d]$, alors $Z(I\cap I') =
+Z(I) \cup Z(I')$ (l'inclusion $\supseteq$ est évidente ; pour l'autre
+inclusion, si $x \in Z(I\cap I')$ mais $x \not\in Z(I)$, il existe
+$f\in I$ tel que $f(x) \neq 0$, et alors pour tout $f' \in I'$ on a
+$f(x)\,f'(x) = 0$ puisque $ff' \in I\cap I'$, donc $f'(x) = 0$, ce qui
+prouve $x \in Z(I')$).
+
+\medbreak
+
+\textbf{Comment associer un idéal de $k[t_1,\ldots,t_d]$ à une partie
+ de $k^d$ ?}
+
+Réciproquement, si $E$ est une partie de $k^d$, on note
+$\mathfrak{I}(E) = \{f\in k[t_1,\ldots,t_d] :\penalty0 (\forall
+(x_1,\ldots,x_d)\in E)\, f(x_1,\ldots,x_d)=0\}$. Vérification
+facile : c'est un idéal de $k[t_1,\ldots,t_d]$, et même un idéal
+radical. Remarque évidente : si $E \subseteq E'$ alors
+$\mathfrak{I}(E) \supseteq \mathfrak{I}(E')$ ; on a $\mathfrak{I}(E) =
+\bigcap_{x\in E} \mathfrak{m}_x$ (où $\mathfrak{m}_x$ désigne l'idéal
+maximal $\mathfrak{I}(\{x\})$ des polynômes s'annulant en $x$), et en
+particulier $\mathfrak{I}(E) \neq k[t_1,\ldots,t_d]$ dès que $E \neq
+\varnothing$.
+
+On a de façon triviale $\mathfrak{I}(\varnothing) =
+k[t_1,\ldots,t_d]$. De façon moins évidente, si $k$ est infini (ce
+qui est en particulier le cas lorsque $k$ est algébriquement clos), on
+a $\mathfrak{I}(k^d) = (0)$ (démonstration par récurrence sur $d$,
+laissée en exercice).
+
+\danger Sur un corps fini $\mathbb{F}_q$, on a
+$\mathfrak{I}({\mathbb{F}_q}^d) \neq (0)$. Par exemple, si $t$ est
+une des in\-dé\-ter\-mi\-nées, le polynôme $t^q-t$ s'annule en tout
+point de ${\mathbb{F}_q}^d$.
+
+\medbreak
+
+\textbf{Le rapport entre ces deux fonctions}
+
+On a $E \subseteq Z(\mathscr{F})$ ssi $\mathscr{F} \subseteq
+\mathfrak{I}(E)$, puisque les deux signifient « tout polynôme dans
+ $\mathscr{F}$ s'annule en tout point de $E$ ».
+
+En particulier, en appliquant cette remarque à $\mathscr{F} =
+\mathfrak{I}(E)$, on a $E \subseteq Z(\mathfrak{I}(E))$ pour toute
+partie $E$ de $k^d$ ; et en appliquant la remarque à $E =
+Z(\mathscr{F})$, on a $\mathscr{F} \subseteq
+\mathfrak{I}(Z(\mathscr{F}))$. De $E \subseteq Z(\mathfrak{I}(E))$ on
+déduit $\mathfrak{I}(E) \supseteq \mathfrak{I}(Z(\mathfrak{I}(E)))$
+(car $\mathfrak{I}$ est décroissante), mais par ailleurs
+$\mathfrak{I}(E) \subseteq \mathfrak{I}(Z(\mathfrak{I}(E)))$ en
+appliquant l'autre inclusion à $\mathfrak{I}(E)$ : donc
+$\mathfrak{I}(E) = \mathfrak{I}(Z(\mathfrak{I}(E)))$ pour toute partie
+$E$ de $k^d$ ; de même, $Z(\mathscr{F}) =
+Z(\mathfrak{I}(Z(\mathscr{F})))$ pour tout ensemble $\mathscr{F}$ de
+polynômes. On a donc prouvé :
+
+\begin{prop}
+Avec les notations ci-dessus :
+\begin{itemize}
+\item Une partie $E$ de $k^d$ vérifie $E = Z(\mathfrak{I}(E))$ si et
+ seulement si elle est de la forme $Z(\mathscr{F})$ pour un
+ certain $\mathscr{F}$ (=: c'est un fermé de Zariski), et dans ce cas
+ on peut prendre $\mathscr{F} = \mathfrak{I}(E)$, qui est un idéal
+ radical.
+\item Une partie $I$ de $k[t_1,\ldots,t_d]$ vérifie $I =
+ \mathfrak{I}(Z(I))$ si et seulement si elle est de la forme
+ $\mathfrak{I}(E)$ pour un certain $E$, et dans ce cas on peut
+ prendre $E = Z(I)$, et $I$ est un idéal radical
+ de $k[t_1,\ldots,t_d]$.
+\item Les fonctions $\mathfrak{I}$ et $Z$ se restreignent en des
+ bijections décroissantes réci\-proques entre l'ensemble des fermés
+ de Zariski $E$ de $k^d$ et l'ensemble des idéaux (radicaux) $I$
+ de $k[t_1,\ldots,t_d]$ tels que $I = \mathfrak{I}(Z(I))$.
+\end{itemize}
+\end{prop}
+
+On va voir ci-dessous que les idéaux tels que $I = \mathfrak{I}(Z(I))$
+sont exactement (tous) les idéaux radicaux de $k[t_1,\ldots,t_d]$.
+
+\medbreak
+
+\textbf{Fermés irréductibles et idéaux premiers}
+
+On dit qu'un fermé de Zariski $E \subseteq k^d$ non vide est
+\textbf{irréductible} lorsqu'on ne peut pas écrire $E = E' \cup E''$,
+où $E',E''$ sont deux fermés de Zariski (forcément contenus
+dans $E$...), sauf si $E'=E$ ou $E''=E$.
+
+\emph{Contre-exemple :} $Z(xy)$ (dans le plan $k^2$ de
+coordonnées $x,y$) n'est pas ir\-ré\-duc\-tible, car $Z(xy) = \{(x,y)
+\in k^2 : xy=0\} = \{(x,y) \in k^2 :
+x=0\penalty0\ \textrm{ou}\penalty0\ y=0\} = Z(x) \cup Z(y)$ est
+réunion de $Z(x)$ (l'axe des ordonnées) et $Z(y)$ (l'axe des
+abscisses) qui sont tous tous les deux strictement plus petits
+que $Z(xy)$.
+
+\begin{prop}\label{closed-irreducible-iff-prime-ideal}
+Un fermé de Zariski $E \subseteq k^d$ est irréductible si, et
+seulement si, l'idéal $\mathfrak{I}(E)$ est premier.
+\end{prop}
+\begin{proof}
+Supposons $\mathfrak{I}(E)$ premier : on veut montrer que $E$ est
+irréductible. Supposons $E = E' \cup E''$ comme ci-dessus (on a vu
+que $E = Z(\mathfrak{I}(E))$, $E' = Z(\mathfrak{I}(E'))$ et $E'' =
+Z(\mathfrak{I}(E''))$) : on veut montrer que $E' = E$ ou $E'' = E$.
+Supposons le contraire, c'est-à-dire $\mathfrak{I}(E) \neq
+\mathfrak{I}(E')$ et $\mathfrak{I}(E) \neq \mathfrak{I}(E'')$. Il
+existe alors $f' \in \mathfrak{I}(E') \setminus \mathfrak{I}(E)$ et
+$f'' \in \mathfrak{I}(E'') \setminus \mathfrak{I}(E)$. On a alors
+$f'f'' \not\in \mathfrak{I}(E)$ car $\mathfrak{I}(E)$ est premier, et
+pourtant $f'f''$ s'annule sur $E'$ et $E''$ donc sur $E$, une
+contradiction.
+
+Réciproquement, supposons $E$ irréductible : on veut montrer que
+$\mathfrak{I}(E)$ est premier. Soient $f',f''$ tels que $f'f'' \in
+\mathfrak{I}(E)$ : posons $E' = Z(\mathfrak{I}(E) + (f'))$ et $E'' =
+Z(\mathfrak{I}(E) + (f''))$. On a $E' \subseteq E$ et $E'' \subseteq
+E$ puisque $E = Z(\mathfrak{I}(E))$, et en fait $E' = E \cap Z(f')$ et
+$E'' = E \cap Z(f'')$ ; on a par ailleurs $E = E' \cup E''$ (car si $x
+\in E$ alors $f'(x)\,f''(x) = 0$ donc soit $f'(x)=0$ soit $f''(x)=0$,
+et dans le premier cas $x \in E'$ et dans le second $x \in E''$).
+Puisqu'on a supposé $E$ irréductible, on a, disons, $E' = E$,
+c'est-à-dire $E \subseteq Z(f')$, ce qui signifie $f' \in
+\mathfrak{I}(E)$. Ceci montre bien que $\mathfrak{I}(E)$ est premier.
+\end{proof}
+
+%
+\subsection{Le Nullstellensatz}
+
+(Nullstellensatz, littéralement, « théorème du lieu d'annulation », ou
+« théorème des zéros de Hilbert ».)
+
+On rappelle que $k$ est algébriquement clos ! (Pour l'instant, cela
+n'a pas beaucoup servi.)
+
+\begin{prop}[Nullstellensatz faible]
+Soit $k$ un corps algébriquement clos. Si $I$ est un idéal de
+$k[t_1,\ldots,t_d]$ tel que $Z(I) = \varnothing$, alors $I =
+k[t_1,\ldots,t_d]$.
+\end{prop}
+\begin{proof}[Démonstration dans le cas particulier où $k$ est indénombrable.]
+Supposons par contraposée $I \subsetneq k[t_1,\ldots,t_d]$. Alors il
+existe un idéal maximal $\mathfrak{m}$ tel que $I \subseteq
+\mathfrak{m}$, et on a $Z(\mathfrak{m}) \subseteq Z(I)$. On va
+montrer $Z(\mathfrak{m}) \neq \varnothing$.
+
+Soit $K = k[t_1,\ldots,t_d]/\mathfrak{m}$. Il s'agit d'un corps, qui
+est de dimension au plus dénombrable (=il a une famille génératrice
+dénombrable, à savoir les images des monômes dans les $t_i$) sur $k$.
+Mais $K$ ne peut pas contenir d'élément transcendant $\tau$ sur $k$
+car, $k$ ayant été supposé indénombrable, la famille des
+$\frac{1}{\tau - x}$ pour $x\in k$ serait linéairement indépendante
+(par décomposition en élément simples) dans $k(\tau)$ donc dans $K$.
+Donc $K$ est algébrique sur $k$. Comme $k$ était supposé
+algébriquement clos, on a en fait $K=k$. Les classes des
+indéterminées $t_1,\ldots,t_d$ définissent alors des éléments
+$x_1,\ldots,x_d \in k$, et pour tout $f \in \mathfrak{m}$, on a
+$f(x_1,\ldots,x_d) = 0$. Autrement dit, $(x_1,\ldots,x_d) \in
+Z(\mathfrak{m})$, ce qui conclut.
+\end{proof}
+
+En fait, dans le cours de cette démonstration, on a montré (dans le
+cas particulier où on s'est placé, mais c'est vrai en général) :
+\begin{prop}[{idéaux maximaux de $k[t_1,\ldots,t_d]$}]\label{maximal-ideals-of-polynomial-algebras}
+Soit $k$ un corps algé\-bri\-que\-ment clos. Tout idéal maximal
+$\mathfrak{m}$ de $k[t_1,\ldots,t_d]$ est de la forme
+$\mathfrak{m}_{(x_1,\ldots,x_d)} := \{f : f(x_1,\ldots,x_d) = 0\}$
+pour un certain $(x_1,\ldots,x_d) \in k^d$.
+\end{prop}
+\begin{proof}
+En fait, on a prouvé que si $\mathfrak{m}$ est un idéal maximal, il
+existe $(x_1,\ldots,x_d) \in k^d$ tels que $(x_1,\ldots,x_d) \in
+Z(\mathfrak{m})$, ce qui donne $\mathfrak{m} \subseteq
+\mathfrak{I}(\{(x_1,\ldots,x_d)\})$, mais par maximalité de
+$\mathfrak{m}$ ceci est en fait une égalité.
+\end{proof}
+
+En particulier, le corps quotient $k[t_1,\ldots,t_d]/\mathfrak{m}$ est
+isomorphe à $k$, l'isomorphisme étant donnée par l'évaluation au point
+$(x_1,\ldots,x_d)$ tel que ci-dessus.
+
+\begin{thm}[Nullstellensatz = théorème des zéros de Hilbert]
+Soit $I$ un idéal de $k[t_1,\ldots,t_d]$ (toujours avec $k$ un corps
+algébriquement clos) : alors $\mathfrak{I}(Z(I)) = \surd I$ (le
+radical de $I$).
+\end{thm}
+\begin{proof}
+On sait que $\surd I \subseteq \mathfrak{I}(Z(I))$ et il s'agit de
+montrer la réciproque. Soit $f \in \mathfrak{I}(Z(I))$ : on veut
+prouver $f\in \surd I$. On vérifie facilement que ceci revient à
+montrer que l'idéal $I[\frac{1}{f}]$
+de $k[t_1,\ldots,t_d,\frac{1}{f}]$ est l'idéal unité. Or
+$k[t_1,\ldots,t_d,\frac{1}{f}] = k[t_1,\ldots,t_d,z]/(zf-1)$
+d'après \ref{localization-inverting-one-element}. Soit $J$ l'idéal
+engendré par $I$ et $zf-1$ dans $k[t_1,\ldots,t_d,z]$ : on voit que
+$Z(J) = \varnothing$ (dans $k^{d+1}$), car on ne peut pas avoir
+simultanément $f(x_1,\ldots,x_d) = 0$ et $z\,f(x_1,\ldots,x_d) = 1$,
+donc le Nullstellensatz faible entraîne $J = k[t_1,\ldots,t_d,z]$ :
+ceci donne $I[\frac{1}{f}] = k[t_1,\ldots,t_d,\frac{1}{f}]$.
+\end{proof}
+
+\begin{scho}
+Si $k$ est un corps algébriquement clos, les fonctions $I \mapsto
+Z(I)$ et $E \mapsto \mathfrak{I}(E)$ définissent des bijections
+réci\-proques, décroissantes pour l'inclusion, entre les idéaux radicaux
+de $k[t_1,\ldots,t_d]$ d'une part, et les fermés de Zariski de $k^d$
+d'autre part.
+
+Ces bijections mettent les \emph{points} (c'est-à-dire les singletons)
+de $k^d$ en correspondance avec les idéaux maximaux de
+$k[t_1,\ldots,t_d]$ (ils ont tous pour quotient $k$), et les
+\emph{fermés irréductibles} en correspondance avec les idéaux
+premiers.
+\end{scho}
+
+%
+\subsection{L'anneau d'un fermé de Zariski}
+
+Si $X$ est un fermé de Zariski dans $k^d$ avec $k$ algébriquement
+clos, on a vu qu'il existe un unique idéal radical $I$
+de $k[t_1,\ldots,t_d]$, à savoir l'idéal $I = \mathfrak{I}(X)$ des
+polynômes s'annulant sur $X$, tel que $X = Z(I)$. Le quotient
+$k[t_1,\ldots,t_d] / I$ (qui est donc un anneau réduit, et intègre ssi
+$X$ est irréductible) s'appelle l'\textbf{anneau des fonctions
+ régulières} sur $X$ et se note $\mathcal{O}(X)$ (ou parfois $k[X]$).
+
+Pourquoi fonctions régulières ? On peut considérer un élément $f \in
+\mathcal{O}(X)$ comme une fonction $X \to k$ de la façon suivante : si
+$\tilde f \in k[t_1,\ldots,t_d]$ est un représentant de $f$
+(modulo $I$) et si $x = (x_1,\ldots,x_d) \in X$, la valeur de $\tilde
+f(x_1,\ldots,x_d)$ ne dépend pas du choix de $\tilde f$ représentant
+$f$ puisque tout élément de $I$ s'annule en $x$ ; on peut donc appeler
+$f(x)$ cette valeur. Inversement, un $f \in \mathcal{O}(X)$ est
+complètement déterminé par sa valeur sur chaque point $x$ de $X$
+(rappel : $k$ est algébriquement clos ici, et c'est important !) ; en
+effet, si $f$ s'annule en tout $x \in X$, tout élément de
+$k[t_1,\ldots,t_d]$ représentant $f$ s'annule en tout $x \in X$,
+c'est-à-dire appartient à $\mathfrak{I}(X)$, ce qui signifie justement
+$f = 0$ dans $\mathcal{O}(X)$. Moralité : on peut bien considérer les
+éléments de $\mathcal{O}(X)$ comme des fonctions. Ces fonctions sont,
+tout simplement, \emph{les restrictions à $X$ des fonctions
+ polynomiales sur l'espace affine $\mathbb{A}^d$}.
+
+Dans le cas où $X = \mathbb{A}^d = k^d$ tout entier (donc $I = (0)$),
+évidemment, $\mathcal{O}(\mathbb{A}^d) = k[t_1,\ldots,t_d]$.
+
+\smallbreak
+
+On définit un \textbf{fermé de Zariski de $X$} comme un fermé de
+Zariski de $k^d$ qui se trouve être inclus dans $X$. La bonne
+nouvelle est que la correspondance entre fermés de Zariski de $k^d$ et
+idéaux de $k[t_1,\ldots,t_d]$ se généralise presque mot pour mot à une
+correspondance entre fermés de Zariski de $X$ et idéaux
+de $\mathcal{O}(X)$ :
+
+\begin{prop}
+Avec les notations ci-dessus :
+\begin{itemize}
+\item Tout fermé de Zariski de $X$ est de la forme $Z(\mathscr{F}) :=
+ \{x\in X :\penalty0 {(\forall f\in \mathscr{F})}\penalty100\, f(x) =
+ 0\}$ pour un certain ensemble $\mathscr{F}$ d'éléments
+ de $\mathcal{O}(X)$.
+\item En posant $\mathfrak{I}(E) := \{f\in \mathcal{O}(X) :\penalty0
+ {(\forall x\in E)}\penalty100\, f(x)=0\}$, les fonctions $I \mapsto
+ Z(I)$ et $E \mapsto \mathfrak{I}(E)$ définissent des bijections
+ réci\-proques, décroissantes pour l'inclusion, entre les idéaux
+ radicaux de $\mathcal{O}(X)$ d'une part, et les fermés de Zariski de
+ $X$ d'autre part : on a $\mathfrak{I}(Z(I)) = \surd I$ pour tout
+ idéal $I$ de $\mathcal{O}(X)$.
+\item Ces bijections mettent les \emph{points} (c'est-à-dire les
+ singletons) de $X$ en correspondance avec les idéaux maximaux de
+ $\mathcal{O}(X)$ (qui sont donc tous de la forme $\mathfrak{m}_x :=
+ \{f \in \mathcal{O}(X) : f(x)=0\}$ pour un $x\in X$) ; et les
+ \emph{fermés irréductibles} en correspondance avec les idéaux
+ premiers.
+\end{itemize}
+\end{prop}
+
+\smallbreak
+
+Soulignons en particulier que si $X'$ est un fermé de Zariski de $X$
+(disons défini comme $X' = Z(I)$ où $I$ est un idéal radical
+de $\mathcal{O}(X)$), alors la surjection canonique $\mathcal{O}(X)
+\to \mathcal{O}(X)/I$ est un morphisme d'anneaux $\mathcal{O}(X) \to
+\mathcal{O}(X')$ qu'il faut interpréter comme envoyant une fonction
+régulière $f$ sur $X$ sur sa \emph{restriction} à $X'$, parfois
+notée $f|_{X'}$.
+
+%
+\subsection{Variétés algébriques affines, morphismes}
+
+On appelle provisoirement \textbf{variété algébrique affine}
+dans $k^d$ (toujours avec $k$ algébriquement clos) un fermé de Zariski
+$X$ de $k^d$. Pourquoi cette double terminologie ? Le terme « fermé
+ de Zariski » insiste sur $X$ en tant que plongé dans l'espace
+affine $\mathbb{A}^d$. Le terme de « variété algébrique affine »
+insiste sur l'aspect intrinsèque de $X$, muni de ses propres fermés de
+Zariski et de ses propres fonctions régulières, qu'on va maintenant
+présenter. On a vu ci-dessus comment associer à $X$ un anneau
+$\mathcal{O}(X)$ des fonctions régulières, qui coïncide avec
+l'ensemble des fonctions $X \to k$ qui sont restrictions de fonctions
+polynomiales sur $k^d$.
+
+On appelle \textbf{morphisme de variétés algébriques affines} sur $k$
+entre un fermé de Zariski $X \subseteq k^d$ et un fermé de Zariski $Y
+\subseteq k^e$ une application $X \to Y$ telle que chacune des $e$
+coordonnées à l'arrivée soit une fonction régulière sur $X$.
+Autrement dit, il s'agit de la donnée de $e$ éléments $f_1,\ldots,f_e$
+de $\mathcal{O}(X)$ tels que $(f_1(x),\ldots,f_e(x)) \in Y$ pour tout
+$x \in X$.
+\begin{prop}
+Si $X = Z(I) \subseteq k^d$ et $Y = Z(J) \subseteq k^e$, et si
+$(f_1,\ldots,f_e) \in \mathcal{O}(X)$, alors $f = (f_1,\ldots,f_e)$
+définit un morphisme $X\to Y$ (autrement dit $(f_1(x),\ldots,f_e(x))
+\in Y$ pour tout $x \in X$) \emph{si et seulement si}
+$h(f_1,\ldots,f_e) = 0$ (vu comme élément de $\mathcal{O}(X)$) pour
+tout $h \in J$.
+\end{prop}
+\begin{proof}
+Il y a équivalence entre :
+\begin{itemize}
+\item $h(f_1,\ldots,f_e) = 0$ dans $\mathcal{O}(Y)$ pour tout $h \in J$,
+\item $h(f_1(x),\ldots,f_e(x)) = 0$ pour tout $h \in J$ et $x \in X$, et
+\item $(f_1(x),\ldots,f_e(x)) \in Y$ pour tout $x \in X$.
+\end{itemize}
+(L'équivalence entre les deux premières affirmations vient du fait que
+pour $g\in \mathcal{O}(X)$, ici $g = h(f_1,\ldots,f_e)$, on a $g=0$ si
+et seulement si $g(x)=0$ pour tout $x\in X$. L'équivalence entre les
+deux dernières vient du fait que $(y_1,\ldots,y_e) \in Y$ si et
+seulement si $h(y_1,\ldots,y_e) = 0$ pour tout $h \in J$ par
+définition de $Y = Z(J)$.)
+\end{proof}
+
+Remarquons en particulier que les fonctions régulières sur $X$
+(c'est-à-dire les éléments de $\mathcal{O}(X)$) peuvent se voir comme
+des morphismes $X \to \mathbb{A}^1$ de $X$ vers la droite affine.
+
+Remarquons par ailleurs que les morphismes de variétés algébriques se
+composent : donnés deux morphismes $X \to Y$ et $Y \to Z$, on peut
+définir un morphisme $X \to Z$ en composant les applications.
+
+Lorsque $f \colon X \to Y$ est un morphisme comme ci-dessus, on
+définit $f^* \colon \mathcal{O}(Y) \to \mathcal{O}(X)$ de la façon
+suivante : si $h \in \mathcal{O}(Y)$ est une fonction régulière vue
+comme un morphisme $Y \to \mathbb{A}^1$, on définit $f^*(h) \in
+\mathcal{O}(X)$ comme la fonction régulière donnée par le morphisme
+composé $h\circ f \colon X \to \mathbb{A}^1$. (Autrement dit, $f^*$
+est l'application de composition à droite par $f$.)
+
+\begin{prop}
+Si $X \subseteq \mathbb{A}^d$ et $Y \subseteq \mathbb{A}^e$ sont deux
+variétés algébriques affines, la correspondance $f \mapsto f^*$
+définie ci-dessus définit une bijection entre les morphismes $X \to Y$
+de variétés algébriques affines et les morphismes $\mathcal{O}(Y) \to
+\mathcal{O}(X)$ de $k$-algèbres.
+\end{prop}
+\begin{proof}
+Si les indéterminées $u_1,\ldots,u_e$ sont les $e$ coordonnées sur
+$\mathbb{A}^e$, alors les classes de $u_1,\ldots,u_e$ définissent des
+éléments de $\mathcal{O}(Y)$ : si $f \colon X \to Y$ est un morphisme
+de variétés algébriques, alors les fonctions $f_1,\ldots,f_e \in
+\mathcal{O}(X)$ le définissant sont simplement les images par $f^*$ de
+ces éléments. Ceci montre que $f^*$ permet de retrouver $f$ (la
+correspondance $f \mapsto f^*$ est injective). Et si $\psi \colon
+\mathcal{O}(Y) \to \mathcal{O}(X)$ est un morphisme quelconque, alors
+en définissant $f_1,\ldots,f_e$ comme les images de $u_1,\ldots,u_e
+\in \mathcal{O}(Y)$ par $\psi$, on a $h(f_1,\ldots,f_e) = 0$ dans
+$\mathcal{O}(Y)$ pour tout $h \in J$ (puisque $h(u_1,\ldots,u_e) = 0$
+dans $\mathcal{O}(Y)$) donc $f_1,\ldots,f_e$ définissent bien un
+morphisme $X \to Y$.
+\end{proof}
+
+\smallbreak
+
+Une fois qu'on dispose de cette notion de morphisme, on peut par
+exemple dire que deux variétés algébriques affines $X,Y$ sont
+\textbf{isomorphes} lorsqu'il existe des morphismes $X \to Y$ et $Y
+\to X$ dont la composée chaque sens est l'identité. Ceci signifie,
+tout simplement, que les $k$-algèbres $\mathcal{O}(X)$ et
+$\mathcal{O}(Y)$ sont isomorphes.
+
+Ceci justifie partiellement la différence de terminologie entre
+« fermé de Zariski » (dans $k^d$) et « variété algébrique affine »
+(sur $k$) : dans le premier cas, on insiste sur $X$ en tant que partie
+de $k^d$, tandis que dans le second cas on la considère \emph{à
+ isomorphisme près} de variété algébrique affine (sur $k$).
+
+Pour souligner qu'on parle de l'ensemble des points de $X$, plutôt que
+de $X$ comme variété algébrique affine, on écrit parfois $X(k)$.
+
+\smallbreak
+
+\textbf{Exemples :} Considérons la courbe d'équation $y^2 = x^3$,
+c'est-à-dire $C = Z(g)$ où $g = y^2 - x^3 \in k[x,y]$ (anneau des
+polynômes à deux indéterminées $x,y$ sur un corps algébriquement
+clos $k$), et $\mathbb{A}^1$ la droite affine sur $k$. On a
+$\mathcal{O}(C) = k[x,y]/(y^2-x^3)$ et $\mathcal{O}(\mathbb{A}^1) =
+k[t]$. On définit un morphisme $\mathbb{A}^1 \buildrel f\over\to C$
+par $t \mapsto (t^2,t^3)$ : ce morphisme correspond à un morphisme
+d'anneaux dans l'autre sens, $\mathcal{O}(C) \buildrel f^*\over\to
+\mathcal{O}(\mathbb{A}^1)$, donné par $x \mapsto t^2$ et $y \mapsto
+x^3$. Ce morphisme n'est pas un isomorphisme car $t$ n'est pas dans
+l'image de $f^*$. Ceci, bien que $\mathbb{A}^1(k) \to C(k)$ soit une
+bijection au niveau des $k$-points.
+
+Considérons la courbe $C^\sharp$ (la « cubique gauche » affine)
+d'équations $y = z^3$ et $x = z^2$, c'est-à-dire $C^\sharp =
+Z(x-z^2,\penalty-100 y-z^3)$. On a un morphisme $\mathbb{A}^1 \to
+C^\sharp$ envoyant $t$ sur $(t^2, t^3, t)$ : cette fois, ce morphisme
+est un isomorphisme, et sa réciproque est donnée par $(x,y,z) \mapsto
+z$. L'anneau $\mathcal{O}(C^\sharp) = k[x,y,z]/(x-z^2,\penalty-100
+y-z^3)$ est isomorphe à $k[t]$. Par ailleurs, le morphisme
+$\mathbb{A}^1 \to C$ décrit au paragraphe précédent peut être vu comme
+la composée de l'isomorphisme $\mathbb{A}^1 \to C^\sharp$ et de la
+projection $C^\sharp \to C$ décrite par $(x,y,z) \mapsto (x,y)$.
+
+Sur le cercle $C = Z(x^2+y^2-1)$ (pas le même $C$ que dans les deux
+paragraphes précédents), si $k$ est de caractéristique $\neq 5$, on
+peut définir le morphisme $C \to C$ de « rotation
+ d'angle $\arctan\frac{3}{4}$ » (terminologie abusive si $k$ n'est
+pas un corps contenant $\mathbb{R}$) ou « multiplication par le
+ point $(\frac{4}{5},\frac{3}{5})$ » par $(x,y) \mapsto (\frac{4}{5}x
+- \frac{3}{5}y, \frac{3}{5}x + \frac{4}{5}y)$. C'est un isomorphisme
+de $C$ avec lui-même. On pourrait définir l'opération de composition
+$C \times C \to C$ par $((x,y),(x',y')) \mapsto (xx'-yy', xy'+yx')$
+mais il faudrait pour cela avoir défini le produit de deux variétés
+(pour donner un sens à $C \times C$), ce qu'on n'a pas encore fait.
+
+\medbreak
+
+\textbf{Variétés algébriques affines abstraites, et le spectre d'une
+ algèbre.}
+
+\textbf{Note :} On considère que deux variétés algébriques (affines)
+sont « la même » lorsqu'elle sont isomorphes, alors que deux fermés de
+Zariski sont « le même » lorsqu'ils sont égaux dans le $\mathbb{A}^d$
+dans lequel ils vivent. Par exemple, la cubique gauche $C^\sharp$
+décrite ci-dessus, en tant que fermé de Zariski, n'est pas une droite,
+mais en tant que variété algébrique affine c'est juste $\mathbb{A}^1$
+puisqu'on a montré qu'elle lui était isomorphe. Ou, si on préfère, un
+fermé de Zariski de $\mathbb{A}^d$ est la donnée d'une variété
+algébrique affine \emph{plus} un plongement de celle-ci
+dans $\mathbb{A}^d$.
+
+Dans cette optique, si $R$ est une $k$-algèbre de type fini (on
+rappelle, cf. \ref{finite-type-algebras}, que cela signifie que $R$
+est engendrée en tant qu'algèbre par un nombre fini d'éléments
+$x_1,\ldots,x_d$, autrement dit que $R$ peut se voir comme le quotient
+de $k[t_1,\ldots,t_d]$ par un idéal $(f_1,\ldots,f_r)$ de ce dernier)
+et si $R$ est réduite, alors on peut voir $R$ comme l'anneau
+$\mathcal{O}(X)$ pour une certaine variété algébrique $X$, à savoir le
+$X = Z(f_1,\ldots,f_r)$ défini par les équations
+$f_1=0,\ldots,\penalty-100 f_r=0$ dans $\mathbb{A}^d$. Cette variété
+est unique en ce sens que toutes les variétés $X$ telles que
+$\mathcal{O}(X) = R$ sont isomorphes (puisque leurs $\mathcal{O}(X)$
+sont isomorphes, justement). On peut donc donner un nom à $X$ : c'est
+le \textbf{spectre} de $R$, noté $\Spec R$. (Par exemple, $\Spec k[t]
+= \mathbb{A}^1_k$ et plus généralement $\Spec k[t_1,\ldots,t_d] =
+\mathbb{A}^d_k$. Et bien sûr, $\Spec k$ est vu comme un point. Quant
+à l'ensemble vide, c'est $\Spec 0$ où $0$ est l'anneau nul.)
+
+Abstraitement, on peut donc dire que les variétés algébriques affines
+sont les $\Spec R$ pour $R$ une $k$-algèbre réduite de type fini.
+
+%
+\subsection{La topologie de Zariski}
+
+On appelle \textbf{ouvert de Zariski} dans $k^d$ (toujours avec $k$ un
+corps algébriquement clos) le complémentaire d'un fermé de Zariski.
+Autrement dit, si $I$ est un idéal de $k[t_1,\ldots,t_d]$, on définit
+$U(I) = \{(x_1,\ldots,x_d) \in k^d :\penalty0 (\exists f\in I)\,
+f(x_1,\ldots,x_d) \neq 0\}$ le complémentaire de $Z(I)$ : un ouvert de
+Zariski de $k^d$ est un ensemble de la forme $U(I)$. Plus
+généralement, si $X$ est une variété algébrique affine, si $I$ est un
+idéal de $\mathcal{O}(X)$, on définit $U(I) = \{(x_1,\ldots,x_d) \in X
+:\penalty0 (\exists f\in I)\, f(x_1,\ldots,x_d) \neq 0\}$ le
+complémentaire de $Z(I)$ : on appelle ces ensembles ouverts de Zariski
+de $X$.
+
+Étant donné qu'une intersection quelconque ou une réunion finie de
+fermés sont des fermés, dualement, \emph{une réunion quelconque ou une
+ intersection finie d'ouverts sont des ouverts} (par ailleurs,
+l'ensemble vide et l'ensemble plein sont des ouverts) --- ces
+propriétés sont constitutives de la notion de \emph{topologie}, en
+l'occurrence la \textbf{topologie de Zariski} (sur l'ensemble $k^d$ ou
+$X(k)$).
+
+\smallbreak
+
+Si $X'$ est un fermé de Zariski de $X$, alors les fermés et ouverts de
+Zariski de $X'$ sont précisément les intersections avec $X'$ des
+fermés et ouverts de Zariski de $X$. (On dit que la topologie de $X'$
+est \emph{induite} par celle de $X$.)
+
+\smallbreak
+
+Si $I$ est engendré par les éléments $f_1,\ldots,f_r$, on peut écrire
+$U(I) = D(f_1) \cup \cdots \cup D(f_r)$ où $D(f_i) := U(\{f_i\})$ est
+l'ouvert où $f_i$ ne s'annule pas. Les $D(f)$ s'appellent parfois
+\emph{ouverts principaux}, on verra plus loin pourquoi il est utile de
+les distinguer ; ceci montre qu'ils forment une \emph{base d'ouverts}
+(un ensemble d'ouverts stable par intersections fines est dit former
+une base d'ouverts pour une topologie lorsque tout ouvert est une
+réunion d'une sous-famille d'entre eux).
+
+\begin{prop}\label{covering-by-principal-open-sets}
+Si $X$ est une variété algébrique affine et $f_i \in \mathcal{O}(X)$
+(pour $i \in \Lambda$ disons), alors $\bigcup_{i\in\Lambda} D(f_i) =
+X$ si et seulement si les $f_i$ engendrent l'idéal unité
+dans $\mathcal{O}(X)$ (c'est-à-dire ssi il existe des $g_i$, tous nuls
+sauf un nombre fini, tels que $\sum_{i\in\Lambda} g_i f_i = 1$).
+\end{prop}
+\begin{proof}
+Dire $\bigcup_{i\in\Lambda} D(f_i) = X$ équivaut à
+$\bigcap_{i\in\Lambda} Z(f_i) = \varnothing$, c'est-à-dire encore
+$Z(\{f_i\}) = \varnothing$, soit encore $Z(I) = \varnothing$ où $I$
+est l'idéal engendré par les $f_i$, et l'énoncé découle du
+Nullstellensatz faible.
+\end{proof}
+
+On aura besoin pour la suite de remarquer que $D(f) \cap D(f') =
+D(ff')$.
+
+\smallbreak
+
+Un peu de vocabulaire de topologie : dans ce qui suit, on suppose que
+$X$ est un ensemble muni d'une topologie (c'est-à-dire un ensemble de
+parties de $X$ dites « ouvertes » contenant $\varnothing$ et $X$ et
+telles qu'une réunion quelconque ou une intersection finie d'ouverts
+sont des ouverts), sachant qu'on s'intéresse évidemment au cas de la
+topologie de Zariski.
+
+Si $x \in U \subseteq V$ avec $U$ ouvert (et $V$ une partie quelconque
+de $X$), on dit que $V$ est un \textbf{voisinage} de $x$. (Un
+voisinage ouvert de $x$ est donc tout simplement la même chose qu'un
+ouvert contenant $x$.)
+
+Si $E \subseteq X$ est une partie quelconque, l'intersection de tous
+les fermés (=complémentaires des ouverts) contenant $E$, c'est-à-dire
+le plus petit fermé contenant $E$, s'appelle \textbf{adhérence}
+de $E$, parfois notée $\overline{E}$. Il s'agit de l'ensemble des $x
+\in X$ tels que tout voisinage de $x$ rencontre $E$. Lorsque
+l'adhérence de $E$ est $X$ tout entier, on dit que $E$ est
+\textbf{dense} dans $X$.
+
+On dit que $X$ est \textbf{irréductible} lorsque toute écriture $X =
+F' \cup F''$ avec $F',F''$ fermés impose $F' = X$ ou $F'' = X$ ; de
+façon équivalente, cela signifie que tout ouvert non vide de $X$ est
+dense.
+
+On dit que $X$ est \textbf{connexe} lorsque ($X$ est non vide et que)
+$\varnothing$ et $X$ sont les seuls ensembles à la fois ouverts et
+fermés dans $X$. (« Irréductible » est plus fort que « connexe », car
+si $X$ est irréductible, tout ouvert non vide est dense, et en
+particulier le seul ouvert fermé non vide est $X$ tout entier.)
+
+\smallbreak
+
+Dans le cas de la topologie de Zariski sur une variété algébrique
+affine $X$ sur un corps algébriquement clos $k$ (c'est-à-dire,
+sur $X(k)$) :
+\begin{itemize}
+\item $X$ est irréductible ssi $\mathcal{O}(X)$ est intègre
+ (cf. \ref{closed-irreducible-iff-prime-ideal}),
+\item l'adhérence de Zariski d'une partie $E \subseteq X(k)$ est
+ $Z(\mathfrak{I}(E))$ (en effet, ceci est un fermé de Zariski
+ contenant $E$, et si $Z(J) \supseteq E$ est un autre fermé de
+ Zariski contenant $E$ alors on a vu $J \subseteq \mathfrak{I}(E)$
+ donc $Z(J) \supseteq Z(\mathfrak{I}(E))$ --- ceci montre que
+ $Z(\mathfrak{I}(E))$ est bien le plus petit pour l'inclusion fermé
+ de Zariski contenant $E$).
+\end{itemize}
+
+Exemple (idiot) : On suppose $k$ de caractéristique zéro, disons $k =
+\mathbb{C}$ ; quelle est l'adhérence de Zariski de $\mathbb{Z}$ dans
+$\mathbb{A}^1(k)$ ? Réponse : L'ensemble $\mathfrak{I}(\mathbb{Z})$
+des polynômes s'annulant en chaque point de $\mathbb{Z}$ est réduit
+à $(0)$ puisqu'un polynôme en une variable ne peut avoir qu'un nombre
+fini de racines ; donc l'adhérence de Zariski de $\mathbb{Z}$ est
+$Z(\mathfrak{I}(\mathbb{Z})) = \mathbb{A}^1(k)$ tout entier,
+c'est-à-dire que $\mathbb{Z}$ est dense dans la droite affine pour la
+topologie de Zariski. Plus généralement, on peut facilement montrer
+que les seuls fermés de Zariski de $\mathbb{A}^1(k)$ sont la droite
+$\mathbb{A}^1(k)$ tout entière et les parties \emph{finies}.
+
+\medbreak
+
+\textbf{Composantes connexes.}
+
+\begin{prop}
+Si $X$ est une variété algébrique affine, alors $X$ est connexe si et
+seulement si les seuls éléments $e \in \mathcal{O}(X)$ vérifiant $e^2
+= e$ (appelés \textbf{idempotents}) sont $0$ et $1$.
+\end{prop}
+
+\begin{prop}
+Toute variété algébrique affine $X$ est réunion d'un nombre fini de
+fermés connexes. De plus, il existe une écriture $X = \bigcup_{i=1}^n
+X_i$ vérifiant $X_i \cap X_j = \varnothing$ pour $i \neq j$, et une
+telle écriture est unique (à l'ordre des facteurs près) : les $X_i$
+s'appellent les \textbf{composantes connexes} de $X$.
+\end{prop}
+
+\medbreak
+
+\textbf{Composantes irréductibles.}
+
+\begin{prop}
+Toute variété algébrique affine $X$ est réunion d'un nombre fini de
+fermés irréductibles. De plus, il existe une écriture $X =
+\bigcup_{i=1}^n X_i$ vérifie $X_i \not\subseteq X_j$ pour $i \neq j$,
+et une telle écriture est unique (à l'ordre des facteurs près) : les
+$X_i$ s'appellent les \textbf{composantes irréductibles} de $X$.
+\end{prop}
+
+\textbf{Exemple :} $Z(xy) \subseteq \mathbb{A}^2$ a pour composantes
+irréductibles $Z(x)$ et $Z(y)$. En revanche, il est connexe (=sa
+seule composante connexe est lui-même) : en effet, si $U$ est un
+ouvert fermé de $Z(xy)$, quitte à remplacer $U$ par son complémentaire
+on peut supposer que $U$ contient $(0,0)$, et alors $U$ est un ouvert
+fermé rencontrant $Z(x)$ et $Z(y)$ à la fois --- mais comme ceux-ci
+sont irréductibles, et en particulier connexes, $U \cap Z(x) = Z(x)$
+et $U \cap Z(y) = Z(y)$, ce qui montre $U = Z(xy)$.
+
+%
+\subsection{Fonctions régulières sur un ouvert, morphismes}
+
+Soit $X$ une variété algébrique affine sur $k$, et $f \in
+\mathcal{O}(X)$. On définira \textbf{l'anneau des fonctions
+ régulières} sur l'ouvert principal $D(f) = X \setminus Z(f)$ comme
+le localisé $\mathcal{O}(X)[\frac{1}{f}]$ inversant $f$ de l'anneau
+$\mathcal{O}(X)$ des fonctions régulières sur $X$. Autrement dit
+(cf. \ref{subsection-localization}), les fonctions régulières sont
+$D(f)$ sont définies comme des fractions de fonctions régulières
+sur $X$ admettant une puissance de $f$ au dénominateur.
+
+On peut bien les voir comme des fonctions : si $x \in D(f)$, cela
+signifie que $x \in X$ et que $f(x) \neq 0$, ce qui permet d'évaluer
+en $x$ une fonction de la forme $\frac{g}{f^n}$.
+
+\textbf{Exemple :} Les fonctions régulières sur
+$\mathbb{A}^1\setminus\{0\}$ (la droite affine privée de l'origine,
+c'est-à-dire $D(t)$ dans $\mathbb{A}^1 = \Spec k[t]$) sont les
+fonctions rationnelles de la forme $\frac{g}{t^n}$ avec $n\geq 0$
+(=les fonctions rationnelles n'ayant pas d'autre pôle qu'en zéro).
+Plus généralement, toute fonction rationnelle $h \in k(t)$ peut être
+considérée comme une fonction régulière sur un certain ouvert
+de $\mathbb{A}^1$, à savoir l'ouvert où le dénominateur de $h$ ne
+s'annule pas.
+
+\smallbreak
+
+Si $I = (f_1,\ldots,f_r)$ est un idéal de $\mathcal{O}(X)$, avec $X$
+une variété algébrique affine, on appelle \textbf{fonction régulière}
+sur $U := U(I) = D(f_1) \cup \cdots \cup D(f_r) = X \setminus Z(I)$ la
+donnée d'une fonction $h \colon U \to k$ telle que la restriction de
+$h$ à chaque $D(f_i)$ soit une fonction régulière. \emph{Fait :} Ceci
+ne dépend pas du choix des $f_i$ engendrant l'idéal $I$. Ces
+fonctions régulières forment un anneau, noté $\mathcal{O}(U)$.
+
+\smallbreak
+
+Si $U$ est un ouvert de Zariski d'une variété algébrique affine $X$,
+et $V$ un ouvert de Zariski d'une variété algébrique affine $Y
+\subseteq \mathbb{A}^e$, on appelle \textbf{morphisme} $U \to V$ une
+application $U \to V$ telle que chacune des $e$ coordonnées à
+l'arrivée soit une fonction régulière sur $U$. Autrement dit, il
+s'agit de la donnée de $e$ éléments $f_1,\ldots,f_e$ de
+$\mathcal{O}(U)$ tels que $(f_1(x),\ldots,f_e(x)) \in V$ pour tout $x
+\in U$. Comme précédemment, les fonctions régulières ne sont autres
+que les morphismes vers $\mathbb{A}^1$. On appellera
+\textbf{isomorphisme} entre $U$ et $V$ la donnée de morphismes $U \to
+V$ et $V \to U$ dont la composée chaque sens est l'identité.
+
+On appelle \textbf{variété algébrique quasi-affine}, un ouvert d'une
+variété algébrique affine (considérée à isomorphisme près) comme on
+vient de le décrire.
+
+\begin{prop}\label{morphisms-to-affines}
+Si $U$ est une variété algébrique \emph{quasi-affine} et $Y$ une
+variété algébrique \emph{affine}, alors les morphismes $U \to Y$ sont
+en correspondance avec les morphismes $\mathcal{O}(Y) \to
+\mathcal{O}(U)$ (de $k$-algèbres) en envoyant $f\colon U\to Y$ sur
+$f^* \colon \mathcal{O}(Y) \to \mathcal{O}(U)$ (défini comme le
+morphisme qui envoie une fonction régulière $h \colon Y \to
+\mathbb{A}^1$ sur $f^*(h) := h\circ f \colon U\to \mathbb{A}^1$).
+\end{prop}
+
+Les ouverts \emph{principaux} (les $D(f)$), en fait, n'apportent rien
+de nouveau :
+\begin{prop}\label{principal-open-sets-are-affine}
+Si $f\in \mathcal{O}(X)$ avec $X$ une variété algébrique affine, alors
+l'ouvert principal $D(f) = X \setminus Z(f)$ est isomorphe à la
+variété algébrique affine $\Spec \mathcal{O}(X)[\frac{1}{f}]$.
+\end{prop}
+
+En revanche, pour un ouvert quelconque, on obtient véritablement des
+choses nouvelles.
+
+\danger La proposition \ref{morphisms-to-affines} cesse d'être vraie
+si on considère des morphismes entre deux variétés algébriques
+quasi-affines quelconques. Par exemple, le plan affine $\mathbb{A}^2
+= \Spec k[x,y]$ et le complémentaire $\mathbb{A}^2\setminus\{(0,0)\}$
+de l'origine dans le plan affine ont exactement le même anneau des
+fonctions régulières, pourtant, ces deux variétés quasi-affines ne
+sont pas isomorphes.
+
+Si $U$ est une variété algébrique quasi-affine, il existe un morphisme
+naturel $\psi\colon U \to \Spec \mathcal{O}(U)$ d'après la
+proposition \ref{morphisms-to-affines}, à savoir celui qui correspond
+à l'identité sur $\mathcal{O}(U)$. On dit que la variété algébrique
+quasi-affine $U$ est \textbf{affine} lorsque $\psi$ est un
+isomorphisme (de façon équivalente, lorsque $U$ est isomorphe à une
+variété algébrique affine telle qu'on l'a définie précédemment).
+
+La proposition \ref{principal-open-sets-are-affine} a pour conséquence
+utile le fait que tout point d'une variété algébrique quasi-affine a
+un \emph{voisinage} affine (autrement dit, « pour l'étude locale, les
+ affines suffisent »).
+
+
+%
+%
+%
+
+\section{L'espace projectif et les variétés quasiprojectives}
+
+\subsection{L'espace projectif sur un corps}
+
+Si $k$ est un corps, on note $\mathbb{P}^d(k)$ (ou juste
+$\mathbb{P}^d$ si $k$ est algébriquement clos et sous-entendu)
+l'ensemble des $(d+1)$-uplets d'éléments \emph{non tous nuls} de $k$
+modulo la relation d'équivalence $(x_0,\cdots,x_d) \sim
+(x'_0,\cdots,x'_d)$ ssi les vecteurs $(x_0,\cdots,x_d)$ et
+$(x'_0,\cdots,x'_d)$ sont colinéaires. On note $(x_0:\cdots:x_d)$
+(certains auteurs préfèrent $[x_0,\ldots,x_d]$) la classe de
+$(x_0,\ldots,x_d)$ pour cette relation d'équivalence. On peut voir
+$\mathbb{P}^d(k)$ comme l'ensemble des droites vectorielles (=passant
+par l'origine) de $k^{d+1}$.
+
+Idée intuitive : tout point de $\mathbb{P}^d(k)$, selon
+que $x_0 \neq 0$ ou $x_0 = 0$, peut être mis sous la forme
+$(1:x_1:\cdots:x_d)$ (avec $x_1,\ldots,x_d$ quelconques) ou bien
+$(0:x_1:\cdots:x_d)$ (avec $x_1,\ldots,x_d$ non tous nuls). Le point
+$(x_1,\ldots,x_d)$ de $\mathbb{A}^d$ sera identifié au point
+$(1:x_1:\cdots:x_d)$ de $\mathbb{P}^d$, tandis que les points de la
+forme $(0:x_1:\ldots:x_d)$ sont appelés « points à l'infini » (et
+collectivement, « hyperplan à l'infini »). On peut donc écrire
+$\mathbb{P}^d(k) = \mathbb{A}^d(k) \cup \mathbb{P}^{d-1}(k)$ (réunion
+disjointe de l'ensemble $Z(x_0)(k)$ des points où $x_0 \neq 0$ et de
+celui $D(x_0)(k)$ des points où $x_0 = 0$) ; moralement, on aura envie
+que $\mathbb{A}^d$ soit un ouvert dans $\mathbb{P}^d$ et
+$\mathbb{P}^{d-1}$ son fermé complémentaire. Noter que le choix de
+$x_0$ est arbitraire : on peut voir $\mathbb{P}^d$ comme réunion de
+$d+1$ espaces affines $\mathbb{A}^d$ (à savoir
+$D(x_0),\ldots,D(x_d)$).
+
+%
+\subsection{Polynômes homogènes, fermés et ouverts de Zariski de $\mathbb{P}^d$,
+ Nullstellensatz projectif}
+
+On veut voir $\mathbb{P}^d$ comme une variété algébrique (au moins
+pour $k$ algébriquement clos pour le moment). Il faudra une notion
+d'ouverts et une notion de fonctions régulières.
+
+On dit qu'un $f \in k[t_0,\ldots,t_d]$ est \textbf{homogène de
+ degré $\ell$} lorsque tous les monômes qui le constituent ont le
+même degré total $\ell$. L'intérêt de cette remarque est que si
+$(x_0:\cdots:x_d) \in \mathbb{P}^d(k)$ avec $k$ un corps, et $f \in
+k[t_0,\ldots,t_d]$ est homogène, le fait que $f(x_0,\ldots,x_d) = 0$
+ou $\neq 0$ ne dépend pas du choix du représentant choisi de
+$(x_0:\cdots:x_d)$. On peut donc définir $Z(f) = \{(x_0:\cdots:x_d)
+\in \mathbb{P}^d(k) : f(x_0,\ldots,x_d) = 0\}$ et $D(f)$ son
+complémentaire.
+
+On apppelle \textbf{partie homogène de degré $\ell$} d'un polynôme $f
+\in k[t_0,\ldots,t_d]$ la somme de tous ses monômes de degré
+total $\ell$. Évidemment, tout polynôme est la somme de ses parties
+homogènes. Le produit de deux polynômes homogènes de degrés
+respectifs $\ell$ et $\ell'$ est homogène de degré $\ell+\ell'$.
+
+On dit qu'un idéal $I$ de $k[t_0,\ldots,t_d]$ est \textbf{homogène}
+lorsqu'il peut être engendré par des polynômes homogènes (cela ne
+signifie pas, évidemment, qu'il ne contient que des polynômes
+homogènes, ni même que \emph{tout} ensemble de générateurs de $I$ soit
+constitué de polynômes homogènes). De façon équivalente, il s'agit
+d'un idéal tel que pour tout $f\in I$, toute partie homogène de $f$
+est encore dans $I$. (Démonstration de l'équivalence : si toute
+partie homogène d'un élément de $I$ appartient encore à $I$, en
+prenant un ensemble quelconque de générateurs de $I$, les parties
+homogènes de ceux-ci appartiennent encore à $I$ et sont encore
+génératrices puisqu'elles engendrent les générateurs choisis, donc $I$
+admet bien un ensemble de générateurs homogènes ; réciproquement, si
+$I$ est engendré par $f_1,\ldots,f_r$ homogènes de degrés
+$\ell_1,\ldots,\ell_r$ et si $h$ appartient à $I$, disons $h = \sum_i
+g_i f_i$, alors pour tout $\ell$, la partie homogène de degré $\ell$
+de $h$ est $h^{[\ell]} = \sum_i g_i^{[\ell-\ell_i]} f_i$ où
+$g_i^{[\ell-\ell_i]}$ désigne la partie homogène de degré
+$\ell-\ell_i$ de $g_i$, donc $h^{[\ell]}$ appartient aussi à $I$.)
+
+(Concrètement, dire que $I$ est homogène signifie --- au moins lorsque
+$I$ est radical et que $k$ est algébriquement clos --- que le fermé
+\emph{affine} qu'il définit dans $\mathbb{A}^{d+1}$ est un
+\emph{cône}, c'est-à-dire stable par homothéties. L'ensemble $Z(I)$
+défini ci-dessus va être ce cône vu comme un ensemble de droites
+vectorielles donc comme un objet géométrique dans $\mathbb{P}^d$.)
+
+Pour $I$ idéal homogène de $k[t_0,\ldots,t_d]$, on définit $Z(I)$
+comme l'intersection des $Z(f)$ pour $f\in I$ homogène, ou simplement,
+d'après ce qui précède, l'intersection des $Z(f)$ pour $f$ parcourant
+un ensemble de générateurs homogènes de $I$. Les $Z(I)$ s'appellent
+les fermés [de Zariski] de $\mathbb{P}^d$. Inversement, si $E$ est
+une partie de $\mathbb{P}^d$, on appelle $\mathfrak{I}(E)$ l'idéal
+(par définition homogène) engendré par les polynômes homogènes $f$
+s'annulant en tout point de $E$ (c'est-à-dire tels que $Z(f) \supseteq
+E$).
+
+\begin{thm}
+Si $k$ est un corps algébriquement clos :
+\begin{itemize}
+\item (Nullstellensatz faible projectif.) Pour $I$ un idéal homogène
+ de $k[t_0,\ldots,t_d]$, on a $Z(I) = \varnothing$ dans
+ $\mathbb{P}^d$ ssi il existe un entier naturel $\ell$ tel que $I$
+ contienne tous les monômes en $t_0,\ldots,t_d$ de degré total $\ell$
+ (et, par conséquent, de tout degré plus grand). Un tel idéal
+ s'appelle \textbf{irrelevant} [avec un bel anglicisme].
+\item (Nullstellensatz projectif.) Les fonctions $I \mapsto Z(I)$ et
+ $E \mapsto \mathfrak{I}(E)$ définissent des bijections réciproques,
+ décroissantes pour l'inclusion, entre les idéaux homogènes radicaux
+ de $k[t_0,\ldots,t_d]$ autres que $(t_0,\ldots,t_d)$ d'une part, et
+ les fermés de Zariski de $\mathbb{P}^d(k)$ d'autre part.
+\item Ces bijections mettent en corrrespondance les idéaux homogènes
+ premiers de $k[t_0,\ldots,t_d]$ avec les fermés irréductibles
+ de $\mathbb{P}^d$.
+\end{itemize}
+\end{thm}
+
+\begin{rmk}
+Pour qu'un idéal homogène $I$ de $k[t_0,\ldots,t_d]$ contienne tous
+les monômes à partir d'un certain degré total $\ell$ (c'est-à-dire,
+qu'il soit irrelevant), il faut et il suffit qu'il contienne tous les
+$t_i^n$ à partir d'un certain $n$. (En effet, un sens est trivial, et
+pour l'autre sens, si $I$ contient tous les $t_i^n$, alors il contient
+tout monôme de degré $(d+1)n$, puisqu'un tel monôme contient au moins
+un $t_i$ à la puissance $n$.) Comme il n'y a qu'un nombre fini des
+$t_i$, on peut aussi intervertir les quantificateurs : c'est encore la
+même chose que de dire que pour chaque $i$, l'idéal $I$ contient une
+certaine puissance $t_i^{n_i}$ de $t_i$.
+\end{rmk}
+
+\smallbreak
+
+Les ouverts de Zariski de $\mathbb{P}^d$ sont bien sûr, par
+définition, les complémentaires $U(I)$ des fermés de Zariski $Z(I)$.
+Ils peuvent toujours s'écrire de la forme $D(f_1) \cup \cdots \cup
+D(f_r)$ où $f_1,\ldots,f_r$ sont des polynômes homogènes en
+$t_0,\ldots,t_d$.
+
+
+%
+\subsection{Le lien affine-projectif}\label{subsection-affine-vs-projective}
+
+On a déjà signalé que $\mathbb{P}^d$ est la réunion des $d+1$ ouverts
+$D(t_0),\ldots,D(t_d)$, qu'on veut considérer comme $d+1$ espaces
+affines, ou $d+1$ copies de l'espace affine $\mathbb{A}^d$. Il faut
+considérer que les coordonnées affines sur $D(t_i)$ sont les
+$\frac{t_j}{t_i}$ avec $j\neq i$ (ce qui fait $d$ coordonnées).
+
+Le lien affine-projectif est explicité par les affirmations
+suivantes :
+\begin{itemize}
+\item Si $f \in k[t_0,\ldots,t_d]$ est homogène de degré $\ell$,
+ l'intersection de $Z(f) \subseteq \mathbb{P}^d$ avec $D(t_i)$ est
+ donnée par $Z(\frac{f}{t_i^\ell}) \subseteq \mathbb{A}^d$ en voyant
+ $\frac{f}{t_i^\ell}$ comme un polynôme en les $\frac{t_j}{t_i}$.
+\item Plus généralement, si $X = Z(I) \subseteq \mathbb{P}^d$ est le
+ fermé de Zariski défini par un idéal homogène $I$ de
+ $k[t_0,\ldots,t_d]$, l'intersection de $X$ avec $D(t_i)$ est la
+ variété affine $Z(I_{t_i}) \subseteq \mathbb{A}^d$ où $I_{t_i}$ est
+ l'idéal engendré par les $\frac{f_j}{t_i^{\ell_j}}$ pour $f_j$
+ parcourant des générateurs homogènes de $I$ et $\ell_j = \deg f_j$
+ (l'idéal $I_{t_i}$ ne dépend pas du choix des $f_j$).
+\item Bon à savoir : si $I$ est un idéal homogène de
+ $k[t_0,\ldots,t_d]$, alors
+ $k[\frac{t_0}{t_i},\ldots,\frac{t_d}{t_i}]/I_{t_i}$, où $I_{t_i}$
+ est défini ci-dessus, est l'ensemble des éléments homogènes de degré
+ zéro de $(k[t_0,\ldots,t_d]/I)[\frac{1}{\bar t_i}]$. L'un ou
+ l'autre, donc, est vu comme l'ensemble des fonctions régulières sur
+ $Z(I) \cap D(t_i)$.
+\item Inversement, donnée un fermé de Zariski $X = Z(I) \subseteq
+ \mathbb{A}^d$ de l'espace affine, où $I$ est un idéal radical de
+ $k[\tau_1,\ldots,\tau_d]$, on peut définir une variété projective
+ $X^+ = Z(I^+)$ dont l'idéal $I^+$ est engendré par les $f^+ :=
+ t_0^{\deg f} f(\frac{t_1}{t_0},\ldots,\frac{t_d}{t_0}) \in
+ k[t_0,\ldots,t_d]$ pour tous les $f\in I$ (c'est-à-dire les
+ polynômes homogénéisés) : on peut montrer qu'il s'agit précisément
+ de l'adhérence de $X$ dans $\mathbb{P}^d$. Malheureusement, il ne
+ suffit pas en général de prendre un ensemble de générateurs de $I$
+ pour que leurs homogénéisés engendrent $I^+$ (penser à $I =
+ (\tau_2-\tau_1^2,\; \tau_3-\tau_1^3)$ qui contient
+ $\tau_3-\tau_1\tau_2$ alors que $(t_0 t_2 - t_1^2,\; t_0 t_3 -
+ t_1^3)$ ne contient pas $t_0 t_3-t_1 t_2$, il faut le mettre
+ explicitement dans $I^+$). Il y a cependant un cas favorable :
+ lorsque $X = Z(f)$ est une hypersurface, alors $X^+ = Z(f^+)$.
+\end{itemize}
+
+
+%
+\subsection{Variétés projectives et quasi\-projectives, morphismes}\label{subsection-quasiprojective-varieties-and-morphisms}
+
+On appelle \textbf{variété algébrique projective},
+resp. \textbf{variété algébrique quasiprojective} un fermé de Zariski
+de l'espace projectif $\mathbb{P}^d$, resp. un ouvert de Zariski d'une
+telle variété (autrement dit, l'intersection d'un ouvert et d'un fermé
+de Zariski de $\mathbb{P}^d$).
+
+Si $X$ est une variété algébrique projective (resp. quasiprojective)
+dans $\mathbb{P}^d$ et qu'on note $D(t_0),\ldots,D(t_d)$ les $d+1$
+ouverts $\{t_0\neq 0\},\ldots,\{t_d\neq 0\}$ chacun identifié à un
+espace affine $\mathbb{A}^d$, alors, comme expliqué
+en \ref{subsection-affine-vs-projective}, chacun des $X\cap D(t_i)$
+peut être considéré comme une variété algébrique affine
+(resp. quasi-affine).
+
+Comment définir un morphisme entre variétés algébriques projectives ou
+quasiprojectives ? Moralement, on veut le définir comme une
+application qui est « localement » un morphisme entre variétés
+algébriques affines.
+
+On peut par exemple définir une \textbf{fonction régulière} $h$ sur
+une variété projective ou quasiprojective $X$ comme une fonction
+$h\colon X \to \mathbb{A}^1$ telle que $h|_{X \cap D(t_i)}$ soit une
+fonction régulière sur $X \cap D(t_i)$ pour chaque $i$. Pour les
+morphismes, la situation est un peu plus compliquée car il faut
+considérer non seulement des recouvrements au départ mais aussi à
+l'arrivée.
+
+Voici une \underline{première définition possible} : si $X \subseteq
+\mathbb{P}^d$ et $Y \subseteq \mathbb{P}^e$ sont deux variétés
+quasiprojectives, un \textbf{morphisme} $X \to Y$ est une fonction
+$h\colon X \to Y$ telle qu'il existe un recouvrement $X =
+\bigcup_\lambda V_\lambda$ [qu'on peut toujours supposer fini] de $X$
+par des ouverts de Zariski $V_\lambda$, chacun complètement contenu
+dans un $D(t_{i_\lambda}) \cong \mathbb{A}^d$ (ce qui permet de
+considérer au moins $V_\lambda$ ou $X \cap D(t_{i_\lambda})$ comme une
+variété quasi-affine) et tel que $h(V_\lambda)$ soit contenu dans un
+$D(u_{j_\lambda}) \cong \mathbb{A}^e$ de $\mathbb{P}^e$ où on a noté
+$(u_0:\cdots:u_e)$ les coordonnées sur $\mathbb{P}^e$ (ceci permet de
+considérer $Y \cap D(u_{j_\lambda})$ comme une variété quasi-affine),
+avec $h|_{V_\lambda} \colon V_\lambda \to (Y \cap D(u_{j_\lambda}))$
+un morphisme (pour chaque $\lambda$).
+
+Décrivons une \underline{autre définition possible}, qui soit un peu
+plus opérationnelle (on admettra, entre autres choses, que ces
+définitions sont bien équivalentes !). Si $X \subseteq \mathbb{P}^d$
+est une variété quasiprojective, on considère des $(e+1)$-uplets de
+polynômes homogènes $f_0,\ldots,f_e$ \emph{de même degré} en $d+1$
+variables $t_0,\ldots,t_d$. Un tel $(e+1)$-uplet $f =
+(f_0:\cdots:f_e)$ définit une application $V \to \mathbb{P}^e$ par $x
+\mapsto (f_0(x):\cdots:f_e(x))$, où $V$ est l'ensemble (ouvert de
+Zariski) des points $x$ de $X$ tels que $f_0(x), \ldots, f_e(x)$ ne
+s'annulent pas simultanément. Un morphisme $X \to \mathbb{P}^e$ est
+une application $h\colon X \to \mathbb{P}^e$ tel que des restrictions
+$h|_{V_\lambda}\colon V_\lambda \to \mathbb{P}^e$ puissent s'écrire
+sous la forme précédente, pour des ouverts $V_\lambda$ recouvrant $X$.
+Si de plus l'image est contenue dans une variété quasiprojective $Y
+\subseteq \mathbb{P}^e$, on pourra dire qu'il s'agit d'un morphisme $X
+\to Y$.
+
+Concrètement, donc, selon cette seconde définition, se donner un
+morphisme $X \to \mathbb{P}^e$, si $X = Z(I)$ est une variété
+projective avec $I$ idéal radical homogène de $k[t_0,\ldots,t_d]$,
+revient à se donner un certain nombre d'écritures
+$(f^{(\lambda)}_0:\cdots:f^{(\lambda)}_e)$ telles que (i) pour
+chaque $\lambda$, les polynômes
+$f^{(\lambda)}_0,\cdots,f^{(\lambda)}_e$ sont homogènes de même degré,
+(ii) les $f^{(\lambda)}_i$ et $I$ (tous ensemble) engendrent un idéal
+irrelevant (ce qui par le Nullstellensatz revient à dire que pour tout
+point de $X = Z(I)$ il y a au moins un $f^{(\lambda)}_i$ qui ne
+s'annule pas), et (iii) $f^{(\lambda)}_i f^{(\mu)}_j - f^{(\lambda)}_j
+f^{(\mu)}_i$ appartient à $I$ pour tous $\lambda,\mu,i,j$ (ce qui
+revient à dire que $(f^{(\lambda)}_0:\cdots:f^{(\lambda)}_e)$ et
+$(f^{(\mu)}_0:\cdots:f^{(\mu)}_e)$ définissent bien la même fonction).
+Pour définir un morphisme $X \to Y$ avec $Y = Z(J)$ une autre variété
+projective, on demande de plus (iv) que, pour chaque $\lambda$, les
+$f^{(\lambda)}_0,\ldots,f^{(\lambda)}_e$ vérifient, modulo $I$, les
+équations données par des générateurs de $J$.
+
+\medbreak
+
+Avant de donner des exemples, citons le fait suivant, qui aide à
+comprendre qu'on a énormément de rigidité dans la définition d'un
+morphisme (notamment, une fois donnée la restriction de celui-ci à un
+ouvert dense $V$, le morphisme est complètement défini) :
+\begin{prop}
+Si $h,h' \colon X \to Y$ sont deux morphismes entre variétés
+quasiprojectives et si $h,h'$ coïncident sur une partie \emph{dense}
+de $X$ (pour la topologie de Zariski), alors $h = h'$. Plus
+généralement, l'ensemble des points où $h$ et $h'$ coïncident est un
+fermé de $X$.
+\end{prop}
+
+On rappelle que si $X$ est irréductible, alors tout ouvert de $X$ non
+vide est dense (c'est même équivalent).
+
+\medbreak
+
+\textbf{Exemples} de morphismes :
+
+¶ Soit $C^+$ le cercle, cette fois projectif, d'équation $x^2 + y^2 =
+z^2$ (équation homogénéisée de $x^2 + y^2 = 1$) dans $\mathbb{P}^2$ de
+coordonnées homogènes $(z:x:y)$ (sur un corps $k$ de
+caractéristique $\neq 2$), et soit le $\mathbb{P}^1$ de coordonnées
+$(t_0:t_1)$. On définit un morphisme $\mathbb{P}^1 \to C^+$ par
+$(t_0:t_1) \mapsto (t_0^2+t_1^2 : t_0^2-t_1^2 : 2t_0t_1)$. Il est
+clair que ces équations définissent un morphisme $\mathbb{P}^1 \to
+\mathbb{P}^2$ car $t_0^2+t_1^2 , t_0^2-t_1^2 , 2t_0t_1$ engendrent
+tous les monômes de degré $2$ donc un idéal irrelevant ; ensuite,
+comme $(t_0^2-t_1^2)^2 + (2t_0t_1)^2 = (t_0^2+t_1^2)^2$, ce morphisme
+arrive bien dans $C^+$.
+
+Dans l'autre sens : on définit un morphisme $C^+ \to \mathbb{P}^1$ de
+la façon suivante : on commence par l'équation $(z:x:y) \mapsto
+(x+z:y)$, mais ceci ne définit un morphisme que sur l'ouvert
+complémentaire de $Z(x+z,y)$ (c'est-à-dire du point
+$(z:x:y)=(1:-1:0)$). Il faut donc trouver une autre équation, ou
+plutôt une autre forme, sur un ouvert qui contienne ce point. Ce
+n'est pas difficile : en se disant que de façon assez générale on a
+$(x+z:y) = ((x+z)(x-z):y(x-z)) = (x^2-z^2:y(x-z)) = (-y^2:y(x-z)) =
+(y:z-x)$, on va considérer $(z:x:y) \mapsto (y:z-x)$, qui est, cette
+fois, défini sur le complémentaire de $Z(y,z-x)$, c'est-à-dire de du
+point $(z:x:y) = (1:1:0)$. Le calcul qu'on vient de faire montre que
+$(x+z:y) = (y:z-x)$ sur l'intersection des deux ouverts, donc ces deux
+équations se recollent bien en un unique morphisme $C^+ \to
+\mathbb{P}^1$.
+
+La composée des morphismes qu'on vient de définir est l'identité :
+dans le sens $\mathbb{P}^1 \to C^+ \to \mathbb{P}^1$, c'est clair car
+l'identité s'obtient bien en recollant $(t_0:t_1) \mapsto (2t_0^2 :
+2t_0 t_1)$ et $(t_0:t_1) \mapsto (2t_0 t_1 : 2t_1^2)$. Dans le sens
+$C^+ \to \mathbb{P}^1 \to C^+$, on constate que la composée de
+$(z:x:y) \mapsto (x+z:y)$ avec $(t_0:t_1) \mapsto (t_0^2+t_1^2 :
+t_0^2-t_1^2 : 2t_0t_1)$ donne $(z:x:y) \mapsto (x^2+2xz+z^2+y^2 :
+x^2+2xz+z^2-y^2 : 2xy+2yz)$ ce qui, modulo $x^2+y^2-z^2$, vaut
+$(2z(x+z) : 2x(x+z) : 2y(z+x))$, soit $(z:x:y)$ dès que $x+z\neq 0$.
+Comme l'ouvert $\{x+z\neq0\}$ est dense, ceci suffit à montrer qu'on a
+affaire à l'identité.
+
+On a donc prouvé que le cercle (projectif !) $C^+$ d'équation $x^2+y^2
+= z^2$ est isomorphe à $\mathbb{P}^1$.
+
+\smallbreak
+
+¶ Un exemple avec des variétés ouvertes : $\mathbb{A}^{d+1}
+\setminus\{(0,0)\} \to \mathbb{P}^d$ donné par $(x_0,\ldots,x_d)
+\mapsto (x_0:\cdots:x_d)$.
+
+
+
+%
+%
+%
+
+\section{Géométrie algébrique sur un corps non algébriquement clos}
+
+\subsection{Crash-course de théorie de Galois}
+
+Rappel : corps parfait = corps de caractéristique $0$ \emph{ou} de
+caractéristique $p$ tel que tout élément ait une racine $p$-ième =
+corps tel que tout polynôme irréductible soit à racines simples sur la
+clôture algébrique. Exemples : $\mathbb{R}$, $\mathbb{Q}$,
+$\mathbb{F}_q$ sont parfaits comme l'est tout corps algébriquement
+clos. Contre-exemple : $\mathbb{F}_p(t)$ n'est pas parfait ($t$ n'a
+pas de racine $p$-ième).
+
+Si $k$ est un corps parfait (et qu'on en fixe une fois pour toutes une
+clôture algébrique), on note $\Gal(k)$ ou $\Gamma_k$ et on appelle
+\textbf{groupe de Galois absolu} de $k$ le groupe des automorphismes
+de corps de sa clôture algébrique qui laissent $k$ fixe
+(i.e. $\sigma(x) = x$ pour tout $x\in k$).
+
+\textbf{Exemples :} Si $\Gamma_{\mathbb{R}} = \{\id_{\mathbb{C}},
+(z\mapsto\bar z)\}$ est le groupe cyclique d'ordre $2$. Si $k$ est
+algébriquement clos, $\Gamma_k$ est trivial. Si $k = \mathbb{F}_q$
+est fini, $\Gamma_{\mathbb{F}_q}$ contient au moins toutes les
+puissances $\Frob_q^i \colon x \mapsto x^{q^i}$ du Frobenius
+$\Frob_q\colon x \mapsto x^q$ ; il contient en fait d'autres éléments,
+mais « en gros » il n'y a que les puissances du Frobenius (au sens :
+la restriction de tout $\sigma \in \Gamma_{\mathbb{F}_q}$ à un
+$\mathbb{F}_{q^n}$ est de la forme $\Frob_q^i$ pour un certain $i \in
+\mathbb{Z}$ (qu'on peut voir dans $\mathbb{Z}/n\mathbb{Z}$ si on
+préfère) ; en tout cas, pour voir qu'un élément de $k^{\alg}$ (ou de
+n'importe quoi qui sera considéré plus bas) est fixé/stable par
+$\Gamma_{\mathbb{F}_q}$, il suffit de vérifier qu'il est fixé/stable
+par $\Frob_q$.
+
+\begin{thm}\label{rational-iff-fixed-by-galois}
+Si $k$ est un corps parfait de clôture algébrique $k^{\alg}$, un
+élément $x$ de $k^{\alg}$ appartient à $k$ si [et seulement si, mais
+ ça c'est juste la définition de $\Gamma_k$] on a $\sigma(x) = x$
+pour tout $\sigma \in \Gamma_k$.
+\end{thm}
+
+Slogan : « rationnel = fixé par Galois ».
+
+Si $k \subseteq K$ est une extension algébrique (on note parfois ça
+$K/k$, mauvaise notation car elle fait penser à un quotient), si $k$
+est parfait alors $K$ l'est aussi, et $\Gamma_{K}$ est un sous-groupe
+de $\Gamma_k$. Ce sous-groupe est \emph{distingué} exactement lorsque
+$\sigma(K) = K$ (c'est-à-dire $K$ est \emph{globalement} stable
+par $\sigma$, pas nécessairement fixé point à point) pour tout
+$\sigma\in\Gamma_k$ : dans ce cas on dit que $K$ est une
+\textbf{extension galoisienne} de $k$, et on pose $\Gal(k\subseteq K)
+= \Gamma_k/\Gamma_{K}$, qui s'appelle groupe de Galois de l'extension
+$k \subseteq K$. Il peut se voir comme l'ensemble des automorphismes
+de $K$ laissant $k$ fixe. Remarque : si $\Gamma_k$ est abélien (c'est
+le cas de $\mathbb{F}_q$), \emph{toute} extension algébrique de $k$
+est galoisienne.
+
+\begin{thm}
+\begin{itemize}
+\item Si $k\subseteq K$ est une extension finie (donc algébrique)
+ galoisienne, alors un élément $x$ de $K$ appartient à $k$ si [et
+ seulement si] on a $\sigma(x) = x$ pour tout $\sigma \in
+ \Gal(k\subseteq K)$. De plus, il y a une bijection entre extensions
+ intermédiaires $k \subseteq E \subseteq K$ et sous-groupes de
+ $\Gal(k\subseteq K)$ donnée par $E \mapsto \Gamma_E/\Gamma_K =
+ \Gal(E\subseteq K)$ et réciproquement $H \mapsto \{x \in K
+ :\penalty-100 (\forall \sigma \in H)\, \sigma(x)=x\}$. (Note :
+ l'extension $E \subseteq K$ est toujours galoisienne (on rappelle
+ que $k \subseteq K$ était supposée l'être !), et $k \subseteq E$
+ l'est lorsque $\Gal(E\subseteq K)$ est distingué dans
+ $\Gal(k\subseteq K)$.)
+\item Version absolue : pour $k$ parfait, il y a une bijection entre
+ les extensions finies (et en particulier, algébriques) $k\subseteq
+ K$ de $k$ dans une clôture algébrique $k^{\alg}$ fixée, et les
+ sous-groupes de $\Gamma_k$ qui sont « ouverts » au sens où ils
+ contiennent un $\Gamma_{k'}$ pour $k'$ extension finie de $k$.
+\end{itemize}
+\end{thm}
+
+La première partie du résultat suivant est une conséquence triviale
+de \ref{rational-iff-fixed-by-galois}, la seconde est beaucoup plus
+subtile.
+\begin{thm}
+Pour $k$ parfait :
+\begin{itemize}
+\item Si $x \in \mathbb{A}^d(k^{\alg})$ est fixé par $\Gamma_k$, alors
+ $x \in \mathbb{A}^d(k)$ (au sens où ses coordonnées affines sont
+ dans $k$).
+\item Si $x \in \mathbb{P}^d(k^{\alg})$ est fixé par $\Gamma_k$, alors
+ $x \in \mathbb{P}^d(k)$ (au sens où \emph{il admet} des coordonnées
+ homogènes dans $k$).
+\end{itemize}
+\end{thm}
+
+
+
+\subsection{Variétés sur un corps non algébriquement clos}
+
+Soit $k$ un corps parfait. Si $I$ est un idéal de
+$k[t_1,\ldots,t_d]$, on définit l'idéal $I_{k^{\alg}} := I\cdot
+k^{\alg}[t_1,\ldots,t_d]$ engendré par $I$ dans
+$k^{\alg}[t_1,\ldots,t_d]$.
+
+\begin{prop}
+\begin{itemize}
+\item L'idéal $I_{k^{\alg}}$ est radical si et seulement si $I$ l'est.
+\item Un idéal $J$ de $k^{\alg}[t_1,\ldots,t_d]$ est de la forme
+ $I_{k^{\alg}}$ pour $I$ idéal de $k[t_1,\ldots,t_d]$ si et seulement
+ si $\sigma(J) = J$ pour tout $\sigma \in \Gamma_k$. Lorsque c'est
+ le cas, $I = J \cap k[t_1,\ldots,t_d]$.
+\item Lorsque $J$ est radical, c'est le cas (=$J$ est de la
+ forme $I_{k^{\alg}}$) si et seulement si $\sigma(Z(J)) = Z(J)$ dans
+ $\mathbb{A}^d(k^{\alg})$. Remarque : $Z(J) = Z(I)$ dans
+ $\mathbb{A}^d(k^{\alg})$.
+\item On a des bijections réciproques, décroissantes pour l'inclusion,
+ entre idéaux radicaux de $k[t_1,\ldots,t_d]$ et fermés de Zariski de
+ $\mathbb{A}^d(k^{\alg})$ stables par Galois, donnée par $I \mapsto
+ Z(I_{k^{\alg}})$ et $E \mapsto \mathfrak{I}(E) \cap
+ k[t_1,\ldots,t_d]$.
+\end{itemize}
+\end{prop}
+
+On qualifiera un fermé de Zariski $X$ de $\mathbb{A}^d(k^{\alg})$
+stable par Galois de $k$-variété algébrique affine ou variété
+algébrique affine \emph{sur $k$} (moralité : c'est une variété dont
+les équations peuvent être définies sur $k$). On qualifie alors les
+éléments de $X \cap k^d$ (c'est-à-dire les points de $X$ dont les
+coordonnées sont dans $k$, ou les solutions \emph{dans $k$} des
+équations de $X$) de $k$-points de $X$, et on note généralement $X(k)$
+cet ensemble. (Ainsi, $X(k^{\alg})$ est la même chose que $X$.)
+
+\emph{Attention}, $X(k)$ ne détermine pas $X$ ; notamment, cet
+ensemble peut très bien être vide sans que $X$ le soit (car le
+Nullstellensatz ne fonctionne que sur un corps algébriquement clos).
+Par exemple, $Z(x^2+y^2+1) \subseteq \mathbb{A}^2$ définit une variété
+algébrique affine sur $\mathbb{R}$ qui n'a aucun $\mathbb{R}$-point.
+
+La même chose fonctionne en projectif : on a des bijections
+réciproques, décroissantes pour l'inclusion, entre idéaux homogènes
+radicaux de $k[t_0,\ldots,t_d]$ autres que $(t_0,\ldots,t_d)$ et
+fermés de Zariski de $\mathbb{P}^d(k^{\alg})$ stables par Galois,
+donnée par $I \mapsto Z(I_{k^{\alg}})$ et $E \mapsto \mathfrak{I}(E)
+\cap k[t_0,\ldots,t_d]$.
+
+On appelle variété quasiprojective sur $k$ une variété quasiprojective
+$X$ (dans $\mathbb{P}^d$) sur $k^{\alg}$ qui soit stable par Galois
+(moralité : c'est une variété dont les équations peuvent être définies
+sur $k$). On peut donc définir une action de Galois sur
+$X(k^{\alg})$, et $X(k)$ est l'ensemble des points fixés par Galois
+(et pour toute extension $k'$ de $k$, l'ensemble $X(k')$ est le
+sous-ensemble de $X(k^{\alg})$ fixé par $\Gamma_{k'}$).
+
+Pour éviter les confusions, on note souvent $X_{k^{\alg}}$ la variété
+sur $k^{\alg}$ définie par $X$ (c'est-à-dire celle où on oublie la
+structure sur $k$ / l'action de Galois).
+
+\medbreak
+
+\underline{Attention :} si un idéal $I \subseteq k[t_1,\ldots,t_d]$ est premier
+(cela signifie qu'il est radical et que la variété $X = Z(I) \subseteq
+\mathbb{A}^d$ définie sur $k$ est irréductible au sens où elle n'est
+pas réunion de deux fermés plus petits définis sur $k$), cela
+n'implique pas que $I_{k^{\alg}}$ soit premier, c'est-à-dire que
+$X_{k^{\alg}}$ soit irréductible ; par contre, la réciproque est
+vraie. On dit parfois que $X$ est \emph{absolument irréducible} ou
+\emph{géométriquement irréductible} lorsque $X_{k^{\alg}}$ est
+irréductible. Contre-exemple : $Z(x^2+y^2)$ dans $\mathbb{A}^2$
+sur $\mathbb{R}$ n'est pas absolument irréductible puisque sur
+$\mathbb{C}$ il est réunion des deux droites $Z(x+iy)$ et $Z(x-iy)$,
+mais sur $\mathbb{R}$ il est irréductible car tout fermé défini
+sur $\mathbb{R}$ qui contient une de ces droites doit contenir
+l'autre.
+
+\medbreak
+
+Quant aux idéaux \emph{maximaux} de $k[t_1,\ldots,t_d]$, ils
+correspondent aux \emph{orbites} sous $\Gamma_k$, c'est-à-dire aux
+ensembles (nécessairement finis) de $k^{\alg}$-points tels que
+n'importe lequel puisse être envoyé sur n'importe lequel par un
+élément de $\Gamma_k$ (c'est-à-dire, si on préfère, qu'aucun
+sous-ensemble non-vide n'est stable par $\Gamma_k$). (On peut, si on
+le souhaite, considérer que ce sont là les « points » de l'espace
+affine $\mathbb{A}^d$, auquel cas on les appelle « points fermés »
+pour bien les distinguer des « $k$-points », c'est-à-dire les éléments
+de $k^d$, ou orbites réduites à un seul élément.) Une remarque
+analogue vaut pour des variétés algébriques sur $k$ plus générales :
+les idéaux maximaux de $k[t_1,\ldots,t_d]/I$, pour $I$ idéal radical
+de $k[t_1,\ldots,t_d]$, correspondent aux orbites sous $\Gamma_k$ de
+$Z(I)(k^{\alg})$.
+
+
+
+\subsection{Morphismes entre icelles}
+
+Si $X$ et $Y$ sont deux variétés quasiprojectives sur un corps
+parfait $k$, un morphisme $X_{k^{\alg}} \buildrel f\over\to
+Y_{k^{\alg}}$ sera considéré comme un morphisme $X \to Y$ de
+$k$-variétés lorsqu'il vérifie les conditions équivalentes suivantes :
+\begin{itemize}
+\item Il existe des équations à coefficients dans $k$ définissant $f$.
+\item Le morphisme $f$ commute à l'action de Galois, au sens où
+ $\sigma(f(x)) = f(\sigma(x))$ pour tout $x \in X(k^{\alg})$.
+\end{itemize}
+
+(Cas particulier éclairant : si $f \in \mathbb{F}_{q^n}[t]$, alors
+$f(t)^q = f(t^q)$ si et seulement si $f \in \mathbb{F}_q[t]$.)
+
+En particulier, $f$ définit une application $X(k) \to Y(k)$, mais la
+donnée de celle-ci \emph{ne suffit pas} à caractériser $f$ (penser au
+fait que $X(k)$ peut très bien être vide !).
+
+\medbreak
+
+Pour les fonctions régulières, on a ce qu'on imagine : un morphisme $X
+\to \mathbb{A}^1$ est la même chose qu'une fonction régulière sur
+$X_{k^{\alg}}$ stable par Galois, et c'est ce qu'on appelle une
+fonction régulière sur $X$. Lorsque $X = Z(I) \subseteq \mathbb{A}^d$
+est affine (avec $I = \mathfrak{I}(X)$ idéal de $k[t_1,\ldots,t_d]$),
+les fonctions régulières sur $X$ sont les éléments de $\mathcal{O}(X)
+:= k[t_1,\ldots,t_d]/I$, qui est donc plus petit que
+$\mathcal{O}(X_{k^{\alg}}) = k^{\alg}[t_1,\ldots,t_d]/I_{k^{\alg}}$.
+En général, on peut toujours définir une fonction régulière sur $X$
+par recollement de fonctions régulières sur des ouverts affines
+(c'est-à-dire : on peut le faire \emph{sur $k$}, il n'y a pas besoin
+de passer à la clôture algébrique).
+
+
+
+%
+%
+%
+
+\section{Quelques résultats fondamentaux de la géométrie algébrique}
+
+\subsection{L'opposition affine-projectif}
+
+\begin{thm}\label{projective-to-affine-morphisms-are-constant}
+Tout morphisme d'une variété projective connexe vers une variété
+affine est constant. (En particulier, toute fonction régulière sur
+une variété projective, c'est-à-dire morphisme vers $\mathbb{A}^1$,
+est constant sur chaque composante connexe.)
+\end{thm}
+
+
+%
+\subsection{La dimension}
+
+\textbf{Rappel :} Si $K$ est un corps contenant un corps $k$, on dit
+que des éléments $x_i$ de $K$ sont \textbf{algébriquement
+ indépendants} (comprendre : « collectivement transcendants »)
+sur $k$ lorsque les seuls polynômes $f \in k[t_1,\ldots,t_d]$ tel que
+$f(x_{i_1},\ldots,x_{i_d}) = 0$ pour certains $i_1,\ldots,i_d$ deux à
+deux distincts sont les polynômes nuls. Ceci est équivalent au fait
+que le sous-corps $k(x_i)$ de $K$ engendré par les $x_i$ avec $k$ est
+isomorphe au corps des fractions rationnelles sur autant
+d'indéterminées que de $x_i$ (il est plus simple de penser au cas où
+les $x_i$ sont en nombre fini, qui nous suffira). On appelle
+\textbf{base de transcendance} de $K$ sur $k$ un ensemble maximal
+d'éléments algébriquement indépendants, c'est-à-dire, un ensemble de
+$x_i$ algébriquement indépendants sur $k$ et tels que $K$ soit
+algébrique sur le sous-corps $k(x_i)$ qu'ils engendrent au-dessus
+de $k$. Une base de transcendance de $K$ sur $k$ existe toujours, et
+toutes ont le même cardinal : on appelle celui-ci \textbf{degré de
+ transcendance} de $K$ sur $k$ et on le note $\degtrans_k(K)$.
+
+Par exemple, $\degtrans_k k(t_1,\ldots,t_d) = d$ (où
+$k(t_1,\ldots,t_d)$ désigne le corps des fractions rationnelles en $d$
+indéterminées sur $k$). Lorsque $K$ est algébrique sur $k$, on a
+$\degtrans_k K = 0$ et réciproquement. Par ailleurs, lorsque $k
+\subseteq K \subseteq L$ sont trois corps, on a toujours $\degtrans_k L
+= \degtrans_k K + \degtrans_K L$.
+
+\begin{defn}\label{definition-rational-function-and-dimension}
+Si $X$ est une variété \emph{irréductible} sur un corps $k$, on appelle
+\textbf{fonction rationnelle} sur $X$ une fonction régulière sur un
+ouvert non-vide=dense quelconque de $X$, en identifiant deux fonctions
+si elles coïncident sur l'intersection de leur domaine de définition ;
+on note $k(X)$ l'ensemble des fonctions régulières sur $X$. Lorsque
+$X$ est une variété affine irréductible, $k(X)$ est le corps des
+fractions (noté $k(X)$) de $\mathcal{O}(X)$ (=l'anneau des fonctions
+régulières sur $X$, qui est intègre). De façon générale, $k(X)$
+coïncide avec $k(U)$ pour n'importe quel ouvert non-vide=dense $U$
+de $X$ (on peut donc définir $k(X) = \Frac \mathcal{O}(U)$ pour $U$ un
+ouvert affine dense de $X$).
+
+On appelle \textbf{dimension de $X$} le degré de transcendance sur $k$
+de $k(X)$.
+\end{defn}
+
+Pour $\mathbb{A}^d$ ou $\mathbb{P}^d$, le corps des fractions
+rationnelles est $k(t_1,\ldots,t_d)$ et
+$k(\frac{t_1}{t_0},\ldots,\frac{t_d}{t_0})$. La dimension de
+$\mathbb{A}^d$ ou $\mathbb{P}^d$ est donc $d$. De façon générale,
+d'après ce qu'on vient de dire, la dimension d'une variété
+irréductible est égale à celle de n'importe lequel de ses ouverts
+non-vides.
+
+(Lorsque $X$ n'est pas irréductible, on appelle dimension de $X$ la
+plus grande dimension d'une composante irréductible de $X$. Parfois
+on convient que la dimension du vide est $-1$.)
+
+La dimension de $X$ est une notion « géométrique » : on a $\dim X =
+\dim X_{k^{\alg}}$.
+
+\begin{thm}[Hauptidealsatz de Krull]\label{hauptidealsatz}
+Soit $X$ une variété irréductible de dimension $d$ et $f \in
+\mathcal{O}(X)$ un élément qui n'est pas inversible (c'est-à-dire
+$Z(f) \neq\varnothing$) et pas nul. Alors chaque composante
+irréductible de $Z(f)$ est de dimension $d-1$.
+
+Variante projective : si $X$ est une variété irréductible de
+dimension $d$ dans $\mathbb{P}^e$ et $f$ homogène (en $e+1$ variables)
+non constant sur $X$. Alors chaque composante irréductible de $X \cap
+Z(f)$ est de dimension $d-1$, \emph{et de plus $X \cap Z(f)$ n'est pas
+ vide}\footnote{On rappelle que « non vide » signifie ici que la
+ variété a des points sur $k^{\alg}$ algébriquement clos, pas
+ nécessairement qu'elle a des $k$-points.} lorsque $d\geq 1$.
+\end{thm}
+
+\begin{cor}
+Si $f_1,\ldots,f_r$ sont des polynômes homogènes en $e+1$ variables,
+avec $r \leq e$, alors $Z(f_1,\ldots,f_r) \neq \varnothing$,
+c'est-à-dire que sur $k$ corps algébriquement clos, les $r$ équations
+$f_i=0$ ont une solution (non-nulle) commune.
+\end{cor}
+
+De plus, $Z(f_1,\ldots,f_r)$ est de dimension \emph{au moins} $e-r$.
+Il peut évidemment être de dimension plus grande (les $f_i$ pourraient
+être tous égaux, par exemple). Lorsqu'il est exactement de dimension
+$e-r$, on dit que les $f_i$ sont \emph{en intersection complète}
+(projective, globale).
+
+\begin{cor}
+Si $X$ est une variété algébrique (quasiprojective) irréductible de
+dimension $d$, alors le seul fermé $Y$ de $X$ tel que $\dim Y = d$ est
+$X$ lui-même. Par ailleurs, il existe toujours des fermés
+irréductibles $Y$ de dimension $d-1$ dans $X$.
+
+(Autrement dit, on peut définir la dimension de $X$ comme $1 +
+\max\dim Y$ où le $\max$ est pris sur tous les fermés irréductibles
+de $X$.)
+\end{cor}
+
+\begin{thm}
+Soit $f\colon Z\to X$ un morphisme de variétés algébriques
+(quasiprojectives) irréductibles, surjectif (au sens où pour tout $x
+\in X$ il existe $z \in Z$ tel que $x = f(z)$, $x,z$ étant des points
+sur un corps $k^{\alg}$ algébriquement clos,, cf. la section
+suivante), et soit $d = \dim X$ et $e = \dim Z$. Alors $e \geq d$, et
+de plus :
+\begin{itemize}
+\item Si $x \in X$, alors toute composante de $f^{-1}(x)$ (cf. section
+ suivante) est de dimension \emph{au moins} $e-d$.
+\item Il existe un ouvert non vide (donc dense) $U \subseteq X$ tel
+ que $\dim f^{-1}(x) = e - d$ (au sens où toute composante
+ irréductible de $f^{-1}(x)$ a cette dimension) si $x \in U$.
+\end{itemize}
+\end{thm}
+
+
+%
+\subsection{L'image d'un morphisme}\label{image-of-a-morphism}
+
+Si $X \buildrel f\over\to Y$ est un morphisme entre variétés
+quasiprojectives et $Y' \subseteq Y$ un fermé ou un ouvert (ou
+l'intersection d'un fermé et d'un ouvert) dans $Y$, il est facile de
+définir l'\emph{image réciproque} de $Y'$ par $f$ : il suffit de
+« tirer » les équations de $Y'$ de $Y$ à $X$, c'est-à-dire écrire les
+équations $h\circ f = 0$ pour chaque équation $h = 0$ de $Y'$ (et
+pareil avec $\neq 0$ si on a affaire à un ouvert).
+
+Définir l'\emph{image (directe)} d'un $X' \subseteq X$ est plus
+délicat. Quitte à restreindre $f$ à $X'$, on peut supposer $X' = X$,
+et la question devient celle définir l'image de $f$ : notamment, quel
+est l'ensemble des $y \in Y$ tels qu'il existe $x \in X$ ($x,y$ des
+points sur $k^{\alg}$) pour lequel $f(x) = y$ ?
+
+\begin{thm}[Chevalley]\label{image-of-a-morphism-chevalley}
+\begin{itemize}
+\item L'image d'un morphisme $X \buildrel f\over\to Y$ entre variété
+ quasiprojectives est localement fermée dans $Y$, au sens suivant :
+ il existe $Y' \subseteq Y$ l'intersection d'un ouvert et d'un fermé
+ dans $Y$ (c'est-à-dire une sous-variété quasiprojective de $Y$)
+ telle que $y \in Y'$ si et seulement si il existe $x \in X$ pour
+ lequel $f(x) = y$.
+\item Si $X$ est projective, alors l'image d'un morphisme $X \buildrel
+ f\over\to Y$ est un \emph{fermé} dans $Y$.
+\end{itemize}
+\end{thm}
+
+
+%
+\subsection{Vecteurs tangents, points lisses, et différentielles}
+\label{subsection-tangent-vectors-and-smooth-points}
+
+Si $X = Z(I) \subseteq \mathbb{A}^d$ est une variété affine où $I$ est
+un idéal radical engendré par $f_1,\ldots,f_r \in k[t_1,\ldots,t_d]$,
+et si $x \in X(k)$ (on prendra généralement $k$ algébriquement clos
+ici), on appelle \textbf{vecteur tangent à $X$ en $x$} un élément du
+noyau de la matrice $\frac{\partial f_i}{\partial
+ t_j}(x_1,\ldots,x_d)$, c'est-à-dire un $d$-uplet $v_1,\ldots,v_d$
+tel que $\sum_{j=1}^d \frac{\partial f_i}{\partial
+ t_j}(x_1,\ldots,x_d)\, v_j = 0$. Intuitivement, il faut comprendre
+un tel élément comme un vecteur basé en $(x_1,\ldots,x_d)$ et le
+reliant à $(x_1+v_1 \varepsilon, \ldots, x_d+v_d\varepsilon)$ avec
+$\varepsilon$ infinitésimal ($\varepsilon^2=0$). L'espace vectoriel
+des vecteurs tangents à $X$ en $x$ (ou simplement \textbf{espace
+ tangent à $X$ en $x$}) se note $T_x X$.
+
+Si $X$ est une variété algébrique quasiprojective quelconque, on
+rappelle que tout point $x \in X$ a un voisinage affine $V$, et on
+définit alors $T_x X = T_x V$. (Cette définition passe sous silence
+un certain nombre de choses, par exemple la manière dont on identifie
+$T_x V$ et $T_x V'$ si $V,V'$ sont deux voisinages affines différents
+du même point $x$, à commencer par le fait qu'ils ont la même
+dimension : cela est en fait justifié par la notion de différentielle
+d'un morphisme, expliquée plus bas.)
+
+\medbreak
+
+\begin{prop}
+Si $X$ est une variété algébrique quasiprojective irréductible sur un
+corps $k$, pour tout $x \in X$ on a $\dim_k T_x X \geq \dim X$.
+\end{prop}
+
+Un point $x$ tel que l'espace tangent $T_x X$ à $X$ en ce point soit
+d'une dimension (comme espace vectoriel) égale à la dimension de $X$
+(comme variété algébrique), c'est-à-dire la dimension maximale que
+peut avoir cet espace tangent, est appelé un point \textbf{lisse} (ou
+\textbf{régulier}, ou \textbf{nonsingulier}) de $X$. Lorsque tout
+point de $X$ (sur un corps algébriquement clos !) est lisse, on dit
+que $X$ lui-même est lisse (ou régulier) (sur son corps de base).
+
+(Pour une variété réductible, un point situé sur une seule composante
+irréductible est dit lisse lorsqu'il est lisse sur la composante en
+question ; et un point situé sur plusieurs composantes irréductibles à
+la fois n'est jamais lisse --- on peut prendre ça comme définition ou
+le montrer en prenant comme définition de la lissité le fait que la
+dimension de l'espace tangent au point considéré soit égale à la plus
+grande dimension d'une composante irréductible passant par ce point.)
+
+\begin{prop}
+Soit $X$ une variété quasiprojective sur un corps algébriquement
+clos $k$ : alors les points lisses de $X$ forment un ouvert de
+Zariski.
+\end{prop}
+\begin{proof}
+L'affirmation est locale, donc on peut supposer $X$ affine. Si $X$
+est de codimension $r$ (c'est-à-dire de dimension $d-r$
+dans $\mathbb{A}^d$), le fait que $x$ soit lisse se traduit par le
+fait que la matrice des dérivées partielles en $x$ des équations
+définissant $X$ est de rang \emph{au moins} $r$ (sachant qu'elle ne
+peut pas être strictement supérieure). Or ceci se traduit par le fait
+qu'il existe un mineur $r\times r$ de cette matrice qui ne s'annule
+pas : la réunion des ouverts définis par tous les mineurs $r\times r$
+(qui sont bien polynomiaux dans les variables) donne bien une
+condition ouverte de Zariski.
+\end{proof}
+
+\begin{rmk}
+\begin{itemize}
+\item D'après \ref{hauptidealsatz}, une hypersurface $Z(f)$
+ dans $\mathbb{A}^d$, pour $f$ non constant, est de dimension $d-1$,
+ donc elle est lisse ssi aucun point de $Z(f)$ n'annule simultanément
+ les $d$ dérivées partielles de $f$. Grâce au Nullstellensatz, ceci
+ peut encore se reformuler en : $Z(f)$ est lisse ssi les polynômes
+ $f$ et $\frac{\partial f}{\partial t_i}$ (soit $d+1$ polynômes au
+ total) engendrent l'idéal unité de $k[t_1,\ldots,t_d]$.
+\item Variante projective : pour $f$ homogène de degré non nul dans
+ $k[t_0,\ldots,t_d]$, on peut montrer que $Z(f) \subseteq
+ \mathbb{P}^d$ est lisse ssi les polynômes $\frac{\partial
+ f}{\partial t_i}$ n'ont aucun zéro commun sur $k$ (algébriquement
+ clos !), car un zéro commun des $\frac{\partial f}{\partial t_i}$
+ est forcément zéro de $f = \sum_{i=0}^d t_i \frac{\partial
+ f}{\partial t_i}$. Grâce au Nullstellensatz projectif, on peut
+ encore reformuler cela en : les $\frac{\partial f}{\partial t_i}$
+ engendrent un idéal irrelevant.
+\item Quand $X = Z(f_1,\ldots,f_r)$ (affine, disons
+ dans $\mathbb{A}^d$) est définie par plusieurs polynômes
+ $f_1,\ldots,f_r$, \emph{si} la matrice $\frac{\partial f_i}{\partial
+ t_j}$ est de rang $r$ en un point de $X = Z(f_1,\ldots,f_r)$, on
+ peut conclure que ce point est lisse et que $X$ est de
+ dimension $d-r$. En revanche, lorsque le rang est plus petit
+ que $r$, on ne peut pas conclure sauf en connaissant la dimension
+ de $X$.
+\end{itemize}
+\end{rmk}
+
+\begin{prop}
+Soit $X$ une variété quasiprojective : alors il existe un point lisse
+de $X$ sur un corps algébriquement clos $k$ --- par conséquent, sur il
+existe un ouvert dense de points lisses sur une variété
+quasiprojective irréductible.
+\end{prop}
+
+Ceci permet parfois de calculer la dimension d'une variété, en
+reformulant en : la dimension d'une variété irréductible $X$ est le
+\emph{minimum} des dimensions des espaces vectoriels $T_x X$ (donc,
+dans $\mathbb{A}^d$, la codimension est le plus grand rang possible
+que prend la matrice des dérivés partielles).
+
+\medbreak
+
+\textbf{Différentielle d'un morphisme.} Si $h\colon X\to Y$ est un
+morphisme entre variétés quasiprojectives sur un corps algébriquement
+clos $k$ et $x \in X$, on a une application $dh_x\colon T_x X \to
+T_{h(x)} Y$ qui est définie de la façon suivante. Quitte à remplacer
+$X$ par un voisinage affine de $x$ et $Y$ par un voisinage affine de
+$h(x)$, on peut supposer que $X$ et $Y$ sont affines. Dans ce cadre,
+si $X$ est défini par des équations\footnote{Ce genre de formulation
+ sous-entend non seulement que $X = Z(f_1,\ldots,f_r)$ mais, plus
+ fortement, que l'idéal $(f_1,\ldots,f_r)$ est \emph{radical},
+ c'est-à-dire que c'est $\mathfrak{I}(X)$.} $f_1=\cdots=f_r = 0$
+dans $\mathbb{A}^d$ (de sorte que $T_x X$ se voit comme l'ensemble des
+$(v_i)$ tels que $\sum_{j=1}^d \frac{\partial f_i}{\partial
+ t_j}(x_1,\ldots,x_d)\, v_j = 0$) et $Y$ par $g_1=\cdots=g_s = 0$
+dans $\mathbb{A}^e$ (de sorte que $T_y Y$ se voit comme l'ensemble des
+$(w_i)$ tels que $\sum_{j=1}^e \frac{\partial g_i}{\partial
+ u_j}(y_1,\ldots,y_d)\, w_j = 0$), et le morphisme $h$ par des
+polynômes $(h_1,\ldots,h_e)$ (vérifiant $g_i(h_1,\ldots,h_e) = 0$)
+envoyant $(x_1,\ldots,x_d)$ sur
+$(h_1(x_1,\ldots,x_d),\ldots,\penalty-100 h_e(x_1,\ldots,x_d))$, alors
+$dh_x$ envoie $(v_1,\ldots,v_d)$ sur $(w_1,\ldots,w_e)$ où $w_i =
+\sum_{j=1}^d \frac{\partial h_i}{\partial t_j}\, v_j$ (et la condition
+souhaitée, $\sum_{i=1}^e w_j \frac{\partial g_i}{\partial
+ u_j}(y_1,\ldots,y_d) = 0$ est une conséquence de la formule des
+dérivées composées appliquée à $g_i(h_1,\ldots,h_e) = 0$ : on a
+$\sum_{j=1}^e \frac{\partial g_i}{\partial u_j} \frac{\partial
+ h_j}{\partial t_l} = 0$). Cette application $dh_x$ est linéaire
+(pour chaque $x$ donné) : on l'appelle \textbf{différentielle} du
+morphisme $h$ au point $x$.
+
+Si $h = h'' \circ h'$, alors on a $dh_x = dh''_{h'(x)} \circ dh'_x$
+comme on s'y attend.
+
+\textbf{Lissité des morphismes.} On ne définira le concept de
+morphisme lisse entre variétés quasiprojectives $X \to Y$ que lorsque
+$Y$ elle-même est lisse. Plus exactement, on dit qu'un morphisme $X
+\buildrel h\over\to Y$ est \emph{lisse} en un point $x \in X$ tel que
+$Y$ soit lisse en $h(x)$, lorsque $dh_x \colon T_x X \to T_{h(x)} Y$
+est \emph{surjective}. On dit qu'un morphisme $X \to Y$, avec $Y$
+lisse, est lisse (partout) lorsque la différentielle est surjective en
+tout point. Une conséquence importante de la lissité de $h$ est que
+la fibre $h^{-1}(y)$ est elle-même lisse (en tant que variété, un
+fermé à l'intérieur de $X$) pour chaque $y\in Y$.
+
+
+
+%
+%
+%
+
+\section{Introduction aux bases de Gröbner}
+
+(À part pour la proposition \ref{projection-by-elimination}, toute
+cette partie ne dépend que de la partie \ref{commutative-algebra} et
+d'aucune des suivantes.)
+
+\subsection{Monômes et idéaux monomiaux}
+
+On appelle \textbf{monôme} de $k[t_1,\ldots,t_d]$ un
+$t_1^{\ell_1}\cdots t_d^{\ell_d}$. On dit qu'un monôme
+$t_1^{\ell_1}\cdots t_d^{\ell_d}$ \textbf{divise} un monôme
+$t_1^{\ell'_1}\cdots t_d^{\ell'_d}$ lorsque $\ell_i \leq \ell'_i$ pour
+tout $i$ (c'est bien la relation de divisibilité dans l'anneau
+factoriel $k[t_1,\ldots,t_d]$, restreinte aux monômes, et le rapport
+est alors lui-même un monôme). Un \textbf{terme} est un monôme
+multiplié par une constante (=élément de $k$) non nulle : on parle
+alors du monôme \emph{de} ce terme. Tout polynôme s'écrit de façon
+unique comme somme de termes dont les monômes sont distincts : ce sont
+les termes de (=intervenant dans) ce polynôme.
+
+Commençons par la remarque suivante, qui est évidente, mais
+essentielle :
+\begin{prop}\label{divisibility-of-monomials}
+Si $s_1,\ldots,s_r$ sont des monômes de $k[t_1,\ldots,t_d]$, alors
+pour chaque terme $c s$ de $g_1 s_1 + \cdots + g_r s_r$ (où
+$g_1,\ldots,g_r \in k[t_1,\ldots,t_d]$) le monôme $s$ de ce terme est
+divisible par l'un des $s_i$.
+\end{prop}
+\begin{proof}
+En développant l'écriture $g_1 s_1 + \cdots + g_r s_r$, puisque la
+somme comporte le terme $c s$, au moins un des facteurs comporte un
+terme dont le monôme est $s$, ce qui montre bien que $s$ est divisible
+par un des $s_i$.
+\end{proof}
+
+\begin{cor}
+Si $s_1,\ldots,s_r$ sont des monômes de $k[t_1,\ldots,t_d]$, l'idéal
+qu'ils engendrent est exactement l'idéal des polynômes dont le monôme
+de chaque terme est divisible par un des $s_i$.
+\end{cor}
+\begin{proof}
+On vient de montrer que si $f$ est dans $(s_1,\ldots,s_r)$ alors le
+monôme de chaque terme de $f$ est divisible par un des $s_i$.
+Réciproquement, si c'est le cas, $f$ est somme de termes multiples
+des $s_i$, qui appartiennent donc à l'idéal engendré par les $s_i$.
+\end{proof}
+
+On appelle \textbf{idéal monomial} un idéal de $k[t_1,\ldots,t_d]$ qui
+peut être engendré par des monômes : le corollaire ci-dessus montre
+que si $I$ est un idéal monomial, alors tout terme d'un élément de $I$
+est encore un élément de $I$. Réciproquement, si $I$ est un idéal tel
+que tout terme d'un élément de $I$ soit un élément de $I$, alors $I$
+est monomial (en effet, on peut choisir un ensemble de générateurs
+de $I$, et les monômes des termes de ces générateurs donnent des
+éléments de $I$ qui engendrent les générateurs choisis, donc
+engendrent $I$).
+
+
+
+%
+\subsection{Ordres admissibles sur les monômes}
+
+On appelle \textbf{ordre admissible} (ou \textbf{ordre monomial}) sur
+les monômes de $k[t_1,\ldots,t_d]$ une relation d'ordre total
+$\preceq$ sur les monômes de ce dernier telle que :
+\begin{itemize}
+\item $1 \preceq s$ pour tout monôme $s$, et
+\item si $s_1 \preceq s_2$ et $s$ est un monôme quelconque, alors $s
+ s_1 \preceq s s_2$.
+\end{itemize}
+(On notera souvent abusivement $c s \preceq c' s'$, lorsque $cs, c's'$
+sont deux termes, pour signifier que leurs monômes vérifient $s
+\preceq s'$.)
+
+\begin{prop}\label{properties-of-admissible-orders}
+Si $\preceq$ est un ordre admissible sur les monômes de
+$k[t_1,\ldots,t_d]$, alors
+\begin{itemize}
+\item si $s_1 | s_2$ alors $s_1 \preceq s_2$,
+\item $\preceq$ est un bon ordre (c'est-à-dire : tout ensemble non
+ vide de monômes a un plus petit élément pour $\preceq$, ou de façon
+ équivalente, il n'y a pas de suite infinie strictement décroissante
+ de monômes pour $\preceq$).
+\end{itemize}
+\end{prop}
+\begin{proof}
+Le premier point est évident : si $s_2 = s s_1$ alors $1 \preceq s$
+entraîne $s_1 \preceq s s_1 = s_2$. Montrons le second : si $S$ est
+un ensemble de monômes, soit $I$ l'idéal qu'ils engendrent ; comme
+$k[t_1,\ldots,t_d]$ est noethérien, il existe un sous-ensemble fini
+$S_0 \subseteq S$ qui engendre le même idéal $I$. Soit $s$ le plus
+petit élément de $S_0$ : on prétend que $s$ est aussi le plus petit
+élément de $S$. En effet, si $s' \in S$ alors $s' \in I$ donc $s'$
+s'écrit comme combinaison d'éléments de $S_0$, mais alors
+d'après \ref{divisibility-of-monomials}, $s'$ est simplement multiple d'un
+élément de $S_0$, et d'après le premier point, $s\preceq s'$, ce qui
+conclut.
+\end{proof}
+
+Lorsque $d=1$, le seul ordre admissible sur les monômes est évidemment
+celui donné par $t^\ell \preceq t^{\ell'}$ ssi $\ell \leq \ell'$.
+
+Une fois fixé un ordre admissible $\preceq$ sur les monômes, si $f \in
+k[t_1,\ldots,t_d]$ est non nul, on note $\init_{\preceq}(f)$ (ou
+simplement $\init(f)$ si l'ordre est sous-entendu) et on appelle
+\textbf{terme initial} (ou \textbf{terme de tête}) de $f$ le terme au
+\emph{plus grand} monôme pour l'ordre en question. (Lorsque $d=1$,
+pour le seul ordre admissible sur les monômes, ceci est simplement le
+terme dominant de $f$.) Si $f=0$ on pose (un peu abusivement)
+$\init(f) = 0$.
+
+\medbreak
+
+Exemples importants d'ordres admissibles sur les monômes : (on
+supposera toujours, quitte à renuméroter les variables, que $t_1
+\preceq t_2 \preceq \cdots \preceq t_d$) :
+
+* L'\textbf{ordre lexicographique (pur)} est défini par $t_1^{\ell_1}
+\cdots t_d^{\ell_d} \mathrel{\preceq_{\mathtt{lex}}} t_1^{\ell'_1}
+\cdots t_d^{\ell'_d}$ ssi $\ell_i < \ell'_i$ pour le \emph{plus
+ grand} $i$ tel que $\ell_i \neq \ell'_i$. Pour cet ordre on a donc
+$1 \preceq t_1 \preceq t_1^2 \preceq t_1^3 \preceq \cdots \preceq t_2
+\preceq t_1 t_2 \preceq t_1^2 t_2 \preceq \cdots \preceq t_2^2 \preceq
+t_1 t_2^2 \preceq \cdots \preceq t_2^3 \preceq \cdots \preceq t_3
+\preceq t_1 t_3 \preceq t_1^2 t_3 \preceq \cdots \preceq t_2 t_3
+\preceq t_1 t_2 t_3 \preceq \cdots \preceq t_3^2 \preceq \cdots
+\preceq t_4 \preceq \cdots$. (Attention, l'ordre donne le poids fort
+à l'exposant de la dernière variable, ce qui correspond à la
+convention faite $t_1 \preceq t_2 \preceq \cdots \preceq t_d$ ; plus
+généralement, tout ordre total sur l'ensemble des variables définit un
+unique ordre lexicographique pur associé.)
+
+\emph{Caractérisation :} Si $\init_{\mathtt{lex}}(f) \in
+k[t_1,\ldots,t_s]$ (pour un $s\leq d$) alors $f \in
+k[t_1,\ldots,t_s]$.
+
+* L'\textbf{ordre lexicographique par degré} ou \textbf{ordre
+ lexicographique gradué} est défini par $t_1^{\ell_1} \cdots
+t_d^{\ell_d} \mathrel{\preceq_{\mathtt{glex}}} t_1^{\ell'_1} \cdots
+t_d^{\ell'_d}$ ssi $\sum \ell_i < \sum \ell'_i$ ou $\sum \ell_i = \sum
+\ell'_i$ et $\ell_i < \ell'_i$ pour le \emph{plus grand} $i$ tel que
+$\ell_i \neq \ell'_i$. Autrement dit, les monômes sont classés par
+degré total en priorité puis, faute de cela, par l'ordre
+lexicographique pur défini ci-dessus. Pour cet ordre, on a donc $1
+\preceq t_1 \preceq t_2 \preceq t_3 \preceq t_4 \preceq \cdots \preceq
+t_1^2 \preceq t_1 t_2 \preceq t_2^2 \preceq t_1 t_3 \preceq t_2 t_3
+\preceq t_3^2 \preceq \cdots \preceq t_1^3 \preceq t_1^2 t_2 \preceq
+t_1 t_2^2 \preceq t_2^3 \preceq t_1^2 t_3 \preceq t_1 t_2 t_3 \preceq
+\cdots$. (Même remarque que ci-dessus : il y a un tel ordre pour
+chaque ordre total sur les variables.)
+
+\emph{Caractérisation :} L'ordre $\mathrel{\preceq_{\mathtt{glex}}}$
+raffine l'ordre partiel donné par le degré total ; et si $f$ homogène
+vérifie $\init_{\mathtt{glex}}(f) \in k[t_1,\ldots,t_s]$ (pour
+un $s\leq d$) alors $f \in k[t_1,\ldots,t_s]$.
+
+* L'\textbf{ordre lexicographique inversé par degré} (ou
+\textbf{...gradué}) est défini par $t_1^{\ell_1} \cdots t_d^{\ell_d}
+\mathrel{\preceq_{\mathtt{grevlex}}} t_1^{\ell'_1} \cdots
+t_d^{\ell'_d}$ ssi $\sum \ell_i < \sum \ell'_i$ ou $\sum \ell_i = \sum
+\ell'_i$ et $\ell_i > \ell'_i$ (attention au sens !) pour le
+\emph{plus petit} $i$ tel que $\ell_i \neq \ell'_i$. Pour cet ordre,
+on a donc $1 \preceq t_1 \preceq t_2 \preceq t_3 \preceq t_4 \preceq
+\cdots \preceq t_1^2 \preceq t_1 t_2 \preceq t_1 t_3 \preceq t_1 t_4
+\preceq \cdots \preceq t_2^2 \preceq t_2 t_3 \preceq \cdots \preceq
+t_3^2 \preceq \cdots \preceq t_1^3 \preceq t_1^2 t_2 \preceq t_1^2 t_3
+\preceq \cdots \preceq t_1 t_2^2 \preceq t_1 t_2 t_3 \preceq \cdots
+\preceq t_2^3 \preceq \cdots$. (Même remarque que ci-dessus : il y a
+un tel ordre pour chaque ordre total sur les variables. De plus,
+$\mathrel{\preceq_{\mathtt{grevlex}}}$ et
+$\mathrel{\preceq_{\mathtt{glex}}}$ coïncident lorsqu'il n'y a que
+deux variables, une fois fixé l'ordre entre celles-ci.)
+
+\emph{Caractérisation :} L'ordre
+$\mathrel{\preceq_{\mathtt{grevlex}}}$ raffine l'ordre partiel donné
+par le degré total ; et si $f$ homogène vérifie
+$\init_{\mathtt{grevlex}}(f) \in (t_1,\ldots,t_s)$ (pour un $s\leq d$)
+alors $f \in (t_1,\ldots,t_s)$.
+
+
+%
+\subsection{Bases de Gröbner}
+
+Si $I$ est un idéal de $k[t_1,\ldots,t_d]$ (et $\preceq$ un ordre
+admissible), on appelle $\init_{\preceq}(I)$ l'idéal engendré par les
+$\init_{\preceq}(f)$ pour tous les $f\in I$ (c'est donc un idéal
+monomial). Attention ! il n'y a aucune raison que prendre les
+$\init_{\preceq}(f)$ pour $f$ parcourant des générateur de $I$ suffise
+à engendrer $\init_{\preceq}(I)$.
+
+\begin{defn}
+Si $I$ est un idéal de $k[t_1,\ldots,t_d]$ et $\preceq$ un ordre
+admissible sur les monômes de ce dernier, on appelle \textbf{base de
+ Gröbner} de $I$ un ensemble $f_1,\ldots,f_r$ d'éléments de $I$ tels
+que $\init_{\preceq}(f_1),\ldots,\init_{\preceq}(f_r)$
+engendrent $\init_{\preceq}(I)$.
+\end{defn}
+
+A priori, rien ne dit que $f_1,\ldots,f_r$ engendrent $I$. C'est
+pourtant le cas :
+\begin{prop}
+Dans les conditions ci-dessus, on a $I = (f_1,\ldots,f_r)$.
+\end{prop}
+\begin{proof}
+On a $I \supseteq (f_1,\ldots,f_r)$ puisque les $f_i$ sont supposés
+dans $I$. Supposons maintenant qu'il n'y ait pas égalité. Soit $h
+\in I$ un polynôme avec le monôme dans $\init(h)$ le plus petit
+possible (pour $\preceq$) tel que $h \not\in (f_1,\ldots,f_r)$.
+Puisque $\init(h) \in \init(I)$, on peut écrire $\init(h) = g_1
+\init(f_1) + \cdots + g_r \init(f_r)$ par l'hypothèse faite sur
+les $f_i$ (pour certains $g_1,\ldots,g_r$).
+D'après \ref{divisibility-of-monomials}, ceci montre que $\init(h) = c s
+\init(f_i)$ pour un certain monôme $s$ et $c$ une constante. On a
+alors $s f_i \in I$, et $\init(c s f_i) = c s \init(f_i) = \init(h)$,
+donc $h - c s f_i$, qui appartient à $I$, a un terme initial de monôme
+strictement plus petit que $h$, donc par minimalité de ce dernier, $h
+- c s f_i \in (f_1,\ldots,f_r)$. Mais alors $h \in (f_1,\ldots,f_r)$,
+une contradiction.
+\end{proof}
+
+Une évidence : tout idéal admet une base de Gröbner. En effet, parmi
+les $\init(f)$ pour $f\in I$ qui engendrent $\init(I)$ on peut
+extraire un ensemble fini engendrant $\init(I)$ --- il s'agit d'une
+base de Gröbner de $I$.
+
+\begin{algo}[algorithme de division]\label{division-algorithm}
+Soient $f,f_1,\ldots,f_r \in k[t_1,\ldots,t_d]$ et $\preceq$ un ordre
+admissible sur les monômes. Alors il existe une écriture
+\[
+f = g_1 f_1 + \cdots + g_r f_r + \rho
+\tag{$*$}
+\]
+où $g_1,\ldots,g_r,\rho \in k[t_1,\ldots,t_d]$, où aucun des monômes
+de $\rho$ n'est divisible par un des $\init(f_i)$, et où $\init(g_i
+f_i) \preceq \init(f)$ pour chaque $i$ ; et on va donner un algorithme
+pour calculer cette écriture ; un tel $\rho$ s'appelle un
+\textbf{reste} de $f$ par rapport au $f_1,\ldots,f_r$ et pour l'ordre
+monomial $\preceq$ (on dit aussi que l'écriture ($*$) s'appelle une
+\textbf{écriture standard} de $f$ par rapport aux $f_1,\ldots,f_r$ et
+pour cet ordre monomial).
+
+Lorsque les $f_1,\ldots,f_r$ forment une base de Gröbner (d'un
+idéal $I = (f_1,\ldots,f_r)$), on a $f \in (f_1,\ldots,f_r)$ si et
+seulement si $\rho = 0$, et $\rho$ est défini de façon unique par $f$.
+\end{algo}
+
+\begin{proof}[Description de l'algorithme]
+Si aucun terme de $f$ n'est divisible par aucun des $\init(f_i)$,
+retourner $\rho = f$ (et tous les $g_i = 0$). Sinon, soit $c s
+\init(f_i)$ (où $c\neq 0$ est une constante et $s$ un monôme) le
+$\preceq$-plus grand terme de $f$ qui soit divisible par un
+des $\init(f_i)$ : on applique récursivement l'algorithme à $f' = f -
+c s f_i$ (qui vérifie $\init(f') \preceq \init(f)$), si $f' = g'_1 f_1
++ \cdots + g'_r f_r + \rho'$ est le résultat, renvoyer $g_j = g'_j$
+sauf $g_i = g'_i + c s$, et $\rho = \rho'$.
+\end{proof}
+
+\begin{proof}
+L'algorithme termine car le $\preceq$-plus grand monôme de $f$
+divisible par un des $\init(f_i)$ décroît strictement à chaque
+itération, or $\preceq$ est un bon ordre
+(cf. \ref{properties-of-admissible-orders}). La propriété sur $\rho$
+est évidente. La propriété $\init(g_j f_j) \preceq \init(f)$ découle
+par induction de $\init(g'_j f_j) \preceq \init(f') \preceq \init(f)$
+et $\init(c s f_i) = c s \init(f_i) = c\init(f)$.
+
+Si $\rho = 0$, le fait que $f \in (f_1,\ldots,f_r)$ est trivial. Si
+$f_1,\ldots,f_r$ forment une base de Gröbner et $f \in
+(f_1,\ldots,f_r)$, comme on a aussi $\rho \in (f_1,\ldots,f_r)$, alors
+$\init(\rho) \in (\init(f_1),\ldots,\init(f_r))$, ce qui vu le fait
+qu'aucun monôme de $\rho$ n'est divisible par un des $\init(f_i)$,
+n'est possible que si $\rho = 0$ (cf. \ref{divisibility-of-monomials}) ; de
+même, si $\rho$ et $\rho'$ sont deux restes différents du même $f$,
+disons $f = g_1 f_1 + \cdots + g_r f_r + \rho$ et $f = g'_1 f_1 +
+\cdots + g'_r f_r + \rho'$, alors $(g'_1-g_1) f_1 + \cdots +
+(g'_r-g_r) f_r + (\rho'-\rho)$ est une écriture standard de $0$, donc
+$\rho'=\rho$.
+\end{proof}
+
+\textbf{Moralité :} Connaître une base de Gröbner d'un idéal $I$
+permet de répondre à la question de savoir si $f\in I$ pour un idéal
+donné. Mieux, si $(f_1,\ldots,f_r)$ est cette base de Gröbner,
+l'ensemble des classes des monômes qui ne sont divisibles par aucun
+des $\init(f_i)$ constitue une base de $k[t_1,\ldots,t_d]/I$, ce qui,
+avec l'algorithme de division, permet de calculer dans l'anneau en
+question.
+
+Lorsque $f_1,\ldots,f_r$ ne forment pas une base de Gröbner, on peut
+très bien avoir $\rho \neq 0$ et pourtant que $\rho$
+(c'est-à-dire, $f$) appartienne à l'idéal $(f_1,\ldots,f_r)$. Par
+exemple, pour deux polynômes, $g_1 f_1 + g_2 f_2$ pourrait avoir un
+coefficient initial beaucoup plus petit que ceux de $f_1,f_2$ à cause
+d'une annulation entre ceux-ci (dans ce cas, l'algorithme de division
+appliqué à $g_1 f_1 + g_2 f_2$ par rapport à $f_1,f_2$ donnerait $g_1
+f_1 + g_2 f_2$ lui-même comme reste, bien que ce polynôme appartienne
+à $(f_1,f_2)$). L'algorithme de Buchberger pour calculer les bases de
+Gröbner se fonde sur l'idée qu'il suffit d'éviter ce phénomène.
+
+
+%
+\subsection{L'algorithme de Buchberger}
+
+Soient $f_1,\ldots,f_r\in k[t_1,\ldots,t_d]$ : pour chaque
+couple $(i,j)$ (où $i \neq j$), on définit le \textbf{polynôme de
+ syzygie} entre $f_i$ et $f_j$ :
+\[
+\begin{array}{c}
+f_{i,j} = c_{j,i} s_{j,i} f_i - c_{i,j} s_{i,j} f_j\\
+\hbox{où~}
+c_{i,j} s_{i,j} = \init(f_i)/\pgcd(\init(f_i),\init(f_j))
+\end{array}
+\]
+Le pgcd (unitaire) de deux termes $c s$ et $c' s'$ étant défini comme
+le plus grand monôme (pour n'importe quel ordre admissible, ou pour
+l'ordre partiel de divisibilité) parmi les monômes qui divisent à la
+fois $s$ et $s'$ (c'est-à-dire $t_1^{\min(\ell_1,\ell'_1)} \cdots
+t_d^{\min(\ell_d,\ell'_d)}$ si $s = t_1^{\ell_1} \cdots t_d^{\ell_d}$
+et $s' = t_1^{\ell'_1} \cdots t_d^{\ell'_d}$). Remarquons que
+$c_{i,j} s_{i,j} f_i$ et $c_{j,i} s_{j,i} f_j$ ont le même terme
+initial, de sorte que celui de $f_{i,j}$ a un monôme strictement plus
+petit. (Bien sûr, $f_{i,i} = 0$ pour tout $i$, donc on ne s'intéresse
+qu'aux $f_{i,j}$ pour $i\neq j$.)
+
+On appelle \textbf{module des relations} entre $f_1,\ldots,f_r$
+l'ensemble (qui est un sous-module de $(k[t_1,\ldots,t_d])^r$, d'où le
+terme) des $(g_1,\ldots,g_r)$ tels que $g_1 f_1 + \cdots + g_r f_r =
+0$, ces $(g_1,\ldots,g_r)$ étant appelés des \textbf{relations} entre
+les $f_i$ (relation non-triviale si les $g_i$ ne sont pas tous nuls).
+
+Soit $\rho_{i,j}$ le reste (au sens de \ref{division-algorithm})
+de $f_{i,j}$ par rapport aux $f_1,\ldots,f_r$ (pour un ordre
+monomial $\preceq$) : si les $f_1,\ldots,f_r$ forment une base de
+Gröbner alors $\rho_{i,j} = 0$ puisque $f_{i,j} \in (f_1,\ldots,f_r)$.
+Ce qui est plus surprenant est que la réciproque est également vraie :
+
+\begin{thm}[critère de Buchberger]
+Avec les notations ci-dessus, on a $\rho_{i,j} = 0$ pour tous $i,j$ si
+et seulement $f_1,\ldots,f_r$ forment une base de Gröbner (de l'idéal
+qu'ils engendrent).
+
+(Spears-Schreyer) De plus, lorsque c'est le cas, les relations
+$c_{j,i} s_{j,i} f_i - c_{i,j} s_{i,j} f_j - \sum_u g^{(i,j)}_u f_u$,
+où $f_{i,j} = g^{(i,j)}_1 f_1 + \cdots + g^{(i,j)}_r f_r$ est une
+écriture standard de $f_{i,j}$, engendrent\footnote{En fait, les
+ relations en question forment elles-même une base de Gröbner du
+ module des relations, si on prend la peine de définir la notion de
+ « base de Gröbner » d'un module et non seulement d'un idéal, pour un
+ ordre admissible sur les monômes de $k[t_1,\ldots,t_d]^r$ qui se
+ déduit facilement de $\preceq$.} le module des relations
+entre $f_1,\ldots,f_r$.
+\end{thm}
+
+\begin{algo}[algorithme de Buchberger]
+Donné $f_1,\ldots,f_r \in k[t_1,\ldots,t_d]$, on peut calculer
+effectivement une base de Gröbner de l'idéal qu'ils engendrent.
+\end{algo}
+\begin{proof}[Description de l'algorithme]
+Calculer les $\rho_{i,j}$ définis plus hauts : si les $\rho_{i,j}$
+sont tous nuls, terminer (les $f_1,\ldots,f_r$ forment une base de
+Gröbner). Si un des $\rho_{i,j}$ est non nul, dès qu'on le trouve,
+ajouter ce $\rho_{i,j}$ parmi les $f_1,\ldots,f_r$ (c'est-à-dire,
+recommencer l'algorithme avec $f_1,\ldots,f_r,\rho_{i,j}$).
+\end{proof}
+\begin{proof}
+L'algorithme termine car l'idéal engendré par
+$\init(f_1),\ldots,\init(f_r)$ ne cesse de croître strictement : le
+processus doit donc terminer, ce qui ne peut se produire que parce que
+tous les $\rho_{i,j}$ sont tous nuls, et le critère précédent permet
+de dire qu'on a bien une base de Gröbner.
+\end{proof}
+
+\medbreak
+
+\textbf{Bases de Gröbner réduites.}
+
+\begin{defn}
+Une base de Gröbner $f_1,\ldots,f_r$ est dite \textbf{réduite}
+lorsque, pour $i\neq j$, le monôme du terme $\init(f_i)$ ne divise
+aucun des monômes apparaissant dans $f_j$, et si, de plus, chacun des
+termes $\init(f_i)$ est unitaire (=la constante devant le monôme
+est $1$).
+\end{defn}
+
+On peut facilement calculer une base de Gröbner réduite à partir d'une
+base de Gröbner, en soustrayant, pour chaque $f_j$, chaque terme
+divisible par un des $\init(f_i)$ (et en commençant par le plus grand
+pour l'ordre monomial), le multiple de $f_i$ qui permet de l'annuler,
+et en répétant cette opération aussi souvent que nécessaire (il est
+clair que cela termine). Il faut, bien sûr, retirer tous les éléments
+nuls, puis normaliser à $1$ la constante devant le monôme initial de
+chaque $f_i$.
+
+\begin{prop}
+Pour un idéal $I$ de $k[t_1,\ldots,t_d]$ et un ordre
+admissible $\preceq$, il existe une unique base de Gröbner réduite (on
+l'appelle donc \emph{la} base de Gröbner réduite de $I$ pour cet
+ordre).
+\end{prop}
+
+
+%
+\subsection{Bases de Gröbner et élimination}
+
+\begin{prop}
+Soit $I$ un idéal de $k[t_1,\ldots,t_d]$ et $s\leq d$ : si
+$f_1,\ldots,f_r$ est une base de Gröbner de $I$ pour
+l'ordre $\mathrel{\preceq_{\mathtt{lex}}}$ (où on est convenu que $t_1
+\preceq t_2 \preceq \cdots \preceq t_d$), alors ceux des $f_i$ qui
+appartiennent à $k[t_1,\ldots,t_s]$ forment une base de Gröbner de $I
+\cap k[t_1,\ldots,t_s]$.
+\end{prop}
+
+(En fait, il suffit que l'ordre $\preceq$ utilisé vérifie la
+propriété : si $\init_{\preceq}(f) \in k[t_1,\ldots,t_s]$ alors $f \in
+k[t_1,\ldots,t_s]$. Une façon parfois plus efficace que l'ordre
+lexicographique pur, \emph{si on connaît $s$ à l'avance}, consiste à
+prendre l'ordre sur le degré total en les seules variables
+$t_1,\ldots,t_s$ comme premier critère de comparaison, et en cas
+d'égalité comparer avec $\mathrel{\preceq_{\mathtt{grevlex}}}$.)
+
+\begin{prop}\label{projection-by-elimination}
+Soit $I$ un idéal de $k[t_1,\ldots,t_d]$ et $s \leq d$. Alors $Z(I
+\cap k[t_1,\ldots,t_s])$ est l'adhérence de Zariski dans
+$\mathbb{A}^s$ de la projection (c'est-à-dire l'image au sens
+de \ref{image-of-a-morphism} par le morphisme $\mathbb{A}^d \to
+\mathbb{A}^s$ qui projette sur les $s$ premières coordonnées
+c'est-à-dire $(x_1,\ldots,x_d) \mapsto (x_1,\ldots,x_d)$) de $Z(I)$.
+\end{prop}
+
+
+
+%
+%
+%
+
+\section{Les courbes}
+
+\subsection{Corps des fonctions et morphismes vers $\mathbb{P}^1$}
+
+\begin{defn}
+On appelle \textbf{courbe (projective lisse)} sur un corps $k$ une
+variété algébrique projective lisse géométriquement
+irréductible\footnote{C'est-à-dire qu'elle est irréductible quand on
+ la voit sur la clôture algébrique $k^{\alg}$ de $k$.} de
+dimension $1$ sur $k$. Lorsque la variété n'est pas supposée lisse,
+on parle de courbe « non nécessairement lisse ».
+\end{defn}
+
+Les fermés de Zariski d'une courbe qui ne sont pas la courbe tout
+entière sont de dimension zéro (cf. \ref{hauptidealsatz}) donc sont
+(sur $k^{\alg}$) des réunions finies de points.
+
+Si $C$ est une courbe non nécessairement lisse, on note $k(C)$ le
+corps des fonctions rationnelles sur $C$
+(cf. \ref{definition-rational-function-and-dimension}). Rappelons
+qu'il s'agit des fonctions régulières sur un ouvert non-vide (=dense)
+de $C$, définies sur $k$ (où on identifie deux fonctions quand elles
+coïncident sur l'intersection des ouverts sur lesquels elles sont
+données) ; on l'appelle simplement \textbf{corps des fonctions}
+de $C$. On a $k(C) = \Frac(\mathcal{O}(U))$ pour n'importe quel
+ouvert affine\footnote{\label{footnote-affine}En fait, on verra que
+ tout ouvert de $C$ différent de $C$ est automatiquement affine.}
+non-vide (=dense) de $C$. On appelle évidemment \textbf{constantes}
+les éléments de $k$ vus dans $k(C)$.
+
+On note aussi $k^{\alg}(C)$ le corps des fonctions rationnelles
+sur $C_{k^{\alg}}$, c'est-à-dire après passage à la clôture algébrique
+$k^{\alg}$ de $k$. On voit $k(C)$ à l'intérieur de $k^{\alg}(C)$ ;
+pour $k$ parfait, le corps $k(C)$ est simplement le corps des éléments
+de $k^{\alg}(C)$ fixés par le groupe de Galois absolu de $k$.
+
+Le degré de transcendance de $k(C)$ (ou $k^{\alg}(C)$) sur $k$
+(ou $k^{\alg}$, s'agissant de $k^{\alg}(C)$) est $1$ : c'est-à-dire
+qu'il existe des éléments de $k(C)$ n'appartenant pas à $k^{\alg}$, et
+que deux tels éléments sont toujours algébriques l'un par rapport à
+l'autre.
+
+\textbf{Exemple :} $\mathbb{P}^1$ sur $k$ est une courbe sur $k$, son
+corps des fonctions est $k(\mathbb{P}^1) = k(t)$ où $t$ est un
+paramètre affine quelconque sur $\mathbb{P}^1$ ; et on a bien sûr
+$k^{\alg}(\mathbb{P}^1) = k^{\alg}(t)$.
+
+\medbreak
+
+\begin{defn}
+Soit $X$ une variété quasiprojective irréductible (non nécessairement
+lisse), et $P$ un $k^{\alg}$-point de $X$, on note $\mathcal{O}_{X,P}$
+et on appelle \textbf{anneau local de $X$ en $P$} le sous-anneau de
+$k(X)$ formé des fonctions rationnelles qui sont données sur un ouvert
+contenant $P$. Ces fonctions sont dites \textbf{régulières en $P$}.
+\end{defn}
+
+Grâce au recollement on peut affirmer que, si $U$ est la réunion de
+tous les ouverts sur lesquels $f$ peut être donnée comme une fonction
+régulière, on peut effectivement représenter $f$ comme une fonction
+régulière sur tout $U$ : on appelle $U$ \textbf{l'ouvert de
+ régularité} de $f$ (ou parfois l'ouvert de définition).
+
+On peut décrire $\mathcal{O}_{X,P}$ autrement : si $U$ est un ouvert
+affine contenant $P$, et $\mathfrak{m}_P$ l'idéal maximal de
+$\mathcal{O}(U)$ des fonctions s'annulant en $P$, alors
+$\mathcal{O}_{X,P}$ est le \emph{localisé} de $\mathcal{O}(U)$ en
+l'idéal $\mathfrak{m}_P$ (c'est-à-dire inversant toutes les fonctions
+qui ne sont pas dans $\mathfrak{m}_P$, cf. les remarques suivant
+\ref{properties-localization}). Il s'agit bien d'un anneau local au sens
+définit en \ref{subsection-reduced-and-integral-rings}.
+
+\medbreak
+
+Le fait suivant peut sembler clair, mais il joue un rôle
+crucial\footnote{Pour voir qu'il n'est pas vrai de façon plus
+ générale, penser à la fonction rationnelle $x/y$ sur $\mathbb{P}^2$,
+ où $x,y$ sont deux des trois coordonnées homogènes : ni elle ni son
+ inverse ne sont régulières au point $x=y=0$.} pour expliquer
+pourquoi la dimension $1$ est particulièrement simple :
+\begin{prop}
+Si $C$ est une courbe non nécessairement lisse, et $P$ un
+$k^{\alg}$-point \emph{lisse} de $C$, alors pour tout $f \in k(C)$ non
+nul on a $f \in \mathcal{O}_{C,P}$ ou bien $f^{-1} \in
+\mathcal{O}_{C,P}$.
+
+Autrement dit : pour $f$ une fonction rationnelle sur une courbe $C$
+et $P$ un point lisse sur $C$, si $f$ n'est pas régulière en $P$ alors
+$f^{-1}$ l'est.
+\end{prop}
+
+Pour $C$ une courbe (lisse), on peut considérer une fonction
+rationnelle $f \in k(C)$ comme une fonction régulière $U \to
+\mathbb{A}^1$ sur son ouvert $U$ de régularité (l'ensemble des points
+où $f$ est régulière). La proposition affirme donc que les ouverts de
+régularité $U$ de $f$ et $U'$ de $f^{-1}$ recouvrent $C$. Les
+morphismes $U \to \mathbb{P}^1$ et $U' \to \mathbb{P}^1$ définis par
+$P \mapsto (1:f(P))$ et $P \mapsto (f^{-1}(P):1)$ se recollent et
+définissent donc un morphisme $C \to \mathbb{P}^1$ qu'on veut
+identifier à $f$. Réciproquement, tout morphisme $C \to \mathbb{P}^1$
+qui n'est pas constamment égal à $\infty$ (=le point complémentaire
+de $\mathbb{A}^1$) définit une fonction régulière sur l'ouvert $U =
+f^{-1}(\mathbb{A}^1)$ de $C$. On a donc expliqué pourquoi :
+\begin{prop}\label{rational-function-on-a-curve-is-regular}
+Si $C$ est une courbe (lisse), les fonctions rationnelles sur $C$
+s'identifient (comme expliqué ci-dessus) aux morphismes $C \to
+\mathbb{P}^1$ non constamment égaux à $\infty$.
+
+Plus généralement, tout morphisme d'un ouvert non-vide de $C$ vers une
+variété \emph{projective} $Y$ s'étend à $C$ tout entier.
+\end{prop}
+
+\bigbreak
+
+\thingy\textbf{Une remarque sur Galois.}\label{remark-on-galois} Quand on considère les points
+d'une variété sur un corps $k$ parfait non algébriquement clos, il est
+parfois préférable de considérer les $k^{\alg}$-points séparément
+(qu'on peut appeler \emph{points géométriques} pour insister), parfois
+il est préférable de considérer ensemble tous les $k^{\alg}$-points
+qui s'envoie les uns sur les autres par l'action du groupe de Galois
+absolu $\Gal(k)$ de $k$, c'est-à-dire les « orbites galoisiennes » de
+points géométriques, qu'on appelle aussi \emph{points fermés}. Par
+exemple, pour droite affine $\mathbb{A}^1$ réelle, les
+$\mathbb{C}$-points $i$ et $-i$ constituent collectivement un point
+fermé, défini par l'équation $t^2+1$. L'intérêt des points fermés est
+qu'ils correspondent aux idéaux maximaux (sur $k$) pour une variété
+affine sur $k$ (exemple : l'idéal des polynômes réels s'annulant en
+$i$ est le même que celui des polynômes réels s'annulant en $-i$,
+c'est l'idéal engendré par $t^2+1$). On appelle \emph{degré} d'un
+point fermé le nombre de points géométriques qui le constitue : c'est
+aussi le degré (=la dimension comme $k$-espace vectoriel) du corps
+résiduel $\kappa(P) = \mathcal{O}(X)/\mathfrak{m}_P$ si $X$ est affine
+et $\mathfrak{m}_P$ l'idéal correspondant au point fermé $P$.
+Certains résultats s'énoncent mieux en parlant d'un point fermé de
+degré $n$, d'autres en parlant de $n$ points géométriques (constituant
+une orbite galoisienne).
+
+
+
+%
+\subsection{Valuation d'une fonction en un point}
+
+Soit $C$ une courbe (non nécessairement lisse) et $P$ un
+$k^{\alg}$-point lisse sur $C$. On appelle $\mathfrak{m}_P$ l'idéal
+dans $\mathcal{O}_{C,P}$ formé des fonctions s'annulant en $P$.
+
+\begin{prop}\label{properties-valuation}
+Avec les notations ci-dessus, il existe une unique fonction $\ord_P
+\colon k(C) \to \mathbb{Z} \cup \{+\infty\}$ vérifiant :
+\begin{itemize}
+\item si $\ord_P(f) = +\infty$ ssi $f=0$, et $\ord_P(c) = 0$ pour tout
+ $c \in k^\times$,
+\item si $f,g \in k(C)$, on a $\ord_P(f+g) \geq
+ \min(\ord_P(f),\ord_P(g))$ (note : ceci implique qu'il y a égalité
+ si $\ord_P(f) \neq \ord_P(g)$),
+\item si $f,g \in k(C)$, on a $\ord_P(fg) = \ord_P(f) + \ord_P(g)$,
+\item on a $\ord_P(f) \geq 0$ ssi $f \in \mathcal{O}_{C,P}$ (i.e.,
+ $f$ est régulière en $P$), et $\ord_P(f) > 0$ ssi $f \in
+ \mathfrak{m}_P$ (i.e., $f$ s'annule en $P$),
+\item il existe des $f$ tels que $\ord_P(f) = 1$.
+\end{itemize}
+\end{prop}
+
+Cette fonction s'appelle la \textbf{valuation en $P$} ou
+l'\textbf{ordre (du zéro) en $P$}. Lorsque $\ord_P(f) = v > 0$, on
+dit que $f$ a un zéro d'ordre $v$ en $P$ ; lorsque $\ord_P(f) = (-v) <
+0$, on dit que $f$ a un pôle d'ordre $v$ en $P$ ; lorsque $\ord_P(f) =
+0$, on dit que $f$ est inversible en $P$ (cela signifie bien que $f$
+est inversible dans $\mathcal{O}_{C,P}$) ; lorsque $\ord_P(f) = 1$, on
+dit que $f$ est une \textbf{uniformisante} en $P$ (il n'est pas
+difficile de voir que cela signifie que $f$ engendre
+l'idéal $\mathfrak{m}_P$).
+
+\textbf{Exemple :} Si on voit $k(t)$ comme $k(\mathbb{P}^1)$, alors
+\begin{itemize}
+\item pour $P \in \mathbb{A}^1(k) = k$, la valuation en $P$ est bien
+ l'ordre d'annulation en $P$ de la fraction rationnelle $f$ (en
+ particulier, si $f$ est un polynôme, $\ord_P(f)$ est la multiplicité
+ de $(t-P)$ dans la décomposition en facteurs irréductibles de $f$ ;
+ et si $P = 0$, c'est ce qu'on appelle souvent, sans autre précision,
+ la valuation d'un polynôme) ;
+\item pour $P = \infty$, la valuation en $\infty$ d'un polynôme est
+ l'opposé de son degré, et la valuatin en $\infty$ d'une fraction
+ rationnelle $f$ est le degré de son dénominateur moins le degré de
+ son numérateur ;
+\item pour $P \in \mathbb{A}^1(k^{alg}) = k^{\alg}$, la valuation en
+ $P$ d'un polynôme $f$ est la multiplicité de $\mu_P$ dans la
+ décomposition en facteurs irréductibles de celui-ci, où $\mu_P$ est
+ le polynôme minimal de $P$ (par exemple, sur les réels,
+ $\ord_i(t^2+1) = 1$), et pour une fraction rationnelle on peut bien
+ sûr le calculer comme l'ordre du numérateur moins celui du
+ dénominateur.
+\end{itemize}
+
+Remarquons que $\ord_P(f)$ est le même que $f$ soit considéré comme
+vivant dans $k(C)$ ou dans $k^{\alg}(C)$ (à cause de l'unicité
+affirmée pour la fonction $\ord_P$). Par ailleurs, pour $f \in k(C)$,
+on a $\ord_P(f) = \ord_{\sigma(P)}(f)$ pour tout $\sigma \in \Gal(k)$
+(le groupe de Galois absolu de $k$), autrement dit, $\ord_P(f)$ ne
+dépend que de l'orbite de $P$ par $\Gal(k)$ (c'est-à-dire, du point
+fermé défini par $P$).
+
+\begin{prop}
+Soit $C$ une courbe (lisse) sur un corps $k$. Alors toute fonction
+$k(C) \to \mathbb{Z} \cup \{+\infty\}$ vérifiant les trois premières
+et la dernière des propriétés énumérées pour $\ord_P$
+en \ref{properties-valuation} est de la forme $\ord_P$ pour un certain
+$P \in C(k^{\alg})$.
+\end{prop}
+
+Les $\ord_P$ sont distinctes lorsque les points $P$ ne sont pas
+conjugués par Galois (cf. ci-dessus) : on va voir un résultat plus
+précis affirmant qu'elles sont, en fait, aussi indépendantes que
+possible (\ref{approximation-lemma} ci-dessous).
+
+\begin{prop}\label{basic-ord-facts}
+Soit $C$ une courbe (lisse) sur un corps $k$ :
+\begin{itemize}
+\item Pour tout $f \in k(C)$, il n'y a qu'un nombre fini de $P \in
+ C(k^{\alg})$ tels que $\ord_P(f) \neq 0$.
+\item Si $\ord_P(f) \geq 0$ pour tout $f$, alors $f \in k$ (la
+ fonction est constante).
+\end{itemize}
+\end{prop}
+\begin{proof}
+La première affirmation vient de ce que tout fermé de Zariski d'une
+courbe est fini. La seconde découle de ce que toute fonction
+régulière (ce qu'est un $f$ comme annoncé) sur une variété projective
+connexe est constante
+(cf. \ref{projective-to-affine-morphisms-are-constant}).
+\end{proof}
+
+\begin{prop}[lemme d'approximation]\label{approximation-lemma}
+Soit $C$ une courbe sur un corps $k$ et $U$ un ouvert
+affine\footnote{Cf. note \ref{footnote-affine}.} de $C$. Soient
+$Q_1,\ldots,Q_s$ des points dans $U$ dont aucun n'est image d'un autre
+sous l'action de Galois (=dont les orbites sous $\Gal(k)$ sont deux à
+deux disjointes, =dont les idéaux maximaux $\mathfrak{m}_{Q_i}$ sont
+deux à deux distincts, =définissant des points fermés deux à deux
+distincts), et $f_1,\ldots,f_s \in k(C)$ et $v_1,\ldots,v_s \in
+\mathbb{Z}$. Alors il existe $f \in k(C)$ telle que
+\[
+\begin{array}{cl}
+\ord_{Q_i}(f-f_i) \geq v_i&\hbox{~pour tout $i$}\\
+\ord_{P}(f) \geq 0&\hbox{~pour tout $P \in U \setminus \{\sigma(Q_i)\}$}\\
+\end{array}
+\]
+\end{prop}
+
+\emph{Moralité :} On peut toujours trouver une fonction $f$ qui
+approche les fonctions $f_i$ spécifiées à l'ordre $v_i$ spécifié aux
+points $Q_i$ spécifiés, et qui soit régulière à tout point de $U$ sauf
+évidemment ceux pour lesquels la condition imposée demande qu'ils ne
+le soient pas.
+
+\emph{Remarque :} Ce résultat recouvre l'existence des polynômes
+interpolateurs de Lagrange (pour $C = \mathbb{P}^1$ et $U =
+\mathbb{A}^1$, les $f_i$ des polynômes ayant les développements de
+Taylor souhaités aux ordres $v_i$, le résultat montre qu'il existe un
+polynôme $f$ ayant les développements spécifiés aux ordres spécifiés).
+
+\begin{proof}[Idée de démonstration]
+Pour $Q \in U$, si $\mathfrak{m}_{Q}$ désigne l'idéal des fonctions de
+$\mathcal{O}(U)$ s'annulant en $Q$, i.e., telles que $\ord_Q(h) \geq
+1$, le point clé est que $\mathfrak{m}_Q \neq \mathfrak{m}_{Q'}$ si
+$Q$ et $Q'$ ne sont pas conjugués par Galois, donc il existe une
+fonction $h \in \mathcal{O}(U)$ telle que $\ord_Q(h) \geq 1$ et
+$\ord_{Q'}(h) = 0$, et, quitte à diviser par une constante, autant
+supposer $h(Q') = 1$, et une autre $h'$ telle que $h'(Q) = 1$ et
+$\ord_{Q'}(h') \geq 1$. Quitte à multiplier de telles fonctions entre
+elles et à les elever à des puissances assez grandes, on peut obtenir
+des $h_i$ telles que $h_i(Q_i) = 1$ et $\ord_{Q_j}(h_i) \geq
+\min(1,v_i)$ si $j\neq i$. Lorsque les $f_i$ sont dans
+$\mathcal{O}(U)$, poser $f = \sum_i f_i h_i$ convient. Sinon, on met
+les $f_i$ sur un même dénominateur et en cherchant $h$ comme une
+fraction sur le dénominateur en question on se ramène à un problème
+d'approximation sur le numérateur.
+\end{proof}
+
+\begin{prop}\label{dimension-of-space-of-jets}
+Soit $P$ un $k^{\alg}$-point lisse d'une courbe $C$ non nécessairement
+lisse sur un corps $k$, et pour $v\geq 0$ soit $\mathfrak{m}^v_P = \{f
+\in k(C) : \ord_P(f) \geq v\}$ (idéal de $\mathcal{O}_{C,P}$). Alors
+$\mathcal{O}_{C,P} / \mathfrak{m}^v_P$ est un espace vectoriel de
+dimension $v$ sur le corps $\kappa(P) := \mathcal{O}_{C,P} /
+\mathfrak{m}_P$, donc $dv$ sur $k$, où $d$ est le degré de $P$,
+c'est-à-dire (pour $k$ parfait) le nombre de conjugués de $P$ sous
+l'action de Galois.
+\end{prop}
+\begin{proof}
+Il existe une uniformisante $t$ de $C$ en $P$ : il n'est pas difficile
+de voir que $1,t,t^2,\ldots,t^{v-1}$ forment une base de
+$\mathcal{O}_{C,P} / \mathfrak{m}^v_P$ sur $\kappa(P)$
+(cf. \ref{remark-on-galois} pour la dimension de $\kappa(P)$ sur $k$).
+\end{proof}
+
+
+
+%
+\subsection{Morphismes entre courbes}
+
+\begin{prop}\label{non-constant-morphisms-of-curves-are-surjective}
+Tout morphisme entre courbes non nécessairement lisses est soit
+constant ou surjectif.
+\end{prop}
+\begin{proof}
+Soit $h \colon C' \to C$ un tel morphisme. Puisque $C'$ est
+projective, l'image de $h$ est un fermé dans $C$
+(cf. \ref{image-of-a-morphism-chevalley}). Si c'est $C$, le morphisme
+est surjectif. Sinon, c'est un ensemble fini, et comme $C'$ est
+connexe, il est réduit à un point, donc $h$ est constant.
+\end{proof}
+
+Si $h\colon C' \to C$ est un morphisme non constant de courbes
+sur $k$, à tout $f \in k(C)$, vu comme un morphisme $C \to
+\mathbb{P}^1$ (non constamment égal à $\infty$), on peut associer
+$h^*(f) := h\circ f \colon C' \to \mathbb{P}^1$ vu comme un élément de
+$k(C')$ (car il est n'est pas constant égal à $\infty$). (Si on
+préfère, pour $U$ ouvert affine de $C$, le morphisme d'algèbres $h^*
+\colon \mathcal{O}(U) \to \mathcal{O}(h^{-1}(U))$ donne un $h^* \colon
+k(C) \to k(C')$ entre les corps des fractions ; ceci fonctionne même
+si $C,C'$ ne sont pas supposées lisses.) Il s'agit d'un morphisme de
+$k$-algèbres qui sont des corps, donc automatiquement injectif :
+c'est-à-dire que $h^*$ plonge $k(C)$ comme un sous-corps de $k(C')$
+(en commutant à l'action du groupe de Galois, et en particulier en
+préservant $k$). Avec ce plongement, $k(C')$ est une extension
+\emph{algébrique} de $k(C)$ (car tous deux ont le même degré de
+transcendance, $1$, sur $k$), et $k(C')$ est engendré en tant que
+corps, sur $k$ donc sur $k(C)$, par un nombre fini d'éléments : ceci
+montre que $k(C')$ est une \emph{extension finie} de $k(C)$
+(c'est-à-dire, de dimension finie comme $k(C)$-espace vectoriel), et
+son degré (=sa dimension comme $k(C)$-espace vectoriel) s'appelle le
+\textbf{degré} de $h$, noté $\deg h$. Lorsque $h$ est un morphisme
+constant, on pose $\deg h = 0$.
+
+\textbf{Exemple :} Si $h \in k[t]$, on peut voir $h$ comme un
+morphisme $\mathbb{P}^1 \to \mathbb{P}^1$ (par $(t_0:t_1) \mapsto
+(t_0^{\deg h} : t_0^{\deg h}\,h(t_1/t_0))$,
+cf. \ref{subsection-affine-vs-projective} ; ou, de façon équivalente,
+en considérant $h$ comme un élément de $k(t) = k(\mathbb{P}^1)$ qui
+définit donc un morphisme $\mathbb{P}^1 \to \mathbb{P}^1$).
+L'inclusion $h^*$ est celle qui considère $k(u)$ pour $u = h(t)$ comme
+un sous-corps de $k(t)$. Manifestement, le polynôme minimal de $t$
+sur $k(u)$ est justement $h(x)-u$ (écrit en l'indéterminée $x$), qui
+est de degré $\deg h$, donc le degré de $h$ en tant que polynôme ou en
+tant que morphisme est le même !
+
+\textbf{Fonctorialité :} Si $C'' \buildrel h'\over\to C' \buildrel
+h\over\to C$ sont deux morphismes entre courbes, on a $(h'\circ h)^* =
+h^* \circ h^{\prime*}$, c'est-à-dire que $k(C)$ se voit à l'intérieur
+de $k(C')$ quand celui-ci se voit à l'intérieur de $k(C'')$. Grâce à
+la composition des degrés dans les extensions de corps, on a $\deg
+(h'\circ h) = \deg(h') \cdot \deg(h)$.
+
+\begin{prop}\label{function-map-on-curves-is-fully-faithful}
+Si $C, C'$ sont deux courbes sur $k$, où $C$ peut ne pas être lisse
+(mais $C'$ est tenue de l'être), et si $\iota\colon k(C) \to k(C')$
+est une inclusion fixant $k$ du corps $k(C)$ dans $k(C')$, alors il
+existe un unique morphisme $h\colon C' \to C$ de courbes sur $k$ tel
+que $\iota = h^*$.
+\end{prop}
+\begin{proof}[Esquisse de démonstration]
+Si $C \subseteq \mathbb{P}^d$, on peut considérer les rapports
+$t_1/t_0, \ldots, t_d/t_0$ de coordonnées homogènes sur $\mathbb{P}^d$
+comme des éléments de $k(C)$. Leurs images par $\iota$ dans $k(C')$
+définissent un morphisme d'un ouvert non vide de $C'$
+vers $\mathbb{P}^d$, donc de tout $C'$ vers $\mathbb{P}^d$
+(cf. \ref{rational-function-on-a-curve-is-regular}), et comme ces
+fonctions vérifient les équations de $C$ dans $\mathbb{P}^d$, on a un
+morphisme $C' \buildrel h\over\to C$, qui vérifie $h^* = \iota$. De
+plus, une fois $C$ plongé dans $\mathbb{P}^d$ comme on l'a fait,
+c'était le seul morphisme possible, donc on a bien l'unicité.
+\end{proof}
+
+\begin{cor}\label{degree-one-map-of-curves-is-isomorphism}
+Si $C, C'$ sont deux courbes (lisses) sur $k$ et $h\colon C'\to C$ un
+morphisme de degré $1$, alors $h$ est un isomorphisme.
+\end{cor}
+\begin{proof}
+Dire que $h$ est un morphisme de degré $1$ signifie que $h^*$ est un
+isomorphisme de $k(C)$ avec $k(C')$. Son isomorphisme réciproque peut
+lui-même s'écrire sous la forme $g^*$ d'après la proposition qui
+précède, et les relations de fonctorialité $(h\circ g)^* = g^* \circ
+h^*$ et $(g \circ h)^* = h^* \circ g^*$ ainsi que l'unicité du
+morphisme dans la proposition montrent que $h \circ g = \id_{C'}$ et
+$g \circ h = \id_C$.
+\end{proof}
+
+\medbreak
+
+Revenons brièvement sur le corps des fonctions d'une courbe.
+
+On sait que $k(C)$ est engendré (en tant que corps)\footnote{Ceci
+ signifie qu'il existe $x_1,\ldots,x_r \in k(C)$ tels que tout
+ sous-corps de $k(C)$ contenant $k$ et $x_1,\ldots,x_r$ soit $k(C)$
+ tout entier.} par un nombre fini d'éléments au-dessus de $k$ (en
+effet, si $U$ est un ouvert affine non-vide de $C$, alors
+$\mathcal{O}(U)$ est une $k$-algèbre de type fini, et si
+$x_1,\ldots,x_r$ en sont des générateurs, ils engendrent aussi $k(C) =
+\Frac(\mathcal{O}(U))$ en tant que corps sur $k$). D'autre part,
+remarquons que $k^{\alg} \cap k(C) = k$ (ce qui est clair si on a
+décrit $k(C)$ comme les éléments de $k^{\alg}(C)$ fixes par Galois),
+c'est-à-dire que tout élément de $k(C)$ algébrique sur $k$ est en fait
+dans $k(C)$. Ces remarques sont pertinentes car :
+\begin{prop}
+Soit $K$ un corps contenant $k$, de degré de transcendance $1$ dessus,
+engendré en tant que corps par un nombre fini d'éléments au-dessus
+de $k$ (ou, de façon équivalente, $K$ est de degré \emph{fini}
+sur $k(t)$ où $t \in K$ est transcendant sur $k$), et tel que $k$ soit
+algébriquement fermé dans $K$. Alors $K$ est le corps des fonctions
+$k(C)$ d'une certaine courbe (lisse) $C$ sur $k$.
+\end{prop}
+
+Le corollaire suivant permet d'oublier les courbes non lisses :
+\begin{cor}
+Soit $C$ une courbe non nécessairement lisse. Alors il existe un
+morphisme $\tilde C \to C$ depuis une courbe lisse $\tilde C$
+vers $C$, unique à isomorphisme unique près de $\tilde C$
+au-dessus\footnote{Ceci signifie que si $\tilde C \buildrel\nu\over\to
+ C$ et $\tilde C' \buildrel\nu'\over\to C$ sont deux morphismes comme
+ expliqué, alors il existe un unique isomorphisme $\tilde C'
+ \buildrel h\over\to \tilde C$ tel que $\nu' = h\circ \nu$.} de $C$,
+qui soit de degré $1$, c'est-à-dire que $\nu^*$ identifie $k(C)$
+à $k(\tilde C)$. La courbe $\tilde C$ s'appelle la
+\textbf{normalisation} de $C$.
+\end{cor}
+\begin{proof}
+La proposition garantit qu'il existe une courbe lisse $\tilde C$ de
+corps des fonctions $k(C)$. Le morphisme identité $k(C) \to k(\tilde
+C)$ donne alors d'après \ref{function-map-on-curves-is-fully-faithful}
+le morphisme $\nu \colon \tilde C \to C$ désiré. L'unicité est
+analogue à \ref{degree-one-map-of-curves-is-isomorphism}.
+\end{proof}
+
+\begin{cor}
+Soit $C$ une courbe (lisse) sur un corps $k$. Si $K$ est un
+sous-corps de $k(C)$ contenant $k$ et tel que $k(C)$ soit fini sur $K$
+(c'est-à-dire, de dimension finie comme $K$-espace vectoriel), alors
+il existe une courbe $C_0$ et un morphisme $h\colon C \to C_0$, unique
+à isomorphisme près de $C_0$ au-dessous de $C$, tel que $h^*$ plonge
+$k(C_0)$ comme le sous-corps $K$ de $k(C)$.
+\end{cor}
+\begin{proof}
+Le corps $K$ est de degré de transcendance $1$ sur $k$ car $k(C)$ est
+algébrique sur $K$ ; et $k$ est algébriquement fermé dans $K$. Le
+point non-évident est que $K$ est engendré par un nombre fini
+d'éléments sur $k$ : mais $K$ contient un élément $t$ transcendant
+sur $k$, et $k(C)$, donc $K$, est de degré fini sur $k(t)$. Ainsi $K$
+peut bien s'écrire comme $k(C_0)$ pour une certaine courbe $C_0$, et
+l'inclusion $K = k(C_0) \to k(C)$ fournit un morphisme $C \to C_0$
+d'après \ref{function-map-on-curves-is-fully-faithful}. De nouveau,
+l'unicité découle aussi
+de \ref{function-map-on-curves-is-fully-faithful} de manière analogue
+à \ref{degree-one-map-of-curves-is-isomorphism}.
+\end{proof}
+
+
+
+%
+\subsection{Ramification d'un morphisme}
+
+\begin{prop}
+Si $h \colon C' \to C$ est un morphisme non constant entre courbes
+sur $k$, pour tout point $P$ de $C'$ (sur $k^{\alg}$), il existe un
+(unique) entier $e_P \geq 1$ tel que $\ord_P h^*(f) = e_P \ord_{h(P)}
+f$ pour tout $f \in k(C)$. On appelle $e_P$ l'\textbf{indice de
+ ramification} de $h$ en $P$.
+\end{prop}
+
+\begin{rmk}\label{ramification-of-functions-as-morphisms}
+Si $h \in k(C)$ n'est pas constant, on peut considérer $h$ comme un
+morphisme $C \to \mathbb{P}^1$ correspondant à l'inclusion $k(t) \cong
+k(h) \subseteq k(C)$. En voyant $h$ comme $h^*(t)$, on voit que $e_P
+= \ord_P h$ pour tout $P$ tel que $h(P)=0$. Si $P$ est tel que $h(P)
+= \infty$ alors $e_P = -\ord_P h$. Enfin, si $h(P)$ n'est ni $0$ ni
+$\infty$ alors $e_P = \ord_P (h-h(P))$.
+\end{rmk}
+
+\begin{prop}
+Pour $h \colon C' \to C$ un morphisme non constant entre courbes
+sur $k$ et $P$ un point de $C'$ (sur $k^{\alg}$), l'indice de
+ramification $e_P$ de $h$ en $P$ vaut $1$ ssi $h$ est lisse en $P$
+(c'est-à-dire que $dh_P \colon T_P C' \to T_P C$ est un
+isomorphisme\footnote{La définition de la lissité demande seulement
+ que $dh_P$ soit surjective, mais comme les espaces au départ et à
+ l'arrivée ont même dimension, c'est alors un isomorphisme.} de
+$k^{\alg}$-espaces vectoriels de dimension $1$,
+cf. \ref{subsection-tangent-vectors-and-smooth-points} \textit{in
+ fine}).
+\end{prop}
+
+\begin{prop}\label{sum-of-ramification-degrees}
+Soit $h \colon C' \to C$ un morphisme non constant entre courbes
+sur $k$. Pour tout point $Q$ de $C$, on a
+\[
+\sum_{h(P)=Q} e_P = \deg h
+\]
+où la somme est prise sur tous les points $P$ de $C'$ (sur $k^{\alg}$)
+tels que $h(P) = Q$.
+\end{prop}
+\begin{proof}[Idée-clé de démonstration]
+Soit $U$ un ouvert affine de $C$ contenant $Q$, et $U' = h^{-1}(U)$
+son image réciproque dans $C'$ (qui est également affine) ; on
+considère la $k$-algèbre $\mathcal{O}(U')/h^*\mathfrak{m}_Q
+\mathcal{O}(U')$ des fonctions sur $U'$ modulo l'idéal
+$h^*\mathfrak{m}_Q$ engendré par les $h\circ f$ avec $f \in
+\mathcal{O}(U)$ : on peut montrer que cette $k$-algèbre
+$\mathcal{O}(U')/h^*\mathfrak{m}_Q \mathcal{O}(U')$ est un $k$-espace
+vectoriel de dimension $\deg h$. Mais le lemme
+d'approximation \ref{approximation-lemma} permet de montrer que cette
+algèbre est le produit d'algèbres $\mathcal{O}(U)/\mathfrak{m}_P
+\mathcal{O}(U)$ où $\mathfrak{m}_P$ parcourt les idéaux maximaux tels
+que $h(P)=Q$ (un seul par orbite sous Galois), et la dimension de ce
+produit est $\sum_{h(P)=Q} e_P$
+d'après \ref{dimension-of-space-of-jets}.
+\end{proof}
+
+\begin{cor}\label{principal-divisors-have-degree-zero}
+Soit $C$ une courbe sur un corps $k$, et soit $f \in k(C)$ non
+constant. Alors
+\[
+\sum_P \ord_P(f) = 0
+\]
+où la somme est prise sur tous les points $P$ de $C$. Plus
+précisément,
+\[
+\begin{array}{c}
+\sum_{P\;:\;\ord_P(f)>0} \ord_P(f) = \deg f\\
+\sum_{P\;:\;\ord_P(f)<0} \ord_P(f) = -\deg f\\
+\end{array}
+\]
+\end{cor}
+\begin{proof}
+On a vu en \ref{ramification-of-functions-as-morphisms} que si $f$ est
+vu comme un morphisme $C \to \mathbb{P}^1$, alors son indice de
+ramification en un point $P$ de $C$ tel que $f(P) = 0$ est $e_P =
+\ord_P(f)$, et en un point $P$ tel que $f(P) = \infty$ est $e_P =
+-\ord_P(f)$. La proposition précédente permet de conclure.
+\end{proof}
+
+
+
+%
+\subsection{Diviseurs sur une courbe}
+
+\begin{defn}
+Soit $C$ une courbe (lisse) sur un corps parfait $k$. On appelle
+\textbf{diviseur} sur $C$ une combinaison linéaire formelle (finie)
+$\sum n_P (P)$, à coefficients dans $\mathbb{Z}$, de $k^{\alg}$-points
+de $C$, qui soit stable par l'action du groupe de Galois
+absolu $\Gal(k)$ (ou, si on préfère, une combinaison linéaire formelle
+de « points fermés » de $C$, chacun étant vu comme la somme d'une
+orbite galoisienne).
+
+On appelle \textbf{degré} du diviseur $\sum n_P (P)$ l'entier $\sum
+n_P$.
+\end{defn}
+
+Si $f \in k(C)$ n'est pas constant, on peut notamment considérer les diviseurs
+\[
+\begin{array}{c}
+f^*((0)) := \sum_{P\;:\;\ord_P(f) > 0} \ord_P(f)\, (P)\\
+f^*((\infty)) := \sum_{P\;:\;\ord_P(f) < 0} -\ord_P(f)\, (P)\\
+f^*((0)-(\infty)) = \divis(f) := \sum_{P\in C} \ord_P(f)\, (P)\\
+\end{array}
+\]
+appelés respectivement \textbf{diviseur des zéros}, \textbf{diviseur
+ des pôles} et \textbf{diviseur principal} définis par $f$
+(différence des deux premiers). Le contenu du
+corollaire \ref{principal-divisors-have-degree-zero} est que ces
+diviseurs ont degré respectivement $\deg f$, $\deg f$ et $0$.
+
+Plus généralement, si $h \colon C' \to C$ est un morphisme non
+constant entre courbes, et $D = \sum_P n_P (P)$ un diviseur sur $C$,
+on définit $h^*(D) = \sum_Q n_{h(P)} e_Q (Q)$ qu'on appelle
+\textbf{image réciproque} (ou \textbf{tiré en arrière}) de $D$
+par $h$ : il est clair que le diviseur des zéros $f^*((0))$ défini
+ci-dessus est bien le tiré en arrière du diviseur $(0)$
+sur $\mathbb{P}^1$ par $f$ vu comme morphisme $C \to \mathbb{P}^1$.
+Il est évident que le tiré en arrière d'un diviseur principal est
+encore principal (en fait, $h^*(\divis(f)) = \divis(h\circ f)$). On
+peut aussi définir l'\textbf{image directe} (ou \textbf{poussé en
+ avant}) par $h$ d'un diviseur $D' = \sum_Q n_Q (Q)$ sur $C'$ comme
+$h_*(D') = \sum_Q n_Q (h(Q))$ : il est aussi vrai, mais un chouïa
+moins évident, que l'image directe d'un diviseur principal est un
+diviseur principal.
+
+\begin{prop}
+Si $h \colon C' \to C$ est un morphisme non constant entre courbes,
+pour tout diviseur $D$ sur $C$ on a
+\[
+\begin{array}{c}
+h_* h^* D = (\deg h)\, D\\
+\end{array}
+\]
+\end{prop}
+\begin{proof}
+C'est une conséquence immédiate de \ref{sum-of-ramification-degrees}
+(et du fait qu'un morphisme non-constants entre courbes est
+surjectif !,
+cf. \ref{non-constant-morphisms-of-curves-are-surjective}).
+\end{proof}
+
+\begin{defn}
+On appelle \textbf{principal} un diviseur (de degré zéro) de la forme
+$\divis(f) := \sum_{P\in C} \ord_P(f)\, (P)$ pour une certaine
+fonction $f \in k(C)$ non constante. Les diviseurs principaux forment
+un sous-groupe du groupe des diviseurs (car $\divis(fg) =
+\divis(f)+\divis(g)$, cf. \ref{properties-valuation}) : on dit que
+deux divieurs sont \textbf{linéairement équivalents} (notation : $D
+\sim D'$) lorsque leur différence est un diviseur principal. Le
+groupe des diviseurs (resp. diviseurs de degré $0$) modulo les
+diviseurs principaux (=modulo équivalence linéaire) s'appelle
+\textbf{groupe de Picard} (resp. groupe de Picard de degré zéro) de la
+courbe $C$, noté $\Pic(C)$ (resp. $\Pic^0(C)$).
+\end{defn}
+
+\textbf{Exemple :} Sur $\mathbb{P}^1$, pour tout diviseur $\sum n_P
+(P)$ de degré zéro, on peut trouver une fraction rationnelle $\prod
+(t-P)^{n_P}$ qui a les ordres $n_P$ à ceux des points $P$ qui sont
+dans $\mathbb{A}^1$, et le degré à l'infini sera automatiquement le
+bon puisque $\sum n_P = 0$. Ceci montre que \emph{tout diviseur de
+ degré zéro sur $\mathbb{P}^1$ est principal}, donc que
+$\Pic^0(\mathbb{P}^1) = 0$, et $\Pic(\mathbb{P}^1) = \mathbb{Z}$.
+
+On a un morphisme de degré $\deg\colon \Pic(C) \to \mathbb{Z}$, dont
+le noyau est $\Pic^0(C)$. Si la courbe $C$ vérifie $C(k) \neq
+\varnothing$, c'est-à-dire qu'il existe $P$ un $k$-point sur $C$,
+alors tout diviseur peut s'écrire comme somme de $n (P)$ et d'un
+diviseur de degré zéro, et il est facile de voir que $\Pic(C) =
+\Pic^0(C) \oplus \mathbb{Z}$ (où $\mathbb{Z}$ désigne
+$\mathbb{Z}\cdot(P)$, le groupe des diviseurs de la forme $n (P)$).
+
+\emph{Attention :} Pour une fois, le slogan « rationnel = fixe par
+ Galois » n'est pas vérifié : quand $C$ est une courbe sur un corps
+$k$ parfait non algébriquement clos, il faut bien distinguer le groupe
+de Picard rationnel $\Pic C$ de $C$, c'est-à-dire les diviseurs
+stables par Galois modulos ceux de la forme $\divis(f)$ avec $f \in
+k(C)$, et le groupe de Picard fixé par Galois noté $(\Pic
+C_{k^{\alg}})^{\Gal(k)}$, c'est-à-dire les classes des diviseurs $D$
+tels que $\sigma(D)$ soit linéairement équivalent à $D$
+(sur $k^{\alg}$) pour tout $\sigma \in \Gal(k)$. Néanmoins, certains
+auteurs appellent (à tort) $\Pic C$ ce deuxième groupe (d'autres
+encore appellent $\Pic C$ tout le groupe de Picard géométrique $\Pic
+C_{k^{\alg}}$) : il faut donc faire attention à qui utilise quoi.
+
+
+
+%
+\subsection{Différentielles}
+
+\begin{prop}
+Soit $C$ une courbe (lisse) sur un corps $k$. Il existe un
+$k(C)$-espace vectoriel de dimension $1$, noté\footnote{Notation
+ abusive, en fait. Une bonne notation serait $\Omega^1_{C/k}
+ \otimes_{\mathcal{O}_C} k(C)$, mais c'est un peu encombrant.}
+$\Omega^1_C$ et appelé \textbf{espace des (formes) différentielles
+ méromorphes} sur $C$, et une application $k$-linéaire $d\colon k(C)
+\to \Omega^1_C$, vérifiant les conditions suivantes :
+\begin{itemize}
+\item on a $dc = 0$ pour $c \in k$,
+\item on a $d(fg) = f\,dg + g\,df$ pour $f,g\in k(C)$,
+\item si $t \in k(C)$ vérifie $\ord_P(t) = 1$ en au moins un
+ point alors $dt \neq 0$,
+\end{itemize}
+et ces conditions caractérisent à isomorphisme près $\Omega^1_C$ muni
+de l'application $d\colon k(C) \to \Omega^1_C$.
+\end{prop}
+
+La moralité est que $\frac{df}{dt}$ a un sens, comme élément de
+$k(C)$, dès que $f$ et $t$ sont deux éléments de $k(C)$ et que $t$ est
+une uniformisante en au moins un point ou simplement\footnote{Si $k$
+ est de caractéristique zéro, cette condition est réalisée dès que
+ $t$ n'est pas constant.} que $dt \neq 0$.
+
+\textbf{Remarque :} On peut relier $\frac{df}{dt} \in k(C)$ à ce qui a
+été fait en \ref{subsection-tangent-vectors-and-smooth-points} de la
+façon suivante : si $Q$ est un point de $C$ tel que $t$ et $f$ soient
+régulières en $Q$, on peut voir $t$ et $f$ comme deux morphismes $U
+\to \mathbb{A}^1$ pour un certain voisinage (affine, disons) $U$
+de $Q$, on a des applications linéaires $dt_Q\colon T_Q C \to
+k^{\alg}$ et $df_Q\colon T_Q C \to k^{\alg}$, et la valeur de
+$\frac{df}{dt}$ en $Q$ est le rapport entre ces deux applications
+linéaires (ceci a bien un sens car ce sont des applications entre
+espaces de dimension $1$).
+
+\begin{prop}\label{order-of-derivative}
+Soit $C$ une courbe (lisse) sur un corps $k$, $P$ un point de $C$ et
+$t$ une uniformisante en $P$ (i.e., $\ord_P(t) = 1$). Pour $f \in
+k(C)$, on a
+\begin{itemize}
+\item $\ord_P(df/dt) = \ord_P(f)-1$ si $\ord_P(f) \neq 0$, et
+\item $\ord_P(df/dt) \geq 0$ si $\ord_P(f) = 0$.
+\end{itemize}
+\end{prop}
+
+(Ces propriétés découlent des propriétés correspondantes des
+polynômes.)
+
+\begin{defn}
+Si $C$ est une courbe (lisse) sur un corps $k$, $P$ un point de $C$
+(sur $k^{\alg}$) et $\omega \in \Omega^1_C$, on définit
+\[
+\ord_P(\omega) = \ord_P(\omega/dt)
+\]
+où $t \in k(C)$ est tel que $\ord_P(t) = 1$ (=est une uniformisante
+en $P$). Cette définition ne dépend pas du choix de $t$.
+
+Si $\omega \neq 0$, le diviseur $\divis(\omega) := \sum_P
+\ord_P(\omega) (P)$ s'appelle \textbf{diviseur canonique} de la forme
+différentielle $\omega$.
+\end{defn}
+
+La définition de $\ord_P(\omega)$ ne dépend pas du choix de $t$, car
+si $t' = u t$ où $\ord_P(u) = 0$, alors $dt'/dt = u + t\,(du/dt)$, et
+$\ord_P(du/dt) \geq 0$ d'après \ref{order-of-derivative} donc
+$\ord_P(t\,(du/dt)) \geq 1$, ce qui assure $\ord_P(dt'/dt) = 0$, et
+donc $\ord_P(\omega/dt') = \ord_P(\omega/dt)$.
+
+La définition qu'on vient de faire permet de reformuler la
+proposition \ref{order-of-derivative} en :
+
+\begin{prop}\label{order-of-differential}
+Soit $C$ une courbe (lisse) sur un corps $k$, et $P$ un point de $C$.
+Pour $f \in k(C)$, on a
+\begin{itemize}
+\item $\ord_P(df) = \ord_P(f)-1$ si $\ord_P(f) \neq 0$, et
+\item $\ord_P(df) \geq 0$ si $\ord_P(f) = 0$.
+\end{itemize}
+\end{prop}
+
+\textbf{Exemple :} Soit $t$ la coordonnée affine sur $\mathbb{A}^1$,
+vue comme élément de $k(\mathbb{P}^1) = k(t)$. Alors $dt$ a pour
+ordre $0$ en tout $P \neq \infty$ (en $P=0$ c'est clair d'après la
+proposition qui précède, et en tout autre $P \in \mathbb{A}^1$ on peut
+remarquer que $dt = d(t-P)$ d'après les règles de calcul, donc de même
+$dt$ est d'ordre $0$) ; en $\infty$, en revanche, son ordre est $-2$
+puisque l'ordre de $t$ est $-1$. On a donc $\divis(dt) = -2(\infty)$.
+
+\medbreak
+
+La classe de $\divis(\omega)$ dans $\Pic(C)$ ne dépend pas du choix
+de $\omega \neq 0$, puisque visiblement $\divis(f\omega) = \divis(f) +
+\divis(\omega)$. Cette classe s'appelle la \textbf{classe canonique}
+dans $\Pic(C)$ (très souvent notée $K$). On vient par exemple de voir
+que la classe canonique de $\mathbb{P}^1$ est de degré $-2$.
+
+\textbf{Exemple :} Soit $C$ la courbe d'équation $y^2 = h(x)$ où $h(t)
+\in k[t]$ est de degré $3$ (c'est-à-dire, $C$ la complétée projective
+de cette courbe affine, complétée d'équation $Z Y^2 = Z^3 h(X/Z)$ si
+$X,Y,Z$ sont les coordonnées homogènes avec $y = Y/Z$ et $x = X/Z$).
+Soit $h(t) = (t-\lambda_1) (t-\lambda_2) (t-\lambda_3)$ la
+factorisation de $h$ sur $k^{\alg}$. Outre les points affines, la
+courbe $C$ a un unique point à l'infini noté $O$ (en coordonnées
+homogènes, $X=Z=0$). Le diviseur de la fonction $y$ sur $C$ est
+$(P_1) + (P_2) + (P_3) - 3(O)$ où $P_i$ est le point de coordonnées
+affines $(\lambda_i,0)$ (ce sont les trois points où $y$ s'annule,
+alors que $O$ est le point où $y$ a un pôle triple). Le diviseur de
+$x-\lambda_i$ est $2(P_i) - 2(O)$, d'où il résulte que $dx$ a un
+ordre $1$ en chaque $P_i$ et $-3$ en $O$, et $0$ partout ailleurs.
+Autrement dit, le diviseur de $dx$ est le même que celui de $y$, ou,
+si on veut, la différentielle $\omega := dx/y$ a un ordre $0$ partout.
+Ceci signifie que la classe canonique $K$ sur $C$ est \emph{nulle}.
+
+
+
+%
+\subsection{Le théorème de Riemann-Roch}
+
+\begin{defn}
+Un diviseur $D$ sur une courbe $C$ est dit \textbf{effectif}, noté $D
+\geq 0$, lorsque $D$ est combinaison de points à coefficients
+positifs : $D = \sum n_P (P)$ avec $n_P \geq 0$ pour tout $P$.
+
+Si $D = \sum n_P (P)$ est un diviseur (non nécessairement effectif)
+sur une courbe $C$, on note $\mathscr{L}(D)$ ou parfois
+$\mathcal{O}(D)$ le $k$-espace vectoriel $\{f \in k(C) : \divis(f)+D
+\geq 0\}$ des fonctions rationnelles sur $C$ vérifiant $\ord_P(f) \geq
+-n_P$ pour tout point $P$ de $C$. (S'il faut lui donner un nom, c'est
+« l'(ensemble des sections globales du) faisceau associé à $D$ ».)
+\end{defn}
+
+\begin{rmk}
+Si $D$ et $D'$ sont linéairement équivalents, alors $\mathscr{L}(D)
+\cong \mathscr{L}(D')$ comme $k$-espaces vectoriels. En effet, si $D
+= D' + \divis(g)$ et $f \in \mathscr{L}(D)$ alors $\divis(fg) + D' =
+\divis(f) + D \geq 0$ donc $fg \in \mathscr{L}(D')$ et réciproquement.
+On peut donc considérer que $\mathscr{L}(D)$ ne dépend que de la
+classe de $D$ dans $\Pic(C)$.
+
+D'autre part, l'ensemble $\{\omega \in \Omega^1_C : \divis(\omega)
+\geq 0\}$ (des différentielles « holomorphes ») peut être identifié à
+$\mathscr{L}(K)$ pour les mêmes raisons. (Et plus généralement,
+$\mathscr{L}(K-D)$ peut être identifié à $\{\omega \in \Omega^1_C :
+\divis(\omega)-D \geq 0\}$.)
+\end{rmk}
+
+\begin{prop}
+Le $k$-espace vectoriel $\mathscr{L}(D)$ est de dimension finie.
+\end{prop}
+
+On note $l(D)$ cette dimension. Notons par exemple que $l(0) = 1$ (le
+diviseur nul, à ne pas confondre avec le diviseur $(0)$
+sur $\mathbb{P}^1$ !), puisque $\mathscr{L}(0) = \mathcal{O}(C) = k$
+(les seules fonctions régulières partout sont les constantes,
+d'après \ref{basic-ord-facts}).
+
+\begin{prop}\label{negative-degree-divisors-have-no-sections}
+\begin{itemize}
+\item Si $\deg D < 0$ alors $l(D) = 0$.
+\item Si $\deg D = 0$ et $l(D) \neq 0$ alors $l(D) = 1$ et $D \sim 0$.
+\end{itemize}
+\end{prop}
+\begin{proof}
+Dire que $l(D) \neq 0$ signifie que pour un certain $f$ on a $D' :=
+\divis(f) + D \geq 0$. Or le degré de $\divis(f)$ est nul (et le
+degré d'un diviseur effectif $D'$ est évidemment positif), donc le
+degré de $D$ est $\geq 0$. De plus, si le degré de $D$ (donc de $D'$)
+est nul, cela signifie que $\divis(f) + D' = 0$, c'est-à-dire $D \sim
+0$, qui entraîne $l(D) = 1$.
+\end{proof}
+
+\begin{thm}[Riemann-Roch]
+Il existe un entier $g \geq 0$, appelé \textbf{genre} de $C$ tel que
+pour tout diviseur $D$ on ait, en notant $K$ un diviseur canonique :
+\[
+l(D) - l(K-D) = \deg D + 1 - g
+\]
+\end{thm}
+
+\begin{cor}\label{degree-of-canonical-divisor}
+\begin{itemize}
+\item Pour $K$ un diviseur canonique sur une courbe $C$, on a :
+\[
+\begin{array}{c}
+l(K) = g\\
+\deg(K) = 2g-2\\
+\end{array}
+\]
+\item Si $D$ est un diviseur avec $\deg D > 2g-2$, alors $l(D) = \deg
+ D + 1 - g$.
+\end{itemize}
+\end{cor}
+\begin{proof}
+Pour la première affirmation, appliquer Riemann-Roch à $D=0$ donne
+$1-l(K) = 0+1-g$, d'où $l(K) = g$ ; puis à $D=K$ donne $g-1 = \deg K +
+1 - g$ d'où $\deg K = 2g-2$. Pour la seconde affirmation, on utilise
+\ref{negative-degree-divisors-have-no-sections} pour conclure que
+$l(K-D) = 0$.
+\end{proof}
+
+\textbf{Remarque :} Si $C$ est une courbe sur un corps $k$, alors le
+genre de $C$ est égal au genre de $C_{k^{\alg}}$. En effet, un
+diviseur canonique $K$ sur $C$ est encore un diviseur canonique quand
+on le voit sur $C_{k^{\alg}}$, et son degré, censé valoir $2g-2$ est
+le même qu'on le voie d'une façon ou d'une autre. On dit que le genre
+est un \emph{invariant géométrique}.
+
+S'agissant de $\mathbb{P}^1$, on a vu que $\deg(K) = -2$ donc $g=0$.
+La réciproque est vraie :
+\begin{cor}
+Soit $C$ une courbe (lisse !) de genre $0$ sur un corps algébriquement
+clos : alors $C$ est isomorphe à $\mathbb{P}^1$.
+\end{cor}
+\begin{proof}
+Soient $P,Q$ deux points distincts de $C$ : on applique Riemann-Roch
+au diviseur $D := (P)-(Q)$. Comme $\deg D = 0 > -2 = 2g-2$, le
+corollaire précédent montre que $l(D) = 1$.
+Mais \ref{negative-degree-divisors-have-no-sections} montre que $D
+\sim 0$, c'est-à-dire qu'il existe $f \in k(C)$ tel que $\divis(f) =
+(P) - (Q)$. En considérant $f$ comme un morphisme $C \to
+\mathbb{P}^1$, on voit que $\deg f = 1$
+(cf. \ref{principal-divisors-have-degree-zero}), donc $f$ est un
+isomorphisme (cf. \ref{degree-one-map-of-curves-is-isomorphism}).
+\end{proof}
+
+\emph{Remarque :} Cette démonstration utilise le fait que $k$ est
+algébriquement clos pour pouvoir fabriquer le diviseur $(P)-(Q)$ comme
+différence de deux diviseurs de degré $1$. En fait, on peut faire
+mieux : il suffit que $C(k)$ soit non-vide (démonstration : si $P \in
+C(k)$, Riemann-Roch appliqué au diviseur $(P)$ montre que $l((P)) =
+2$, donc il existe une fonction $f$ non-constante, admettant au plus
+un pôle simple en $P$, donc admettant effectivement un pôle simple
+en $P$ d'après \ref{basic-ord-facts}, et du coup $\divis(f)$, qui doit
+être de degré $0$, est de la forme $(P) - (Q)$, et le reste est comme
+ci-dessus). On ne peut pas se dispenser de cette hypothèse $C(k) \neq
+\varnothing$ : si $C$ est la conique\footnote{En fait, on peut montrer
+ que toute courbe de genre $0$ peut s'écrire comme une conique
+ plane.} d'équation projective $t_0^2 + t_1^2 + t_2^2 = 0$ dans
+$\mathbb{P}^2$ sur les réels, qui a $C(\mathbb{R}) = \varnothing$,
+alors $C$ a pour genre $0$ car le genre est un invariant géométrique
+(cf. ci-dessus) et que, sur les complexes, cette conique est isomorphe
+au cercle (quitte à changer $t_0$ en $i t_0$) donc à $\mathbb{P}^1$
+(cf. exemples
+de \ref{subsection-quasiprojective-varieties-and-morphisms}).
+Pourtant, $C$ \emph{n'est pas} isomorphe à $\mathbb{P}^1$ sur les
+réels, précisément parce que $C(\mathbb{R}) = \varnothing$ alors que
+$\mathbb{P}^1(\mathbb{R}) \neq \varnothing$ !
+
+\begin{cor}
+Si $C$ est une courbe, tout ouvert $U$ de $C$ autre que $C$ tout
+entier est affine. (Cf. \ref{approximation-lemma} pour un contexte
+utile de ce résultat.)
+\end{cor}
+\begin{proof}[Démonstration (partielle)]
+Le cas $U=\varnothing$ est vrai (on a $U = \Spec 0$ où $0$ désigne
+l'anneau nul) mais inintéressant : supposons donc $U$ non vide.
+
+On admet\footnote{Il n'y a pas d'arnaque : c'est là un résultat
+ beaucoup plus facile et moins profond que Riemann-Roch ; il s'agit
+ de dire que $f$ est un morphisme « fini », donc en particulier
+ « affine » c'est-à-dire que l'image réciproque d'un ouvert affine
+ est affine.} le résultat suivant : si $f \colon C \to C_0$ est un
+morphisme non-constant de courbes, alors l'image réciproque par $f$ de
+tout ouvert affine de $C_0$ est affine.
+
+Soit $P$ un point du complémentaire de $U$ : le théorème de
+Riemann-Roch, et notamment le corollaire \ref{degree-of-canonical-divisor}, montre que si $n$
+est assez grand, alors $l(n(P)) > 1$, autrement dit, il existe une
+fonction $f \in k(C)$ non constante et régulière partout sauf en $P$
+(où elle ne peut pas être régulière). En considérant $f$ comme un
+morphisme $C \to \mathbb{P}^1$, on voit alors que $U' := C
+\setminus\{P\} = f^{-1}(\mathbb{A}^1)$, et d'après le résultat admis,
+$U'$ est affine. Le lemme d'approximation \ref{approximation-lemma}
+montre que si $Q_1,\ldots,Q_s$ sont les points de $U'\setminus U$, il
+existe une fonction $h$ ayant un pôle d'ordre $1$ en chacun des $Q_i$
+et régulière sur tout $U \setminus \{Q_i\}$ ; si de plus on exige que
+$h$ ait un zéro d'ordre très élevé (c'est-à-dire supérieur à $s$) en
+un quelconque autre point $R$ (ce que le lemme d'approximation permet
+toujours de faire), on assure que $h$ aura aussi un pôle en $P$
+d'après \ref{principal-divisors-have-degree-zero}. Autrement dit,
+ceci assure que $U = h^{-1}(\mathbb{A}^1)$ (en voyant de nouveau $h$
+comme un morphisme $C \to \mathbb{P}^1$), ce qui conclut.
+\end{proof}
+
+
+%
+%
+%
+\end{document}