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\begin{document}
\title{\underline{Brouillon} de notes de cours\\de géométrie algébrique}
\author{David A. Madore}
\maketitle

\centerline{\textbf{MDI349}}

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\section*{Conventions}

Sauf précision expresse du contraire, tous les anneaux considérés sont
commutatifs et ont un élément unité (noté $1$).

Si $k$ est un anneau, une \textbf{$k$-algèbre} (là aussi :
implicitement commutative) est la donnée d'un morphisme d'anneaux $k
\buildrel\varphi\over\to A$ (appelé \emph{morphisme structural} de
l'algèbre).  On peut multiplier un élément de $A$ par un élément
de $k$ avec : $c\cdot x = \varphi(c)\,x \in A$ (pour $c\in k$ et $x\in
A$).


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\section{Introduction / motivations}

Qu'est-ce que la géométrie algébrique ?  En condensé :
\begin{itemize}
\item\textbf{But :} Étudier les solutions de systèmes d'équations
  polynomiales dans un corps ou un anneau quelconque, ou des objets
  apparentés.  (Étudier = étudier leur existence, les compter, les
  paramétrer, les relier, définir une structure dessus, etc.)
\item\textbf{Géométrie :} Voir de tels systèmes d'équations comme des
  objets géo\-mé\-triques, soit plongés dans un espace ambiant (espace
  affine, espace projectif), soit intrinsèques ; leur appliquer des
  concepts de géométrie (espace tangent, étude locale de singularités,
  etc.).
\item\textbf{Moyens :} L'étude locale de ces objets passe par les
  fonctions définies dessus, qui sont des anneaux tout à fait
  généraux, donc l'\emph{algèbre commutative} (étude des anneaux
  commutatifs et de leurs idéaux).
\end{itemize}

\smallbreak

Problèmes \emph{géométriques} = étude de solutions sur des corps
algébriquement clos (e.g., $\mathbb{C}$ : géométrie algébrique
complexe ; $\bar{\mathbb{F}}_p$) ou « presque » (e.g., $\mathbb{R}$ :
géométrie algébrique réelle).  Problèmes \emph{arithmétiques} = sur
des corps loin d'être algébriquement clos (e.g., $\mathbb{Q}$ :
géométrie arithmétique), ou des anneaux plus gé\-né\-raux
(e.g., $\mathbb{Z}$ : idem, « équations diophantiennes »).

Applications : cryptographie et codage (géométrie sur $\mathbb{F}_q$),
calcul formel, robotique (géométrie sur $\mathbb{R}$), analyse
complexe (géométrie sur $\mathbb{C}$), théorie des nombres
(sur $\mathbb{Q}$, corps de nombres...), etc.

\smallbreak

\textbf{Un exemple :} Pour tout anneau $k$, on définit $C(k) =
\{(x,y)\in k^2 : x^2+y^2 = 1\}$.  Interprétation géométrique : ceci
est un cercle !  Il est plongé dans le « plan affine » $\mathbb{A}^2$
défini par $\mathbb{A}^2(k) = k^2$ pour tout anneau $k$.

\begin{itemize}
\item Sur $\mathbb{R}$, les solutions forment effectivement un cercle,
  au sens naïf.
\item (Sur $\mathbb{C}$, les solutions dans $\mathbb{C}^2$ forment une
  surface, qui ressemblerait plutôt à une sphère privée de deux
  points.)
\item Sur $\mathbb{F}_q$, on peut compter les solutions : on peut
  montrer qu'il y en a $q-1$ ou $q+1$ selon que $q \equiv 1\pmod{4}$
  ou $q \equiv 3\pmod{4}$ (ou encore $q$ pour $q = 2^r$).
\item Sur $\mathbb{Q}$, il n'est pas complètement évident de trouver
  des solutions autres que $(\pm 1,0)$ et $(0,\pm 1)$.  Un exemple :
  $(\frac{4}{5},\frac{3}{5})$ (Pythagore, Euclide...).
\end{itemize}

Paramétrage des solutions :

\begin{center}
\begin{tikzpicture}[scale=3]
\draw[step=.2cm,help lines] (-1.25,-1.25) grid (1.25,1.25);
\draw[->] (-1.15,0) -- (1.15,0); \draw[->] (0,-1.15) -- (0,1.15);
\draw (0,0) circle (1cm);
\draw (1,-1.15) -- (1,1.15);
\coordinate (P) at (0.8,0.6);
\coordinate (Q) at (1,0.6666666667);
\draw (0.8,0) -- (P);
\draw (-1,0) -- node[sloped,auto] {$\scriptstyle\mathrm{pente}=t$} (Q);
\fill[black] (P) circle (.5pt);
\fill[black] (Q) circle (.5pt);
\fill[black] (-1,0) circle (.5pt);
\node[anchor=west] at (Q) {$\scriptstyle (1,2t)$};
\node[anchor=north east] at (-1,0) {$\scriptstyle (-1,0)$};
\node[anchor=east] at (P) {$\scriptstyle (\frac{1-t^2}{1+t^2},\frac{2t}{1+t^2})$};
\end{tikzpicture}
\end{center}

Un petit calcul géométrique (cf. les formules exprimant
$\cos\theta,\sin\theta$ en fonction de $\tan\frac{\theta}{2}$),
valable sur tout corps $k$ de caractéristique $\neq 2$ (ou en fait
tout anneau dans lequel $2$ est inversible\footnote{C'est-à-dire, une
  $\mathbb{Z}[\frac{1}{2}]$-algèbre, où $\mathbb{Z}[\frac{1}{2}] =
  \{\frac{a}{2^r}:a\in\mathbb{Z},r\in\mathbb{N}\}$}), permet de
montrer que toute solution $(x,y) \in C(k)$ autre que $(-1,0)$ peut
s'écrire de la forme $(\frac{1-t^2}{1+t^2},\frac{2t}{1+t^2})$ avec $t
\in k$ (uniquement défini, et vérifiant $t^2\neq -1$).

\emph{Remarques :} (a) ceci correspond à un point
$(\frac{1-t^2}{1+t^2},\frac{2t}{1+t^2}) \in C(k(t))$ où $k(t)$ est le
corps des fonctions rationnelles à une indéterminée sur $k$ ; (b) ceci
permet, par exemple, de trouver de nombreuses solutions
sur $\mathbb{Q}$, ou d'en trouver rapidement sur
$\mathbb{F}_q$ ($q$ impair) ; (c) on a, en fait, défini un
« morphisme » d'objets géométriques de la droite affine $\mathbb{A}^1$
vers le cercle $C$ (privé du point $(-1,0)$).

On peut aussi définir une structure de \emph{groupe} (abélien) sur les
points de $C(k)$ pour n'importe quel anneau $k$ : si $(x,y) \in C(k)$
et $(x',y') \in C(k)$, on définit leur composée $(x,y)\star (x',y') =
(x'',y'')$ par
\[
\left\{\begin{array}{c}
x'' = xx'-yy'\\
y'' = xy'+yx'\\
\end{array}\right.
\]
(cf. les formules exprimant
$\cos(\theta+\theta'),\sin(\theta+\theta')$ en fonction de
$\cos\theta,\sin\theta$ et $\cos\theta',\sin\theta'$).  Élément
neutre : $(1,0)$ ; inverse de $(x,y)$ : $(x,-y)$.

(Les fonctions trigonométriques, ``transcendantes'', servent à motiver
ces formules, mais les formules sont parfaitement valables sur
$\mathbb{F}_q$ bien que $\cos\theta,\sin\theta$ n'aient pas de sens !)

\emph{Remarque :} Tout élément $f$ de l'anneau
$\mathbb{R}[x,y]/(x^2+y^2-1)$ définit une fonction réelle sur le
cercle $C(\mathbb{R})$ : ces fonctions s'appellent « polynômes
  trigonométriques ».  Tout élément de l'anneau
$\mathbb{Z}[x,y]/(x^2+y^2-1)$ définit une fonction (à valeurs
dans $k$) sur \emph{n'importe quel} $C(k)$.  On verra aussi plus loin
qu'un élément de $C(k)$ peut se voir comme un morphisme d'anneaux
$\mathbb{Z}[x,y]/(x^2+y^2-1) \to k$.


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\section{Prolégomènes d'algèbre commutative}

\subsection{Anneaux réduits, intègres}\label{subsection-reduced-and-integral-rings}

Anneau \textbf{réduit} = anneau dans lequel $x^n = 0$ implique $x =
0$.  En général, un $x$ (dans un anneau $A$) tel que $x^n = 0$ pour un
certain $n \in \mathbb{N}$ s'appelle un élément \textbf{nilpotent}.

Anneau \textbf{intègre} = anneau non nul dans lequel $xy = 0$ implique
$x=0$ ou $y=0$ (remarque : la réciproque vaut dans tout anneau).  En
général, un $x$ (dans un anneau $A$) tel qu'il existe $y \neq 0$ tel
que $xy = 0$ s'appelle un \textbf{diviseur de zéro}.

Élément \textbf{inversible} (ou \emph{unité}) d'un anneau $A$ =
élément $x$ tel qu'il existe $y$ vérifiant $xy = 1$.  L'ensemble
$A^\times$ ou $\mathbb{G}_m(A)$ des tels éléments forme un
\emph{groupe}, appelé groupe multiplicatif des inversibles de $A$.  Un
\textbf{corps} est un anneau tel que $A^\times = A\setminus\{0\}$.

Un corps est un anneau intègre.  Un anneau intègre est un anneau
réduit.

\smallbreak

Idéal \textbf{maximal} d'un anneau $A$ = un idéal $\mathfrak{m} \neq
A$ tel que si $\mathfrak{m} \subseteq \mathfrak{m}'$ (avec
$\mathfrak{m}'$ un autre idéal) alors soit
$\mathfrak{m}'=\mathfrak{m}$ soit $\mathfrak{m}'=A$).  Propriété
équivalente : c'est un idéal $\mathfrak{m}$ tel que $A/\mathfrak{m}$
soit un corps.

Idéal \textbf{premier} d'un anneau $A$ = un idéal $\mathfrak{p} \neq
A$ tel que si $x,y\not\in\mathfrak{p}$ alors $xy \not\in
\mathfrak{p}$.  Propriété équivalente : c'est un idéal $\mathfrak{p}$
tel que $A/\mathfrak{p}$ soit intègre.

Idéal \textbf{radical} d'un anneau $A$ = un idéal $\mathfrak{r}$ tel
que si $x^n \in \mathfrak{r}$ alors $x \in \mathfrak{r}$.  Propriété
équivalente : c'est un idéal $\mathfrak{r}$ tel que $A/\mathfrak{r}$
soit réduit.

\emph{Exemples :} L'idéal $7\mathbb{Z}$ de $\mathbb{Z}$ est maximal
(le quotient $\mathbb{Z}/7\mathbb{Z}$ est un corps), donc \textit{a
  fortiori} premier et radical.  L'idéal $0$ de $\mathbb{Z}$ est
premier mais non maximal (le quotient $\mathbb{Z}/0\mathbb{Z} =
\mathbb{Z}$ est un anneau intègre mais non un corps).  L'idéal
$6\mathbb{Z}$ de $\mathbb{Z}$ est radical mais n'est pas premier.
L'idéal $9\mathbb{Z}$ de $\mathbb{Z}$ n'est pas radical.

\smallbreak

Un anneau est un corps ssi son idéal $(0)$ est maximal.  Un anneau est
intègre ssi son idéal $(0)$ est premier.  Un anneau est réduit ssi son
idéal $(0)$ est radical.

Un anneau est dit \textbf{local} lorsqu'il a un unique idéal maximal.
(En particulier, un corps est un anneau local.)  Le quotient d'un
anneau local par son idéal maximal s'appelle son \emph{corps
  résiduel}.  \emph{Exercice :} l'anneau $A$ des rationnels de la
forme $\frac{a}{b}$ avec $a,b \in \mathbb{Z}$ et $b$ impair est un
anneau local dont l'idéal maximal $\mathfrak{m}$ est formé des
$\frac{a}{b}$ avec $a$ pair.  (Quel est le corps résiduel ?)

\smallbreak

On admet le résultat ensembliste suivant :
\begin{lem}[principe maximal de Hausdorff]
Soit $\mathscr{F}$ un ensemble de parties d'un ensemble $A$.  On
suppose que $\mathscr{F}$ est non vide et que pour toute partie non
vide $\mathscr{T}$ de $\mathscr{F}$ totalement ordonnée par
l'inclusion (c'est-à-dire telle que pour $I,I' \in \mathscr{T}$ on a
soit $I \subseteq I'$ soit $I \supseteq I'$) la réunion $\bigcup_{I
  \in \mathscr{T}} I$ soit contenue dans un élément de $\mathscr{F}$.
Alors il existe dans $\mathscr{F}$ un élément $\mathfrak{M}$ maximal
pour l'inclusion (c'est-à-dire que si $I \supseteq \mathfrak{M}$ avec
$I \in \mathscr{F}$ alors $I=\mathfrak{M}$).
\end{lem}

\begin{prop}\label{existence-maximal-ideals}
Dans un anneau $A$, tout idéal strict (=autre que $A$) est inclus dans
un idéal maximal.
\end{prop}
\begin{proof}
Si $I$ est un idéal strict de $A$, on applique le principe maximal de
Hausdorff à $\mathscr{F}$ l'ensemble des idéaux stricts de $A$
contenant $I$.  Si $\mathscr{T}$ est une chaîne (=partie totalement
ordonnée pour l'inclusion) de tels idéaux, la réunion $\bigcup_{I \in
  \mathscr{T}} I$ en est encore un\footnote{La réunion de deux idéaux
  n'est généralement pas un idéal, car si $x\in I$ et $x' \in I'$, la
  somme $x+x'$ n'a pas de raison d'appartenir à $I\cup I'$.  En
  revanche, si $\mathscr{T}$ est une famille d'idéaux totalement
  ordonnée par l'inclusion, alors $\bigcup_{I \in \mathscr{T}} I$ est
  un idéal : si $x\in I$ et $x' \in I'$, où $I,I'\in \mathscr{T}$, on
  peut écrire soit $I \subseteq I'$ soit $I'\subseteq I$, et dans un
  cas comme dans l'autre on a $x+x' \in \bigcup_{I \in \mathscr{T}}
  I$.} (pour voir que la réunion est encore un idéal strict, remarquer
que $1$ n'y appartient pas).  Le principe maximal de Hausdorff permet
de conclure.
\end{proof}

\begin{prop}
Dans un anneau, l'ensemble des éléments nilpotents est un idéal :
c'est le plus petit idéal radical.  Cet idéal est précisément
l'intersection des idéaux premiers de l'anneau.  On l'appelle le
\textbf{nilradical} de l'anneau.
\end{prop}
\begin{proof}
L'ensemble des nilpotents est un idéal car si $x^n=0$ et $y^n=0$ alors
$(x+y)^{2n}=0$ en développant.  Il est inclus dans tout idéal radical,
et il est visiblement lui-même radical : c'est donc le plus petit
idéal radical.  Étant inclus dans tout idéal radical, il est \textit{a
  fortiori} inclus dans tout idéal premier.  Reste à montrer que si
$z$ est inclus dans tout idéal premier, alors $x$ est nilpotent.

Supposons que $z$ n'est pas nilpotent.  Considérons $\mathfrak{p}$ un
idéal maximal pour l'inclusion parmi les idéaux ne contenant aucun
$z^n$ : un tel idéal existe d'après le principe maximal de Hausdorff
(il existe un idéal ne contenant aucun $z^n$, à savoir $\{0\}$).
Montrons qu'il est premier : si $x,y \not \in \mathfrak{p}$, on veut
voir que $xy \not\in \mathfrak{p}$.  Par maximalité de $\mathfrak{p}$,
chacun des idéaux\footnote{On rappelle que si $I,J$ sont deux idéaux
  d'un anneau, l'ensemble $I + J = \{u+v : u\in I, v\in J\}$ est un
  idéal, c'est l'idéal engendré par $I\cup J$, c'est-à-dire, le plus
  petit idéal contenant $I$ et $J$ ; on l'appelle idéal somme de $I$
  et $J$.  Dans le cas particulier où $J = (x)$ est engendré par un
  élément, c'est donc l'idéal engendré par $I\cup\{x\}$.}
$\mathfrak{p}+(x)$ et $\mathfrak{p}+(y)$ doit rencontrer $\{z^n\}$,
c'est-à-dire qu'on doit pouvoir trouver deux éléments de la forme
$f+ax$ et $g+by$ avec $f,g\in\mathfrak{p}$ et $a,b\in A$, qui soient
des puissances de $z$ ; leur produit est alors aussi une puissance
de $z$, donc n'est pas dans $\mathfrak{p}$, donc $abxy
\not\in\mathfrak{p}$ (car les trois autres termes sont
dans $\mathfrak{p}$), et a plus forte raison $xy \not\in
\mathfrak{p}$.
\end{proof}

En appliquant ce résultat à $A/I$, on obtient :
\begin{prop}
Si $A$ est un anneau et $I$ un idéal de $A$, l'ensemble des éléments
tels que $z^n \in I$ pour un certain $n \in \mathbb{N}$ est un idéal :
c'est le plus petit idéal radical contenant $I$.  Cet idéal est
précisément l'intersection des idéaux premiers de $A$ contenant $I$.
On l'appelle le \textbf{radical} de l'idéal $I$ et on le note $\surd
I$.
\end{prop}

L'intersection des idéaux maximaux d'un anneau s'appelle le
\textbf{radical de Jacobson} de cet anneau : il est, en général,
strictement plus grand que le nilradical.

Notons aussi la conséquence facile suivante de la
proposition \ref{existence-maximal-ideals}.
\begin{prop}\label{non-invertible-elements-and-maximal-ideals}
Dans un anneau $A$, l'ensemble des éléments non-inversibles est la
réunion de tous les idéaux maximaux.
\end{prop}
\begin{proof}
Dire que $x$ est inversible signifie que $x$ engendre l'idéal unité.
Si c'est le cas, $x$ n'appartient à aucun idéal strict de $A$, et en
particulier aucun idéal maximal.  Réciproquement, si $x$ n'est pas
inversible, l'idéal $(x)$ qu'il engendre est strict, donc inclus dans
un idéal maximal $\mathfrak{m}$
d'après \ref{existence-maximal-ideals}, donc $x$ est bien dans la
réunion des idéaux maximaux.
\end{proof}

%
\subsection{Modules}

Un \textbf{module} $M$ sur un anneau $A$ est un groupe abélien muni
d'une multiplication externe $A \times M \to M$ vérifiant :
\begin{itemize}
\item $a(x+y) = ax + ay$
\item $1x = x$
\item $(ab)x = a(bx)$
\item $(a+b)x = ax + bx$
\end{itemize}
(Exercice : $a0 = 0$, $a(-x) = -(ax)$, $0x = x$, $(-a)x = -(ax)$...)

Un \textbf{sous-module} $M'$ d'un module $M$ est un sous-groupe $M'$
de $M$ tel que $ax \in M'$ dès que $x\in M'$ et $a\in A$.

Tout anneau est un module sur lui-même de façon évidente.  Un
sous-$A$-module de $A$ est la même chose qu'un idéal de $A$.  Si $B$
est une $A$-algèbre, c'est-à-dire si on se donne un morphisme
d'anneaux $A \buildrel\varphi\over\to B$, on peut voir $B$ comme un
$A$-module (par $a\cdot b = \varphi(a)\,b$).

Module de type fini = il existe une famille \emph{finie} $(x_i)$
d'éléments de $M$ qui engendre $M$ comme $A$-module, c'est-à-dire que
tout $x \in M$ peut s'écrire $\sum_i a_i x_i$ pour certains $a_i \in
A$.

Module libre = il existe une base $(x_i)$, c'est-à-dire une famille
(non né\-ces\-sairement finie) telle que tout $x \in M$ peut s'écrire
\emph{de façon unique} comme $\sum_i a_i x_i$ pour certains $a_i \in
A$ tous nuls sauf un nombre fini (de façon unique, c'est-à-dire que
$\sum_i a_i x_i = 0$ implique $a_i = 0$ pour tout $i$).

%
\subsection{Anneaux noethériens}

Anneau \textbf{noethérien} : c'est un anneau $A$ vérifiant les
proprités équivalentes suivantes :
\begin{itemize}
\item toute suite croissante pour l'inclusion $I_0 \subseteq I_1
  \subseteq I_2 \subseteq \cdots$ d'idéaux de $A$ stationne
  (c'est-à-dire est constante à partir d'un certain rang) ;
\item tout idéal $I$ de $A$ est de type fini : il existe une famille
  \emph{finie} $(x_i)$ d'éléments de $I$ qui engendre $I$ comme idéal
  (= comme $A$-module) (c'est-à-dire que tout $x \in I$ peut s'écrire
  $\sum_i a_i x_i$ pour certains $a_i \in A$) ;
\item plus précisément, si $I$ est l'idéal engendré par une famille
  $x_i$ d'éléments, on peut trouver une sous-famille finie des $x_i$
  qui engendre le même idéal $I$ ;
\item un sous-module d'un $A$-module de type fini est de type fini.
\end{itemize}

L'essentiel des anneaux utilisés en géométrie algébrique (en tout cas,
auxquels on aura affaire) sont noethériens.  L'anneau $\mathbb{Z}$ est
noethérien.  Tout corps est un anneau noethérien.  Tout quotient d'un
anneau noethérien est noethérien (attention : il n'est pas vrai qu'un
sous-anneau d'un anneau noethérien soit toujours noethérien).  Et
surtout :
\begin{prop}[théorème de la base de Hilbert]
Si $A$ est un anneau noethérien, alors l'anneau $A[t]$ des polynômes à
une indéterminée sur $A$ est noethérien.
\end{prop}
\begin{proof}
Soit $I \subseteq A[t]$ un idéal.  Supposons par l'absurde que $I$
n'est psa de type fini.  On construit par récurrence une suite
$f_0,f_1,f_2,\ldots$ d'éléments de $I$ comme suit.  Si
$f_0,\ldots,f_{r-1}$ ont déjà été choisis, comme l'idéal
$(f_0,\ldots,f_{r-1})$ qu'ils engendrent n'est pas $I$, on peut
choisir $f_r$ de plus petit degré possible parmi les éléments de $I$
non dans $(f_0,\ldots,f_{r-1})$.

Appelons $c_i$ le coefficient dominant de $f_i$.  Comme $A$ est
supposé noethérien, il existe $m$ tel que $c_0,\ldots,c_{m-1}$
engendrent l'idéal $J$ engendré par tous les $c_i$.  Montrons qu'en
fait $f_0,\ldots,f_{m-1}$ engendrent $I$ (ce qui constitue une
contradiction).

On peut écrire $c_m = a_0 c_0 + \cdots + a_{m-1} c_{m-1}$.  Par
ailleurs, le degré de $f_m$ est supérieur ou égal au degré de chacun
de $f_0,\ldots,f_{m-1}$ par minimalité de ces derniers.  On peut donc
construire le polynôme $g = \sum_{i=0}^{m-1} a_i f_i t^{\deg f_m -
  \deg f_i}$, qui a les mêmes degré et coefficient dominant que $f_m$,
et qui appartient à $(f_0,\ldots,f_{m-1})$.  Alors, $f_m - g$ est de
degré strictement plus petit que $f_m$, il appartient à $I$ mais pas
à $(f_0,\ldots,f_{m-1})$ : ceci contredit la minimalité dans le choix
de $f_m$.
\end{proof}

En itérant ce résultat, on voit que si $A$ est noethérien, alors
$A[t_1,\ldots,t_d]$ l'est pour tout $d\in\mathbb{N}$.  Comme un
quotient d'un anneau noethérien est encore noethérien :

\begin{defn}\label{finite-type-algebras}
Une $A$-algèbre $B$ est dite \textbf{de type fini} (comme $A$-algèbre)
lorsqu'il existe $x_1,\ldots,x_d \in B$ (qu'on dit \emph{engendrer}
$B$ comme $A$-algèbre) tel que tout élément de $B$ s'écrive
$f(x_1,\ldots,x_d)$ pour un certain polynôme $f \in
A[t_1,\ldots,t_d]$.
\end{defn}

\danger\textbf{Attention :} Cela ne signifie pas que $B$ soit de type
fini comme $A$-module.  Lorsque c'est le cas, on dit que $B$ est une
$A$-algèbre \emph{finie}, ce qui est plus fort car cela signifie que
$f$ serait de degré $1$.  (Par exemple, $k[t]$ est une $k$-algèbre de
type fini, engendrée par $t$, mais pas finie.)

Dire que $B$ est une $A$-algèbre de type fini engendrée par
$x_1,\ldots,x_d$ signifie donc que le morphisme $\xi\colon
A[t_1,\ldots,t_d] \to B$ défini par $f \mapsto f(x_1,\ldots,x_d)$ est
\emph{surjectif}.  Par conséquent, si $I$ désigne le noyau de ce
morphisme (c'est-à-dire l'ensemble des $f \in A[t_1,\ldots,t_d]$ qui
s'annulent en $(x_1,\ldots,x_d)$) alors $\xi$ définit un isomorphisme
$A[t_1,\ldots,t_d]/I \buildrel\sim\over\to B$.  On peut donc dire :
une $A$-algèbre de type fini est un quotient de $A[t_1,\ldots,t_d]$
(pour un certain $d$).

\begin{cor}\label{finite-type-algebras-are-noetherian}
Une algèbre de type fini sur un anneau noethérien, et en particulier
sur un corps ou sur $\mathbb{Z}$, est un anneau noethérien.
\end{cor}

%
\subsection{Notes sur les morphismes}\label{subsection-note-morphisms}

Si $A,B$ sont deux $k$-algèbres (où $k$ est un anneau), c'est-à-dire
qu'on se donne deux morphismes $\varphi_A \colon k\to A$ et $\varphi_B
\colon k\to B$, on note $\Hom_k(A,B)$ (ou bien
$\Hom_{k\traitdunion\mathrm{Alg}}(A,B)$ s'il y a
ambiguïté\footnote{Par exemple pour bien distinguer de l'ensemble
  $\Hom_{k\traitdunion\mathrm{Mod}}(A,B)$ des applications
  $k$-linéaires, ou morphismes de $k$-modules, entre $A$ et $B$ vus
  comme des $k$-modules.}) l'ensemble des morphismes de $k$-algèbres
$A\to B$, c'est-à-dire l'ensemble des morphismes d'anneaux
$A\buildrel\psi\over\to B$ « au-dessus de $k$ », ou faisant commuter
le diagramme :
\begin{center}
\begin{tikzpicture}[auto]
\matrix(diag)[matrix of math nodes,column sep=2.5em,row sep=5ex]{
A&&B\\&k&\\};
\draw[->] (diag-2-2) -- node{$\varphi_A$} (diag-1-1);
\draw[->] (diag-2-2) -- node[swap]{$\varphi_B$} (diag-1-3);
\draw[->] (diag-1-1) -- node{$\psi$} (diag-1-3);
\end{tikzpicture}
\end{center}

Remarque : une $\mathbb{Z}$-algèbre est la même chose qu'un anneau, et
un morphisme de $\mathbb{Z}$-algèbres qu'un morphisme d'anneaux.

\begin{prop}
\begin{itemize}
\item $\Hom_k(k,A)$ est un singleton pour toute $k$-algèbre $A$.
\item $\Hom_k(k[t],A)$ est en bijection avec $A$ en envoyant
  $\psi\colon k[t]\to A$ sur $\psi(t)$.
\item De même, $\Hom_k(k[t_1,\ldots,t_d],A)$ est en bijection avec
  l'ensemble $A^d$ (en envoyant $\psi$ sur
  $(\psi(t_1),\ldots,\psi(t_d))$).
\item Si $I$ est un idéal de $R$, alors $\Hom_k(R/I, A)$ est en
  bijection avec le sous-ensemble de $\Hom_k(R,A)$ formé des
  $\psi\colon R\to A$ qui s'annulent sur $I$ (la bijection envoyant
  $\hat\psi \colon R/I \to A$ sur $\psi \colon R\to A$ composé de
  $\hat\psi$ avec la surjection canonique $R \to R/I$).
\item (En particulier,) si $I = (f_1,\ldots,f_r)$ est un idéal de
  $k[t_1,\ldots,t_d]$ et si $R = k[t_1,\ldots,t_d]/I$, alors
  $\Hom_k(R, A)$ est en bijection avec l'ensemble $\{(x_1,\ldots,x_d)
  \in A^d :\penalty0 (\forall j)\,f_j(x_1,\ldots,x_d) = 0\}$ (noté
  $Z(I)(A)$).
\end{itemize}
\end{prop}

À titre d'exemple, dans l'introduction on avait posé $C(T) =
\{(x,y)\in T^2 : x^2+y^2 = 1\}$ pour tout anneau $T$.  Un élément de
$C(T)$ peut donc se voir comme un morphisme
$\mathbb{Z}[x,y]/(x^2+y^2-1) \to T$.

\textbf{Exercice :} Si on note $k[x,x^{-1}] = k[x,y]/(xy-1)$, à quoi
peut-on identifier l'ensemble $\Hom_k(k[x,x^{-1}], A)$ ?

\smallbreak

Si $\beta\colon B \to B'$, on définit une application
$\Hom_k(A,\beta)\colon \Hom_k(A,B) \to \Hom_k(A,B')$ par $\psi \mapsto
\beta\circ\psi$ ; si $\alpha \colon A' \to A$ (attention au sens de la
flèche !), on définit de même une application $\Hom_k(\alpha,B) \colon
\Hom_k(A,B) \to \Hom_k(A',B)$ par $\psi \mapsto \psi\circ\alpha$.  Ces
applications $\Hom_k(A,\beta)$ et $\Hom_k(\alpha,B)$ commutent au sens
où $\Hom_k(\alpha,B') \circ \Hom_k(A,\beta) = \Hom_k(A',\beta) \circ
\Hom_k(\alpha,B) \penalty0\colon \Hom_k(A,B) \to \Hom_k(A',B')$ (c'est
trivial : composer $\psi$ à droite par $\alpha$ puis à gauche
par $\beta$ revient à le composer à gauche par $\beta$ puis à droite
par $\alpha$).  De façon à peine moins triviale :

\begin{prop}[lemme de Yoneda]
Soient $B,B'$ deux $k$-algèbres.  On suppose que pour toute
$k$-algèbre $A$ on se donne une application $\beta_A\colon \Hom_k(A,B)
\to \Hom_k(A,B')$ telle que si $\alpha\colon A'\to A$ alors
$\Hom_k(\alpha,B') \circ \beta_A = \beta_{A'} \circ \Hom_k(\alpha,B)$.
Alors il existe un unique morphisme $\beta\colon B \to B'$ de
$k$-algèbres tel que $\beta_A = \Hom_k(A,\beta)$ pour toute
$k$-algèbre $A$.

Dans l'autre sens : si $A,A'$ sont deux $k$-algèbres, et si pour toute
$k$-algèbre $B$ on se donne une application $\alpha_B\colon
\Hom_k(A,B) \to \Hom_k(A',B)$ telle que $\alpha_{B'} \circ
\Hom_k(A,\beta) = \Hom_k(A',\beta) \circ \alpha_B$, alors il existe un
unique morphisme $\alpha\colon A'\to A$ de $k$-algèbres tel que
$\alpha_B = \Hom_k(\alpha,B)$ pour toute $k$-algèbre $B$.
\end{prop}
\begin{proof}
Prendre pour $\beta$ l'image de l'identité $\id_B$ par $\beta_B$, ou
pour $\alpha$ l'image de l'identité $\id_A$ par $\alpha_A$.
\end{proof}

%
\subsection{Localisation}

On dit qu'une partie $S$ d'un anneau $A$ est \emph{multiplicative}
lorsque $1\in S$ et $s,s'\in S \limp ss'\in S$.  Par exemple, le
complémentaire d'un idéal premier est, par définition,
multiplicative ; en particulier, dans un anneau intègre, l'ensemble
des éléments non nuls est une partie multiplicative.

Dans ces conditions, on construit un anneau noté $A[S^{-1}]$ (ou
$S^{-1}A$) de la façon suivante : ses éléments sont notés $a/s$ avec
$a\in A$ et $s \in S$, où on identifie\footnote{Ce racourci de langage
  signifie qu'on considère la relation d'équivalence $\sim$ sur
  $A\times S$ définie par $(a,s) \sim (a',s')$ lorsqu'il existe $t \in
  S$ tel que $t(a's-as') = 0$, on appelle $A[S^{-1}]$ le quotient
  $(A\times S)/\sim$, et on note $a/s$ la classe de $(a,s)$ pour cette
  relation ; il faudrait encore vérifier que toutes les opérations
  proposées ensuite sont bien définies.} $a/s = a'/s'$ lorsqu'il
existe $t \in S$ tel que $t(a's-as') = 0$.  L'addition est définie par
$(a/s)+(a'/s') = (a's+as')/(ss')$ (le zéro par $0/1$, l'opposé par
$-(a/s) = (-a)/s$) et la multiplication par $(a/s)\cdot (a'/s') =
(aa')/(ss')$ (l'unité par $1/1$).  Cet anneau est muni d'un morphisme
naturel $A \buildrel\iota\over\to A[S^{-1}]$ donné par $a \mapsto
a/1$.  On l'appelle le \textbf{localisé} de $A$ inversant la partie
multiplicative $S$.  Si $A$ est une $k$-algèbre (pour un certain
anneau $k$) alors $A[S^{-1}]$ est une $k$-algèbre de façon évidente
(en composant le morphisme structural $k\to A$ par le morphisme
naturel $A \to A[S^{-1}]$).

\begin{prop}\label{properties-localization}
\begin{itemize}
\item Le morphisme naturel $A \buildrel\iota\over\to A[S^{-1}]$ est
  injectif si et seulement si $S$ ne contient aucun diviseur de zéro.
  (Extrême inverse : si $S$ contient $0$, alors $A[S^{-1}]$ est
  l'anneau nul.)
\item Tout idéal $J$ de $A[S^{-1}]$ est de la forme $J = I[S^{-1}] :=
  \{a/s : a\in I,\penalty0 s \in S\}$ où $I$ est l'image réciproque
  dans $A$ (par le morphisme naturel $\iota\colon A \to A[S^{-1}]$) de
  l'idéal $J$ considéré.  Autrement dit, $J \mapsto \iota^{-1}(J)$
  définit une injection des idéaux de $A[S^{-1}]$ dans ceux de $A$.
\item Un idéal $I$ de $A$ est de la forme $\iota^{-1}(J)$ pour un
  idéal $J$ de $A[S^{-1}]$ (né\-ces\-sai\-rement $J = I[S^{-1}]$ d'après le
  point précédent) ssi aucun élément de $S$ n'est diviseur de zéro
  dans $A/I$.
\item En particulier, $\mathfrak{p} \mapsto \iota^{-1}(\mathfrak{p})$
  définit une bijection entre les idéaux premiers de $A[S^{-1}]$ et
  ceux de $A$ ne rencontrant pas $S$.
\item Si $A$ est une $k$-algèbre, $\Hom_k(A[S^{-1}],B)$ s'identifie,
  via $\Hom_k(\iota,B)\colon\penalty0 \Hom_k(A[S^{-1}],B) \to
  \Hom_k(A,B)$, au sous-ensemble de $\Hom_k(A,B)$ formé des morphismes
  $\psi\colon A\to B$ tels que $\psi(s)$ soit inversible pour
  tout $s\in S$.
\end{itemize}
\end{prop}

Cas particuliers importants : si $\mathfrak{p}$ est premier et $S =
A\setminus\mathfrak{p}$ est son com\-plé\-men\-taire, on note
$A_{\mathfrak{p}} = A[S^{-1}]$ ; c'est un anneau local (dont l'idéal
maximal est $\mathfrak{p}[S^{-1}] = \{a/s : a\in \mathfrak{p}, s
\not\in \mathfrak{p}\}$) : on l'appelle le localisé de $A$
\textbf{en} $\mathfrak{p}$.  Si $A$ est un anneau intègre et $S = A
\setminus\{0\}$ l'ensemble des éléments non nuls de $A$, on note
$\Frac(A) = A[S^{-1}]$ : c'est un corps, appelé \textbf{corps des
  fractions} de $A$.  Par exemple, $\Frac(\mathbb{Z}) = \mathbb{Q}$ et
$\Frac(k[t]) = k(t)$ pour $k$ un corps.

Toute partie $\Sigma$ de $A$ engendre une partie multiplicative $S$
(c'est l'intersection de toutes les parties multiplicatives
contenant $\Sigma$, ou simplement l'ensemble de tous les produits
possibles d'éléments de $\Sigma$) : on note généralement
$A[\Sigma^{-1}]$ pour $A[S^{-1}]$.  En particulier, lorsque $\Sigma$
est le singleton d'un élément $\sigma$, on note $A[\sigma^{-1}]$ ou
$A[\frac{1}{\sigma}]$.

\begin{prop}\label{localization-inverting-one-element}
Si $A$ est un anneau et $f\in A$ alors $A[\frac{1}{f}] \cong
A[z]/(zf-1)$ (ici, $A[z]$ est l'anneau des polynômes en une
indéterminée) par un isomorphisme envoyant $\frac{a}{f^n}$ sur la
classe de $a z^n$.
\end{prop}
\begin{proof}
Considérons le morphisme $A[z] \to A[\frac{1}{f}]$ envoyant $z$
sur $\frac{1}{f}$, c'est-à-dire $h \mapsto h(\frac{1}{f})$ (pour $h
\in A[z]$).  Il est évident qu'il est surjectif ($a z^n$ s'envoie
sur $\frac{a}{f^n}$) et que son noyau contient $zf-1$.  Tout revient
donc à montrer que si $h \in A[z]$ est dans le noyau, i.e., vérifie
$h(\frac{1}{f}) = 0 \in A[\frac{1}{f}]$, alors $h$ est dans l'idéal
engendré par $zf-1$.  Mettons $h = c_0 + c_1 z + \cdots + c_n z^n$ :
la condition $h(\frac{1}{z}) = 0$ signifie $(c_0 f^n + c_1 f^{n-1} +
\cdots + c_n)/f^n = 0 \in A[\frac{1}{f}]$, c'est-à-dire qu'il existe
$k$ tel que $c_0 f^{n+k} + c_1 f^{n+k-1} + \cdots + c_n f^k = 0$.
Cherchons une écriture $h(z) = q(z)\,(1-zf)$ où $q \in A[z]$, disons
$q(z) = d_0 + d_1 z + \cdots + d_N z^N$.  En identifiant les
coefficients, on trouve $c_0 = d_0$, $c_1 = d_1 - d_0 f$, $c_2 = d_2 -
d_1 f$, etc., c'est-à-dire $d_0 = c_0$, $d_1 = c_0 f + c_1$, et
généralement $d_r = c_0 f^r + \cdots + c_{r-1} f + c_r$ en convenant
$c_i = 0$ si $i>n$.  Pour que ceci définisse bien un polynôme $q$, il
faut et il suffit que $d_r$ soit nul à partir d'un certain rang (à
savoir $N+1$ avec les notations précédentes).  Or la condition qu'on a
trouvé s'exprime précisément par le fait que $d_{n+k} = 0$ ainsi que
tous les $d_i$ ultérieurs.
\end{proof}

%
\subsection{TODO}

Lemme de Nakayama ?

Produit tensoriel ?  (Sous quelle forme ?)


%
%
%

\section{Variétés algébriques affines sur un corps algé\-bri\-que\-ment clos}

Pour le moment, $k$ est un corps, qui sera bientôt algébriquement
clos.

%
\subsection{Une question d'idéaux maximaux}

On commence par une remarque : si $x = (x_1,\ldots,x_d)$ est un point
de $k^d$, on dispose d'un \emph{morphisme d'évaluation en $x$},
$k[t_1,\ldots,t_d] \to k$, donné par $f \mapsto f(x_1,\ldots,x_d)$
(pour $f$ un polynôme à $d$ indéterminées), qui à $f$ associe sa
valeur en $d$.  Ce morphisme est évidemment surjectif (tout $c \in k$
est l'image du polynôme constant $c$).  Si on appelle $\mathfrak{m}_x$
son noyau, c'est-à-dire, l'ensemble (donc l'idéal) des polynômes $f$
s'annulant en $x$, alors l'évaluation définit un isomorphisme
$k[t_1,\ldots,t_d]/\mathfrak{m}_x \buildrel\sim\over\to k$.  Par
conséquent, $\mathfrak{m}_x$ est un idéal \emph{maximal}
de $k[t_1,\ldots,t_d]$.  Notons que $\mathfrak{m}_x$ est l'idéal
$(t_1-x_1,\ldots,t_d-x_d)$ engendré par tous les $t_i - x_i$.

Si $k$ n'est pas algébriquement clos, il n'est pas vrai que tout idéal
maximal de $k[t_1,\ldots,t_d]$ soit de la forme $\mathfrak{m}_x$ pour
un certain $x \in k^d$ (par exemple, si $k = \mathbb{R}$, l'idéal
qu'on pourrait noter $\mathfrak{m}_{\{\pm i\}}$ de $\mathbb{R}[t]$ et
formé des $f \in \mathbb{R}[t]$ tels que $f(i) = 0$, ou, de façon
équivalente, $f(-i) = 0$, c'est-à-dire l'idéal engendré par $t^2+1$,
n'est pas de cette forme, et d'ailleurs le quotient
$\mathbb{R}[t]/(t^2+1)$ est isomorphe à $\mathbb{C}$ et pas
à $\mathbb{R}$).  En revanche, si $k$ \emph{est} algébriquement clos,
on va voir ci-dessous que tout idéal maximal de $k[t_1,\ldots,t_d]$
est l'idéal $\mathfrak{m}_x$ des polynômes s'annulant en un certain
point $x$.

%
\subsection{Correspondance entre fermés de Zariski et idéaux}

\textbf{Comment associer une partie de $k^d$ à un idéal de
  $k[t_1,\ldots,t_d]$ ?}

Si $\mathscr{F}$ est une partie de $k[t_1,\ldots,t_d]$, on définit un
ensemble $Z(\mathscr{F}) = \{(x_1,\ldots,x_d) \in k^d :\penalty0
(\forall f\in \mathscr{F})\, f(x_1,\ldots,x_d) = 0\}$ (on devrait
plutôt noter $Z(\mathscr{F})(k)$, surtout si $k$
n'est pas algébriquement clos, mais il le sera bientôt).  Plus
généralement, pour toute $k$-algèbre $A$, on définit
$Z(\mathscr{F})(A) = \{(x_1,\ldots,x_d) \in A^d :\penalty0 (\forall
f\in \mathscr{F})\, f(x_1,\ldots,x_d) = 0\}$.

Remarques évidentes : si $\mathscr{F} \subseteq \mathscr{F}'$ alors
$Z(\mathscr{F}) \supseteq Z(\mathscr{F}')$ (la fonction $Z$ est
« décroissante pour l'inclusion ») ; on a $Z(\mathscr{F}) = \bigcap_{f\in
  \mathscr{F}} Z(f)$ (où $Z(f)$ est un racourci de notation pour
$Z(\{f\})$).  Plus intéressant : si $I$ est l'idéal engendré par
$\mathscr{F}$ alors $Z(I) = Z(\mathscr{F})$.  On peut donc se
contenter de regarder les $Z(I)$ avec $I$ idéal
de $k[t_1,\ldots,t_d]$.  Encore un peu mieux : si $\surd I = \{f :
(\exists n)\,f^n\in I\}$ désigne le radical de l'idéal $I$, on a
$Z(\surd I) = Z(I)$ ; on peut donc se contenter de considérer les
$Z(I)$ avec $I$ idéal radical.

On appellera \textbf{fermé de Zariski} dans $k^d$ une partie $E$ de
$k^d$ vérifiant le premier point, c'est-à-dire de la forme
$Z(\mathscr{F})$ pour une certaine partie $\mathscr{F}$
de $k[t_1,\ldots,t_d]$, dont on a vu qu'on pouvait supposer qu'il
s'agit d'un idéal radical.

Le vide est un fermé de Zariski ($Z(1) = \varnothing$) ; l'ensemble
$k^d$ tout entier est un fermé de Zariski ($Z(0) = k^d$) ; tout
singleton est un fermé de Zariski ($Z(\mathfrak{m}_x) = \{x\}$, par
exemple en voyant $\mathfrak{m}_x$ comme $(t_1-x_1,\ldots,t_d-x_d)$).
Si $(E_i)_{i\in \Lambda}$ sont des fermés de Zariski, alors
$\bigcap_{i\in \Lambda} E_i$ est un fermé de Zariski : plus
précisément, si $(I_i)_{i\in \Lambda}$ sont des idéaux
de $k[t_1,\ldots,t_d]$, alors $Z(\sum_{i\in\Lambda} I_i) =
\bigcap_{i\in\Lambda} Z(I_i)$.  Si $E,E'$ sont des fermés de Zariski,
alors $E \cup E'$ est un fermé de Zariski : plus précisément, si
$I,I'$ sont des idéaux de $k[t_1,\ldots,t_d]$, alors $Z(I\cap I') =
Z(I) \cup Z(I')$ (l'inclusion $\supseteq$ est évidente ; pour l'autre
inclusion, si $x \in Z(I\cap I')$ mais $x \not\in Z(I)$, il existe
$f\in I$ tel que $f(x) \neq 0$, et alors pour tout $f' \in I'$ on a
$f(x)\,f'(x) = 0$ puisque $ff' \in I\cap I'$, donc $f'(x) = 0$, ce qui
prouve $x \in Z(I')$).

\medbreak

\textbf{Comment associer un idéal de $k[t_1,\ldots,t_d]$ à une partie
  de $k^d$ ?}

Réciproquement, si $E$ est une partie de $k^d$, on note
$\mathfrak{I}(E) = \{f\in k[t_1,\ldots,t_d] :\penalty0 (\forall
(x_1,\ldots,x_d)\in E)\, f(x_1,\ldots,x_d)=0\}$.  Vérification
facile : c'est un idéal de $k[t_1,\ldots,t_d]$, et même un idéal
radical.  Remarque évidente : si $E \subseteq E'$ alors
$\mathfrak{I}(E) \supseteq \mathfrak{I}(E')$ ; on a $\mathfrak{I}(E) =
\bigcap_{x\in E} \mathfrak{m}_x$ (où $\mathfrak{m}_x$ désigne l'idéal
maximal $\mathfrak{I}(\{x\})$ des polynômes s'annulant en $x$), et en
particulier $\mathfrak{I}(E) \neq k[t_1,\ldots,t_d]$ dès que $E \neq
\varnothing$.

On a de façon triviale $\mathfrak{I}(\varnothing) =
k[t_1,\ldots,t_d]$.  De façon moins évidente, si $k$ est infini (ce
qui est en particulier le cas lorsque $k$ est algébriquement clos), on
a $\mathfrak{I}(k^d) = (0)$ (démonstration par récurrence sur $d$,
laissée en exercice).

\danger Sur un corps fini $\mathbb{F}_q$, on a
$\mathfrak{I}({\mathbb{F}_q}^d) \neq (0)$.  Par exemple, si $t$ est
une des in\-dé\-ter\-mi\-nées, le polynôme $t^q-t$ s'annule en tout
point de ${\mathbb{F}_q}^d$.

\medbreak

\textbf{Le rapport entre ces deux fonctions}

On a $E \subseteq Z(\mathscr{F})$ ssi $\mathscr{F} \subseteq
\mathfrak{I}(E)$ (les deux signifiant « tout polynôme dans
  $\mathscr{F}$ s'annule en tout point de $E$ »).  En particulier, en
appliquant ceci à $\mathscr{F} = \mathfrak{I}(E)$, on a $E \subseteq
Z(\mathfrak{I}(E))$ pour toute partie $E$ de $k^d$ ; et en
l'appliquant à $E = Z(\mathscr{F})$, on a $\mathscr{F} \subseteq
\mathfrak{I}(Z(\mathscr{F}))$.  De $E \subseteq Z(\mathfrak{I}(E))$ on
déduit $\mathfrak{I}(E) \supseteq \mathfrak{I}(Z(\mathfrak{I}(E)))$
(car $\mathfrak{I}$ est décroissante), mais par ailleurs
$\mathfrak{I}(E) \subseteq \mathfrak{I}(Z(\mathfrak{I}(E)))$ en
appliquant l'autre inclusion à $\mathfrak{I}(E)$ : donc
$\mathfrak{I}(E) = \mathfrak{I}(Z(\mathfrak{I}(E)))$ pour toute partie
$E$ de $k^d$ ; de même, $Z(\mathscr{F}) =
Z(\mathfrak{I}(Z(\mathscr{F})))$ pour tout ensemble $\mathscr{F}$ de
polynômes.  On a donc prouvé :

\begin{prop}
Avec les notations ci-dessus :
\begin{itemize}
\item Une partie $E$ de $k^d$ vérifie $E = Z(\mathfrak{I}(E))$ si et
  seulement si elle est de la forme $Z(\mathscr{F})$ pour un
  certain $\mathscr{F}$ (=: c'est un fermé de Zariski), et dans ce cas
  on peut prendre $\mathscr{F} = \mathfrak{I}(E)$, qui est un idéal
  radical.
\item Une partie $I$ de $k[t_1,\ldots,t_d]$ vérifie $I =
  \mathfrak{I}(Z(I))$ si et seulement si elle est de la forme
  $\mathfrak{I}(E)$ pour un certain $E$, et dans ce cas on peut
  prendre $E = Z(I)$, et $I$ est un idéal radical
  de $k[t_1,\ldots,t_d]$.
\item Les fonctions $\mathfrak{I}$ et $Z$ se restreignent en des
  bijections décroissantes réci\-proques entre l'ensemble des parties
  $E$ de $k^d$ vérifiant le premier point ci-dessus et l'ensemble des
  idéaux radicaux $I$ de $k[t_1,\ldots,t_d]$ vérifiant le second.
\end{itemize}
\end{prop}

On a appelé \textbf{fermé de Zariski} une partie $E$ de $k^d$
vérifiant le premier point, c'est-à-dire de la forme $Z(\mathscr{F})$
pour une certaine partie $\mathscr{F}$ de $k[t_1,\ldots,t_d]$ : on a
vu qu'on pouvait supposer qu'il s'agit d'un idéal radical, et on vient
de voir qu'on peut écrire précisément $E = Z(I)$ où $I =
\mathfrak{I}(E)$.  (On ne donne pas de nom particulier aux idéaux
vérifiant le second point (=être dans l'image de la
fonction $\mathfrak{I}$), mais on va voir que pour $k$ algébriquement
clos il s'agit de tous les idéaux radicaux.)

\medbreak

\textbf{Fermés irréductibles et idéaux premiers}

On dit qu'un fermé de Zariski $E \subseteq k^d$ non vide est
\textbf{irréductible} lorsqu'on ne peut pas écrire $E = E' \cup E''$,
où $E',E''$ sont deux fermés de Zariski (forcément contenus
dans $E$...), sauf si $E'=E$ ou $E''=E$.

\emph{Contre-exemple :} $Z(xy)$ (dans le plan $k^2$ de
coordonnées $x,y$) n'est pas ir\-ré\-duc\-tible, car $Z(xy) = \{(x,y)
\in k^2 : xy=0\} = \{(x,y) \in k^2 :
x=0\penalty0\ \textrm{ou}\penalty0\ y=0\} = Z(x) \cup Z(y)$ est
réunion de $Z(x)$ (l'axe des ordonnées) et $Z(y)$ (l'axe des
abscisses) qui sont tous tous les deux strictement plus petits
que $Z(xy)$.

\begin{prop}\label{closed-irreducible-iff-prime-ideal}
Un fermé de Zariski $E \subseteq k^d$ est irréductible si, et
seulement si, l'idéal $\mathfrak{I}(E)$ est premier.
\end{prop}
\begin{proof}
Supposons $\mathfrak{I}(E)$ premier : on veut montrer que $E$ est
irréductible.  Supposons $E = E' \cup E''$ comme ci-dessus (on a vu
que $E = Z(\mathfrak{I}(E))$, $E' = Z(\mathfrak{I}(E'))$ et $E'' =
Z(\mathfrak{I}(E''))$) : on veut montrer que $E' = E$ ou $E'' = E$.
Supposons le contraire, c'est-à-dire $\mathfrak{I}(E) \neq
\mathfrak{I}(E')$ et $\mathfrak{I}(E) \neq \mathfrak{I}(E'')$.  Il
existe alors $f' \in \mathfrak{I}(E') \setminus \mathfrak{I}(E)$ et
$f'' \in \mathfrak{I}(E'') \setminus \mathfrak{I}(E)$.  On a alors
$f'f'' \not\in \mathfrak{I}(E)$ car $\mathfrak{I}(E)$ est premier, et
pourtant $f'f''$ s'annule sur $E'$ et $E''$ donc sur $E$, une
contradiction.

Réciproquement, supposons $E$ irréductible : on veut montrer que
$\mathfrak{I}(E)$ est premier.  Soient $f',f''$ tels que $f'f'' \in
\mathfrak{I}(E)$ : posons $E' = Z(\mathfrak{I}(E) + (f'))$ et $E'' =
Z(\mathfrak{I}(E) + (f''))$.  On a $E' \subseteq E$ et $E'' \subseteq
E$ puisque $E = Z(\mathfrak{I}(E))$, et en fait $E' = E \cap Z(f')$ et
$E'' = E \cap Z(f'')$ ; on a par ailleurs $E = E' \cup E''$ (car si $x
\in E$ alors $f'(x)\,f''(x) = 0$ donc soit $f'(x)=0$ soit $f''(x)=0$,
et dans le premier cas $x \in E'$ et dans le second $x \in E''$).
Puisqu'on a supposé $E$ irréductible, on a, disons, $E' = E$,
c'est-à-dire $E \subseteq Z(f')$, ce qui signifie $f' \in
\mathfrak{I}(E)$.  Ceci montre bien que $\mathfrak{I}(E)$ est premier.
\end{proof}

%
\subsection{Le Nullstellensatz}

(Nullstellensatz, littéralement, « théorème du lieu d'annulation », ou
« théorème des zéros de Hilbert ».)

On suppose maintenant que $k$ est algébriquement clos !

\begin{prop}[Nullstellensatz faible]
Soit $k$ un corps algébriquement clos.  Si $I$ est un idéal de
$k[t_1,\ldots,t_d]$ tel que $Z(I) = \varnothing$, alors $I =
k[t_1,\ldots,t_d]$.
\end{prop}
\begin{proof}[Démonstration dans le cas particulier où $k$ est indénombrable.]
Supposons par contraposée $I \subsetneq k[t_1,\ldots,t_d]$.  Alors il
existe un idéal maximal $\mathfrak{m}$ tel que $I \subseteq
\mathfrak{m}$, et on a $Z(\mathfrak{m}) \subseteq Z(I)$.  On va
montrer $Z(\mathfrak{m}) \neq \varnothing$.

Soit $K = k[t_1,\ldots,t_d]/\mathfrak{m}$.  Il s'agit d'un corps, qui
est de dimension au plus dénombrable (=il a une famille génératrice
dénombrable, à savoir les images des monômes dans les $t_i$) sur $k$.
Mais $K$ ne peut pas contenir d'élément transcendant $\tau$ sur $k$
car, $k$ ayant été supposé indénombrable, la famille des
$\frac{1}{\tau - x}$ pour $x\in k$ serait linéairement indépendante
(par décomposition en élément simples) dans $k(\tau)$ donc dans $K$.
Donc $K$ est algébrique sur $k$.  Comme $k$ était supposé
algébriquement clos, on a en fait $K=k$.  Les classes des
indéterminées $t_1,\ldots,t_d$ définissent alors des éléments
$x_1,\ldots,x_d \in k$, et pour tout $f \in \mathfrak{m}$, on a
$f(x_1,\ldots,x_d) = 0$.  Autrement dit, $(x_1,\ldots,x_d) \in
Z(\mathfrak{m})$, ce qui conclut.
\end{proof}

En fait, dans le cours de cette démonstration, on a montré (dans le
cas particulier où on s'est placé, mais c'est vrai en général) :
\begin{prop}[{idéaux maximaux de $k[t_1,\ldots,t_d]$}]\label{maximal-ideals-of-polynomial-algebras}
Soit $k$ un corps algé\-bri\-que\-ment clos.  Tout idéal maximal
$\mathfrak{m}$ de $k[t_1,\ldots,t_d]$ est de la forme
$\mathfrak{m}_{(x_1,\ldots,x_d)} := \{f : f(x_1,\ldots,x_d) = 0\}$
pour un certain $(x_1,\ldots,x_d) \in k^d$.
\end{prop}
\begin{proof}
En fait, on a prouvé que si $\mathfrak{m}$ est un idéal maximal, il
existe $(x_1,\ldots,x_d) \in k^d$ tels que $(x_1,\ldots,x_d) \in
Z(\mathfrak{m})$, ce qui donne $\mathfrak{m} \subseteq
\mathfrak{I}(\{(x_1,\ldots,x_d)\})$, mais par maximalité de
$\mathfrak{m}$ ceci est en fait une égalité.
\end{proof}

En particulier, le corps quotient $k[t_1,\ldots,t_d]/\mathfrak{m}$ est
isomorphe à $k$, l'isomorphisme étant donnée par l'évaluation au point
$(x_1,\ldots,x_d)$ tel que ci-dessus.

\begin{thm}[Nullstellensatz = théorème des zéros de Hilbert]
Soit $I$ un idéal de $k[t_1,\ldots,t_d]$ (toujours avec $k$ un corps
algébriquement clos) : alors $\mathfrak{I}(Z(I)) = \surd I$ (le
radical de $I$).
\end{thm}
\begin{proof}
On sait que $\surd I \subseteq \mathfrak{I}(Z(I))$ et il s'agit de
montrer la réciproque.  Soit $f \in \mathfrak{I}(Z(I))$ : on veut
prouver $f\in \surd I$.  On vérifie facilement que ceci revient à
montrer que l'idéal $I[\frac{1}{f}]$
de $k[t_1,\ldots,t_d,\frac{1}{f}]$ est l'idéal unité.  Or
$k[t_1,\ldots,t_d,\frac{1}{f}] = k[t_1,\ldots,t_d,z]/(zf-1)$
d'après \ref{localization-inverting-one-element}.  Soit $J$ l'idéal
engendré par $I$ et $zf-1$ dans $k[t_1,\ldots,t_d,z]$ : on voit que
$Z(J) = \varnothing$ (dans $k^{d+1}$), car on ne peut pas avoir
simultanément $f(x_1,\ldots,x_d) = 0$ et $z\,f(x_1,\ldots,x_d) = 1$,
donc le Nullstellensatz faible entraîne $J = k[t_1,\ldots,t_d,z]$ :
ceci donne $I[\frac{1}{f}] = k[t_1,\ldots,t_d,\frac{1}{f}]$.
\end{proof}

\begin{scho}
Si $k$ est un corps algébriquement clos, les fonctions $I \mapsto
Z(I)$ et $E \mapsto \mathfrak{I}(E)$ définissent des bijections
réci\-proques, décroissantes pour l'inclusion, entre les idéaux radicaux
de $k[t_1,\ldots,t_d]$ d'une part, et les fermés de Zariski de $k^d$
d'autre part.

Ces bijections mettent les \emph{points} (c'est-à-dire les singletons)
de $k^d$ en correspondance avec les idéaux maximaux de
$k[t_1,\ldots,t_d]$ (ils ont tous pour quotient $k$), et les
\emph{fermés irréductibles} en correspondance avec les idéaux
premiers.
\end{scho}

%
\subsection{L'anneau d'un fermé de Zariski}

Si $X$ est un fermé de Zariski dans $k^d$ avec $k$ algébriquement
clos, on a vu qu'il existe un unique idéal radical $I$
de $k[t_1,\ldots,t_d]$, à savoir l'idéal $I = \mathfrak{I}(X)$ des
polynômes s'annulant sur $X$, tel que $X = Z(I)$.  Le quotient
$k[t_1,\ldots,t_d] / I$ (qui est donc un anneau réduit, et intègre ssi
$X$ est irréductible) s'appelle l'\emph{anneau des fonctions
  régulières} sur $X$ et se note $\mathcal{O}(X)$.

Pourquoi fonctions régulières ?  On peut considérer un élément $f \in
\mathcal{O}(X)$ comme une fonction $X \to k$ de la façon suivante : si
$\tilde f \in k[t_1,\ldots,t_d]$ est un représentant de $f$
(modulo $I$) et si $x = (x_1,\ldots,x_d) \in X$, la valeur de $\tilde
f(x_1,\ldots,x_d)$ ne dépend pas du choix de $\tilde f$ représentant
$f$ puisque tout élément de $I$ s'annule en $x$ ; on peut donc appeler
$f(x)$ cette valeur.  Inversement, un $f \in \mathcal{O}(X)$ est
complètement déterminé par sa valeur sur chaque point $x$ de $X$
(rappel : $k$ est algébriquement clos ici, et c'est important !) ; en
effet, si $f$ s'annule en tout $x \in X$, tout élément de
$k[t_1,\ldots,t_d]$ représentant $f$ s'annule en tout $x \in X$,
c'est-à-dire appartient à $\mathfrak{I}(X)$, ce qui signifie justement
$f = 0$ dans $\mathcal{O}(X)$.  Moralité : on peut bien considérer les
éléments de $\mathcal{O}(X)$ comme des fonctions.  Ces fonctions sont,
tout simplement, les restrictions à $X$ des fonctions polynomiales
sur $k^d$.

Dans le cas où $X = k^d$ tout entier (donc $I = (0)$), évidemment,
$\mathcal{O}(X) = k[t_1,\ldots,t_d]$.

On définit un fermé de Zariski de $X$ comme un fermé de Zariski
de $k^d$ qui se trouve être inclus dans $X$.  La bonne nouvelle est
que la correspondance entre fermés de Zariski de $k^d$ et idéaux de
$k[t_1,\ldots,t_d]$ se généralise presque mot pour mot à une
correspondance entre fermés de Zariski de $X$ et idéaux
de $\mathcal{O}(X)$ :

\begin{prop}
Avec les notations ci-dessus :
\begin{itemize}
\item Tout fermé de Zariski de $X$ est de la forme $Z(\mathscr{F}) :=
  \{x\in X :\penalty0 {(\forall f\in \mathscr{F})}\penalty100\, f(x) =
  0\}$ pour un certain ensemble $\mathscr{F}$ d'éléments
  de $\mathcal{O}(X)$.
\item En posant $\mathfrak{I}(E) := \{f\in \mathcal{O}(X) :\penalty0
  {(\forall x\in E)}\penalty100\, f(x)=0\}$, les fonctions $I \mapsto
  Z(I)$ et $E \mapsto \mathfrak{I}(E)$ définissent des bijections
  réci\-proques, décroissantes pour l'inclusion, entre les idéaux
  radicaux de $\mathcal{O}(X)$ d'une part, et les fermés de Zariski de
  $X$ d'autre part : on a $\mathfrak{I}(Z(I)) = \surd I$ pour tout
  idéal $I$ de $\mathcal{O}(X)$.
\item Ces bijections mettent les \emph{points} (c'est-à-dire les
  singletons) de $X$ en correspondance avec les idéaux maximaux de
  $\mathcal{O}(X)$ (qui sont donc tous de la forme $\mathfrak{m}_x :=
  \{f \in \mathcal{O}(X) : f(x)=0\}$ pour un $x\in X$) ; et les
  \emph{fermés irréductibles} en correspondance avec les idéaux
  premiers.
\end{itemize}
\end{prop}

\smallbreak

Soulignons en particulier que si $X'$ est un fermé de Zariski de $X$
(disons défini comme $X' = Z(I)$ où $I$ est un idéal radical
de $\mathcal{O}(X)$), alors la surjection canonique $\mathcal{O}(X)
\to \mathcal{O}(X)/I$ est un morphisme d'anneaux $\mathcal{O}(X) \to
\mathcal{O}(X')$ qu'il faut interpréter comme envoyant une fonction
régulière $f$ sur $X$ sur sa \emph{restriction} à $X'$, parfois
notée $f|_{X'}$.

%
\subsection{Points à valeurs dans une $k$-algèbre}

On reprend la même situation : $I$ est un idéal radical de
$k[t_1,\ldots,t_d]$ et $X = Z(I)$ est le fermé de Zariski qu'il
définit (et $\mathcal{O}(X) = k[t_1,\ldots,t_d] / I$ l'anneau des
fonctions régulières sur $X$.

On a pour l'instant considéré $X$ comme un sous-ensemble de $k^d$,
mais on souhaite changer progressivement de point de vue ; notamment,
l'ensemble pré\-cé\-dem\-ment noté $X$ aura de plus en plus tendance à être
noté $X(k)$, en appliquant la définition suivante :

Pour toute $k$-algèbre $A$, on note $X(A)$ ou $Z(I)(A)$ (et on appelle
ensemble des \textbf{$A$-points} de $X$) l'ensemble
$\{(x_1,\ldots,x_d) \in A^d :\penalty0 (\forall f \in I)\,
f(x_1,\ldots,x_d) = 0\}$ des points de $A^d$ vérifiant les équations
définissant $X$.  L'ensemble $X(k)$ est donc celui qu'on a
pré\-cé\-dem\-ment considéré sous le nom de $X$.

Le cas particulier de l'espace affine tout entier (soit $I = (0)$)
sera noté $\mathbb{A}^d$ (normalement on devrait écrire
$\mathbb{A}^d_k$, mais c'est rarement important) : ainsi,
$\mathbb{A}^d(A) = A^d$ pour toute $k$-algèbre $A$.

Si $A \buildrel\varphi\over\to A'$ est un morphisme de $k$-algèbres,
on a une application $X(\varphi) \colon X(A) \to X(A')$ qui à
$(x_1,\ldots,x_d) \in X(A)$ associe
$(\varphi(x_1),\ldots,\varphi(x_d)) \in X(A')$.  (Par ailleurs,
$X(\psi\circ\varphi) = X(\psi)\circ X(\varphi)$.)  On aura de plus en
plus tendance à considérer que $X$ ``est'' la donnée de ces ensembles
$X(A)$ pour toute $k$-algèbre $A$ et de ces applications $X(\varphi)$
pour tout morphisme de $k$-algèbres $\varphi$ : la collection de ces
données s'appelle le \textbf{foncteur des points} de $X$.

\begin{rmk}
D'après ce qu'on a expliqué en \ref{subsection-note-morphisms}, pour
toute $k$-algèbre $A$, l'ensemble $\Hom_{k}(\mathcal{O}(X), A)$ des
morphismes de $k$-algèbres de $\mathcal{O}(X)$ vers $A$ est en
bijection avec $X(A)$ (la bijection envoyant un morphisme $\psi\colon
\mathcal{O}(X) \to A$ sur le $d$-uplet $(\psi(t_1),\ldots,\psi(t_d))$
où $t_1,\ldots,t_d$ sont les classes des indéterminées dans le
quotient $\mathcal{O}(X) = k[t_1,\ldots,t_d]/I$).  On aura tendance à
utiliser cette bijection tacitement, et à considérer que les éléments
de $X(A)$ ``sont'' des morphismes d'anneaux $\mathcal{O}(X) \to A$.

En particulier, les $k$-points de $X$ (c'est-à-dire l'ensemble
précédemment noté $X$ et maintenant de préférence $X(k)$) peuvent être
identifiés avec les éléments de $\Hom_{k}(\mathcal{O}(X), k)$, le
point $x \in X$ étant identifié avec le morphisme $f \mapsto f(x)$
d'évaluation en $x$.  La classification des idéaux maximaux
de $\mathcal{O}(X)$ signifie donc que (pour $k$ algébriquement clos,
insistons !) tout idéal maximal de $\mathcal{O}(X)$ est l'ensemble des
fonctions régulières s'annulant en un $k$-point de $X$.
\end{rmk}

%
\subsection{Morphismes de variétés algébriques affines}\label{subsection-morphisms-of-affine-algebraic-varieties}

On appelle provisoirement \textbf{variété algébrique affine}
dans $k^d$ (toujours avec $k$ algébriquement clos) un fermé de Zariski
$X$ de $k^d$.  Pourquoi cette terminologie redondante ?  Le terme
« fermé de Zariski » insiste sur $X$ en tant que plongée dans l'espace
affine $\mathbb{A}^d$.  Le terme de « variété algébrique affine »
insiste sur l'aspect intrinsèque de $X$, muni de ses propres fermés de
Zariski et de ses propres fonctions régulières, qu'on va maintenant
présenter.  On a vu ci-dessus comment associer à $X$ un anneau
$\mathcal{O}(X)$ des fonctions régulières, et, pour chaque
$k$-algèbre, on a identifié l'ensemble $X(A)$ des $A$-points de $X$
avec $\Hom_k(\mathcal{O}(X), A)$.

On veut maintenant définir des morphismes entre ces variétés
algébriques.  Une fonction régulière doit être la même chose qu'un
morphisme vers la droite affine.  On définit donc :
\begin{itemize}
\item un morphisme [de $k$-variétés algébriques affines] $f$ de $X$
  vers l'espace affine $\mathbb{A}^e$ de dimension $e$ est la donnée
  de $e$ fonctions régulières sur $X$, c'est-à-dire d'un $e$-uplet
  d'éléments de $\mathcal{O}(X)$,
\item un morphisme [de $k$-variétés algébriques affines] $f$ de $X$
  vers le fermé de Zariski $Y = Z(J)$ défini dans l'espace
  affine $\mathbb{A}^e$ par un idéal $J = (g_1,\ldots,g_r)$ est la
  donnée d'un $e$-uplet $(f_1,\ldots,f_e) \in \mathcal{O}(X)^e$ comme
  ci-dessus, vérifiant de plus les contraintes $g_j(f_1,\ldots,f_e) =
  0$ pour tout $j$ (cela revient à demander $g_j(f_1(x),\ldots,f_e(x))
  = 0$ pour tout $j$ et tout $x\in X$) ;
\item on dit qu'un morphisme comme ci-dessus envoie le point $x \in X$
  sur le point $(f_1(x),\ldots,f_e(x)) \in Y$ (c'est-à-dire, le point
  $(f_1(x),\ldots,f_e(x)) \in k^e$, qui se trouve appartenir à $Y$) ;
  en pariculier, il définit une fonction $X(k) \to Y(k)$, et plus
  généralement $X(A) \to Y(A)$ pour toute $k$-algèbre $A$ ;
\item d'après ce qu'on a dit sur les fonctions régulières (un $f \in
  \mathcal{O}(X)$ est déterminé par ses valeurs sur $X(k)$, $k$ étant
  algébriquement clos), un morphisme $f \colon X\to Y$ est déterminé
  par ses valeurs sur $X(k)$ (toujours : $k$ étant algébriquement
  clos) ;
\item on définit la composée d'un morphisme $f \colon X \to Y$ comme
  ci-dessus (représenté par $f_1,\ldots,f_e \in \mathcal{O}(X)$ si $Y
  \subseteq \mathbb{A}^e$) et d'un morphisme $g \colon Y \to Z$
  (représenté par $g_1,\ldots,g_s \in \mathcal{O}(Y)$ si $Z \subseteq
  \mathbb{A}^s$) de la façon suivante : si $\tilde g_1,\ldots,\tilde
  g_s \in k[u_1,\ldots,u_e]$ relèvent $g_1,\ldots,g_s$, on représente
  $g\circ f$ par les éléments $\tilde g_1(f_1,\ldots,f_e), \ldots,
  \penalty-100 \tilde g_s(f_1,\ldots,f_e) \penalty-50 \in
  \mathcal{O}(X)$ ; on a, heureusement, $(g\circ f)(x) = g(f(x))$ pour
  tout $x \in X(k)$ (ou même tout $x \in X(A)$).
\end{itemize}

Pour dire les choses autrement, un morphisme $X \to \mathbb{A}^e$ est
la donnée d'un $e$-uplet d'éléments de $\mathcal{O}(X)$, c'est-à-dire
un élément de $\mathbb{A}^e(\mathcal{O}(X))$, et un morphise $X \to Y$
où $Y = Z(g_1,\ldots,g_r)$ est la donné d'un élément de
$Y(\mathcal{O}(X))$.  Ceci est encore équivalent à un morphisme de
$k$-algèbres $f^* \colon \mathcal{O}(Y) \to \mathcal{O}(X)$, d'où la
philosophie suivante :

\begin{center}
Un morphisme de $k$-variétés algébriques affines $f\colon X \to Y$ est
``la même chose'' qu'un morphisme de $k$-algèbres $f^*\colon
\mathcal{O}(Y) \to \mathcal{O}(X)$.
\end{center}

Concrètement, avec les notations ci-dessus, le morphisme
$\mathcal{O}(Y) \buildrel f^*\over \to \mathcal{O}(X)$ serait celui
qui envoie un élément $h \in \mathcal{O}(Y)$ sur $h(f_1,\ldots,f_e)
\in \mathcal{O}(X)$.  Réciproquement, donné un morphisme
$\varphi\colon \mathcal{O}(Y) \to \mathcal{O}(X)$ d'anneaux, le
morphisme $X \to Y$ qui lui correspond est celui qui à un point $x \in
X$ associe le $y \in Y$ défini par $h(y) = \varphi(h)(x)$ pour tout $h
\in \mathcal{O}(Y)$.

\smallbreak

Il faut bien se rendre compte que le meme objet --- un morphisme $f
\colon X \to Y$ de $k$-variétés algébriques --- peut être représenté
par différentes données plus ou moins équivalentes :
\begin{itemize}
\item ($Y$ étant plongé dans $\mathbb{A}^e$ comme
  $Z(g_1,\ldots,g_r)$,) $e$ éléments de $\mathcal{O}(X)$ vérifiant les
  équations $g_j(f_1,\ldots,f_e) = 0$ pour tout $j$,
\item ($Y$ étant plongé dans $\mathbb{A}^e$ comme $Z(g_1,\ldots,g_r)$,
  et $X$ dans $\mathbb{A}^d$ comme $Z(I)$,) $e$ éléments $\tilde
  f_1,\ldots,\tilde f_e \in k[t_1,\ldots,t_d]$, vus modulo $I$,
  définissant une fonction polynomiale $\mathbb{A}^d \to \mathbb{A}^e$
  telle qu'il se trouve que $g_j(\tilde f_1,\ldots,\tilde f_e) \in I$
  pour tout $j$,
\item ($Y$ étant plongé dans $\mathbb{A}^e$ comme $Z(g_1,\ldots,g_r)$,
  et $X$ dans $\mathbb{A}^d$ comme $Z(I)$, et en utilisant le fait que
  $k$ est algébriquement clos,) une fonction de $X(k)$ vers $Y(k)$ qui
  se trouve être la restriction d'une fonction polynomiale $k^d \to
  k^e$ (c'est-à-dire donnée par $x \mapsto \tilde f_1(x),\ldots,\tilde
  f_e(x)$ pour certains $\tilde f_1,\ldots,\tilde f_e \in
  k[t_1,\ldots,t_d]$) qui se trouve avoir envoyer $X(k)$ dans $Y(k)$,
\item un élément de $Y(\mathcal{O}(X))$,
\item un morphisme d'anneaux $\mathcal{O}(Y) \to \mathcal{O}(X)$,
\item pour chaque $k$-algèbre $A$, une application $X(A) \buildrel
  f(A)\over\to Y(A)$ telle que : si $A \buildrel\psi\over\to A'$ est
  un morphisme de $k$-algèbres, alors les deux composées $X(A)
  \buildrel X(\psi)\over\to X(A') \buildrel f(A')\over\to Y(A')$ et
  $X(A) \buildrel f(A)\over\to Y(A) \buildrel Y(\psi)\over\to Y(A')$
  coïncident (cf. lemme de Yoneda).
\end{itemize}
On aura tendance à confondre silencieusement tout ou partie de ces
objets.  Par ailleurs, on a tendance à appeler $x \mapsto
(f_1(x),\ldots,f_e(x))$ le morphisme, comme s'il s'agissait simplement
d'une application (il faut considérer ça comme une application de
$X(k)$ vers $Y(k)$ définissant le morphisme ou, mieux, de $X(A)$ vers
$Y(A)$ pour toute $k$-algèbre $A$).

Certaines de ces présentations ne se généraliseront pas (si $k$ n'est
pas algébriquement clos, si la variété n'est plus affine...) : la
dernière est, de ce point de vue, la plus robuste.

\emph{Remarque :} Un morphisme $X \to \mathbb{A}^1$ est la même chose
qu'une fonction régulière sur $X$ (c'était le point de départ, mais il
est bon d'insister là-dessus).

\smallbreak

\textbf{Exemples :} Considérons la courbe d'équation $y^2 = x^3$,
c'est-à-dire $C = Z(g)$ où $g = y^2 - x^3 \in k[x,y]$ (anneau des
polynômes à deux indéterminées $x,y$ sur un corps algébriquement
clos $k$), et $\mathbb{A}^1$ la droite affine sur $k$.  On a
$\mathcal{O}(C) = k[x,y]/(y^2-x^3)$ et $\mathcal{O}(\mathbb{A}^1) =
k[t]$.  On définit un morphisme $\mathbb{A}^1 \buildrel f\over\to C$
par $t \mapsto (t^2,t^3)$ : ce morphisme correspond à un morphisme
d'anneaux dans l'autre sens, $\mathcal{O}(C) \buildrel f^*\over\to
\mathcal{O}(\mathbb{A}^1)$, donné par $x \mapsto t^2$ et $y \mapsto
x^3$.  Ce morphisme n'est pas un isomorphisme car $t$ n'est pas dans
l'image de $f^*$.  Ceci, bien que $\mathbb{A}^1(k) \to C(k)$ soit une
bijection au niveau des $k$-points.

Considérons la courbe $C^\sharp$ (la « cubique gauche » affine)
d'équations $y = z^3$ et $x = z^2$, c'est-à-dire $C^\sharp =
Z(x-z^2,\penalty-100 y-z^3)$.  On a un morphisme $\mathbb{A}^1 \to
C^\sharp$ envoyant $t$ sur $(t^2, t^3, t)$ : cette fois, ce morphisme
est un isomorphisme, et sa réciproque est donnée par $(x,y,z) \mapsto
z$.  L'anneau $\mathcal{O}(C^\sharp) = k[x,y,z]/(x-z^2,\penalty-100
y-z^3)$ est isomorphe à $k[t]$.  Par ailleurs, le morphisme
$\mathbb{A}^1 \to C$ décrit au paragraphe précédent peut être vu comme
la composée de l'isomorphisme $\mathbb{A}^1 \to C^\sharp$ et de la
projection $C^\sharp \to C$ décrite par $(x,y,z) \mapsto (x,y)$.

Sur le cercle $C = Z(x^2+y^2-1)$ (pas le même $C$ que dans les deux
paragraphes précédents, mais le même que dans l'introduction), si $k$
est de caractéristique $\neq 5$, on peut définir le morphisme $C \to
C$ de « rotation d'angle $\arctan\frac{3}{4}$ » (terminologie abusive
si $k$ n'est pas un corps contenant $\mathbb{R}$) ou « multiplication
  par le point $(\frac{4}{5},\frac{3}{5})$ » par $(x,y) \mapsto
(\frac{4}{5}x - \frac{3}{5}y, \frac{3}{5}x + \frac{4}{5}y)$.  On
pourrait définir l'opération de composition $C \times C \to C$ par
$((x,y),(x',y')) \mapsto (xx'-yy', xy'+yx')$ mais il faudrait pour
cela avoir défini le produit de deux variétés (pour donner un sens à
$C \times C$), ce qu'on n'a pas encore fait.

\smallbreak

Si $X'$ est un fermé de Zariski de $X$, on a expliqué qu'il y avait
naturellement un morphisme d'anneaux $\mathcal{O}(X) \to
\mathcal{O}(X')$ (consistant à restreindre à $X'$ une fonction
régulière sur $X$) : le morphisme de variétés algébriques $X' \to X$
qui lui est associé est tout simplement le morphisme d'inclusion de
$X'$ dans $X$, qu'on appelle \textbf{immersion fermée} ou
\textbf{plongement} de la sous-variété fermée $X'$ dans $X$.

De façon très liée, si $f \colon X\to Y$ est un morphisme de
$k$-variétés on peut, dans ce contexte, définir la restriction de $f$
à $X'$ (parfois notée $f|_{X'}$) comme la composée $X' \to X \to Y$ où
$X' \to X$ est l'immersion de $X'$ dans $X$ ; si on voit $f$ comme
défini par $e$ fonctions régulières sur $X$ (c'est-à-dire $Y$ plongé
dans $\mathbb{A}^e$), les fonctions définissant $f|_{X'}$ sont
simplement $f_1|_{X'},\ldots,f_e|_{X'}$.

\medbreak

\textbf{Variétés algébriques affines abstraites, et le spectre d'une
  algèbre.}

\textbf{Note :} On considère que deux variétés algébriques (affines)
sont « la même » lorsqu'elle sont isomorphes, alors que deux fermés de
Zariski sont « le même » lorsqu'ils sont égaux dans le $\mathbb{A}^d$
dans lequel ils vivent.  Par exemple, la cubique gauche $C^\sharp$
décrite ci-dessus, en tant que fermé de Zariski, n'est pas une droite,
mais en tant que variété algébrique affine c'est juste $\mathbb{A}^1$
puisqu'on a montré qu'elle lui était isomorphe.  Ou, si on préfère, un
fermé de Zariski de $\mathbb{A}^d$ est la donnée d'une variété
algébrique affine \emph{plus} un plongement de celle-ci
dans $\mathbb{A}^d$.

Dans cette optique, si $R$ est une $k$-algèbre de type fini (on
rappelle, cf. \ref{finite-type-algebras}, que cela signifie que $R$
est engendrée en tant qu'algèbre par un nombre fini d'éléments
$x_1,\ldots,x_d$, autrement dit que $R$ peut se voir comme le quotient
de $k[t_1,\ldots,t_d]$ par un idéal $(f_1,\ldots,f_r)$ de ce dernier)
et si $R$ est réduite, alors on peut voir $R$ comme l'anneau
$\mathcal{O}(X)$ pour une certaine variété algébrique $X$, à savoir le
$X = Z(f_1,\ldots,f_r)$ défini par les équations
$f_1=0,\ldots,\penalty-100 f_r=0$ dans $\mathbb{A}^d$.  Cette variété
est unique en ce sens que toutes les variétés $X$ telles que
$\mathcal{O}(X) = R$ sont isomorphes (puisque leurs $\mathcal{O}(X)$
sont isomorphes, justement).  On peut donc donner un nom à $X$ : c'est
le \textbf{spectre} de $R$, noté $\Spec R$.  (Par exemple, $\Spec k[t]
= \mathbb{A}^1_k$ et plus généralement $\Spec k[t_1,\ldots,t_d] =
\mathbb{A}^d_k$.  Et bien sûr, $\Spec k$ est vu comme un point, ou,
pour être plus explicite, un $k$-point.)

(\emph{Avertissement 1 :} Tout le monde est d'accord sur l'identité de
$\Spec R$ en tant qu'objet géométrique, en l'occurrence, une variété
algébrique affine ; par exemple, $\Spec k[x,y]/(x^2+y^2-1)$ est
indubitablement une vision idéalisée du « cercle unité ».  Néanmoins,
il existe différentes façons de formaliser la notion de variété
algébrique : comme nous nous sommes placés sur $k$ un corps
algébriquement clos, nous avons vu $\Spec R$ plutôt comme l'ensemble
des idéaux maximaux de $R$ ; une description qui marche mieux en
général, et qu'on retrouve souvent, consiste à formaliser $\Spec R$
comme l'ensemble des idéaux \emph{premiers} de $R$ ; enfin, une autre
description, tout à fait générale, consiste à voir $\Spec R$ par ce
qu'on a appelé son foncteur des points, c'est-à-dire la donnée pour
chaque $k$-algèbre $A$ de l'ensemble $(\Spec R)(A) = \Hom_k(R,A)$, et
pour chaque morphisme de $k$-algèbres $\varphi\colon A \to A'$, de
l'application $(\Spec R)(\varphi) \colon \Hom_k(R,A) \to \Hom_k(R,A')$
qui s'en déduit.)

(\emph{Avertissement 2 :} Les gens savants n'ont pas peur de définir
$\Spec R$ même si $R$ n'est pas réduite, c'est-à-dire, a des
nilpotents.  Il faut imaginer, par exemple, que si $R = k[\varepsilon]
:= k[t]/(t^2)$, alors $\Spec R$ est un point « un peu épaissi », ou
entouré d'un « flou infinitésimal », comparé à $\Spec k$ qui est un
point sans ornement de ce genre.  Ce point de vue rend plus difficile
la vision géométrique des choses, mais a des avantages considérables,
par exemple qu'un morphisme $\Spec k[\varepsilon] \to X$ peut se voir
comme un vecteur tangent à $X$.)

%
\subsection{La topologie de Zariski}

On appelle \textbf{ouvert de Zariski} dans $k^d$ (toujours avec $k$ un
corps algébriquement clos) le complémentaire d'un fermé de Zariski.
Autrement dit, si $I$ est un idéal de $k[t_1,\ldots,t_d]$, on définit
$U(I) = \{(x_1,\ldots,x_d) \in k^d :\penalty0 (\exists f\in I)\,
f(x_1,\ldots,x_d) \neq 0\}$ le complémentaire de $Z(I)$ : un ouvert de
Zariski de $k^d$ est un ensemble de la forme $U(I)$.  Plus
généralement, si $X$ est une variété algébrique affine, si $I$ est un
idéal de $\mathcal{O}(X)$, on définit $U(I) = \{(x_1,\ldots,x_d) \in X
:\penalty0 (\exists f\in I)\, f(x_1,\ldots,x_d) \neq 0\}$ le
complémentaire de $Z(I)$ : on appelle ces ensembles ouverts de Zariski
de $X$.  (Pour l'instant, on les voit comme des ensembles de
$k$-points, on verra plus loin comment définir leurs $A$-points, leurs
morphismes, etc.)

Étant donné qu'une intersection quelconque ou une réunion finie de
fermés sont des fermés, dualement, \emph{une réunion quelconque ou une
  intersection finie d'ouverts sont des ouverts} (par ailleurs,
l'ensemble vide et l'ensemble plein sont des ouverts) --- ces
propriétés sont constitutives de la notion de \emph{topologie}, en
l'occurrence la \textbf{topologie de Zariski} (sur l'ensemble $k^d$ ou
$X(k)$).

\smallbreak

Si $X'$ est un fermé de Zariski de $X$, alors les fermés et ouverts de
Zariski de $X'$ sont précisément les intersections avec $X'$ des
fermés et ouverts de Zariski de $X$.  (On dit que la topologie de $X'$
est \emph{induite} par celle de $X$.)

\smallbreak

Si $I$ est engendré par les éléments $f_1,\ldots,f_r$, on peut écrire
$U(I) = D(f_1) \cup \cdots \cup D(f_r)$ où $D(f_i) := U(\{f_i\})$ est
l'ouvert où $f_i$ ne s'annule pas.  Les $D(f)$ s'appellent parfois
\emph{ouverts principaux}, on verra plus loin pourquoi il est utile de
les distinguer ; ceci montre qu'ils forment une \emph{base d'ouverts}
(un ensemble d'ouverts stable par intersections fines est dit former
une base d'ouverts pour une topologie lorsque tout ouvert est une
réunion d'une sous-famille d'entre eux).

\begin{prop}\label{covering-by-principal-open-sets}
Si $X$ est une variété algébrique affine et $f_i \in \mathcal{O}(X)$
(pour $i \in \Lambda$ disons), alors $\bigcup_{i\in\Lambda} D(f_i) =
X$ si et seulement si les $f_i$ engendrent l'idéal unité
dans $\mathcal{O}(X)$ (c'est-à-dire ssi il existe des $g_i$, tous nuls
sauf un nombre fini, tels que $\sum_{i\in\Lambda} g_i f_i = 1$).
\end{prop}
\begin{proof}
Dire $\bigcup_{i\in\Lambda} D(f_i) = X$ équivaut à
$\bigcap_{i\in\Lambda} Z(f_i) = \varnothing$, c'est-à-dire encore
$Z(\{f_i\}) = \varnothing$, soit encore $Z(I) = \varnothing$ où $I$
est l'idéal engendré par les $f_i$, et l'énoncé découle du
Nullstellensatz faible.
\end{proof}

On aura besoin pour la suite de remarquer que $D(f) \cap D(f') =
D(ff')$.

\smallbreak

Un peu de vocabulaire de topologie : dans ce qui suit, on suppose que
$X$ est un ensemble muni d'une topologie (c'est-à-dire un ensemble de
parties de $X$ dites « ouvertes » contenant $\varnothing$ et $X$ et
telles qu'une réunion quelconque ou une intersection finie d'ouverts
sont des ouverts), sachant qu'on s'intéresse évidemment au cas de la
topologie de Zariski.

Si $x \in U \subseteq V$ avec $U$ ouvert (et $V$ une partie quelconque
de $X$), on dit que $V$ est un \textbf{voisinage} de $x$.  (Un
voisinage ouvert de $x$ est donc tout simplement la même chose qu'un
ouvert contenant $x$.)

Si $E \subseteq X$ est une partie quelconque, l'intersection de tous
les fermés (=complémentaires des ouverts) contenant $E$, c'est-à-dire
le plus petit fermé contenant $E$, s'appelle \textbf{adhérence}
de $E$, parfois notée $\overline{E}$.  Il s'agit de l'ensemble des $x
\in X$ tels que tout voisinage de $x$ rencontre $E$.  Lorsque
l'adhérence de $E$ est $X$ tout entier, on dit que $E$ est
\textbf{dense} dans $X$.

On dit que $X$ est \textbf{irréductible} lorsque toute écriture $X =
F' \cup F''$ avec $F',F''$ fermés impose $F' = X$ ou $F'' = X$ ; de
façon équivalente, cela signifie que tout ouvert non vide de $X$ est
dense.

On dit que $X$ est \textbf{connexe} lorsque ($X$ est non vide et que)
$\varnothing$ et $X$ sont les seuls ensembles à la fois ouverts et
fermés dans $X$.  (« Irréductible » est plus fort que « connexe », car
si $X$ est irréductible, tout ouvert non vide est dense, et en
particulier le seul ouvert fermé non vide est $X$ tout entier.)

On dit que $X$ est \textbf{quasi-compact} lorsque dès qu'on a une
écriture $X = \bigcup_{i\in \Lambda} U_i$ avec $U_i$ ouverts
(autrement dit, un recouvrement ouvert de $X$), il existe $\Xi
\subseteq \Lambda$ fini tel que $X = \bigcup_{i\in\Xi} U_i$.

\smallbreak

Dans le cas de la topologie de Zariski sur une variété algébrique
affine $X$ sur un corps algébriquement clos $k$ (c'est-à-dire,
sur $X(k)$) :
\begin{itemize}
\item $X$ est irréductible ssi $\mathcal{O}(X)$ est intègre
  (cf. \ref{closed-irreducible-iff-prime-ideal}),
\item $X$ est toujours quasi-compact (découle
  de \ref{covering-by-principal-open-sets} : si $f_i$ engendrent
  l'idéal unité, un sous-ensemble fini d'entre eux l'engendrent ---
  même sans utiliser le caractère noethérien de l'anneau),
\item l'adhérence de Zariski d'une partie $E \subseteq X(k)$ est
  $Z(\mathfrak{I}(E))$ (en effet, ceci est un fermé de Zariski
  contenant $E$, et si $Z(J) \supseteq E$ est un autre fermé de
  Zariski contenant $E$ alors on a vu $J \subseteq \mathfrak{I}(E)$
  donc $Z(J) \supseteq Z(\mathfrak{I}(E))$ --- ceci montre que
  $Z(\mathfrak{I}(E))$ est bien le plus petit pour l'inclusion fermé
  de Zariski contenant $E$).
\end{itemize}

Exemple (idiot) : On suppose $k$ de caractéristique zéro, disons $k =
\mathbb{C}$ ; quelle est l'adhérence de Zariski de $\mathbb{Z}$ dans
$\mathbb{A}^1(k)$ ?  Réponse : L'ensemble $\mathfrak{I}(\mathbb{Z})$
des polynômes s'annulant en chaque point de $\mathbb{Z}$ est réduit
à $(0)$ puisqu'un polynôme en une variable ne peut avoir qu'un nombre
fini de racines ; donc l'adhérence de Zariski de $\mathbb{Z}$ est
$Z(\mathfrak{I}(\mathbb{Z})) = \mathbb{A}^1(k)$ tout entier,
c'est-à-dire que $\mathbb{Z}$ est dense dans la droite affine pour la
topologie de Zariski.  Plus généralement, on peut facilement montrer
que les seuls fermés de Zariski de $\mathbb{A}^1(k)$ sont la droite
$\mathbb{A}^1(k)$ tout entière et les parties \emph{finies}.

\medbreak

\textbf{Composantes connexes.}

\begin{prop}
Si $X$ est une variété algébrique affine, alors $X$ est connexe si et
seulement si les seuls éléments $e \in \mathcal{O}(X)$ vérifiant $e^2
= e$ (appelés \textbf{idempotents}) sont $0$ et $1$.
\end{prop}
\begin{proof}
Si $e^2=e$ avec $e \neq 0,1$, alors $e(1-e) = 0$.  On a donc $X = Z(e)
\cup Z(1-e)$ ; et $Z(e) \cap Z(1-e) = \varnothing$ (car $e,1-e$
engendrent l'idéal unité, si on veut).  Donc $Z(e)$ et $Z(1-e)$ sont
deux fermés complémentaires l'un de l'autre, donc ils sont aussi
ouverts.  Comme $e$ n'est pas nul, $Z(e)$ n'est pas $X$ tout entier,
et de même pour $Z(1-e)$ car $e \neq 1$ ; donc $Z(e)$ est un ouvert
fermé autre que $\varnothing$ et $X$, et $X$ n'est pas connexe.

Réciproquement, supposons que $X'$ soit un ouvert fermé dans $X$ autre
que $\varnothing$ et $X$, et soit $X''$ son complémentaire, qui
vérifie les mêmes conditions.  On peut écrire $X' = Z(I')$ et $X'' =
Z(I'')$ avec $I',I''$ deux idéaux radicaux stricts
de $\mathcal{O}(X)$.  Puisque $X' \cap X'' = \varnothing$, on a $I' +
I'' = (1)$ (où $(1)$ désigne l'idéal unité,
c'est-à-dire $\mathcal{O}(X)$ tout entier) ; il existe donc $e \in I'$
tel que $1-e \in I''$.  Mais alors $e(1-e) \in I' \cap I''$, or $I'
\cap I'' = (0)$ car $X' \cup X'' = X$.  On a donc $e^2 = e$, et $e
\neq 1$ car $e$ appartient à un idéal strict, et $e \neq 0$ car $1-e
\neq 1$.
\end{proof}

On pourrait montrer :
\begin{prop}
Toute variété algébrique affine $X$ est réunion d'un nombre fini de
fermés connexes.  De plus, il existe une écriture $X = \bigcup_{i=1}^n
X_i$ vérifiant $X_i \cap X_j = \varnothing$ pour $i \neq j$, et une
telle écriture est unique (à l'ordre des facteurs près) : les $X_i$
s'appellent les \textbf{composantes connexes} de $X$.
\end{prop}

\medbreak

\textbf{Composantes irréductibles.}

\begin{prop}
Toute variété algébrique affine $X$ est réunion d'un nombre fini de
fermés irréductibles.  De plus, il existe une écriture $X =
\bigcup_{i=1}^n X_i$ vérifie $X_i \not\subseteq X_j$ pour $i \neq j$,
et une telle écriture est unique (à l'ordre des facteurs près) : les
$X_i$ s'appellent les \textbf{composantes irréductibles} de $X$.
\end{prop}
\begin{proof}
Montrons par l'absurde que $X$ est réunion d'un nombre fini de fermés
irréductibles : comme $X$ n'est pas lui-même irréductible, on peut
écrire $X = X_1 \cup X'_1$ avec $X_1$, $X'_1$ fermés stricts dans $X$,
et l'un d'entre eux ne doit pas être irréductible, disons $X_1$, donc
on peut écrire $X_1 = X_2 \cup X'_2$, et ainsi de suite.  On obtient
ainsi une suite de fermés strictement décroissante pour l'inclusion $X
\supsetneq X_1 \supsetneq X_2 \supsetneq\cdots$, qui correspond à une
suite strictement croissante d'idéaux (radicaux) dans
$\mathcal{O}(X)$, ce qui est impossible car $\mathcal{O}(X)$ est
noethérien (cf. \ref{finite-type-algebras-are-noetherian}).

On peut donc écrire $X = \bigcup_{i=1}^n X_i$, et quitte à jeter les
$X_i$ déjà inclus dans un autre $X_j$ (et à répéter le processus si
nécessaire), on peut supposer $X_i \not\subseteq X_j$ pour $i \neq j$.

Montrons enfin l'unicité.  Si $X = \bigcup_{i=1}^n X_i =
\bigcup_{j=1}^p Y_j$ sont deux telles écritures, on a $X_i =
\bigcup_{j=1}^p (X_i \cap Y_j)$.  Comme $X_i$ est irréductible, l'un
des $X_i\cap Y_j$ doit être égal à $X_i$, c'est-à-dire $X_i \subseteq
Y_j$ ; par symétrie de l'argument, ce $Y_j$ est lui-même inclus dans
un $X_{i'}$, et comme $X_i \subseteq X_{i'}$, la condition sur la
décomposition donne $i'=i$, donc $Y_j = X_i$ et on a bien montré que
chaque $X_i$ est un des $Y_j$ et vice versa.
\end{proof}

\textbf{Exemple :} $Z(xy) \subseteq \mathbb{A}^2$ a pour composantes
irréductibles $Z(x)$ et $Z(y)$.  En revanche, il est connexe (=sa
seule composante connexe est lui-même) : en effet, si $U$ est un
ouvert fermé de $Z(xy)$, quitte à remplacer $U$ par son complémentaire
on peut supposer que $U$ contient $(0,0)$, et alors $U$ est un ouvert
fermé rencontrant $Z(x)$ et $Z(y)$ à la fois --- mais comme ceux-ci
sont irréductibles, et en particulier connexes, $U \cap Z(x) = Z(x)$
et $U \cap Z(y) = Z(y)$, ce qui montre $U = Z(xy)$.

%
\subsection{Structure de variété affine d'un ouvert principal}

Pour l'instant, on n'a appelé « variété » qu'un fermé de Zariski.  On
voudrait étendre le terme de sorte qu'au moins les \emph{ouverts} de
Zariski deviennent des variétés.  Pour l'instant, on va regarder le
cas d'un ouvert principal $D(f) = \{x : f(x) \neq 0\}$ : on souhaite
définir, si possible en motivant intuitivement, ce que seront les
fonctions régulières sur $D(f)$ et les morphismes depuis et
vers $D(f)$.

\smallbreak

\textbf{Motivation.} Partons de l'exemple le plus simple : $U = D(t) =
\{t : t\neq 0\}$, le complémentaire de l'origine dans $\mathbb{A}^1$.
On sait qu'un morphisme $X \buildrel f\over\to \mathbb{A}^1$ (si $X$
est une variété algébrique affine) est la même chose qu'une fonction
régulière sur $X$, c'est-à-dire, un élément $f$ de $\mathcal{O}(X)$.
Que doit être un morphisme $X \buildrel f\over\to U$ ?  Certainement
on veut pouvoir le voir (en composant par l'inclusion $U \to
\mathbb{A}^1$) comme une sorte particulière de morphismes $X \buildrel
f\over\to \mathbb{A}^1$, donc de fonctions régulières sur $X$ :
essentiellement, celles qui « évitent zéro » (ou « ne prennent pas la
  valeur zéro »).  Or dire que $f(x) \neq 0$ pour tout $x \in X(k)$
(pour $k$ algébriquement clos !) signifie $f \not\in \mathfrak{m}_x$
pour tout idéal maximal $\mathfrak{m}_x$ (on sait d'après les
résultats autour du Nullstellensatz
(cf. \ref{maximal-ideals-of-polynomial-algebras}) que tout idéal
maximal de $\mathcal{O}(X)$ est de la forme $\mathfrak{m}_x := \{f :
f(x) = 0\}$) ; or dire qu'un élément $f$ d'un anneau n'appartient à
\emph{aucun} idéal maximal signifie qu'il n'appartient à aucun idéal
strict (cf. \ref{existence-maximal-ideals}), donc que l'idéal qu'il
engendre est l'idéal unité, c'est-à-dire que $f$ est
\emph{inversible}.  \underline{Moralité :} les morphismes $X \to U$
devraient être les éléments inversibles de $\mathcal{O}(X)$.

A contrario, quels devraient être les fonctions régulières sur $U$ ?
On veut au moins avoir l'inclusion $U \to \mathbb{A}^1$, qui
déterminerait une fonction régulière $t$ sur $U$, et plus généralement
tout élément de $k[t]$, comme il détermine un morphisme $\mathbb{A}^1
\to \mathbb{A}^1$, devrait déterminer une fonction régulière sur $U$.
Mais il y a plus : d'après ce qu'on a dit ci-dessus, si on souhaite
que $U$ se comporte comme une variété algébrique affine, l'identité $U
\to U$, c'est-à-dire l'élément $t$, devrait être un élément
\emph{inversible} de $\mathcal{O}(U)$.  Il faut donc trouver une façon
de rendre $t$ inversible : or on en a trouvé une, c'est la
localisation.  On va donc poser $\mathcal{O}(U) = k[t][\frac{1}{t}] =:
k[t,t^{-1}]$, l'anneau des fractions rationnelles de la forme
$\frac{f}{t^s}$ avec $f \in k[t]$ et $s\in \mathbb{N}$.  Cet anneau
est d'ailleurs isomorphe (via $t \mapsto x$ et $t^{-1} \mapsto y$) à
$k[x,y]/(xy-1)$, l'anneau de l'hyperbole d'équation $xy=1$ : or il
semble naturel de considérer $U$ (la droite privée d'un point) comme
la projection $(x,y) \mapsto x$ de cette hyperbole $Z(xy-1)$.  Ceci
est cohérent avec ce qu'on a décidé ci-dessus : les morphismes
$k[t,t^{-1}] \to A$, pour toute $k$-algèbre $A$, s'identifient aux
éléments inversibles de $A$.

Toute cette motivation semble justifier d'identifier l'ouvert $U =
D(t) = \{t : t\neq 0\}$ de $\mathbb{A}^1$ avec la variété algébrique
affine $\Spec k[t,t^{-1}]$ associée à l'anneau $k[t,t{^-1}]$.

Plus généralement, on voudrait adopter le :
\begin{princ}
Si $f \in \mathcal{O}(X)$, avec $X$ une variété algébrique affine, on
considérera $D(f)$ lui-même comme la variété algébrique affine $\Spec
\mathcal{O}(X)[\frac{1}{f}]$, associé à l'anneau
$\mathcal{O}(X)[\frac{1}{f}]$ localisé de $\mathcal{O}(X)$
inversant $f$.
\end{princ}

(Noter que $R[\frac{1}{f}] = R[z]/(zf-1)$ de façon générale.)

Pour justifier que le principe ci-dessus est sensé, on a besoin d'un
certains nombre de vérifications de routine, notamment :
\begin{prop}
Si $f \in \mathcal{O}(X)$, avec $X$ une variété algébrique affine sur
un corps algébriquement clos $k$, et si $\iota\colon \mathcal{O}(X)
\to \mathcal{O}(X)[\frac{1}{f}],\penalty-100\; h \mapsto \frac{h}{1}$
désigne le morphisme naturel vers le localisé :
\begin{itemize}
\item les idéaux maximaux (resp. premiers)
  de $\mathcal{O}(X)[\frac{1}{f}]$ sont en bijection avec les idéaux
  maximaux de $\mathcal{O}(X)$ ne contenant pas $f$
  (cf. \ref{properties-localization}) ; et si $\psi \colon D(f) \to \Spec
  \mathcal{O}(X)[\frac{1}{f}]$ désigne cette bijection, envoyant un
  point $x$ de $D(f) \subseteq X$, vu comme idéal maximal
  $\mathfrak{m}_x$ de $\mathcal{O}(X)$ ne contenant pas $f$, sur le
  point $\psi(x)$ défini par l'idéal maximal
  $\iota^{-1}(\mathfrak{m}_x)$, alors :
\item $\psi$ met en bijection les ouverts de Zariski de $X$ contenus
  dans $D(f)$ avec les ouverts de Zariski de $X' := \Spec
  \mathcal{O}(X)[\frac{1}{f}]$, et les ouverts principaux contenus
  dans $D(f)$ (c'est-à-dire les $D(gf) = D(g)\cap D(f)$) avec les
  ouverts principaux de $X'$ (et précisément $D(gf)$ avec
  $D(\iota(g))$), et
\item si $h \in \mathcal{O}(X)$ et $x \in D(f)$, alors $h(x)$ coïncide
  avec $\iota(h)(\psi(x))$ (vus comme éléments de $k$).
\end{itemize}
\end{prop}

De ce principe découlent :
\begin{defn}
Si $f \in \mathcal{O}(X)$, avec $X$ une variété algébrique affine,
l'anneau $\mathcal{O}(D(f))$ des fonctions régulières sur $D(f)$ sera
par définition $\mathcal{O}(X)[\frac{1}{f}]$.  La \textbf{restriction}
$h|_{D(f)}$ d'une fonction régulière $h \in \mathcal{O}(X)$ à $D(f)$
sera par définition $\iota(h) := \frac{h}{1} \in
\mathcal{O}(X)[\frac{1}{f}]$.

Si $f \in \mathcal{O}(X)$, avec $X$ une variété algébrique affine, et
$Y$ est une variété algébrique affine, un morphisme $D(f) \to Y$ sera
identifié à la donnée d'un élément de $Y(\mathcal{O}(X)[\frac{1}{f}])$
ou d'un morphisme de $k$-algèbres $\mathcal{O}(Y) \to
\mathcal{O}(X)[\frac{1}{f}]$ (c'est-à-dire, concrètement, si $Y$ est
vu plongé comme un fermé de Zariski de $\mathbb{A}^e$, comme $e$
éléments de $\mathcal{O}(X)[\frac{1}{f}]$ vérifiant les équations
de $Y$).

Si $A$ est une $k$-algèbre, l'ensemble $D(f)(A)$ des $A$-points de
$D(f)$ sera le sous-ensemble de $X(A)$ formé des $x \in X(A)$ tels que
$f(x) \in A$ soit inversible.  (Et si $A \buildrel\varphi\over\to A'$
est un morphisme d'anneaux, $U(I)(\varphi)\colon U(I)(A) \to U(I)(A')$
est la restriction de $X(\varphi)\colon X(A) \to X(A')$ à $U(I)(A)$.)

Si $g \in \mathcal{O}(Y)$, avec $Y$ une variété algébrique affine, et
$X$ est une variété algébrique affine, un morphisme $X \to D(g)$ sera
identifié à la donnée d'un morphisme $h\colon X \to Y$ tel que
l'élément $h^*(g) \in \mathcal{O}(X)$ (c'est-à-dire la composée de
$h\colon X\to Y$ avec $g \in \mathcal{O}(Y)$ vu comme un morphisme $Y
\to \mathbb{A}^1$) soit inversible.

Si $f \in \mathcal{O}(X)$, avec $X$ une variété algébrique affine, et
si $g \in \mathcal{O}(Y)$, avec $Y$ une variété algébrique affine, un
morphisme $D(f) \to D(g)$ sera identifié à la donnée d'un élément $h$
de $Y(\mathcal{O}(X)[\frac{1}{f}])$ (ou d'un morphisme $h^* \colon
\mathcal{O}(Y) \to \mathcal{O}(X)[\frac{1}{f}]$ de $k$-algèbres) tel
que $h^*(g)$ soit inversible, ou, ce qui revient encore au même, un
morphisme $\mathcal{O}(Y)[\frac{1}{g}] \to
\mathcal{O}(X)[\frac{1}{f}]$ de $k$-algèbres.
\end{defn}

De nouveau, il existe beaucoup de façons de voir la même donnée !

Lorsque $\mathcal{O}(X)$ est intègre (c'est-à-dire que la variété $X$
est irréductible), on peut voir $\mathcal{O}(D(f))$ de façon simple à
l'intérieur du corps des fractions de $\mathcal{O}(X)$ : ce sont les
éléments de $\Frac(\mathcal{O}(X))$ qui peuvent s'écrire comme
une fraction dont le dénominateur est une puissance de $f$.


%
\subsection{Introduction au recollement}

La proposition suivante peut paraître innocente, mais elle est
fondamentale :

\begin{prop}
Si $X$ est une variété algébrique affine recouverte par des $D(f_i)$
(c'est-à-dire, cf. \ref{covering-by-principal-open-sets}, que les
$f_i \in \mathcal{O}(X)$, qu'on pourra toujours supposer en nombre
fini, engendrent l'idéal unité), alors :
\begin{enumerate}
\item si une fonction régulière $h \in \mathcal{O}(X)$ a une
  restriction $h|_{D(f_i)}$ nulle sur chacun des $D(f_i)$ alors $h$
  est nulle,
\item donnée une fonction régulière $h_i \in \mathcal{O}(D(f_i)) =
  \mathcal{O}(X)[\frac{1}{f_i}]$ pour chaque $i$, telles que
  $h_i|_{D(f_i)\cap D(f_j)} = h_j|_{D(f_i)\cap D(f_j)}$ pour
  chaque $i,j$ (autrement dit, les $h_i$ coïncident sur leurs
  intersections ; on rappelle que $D(f_i) \cap D(f_j) = D(f_i f_j)$),
  il existe une fonction régulière $h \in \mathcal{O}(X)$,
  nécessairement unique d'après le point précédent, telle que
  $h|_{D(f_i)} = h_i$ pour tout $i$.
\end{enumerate}
\end{prop}

En clair : pour se donner une fonction régulière sur $X$, il suffit de
se donner sa restriction à des ouverts principaux $D(f_i)$
recouvrant $X$, et pour que de telles restrictions définissent bien
une fonction régulière sur tout $X$, c'est-à-dire « se recollent », il
suffit (comme il faut !) qu'elles soient cohérentes sur les
intersections de deux d'entre eux.  On traduit ce fait en disant que
la donnée des $\mathcal{O}(D(f))$ (y compris $\mathcal{O}(X)$
lui-même) et des morphismes de restrictions entre eux forme un
\textbf{faisceau} (sur la base d'ouverts formée des ouverts
principaux).

Ceci est la conséquence (reformulation) du résultat purement
algébrique suivant :
\begin{prop}
Soit $R$ un anneau et $f_i \in R$ des éléments engendrant l'idéal
unité.  Alors :
\begin{enumerate}
\item si $h \in R$ a une image $\iota_i(h)$ nulle dans chaque
  $R[\frac{1}{f_i}]$ alors $h$ est nul,
\item donnée un élément $h_i \in R[\frac{1}{f_i}]$ pour chaque $i$,
  tels que $\iota_{i,j}(h_i) = \iota_{j,i}(h_j) \in R[\frac{1}{f_i
      f_j}]$ pour chaque $i,j$ (où on identifie tacitement
  $R[\frac{1}{f_i f_j}]$ à $R[\frac{1}{f_i}][\frac{1}{f_j}]$ et
  $R[\frac{1}{f_j}][\frac{1}{f_i}]$), il existe un unique $h \in R$,
  nécessairement unique d'après le point précédent, tel que
  $\iota_i(h) = h_i \in R[\frac{1}{f_i}]$ pour tout $i$.
\end{enumerate}
\end{prop}
\begin{proof}[Démonstration du premier point]
Mettons $\sum g_i f_i = 1$ : on oublie tous les $f_i$ sauf le nombre
fini d'entre eux qui intervient vraiment dans cette somme.  Dire que
$h$ a une image nulle dans $R[\frac{1}{f_i}]$ signifie qu'il existe
$N_i$ entier assez grand tel que $f_i^{N_i} h = 0$ ; en élevant
l'équation $\sum g_i f_i$ à une puissance $N$ assez grande (par
exemple $\sum N_i$), on peut s'arranger pour que chaque terme du
développement fasse intervenir un certain $f_i$ à la puissance $N_i$
au moins.  Ceci montre $(\sum g_i f_i)^N\, h = 0$.  Or $(\sum g_i
f_i)^N = 1$, donc $h = 0$.
\end{proof}
\begin{proof}[Esquisse de démonstration du second point]
On écrit $h_i = \frac{p_i}{f_i^{N_i}}$, et de nouveau, en élevant
$\sum g_i f_i = 1$ à une puissance $N$ assez grande on peut s'arranger
pour que chaque terme $t_{\cdots} = c_{\cdots} \prod_i f_i^{n_i}$
fasse intervenir un des $f_i$ à une puissance $n_i$ au moins égale
à $N_i$ ; on appelle $h$ la somme des $c_{\cdots} p_i f_i^{n_i-N_i}
\prod_{j\neq i} f_j^{n_j}$ où le facteur $f_i^{N_i}$ correspondant a
été remplacé par $p_i$ (ce qui vaut donc $t_{\cdots} h_i$ dans
$R[\frac{1}{f_i}]$ --- on peut donc vérifier que $\iota_i(h) = h_i$).
\end{proof}

On peut de même fabriquer des morphismes par recollement :
\begin{cor}
Si $X$ est une variété algébrique affine recouverte par des $D(f_i)$,
alors se donner un morphisme $X \to Y$, pour $Y$ une variété
algébrique affine quelconque, équivaut à se donner des morphismes
$D(f_i) \to Y$ pour chaque $f_i$, qui coïncident sur les intersections
$D(f_i) \cap D(f_j)$ (pour chaque $i,j$).
\end{cor}

Ceci est la clé pour définir les variétés algébriques non
nécessairement affines, selon le principe général vague suivant :
\begin{princ}
Une variété algébrique non nécessairement affine $X$ est obtenue en
« recollant » des variétés algébriques affines $X_i$ ; une fonction
régulière sur $X$ est la donnée d'une fonction régulière sur chaque
$X_i$ qui coïncident aux intersections ; un morphisme de $X$ vers une
variété algébrique affine $Y$ est, de même, la donnée de morphismes
$X_i \to Y$ qui se recollent.

On dira que $X$ est \emph{affine} lorsque $X$ est isomorphe à une
variété algébrique $\Spec R$ avec $R$ algèbre de type finie réduite,
ou, de façon équivalente, lorsque le morphisme $X \to \Spec
\mathcal{O}(X)$, où $\mathcal{O}(X)$ est l'anneau des fonctions
régulières sur $X$, défini naturellement, est, en fait, un
isomorphisme.
\end{princ}


%
\subsection{Variétés algébriques quasi-affines}

Une variété algébrique quasi-affine est un ouvert \emph{non
  nécessairement principal} d'une variété algébrique affine $X$,
c'est-à-dire, d'un fermé de Zariski dans l'espace affine.  Un tel
ouvert peut s'écrire $U(I) := X \setminus Z(I)$ avec $I$ idéal
de $\mathcal{O}(X)$, et il est recouvert par des $D(f_i)$ lorsque les
$f_i$ engendrent l'idéal $\surd I$.

\begin{defn}
Si $I$ est un idéal de $\mathcal{O}(X)$, avec $X$ une variété
algébrique affine, une fonction régulière sur $U(I) := X \setminus
Z(I)$ sera par définition la donnée d'une fonction régulière $h_i$ sur
chaque $D(f_i)$ où les $f_i \in \mathcal{O}(X)$ engendrent $I$, telles
que $h_i$ et $h_j$ coïncident sur $D(f_i) \cap D(f_j)$ ; on identifie
deux telles données lorsqu'elles coïncident sur toutes les
intersections possibles.

Si $I$ est un idéal de $\mathcal{O}(X)$, avec $X$ une variété
algébrique affine, et $Y$ est une variété algébrique affine, un
morphisme $U(I) \to Y$ sera identifié à la donnée d'un morphisme
$D(f_i) \to Y$ pour chaque $f_i$ où les $f_i \in \mathcal{O}(X)$
engendrent $I$, qui coïncident sur les $D(f_i) \cap D(f_j)$ ; on
identifie deux telles données lorsqu'elles coïncident sur toutes les
intersections possibles.

Si $A$ est une $k$-algèbre, l'ensemble $U(I)(A)$ des $A$-points de
$U(I)$ sera le sous-ensemble de $X(A)$ formé des $x \in X(A)$ tels que
les $f(x) \in A$ pour $f \in I$ engendrent l'idéal unité de $A$.  (Et
si $A \buildrel\varphi\over\to A'$ est un morphisme d'anneaux,
$U(I)(\varphi)\colon U(I)(A) \to U(I)(A')$ est la restriction de
$X(\varphi)\colon X(A) \to X(A')$ à $U(I)(A)$.)

Si $J$ est un idéal de $\mathcal{O}(Y)$, avec $Y$ une variété
algébrique affine (et toujours $I$ un idéal de $\mathcal{O}(X)$ comme
ci-dessus), un morphisme $U(I) \to U(J)$ sera identifié à la donnée
d'éléments $f_i$ engrendant $I$ et $g_i$ appartenant à $J$, indicés
par le même ensemble, et de morphismes $h_i \colon D(f_i) \to D(g_i)$,
tels que $h_i$ et $h_j$ coïncident sur $D(f_i) \cap D(f_j)$ ; on
identifie deux telles données lorsqu'elles coïncident sur toutes les
intersections possibles.
\end{defn}

Entre autres vérifications de cohérence de ces définitions :
\begin{prop}
Avec les notations ci-dessus, la donnée d'un morphisme $U(I) \buildrel
h\over\to U(J)$ équivaut à celle d'une application $U(I)(A) \buildrel
h(A)\over\to U(J)(A)$ pour chaque $k$-algèbre $A$ telles que : si $A
\buildrel\psi\over\to A'$ est un morphisme de $k$-algèbres, alors les
deux composées $U(I)(A) \buildrel U(I)(\psi)\over\to U(I)(A')
\buildrel h(A')\over\to U(J)(A')$ et $U(I)(A) \buildrel h(A)\over\to
U(J)(A) \buildrel U(J)(\psi)\over\to U(J)(A')$ coïncident (cf. lemme
de Yoneda).
\end{prop}

Lorsque $\mathcal{O}(X)$ est intègre (c'est-à-dire que la variété $X$
est irréductible), on peut voir $\mathcal{O}(U(I))$ de façon simple à
l'intérieur du corps des fractions de $\mathcal{O}(X)$ : ce sont les
éléments de $\Frac(\mathcal{O}(X))$ qui peuvent s'écrire comme une
fraction dont le dénominateur est une puissance de $f_i$ pour
n'importe quel $f_i$ d'une famille engendrant $I$.

\smallbreak

Pour tout ouvert $U$, on a un morphisme de variétés algébriques $U \to
X$ appelé \textbf{immersion ouverte} de $U$ dans $X$.

\medbreak

Pour tout ouvert $U$ d'une $k$-variété algébrique affine $X$, l'anneau
$\mathcal{O}(U)$ est une $k$-algèbre de type fini, et on a un
morphisme de variétés algébriques $U \to \Spec \mathcal{O}(U)$ (défini
en considérant un recouvrement quelconque de $U$ par des $D(f_i)$ et
en recollant les morphismes $D(f_i) \to \Spec \mathcal{O}(U)$ donnés
par les $\mathcal{O}(U) \to \mathcal{O}(X)[\frac{1}{f_i}]$) : lorsque
ce morphisme est un isomorphisme, l'ouvert $U$ est dit \emph{affine}.
Un ouvert principal est toujours affine.  Un ouvert peut être affine
sans être principal, mais c'est généralement assez difficile à
détecter.  Remarquons cependant si $U = U(\{x,y\}) = D(x) \cup D(y)$
est le complémentaire de l'origine dans $\mathbb{A}^2$, alors $U$
n'est pas affine, car $\mathcal{O}(U) = k[x,y]$ (en effet, $k[x,y]$
est un anneau factoriel, donc une fraction rationnelle en deux
variables $x,y$ admet une forme simplifiée unique à scalaire près, et
si elle peut s'écrire avec une puissance de $x$ ou une puissance de
$y$ comme dénominateurs, il s'agit simplement d'un polynôme), et le
morphisme $U \to \Spec\mathcal{O}(U)$ est l'immersion ouverte de $U$
dans $\mathbb{A}^2$, qui n'est pas un isomorphisme.


%
\subsection{Récapitulation : que doit-on savoir sur une variété algébrique ?}

On ne proposera pas de définition générale de ce qu'est une variété
algébrique.  Cependant, il faut au moins savoir les choses suivantes :
\begin{itemize}
\item une variété algébrique affine ou quasi-affine sur $k$ est une
  variété algébrique sur $k$ ; en particulier, pour toute $k$-algèbre
  $R$ de type fini réduite sur $k$, on a une variété algébrique
  (affine) $\Spec R$ ;
\item une variété algébrique a une notion d'\emph{ouverts} (de
  Zariski) : ces ouverts sont eux-mêmes des variétés algébriques ; ces
  ouverts vérifient les axiomes d'une topologie, i.e., le vide et le
  plein sont des ouverts, une réunion quelconque ou une intersection
  finie d'ouverts sont des ouverts ; de plus, une variété algébrique
  est quasi-compacte (de tout recouvrement par des ouverts on peut
  extraire un sous-recouvrement finie) ;
\item une variété algébrique peut être recouverte par des ouverts
  \emph{affines} ;
\item si la variété $X$ est recouverte par des ouverts $U_i$, se
  donner une fonction régulière sur $X$ (resp. un morphisme de $X$
  vers une variété $Y$ quelconque) équivaut à se donner une fonction
  régulière sur chaque $U_i$ (resp. un morphisme de chaque $U_i$
  vers $Y$) telles que les données coïncident aux intersections $U_i
  \cap U_j$ ; en particulier, appliquer ce principe à un recouvrement
  par des ouverts affines permet de ramener l'étude d'une variété
  quelconque à des variétés affines et à leurs intersections ;
\item pour chaque $k$-algèbre $A$, on a un ensemble $X(A)$ appelé
  ensemble des $A$-points de la variété $X$, et pour chaque morphisme
  $\varphi\colon A\to A'$ de $k$-algèbres une application $X(A) \to
  X(A')$ telle que $X(\psi\circ\varphi) = X(\psi)\circ X(\varphi)$ si
  $\varphi\colon A\to A'$ et $\psi\colon A'\to A''$,
\item les morphismes $X \to Y$ sont exactement les données pour chaque
  $k$-algèbre d'une application $X(A) \buildrel f(A)\over\to Y(A)$
  telle que : si $A \buildrel\psi\over\to A'$ est un morphisme de
  $k$-algèbres, alors les deux composées $X(A) \buildrel
  X(\psi)\over\to X(A') \buildrel f(A')\over\to Y(A')$ et $X(A)
  \buildrel f(A)\over\to Y(A) \buildrel Y(\psi)\over\to Y(A')$
  coïncident ;
\item si $X$ est affine, les morphismes $X \to Y$ s'identifient avec
  les éléments de $Y(\mathscr{O}(X))$ (on ne suppose pas ici que $Y$
  soit affine) ;
\item si $Y$ est affine, les morphismes $X \to Y$ s'identifient avec
  les morphismes d'anneaux $\mathcal{O}(Y) \to \mathcal{O}(X)$ (on ne
  suppose pas que $X$ soit affine), et en particulier les fonctions
  régulières sur $X$ s'identifient avec les morphismes $X \to
  \mathbb{A}^1$ ;
\item sur un corps $k$ algébriquement clos, le Nullstellensatz assure
  que beaucoup de données se « lisent » sur les $k$-points :
  notamment, une fonction régulière sur $X$ est déterminée par ses
  valeurs sur $X(k)$, un morphisme $X \to Y$ est déterminée par la
  fonction $X(k) \to Y(k)$, un ouvert de $X$ est déterminé par le
  sous-ensemble $U(k)$ de $X(k)$...
\end{itemize}


%
%
%

\section{L'espace projectif et les variétés quasiprojectives}

\subsection{L'espace projectif sur un corps et sur un anneau}

Si $k$ est un corps, on note $\mathbb{P}^d(k)$ l'ensemble des
$(d+1)$-uplets d'éléments \emph{non tous nuls} de $k$ modulo la
relation d'équivalence $(x_0,\cdots,x_d) \sim (x'_0,\cdots,x'_d)$ ssi
les vecteurs $(x_0,\cdots,x_d)$ et $(x'_0,\cdots,x'_d)$ sont
colinéaires.  On note $(x_0:\cdots:x_d)$ (certains auteurs préfèrent
$[x_0,\ldots,x_d]$) la classe de $(x_0,\ldots,x_d)$ pour cette
relation d'équivalence.  On peut voir $\mathbb{P}^d(k)$ comme
l'ensemble des droites vectorielles (=passant par l'origine)
de $k^{d+1}$.

Idée intuitive : tout point de $\mathbb{P}^d$ (sur un corps), selon
que $x_0 \neq 0$ ou $x_0 = 0$, peut être mis sous la forme
$(1:x_1:\cdots:x_d)$ (avec $x_1,\ldots,x_d$ quelconques) ou bien
$(0:x_1:\cdots:x_d)$ (avec $x_1,\ldots,x_d$ non tous nuls).  Le point
$(x_1,\ldots,x_d)$ de $\mathbb{A}^d$ sera identifié au point
$(1:x_1:\cdots:x_d)$ de $\mathbb{P}^d$, tandis que les points de la
forme $(0:x_1:\ldots:x_d)$ sont appelés « points à l'infini » (et
collectivement, « hyperplan à l'infini »).  On peut donc écrire
$\mathbb{P}^d(k) = \mathbb{A}^d(k) \cup \mathbb{P}^{d-1}(k)$ (réunion
disjointe de l'ensemble $Z(x_0)(k)$ des points où $x_0 \neq 0$ et de
celui $D(x_0)(k)$ des points où $x_0 = 0$) ; moralement, on aura envie
que $\mathbb{A}^d$ soit un ouvert dans $\mathbb{P}^d$ et
$\mathbb{P}^{d-1}$ son fermé complémentaire.  Noter que le choix de
$x_0$ est arbitraire : on peut voir $\mathbb{P}^d$ comme réunion de
$d+1$ espaces affines $\mathbb{A}^d$ (à savoir
$D(x_0),\ldots,D(x_d)$).

\smallbreak

Si $A$ est un anneau, on définit $\mathbb{P}^d(A)$ comme l'ensemble
des classses d'équivalence de matrices $(d+1)\times (d+1)$ à
coefficients dans $A$, disons $(x_{ij})$ telles que
\[
\begin{array}{c}
\sum_{i=0}^d x_{ii} = 1\\
(\forall i,i',j,j')\, x_{ij} x_{i'j'} = x_{ij'} x_{i'j}\\
\end{array}
\]
(autrement dit, la matrice a trace $1$ et deux lignes quelconques sont
« colinéaires » au sens où tout déterminant $2\times 2$ extrait est
nul), la relation d'équivalence identifiant une matrice $(x_{ij})$
avec une autre $(x'_{ij})$ lorsque pour tous $i,i',j,j'$ on a $x_{ij}
x'_{i'j'} = x_{ij'} x'_{i'j}$ (toute ligne de $x$ est colinéaire à
toute ligne de $x'$ avec la même définition).

Ceci généralise bien la définition sur un corps : si $k$ est un corps,
pour un élément $(x_0:\cdots:x_d)$ du $\mathbb{P}^d(k)$ précédemment
défini, il existe $i_0$ tel que $x_{i_0} \neq 0$, et on peut supposer
$x_{i_0} = 1$, auquel cas on identifie le point avec la matrice
$x_{ij}$ définie par $x_{ij} = 0$ sauf si $i=0$ auquel cas $x_{i_0,j}
= x_j$.  Inversement, si $(x_{ij})$ est une matrice représentant un
élément du $\mathbb{P}^d(k)$ défini en deuxième, avec $k$ un corps, on
peut prendre une ligne quelconque de la matrice dont tous les
coefficients ne sont pas nuls (il en existe nécessairement une puisque
la somme des coefficients diagonaux vaut $1$ !) et elle représente un
point de $\mathbb{P}^d(k)$ défini en premier.  Il est facile de
vérifier que ces deux fonctions sont réciproques.

\emph{Remarque :} Plus généralement, si $x_0,\ldots,x_d \in A$
engendrent l'idéal unité de $A$ (ceci généralise $d$ éléments non tous
nuls d'un corps !), disons $\sum_{i=0}^d y_i x_i = 1$, on peut définir
un élément de $\mathbb{P}^d(A)$ qu'il est naturel de noter
$(x_0:\cdots:x_d)$, à savoir, en utilisant la définition précédente
$x_{ij} = y_i x_j$.  Sur certains anneaux particuliers (par exemple,
tout anneau intègre factoriel, par exemple $k[t_1,\ldots,t_s]$, ou
encore $\mathbb{Z}$), tout élément de $\mathbb{P}^d(A)$ peut, en fait,
s'écrire sous cette forme, mais ce n'est pas vrai en général
(quoiqu'il soit un peu difficile de donner un
contre-exemple\footnote{En voici un : si $A = \mathbb{Z}[\sqrt{-5}]$
  est l'anneau des complexes de la forme $a+b\sqrt{-5}$ (ce sont des
  entiers algébriques), la matrice $2\times 2$ dont la première ligne
  est $(3,\;1+\sqrt{-5})$ et la seconde $(-1+\sqrt{-5},\;-2)$ est de
  trace $1$ et déterminant nul, elle définit donc un point
  de $\mathbb{P}^1(A)$ qu'il n'est pas possible d'exprimer sous la
  forme $(x_0:\cdots:x_d)$ pour $x_0,\ldots,x_d \in A$ engendrant
  l'idéal unité.}).


%
\subsection{Polynômes homogènes, fermés et ouverts de Zariski de $\mathbb{P}^d$,
  Nullstellensatz projectif}

On veut voir $\mathbb{P}^d$ comme une variété algébrique (au moins
pour $k$ algébriquement clos pour le moment).  Il faudra une notion
d'ouverts et une notion de fonctions régulières.

On dit qu'un $f \in k[t_0,\ldots,t_d]$ est \textbf{homogène de
  degré $\ell$} lorsque tous les monômes qui le constituent ont le
même degré total $\ell$.  L'intérêt de cette remarque est que si
$(x_0:\cdots:x_d) \in \mathbb{P}^d(k)$ avec $k$ un corps, et $f \in
k[t_0,\ldots,t_d]$ est homogène, le fait que $f(x_0,\ldots,x_d) = 0$
ou $\neq 0$ ne dépend pas du choix du représentant choisi de
$(x_0:\cdots:x_d)$.  On peut donc définir $Z(f) = \{(x_0:\cdots:x_d)
\in \mathbb{P}^d(k) : f(x_0,\ldots,x_d) = 0\}$ (il faudrait noter
$Z_{\mathbb{P}^d}(f)$, mais bon...) et $D(f)$ son complémentaire.
Ceci signifie en fait $Z(f)(k)$ : pour $Z(f)(A)$, il faut le définir
comme l'ensemble des matrices $(x_{ij})$ de $\mathbb{P}^d(A)$ comme
précédemment telles que $f(x_{i0},\ldots,x_{id})=0$ pour tout $i$, et
pour $D(f)(A)$ ce sera l'ensemble des matrices $(x_{ij})$
de $\mathbb{P}^d(A)$ comme précédemment telles que les
$f(x_{i0},\ldots,x_{id})$ engendrent l'idéal unité.

On apppelle \textbf{partie homogène de degré $\ell$} d'un polynôme $f
\in k[t_0,\ldots,t_d]$ la somme de tous ses monômes de degré
total $\ell$.  Évidemment, tout polynôme est la somme de ses parties
homogènes.  Le produit de deux polynômes homogènes de degrés
respectifs $\ell$ et $\ell'$ est homogène de degré $\ell+\ell'$.

On dit qu'un idéal $I$ de $k[t_0,\ldots,t_d]$ est \textbf{homogène}
lorsqu'il peut être engendré par des polynômes homogènes (cela ne
signifie pas, évidemment, qu'il ne contient que des polynômes
homogènes, ni même que \emph{tout} ensemble de générateurs de $I$ soit
constitué de polynômes homogènes).  De façon équivalente, il s'agit
d'un idéal tel que pour tout $f\in I$, toute partie homogène de $f$
est encore dans $I$.  (Démonstration de l'équivalence : si toute
partie homogène d'un élément de $I$ appartient encore à $I$, en
prenant un ensemble quelconque de générateurs de $I$, les parties
homogènes de ceux-ci appartiennent encore à $I$ et sont encore
génératrices puisqu'elles engendrent les générateurs choisis, donc $I$
admet bien un ensemble de générateurs homogènes ; réciproquement, si
$I$ est engendré par $f_1,\ldots,f_r$ homogènes de degrés
$\ell_1,\ldots,\ell_r$ et si $h$ appartient à $I$, disons $h = \sum_i
g_i f_i$, alors pour tout $\ell$, la partie homogène de degré $\ell$
de $h$ est $h^{[\ell]} = \sum_i g_i^{[\ell-\ell_i]} f_i$ où
$g_i^{[\ell-\ell_i]}$ désigne la partie homogène de degré
$\ell-\ell_i$ de $g_i$, donc $h^{[\ell]}$ appartient aussi à $I$.)

(Concrètement, dire que $I$ est homogène signifie --- au moins lorsque
$I$ est radical et que $k$ est algébriquement clos --- que le fermé
\emph{affine} qu'il définit dans $\mathbb{A}^{d+1}$ est un
\emph{cône}, c'est-à-dire stable par homothéties.  L'ensemble $Z(I)$
défini ci-dessus va être ce cône vu comme un ensemble de droites
vectorielles donc comme un objet géométrique dans $\mathbb{P}^d$.)

Pour $I$ idéal homogène de $k[t_0,\ldots,t_d]$, on définit $Z(I)$
comme l'intersection des $Z(f)$ pour $f\in I$ homogène, ou simplement,
d'après ce qui précède, l'intersection des $Z(f)$ pour $f$ parcourant
un ensemble de générateurs homogènes de $I$.  Les $Z(I)$ s'appellent
les fermés [de Zariski] de $\mathbb{P}^d$.  Inversement, si $E$ est
une partie de $\mathbb{P}^d$, on appelle $\mathfrak{I}(E)$ l'idéal
(par définition homogène) engendré par les polynômes homogènes $f$
s'annulant en tout point de $E$ (c'est-à-dire tels que $Z(f) \supseteq
E$).

\begin{thm}
Si $k$ est un corps algébriquement clos :
\begin{itemize}
\item (Nullstellensatz faible projectif.)  Pour $I$ un idéal homogène
  de $k[t_0,\ldots,t_d]$, on a $Z(I) = \varnothing$ dans
  $\mathbb{P}^d$ ssi il existe un entier naturel $\ell$ tel que $I$
  contienne tous les monômes en $t_0,\ldots,t_d$ de degré total $\ell$
  (et, par conséquent, de tout degré plus grand).  Un tel idéal
  s'appelle \textbf{irrelevant} [avec un bel anglicisme].
\item (Nullstellensatz projectif.)  Les fonctions $I \mapsto Z(I)$ et
  $E \mapsto \mathfrak{I}(E)$ définissent des bijections réciproques,
  décroissantes pour l'inclusion, entre les idéaux homogènes radicaux
  de $k[t_0,\ldots,t_d]$ autres que $(t_0,\ldots,t_d)$ d'une part, et
  les fermés de Zariski de $\mathbb{P}^d(k)$ d'autre part.
\item Ces bijections mettent en corrrespondance les idéaux homogènes
  premiers de $k[t_0,\ldots,t_d]$ avec les fermés irréductibles
  de $\mathbb{P}^d$.
\end{itemize}
\end{thm}

\begin{rmk}
Pour qu'un idéal homogène $I$ de $k[t_0,\ldots,t_d]$ contienne tous
les monômes à partir d'un certain degré total $\ell$ (c'est-à-dire,
qu'il soit irrelevant), il faut et il suffit qu'il contienne tous les
$t_i^n$ à partir d'un certain $n$.  (En effet, un sens est trivial, et
pour l'autre sens, si $I$ contient tous les $t_i^n$, alors il contient
tout monôme de degré $(d+1)n$, puisqu'un tel monôme contient au moins
un $t_i$ à la puissance $n$.)  Comme il n'y a qu'un nombre fini des
$t_i$, on peut aussi intervertir les quantificateurs : c'est encore la
même chose que de dire que pour chaque $i$, l'idéal $I$ contient une
certaine puissance $t_i^{n_i}$ de $t_i$.
\end{rmk}


%
\subsection{Fonctions régulières sur l'espace projectif}

On veut voir $D(t_0) = \{t_0\neq 0\}$ comme un espace
affine $\mathbb{A}^d$ dans $\mathbb{P}^d$ (ici sur $k$).  On sait
quelles sont les fonctions régulières dessus : ce sont les polynômes
sur $k$ en $d$ variables, qu'on doit ici considérer comme
$\frac{t_1}{t_0},\ldots,\frac{t_d}{t_0}$.  De façon équivalente, il
s'agit de fractions rationnelles de la forme $\frac{h}{t_0^\ell}$ avec
$h \in k[t_0,\ldots,t_d]$ homogène de degré $\ell$.  Plus
généralement, on veut définir les fonctions régulières sur $D(f)$
dans $\mathbb{P}^d$ (où $f$ est homogène de degré $D$, disons) comme
les fractions rationnelles de la forme $\frac{h}{f^r}$ avec $h$
homogène de degré $rD$ (ce qui assure que (1) l'évaluation d'une telle
fonction sur un élément de $\mathbb{P}^d(k)$ a un sens lorsque cet
élément appartient à $D(f)$, et (2) elle ne dépend pas du représentant
choisi).

De façon peut-être surprenante, on en arrive donc à ce que les
fonctions régulières sur $\mathbb{P}^d$ \emph{tout entier} sont
uniquement les constantes.  De fait, on pourrait montrer que c'est
inévitable avec les exigences qu'on a sur les variétés
algébriques\footnote{Ou encore : puisqu'une fonction régulière sur
  $\mathbb{P}^d$ est censée être la même chose qu'un morphisme
  $\mathbb{P}^d \to \mathbb{A}^1$, la seule façon de définir une
  application $\mathbb{P}^d(A) \to \mathbb{A}^1(A)$ pour toute
  $k$-algèbre $A$, de façon compatible aux changements d'anneaux $A
  \to A'$, consiste à prendre la fonction constante valant un élément
  de $k$, toujours le même.} : notamment, si on recouvre
$\mathbb{P}^d$ par les $d+1$ ouverts affines $D(t_i)$ (pour
$i=0,\ldots,d$), la seule façon de se donner une fonction régulière
sur chacune qui coïncident aux intersections est d'avoir une constante
(toujours la même) sur chaque ouvert.

Ceci ne constitue pas une contradiction (mais prouve que
$\mathbb{P}^d$ ne saurait être affine).  Cependant, pour garder
l'information des polynômes homogènes non constants, il est utile de
définir aussi :
\begin{defn}
Si $\ell \in \mathbb{Z}$, une \textbf{section de $\mathcal{O}(\ell)$}
sur $D(f)$ dans $\mathbb{P}^d$ (où $f$ est un polynôme homogène de
degré $D$) est, par définition, une fraction rationnelle de la forme
$\frac{h}{f^r}$ avec $h$ homogène de degré $rD+\ell$.  (Quand $\ell =
0$, il s'agit donc simplement d'une fonction régulière.)
\end{defn}
En particulier, les sections globales de $\mathcal{O}(\ell)$,
c'est-à-dire, sur $\mathbb{P}^d$ tout entier, n'existent pas si
$\ell<0$, et sont les polynômes homogènes de degré $\ell$ en
$t_0,\ldots,t_d$ si $\ell \geq 0$ (pour $\ell=0$, il n'y a que les
constantes).

\medbreak

Un morphisme $\mathbb{P}^d \buildrel f\over\to \mathbb{P}^e$ est la
donnée de $e+1$ polynômes $(f_0,\ldots,f_e) \in k[t_0,\ldots,t_d]$ en
$d+1$ variables, homogènes de même degré $\ell$, qui ne s'annulent
jamais simultanément sur un corps $k$ algébriquement clos,
c'est-à-dire, pour éviter de dépendre de cette hypothèse, que
$f_0,\ldots,f_e$ engendrent un idéal irrelevant dans
$k[t_0,\ldots,t_d]$.  Évidemment, si $f_0,\ldots,f_e$ vérifient
certaines équations homogènes $g_j(f_0,\ldots,f_e) = 0$ (avec $g_j \in
k[u_0,\ldots,u_e]$ homogène), on pourra considérer le morphisme $f$
comme allant de $\mathbb{P}^d$ vers la variété projective
(cf. ci-dessous pour ce terme) $Y = Z(J)$ où $J$ est l'idéal homogène
engendré par les $g_j$.


%
\subsection{Variétés projectives}

On appelle \textbf{variété projective} un fermé de Zariski $X$ de
$\mathbb{P}^d$, c'est-à-dire un $Z(I)$ pour $I = \mathfrak{I}(X)$ un
certain idéal homogène radical de $k[t_0,\ldots,t_d]$ différent de
$(t_0,\ldots,t_d)$.  Pour définir la structure de variété, on remarque
d'abord que comme $I$ est homogène, on peut définir la notion de
« partie de degré $\ell$ » d'un élément de $k[t_0,\ldots,t_d]/I$ comme
la classe modulo $I$ de la partie de degré $\ell$ de n'importe lequel
de ses représentants ; et d'élément homogène de degré $\ell$ dans
$k[t_0,\ldots,t_d]/I$ (un élément représenté par un polynôme homogène
de degré $\ell$, ou égal à sa partie homogène de degré $\ell$).

On appelle \textbf{anneau gradué (naïf) de $X$ dans $\mathbb{P}^d$}
l'anneau $k[t_0,\ldots,t_d]/I$ (« gradué » signifiant qu'on s'est
donné cette notion d'éléments homogènes de degré $\ell$ pour
chaque $\ell$ avec la décomposition en parties correspondantes, et que
le produit d'un élément homogène de degré $\ell$ et d'un élément de
degré $\ell'$ est, comme pour les polynômes, homogène de
degré $\ell+\ell'$).  On appelle \emph{irrelevant} un idéal de
$k[t_0,\ldots,t_d]/I$ contenant tous les éléments homogène de degré
suffisamment grand, ou, de façon équivalente, dont l'image réciproque
dans $k[t_0,\ldots,t_d]$ est irrelevante.  On peut établir une
correspondance entre fermés de Zariski de $X$ et idéaux homogènes
radicaux non-irrelevants de $k[t_0,\ldots,t_d]/I$ analogue au
Nullstellensatz.  Pour $f \in k[t_0,\ldots,t_d]/I$ on peut définir
l'ouvert principal $D(f)$ (intersection de $D(\tilde f)$, pour $\tilde
f \in k[t_0,\ldots,t_d]$ relevant $f$, avec $X$) ; les $D(f_i)$
recouvrent $X$ lorsque les $f_i$ engendrent un idéal irrelevant
de $k[t_0,\ldots,t_d]/I$ (résultat analogue
à \ref{covering-by-principal-open-sets} et qui découle de façon
analogue du Nullstellensatz projectif).

\underline{Mais, une déception :} comme le mot « naïf » utilisé
ci-dessus, le laisse penser, l'anneau $k[t_0,\ldots,t_d]/I$ souffre de
plusieurs problèmes :
\begin{itemize}
\item Il ne dépend pas que de $X$ mais aussi de son plongement
  dans $\mathbb{P}^d$ (même si c'est un peu difficile à illustrer à ce
  stade, faute de savoir quels sont les morphismes entre variétés
  projectives abstraites ; mais si on admet que $\mathbb{P}^1$ est
  isomorphe à une conique plane telle que celle d'équation homogène
  $x^2 + y^2 - z^2 = 0$ dans $\mathbb{P}^2$ sur un corps de
  caractéristique $\neq 2$, on se rend compte que dans le premier cas
  $k[t_0,t_1]$ n'a que deux éléments homogènes de degré $1$
  linéairement indépendants à savoir $t_0$ et $t_1$, alors que dans le
  second $k[x,y]/(x^2+y^2-z^2)$ en a trois, à savoir $x,y,z$, puisque
  leur relation n'apparaît qu'en degré $2$).
\item Les éléments homogènes de degré zéro de $k[t_0,\ldots,t_d]/I$,
  c'est-à-dire, les constantes, ne sont pas, en général, les seules
  fonctions régulières sur $X$ (car si $X$ n'est pas connexe, penser
  par exemple à $Z(t_0 t_1)$, qui définit la réunion des deux points
  ``$0$'' ($t_1=0$) et ``$\infty$'' ($t_0=0$) dans $\mathbb{P}^1$,
  alors manifestement les fonctions valant une valeur sur un point et
  une autre sur l'autre doivent être régulières).  Plus généralement,
  le problème est que les éléments de degré donné de
  $k[t_0,\ldots,t_d]/I$ ne vérifient pas la propriété de recollement
  (=ne forment pas un « faisceau »).  On pourrait corriger ce problème
  pour construire l'anneau gradué qu'on notera $\bigoplus_{\ell}
  \mathcal{O}(\ell)(X)$, mais il faut travailler un peu.  (On peut
  cependant montrer que, pour $\ell$ suffisamment grand, les éléments
  de $k[t_0,\ldots,t_d]/I$ sont « les bons », et notamment, se
  recollent.)
\item Même une fois ces problèmes pris en compte ou corrigés, les
  morphismes $X \to \mathbb{P}^e$ ne seront toujours pas définis
  simplement par la donnée de $e+1$ éléments de $k[t_0,\ldots,t_d]/I$,
  homogènes de même degré $\ell$, engendrant l'idéal irrelevant.
\end{itemize}

\underline{Conclusion :} pour définir proprement les constructions sur
une variété projectives, on ne peut généralement pas se contenter de
reprendre le travail du cadre affine en remplaçant « affine » par
« projectif » et les anneaux par des anneaux gradués : il faut
généralement travailler \emph{localement}, c'est-à-dire, à partir des
variétés affines dont la variété projective est la réunion.


%
\subsection{Le lien affine-projectif}\label{subsection-affine-vs-projective}

On a déjà signalé que $\mathbb{P}^d$ est la réunion des $d+1$ ouverts
$D(t_0),\ldots,D(t_d)$, qu'on veut considérer comme $d+1$ espaces
affines, ou $d+1$ copies de l'espace affine $\mathbb{A}^d$.  Il faut
considérer que les coordonnées affines sur $D(t_i)$ sont les
$\frac{t_j}{t_i}$ avec $j\neq i$ (ce qui fait $d$ coordonnées).
Notamment :
\begin{itemize}
\item Si $f \in k[t_0,\ldots,t_d]$ est homogène de degré $\ell$,
  l'intersection de $Z(f) \subseteq \mathbb{P}^d$ avec $D(t_i)$ est
  donnée par $Z(\frac{f}{t_i^\ell}) \subseteq \mathbb{A}^d$ en voyant
  $\frac{f}{t_i^\ell}$ comme un polynôme en les $\frac{t_j}{t_i}$.
\item Plus généralement, si $X = Z(I) \subseteq \mathbb{P}^d$ est la
  variété projective définie par un idéal homogène $I$ de
  $k[t_0,\ldots,t_d]$, l'intersection de $X$ avec $D(t_i)$ est la
  variété affine $Z(I_{t_i}) \subseteq \mathbb{A}^d$ où $I_{t_i}$ est
  l'idéal engendré par les $\frac{f_j}{t_i^{\ell_j}}$ pour $f_j$
  parcourant des générateurs homogènes de $I$ et $\ell_j = \deg f_j$
  (l'idéai $I_{t_i}$ ne dépend pas du choix des $f_j$).
\item Bon à savoir : si $I$ est un idéal homogène de
  $k[t_0,\ldots,t_d]$, alors
  $k[\frac{t_0}{t_i},\ldots,\frac{t_d}{t_i}]/I_{t_i}$, où $I_{t_i}$
  est défini ci-dessus, est l'ensemble des éléments homogènes de degré
  zéro de $(k[t_0,\ldots,t_d]/I)[\frac{1}{\bar t_i}]$.  L'un ou
  l'autre, donc, est vu comme l'ensemble des fonctions régulières sur
  $Z(I) \cap D(t_i)$.
\item Une fonction régulière sur $X = Z(I)$ est la donnée d'une
  fonction régulière sur chaque $X \cap D(t_i)$ qui coïncident sur les
  intersections.  C'est-à-dire : pour chaque $i$ on se donne un
  élément $h_i$ de $(k[t_0,\ldots,t_d]/I)[\frac{1}{\bar t_i}]$
  homogène de degré zéro, tel que pour tous $i$ et $j$ les éléments
  $h_i$ et $h_j$ correspondants coïcident dans
  $(k[t_0,\ldots,t_d]/I)[\frac{1}{\bar t_i \bar t_j}]$.  On note
  $\mathcal{O}(X)$ l'ensemble des fonctions régulières sur $X$.
  Concrètement, si $k$ est algébriquement clos, on peut donc voir une
  fonction régulière sur $X$ comme une fonction sur $X(k)$ (à valeurs
  dans $k$) qui sur chaque ouvert affine $X \cap D(t_i)$ est une
  fonction régulière sur cette variété, c'est-à-dire la restriction
  d'une fonction polynomiale en les variables $\frac{t_j}{t_i}$
  (pour $j\neq i$).  En fait, les seules fonctions régulières sur une
  variété projective sont les fonctions constantes sur chaque
  composante connexe (mais ce n'est pas évident).
\item Une « section globale de $\mathcal{O}(\ell)$ sur $X$ » est la
  donnée pour chaque $i$ d'un élément $h_i$ de
  $(k[t_0,\ldots,t_d]/I)[\frac{1}{\bar t_i}]$ homogène de
  degré $\ell$, tels que pour tous $i$ et $j$ les éléments $h_i$ et
  $h_j$ correspondants coïcident dans
  $(k[t_0,\ldots,t_d]/I)[\frac{1}{\bar t_i \bar t_j}]$.  On note
  $\mathcal{O}(\ell)(X)$ l'ensemble de ces sections : tout élément
  homogène de degré $\ell$ de $k[t_0,\ldots,t_d]/I$ définit un élément
  de $\mathcal{O}(\ell)(X)$ (mais il peut y en avoir d'autres, comme
  on l'a signalé déjà pour $\ell=0$).
\item On pourrait également définir les morphismes $X \to
  \mathbb{P}^e$ (donc resp. aussi $X \to Y$ avec $Y$ variété
  projective vue comme $Z(J)$ dans $\mathbb{P}^e$) selon ce procédé :
  avec les notations précédentes, ce serait la donnée de $d+1$
  morphismes $X \cap D(t_i) \to \mathbb{P}^e$ (resp. $X \cap D(t_i)
  \to Y$) qui se recollent, or $X \cap D(t_i)$ est affine donc un
  morphisme $X \cap D(t_i) \to \mathbb{P}^e$ est la même chose qu'un
  élément de $\mathbb{P}^e(\mathcal{O}(X\cap D(t_i)))$ où
  $\mathcal{O}(X\cap D(t_i)) = (k[t_0,\ldots,t_d]/I)[\frac{1}{\bar
      t_i}]$ comme on vient de l'expliquer (resp. un élément de
  $Y(\mathcal{O}(X\cap D(t_i)))$, c'est-à-dire un élément de
  $\mathbb{P}^e(\mathcal{O}(X\cap D(t_i)))$ qui vérifie les équations
  de $Y$).  Ce n'est probablement pas la façon la plus simple de
  procéder !
\end{itemize}

\medbreak

Inversement, donnée une variété affine $X = Z(I)$ où $I$ est un idéal
(radical...) de $k[\tau_1,\ldots,\tau_d]$, on peut définir une variété
projective $X^+ = Z(I^+)$ dont l'idéal $I^+$ est engendré par les $f^+
:= t_0^{\deg f} f(\frac{t_1}{t_0},\ldots,\frac{t_d}{t_0}) \in
k[t_0,\ldots,t_d]$ pour tous les $f\in I$ (c'est-à-dire les polynômes
homogénéisés) : il s'agit précisément de l'adhérence de $X$
dans $\mathbb{P}^d$.  Malheureusement, il ne suffit pas en général de
prendre un ensemble de générateurs de $I$ pour que leurs homogénéisés
engendrent $I^+$ (penser à $I = (\tau_2-\tau_1^2,\; \tau_3-\tau_1^3)$
qui contient $\tau_3-\tau_1\tau_2$ alors que $(t_0 t_2 - t_1^2,\; t_0
t_3 - t_1^3)$ ne contient pas $t_0 t_3-t_1 t_2$, il faut le mettre
explicitement dans $I^+$).  Il y a cependant un cas favorable :
lorsque $X = Z(f)$ est une hypersurface, alors $X^+ = Z(f^+)$.


%
\subsection{Variétés quasiprojectives, morphismes}\label{subsection-quasiprojective-varieties-and-morphisms}

Variété quasiprojective = ouvert d'une variété projective =
intersection d'un ouvert et d'un fermé de $\mathbb{P}^d$.

Si $X$ et $Y$ sont des variétés quasiprojectives, un morphisme $X
\buildrel h\over\to Y$ est la donnée d'un recouvrement de $X$ par des
ouverts affines $X\cap U_i$, d'ouverts affines $Y\cap V_i$ de $Y$
indicés par le même ensemble d'indice, et d'un morphisme de variétés
algébriques affines $X \cap U_i \buildrel h_i\over\to Y\cap V_i$ pour
chaque $i$, tels que les morphismes $h_i$ et $h_j$ coïncident sur $X
\cap U_i \cap U_j$ (ce qui sous-entend, pour commencer, qu'ils
arrivent tous deux dans $Y \cap V_i \cap V_j$).  Remarquons qu'on peut
supposer que les $U_i$ et $V_i$ sont des ouverts principaux,
c'est-à-dire qu'ils sont de la forme $D(f_i)$ et $D(g_i)$ avec
$f_i,g_i$ dans les anneaux gradués naïfs de $X$ et $Y$ (ou, pour
simplifier, de variétés projectives dont $X$ et $Y$ sont des ouverts).

De façon plus concrète, sur un corps algébriquement clos, un morphisme
$X \buildrel h\over\to Y$ se voit comme une fonction $X(k) \to Y(k)$
qui est « localement un morphisme », c'est-à-dire que pour tout point
$x$ de $X(k)$ il y a un voisinage (au sens de Zariski) de $x$ dans $X$
et de $h(x)$ dans $Y$ tel que la restriction de $h$ à ces voisinages
soit un morphisme de variétés algébriques affines (donc, concrètement,
soit définie par des fonctions polynomiales à ceci près qu'on autorise
les dénomiateurs).

\medbreak

On peut également donner une description « globale » des morphismes,
mais elle est peu maniable :
\begin{itemize}
\item Si $X$ est $Z(I)$ (où $I$ est un idéal
  homogène\footnote{Attention, ce genre d'écriture, ici comme
    ailleurs, sous-entend toujours que l'idéal $I$ est radical, sauf
    si on est prêt à considérer $X$ comme un schéma et pas juste comme
    une variété, ce qui dépasse le cadre de ce cours.} de
  $k[t_0,\ldots,t_d]$), un morphisme $X \to \mathbb{P}^e$ peut se
  décrire comme une matrice rectangulaire avec $e+1$ colonnes (le
  nombre de lignes n'étant pas spécifié) dont les entrées sont dans
  $k[t_0,\ldots,t_d]/I$ et (a) engendrent un idéal irrelevant dans cet
  anneau, (b) sont toutes de même degré (ou si on préfère : toutes de
  même degré sur chaque ligne), et (c) dont tous les mineurs $2\times
  2$ s'annulent (cf. la définition de $\mathbb{P}^e(A)$ pour $A$ un
  anneau).
\item Si $X$ est un ouvert \emph{dense} de $Z(I)$ comme ci-dessus
  (rappel : ceci est automatiquement le cas pour un ouvert non vide si
  $I$ est premier donc $Z(I)$ irréductible), ce qu'on peut toujours
  supposer, même description en remplaçant la condition (a) que les
  entrées de la matrice engendrent un idéal irrelevant par celle que
  les $D(f)$ correspondant recouvrent l'ouvert $X$ (pour un ouvert
  strict, cela peut se traduire en disant que l'idéal engendré par les
  éléments de la matrice engendrent un idéal dont le radical contient
  l'idéal $I$).
\item Un morphisme vers une variété projective $Y$ de $\mathbb{P}^e$
  est un morphisme vers $\mathbb{P}^e$ comme ci-dessus avec la
  condition supplémentaire que chaque ligne vérifie les équations
  de $Y$.
\item Enfin, pour un morphisme vers un ouvert d'une variété
  projective, on demande en plus que tous les éléments obtenus en
  appliquant une des équations de l'ouvert (i.e., un des générateurs
  de $J'$ si l'ouvert est le complémentaire de $Z(J')$) à une des
  lignes de la matrice engendre un idéal vérifiant la même condition
  qu'en.
\end{itemize}

\medbreak

\textbf{Exemples :}

¶ On reprend l'exemple donné dans l'introduction, mais rendu
projectif.  Soit $C^+$ le cercle, cette fois projectif, d'équation
$x^2 + y^2 = z^2$ (équation homogénéisée de $x^2 + y^2 = 1$) dans
$\mathbb{P}^2$ de coordonnées homogènes $(z:x:y)$ (sur un corps $k$ de
caractéristique $\neq 2$), et soit le $\mathbb{P}^1$ de coordonnées
$(t_0:t_1)$.  On définit un morphisme $\mathbb{P}^1 \to C^+$ par
$(t_0:t_1) \mapsto (t_0^2+t_1^2 : t_0^2-t_1^2 : 2t_0t_1)$ (c'est bien
l'homogénéisation de $t \mapsto
(\frac{1-t^2}{1+t^2},\frac{2t}{1+t^2})$) : tout d'abord il est clair
que ces équations définissent un morphisme $\mathbb{P}^1 \to
\mathbb{P}^2$ car $t_0^2+t_1^2 , t_0^2-t_1^2 , 2t_0t_1$ engendrent
tous les monômes de degré $2$ donc un idéal irrelevant ; ensuite,
comme $(t_0^2-t_1^2)^2 + (2t_0t_1)^2 = (t_0^2+t_1^2)^2$, ce morphisme
arrive bien dans $C^+$.

Dans l'autre sens : on définit un morphisme $C^+ \to \mathbb{P}^1$ de
la façon suivante : a priori on veut lui donner l'équation $(z:x:y)
\mapsto (x+z:y)$, mais ceci ne définit un morphisme que sur l'ouvert
complémentaire de $Z(x+z,y)$ (c'est-à-dire du point
$(z:x:y)=(1:-1:0)$).  Il faut donc trouver une autre équation, ou
plutôt une autre forme, sur un ouvert qui contienne ce point.  Ce
n'est pas difficile : en se disant que de façon assez générale on a
$(x+z:y) = ((x+z)(x-z):y(x-z)) = (x^2-z^2:y(x-z)) = (-y^2:y(x-z)) =
(y:z-x)$, on va considérer $(z:x:y) \mapsto (y:z-x)$, qui est, cette
fois, défini sur le complémentaire de $Z(y,z-x)$, c'est-à-dire de du
point $(z:x:y) = (1:1:0)$.  Le calcul qu'on vient de faire montre que
$(x+z:y) = (y:z-x)$ sur l'intersection des deux ouverts, donc ces deux
équations se recollent bien en un unique morphisme.

La composée des morphismes qu'on vient de définir est l'identité :
dans le sens $\mathbb{P}^1 \to C^+ \to \mathbb{P}^1$, c'est clair car
l'identité s'obtient bien en recollant $(t_0:t_1) \mapsto (2t_0^2 :
2t_0 t_1)$ et $(t_0:t_1) \mapsto (2t_0 t_1 : 2t_1^2)$.  Dans le sens
$C^+ \to \mathbb{P}^1 \to C^+$, on peut faire des calculs dans
$k[x,y,z]/(x^2+y^2-z^2)$, mais le plus simple est sans doute de se
dire que sur une variété irréductible, pour montrer l'égalité de deux
morphismes vers une variété quasiprojective quelconque, il suffit de
la montrer sur un ouvert non vide quelconque (puisque cet ouvert est
dense), et le calcul est alors simplifié.

\smallbreak

¶ Appelons maintenant $C^\sharp$ la variété d'équations $x_0 x_2 =
x_1^2, \penalty-100\; x_1 x_3 = x_2^2, \penalty-100\; x_0 x_3 = x_1
x_2$ dans $\mathbb{P}^3$ de coordonnées homogènes $(x_0:x_1:x_2:x_3)$,
et considérons le $\mathbb{P}^1$ de coordonnées homogènes $(t_0:t_1)$.
On définit un morphisme $\mathbb{P}^1 \to C^\sharp$ par $(t_0:t_1)
\mapsto (t_0^3: t_0^2 t_1: t_0 t_1^2: t_1^3)$ : ceci définit bien un
morphisme vers $\mathbb{P}^3$ car l'idéal engendré par $(t_0^3, t_0^2
t_1, t_0 t_1^2, t_1^3)$ est irrelevant (ce sont tous les monômes de
degré $3$ !), et il tombe bien dans $C^\sharp$ car $(t_0^3, t_0^2 t_1,
t_0 t_1^2, t_1^3)$ vérifient les équations de $C^\sharp$.

Réciproquement, définissons un morphisme $C^\sharp \to \mathbb{P}^1$ :
il sera donné par les équations $(x_0:\cdots:x_3) \mapsto (x_0:x_1)$
et $(x_0:\cdots:x_3) \mapsto (x_2:x_3)$.  Le fait que ces équations se
recollent bien est assuré par l'équation $x_0 x_3 = x_1 x_2$
sur $C^\sharp$ ; le morphisme est alors défini sur tout $C^\sharp$
puisque $(x_0,x_1,x_2,x_3)$ engendrent un idéal irrelevant.  De
nouveau, on peut vérifier que la composée dans les deux sens est
l'identité.

\smallbreak

¶ Un exemple avec des variétés ouvertes : $\mathbb{A}^{d+1}
\setminus\{(0,0)\} \to \mathbb{P}^d$ donné par $(x_0,\ldots,x_d)
\mapsto (x_0:\cdots:x_d)$.

\medbreak

\begin{thm}\label{projective-to-affine-morphisms-are-constant}
Tout morphisme d'une variété projective connexe vers une variété
affine est constant.  (En particulier, toute fonction régulière sur
une variété projective, c'est-à-dire morphisme vers $\mathbb{A}^1$,
est constant sur chaque composante connexe.)
\end{thm}


%
\subsection{Le polynôme de Hilbert-Samuel}

\begin{thm}\label{hilbert-samuel-polynomial}
Soit $X$ une variété projective dans $\mathbb{P}^d$ (sur un
corps $k$).  Alors pour tout $\ell\in\mathbb{Z}$, le $k$-espace
vectoriel $\mathcal{O}(\ell)(X)$, également noté
$H^0(X,\mathcal{O}(\ell))$, des sections globales de
$\mathcal{O}(\ell)$ sur $X$, est de dimension finie.  Pour $\ell$
assez grand, il s'identifie à l'espace des éléments de degré $\ell$ de
$k[t_0,\ldots,t_d]/I$ si $I = \mathfrak{I}(X)$.  Pour $\ell$ assez
grand, sa dimension est une fonction \emph{polynomiale} de $\ell$ : on
appelle \textbf{polynôme de Hilbert-Samuel} de $X$
(dans $\mathbb{P}^d$) le polynôme auquel elle est égale pour $\ell$
assez grand.
\end{thm}

Le terme dominant du polynôme de Hilbert-Samuel est très
significatif : son degré $d$ sera la \emph{dimension} de $X$ (ceci
peut servir de définition pour $X$ projectif), et le coefficient
devant $\ell^d$ est de la forme $\frac{n_X}{\ell!}$ où $n_X$ est un
entier, appelé \emph{degré} de $X$.

\medbreak

\textbf{Exemple :} Pour $\mathbb{P}^d$, l'espace $H^0(\mathbb{P}^d,
\mathcal{O}(\ell))$ est l'espace vectoriel des polynômes de
degré $\ell$ en $d+1$ indéterminées.  Pour $\ell\geq 0$, sa dimension
vaut
\[
\frac{(\ell+d)!}{\ell!\,d!}
\]
C'est un polynôme de degré $d$ de $\ell$ (donc le polynôme de
Hilbert-Samuel de $\mathbb{P}^d$), dont le terme dominant vaut
$\frac{1}{d!}\ell^d$.

Pour le cercle $Z(x^2+y^2-z^2)$ dans $\mathbb{P}^2$, les polynômes de
degré $\ell$ en $x,y,z$ modulo $z^2$ peuvent se réduire en un polynôme
de degré $\ell$ en $x,y$, plus $z$ fois un polynôme de degré $\ell-1$
en $x,y$ : leur dimension est donc $2\ell+1$ (une base est donnée par
$x^\ell,\penalty100 x^{\ell-1}y,\ldots,\penalty200 y^\ell,\penalty-100
x^{\ell-1}z,\penalty100 x^{\ell-2}yz,\ldots,\penalty200 y^{\ell-1}z$),
donc le polynôme de Hilbert-Samuel vaut $2\ell+1$.


%
\subsection{Produit de variétés}

Si $X$ et $Y$ sont deux variétés quasiprojectives sur $k$, on veut que
leur produit $X\times Y$ vérifie $(X\times Y)(A) = X(A) \times Y(A)$.

Dans l'espace affine, c'est facile : si $X$ est défini par les
équations $f_1,\ldots,f_r$ en les variables $x_1,\ldots,x_d$ et $Y$
par les équations $g_1,\ldots,g_s$ en les variables $y_1,\ldots,y_e$,
alors $X\times Y$ sera défini par les équations $f_1,\ldots,f_r,
\penalty0 g_1,\ldots,g_s$ en les $d+e$ variables $x_1,\ldots,x_d,
\penalty0 y_1,\ldots,y_e$.  En particulier, $\mathbb{A}^d \times
\mathbb{A}^e = \mathbb{A}^{d+e}$.

Pour l'espace projectif, c'est plus compliqué, il faut trouver moyen
de recoller les morceaux : notamment,
\underline{$\mathbb{P}^1\times\mathbb{P}^1$ n'est pas $\mathbb{P}^2$}
(tous deux ressemblent à des complétés de $\mathbb{A}^2$, mais,
moralement, $\mathbb{P}^2$ possède un point à l'infini dans chaque
direction de droites parallèles, alors que
$\mathbb{P}^1\times\mathbb{P}^1$ possède un point à l'infini
$(x,\infty)$ différent pour chaque droite verticale, un $(\infty,y)$
pour chaque droite horizontale, et un unique point à l'infini
$(\infty,\infty)$ commun à toutes les autres droites).

On définit\footnote{Façon de parler, puisque, justement, on ne sait
  pas ce qu'est un produit.} un morphisme $\mathbb{P}^d \times
\mathbb{P}^e \to \mathbb{P}^{de+d+e}$, dit \textbf{plongement de
  Segre}, de la façon suivante :
\[
((x_0:\cdots:x_d),(y_0:\cdots:y_e)) \mapsto
(x_0 y_0:x_0 y_1:\cdots:x_0 y_e:x_1 y_0:\cdots:x_d y_e)
\]
(faire tous les $(d+1)(e+1)$ produits possibles).  Ce morphisme arrive
dans la variété projective $S$ dont les équations sont tous les
mineurs $2\times 2$ de la matrice $(d+1)\times (e+1)$ des coordonnées
homogènes sur $\mathbb{P}^{de+d+e}$.  Réciproquement, on a un
morphisme $S \to \mathbb{P}^d$ donné par $(z_{00}:\cdots:z_{de})
\mapsto (z_{0j}:\cdots:z_{dj})$ pour n'importe quel $j$ (en les
considérant tous à la fois ceci se recolle et définit bien un
morphisme), et de même $S \to \mathbb{P}^e$ par
$(z_{00}:\cdots:z_{de}) \mapsto (z_{i0}:\cdots:z_{ie})$.  Sur un
corps, au moins, ces deux morphismes définissent bien des bijections
réciproques $\mathbb{P}^d(k) \times \mathbb{P}^e(k) \to S(k)$ et $S(k)
\to \mathbb{P}^d(k) \times \mathbb{P}^e(k)$ (car l'annulation des
mineurs $2\times 2$ traduit le fait que la matrice a rang $1$, donc
qu'elle peut s'écrire comme le produit d'un vecteur ligne $(x_i)$ et
d'un vecteur colonne $(y_j)$).  On prendra pour définition du produit
$\mathbb{P}^d \times \mathbb{P}^e$ la variété projective $S$.

(Exemple : le produit $\mathbb{P}^1 \times \mathbb{P}^1$ se voit comme
la surface d'équation $z_{00} z_{11} = z_{01} z_{10}$
dans $\mathbb{P}^3$, c'est-à-dire un paraboloïde hyperbolique.)

Plus généralement, si $X$ et $Y$ sont des variétés projectives dans
$\mathbb{P}^d$ et $\mathbb{P}^e$, on peut définir $X\times Y$ comme un
fermé dans $S$ : pour chaque équation $f(x_0,\ldots,x_d) = 0$ de $X$,
on met une équation $f(z_{0j},\ldots,z_{dj}) = 0$ pour chaque $j$, et
de même pour chaque équation $g(y_0,\ldots,y_e) = 0$ de $Y$, on met
une équation $g(z_{i0},\cdots,z_{ie}) = 0$ pour chaque $i$.


%
\subsection{La dimension}

\textbf{Rappel :} Si $K$ est un corps contenant un corps $k$, on dit
que des éléments $x_i$ de $K$ sont \textbf{algébriquement
  indépendants} (comprendre : « collectivement transcendants »)
sur $k$ lorsque les seuls polynômes $f \in k[t_1,\ldots,t_d]$ tel que
$f(x_{i_1},\ldots,x_{i_d}) = 0$ pour certains $i_1,\ldots,i_d$ deux à
deux distincts sont les polynômes nuls.  Ceci est équivalent au fait
que le sous-corps $k(x_i)$ de $K$ engendré par les $x_i$ avec $k$ est
isomorphe au corps des fractions rationnelles sur autant
d'indéterminées que de $x_i$ (il est plus simple de penser au cas où
les $x_i$ sont en nombre fini, qui nous suffira).  On appelle
\textbf{base de transcendance} de $K$ sur $k$ un ensemble maximal
d'éléments algébriquement indépendants, c'est-à-dire, un ensemble de
$x_i$ algébriquement indépendants sur $k$ et tels que $K$ soit
algébrique sur le sous-corps $k(x_i)$ qu'ils engendrent au-dessus
de $k$.  Une base de transcendance de $K$ sur $k$ existe toujours, et
toutes ont le même cardinal : on appelle celui-ci \textbf{degré de
  transcendance} de $K$ sur $k$ et on le note $\degtrans_k(K)$.

Par exemple, $\degtrans_k k(t_1,\ldots,t_d) = d$ (où
$k(t_1,\ldots,t_d)$ désigne le corps des fractions rationnelles en $d$
indéterminées sur $k$).  Lorsque $K$ est algébrique sur $k$, on a
$\degtrans_k K = 0$ et réciproquement.  Par ailleurs, lorsque $k
\subseteq K \subseteq L$ sont trois corps, on a toujours $\degtrans_k L
= \degtrans_k K + \degtrans_K L$.

\begin{defn}\label{definition-rational-function-and-dimension}
Si $X$ est une variété \emph{irréductible} sur $k$, on appelle
\textbf{fonction rationnelle} sur $X$ une fonction régulière sur un
ouvert non-vide=dense quelconque de $X$, en identifiant deux fonctions
si elles coïncident sur l'intersection de leur domaine de définition ;
on note $k(X)$ l'ensemble des fonctions régulières sur $X$.  Lorsque
$X$ est une variété affine irréductible, $k(X)$ est le corps des
fractions (noté $k(X)$) de $\mathcal{O}(X)$ (=l'anneau des fonctions
régulières sur $X$, qui est intègre).  De façon générale, $k(X)$
coïncide avec $k(U)$ pour n'importe quel ouvert non-vide=dense $U$
de $X$ (on peut donc définir $k(X) = \Frac \mathcal{O}(U)$ pour $U$ un
ouvert affine dense de $X$).

On appelle \textbf{dimension de $X$} le degré de transcendance sur $k$
de $k(X)$.
\end{defn}

Pour $\mathbb{A}^d$ ou $\mathbb{P}^d$, le corps des fractions
rationnelles est $k(t_1,\ldots,t_d)$ et
$k(\frac{t_1}{t_0},\ldots,\frac{t_d}{t_0})$.  La dimension de
$\mathbb{A}^d$ ou $\mathbb{P}^d$ est donc $d$.  De façon générale,
d'après ce qu'on vient de dire, la dimension d'une variété
irréductible est égale à celle de n'importe lequel de ses ouverts
non-vides.

(Lorsque $X$ n'est pas irréductible, on appelle dimension de $X$ la
plus grande dimension d'une composante irréductible de $X$.  Parfois
on convient que la dimension du vide est $-1$.)

\begin{thm}[Hauptidealsatz de Krull]\label{hauptidealsatz}
Soit $X$ une variété irréductible de dimension $d$ et $f \in
\mathcal{O}(X)$ un élément qui n'est pas inversible (c'est-à-dire
$Z(f) \neq\varnothing$) et pas nul.  Alors chaque composante
irréductible de $Z(f)$ est de dimension $d-1$.

Variante projective : si $X$ est une variété irréductible de
dimension $d$ dans $\mathbb{P}^e$ et $f$ homogène non constant (en
$e+1$ variables).  Alors chaque composante irréductible de $X \cap
Z(f)$ est de dimension $d-1$, \emph{et de plus $X \cap Z(f)$ n'est pas
  vide} lorsque $d\geq 1$.
\end{thm}

\begin{cor}
Si $f_1,\ldots,f_r$ sont des polynômes homogènes en $e+1$ variables,
avec $r \leq e$, alors $Z(f_1,\ldots,f_r) \neq \varnothing$,
c'est-à-dire que sur $k$ corps algébriquement clos, les $r$ équations
$f_i=0$ ont une solution (non-nulle) commune.
\end{cor}

De plus, $Z(f_1,\ldots,f_r)$ est de dimension \emph{au moins} $e-r$.
Il peut évidemment être de dimension plus grande (les $f_i$ pourraient
être tous égaux, par exemple).  Lorsqu'il est exactement de dimension
$e-r$, on dit que les $f_i$ sont \emph{en intersection complète}
(projective, globale).  Lorsque c'est le cas, on peut être plus
précis : le terme dominant de la fonction de Hilbert-Samuel de
$Z(f_1,\ldots,f_r)$ est $\frac{\prod_i \deg f_i}{(e-r)!} \ell^{e-r}$.

\begin{cor}
Si $X$ est une variété algébrique (quasiprojective) irréductible de
dimension $d$, alors le seul fermé $Y$ de $X$ tel que $\dim Y = d$ est
$X$ lui-même.  Par ailleurs, il existe toujours des fermés
irréductibles $Y$ de dimension $d-1$ dans $X$.

(Autrement dit, on peut définir la dimension de $X$ comme $1 +
\max\dim Y$ où le $\max$ est pris sur tous les fermés irréductibles
de $X$.)
\end{cor}

\begin{thm}
Si $X$ et $Y$ sont des variétés algébriques (quasiprojectives), alors
$\dim (X\times Y) = \dim X + \dim Y$.  (Remarque : si $X$ et $Y$ sont
irréductibles alors $X \times Y$ l'est.)

Plus généralement : soit $f\colon Z\to X$ un morphisme de variétés
algébriques (quasiprojectives) irréductibles, surjectif (au sens où
pour tout $x \in X(k)$, pour $k$ algébriquement clos, il existe $z \in
Z(k)$ tel que $x = f(z)$, cf. la section suivante), et soit $d = \dim
X$ et $e = \dim Z$.  Alors $e \geq d$, et de plus :
\begin{itemize}
\item Si $x \in X$, alors toute composante de $f^{-1}(x)$ (cf. section
  suivante) est de dimension \emph{au moins} $e-d$.
\item Il existe un ouvert non vide (donc dense) $U \subseteq X$ tel
  que $\dim f^{-1}(x) = e - d$ (au sens où toute composante
  irréductible de $f^{-1}(x)$ a cette dimension) si $x \in U$.
\end{itemize}
\end{thm}


%
\subsection{L'image d'un morphisme}\label{image-of-a-morphism}

Si $X \buildrel f\over\to Y$ est un morphisme entre variétés
quasiprojectives et $Y' \subseteq Y$ un fermé ou un ouvert (ou
l'intersection d'un fermé et d'un ouvert) dans $Y$, il est facile de
définir l'\emph{image réciproque} de $Y'$ par $f$ : il suffit de
« tirer » les équations de $Y'$ de $Y$ à $X$, c'est-à-dire écrire les
équations $h\circ f = 0$ pour chaque équation $h = 0$ de $Y'$ (et
pareil avec $\neq 0$ si on a affaire à un ouvert).

Définir l'\emph{image (directe)} d'un $X' \subseteq X$ est plus
délicat.  Quitte à restreindre $f$ à $X'$, on peut supposer $X' = X$,
et la question devient celle définir l'image de $f$ : notamment, si
$k$ est algébriquement clos, quel est l'ensemble des $y \in Y(k)$ tels
qu'il existe $x \in X(k)$ pour lequel $f(x) = y$ ?

\begin{thm}[Chevalley]\label{image-of-a-morphism-chevalley}
\begin{itemize}
\item L'image d'un morphisme $X \buildrel f\over\to Y$ entre variété
  quasiprojectives est localement fermée dans $Y$, au sens suivant :
  il existe $Y' \subseteq Y$ l'intersection d'un ouvert et d'un fermé
  dans $Y$ (c'est-à-dire une sous-variété quasiprojective de $Y$)
  telle que $Y'(k)$ soit l'ensemble des $y \in Y(k)$ pour lesquels il
  existe $x \in X(k)$ pour lequel $f(x) = y$.
\item Si $X$ est projective, alors l'image d'un morphisme $X \buildrel
  f\over\to Y$ est un \emph{fermé} dans $Y$.
\item Variante : si $X$ est projective et $Y$ quasiprojective, la
  seconde projection $X\times Y \to Y$ est une application fermée au
  sens où l'image d'un fermé de $X \times Y$ dans $Y$ est un fermé.
\end{itemize}
\end{thm}


%
\subsection{Vecteurs tangents et points lisses}
\label{subsection-tangent-vectors-and-smooth-points}

Si $X$ est une variété quasiprojective sur un corps (algébriquement
clos) $k$, on appelle \textbf{vecteur tangent} à $X$ un élément de
$X(k[\varepsilon])$ où $k[\varepsilon]$ est la $k$-algèbre
$k[t]/(t^2)$ (on note $\varepsilon$ la classe de $t$ dans cette
algèbre, c'est-à-dire que $\varepsilon^2 = 0$).  Le \emph{point-base}
de ce vecteur tangent est l'image de cet élément par l'application
$X(k[\varepsilon]) \to X(k)$ qui résulte du morphisme d'anneaux
$k[\varepsilon] \to k$ envoyant $\varepsilon$ sur $0$ ; si $x$ est ce
point base, on dit aussi qu'on a affaire à un vecteur tangent à $X$
\emph{en} $x$.  L'ensemble des vecteurs tangents à $X$ en $x$ est noté
$T_x X$ et s'appelle \emph{espace tangent} à $X$ en $x$.

On peut voir les choses plus concrètement en passant en affine :
l'espace tangent à $X$ en $x$ est le même que l'espace tangent en $x$
à n'importe quel voisinage affine de $x$, donc on peut faire tout
calcul en supposant que $X$ est affine.  Si $X = Z(f_1,\ldots,f_r)$
est défini\footnote{Ce genre d'affirmation, ici et ailleurs,
  sous-entend toujours que l'idéal $(f_1,\ldots,f_r)$ est radical, sauf
  si on est prêt à considérer $X$ comme un schéma et pas juste comme
  une variété, ce qui dépasse le cadre de ce cours.} par les équations
$f_i = 0$ dans $\mathbb{A}^d$ alors un point tangent à $X$ peut
s'écrire $(x_1+v_1 \varepsilon,\ldots, x_d + v_d\varepsilon)$ où
$(x_1,\ldots,x_d) \in X(k)$ (i.e. $f_i(x_1,\ldots,x_d) = 0$ pour
tout $i$) sont les coordonnées du point-base, et où $\sum_{j=1}^d v_j
\frac{\partial f_i}{\partial t_j}(x_1,\ldots,x_d) = 0$ : autrement
dit, les $v_i$ appartiennent au noyau de la matrice des dérivées
partielles des équations de $X$.  Ceci permet de dire, en le voyant
comme le noyau en question, que $T_x X$ est un \emph{espace vectoriel}
pour chaque $x$ donné (implicitement dans cette affirmation il y a
celle que la structure d'espace vectoriel ne dépend pas du voisinage
affine dans lequel on a considéré les coordonnées) ; sa dimension est
$d - r$ où $r$ est le rang de la matrice des $\frac{\partial
  f_i}{\partial t_j}(x_1,\ldots,x_d)$.

\medbreak

\begin{prop}
Si $X$ est une variété irréductible sur un corps $k$ (algébriquement
clos), pour tout $x \in X(k)$ on a $\dim_k T_x X \geq \dim X$.
\end{prop}

Un point $x$ tel que l'espace tangent $T_x X$ à $X$ en ce point soit
d'une dimension (comme espace vectoriel) égale à la dimension de $X$
(comme variété algébrique), c'est-à-dire la dimension maximale que
peut avoir cet espace tangent, est appelé un point \textbf{lisse} (ou
\textbf{régulier}, ou \textbf{nonsingulier}) de $X$.  Lorsque tout
point de $X$ (sur un corps algébriquement clos !) est lisse, on dit
que $X$ lui-même est lisse (ou régulier) (sur son corps de base).

(Pour une variété réductible, un point situé sur une seule composante
irréductible est dit lisse lorsqu'il est lisse sur la composante en
question ; et un point situé sur plusieurs composantes irréductibles à
la fois n'est jamais lisse --- on peut prendre ça comme définition ou
le montrer en prenant comme définition de la lissité le fait que la
dimension de l'espace tangent au point considéré soit égale à la plus
grande dimension d'une composante irréductible passant par ce point.)

\begin{prop}
Soit $X$ une variété quasiprojective sur un corps (algébriquement
clos) $k$ : alors les points lisses de $X(k)$ forment un ouvert de
Zariski.
\end{prop}
\begin{proof}
L'affirmation est locale, donc on peut supposer $X$ affine.  Si $X$
est de codimension $r$ (c'est-à-dire de dimension $d-r$
dans $\mathbb{A}^d$), le fait que $x$ soit lisse se traduit par le
fait que la matrice des dérivées partielles en $x$ des équations
définissant $X$ est de rang \emph{au moins} $r$ (sachant qu'elle ne
peut pas être strictement supérieure).  Or ceci se traduit par le fait
qu'il existe un mineur $r\times r$ de cette matrice qui ne s'annule
pas : la réunion des ouverts définis par tous les mineurs $r\times r$
(qui sont bien polynomiaux dans les variables) donne bien une
condition ouverte de Zariski.
\end{proof}

\begin{rmk}
\begin{itemize}
\item D'après \ref{hauptidealsatz}, une hypersurface $Z(f)$
  dans $\mathbb{A}^d$, pour $f$ non constant, est de dimension $d-1$,
  donc elle est lisse ssi aucun point de $Z(f)$ n'annule simultanément
  les $d$ dérivées partielles de $f$.  Grâce au Nullstellensatz, ceci
  peut encore se reformuler en : $Z(f)$ est lisse ssi les polynômes
  $f$ et $\frac{\partial f}{\partial t_i}$ (soit $d+1$ polynômes au
  total) engendrent l'idéal unité de $k[t_1,\ldots,t_d]$.
\item Variante projective : pour $f$ homogène de degré non nul dans
  $k[t_0,\ldots,t_d]$, on peut montrer que $Z(f) \subseteq
  \mathbb{P}^d$ est lisse ssi les polynômes $\frac{\partial
    f}{\partial t_i}$ n'ont aucun zéro commun sur $k$ (algébriquement
  clos !), car un zéro commun des $\frac{\partial f}{\partial t_i}$
  est forcément zéro de $f = \sum_{i=0}^d t_i \frac{\partial
    f}{\partial t_i}$.  Grâce au Nullstellensatz projectif, on peut
  encore reformuler cela en : les $\frac{\partial f}{\partial t_i}$
  engendrent un idéal irrelevant.
\item Quand $X = Z(f_1,\ldots,f_r)$ (affine, disons
  dans $\mathbb{A}^d$) est définie par plusieurs polynômes
  $f_1,\ldots,f_r$, \emph{si} la matrice $\frac{\partial f_i}{\partial
    t_j}$ est de rang $r$ en un point de $X = Z(f_1,\ldots,f_r)$, on
  peut conclure que ce point est lisse et que $X$ est de
  dimension $d-r$.  En revanche, lorsque le rang est plus petit
  que $r$, on ne peut pas conclure sauf en connaissant la dimension
  de $X$.
\end{itemize}
\end{rmk}

\begin{prop}
Soit $X$ une variété\footnote{Ici, le mot « variété » est
  particulièrement important : beaucoup de définitions ou concepts
  introduits ailleurs fonctionneraient aussi pour un schéma,
  c'est-à-dire un objet défini par un idéal non radical, mais ici ce
  n'est pas le cas.} quasiprojective sur un corps (algébriquement
clos) $k$ : alors il existe un point lisse de $X(k)$ --- par
conséquent, il existe un ouvert dense de points lisses.
\end{prop}

Ceci permet parfois de calculer la dimension d'une variété, en
reformulant en : la dimension d'une variété irréductible $X$ est le
\emph{minimum} des dimensions des espaces vectoriels $T_x X$ (donc,
dans $\mathbb{A}^d$, la codimension est le plus grand rang possible
que prend la matrice des dérivés partielles).

\medbreak

\begin{rmk}
Dans énormément d'énoncés, on a utilisé des expressions comme « soit
  $X = Z(I)$ la variété (blabla) », qui sous-entendent que $I$ est un
idéal \emph{radical} (à savoir $I = \mathfrak{I}(X)$) : ceci est
nécessaire pour éviter de parler de schémas (qui seraient des objets
localement comme « $\Spec k[t_1,\ldots,t_d]/I$ » avec $I$ idéal non
nécessairement radical).  L'inconvénient de cette approche est qu'à
peu près toute manipulation d'équations est subordonnée à la
vérification du fait que celles-ci engendrent un idéal radical, ce qui
est souvent fastidieux.

Voici une bonne nouvelle : un « schéma » lisse est nécessairement
réduit (=est une variété) ; c'est-à-dire, dans un langage qu'on
comprend, que si $f_1,\ldots,f_r \in k[t_1,\ldots,t_d]$, qui ne sont
pas supposés \textit{a priori} engendrer un idéal radical, vérifient
la condition de lissité (=le rang de la matrice $\frac{\partial
  f_i}{\partial t_j}$ vaut partout au moins $d - \dim X$, donc
exactement ce nombre, où $X$ est la variété définie par
$\surd(f_1,\ldots,f_r)$ ; et en particulier s'il vaut partout au moins
$d-r$), alors automatiquement l'idéal $(f_1,\ldots,f_r)$ est radical.

(Par contre, dans ce contexte, on ne peut pas utiliser la proposition
précédente.)
\end{rmk}

\medbreak

\textbf{Un exemple : la cubique gauche.}  On reprend l'exemple étudié
à plusieurs reprises de la cubique gauche, la variété $C$ définie dans
$\mathbb{P}^3$ par $t_0 t_2 = t_1^2$, $t_1 t_3 = t_2^2$ et $t_0 t_3 =
t_1 t_2$.  Sur l'ouvert affine $D(t_0) = \{t_0\neq 0\}$, ses équations
deviennent (en posant $\tau_1 = t_1/t_0$, $\tau_2 = t_2/t_0$ et
$\tau_3 = t_3/t_0$) : $\tau_2 = \tau_1^2$ et $\tau_3 = \tau_1^3$
(l'équation $\tau_1 \tau_3 = \tau_2^2$ est redondante) ; on peut en
conclure que la dimension de cet ouvert affine $C \cap D(t_0)$ est au
moins $3-2 = 1$, en fait il est visiblement isomorphe à $\mathbb{A}^1$
via le morphisme $\tau \mapsto (\tau,\tau^2,\tau^3)$ considéré dans la
section \ref{subsection-morphisms-of-affine-algebraic-varieties}.  (Attention, on
ne peut pas conclure directement que la dimension de $C$ est $3$ à
moins de donner une explication du fait que $C$ est irréductible.)
Par symétrie des variables (remplacer $t_i$ par $t_{3-i}$ partout
conserve les mêmes équations), on peut aussi conclure que $C \cap
D(t_3)$ est de dimension $1$ (et isomorphe à $\mathbb{A}^1$).
Remarquons par ailleurs que « si $t_0=0$ et $t_3=0$ alors $t_1=0$ et
  $t_2=0$ aussi d'après les équations de $C$, ce qui n'est pas
  possible » (plus précisément, l'idéal engendré par $t_0$ et $t_3$ et
les équations de $C$ contient aussi $t_1^2$ et $t_2^2$, c'est donc un
idéal irrelevant), ce qui permet de dire que les ovuerts $D(t_0)$ et
$D(t_3)$ recouvrent $C$.  Donc $C$ est bien de dimension $1$.
S'agissant de la lissité, le fait que $C \cap D(t_0)$ et $C\cap
D(t_3)$ soient isomorphes à $\mathbb{A}^1$ permet de conclure (car
$\mathbb{A}^1$ est lisse), mais on peut vouloir le voir sur les
équations : sur $C \cap D(t_0)$, les dérivées partielles des deux
équations $\tau_2 = \tau_1^2$ et $\tau_3 = \tau_1^3$ sont $(2\tau_1,
1, 0)$ et $(3\tau_1^2, 0, 1)$, donc linéairement indépendantes, ce qui
assure que tout cet ouvert est lisse, et par symétrie des coordonnées,
c'est aussi le cas pour $C \cap D(t_3)$.  On a donc bien affaire à une
courbe (=variété (irréductible ?) de dimension $1$) lisse
dans $\mathbb{P}^3$.

Soit dit en passant, on ne peut pas omettre une des trois équations
utilisées pour définir $C$ : si on omet $t_0 t_2 = t_1^2$, la variété
ainsi obtenue contiendra toute la droite $\{(t_0:t_1:0:0)\}$
d'équation $t_2=t_3=0$ (par exemple le point $(1:1:0:0)$), qui n'est
pas dans $C$, si on omet $t_1 t_3 = t_2^2$ de même (par symétrie) avec
la droite $\{(0:0:t_2:t_3)\}$ d'équation $t_0=t_1=0$ ; et si on omet
$t_0 t_3 = t_1 t_2$, la variété contient toute la droite
$\{(t_0:0:0:t_3)\}$ d'équation $t_1=t_2=0$ (par exemple le point
$(1:0:0:1)$).  Il n'est en fait pas possible de définir $C$ avec
seulement deux équations qui engendrent un idéal radical : en effet,
premièrement, le polynôme de Hilbert-Samuel de $C$ vaut $3\ell+1$ (car
il est facile de voir que les équations de $C$ réduisent deux monômes
$t_0^{d_0} t_1^{d_1} t_2^{d_2} t_3^{d_3}$ exactement lorsqu'ils ont le
même degré total $d_0+d_1+d_2+d_3$ et le même « degré sur $C$ », $d_1
+ 2d_2 + 3d_3$, donc on est ramené à compter les valeurs possibles de
$d_1 + 2d_2 + 3d_3$ connaissant $d_0+d_1+d_2+d_3 = \ell$, et ce sont
tous les entiers entre $0$ et $3\ell$ inclus) ; ceci confirme que la
dimension de $C$ est $1$ mais aussi que son degré (au sens donné par
le coefficient dominant du polynôme de Hilbert-Samuel) vaut $3$ : si
$C$ était définie par deux équations $\mathfrak{I}(C) = (f_1,f_2)$,
donc en intersection complète, on aurait $\deg f_1 \cdot \deg f_2 =
3$, ce qui impose soit $\deg f_1 = 1$ soit $\deg f_2 = 3$, donc $C$
serait une courbe plane, ce qui n'est visiblement pas le cas.

\medbreak

\textbf{Différentielle d'un morphisme.} Si $h\colon X\to Y$ est un
morphisme entre variétés quasiprojectives sur un corps algébriquement
clos $k$ et $x \in X(k)$, on a une application $dh_x\colon T_x X \to
T_{h(x)} Y$ qui est définie formellement par $h(k[\varepsilon]) \colon
X(k[\varepsilon]) \to Y(k[\varepsilon])$ et plus concrètement, si
localement $X$ est défini par des équations $f_1=\cdots=f_r = 0$
dans $\mathbb{A}^d$ (de sorte que $T_x X$ se voit comme l'ensemble des
$(v_i)$ tels que $\sum_{j=1}^d v_j \frac{\partial f_i}{\partial
  t_j}(x_1,\ldots,x_d) = 0$) et $Y$ par $g_1=\cdots=g_s = 0$
dans $\mathbb{A}^e$ (de sorte que $T_y Y$ se voit comme l'ensemble des
$(w_i)$ tels que $\sum_{j=1}^e w_j \frac{\partial g_i}{\partial
  u_j}(y_1,\ldots,y_d) = 0$), et le morphisme $h$ par des polynômes
$(h_1,\ldots,h_e)$ (vérifiant $g_i(h_1,\ldots,h_e) = 0$) envoyant
$(x_1,\ldots,x_d)$ sur $(h_1(x_1,\ldots,x_d),\ldots,\penalty-100
h_e(x_1,\ldots,x_d))$, alors $dh_x$ envoie $(v_1,\ldots,v_d)$ sur
$(w_1,\ldots,w_e)$ où $w_i = \sum_{j=1}^d v_j\frac{\partial
  h_i}{\partial t_j}$ (et la condition souhaitée, $\sum_{i=1}^e w_j
\frac{\partial g_i}{\partial u_j}(y_1,\ldots,y_d) = 0$ est une
conséquence de la formule des dérivées composées appliquée à
$g_i(h_1,\ldots,h_e) = 0$ : on a $\sum_{j=1}^e \frac{\partial
  g_i}{\partial u_j} \frac{\partial h_j}{\partial t_l} = 0$).  Cette
application $dh_x$ est linéaire (pour chaque $x$ donné) : on l'appelle
différentielle du morphisme $h$ au point $x$.

\textbf{Lissité des morphismes.}  On ne définira le concept de
morphisme lisse entre variétés quasiprojectives $X \to Y$ que lorsque
$Y$ elle-même est lisse.  Plus exactement, on dit qu'un morphisme $X
\buildrel h\over\to Y$ est \emph{lisse} en un point $x \in X$ tel que
$Y$ soit lisse en $h(x)$, lorsque $dh_x \colon T_x X \to T_{h(x)} Y$
est \emph{surjective}.  On dit qu'un morphisme $X \to Y$, avec $Y$
lisse, est lisse (partout) lorsque la différentielle est surjective en
tout point.  Une conséquence importante de la lissité de $h$ est que
la fibre $h^{-1}(y)$ est elle-même lisse (en tant que variété, un
fermé à l'intérieur de $X$) pour chaque $y\in Y$.



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\section{Géométrie algébrique sur un corps non algébriquement clos}

\subsection{Crash-course de théorie de Galois}

Rappel : corps parfait = corps de caractéristique $0$ \emph{ou} de
caractéristique $p$ tel que tout élément ait une racine $p$-ième =
corps tel que tout polynôme irréductible soit à racines simples sur la
clôture algébrique.  Exemples : $\mathbb{R}$, $\mathbb{Q}$,
$\mathbb{F}_q$ sont parfaits comme l'est tout corps algébriquement
clos.  Contre-exemple : $\mathbb{F}_p(t)$ n'est pas parfait ($t$ n'a
pas de racine $p$-ième).

Si $k$ est un corps parfait (et qu'on en fixe une fois pour toutes une
clôture algébrique), on note $\Gal(k)$ ou $\Gamma_k$ et on appelle
\textbf{groupe de Galois absolu} de $k$ le groupe des automorphismes
de corps de sa clôture algébrique qui laissent $k$ fixe
(i.e. $\sigma(x) = x$ pour tout $x\in k$).

\textbf{Exemples :} Si $\Gamma_{\mathbb{R}} = \{\id_{\mathbb{C}},
(z\mapsto\bar z)\}$ est le groupe cyclique d'ordre $2$.  Si $k$ est
algébriquement clos, $\Gamma_k$ est trivial.  Si $k = \mathbb{F}_q$
est fini, $\Gamma_{\mathbb{F}_q}$ contient au moins toutes les
puissances $\Frob_q^i \colon x \mapsto x^{q^i}$ du Frobenius
$\Frob_q\colon x \mapsto x^q$ ; il contient en fait d'autres éléments,
mais « en gros » il n'y a que les puissances du Frobenius (au sens :
la restriction de tout $\sigma \in \Gamma_{\mathbb{F}_q}$ à un
$\mathbb{F}_{q^n}$ est de la forme $\Frob_q^i$ pour un certain $i \in
\mathbb{Z}$ (qu'on peut voir dans $\mathbb{Z}/n\mathbb{Z}$ si on
préfère) ; en tout cas, pour voir qu'un élément de $k^{\alg}$ (ou de
n'importe quoi qui sera considéré plus bas) est fixé/stable par
$\Gamma_{\mathbb{F}_q}$, il suffit de vérifier qu'il est fixé/stable
par $\Frob_q$.

\begin{thm}\label{rational-iff-fixed-by-galois}
Si $k$ est un corps parfait de clôture algébrique $k^{\alg}$, un
élément $x$ de $k^{\alg}$ appartient à $k$ si [et seulement si, mais
  ça c'est juste la définition de $\Gamma_k$] on a $\sigma(x) = x$
pour tout $\sigma \in \Gamma_k$.
\end{thm}

Slogan : « rationnel = fixé par Galois ».

Si $k \subseteq K$ est une extension algébrique (on note parfois ça
$K/k$, mauvaise notation car elle fait penser à un quotient), si $k$
est parfait alors $K$ l'est aussi, et $\Gamma_{K}$ est un sous-groupe
de $\Gamma_k$.  Ce sous-groupe est \emph{distingué} exactement lorsque
$\sigma(K) = K$ (c'est-à-dire $K$ est \emph{globalement} stable
par $\sigma$, pas nécessairement fixé point à point) pour tout
$\sigma\in\Gamma_k$ : dans ce cas on dit que $K$ est une
\textbf{extension galoisienne} de $k$, et on pose $\Gal(k\subseteq K)
= \Gamma_k/\Gamma_{K}$, qui s'appelle groupe de Galois de l'extension
$k \subseteq K$.  Il peut se voir comme l'ensemble des automorphismes
de $K$ laissant $k$ fixe.  Remarque : si $\Gamma_k$ est abélien (c'est
le cas de $\mathbb{F}_q$), \emph{toute} extension algébrique de $k$
est galoisienne.

\begin{thm}
\begin{itemize}
\item Si $k\subseteq K$ est une extension finie (donc algébrique)
  galoisienne, alors un élément $x$ de $K$ appartient à $k$ si [et
    seulement si] on a $\sigma(x) = x$ pour tout $\sigma \in
  \Gal(k\subseteq K)$.  De plus, il y a une bijection entre extensions
  intermédiaires $k \subseteq E \subseteq K$ et sous-groupes de
  $\Gal(k\subseteq K)$ donnée par $E \mapsto \Gamma_E/\Gamma_K =
  \Gal(E\subseteq K)$ et réciproquement $H \mapsto \{x \in K
  :\penalty-100 (\forall \sigma \in H)\, \sigma(x)=x\}$.  (Note :
  l'extension $E \subseteq K$ est toujours galoisienne (on rappelle
  que $k \subseteq K$ était supposée l'être !), et $k \subseteq E$
  l'est lorsque $\Gal(E\subseteq K)$ est distingué dans
  $\Gal(k\subseteq K)$.)
\item Version absolue : pour $k$ parfait, il y a une bijection entre
  les extensions finies (et en particulier, algébriques) $k\subseteq
  K$ de $k$ dans une clôture algébrique $k^{\alg}$ fixée, et les
  sous-groupes de $\Gamma_k$ qui sont « ouverts » au sens où ils
  contiennent un $\Gamma_{k'}$ pour $k'$ extension finie de $k$.
\end{itemize}
\end{thm}

La première partie du résultat suivant est une conséquence triviale
de \ref{rational-iff-fixed-by-galois}, la seconde est beaucoup plus
subtile.
\begin{thm}
Pour $k$ parfait :
\begin{itemize}
\item Si $x \in \mathbb{A}^d(k^{\alg})$ est fixé par $\Gamma_k$, alors
  $x \in \mathbb{A}^d(k)$ (au sens où ses coordonnées affines sont
  dans $k$).
\item Si $x \in \mathbb{P}^d(k^{\alg})$ est fixé par $\Gamma_k$, alors
  $x \in \mathbb{P}^d(k)$ (au sens où \emph{il admet} des coordonnées
  homogènes dans $k$).
\end{itemize}
\end{thm}



\subsection{Variétés sur un corps non algébriquement clos}

Soit $k$ un corps parfait.  Si $I$ est un idéal de
$k[t_1,\ldots,t_d]$, on définit l'idéal $I_{k^{\alg}} := I\cdot
k^{\alg}[t_1,\ldots,t_d]$ engendré par $I$ dans
$k^{\alg}[t_1,\ldots,t_d]$.

\begin{prop}
\begin{itemize}
\item L'idéal $I_{k^{\alg}}$ est radical si et seulement si $I$ l'est.
\item Un idéal $J$ de $k^{\alg}[t_1,\ldots,t_d]$ est de la forme
  $I_{k^{\alg}}$ pour $I$ idéal de $k[t_1,\ldots,t_d]$ si et seulement
  si $\sigma(J) = J$ pour tout $\sigma \in \Gamma_k$.  Lorsque c'est
  le cas, $I = J \cap k[t_1,\ldots,t_d]$.
\item Lorsque $J$ est radical, c'est le cas (=$J$ est de la
  forme $I_{k^{\alg}}$) si et seulement si $\sigma(Z(J)) = Z(J)$ (où
  ici $Z(J)$ désigne $Z(J)(k^{\alg})$, les $k^{\alg}$-points
  de $Z(J)$).  Remarque : $Z(J)(k^{\alg}) = Z(I)(k^{\alg})$.
\item On a des bijections réciproques, décroissantes pour l'inclusion,
  entre idéaux radicaux de $k[t_1,\ldots,t_d]$ et fermés de Zariski de
  $\mathbb{A}^d(k^{\alg})$ stables par Galois, donnée par $I \mapsto
  Z(I_{k^{\alg}})(k^{\alg})$ et $E \mapsto \mathfrak{I}(E) \cap
  k[t_1,\ldots,t_d]$.
\end{itemize}
\end{prop}

On qualifiera un fermé de Zariski $X$ de $\mathbb{A}^d(k^{\alg})$
stable par Galois de $k$-variété algébrique affine (moralité : c'est
une variété dont les équations peuvent être définies sur $k$), et on
considère que $Z(I)$ désigne cette variété $X$ (et pas juste
l'ensemble des points sur $k$).  On a alors effectivement un ensemble
de $k$-points $X(k) = Z(I)(k)$ : concrètement, ce sont les points dont
les coordonnées affines sont dans $k$, c'est-à-dire, sont fixées par
Galois ; mais \emph{attention}, cet ensemble peut très bien être vide
sans que $X$ le soit (car le Nullstellensatz ne fonctionne que sur un
corps algébriquement clos).  Par exemple, $Z(x^2+y^2+1) \subseteq
\mathbb{A}^2$ définit une variété algébrique affine sur $\mathbb{R}$
qui n'a aucun $\mathbb{R}$-point.

La même chose fonctionne en projectif : on a des bijections
réciproques, décroissantes pour l'inclusion, entre idéaux homogènes
radicaux de $k[t_0,\ldots,t_d]$ autres que $(t_0,\ldots,t_d)$ et
fermés de Zariski de $\mathbb{P}^d(k^{\alg})$ stables par Galois,
donnée par $I \mapsto Z(I_{k^{\alg}})(k^{\alg})$ et $E \mapsto
\mathfrak{I}(E) \cap k[t_0,\ldots,t_d]$.

On appelle variété quasiprojective sur $k$ une variété quasiprojective
$X$ (dans $\mathbb{P}^d$) sur $k^{\alg}$ qui soit stable par Galois
(moralité : c'est une variété dont les équations peuvent être définies
sur $k$).  On peut donc définir une action de Galois sur
$X(k^{\alg})$, et $X(k)$ est l'ensemble des points fixés par Galois
(et pour toute extension $k'$ de $k$, l'ensemble $X(k')$ est le
sous-ensemble de $X(k^{\alg})$ fixé par $\Gamma_{k'}$).

Pour éviter les confusions, on note souvent $X_{k^{\alg}}$ la variété
sur $k^{\alg}$ définie par $X$ (c'est-à-dire celle où on oublie la
structure sur $k$ / l'action de Galois).

\medbreak

\underline{Attention :} si un idéal $I \subseteq k[t_1,\ldots,t_d]$ est premier
(cela signifie qu'il est radical et que la variété $X = Z(I) \subseteq
\mathbb{A}^d$ définie sur $k$ est irréductible au sens où elle n'est
pas réunion de deux fermés plus petits définis sur $k$), cela
n'implique pas que $I_{k^{\alg}}$ soit premier, c'est-à-dire que
$X_{k^{\alg}}$ soit irréductible ; par contre, la réciproque est
vraie.  On dit parfois que $X$ est \emph{absolument irréducible} ou
\emph{géométriquement irréductible} lorsque $X_{k^{\alg}}$ est
irréductible.  Contre-exemple : $Z(x^2+y^2)$ dans $\mathbb{A}^2$
sur $\mathbb{R}$ n'est pas absolument irréductible puisque sur
$\mathbb{C}$ il est réunion des deux droites $Z(x+iy)$ et $Z(x-iy)$,
mais sur $\mathbb{R}$ il est irréductible car tout fermé défini
sur $\mathbb{R}$ qui contient une de ces droites doit contenir
l'autre.

\medbreak

Quant aux idéaux \emph{maximaux} de $k[t_1,\ldots,t_d]$, ils
correspondent aux \emph{orbites} sous $\Gamma_k$, c'est-à-dire aux
ensembles (nécessairement finis) de $k^{\alg}$-points tels que
n'importe lequel puisse être envoyé sur n'importe lequel par un
élément de $\Gamma_k$ (c'est-à-dire, si on préfère, qu'aucun
sous-ensemble non-vide n'est stable par $\Gamma_k$).  (On peut, si on
le souhaite, considérer que ce sont là les « points » de l'espace
affine $\mathbb{A}^d$, auquel cas on les appelle « points fermés »
pour bien les distinguer des « $k$-points », c'est-à-dire les éléments
de $k^d$, ou orbites réduites à un seul élément.)  Une remarque
analogue vaut pour des variétés algébriques sur $k$ plus générales :
les idéaux maximaux de $k[t_1,\ldots,t_d]/I$, pour $I$ idéal radical
de $k[t_1,\ldots,t_d]$, correspondent aux orbites sous $\Gamma_k$ de
$Z(I)(k^{\alg})$.



\subsection{Morphismes entre icelles}

Si $X$ et $Y$ sont deux variétés quasiprojectives sur un corps
parfait $k$, un morphisme $X_{k^{\alg}} \buildrel f\over\to
Y_{k^{\alg}}$ sera considéré comme un morphisme $X \to Y$ de
$k$-variétés lorsqu'il vérifie les conditions équivalentes suivantes :
\begin{itemize}
\item Il existe des équations à coefficients dans $k$ définissant $f$.
\item Le morphisme $f$ commute à l'action de Galois, au sens où
  $\sigma(f(x)) = f(\sigma(x))$ pour tout $x \in X(k^{\alg})$.
\end{itemize}

(Cas particulier éclairant : si $f \in \mathbb{F}_{q^n}[t]$, alors
$f(t)^q = f(t^q)$ si et seulement si $f \in \mathbb{F}_q[t]$.)

En particulier, $f$ définit une application $X(k) \to Y(k)$, mais la
donnée de celle-ci \emph{ne suffit pas} à caractériser $f$ (penser au
fait que $X(k)$ peut très bien être vide !).

On peut aussi caractériser les morphismes $X \to Y$ de $k$-variétés
comme les données pour toute $k$-algèbre $A$ d'un application $X(A)
\buildrel f(A)\over\to Y(A)$ telle que : si $A \buildrel\psi\over\to
A'$ est un morphisme de $k$-algèbres, alors les deux composées $X(A)
\buildrel X(\psi)\over\to X(A') \buildrel f(A')\over\to Y(A')$ et
$X(A) \buildrel f(A)\over\to Y(A) \buildrel Y(\psi)\over\to Y(A')$
coïncident (cf. lemme de Yoneda).

\medbreak

Pour les fonctions régulières, on a ce qu'on imagine : un morphisme $X
\to \mathbb{A}^1$ est la même chose qu'une fonction régulière sur
$X_{k^{\alg}}$ stable par Galois, et c'est ce qu'on appelle une
fonction régulière sur $X$.  Lorsque $X = Z(I) \subseteq \mathbb{A}^d$
est affine (avec $I = \mathfrak{I}(X)$ idéal de $k[t_1,\ldots,t_d]$),
les fonctions régulières sur $X$ sont les éléments de
$k[t_1,\ldots,t_d]/I$.  En général, on peut toujours définir une
fonction régulière sur $X$ par recollement de fonctions régulières sur
des ouverts affines (c'est-à-dire : on peut le faire \emph{sur $k$},
il n'y a pas besoin de passer à la clôture algébrique).



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\section{Introduction aux bases de Gröbner}

\subsection{Monômes et idéaux monomiaux}

On appelle \textbf{monôme} de $k[t_1,\ldots,t_d]$ un
$t_1^{\ell_1}\cdots t_d^{\ell_d}$.  On dit qu'un monôme
$t_1^{\ell_1}\cdots t_d^{\ell_d}$ \textbf{divise} un monôme
$t_1^{\ell'_1}\cdots t_d^{\ell'_d}$ lorsque $\ell_i \leq \ell'_i$ pour
tout $i$ (c'est bien la relation de divisibilité dans l'anneau
factoriel $k[t_1,\ldots,t_d]$, restreinte aux monômes, et le rapport
est alors lui-même un monôme).  Un \textbf{terme} est un monôme
multiplié par une constante (=élément de $k$) non nulle : on parle
alors du monôme \emph{de} ce terme.  Tout polynôme s'écrit de façon
unique comme somme de termes dont les monômes sont distincts : ce sont
les termes de (=intervenant dans) ce polynôme.

Commençons par la remarque suivante, qui est évidente, mais
essentielle :
\begin{prop}\label{divisibility-of-monomials}
Si $s_1,\ldots,s_r$ sont des monômes de $k[t_1,\ldots,t_d]$, alors
pour chaque terme $c s$ de $g_1 s_1 + \cdots + g_r s_r$ (où
$g_1,\ldots,g_r \in k[t_1,\ldots,t_d]$) le monôme $s$ de ce terme est
divisible par l'un des $s_i$.
\end{prop}
\begin{proof}
En développant l'écriture $g_1 s_1 + \cdots + g_r s_r$, puisque la
somme comporte le terme $c s$, au moins un des facteurs comporte un
terme dont le monôme est $s$, ce qui montre bien que $s$ est divisible
par un des $s_i$.
\end{proof}

\begin{cor}
Si $s_1,\ldots,s_r$ sont des monômes de $k[t_1,\ldots,t_d]$, l'idéal
qu'ils engendrent est exactement l'idéal des polynômes dont le monôme
de chaque terme est divisible par un des $s_i$.
\end{cor}
\begin{proof}
On vient de montrer que si $f$ est dans $(s_1,\ldots,s_r)$ alors le
monôme de chaque terme de $f$ est divisible par un des $s_i$.
Réciproquement, si c'est le cas, $f$ est somme de termes multiples
des $s_i$, qui appartiennent donc à l'idéal engendré par les $s_i$.
\end{proof}

On appelle \textbf{idéal monomial} un idéal de $k[t_1,\ldots,t_d]$ qui
peut être engendré par des monômes : le corollaire ci-dessus montre
que si $I$ est un idéal monomial, alors tout terme d'un élément de $I$
est encore un élément de $I$.  Réciproquement, si $I$ est un idéal tel
que tout terme d'un élément de $I$ soit un élément de $I$, alors $I$
est monomial (en effet, on peut choisir un ensemble de générateurs
de $I$, et les monômes des termes de ces générateurs donnent des
éléments de $I$ qui engendrent les générateurs choisis, donc
engendrent $I$).



%
\subsection{Ordres admissibles sur les monômes}

On appelle \textbf{ordre admissible} (ou \textbf{ordre monomial}) sur
les monômes de $k[t_1,\ldots,t_d]$ une relation d'ordre total
$\preceq$ sur les monômes de ce dernier telle que :
\begin{itemize}
\item $1 \preceq s$ pour tout monôme $s$, et
\item si $s_1 \preceq s_2$ et $s$ est un monôme quelconque, alors $s
  s_1 \preceq s s_2$.
\end{itemize}
(On notera souvent abusivement $c s \preceq c' s'$, lorsque $cs, c's'$
sont deux termes, pour signifier que leurs monômes vérifient $s
\preceq s'$.)

\begin{prop}\label{properties-of-admissible-orders}
Si $\preceq$ est un ordre admissible sur les monômes de
$k[t_1,\ldots,t_d]$, alors
\begin{itemize}
\item si $s_1 | s_2$ alors $s_1 \preceq s_2$,
\item $\preceq$ est un bon ordre (c'est-à-dire : tout ensemble non
  vide de monômes a un plus petit élément pour $\preceq$, ou de façon
  équivalente, il n'y a pas de suite infinie strictement décroissante
  de monômes pour $\preceq$).
\end{itemize}
\end{prop}
\begin{proof}
Le premier point est évident : si $s_2 = s s_1$ alors $1 \preceq s$
entraîne $s_1 \preceq s s_1 = s_2$.  Montrons le second : si $S$ est
un ensemble de monômes, soit $I$ l'idéal qu'ils engendrent ; comme
$k[t_1,\ldots,t_d]$ est noethérien, il existe un sous-ensemble fini
$S_0 \subseteq S$ qui engendre le même idéal $I$.  Soit $s$ le plus
petit élément de $S_0$ : on prétend que $s$ est aussi le plus petit
élément de $S$.  En effet, si $s' \in S$ alors $s' \in I$ donc $s'$
s'écrit comme combinaison d'éléments de $S_0$, mais alors
d'après \ref{divisibility-of-monomials}, $s'$ est simplement multiple d'un
élément de $S_0$, et d'après le premier point, $s\preceq s'$, ce qui
conclut.
\end{proof}

Lorsque $d=1$, le seul ordre admissible sur les monômes est évidemment
celui donné par $t^\ell \preceq t^{\ell'}$ ssi $\ell \leq \ell'$.

Une fois fixé un ordre admissible $\preceq$ sur les monômes, si $f \in
k[t_1,\ldots,t_d]$ est non nul, on note $\init_{\preceq}(f)$ (ou
simplement $\init(f)$ si l'ordre est sous-entendu) et on appelle
\textbf{terme initial} (ou \textbf{terme de tête}) de $f$ le terme au
\emph{plus grand} monôme pour l'ordre en question.  (Lorsque $d=1$,
pour le seul ordre admissible sur les monômes, ceci est simplement le
terme dominant de $f$.)  Si $f=0$ on pose (un peu abusivement)
$\init(f) = 0$.

\medbreak

Exemples importants d'ordres admissibles sur les monômes : (on
supposera toujours, quitte à renuméroter les variables, que $t_1
\preceq t_2 \preceq \cdots \preceq t_d$) :

* L'\textbf{ordre lexicographique (pur)} est défini par $t_1^{\ell_1}
\cdots t_d^{\ell_d} \mathrel{\preceq_{\mathtt{lex}}} t_1^{\ell'_1}
\cdots t_d^{\ell'_d}$ ssi $\ell_i < \ell'_i$ pour le \emph{plus
  grand} $i$ tel que $\ell_i \neq \ell'_i$.  Pour cet ordre on a donc
$1 \preceq t_1 \preceq t_1^2 \preceq t_1^3 \preceq \cdots \preceq t_2
\preceq t_1 t_2 \preceq t_1^2 t_2 \preceq \cdots \preceq t_2^2 \preceq
t_1 t_2^2 \preceq \cdots \preceq t_2^3 \preceq \cdots \preceq t_3
\preceq t_1 t_3 \preceq t_1^2 t_3 \preceq \cdots \preceq t_2 t_3
\preceq t_1 t_2 t_3 \preceq \cdots \preceq t_3^2 \preceq \cdots
\preceq t_4 \preceq \cdots$.  (Attention, l'ordre donne le poids fort
à l'exposant de la dernière variable, ce qui correspond à la
convention faite $t_1 \preceq t_2 \preceq \cdots \preceq t_d$ ; plus
généralement, tout ordre total sur l'ensemble des variables définit un
unique ordre lexicographique pur associé.)

\emph{Caractérisation :} Si $\init_{\mathtt{lex}}(f) \in
k[t_1,\ldots,t_s]$ (pour un $s\leq d$) alors $f \in
k[t_1,\ldots,t_s]$.

* L'\textbf{ordre lexicographique par degré} ou \textbf{ordre
  lexicographique gradué} est défini par $t_1^{\ell_1} \cdots
t_d^{\ell_d} \mathrel{\preceq_{\mathtt{glex}}} t_1^{\ell'_1} \cdots
t_d^{\ell'_d}$ ssi $\sum \ell_i < \sum \ell'_i$ ou $\sum \ell_i = \sum
\ell'_i$ et $\ell_i < \ell'_i$ pour le \emph{plus grand} $i$ tel que
$\ell_i \neq \ell'_i$.  Autrement dit, les monômes sont classés par
degré total en priorité puis, faute de cela, par l'ordre
lexicographique pur défini ci-dessus.  Pour cet ordre, on a donc $1
\preceq t_1 \preceq t_2 \preceq t_3 \preceq t_4 \preceq \cdots \preceq
t_1^2 \preceq t_1 t_2 \preceq t_2^2 \preceq t_1 t_3 \preceq t_2 t_3
\preceq t_3^2 \preceq \cdots \preceq t_1^3 \preceq t_1^2 t_2 \preceq
t_1 t_2^2 \preceq t_2^3 \preceq t_1^2 t_3 \preceq t_1 t_2 t_3 \preceq
\cdots$.  (Même remarque que ci-dessus : il y a un tel ordre pour
chaque ordre total sur les variables.)

\emph{Caractérisation :} L'ordre $\mathrel{\preceq_{\mathtt{glex}}}$
raffine l'ordre partiel donné par le degré total ; et si $f$ homogène
vérifie $\init_{\mathtt{glex}}(f) \in k[t_1,\ldots,t_s]$ (pour
un $s\leq d$) alors $f \in k[t_1,\ldots,t_s]$.

* L'\textbf{ordre lexicographique inversé par degré} (ou
\textbf{...gradué}) est défini par $t_1^{\ell_1} \cdots t_d^{\ell_d}
\mathrel{\preceq_{\mathtt{grevlex}}} t_1^{\ell'_1} \cdots
t_d^{\ell'_d}$ ssi $\sum \ell_i < \sum \ell'_i$ ou $\sum \ell_i = \sum
\ell'_i$ et $\ell_i > \ell'_i$ (attention au sens !) pour le
\emph{plus petit} $i$ tel que $\ell_i \neq \ell'_i$.  Pour cet ordre,
on a donc $1 \preceq t_1 \preceq t_2 \preceq t_3 \preceq t_4 \preceq
\cdots \preceq t_1^2 \preceq t_1 t_2 \preceq t_1 t_3 \preceq t_1 t_4
\preceq \cdots \preceq t_2^2 \preceq t_2 t_3 \preceq \cdots \preceq
t_3^2 \preceq \cdots \preceq t_1^3 \preceq t_1^2 t_2 \preceq t_1^2 t_3
\preceq \cdots \preceq t_1 t_2^2 \preceq t_1 t_2 t_3 \preceq \cdots
\preceq t_2^3 \preceq \cdots$.  (Même remarque que ci-dessus : il y a
un tel ordre pour chaque ordre total sur les variables.  De plus,
$\mathrel{\preceq_{\mathtt{grevlex}}}$ et
$\mathrel{\preceq_{\mathtt{glex}}}$ coïncident lorsqu'il n'y a que
deux variables, une fois fixé l'ordre entre celles-ci.)

\emph{Caractérisation :} L'ordre
$\mathrel{\preceq_{\mathtt{grevlex}}}$ raffine l'ordre partiel donné
par le degré total ; et si $f$ homogène vérifie
$\init_{\mathtt{grevlex}}(f) \in (t_1,\ldots,t_s)$ (pour un $s\leq d$)
alors $f \in (t_1,\ldots,t_s)$.


%
\subsection{Bases de Gröbner}

Si $I$ est un idéal de $k[t_1,\ldots,t_d]$ (et $\preceq$ un ordre
admissible), on appelle $\init_{\preceq}(I)$ l'idéal engendré par les
$\init_{\preceq}(f)$ pour tous les $f\in I$ (c'est donc un idéal
monomial).  Attention ! il n'y a aucune raison que prendre les
$\init_{\preceq}(f)$ pour $f$ parcourant des générateur de $I$ suffise
à engendrer $\init_{\preceq}(I)$.

\begin{defn}
Si $I$ est un idéal de $k[t_1,\ldots,t_d]$ et $\preceq$ un ordre
admissible sur les monômes de ce dernier, on appelle \textbf{base de
  Gröbner} de $I$ un ensemble $f_1,\ldots,f_r$ d'éléments de $I$ tels
que $\init_{\preceq}(f_1),\ldots,\init_{\preceq}(f_r)$
engendrent $\init_{\preceq}(I)$.
\end{defn}

A priori, rien ne dit que $f_1,\ldots,f_r$ engendrent $I$.  C'est
pourtant le cas :
\begin{prop}
Dans les conditions ci-dessus, on a $I = (f_1,\ldots,f_r)$.
\end{prop}
\begin{proof}
On a $I \supseteq (f_1,\ldots,f_r)$ puisque les $f_i$ sont supposés
dans $I$.  Supposons maintenant qu'il n'y ait pas égalité.  Soit $h
\in I$ un polynôme avec le monôme dans $\init(h)$ le plus petit
possible (pour $\preceq$) tel que $h \not\in (f_1,\ldots,f_r)$.
Puisque $\init(h) \in \init(I)$, on peut écrire $\init(h) = g_1
\init(f_1) + \cdots + g_r \init(f_r)$ par l'hypothèse faite sur
les $f_i$ (pour certains $g_1,\ldots,g_r$).
D'après \ref{divisibility-of-monomials}, ceci montre que $\init(h) = c s
\init(f_i)$ pour un certain monôme $s$ et $c$ une constante.  On a
alors $s f_i \in I$, et $\init(c s f_i) = c s \init(f_i) = \init(h)$,
donc $h - c s f_i$, qui appartient à $I$, a un terme initial de monôme
strictement plus petit que $h$, donc par minimalité de ce dernier, $h
- c s f_i \in (f_1,\ldots,f_r)$.  Mais alors $h \in (f_1,\ldots,f_r)$,
une contradiction.
\end{proof}

Une évidence : tout idéal admet une base de Gröbner.  En effet, parmi
les $\init(f)$ pour $f\in I$ qui engendrent $\init(I)$ on peut
extraire un ensemble fini engendrant $\init(I)$ --- il s'agit d'une
base de Gröbner de $I$.

\begin{algo}[algorithme de division]\label{division-algorithm}
Soient $f,f_1,\ldots,f_r \in k[t_1,\ldots,t_d]$ et $\preceq$ un ordre
admissible sur les monômes.  Alors il existe une écriture
\[
f = g_1 f_1 + \cdots + g_r f_r + \rho
\tag{$*$}
\]
où $g_1,\ldots,g_r,\rho \in k[t_1,\ldots,t_d]$, où aucun des monômes
de $\rho$ n'est divisible par un des $\init(f_i)$, et où $\init(g_i
f_i) \preceq \init(f)$ pour chaque $i$ ; et on va donner un algorithme
pour calculer cette écriture ; un tel $\rho$ s'appelle un
\textbf{reste} de $f$ par rapport au $f_1,\ldots,f_r$ et pour l'ordre
monomial $\preceq$ (on dit aussi que l'écriture ($*$) s'appelle une
\textbf{écriture standard} de $f$ par rapport aux $f_1,\ldots,f_r$ et
pour cet ordre monomial).

Lorsque les $f_1,\ldots,f_r$ forment une base de Gröbner (d'un
idéal $I = (f_1,\ldots,f_r)$), on a $f \in (f_1,\ldots,f_r)$ si et
seulement si $\rho = 0$, et $\rho$ est défini de façon unique par $f$.
\end{algo}

\begin{proof}[Description de l'algorithme]
Si aucun terme de $f$ n'est divisible par aucun des $\init(f_i)$,
retourner $\rho = f$ (et tous les $g_i = 0$).  Sinon, soit $c s
\init(f_i)$ (où $c\neq 0$ est une constante et $s$ un monôme) le
$\preceq$-plus grand terme de $f$ qui soit divisible par un
des $\init(f_i)$ : on applique récursivement l'algorithme à $f' = f -
c s f_i$ (qui vérifie $\init(f') \preceq \init(f)$), si $f' = g'_1 f_1
+ \cdots + g'_r f_r + \rho'$ est le résultat, renvoyer $g_j = g'_j$
sauf $g_i = g'_i + c s$, et $\rho = \rho'$.
\end{proof}

\begin{proof}
L'algorithme termine car le $\preceq$-plus grand monôme de $f$
divisible par un des $\init(f_i)$ décroît strictement à chaque
itération, or $\preceq$ est un bon ordre
(cf. \ref{properties-of-admissible-orders}).  La propriété sur $\rho$
est évidente.  La propriété $\init(g_j f_j) \preceq \init(f)$ découle
par induction de $\init(g'_j f_j) \preceq \init(f') \preceq \init(f)$
et $\init(c s f_i) = c s \init(f_i) = c\init(f)$.

Si $\rho = 0$, le fait que $f \in (f_1,\ldots,f_r)$ est trivial.  Si
$f_1,\ldots,f_r$ forment une base de Gröbner et $f \in
(f_1,\ldots,f_r)$, comme on a aussi $\rho \in (f_1,\ldots,f_r)$, alors
$\init(\rho) \in (\init(f_1),\ldots,\init(f_r))$, ce qui vu le fait
qu'aucun monôme de $\rho$ n'est divisible par un des $\init(f_i)$,
n'est possible que si $\rho = 0$ (cf. \ref{divisibility-of-monomials}) ; de
même, si $\rho$ et $\rho'$ sont deux restes différents du même $f$,
disons $f = g_1 f_1 + \cdots + g_r f_r + \rho$ et $f = g'_1 f_1 +
\cdots + g'_r f_r + \rho'$, alors $(g'_1-g_1) f_1 + \cdots +
(g'_r-g_r) f_r + (\rho'-\rho)$ est une écriture standard de $0$, donc
$\rho'=\rho$.
\end{proof}

\textbf{Moralité :} Connaître une base de Gröbner d'un idéal $I$
permet de répondre à la question de savoir si $f\in I$ pour un idéal
donné.  Mieux, si $(f_1,\ldots,f_r)$ est cette base de Gröbner,
l'ensemble des classes des monômes qui ne sont divisibles par aucun
des $\init(f_i)$ constitue une base de $k[t_1,\ldots,t_d]/I$, ce qui,
avec l'algorithme de division, permet de calculer dans l'anneau en
question.

Lorsque $f_1,\ldots,f_r$ ne forment pas une base de Gröbner, on peut
très bien avoir $\rho \neq 0$ et pourtant que $\rho$
(c'est-à-dire, $f$) appartienne à l'idéal $(f_1,\ldots,f_r)$.  Par
exemple, pour deux polynômes, $g_1 f_1 + g_2 f_2$ pourrait avoir un
coefficient initial beaucoup plus petit que ceux de $f_1,f_2$ à cause
d'une annulation entre ceux-ci (dans ce cas, l'algorithme de division
appliqué à $g_1 f_1 + g_2 f_2$ par rapport à $f_1,f_2$ donnerait $g_1
f_1 + g_2 f_2$ lui-même comme reste, bien que ce polynôme appartienne
à $(f_1,f_2)$).  L'algorithme de Buchberger pour calculer les bases de
Gröbner se fonde sur l'idée qu'il suffit d'éviter ce phénomène.


%
\subsection{L'algorithme de Buchberger}

Soient $f_1,\ldots,f_r\in k[t_1,\ldots,t_d]$ : pour chaque
couple $(i,j)$ (où $i \neq j$), on définit le \textbf{polynôme de
  syzygie} entre $f_i$ et $f_j$ :
\[
\begin{array}{c}
f_{i,j} = c_{j,i} s_{j,i} f_i - c_{i,j} s_{i,j} f_j\\
\hbox{où~}
c_{i,j} s_{i,j} = \init(f_i)/\pgcd(\init(f_i),\init(f_j))
\end{array}
\]
Le pgcd (unitaire) de deux termes $c s$ et $c' s'$ étant défini comme
le plus grand monôme (pour n'importe quel ordre admissible, ou pour
l'ordre partiel de divisibilité) parmi les monômes qui divisent à la
fois $s$ et $s'$ (c'est-à-dire $t_1^{\min(\ell_1,\ell'_1)} \cdots
t_d^{\min(\ell_d,\ell'_d)}$ si $s = t_1^{\ell_1} \cdots t_d^{\ell_d}$
et $s' = t_1^{\ell'_1} \cdots t_d^{\ell'_d}$).  Remarquons que
$c_{i,j} s_{i,j} f_i$ et $c_{j,i} s_{j,i} f_j$ ont le même terme
initial, de sorte que celui de $f_{i,j}$ a un monôme strictement plus
petit.  (Bien sûr, $f_{i,i} = 0$ pour tout $i$, donc on ne s'intéresse
qu'aux $f_{i,j}$ pour $i\neq j$.)

On appelle \textbf{module des relations} entre $f_1,\ldots,f_r$
l'ensemble (qui est un sous-module de $(k[t_1,\ldots,t_d])^r$, d'où le
terme) des $(g_1,\ldots,g_r)$ tels que $g_1 f_1 + \cdots + g_r f_r =
0$, ces $(g_1,\ldots,g_r)$ étant appelés des \textbf{relations} entre
les $f_i$ (relation non-triviale si les $g_i$ ne sont pas tous nuls).

Soit $\rho_{i,j}$ le reste (au sens de \ref{division-algorithm})
de $f_{i,j}$ par rapport aux $f_1,\ldots,f_r$ (pour un ordre
monomial $\preceq$) : si les $f_1,\ldots,f_r$ forment une base de
Gröbner alors $\rho_{i,j} = 0$ puisque $f_{i,j} \in (f_1,\ldots,f_r)$.
Ce qui est plus surprenant est que la réciproque est également vraie :

\begin{thm}[critère de Buchberger]
Avec les notations ci-dessus, on a $\rho_{i,j} = 0$ pour tous $i,j$ si
et seulement $f_1,\ldots,f_r$ forment une base de Gröbner (de l'idéal
qu'ils engendrent).

(Spears-Schreyer) De plus, lorsque c'est le cas, les relations
$c_{j,i} s_{j,i} f_i - c_{i,j} s_{i,j} f_j - \sum_u g^{(i,j)}_u f_u$,
où $f_{i,j} = g^{(i,j)}_1 f_1 + \cdots + g^{(i,j)}_r f_r$ est une
écriture standard de $f_{i,j}$, engendrent\footnote{En fait, les
  relations en question forment elles-même une base de Gröbner du
  module des relations, si on prend la peine de définir la notion de
  « base de Gröbner » d'un module et non seulement d'un idéal, pour un
  ordre admissible sur les monômes de $k[t_1,\ldots,t_d]^r$ qui se
  déduit facilement de $\preceq$.} le module des relations
entre $f_1,\ldots,f_r$.
\end{thm}

\begin{algo}[algorithme de Buchberger]
Donné $f_1,\ldots,f_r \in k[t_1,\ldots,t_d]$, on peut calculer
effectivement une base de Gröbner de l'idéal qu'ils engendrent.
\end{algo}
\begin{proof}[Description de l'algorithme]
Calculer les $\rho_{i,j}$ définis plus hauts : si les $\rho_{i,j}$
sont tous nuls, terminer (les $f_1,\ldots,f_r$ forment une base de
Gröbner).  Si un des $\rho_{i,j}$ est non nul, dès qu'on le trouve,
ajouter ce $\rho_{i,j}$ parmi les $f_1,\ldots,f_r$ (c'est-à-dire,
recommencer l'algorithme avec $f_1,\ldots,f_r,\rho_{i,j}$).
\end{proof}
\begin{proof}
L'algorithme termine car l'idéal engendré par
$\init(f_1),\ldots,\init(f_r)$ ne cesse de croître strictement : le
processus doit donc terminer, ce qui ne peut se produire que parce que
tous les $\rho_{i,j}$ sont tous nuls, et le critère précédent permet
de dire qu'on a bien une base de Gröbner.
\end{proof}

\medbreak

\textbf{Bases de Gröbner réduites.}

\begin{defn}
Une base de Gröbner $f_1,\ldots,f_r$ est dite \textbf{réduite}
lorsque, pour $i\neq j$, le monôme du terme $\init(f_i)$ ne divise
aucun des monômes apparaissant dans $f_j$, et si, de plus, chacun des
termes $\init(f_i)$ est unitaire (=la constante devant le monôme
est $1$).
\end{defn}

On peut facilement calculer une base de Gröbner réduite à partir d'une
base de Gröbner, en soustrayant, pour chaque $f_j$, chaque terme
divisible par un des $\init(f_i)$ (et en commençant par le plus grand
pour l'ordre monomial), le multiple de $f_i$ qui permet de l'annuler,
et en répétant cette opération aussi souvent que nécessaire (il est
clair que cela termine).  Il faut, bien sûr, retirer tous les éléments
nuls, puis normaliser à $1$ la constante devant le monôme initial de
chaque $f_i$.

\begin{prop}
Pour un idéal $I$ de $k[t_1,\ldots,t_d]$ et un ordre
admissible $\preceq$, il existe une unique base de Gröbner réduite (on
l'appelle donc \emph{la} base de Gröbner réduite de $I$ pour cet
ordre).
\end{prop}


%
\subsection{Bases de Gröbner et élimination}

\begin{prop}
Soit $I$ un idéal de $k[t_1,\ldots,t_d]$ et $s\leq d$ : si
$f_1,\ldots,f_r$ est une base de Gröbner de $I$ pour
l'ordre $\mathrel{\preceq_{\mathtt{lex}}}$ (où on est convenu que $t_1
\preceq t_2 \preceq \cdots \preceq t_d$), alors ceux des $f_i$ qui
appartiennent à $k[t_1,\ldots,t_s]$ forment une base de Gröbner de $I
\cap k[t_1,\ldots,t_s]$.
\end{prop}

(En fait, il suffit que l'ordre $\preceq$ utilisé vérifie la
propriété : si $\init_{\preceq}(f) \in k[t_1,\ldots,t_s]$ alors $f \in
k[t_1,\ldots,t_s]$.  Une façon parfois plus efficace que l'ordre
lexicographique pur, \emph{si on connaît $s$ à l'avance}, consiste à
prendre l'ordre sur le degré total en les seules variables
$t_1,\ldots,t_s$ comme premier critère de comparaison, et en cas
d'égalité comparer avec $\mathrel{\preceq_{\mathtt{grevlex}}}$.)

\begin{prop}
Soit $I$ un idéal de $k[t_1,\ldots,t_d]$ et $s \leq d$.  Alors $Z(I
\cap k[t_1,\ldots,t_s])$ est l'adhérence de Zariski dans
$\mathbb{A}^s$ de la projection (c'est-à-dire l'image au sens
de \ref{image-of-a-morphism} par le morphisme $\mathbb{A}^d \to
\mathbb{A}^s$ qui projette sur les $s$ premières coordonnées
c'est-à-dire $(x_1,\ldots,x_d) \mapsto (x_1,\ldots,x_d)$) de $Z(I)$.
\end{prop}



%
%
%

\section{Les courbes}

\subsection{Corps des fonctions et morphismes vers $\mathbb{P}^1$}

\begin{defn}
On appelle \textbf{courbe (projective lisse)} sur un corps $k$ une
variété algébrique projective lisse géométriquement
irréductible\footnote{C'est-à-dire qu'elle est irréductible quand on
  la voit sur la clôture algébrique $k^{\alg}$ de $k$.} de
dimension $1$ sur $k$.  Lorsque la variété n'est pas supposée lisse,
on parle de courbe « non nécessairement lisse ».
\end{defn}

Les fermés de Zariski d'une courbe qui ne sont pas la courbe tout
entière sont de dimension zéro (cf. \ref{hauptidealsatz}) donc sont
(sur $k^{\alg}$) des réunions finies de points.

Si $C$ est une courbe non nécessairement lisse, on note $k(C)$ le
corps des fonctions rationnelles sur $C$
(cf. \ref{definition-rational-function-and-dimension}).  Rappelons
qu'il s'agit des fonctions régulières sur un ouvert non-vide (=dense)
de $C$, définies sur $k$ (où on identifie deux fonctions quand elles
coïncident sur l'intersection des ouverts sur lesquels elles sont
données) ; on l'appelle simplement \textbf{corps des fonctions}
de $C$.  On a $k(C) = \Frac(\mathcal{O}(U))$ pour n'importe quel
ouvert affine\footnote{\label{footnote-affine}En fait, on verra que
  tout ouvert de $C$ différent de $C$ est automatiquement affine.}
non-vide (=dense) de $C$.  On appelle évidemment \textbf{constantes}
les éléments de $k$ vus dans $k(C)$.

On note aussi $k^{\alg}(C)$ le corps des fonctions rationnelles
sur $C_{k^{\alg}}$, c'est-à-dire après passage à la clôture algébrique
$k^{\alg}$ de $k$.  On voit $k(C)$ à l'intérieur de $k^{\alg}(C)$ ;
pour $k$ parfait, le corps $k(C)$ est simplement le corps des éléments
de $k^{\alg}(C)$ fixés par le groupe de Galois absolu de $k$.

Le degré de transcendance de $k(C)$ (ou $k^{\alg}(C)$) sur $k$
(ou $k^{\alg}$, s'agissant de $k^{\alg}(C)$) est $1$ : c'est-à-dire
qu'il existe des éléments de $k(C)$ n'appartenant pas à $k^{\alg}$, et
que deux tels éléments sont toujours algébriques l'un par rapport à
l'autre.

\textbf{Exemple :} $\mathbb{P}^1$ sur $k$ est une courbe sur $k$, son
corps des fonctions est $k(\mathbb{P}^1) = k(t)$ où $t$ est un
paramètre affine quelconque sur $\mathbb{P}^1$ ; et on a bien sûr
$k^{\alg}(\mathbb{P}^1) = k^{\alg}(t)$.

\medbreak

\begin{defn}
Soit $X$ une variété quasiprojective irréductible (non nécessairement
lisse), et $P$ un $k^{\alg}$-point de $X$, on note $\mathcal{O}_{X,P}$
et on appelle \textbf{anneau local de $X$ en $P$} le sous-anneau de
$k(X)$ formé des fonctions rationnelles qui sont données sur un ouvert
contenant $P$.  Ces fonctions sont dites \textbf{régulières en $P$}.
\end{defn}

Grâce au recollement on peut affirmer que, si $U$ est la réunion de
tous les ouverts sur lesquels $f$ peut être donnée comme une fonction
régulière, on peut effectivement représenter $f$ comme une fonction
régulière sur tout $U$ : on appelle $U$ \textbf{l'ouvert de
  régularité} de $f$ (ou parfois l'ouvert de définition).

On peut décrire $\mathcal{O}_{X,P}$ autrement : si $U$ est un ouvert
affine contenant $P$, et $\mathfrak{m}_P$ l'idéal maximal de
$\mathcal{O}(U)$ des fonctions s'annulant en $P$, alors
$\mathcal{O}_{X,P}$ est le \emph{localisé} de $\mathcal{O}(U)$ en
l'idéal $\mathfrak{m}_P$ (c'est-à-dire inversant toutes les fonctions
qui ne sont pas dans $\mathfrak{m}_P$, cf. les remarques suivant
\ref{properties-localization}).  Il s'agit bien d'un anneau local au sens
définit en \ref{subsection-reduced-and-integral-rings}.

\medbreak

Le fait suivant peut sembler clair, mais il joue un rôle
crucial\footnote{Pour voir qu'il n'est pas vrai de façon plus
  générale, penser à la fonction rationnelle $x/y$ sur $\mathbb{P}^2$,
  où $x,y$ sont deux des trois coordonnées homogènes : ni elle ni son
  inverse ne sont régulières au point $x=y=0$.} pour expliquer
pourquoi la dimension $1$ est particulièrement simple :
\begin{prop}
Si $C$ est une courbe non nécessairement lisse, et $P$ un
$k^{\alg}$-point \emph{lisse} de $C$, alors pour tout $f \in k(C)$ non
nul on a $f \in \mathcal{O}_{C,P}$ ou bien $f^{-1} \in
\mathcal{O}_{C,P}$.

Autrement dit : pour $f$ une fonction rationnelle sur une courbe $C$
et $P$ un point lisse sur $C$, si $f$ n'est pas régulière en $P$ alors
$f^{-1}$ l'est.
\end{prop}

Pour $C$ une courbe (lisse), on peut considérer une fonction
rationnelle $f \in k(C)$ comme une fonction régulière $U \to
\mathbb{A}^1$ sur son ouvert $U$ de régularité (l'ensemble des points
où $f$ est régulière).  La proposition affirme donc que les ouverts de
régularité $U$ de $f$ et $U'$ de $f^{-1}$ recouvrent $C$.  Les
morphismes $U \to \mathbb{P}^1$ et $U' \to \mathbb{P}^1$ définis par
$P \mapsto (1:f(P))$ et $P \mapsto (f^{-1}(P):1)$ se recollent et
définissent donc un morphisme $C \to \mathbb{P}^1$ qu'on veut
identifier à $f$.  Réciproquement, tout morphisme $C \to \mathbb{P}^1$
qui n'est pas constamment égal à $\infty$ (=le point complémentaire
de $\mathbb{A}^1$) définit une fonction régulière sur l'ouvert $U =
f^{-1}(\mathbb{A}^1)$ de $C$.  On a donc expliqué pourquoi :
\begin{prop}\label{rational-function-on-a-curve-is-regular}
Si $C$ est une courbe (lisse), les fonctions rationnelles sur $C$
s'identifient (comme expliqué ci-dessus) aux morphismes $C \to
\mathbb{P}^1$ non constamment égaux à $\infty$.

Plus généralement, tout morphisme d'un ouvert non-vide de $C$ vers une
variété \emph{projective} $Y$ s'étend à $C$ tout entier.
\end{prop}

\bigbreak

\thingy\textbf{Une remarque sur Galois.}\label{remark-on-galois} Quand on considère les points
d'une variété sur un corps $k$ parfait non algébriquement clos, il est
parfois préférable de considérer les $k^{\alg}$-points séparément
(qu'on peut appeler \emph{points géométriques} pour insister), parfois
il est préférable de considérer ensemble tous les $k^{\alg}$-points
qui s'envoie les uns sur les autres par l'action du groupe de Galois
absolu $\Gal(k)$ de $k$, c'est-à-dire les « orbites galoisiennes » de
points géométriques, qu'on appelle aussi \emph{points fermés}.  Par
exemple, pour droite affine $\mathbb{A}^1$ réelle, les
$\mathbb{C}$-points $i$ et $-i$ constituent collectivement un point
fermé, défini par l'équation $t^2+1$.  L'intérêt des points fermés est
qu'ils correspondent aux idéaux maximaux (sur $k$) pour une variété
affine sur $k$ (exemple : l'idéal des polynômes réels s'annulant en
$i$ est le même que celui des polynômes réels s'annulant en $-i$,
c'est l'idéal engendré par $t^2+1$).  On appelle \emph{degré} d'un
point fermé le nombre de points géométriques qui le constitue : c'est
aussi le degré (=la dimension comme $k$-espace vectoriel) du corps
résiduel $\kappa(P) = \mathcal{O}(X)/\mathfrak{m}_P$ si $X$ est affine
et $\mathfrak{m}_P$ l'idéal correspondant au point fermé $P$.
Certains résultats s'énoncent mieux en parlant d'un point fermé de
degré $n$, d'autres en parlant de $n$ points géométriques (constituant
une orbite galoisienne).



%
\subsection{Valuation d'une fonction en un point}

Soit $C$ une courbe (non nécessairement lisse) et $P$ un
$k^{\alg}$-point lisse sur $C$.  On appelle $\mathfrak{m}_P$ l'idéal
dans $\mathcal{O}_{C,P}$ formé des fonctions s'annulant en $P$.

\begin{prop}\label{properties-valuation}
Avec les notations ci-dessus, il existe une unique fonction $\ord_P
\colon k(C) \to \mathbb{Z} \cup \{+\infty\}$ vérifiant :
\begin{itemize}
\item si $\ord_P(f) = +\infty$ ssi $f=0$, et $\ord_P(c) = 0$ pour tout
  $c \in k^\times$,
\item si $f,g \in k(C)$, on a $\ord_P(f+g) \geq
  \min(\ord_P(f),\ord_P(g))$ (note : ceci implique qu'il y a égalité
  si $\ord_P(f) \neq \ord_P(g)$),
\item si $f,g \in k(C)$, on a $\ord_P(fg) = \ord_P(f) + \ord_P(g)$,
\item on a $\ord_P(f) \geq 0$ ssi $f \in \mathcal{O}_{C,P}$ (i.e.,
  $f$ est régulière en $P$), et $\ord_P(f) > 0$ ssi $f \in
  \mathfrak{m}_P$ (i.e., $f$ s'annule en $P$),
\item il existe des $f$ tels que $\ord_P(f) = 1$.
\end{itemize}
\end{prop}

Cette fonction s'appelle la \textbf{valuation en $P$} ou
l'\textbf{ordre (du zéro) en $P$}.  Lorsque $\ord_P(f) = v > 0$, on
dit que $f$ a un zéro d'ordre $v$ en $P$ ; lorsque $\ord_P(f) = (-v) <
0$, on dit que $f$ a un pôle d'ordre $v$ en $P$ ; lorsque $\ord_P(f) =
0$, on dit que $f$ est inversible en $P$ (cela signifie bien que $f$
est inversible dans $\mathcal{O}_{C,P}$) ; lorsque $\ord_P(f) = 1$, on
dit que $f$ est une \textbf{uniformisante} en $P$ (il n'est pas
difficile de voir que cela signifie que $f$ engendre
l'idéal $\mathfrak{m}_P$).

\textbf{Exemple :} Si on voit $k(t)$ comme $k(\mathbb{P}^1)$, alors
\begin{itemize}
\item pour $P \in \mathbb{A}^1(k) = k$, la valuation en $P$ est bien
  l'ordre d'annulation en $P$ de la fraction rationnelle $f$ (en
  particulier, si $f$ est un polynôme, $\ord_P(f)$ est la multiplicité
  de $(t-P)$ dans la décomposition en facteurs irréductibles de $f$ ;
  et si $P = 0$, c'est ce qu'on appelle souvent, sans autre précision,
  la valuation d'un polynôme) ;
\item pour $P = \infty$, la valuation en $\infty$ d'un polynôme est
  l'opposé de son degré, et la valuatin en $\infty$ d'une fraction
  rationnelle $f$ est le degré de son dénominateur moins le degré de
  son numérateur ;
\item pour $P \in \mathbb{A}^1(k^{alg}) = k^{\alg}$, la valuation en
  $P$ d'un polynôme $f$ est la multiplicité de $\mu_P$ dans la
  décomposition en facteurs irréductibles de celui-ci, où $\mu_P$ est
  le polynôme minimal de $P$ (par exemple, sur les réels,
  $\ord_i(t^2+1) = 1$), et pour une fraction rationnelle on peut bien
  sûr le calculer comme l'ordre du numérateur moins celui du
  dénominateur.
\end{itemize}

Remarquons que $\ord_P(f)$ est le même que $f$ soit considéré comme
vivant dans $k(C)$ ou dans $k^{\alg}(C)$ (à cause de l'unicité
affirmée pour la fonction $\ord_P$).  Par ailleurs, pour $f \in k(C)$,
on a $\ord_P(f) = \ord_{\sigma(P)}(f)$ pour tout $\sigma \in \Gal(k)$
(le groupe de Galois absolu de $k$), autrement dit, $\ord_P(f)$ ne
dépend que de l'orbite de $P$ par $\Gal(k)$ (c'est-à-dire, du point
fermé défini par $P$).

\begin{prop}
Soit $C$ une courbe (lisse) sur un corps $k$.  Alors toute fonction
$k(C) \to \mathbb{Z} \cup \{+\infty\}$ vérifiant les trois premières
et la dernière des propriétés énumérées pour $\ord_P$
en \ref{properties-valuation} est de la forme $\ord_P$ pour un certain
$P \in C(k^{\alg})$.
\end{prop}

Les $\ord_P$ sont distinctes lorsque les points $P$ ne sont pas
conjugués par Galois (cf. ci-dessus) : on va voir un résultat plus
précis affirmant qu'elles sont, en fait, aussi indépendantes que
possible (\ref{approximation-lemma} ci-dessous).

\begin{prop}\label{basic-ord-facts}
Soit $C$ une courbe (lisse) sur un corps $k$ :
\begin{itemize}
\item Pour tout $f \in k(C)$, il n'y a qu'un nombre fini de $P \in
  C(k^{\alg})$ tels que $\ord_P(f) \neq 0$.
\item Si $\ord_P(f) \geq 0$ pour tout $f$, alors $f \in k$ (la
  fonction est constante).
\end{itemize}
\end{prop}
\begin{proof}
La première affirmation vient de ce que tout fermé de Zariski d'une
courbe est fini.  La seconde découle de ce que toute fonction
régulière (ce qu'est un $f$ comme annoncé) sur une variété projective
connexe est constante
(cf. \ref{projective-to-affine-morphisms-are-constant}).
\end{proof}

\begin{prop}[lemme d'approximation]\label{approximation-lemma}
Soit $C$ une courbe sur un corps $k$ et $U$ un ouvert
affine\footnote{Cf. note \ref{footnote-affine}.} de $C$.  Soient
$Q_1,\ldots,Q_s$ des points dans $U$ dont aucun n'est image d'un autre
sous l'action de Galois (=dont les orbites sous $\Gal(k)$ sont deux à
deux disjointes, =dont les idéaux maximaux $\mathfrak{m}_{Q_i}$ sont
deux à deux distincts, =définissant des points fermés deux à deux
distincts), et $f_1,\ldots,f_s \in k(C)$ et $v_1,\ldots,v_s \in
\mathbb{Z}$.  Alors il existe $f \in k(C)$ telle que
\[
\begin{array}{cl}
\ord_{Q_i}(f-f_i) \geq v_i&\hbox{~pour tout $i$}\\
\ord_{P}(f) \geq 0&\hbox{~pour tout $P \in U \setminus \{\sigma(Q_i)\}$}\\
\end{array}
\]
\end{prop}

\emph{Moralité :} On peut toujours trouver une fonction $f$ qui
approche les fonctions $f_i$ spécifiées à l'ordre $v_i$ spécifié aux
points $Q_i$ spécifiés, et qui soit régulière à tout point de $U$ sauf
évidemment ceux pour lesquels la condition imposée demande qu'ils ne
le soient pas.

\emph{Remarque :} Ce résultat recouvre l'existence des polynômes
interpolateurs de Lagrange (pour $C = \mathbb{P}^1$ et $U =
\mathbb{A}^1$, les $f_i$ des polynômes ayant les développements de
Taylor souhaités aux ordres $v_i$, le résultat montre qu'il existe un
polynôme $f$ ayant les développements spécifiés aux ordres spécifiés).

\begin{proof}[Idée de démonstration]
Pour $Q \in U$, si $\mathfrak{m}_{Q}$ désigne l'idéal des fonctions de
$\mathcal{O}(U)$ s'annulant en $Q$, i.e., telles que $\ord_Q(h) \geq
1$, le point clé est que $\mathfrak{m}_Q \neq \mathfrak{m}_{Q'}$ si
$Q$ et $Q'$ ne sont pas conjugués par Galois, donc il existe une
fonction $h \in \mathcal{O}(U)$ telle que $\ord_Q(h) \geq 1$ et
$\ord_{Q'}(h) = 0$, et, quitte à diviser par une constante, autant
supposer $h(Q') = 1$, et une autre $h'$ telle que $h'(Q) = 1$ et
$\ord_{Q'}(h') \geq 1$.  Quitte à multiplier de telles fonctions entre
elles et à les elever à des puissances assez grandes, on peut obtenir
des $h_i$ telles que $h_i(Q_i) = 1$ et $\ord_{Q_j}(h_i) \geq
\min(1,v_i)$ si $j\neq i$.  Lorsque les $f_i$ sont dans
$\mathcal{O}(U)$, poser $f = \sum_i f_i h_i$ convient.  Sinon, on met
les $f_i$ sur un même dénominateur et en cherchant $h$ comme une
fraction sur le dénominateur en question on se ramène à un problème
d'approximation sur le numérateur.
\end{proof}

\begin{prop}\label{dimension-of-space-of-jets}
Soit $P$ un $k^{\alg}$-point lisse d'une courbe $C$ non nécessairement
lisse sur un corps $k$, et pour $v\geq 0$ soit $\mathfrak{m}^v_P = \{f
\in k(C) : \ord_P(f) \geq v\}$ (idéal de $\mathcal{O}_{C,P}$).  Alors
$\mathcal{O}_{C,P} / \mathfrak{m}^v_P$ est un espace vectoriel de
dimension $v$ sur le corps $\kappa(P) := \mathcal{O}_{C,P} /
\mathfrak{m}_P$, donc $dv$ sur $k$, où $d$ est le degré de $P$,
c'est-à-dire (pour $k$ parfait) le nombre de conjugués de $P$ sous
l'action de Galois.
\end{prop}
\begin{proof}
Il existe une uniformisante $t$ de $C$ en $P$ : il n'est pas difficile
de voir que $1,t,t^2,\ldots,t^{v-1}$ forment une base de
$\mathcal{O}_{C,P} / \mathfrak{m}^v_P$ sur $\kappa(P)$
(cf. \ref{remark-on-galois} pour la dimension de $\kappa(P)$ sur $k$).
\end{proof}



%
\subsection{Morphismes entre courbes}

\begin{prop}\label{non-constant-morphisms-of-curves-are-surjective}
Tout morphisme entre courbes non nécessairement lisses est soit
constant ou surjectif.
\end{prop}
\begin{proof}
Soit $h \colon C' \to C$ un tel morphisme.  Puisque $C'$ est
projective, l'image de $h$ est un fermé dans $C$
(cf. \ref{image-of-a-morphism-chevalley}).  Si c'est $C$, le morphisme
est surjectif.  Sinon, c'est un ensemble fini, et comme $C'$ est
connexe, il est réduit à un point, donc $h$ est constant.
\end{proof}

Si $h\colon C' \to C$ est un morphisme non constant de courbes
sur $k$, à tout $f \in k(C)$, vu comme un morphisme $C \to
\mathbb{P}^1$ (non constamment égal à $\infty$), on peut associer
$h^*(f) := h\circ f \colon C' \to \mathbb{P}^1$ vu comme un élément de
$k(C')$ (car il est n'est pas constant égal à $\infty$).  (Si on
préfère, pour $U$ ouvert affine de $C$, le morphisme d'algèbres $h^*
\colon \mathcal{O}(U) \to \mathcal{O}(h^{-1}(U))$ donne un $h^* \colon
k(C) \to k(C')$ entre les corps des fractions ; ceci fonctionne même
si $C,C'$ ne sont pas supposées lisses.)  Il s'agit d'un morphisme de
$k$-algèbres qui sont des corps, donc automatiquement injectif :
c'est-à-dire que $h^*$ plonge $k(C)$ comme un sous-corps de $k(C')$
(en commutant à l'action du groupe de Galois, et en particulier en
préservant $k$).  Avec ce plongement, $k(C')$ est une extension
\emph{algébrique} de $k(C)$ (car tous deux ont le même degré de
transcendance, $1$, sur $k$), et $k(C')$ est engendré en tant que
corps, sur $k$ donc sur $k(C)$, par un nombre fini d'éléments : ceci
montre que $k(C')$ est une \emph{extension finie} de $k(C)$
(c'est-à-dire, de dimension finie comme $k(C)$-espace vectoriel), et
son degré (=sa dimension comme $k(C)$-espace vectoriel) s'appelle le
\textbf{degré} de $h$, noté $\deg h$.  Lorsque $h$ est un morphisme
constant, on pose $\deg h = 0$.

\textbf{Exemple :} Si $h \in k[t]$, on peut voir $h$ comme un
morphisme $\mathbb{P}^1 \to \mathbb{P}^1$ (par $(t_0:t_1) \mapsto
(t_0^{\deg h} : t_0^{\deg h}\,h(t_1/t_0))$,
cf. \ref{subsection-affine-vs-projective} ; ou, de façon équivalente,
en considérant $h$ comme un élément de $k(t) = k(\mathbb{P}^1)$ qui
définit donc un morphisme $\mathbb{P}^1 \to \mathbb{P}^1$).
L'inclusion $h^*$ est celle qui considère $k(u)$ pour $u = h(t)$ comme
un sous-corps de $k(t)$.  Manifestement, le polynôme minimal de $t$
sur $k(u)$ est justement $h(x)-u$ (écrit en l'indéterminée $x$), qui
est de degré $\deg h$, donc le degré de $h$ en tant que polynôme ou en
tant que morphisme est le même !

\textbf{Fonctorialité :} Si $C'' \buildrel h'\over\to C' \buildrel
h\over\to C$ sont deux morphismes entre courbes, on a $(h'\circ h)^* =
h^* \circ h^{\prime*}$, c'est-à-dire que $k(C)$ se voit à l'intérieur
de $k(C')$ quand celui-ci se voit à l'intérieur de $k(C'')$.  Grâce à
la composition des degrés dans les extensions de corps, on a $\deg
(h'\circ h) = \deg(h') \cdot \deg(h)$.

\begin{prop}\label{function-map-on-curves-is-fully-faithful}
Si $C, C'$ sont deux courbes sur $k$, où $C$ peut ne pas être lisse
(mais $C'$ est tenue de l'être), et si $\iota\colon k(C) \to k(C')$
est une inclusion fixant $k$ du corps $k(C)$ dans $k(C')$, alors il
existe un unique morphisme $h\colon C' \to C$ de courbes sur $k$ tel
que $\iota = h^*$.
\end{prop}
\begin{proof}[Esquisse de démonstration]
Si $C \subseteq \mathbb{P}^d$, on peut considérer les rapports
$t_1/t_0, \ldots, t_d/t_0$ de coordonnées homogènes sur $\mathbb{P}^d$
comme des éléments de $k(C)$.  Leurs images par $\iota$ dans $k(C')$
définissent un morphisme d'un ouvert non vide de $C'$
vers $\mathbb{P}^d$, donc de tout $C'$ vers $\mathbb{P}^d$
(cf. \ref{rational-function-on-a-curve-is-regular}), et comme ces
fonctions vérifient les équations de $C$ dans $\mathbb{P}^d$, on a un
morphisme $C' \buildrel h\over\to C$, qui vérifie $h^* = \iota$.  De
plus, une fois $C$ plongé dans $\mathbb{P}^d$ comme on l'a fait,
c'était le seul morphisme possible, donc on a bien l'unicité.
\end{proof}

\begin{cor}\label{degree-one-map-of-curves-is-isomorphism}
Si $C, C'$ sont deux courbes (lisses) sur $k$ et $h\colon C'\to C$ un
morphisme de degré $1$, alors $h$ est un isomorphisme.
\end{cor}
\begin{proof}
Dire que $h$ est un morphisme de degré $1$ signifie que $h^*$ est un
isomorphisme de $k(C)$ avec $k(C')$.  Son isomorphisme réciproque peut
lui-même s'écrire sous la forme $g^*$ d'après la proposition qui
précède, et les relations de fonctorialité $(h\circ g)^* = g^* \circ
h^*$ et $(g \circ h)^* = h^* \circ g^*$ ainsi que l'unicité du
morphisme dans la proposition montrent que $h \circ g = \id_{C'}$ et
$g \circ h = \id_C$.
\end{proof}

\medbreak

Revenons brièvement sur le corps des fonctions d'une courbe.

On sait que $k(C)$ est engendré (en tant que corps)\footnote{Ceci
  signifie qu'il existe $x_1,\ldots,x_r \in k(C)$ tels que tout
  sous-corps de $k(C)$ contenant $k$ et $x_1,\ldots,x_r$ soit $k(C)$
  tout entier.} par un nombre fini d'éléments au-dessus de $k$ (en
effet, si $U$ est un ouvert affine non-vide de $C$, alors
$\mathcal{O}(U)$ est une $k$-algèbre de type fini, et si
$x_1,\ldots,x_r$ en sont des générateurs, ils engendrent aussi $k(C) =
\Frac(\mathcal{O}(U))$ en tant que corps sur $k$).  D'autre part,
remarquons que $k^{\alg} \cap k(C) = k$ (ce qui est clair si on a
décrit $k(C)$ comme les éléments de $k^{\alg}(C)$ fixes par Galois),
c'est-à-dire que tout élément de $k(C)$ algébrique sur $k$ est en fait
dans $k(C)$.  Ces remarques sont pertinentes car :
\begin{prop}
Soit $K$ un corps contenant $k$, de degré de transcendance $1$ dessus,
engendré en tant que corps par un nombre fini d'éléments au-dessus
de $k$ (ou, de façon équivalente, $K$ est de degré \emph{fini}
sur $k(t)$ où $t \in K$ est transcendant sur $k$), et tel que $k$ soit
algébriquement fermé dans $K$.  Alors $K$ est le corps des fonctions
$k(C)$ d'une certaine courbe (lisse) $C$ sur $k$.
\end{prop}

Le corollaire suivant permet d'oublier les courbes non lisses :
\begin{cor}
Soit $C$ une courbe non nécessairement lisse.  Alors il existe un
morphisme $\tilde C \to C$ depuis une courbe lisse $\tilde C$
vers $C$, unique à isomorphisme unique près de $\tilde C$
au-dessus\footnote{Ceci signifie que si $\tilde C \buildrel\nu\over\to
  C$ et $\tilde C' \buildrel\nu'\over\to C$ sont deux morphismes comme
  expliqué, alors il existe un unique isomorphisme $\tilde C'
  \buildrel h\over\to \tilde C$ tel que $\nu' = h\circ \nu$.} de $C$,
qui soit de degré $1$, c'est-à-dire que $\nu^*$ identifie $k(C)$
à $k(\tilde C)$.  La courbe $\tilde C$ s'appelle la
\textbf{normalisation} de $C$.
\end{cor}
\begin{proof}
La proposition garantit qu'il existe une courbe lisse $\tilde C$ de
corps des fonctions $k(C)$.  Le morphisme identité $k(C) \to k(\tilde
C)$ donne alors d'après \ref{function-map-on-curves-is-fully-faithful}
le morphisme $\nu \colon \tilde C \to C$ désiré.  L'unicité est
analogue à \ref{degree-one-map-of-curves-is-isomorphism}.
\end{proof}

\begin{cor}
Soit $C$ une courbe (lisse) sur un corps $k$.  Si $K$ est un
sous-corps de $k(C)$ contenant $k$ et tel que $k(C)$ soit fini sur $K$
(c'est-à-dire, de dimension finie comme $K$-espace vectoriel), alors
il existe une courbe $C_0$ et un morphisme $h\colon C \to C_0$, unique
à isomorphisme près de $C_0$ au-dessous de $C$, tel que $h^*$ plonge
$k(C_0)$ comme le sous-corps $K$ de $k(C)$.
\end{cor}
\begin{proof}
Le corps $K$ est de degré de transcendance $1$ sur $k$ car $k(C)$ est
algébrique sur $K$ ; et $k$ est algébriquement fermé dans $K$.  Le
point non-évident est que $K$ est engendré par un nombre fini
d'éléments sur $k$ : mais $K$ contient un élément $t$ transcendant
sur $k$, et $k(C)$, donc $K$, est de degré fini sur $k(t)$.  Ainsi $K$
peut bien s'écrire comme $k(C_0)$ pour une certaine courbe $C_0$, et
l'inclusion $K = k(C_0) \to k(C)$ fournit un morphisme $C \to C_0$
d'après \ref{function-map-on-curves-is-fully-faithful}.  De nouveau,
l'unicité découle aussi
de \ref{function-map-on-curves-is-fully-faithful} de manière analogue
à \ref{degree-one-map-of-curves-is-isomorphism}.
\end{proof}



%
\subsection{Ramification d'un morphisme}

\begin{prop}
Si $h \colon C' \to C$ est un morphisme non constant entre courbes
sur $k$, pour tout point $P$ de $C'$ (sur $k^{\alg}$), il existe un
(unique) entier $e_P \geq 1$ tel que $\ord_P h^*(f) = e_P \ord_{h(P)}
f$ pour tout $f \in k(C)$.  On appelle $e_P$ l'\textbf{indice de
  ramification} de $h$ en $P$.
\end{prop}

\begin{rmk}\label{ramification-of-functions-as-morphisms}
Si $h \in k(C)$ n'est pas constant, on peut considérer $h$ comme un
morphisme $C \to \mathbb{P}^1$ correspondant à l'inclusion $k(t) \cong
k(h) \subseteq k(C)$.  En voyant $h$ comme $h^*(t)$, on voit que $e_P
= \ord_P h$ pour tout $P$ tel que $h(P)=0$.  Si $P$ est tel que $h(P)
= \infty$ alors $e_P = -\ord_P h$.  Enfin, si $h(P)$ n'est ni $0$ ni
$\infty$ alors $e_P = \ord_P (h-h(P))$.
\end{rmk}

\begin{prop}
Pour $h \colon C' \to C$ un morphisme non constant entre courbes
sur $k$ et $P$ un point de $C'$ (sur $k^{\alg}$), l'indice de
ramification $e_P$ de $h$ en $P$ vaut $1$ ssi $h$ est lisse en $P$
(c'est-à-dire que $dh_P \colon T_P C' \to T_P C$ est un
isomorphisme\footnote{La définition de la lissité demande seulement
  que $dh_P$ soit surjective, mais comme les espaces au départ et à
  l'arrivée ont même dimension, c'est alors un isomorphisme.} de
$k^{\alg}$-espaces vectoriels de dimension $1$,
cf. \ref{subsection-tangent-vectors-and-smooth-points} \textit{in
  fine}).
\end{prop}

\begin{prop}\label{sum-of-ramification-degrees}
Soit $h \colon C' \to C$ un morphisme non constant entre courbes
sur $k$.  Pour tout point $Q$ de $C$, on a
\[
\sum_{h(P)=Q} e_P = \deg h
\]
où la somme est prise sur tous les points $P$ de $C'$ (sur $k^{\alg}$)
tels que $h(P) = Q$.
\end{prop}
\begin{proof}[Idée-clé de démonstration]
Soit $U$ un ouvert affine de $C$ contenant $Q$, et $U' = h^{-1}(U)$
son image réciproque dans $C'$ (qui est également affine) ; on
considère la $k$-algèbre $\mathcal{O}(U')/h^*\mathfrak{m}_Q
\mathcal{O}(U')$ des fonctions sur $U'$ modulo l'idéal
$h^*\mathfrak{m}_Q$ engendré par les $h\circ f$ avec $f \in
\mathcal{O}(U)$ : on peut montrer que cette $k$-algèbre
$\mathcal{O}(U')/h^*\mathfrak{m}_Q \mathcal{O}(U')$ est un $k$-espace
vectoriel de dimension $\deg h$.  Mais le lemme
d'approximation \ref{approximation-lemma} permet de montrer que cette
algèbre est le produit d'algèbres $\mathcal{O}(U)/\mathfrak{m}_P
\mathcal{O}(U)$ où $\mathfrak{m}_P$ parcourt les idéaux maximaux tels
que $h(P)=Q$ (un seul par orbite sous Galois), et la dimension de ce
produit est $\sum_{h(P)=Q} e_P$
d'après \ref{dimension-of-space-of-jets}.
\end{proof}

\begin{cor}\label{principal-divisors-have-degree-zero}
Soit $C$ une courbe sur un corps $k$, et soit $f \in k(C)$ non
constant.  Alors
\[
\sum_P \ord_P(f) = 0
\]
où la somme est prise sur tous les points $P$ de $C$.  Plus
précisément,
\[
\begin{array}{c}
\sum_{P\;:\;\ord_P(f)>0} \ord_P(f) = \deg f\\
\sum_{P\;:\;\ord_P(f)<0} \ord_P(f) = -\deg f\\
\end{array}
\]
\end{cor}
\begin{proof}
On a vu en \ref{ramification-of-functions-as-morphisms} que si $f$ est
vu comme un morphisme $C \to \mathbb{P}^1$, alors son indice de
ramification en un point $P$ de $C$ tel que $f(P) = 0$ est $e_P =
\ord_P(f)$, et en un point $P$ tel que $f(P) = \infty$ est $e_P =
-\ord_P(f)$.  La proposition précédente permet de conclure.
\end{proof}



%
\subsection{Diviseurs sur une courbe}

\begin{defn}
Soit $C$ une courbe (lisse) sur un corps parfait $k$.  On appelle
\textbf{diviseur} sur $C$ une combinaison linéaire formelle (finie)
$\sum n_P (P)$, à coefficients dans $\mathbb{Z}$, de $k^{\alg}$-points
de $C$, qui soit stable par l'action du groupe de Galois
absolu $\Gal(k)$ (ou, si on préfère, une combinaison linéaire formelle
de « points fermés » de $C$, chacun étant vu comme la somme d'une
orbite galoisienne).

On appelle \textbf{degré} du diviseur $\sum n_P (P)$ l'entier $\sum
n_P$.
\end{defn}

Si $f \in k(C)$ n'est pas constant, on peut notamment considérer les diviseurs
\[
\begin{array}{c}
f^*((0)) := \sum_{P\;:\;\ord_P(f) > 0} \ord_P(f)\, (P)\\
f^*((\infty)) := \sum_{P\;:\;\ord_P(f) < 0} -\ord_P(f)\, (P)\\
f^*((0)-(\infty)) = \divis(f) := \sum_{P\in C} \ord_P(f)\, (P)\\
\end{array}
\]
appelés respectivement \textbf{diviseur des zéros}, \textbf{diviseur
  des pôles} et \textbf{diviseur principal} définis par $f$
(différence des deux premiers).  Le contenu du
corollaire \ref{principal-divisors-have-degree-zero} est que ces
diviseurs ont degré respectivement $\deg f$, $\deg f$ et $0$.

Plus généralement, si $h \colon C' \to C$ est un morphisme non
constant entre courbes, et $D = \sum_P n_P (P)$ un diviseur sur $C$,
on définit $h^*(D) = \sum_Q n_{h(P)} e_Q (Q)$ qu'on appelle
\textbf{image réciproque} (ou \textbf{tiré en arrière}) de $D$
par $h$ : il est clair que le diviseur des zéros $f^*((0))$ défini
ci-dessus est bien le tiré en arrière du diviseur $(0)$
sur $\mathbb{P}^1$ par $f$ vu comme morphisme $C \to \mathbb{P}^1$.
Il est évident que le tiré en arrière d'un diviseur principal est
encore principal (en fait, $h^*(\divis(f)) = \divis(h\circ f)$).  On
peut aussi définir l'\textbf{image directe} (ou \textbf{poussé en
  avant}) par $h$ d'un diviseur $D' = \sum_Q n_Q (Q)$ sur $C'$ comme
$h_*(D') = \sum_Q n_Q (h(Q))$ : il est aussi vrai, mais un chouïa
moins évident, que l'image directe d'un diviseur principal est un
diviseur principal.

\begin{prop}
Si $h \colon C' \to C$ est un morphisme non constant entre courbes,
pour tout diviseur $D$ sur $C$ on a
\[
\begin{array}{c}
h_* h^* D = (\deg h)\, D\\
\end{array}
\]
\end{prop}
\begin{proof}
C'est une conséquence immédiate de \ref{sum-of-ramification-degrees}
(et du fait qu'un morphisme non-constants entre courbes est
surjectif !,
cf. \ref{non-constant-morphisms-of-curves-are-surjective}).
\end{proof}

\begin{defn}
On appelle \textbf{principal} un diviseur (de degré zéro) de la forme
$\divis(f) := \sum_{P\in C} \ord_P(f)\, (P)$ pour une certaine
fonction $f \in k(C)$ non constante.  Les diviseurs principaux forment
un sous-groupe du groupe des diviseurs (car $\divis(fg) =
\divis(f)+\divis(g)$, cf. \ref{properties-valuation}) : on dit que
deux divieurs sont \textbf{linéairement équivalents} (notation : $D
\sim D'$) lorsque leur différence est un diviseur principal.  Le
groupe des diviseurs (resp. diviseurs de degré $0$) modulo les
diviseurs principaux (=modulo équivalence linéaire) s'appelle
\textbf{groupe de Picard} (resp. groupe de Picard de degré zéro) de la
courbe $C$, noté $\Pic(C)$ (resp. $\Pic^0(C)$).
\end{defn}

\textbf{Exemple :} Sur $\mathbb{P}^1$, pour tout diviseur $\sum n_P
(P)$ de degré zéro, on peut trouver une fraction rationnelle $\prod
(t-P)^{n_P}$ qui a les ordres $n_P$ à ceux des points $P$ qui sont
dans $\mathbb{A}^1$, et le degré à l'infini sera automatiquement le
bon puisque $\sum n_P = 0$.  Ceci montre que \emph{tout diviseur de
  degré zéro sur $\mathbb{P}^1$ est principal}, donc que
$\Pic^0(\mathbb{P}^1) = 0$, et $\Pic(\mathbb{P}^1) = \mathbb{Z}$.

On a un morphisme de degré $\deg\colon \Pic(C) \to \mathbb{Z}$, dont
le noyau est $\Pic^0(C)$.  Si la courbe $C$ vérifie $C(k) \neq
\varnothing$, c'est-à-dire qu'il existe $P$ un $k$-point sur $C$,
alors tout diviseur peut s'écrire comme somme de $n (P)$ et d'un
diviseur de degré zéro, et il est facile de voir que $\Pic(C) =
\Pic^0(C) \oplus \mathbb{Z}$ (où $\mathbb{Z}$ désigne
$\mathbb{Z}\cdot(P)$, le groupe des diviseurs de la forme $n (P)$).

\emph{Attention :} Pour une fois, le slogan « rationnel = fixe par
  Galois » n'est pas vérifié : quand $C$ est une courbe sur un corps
$k$ parfait non algébriquement clos, il faut bien distinguer le groupe
de Picard rationnel $\Pic C$ de $C$, c'est-à-dire les diviseurs
stables par Galois modulos ceux de la forme $\divis(f)$ avec $f \in
k(C)$, et le groupe de Picard fixé par Galois noté $(\Pic
C_{k^{\alg}})^{\Gal(k)}$, c'est-à-dire les classes des diviseurs $D$
tels que $\sigma(D)$ soit linéairement équivalent à $D$
(sur $k^{\alg}$) pour tout $\sigma \in \Gal(k)$.  Néanmoins, certains
auteurs appellent (à tort) $\Pic C$ ce deuxième groupe (d'autres
encore appellent $\Pic C$ tout le groupe de Picard géométrique $\Pic
C_{k^{\alg}}$) : il faut donc faire attention à qui utilise quoi.



%
\subsection{Différentielles}

\begin{prop}
Soit $C$ une courbe (lisse) sur un corps $k$.  Il existe un
$k(C)$-espace vectoriel de dimension $1$, noté\footnote{Notation
  abusive, en fait.  Une bonne notation serait $\Omega^1_{C/k}
  \otimes_{\mathcal{O}_C} k(C)$, mais c'est un peu encombrant.}
$\Omega^1_C$ et appelé \textbf{espace des (formes) différentielles
  méromorphes} sur $C$, et une application $k$-linéaire $d\colon k(C)
\to \Omega^1_C$, vérifiant les conditions suivantes :
\begin{itemize}
\item on a $dc = 0$ pour $c \in k$,
\item on a $d(fg) = f\,dg + g\,df$ pour $f,g\in k(C)$,
\item si $t \in k(C)$ vérifie $\ord_P(t) = 1$ en au moins un
  point alors $dt \neq 0$,
\end{itemize}
et ces conditions caractérisent à isomorphisme près $\Omega^1_C$ muni
de l'application $d\colon k(C) \to \Omega^1_C$.
\end{prop}

La moralité est que $\frac{df}{dt}$ a un sens, comme élément de
$k(C)$, dès que $f$ et $t$ sont deux éléments de $k(C)$ et que $t$ est
une uniformisante en au moins un point ou simplement\footnote{Si $k$
  est de caractéristique zéro, cette condition est réalisée dès que
  $t$ n'est pas constant.} que $dt \neq 0$.

\textbf{Remarque :} On peut relier $\frac{df}{dt} \in k(C)$ à ce qui a
été fait en \ref{subsection-tangent-vectors-and-smooth-points} de la
façon suivante : si $Q$ est un point de $C$ tel que $t$ et $f$ soient
régulières en $Q$, on peut voir $t$ et $f$ comme deux morphismes $U
\to \mathbb{A}^1$ pour un certain voisinage (affine, disons) $U$
de $Q$, on a des applications linéaires $dt_Q\colon T_Q C \to
k^{\alg}$ et $df_Q\colon T_Q C \to k^{\alg}$, et la valeur de
$\frac{df}{dt}$ en $Q$ est le rapport entre ces deux applications
linéaires (ceci a bien un sens car ce sont des applications entre
espaces de dimension $1$).

\begin{prop}\label{order-of-derivative}
Soit $C$ une courbe (lisse) sur un corps $k$, $P$ un point de $C$ et
$t$ une uniformisante en $P$ (i.e., $\ord_P(t) = 1$).  Pour $f \in
k(C)$, on a
\begin{itemize}
\item $\ord_P(df/dt) = \ord_P(f)-1$ si $\ord_P(f) \neq 0$, et
\item $\ord_P(df/dt) \geq 0$ si $\ord_P(f) = 0$.
\end{itemize}
\end{prop}

(Ces propriétés découlent des propriétés correspondantes des
polynômes.)

\begin{defn}
Si $C$ est une courbe (lisse) sur un corps $k$, $P$ un point de $C$
(sur $k^{\alg}$) et $\omega \in \Omega^1_C$, on définit
\[
\ord_P(\omega) = \ord_P(\omega/dt)
\]
où $t \in k(C)$ est tel que $\ord_P(t) = 1$ (=est une uniformisante
en $P$).  Cette définition ne dépend pas du choix de $t$.

Si $\omega \neq 0$, le diviseur $\divis(\omega) := \sum_P
\ord_P(\omega) (P)$ s'appelle \textbf{diviseur canonique} de la forme
différentielle $\omega$.
\end{defn}

La définition de $\ord_P(\omega)$ ne dépend pas du choix de $t$, car
si $t' = u t$ où $\ord_P(u) = 0$, alors $dt'/dt = u + t\,(du/dt)$, et
$\ord_P(du/dt) \geq 0$ d'après \ref{order-of-derivative} donc
$\ord_P(t\,(du/dt)) \geq 1$, ce qui assure $\ord_P(dt'/dt) = 0$, et
donc $\ord_P(\omega/dt') = \ord_P(\omega/dt)$.

La définition qu'on vient de faire permet de reformuler la
proposition \ref{order-of-derivative} en :

\begin{prop}\label{order-of-differential}
Soit $C$ une courbe (lisse) sur un corps $k$, et $P$ un point de $C$.
Pour $f \in k(C)$, on a
\begin{itemize}
\item $\ord_P(df) = \ord_P(f)-1$ si $\ord_P(f) \neq 0$, et
\item $\ord_P(df) \geq 0$ si $\ord_P(f) = 0$.
\end{itemize}
\end{prop}

\textbf{Exemple :} Soit $t$ la coordonnée affine sur $\mathbb{A}^1$,
vue comme élément de $k(\mathbb{P}^1) = k(t)$.  Alors $dt$ a pour
ordre $0$ en tout $P \neq \infty$ (en $P=0$ c'est clair d'après la
proposition qui précède, et en tout autre $P \in \mathbb{A}^1$ on peut
remarquer que $dt = d(t-P)$ d'après les règles de calcul, donc de même
$dt$ est d'ordre $0$) ; en $\infty$, en revanche, son ordre est $-2$
puisque l'ordre de $t$ est $-1$.  On a donc $\divis(dt) = -2(\infty)$.

\medbreak

La classe de $\divis(\omega)$ dans $\Pic(C)$ ne dépend pas du choix
de $\omega \neq 0$, puisque visiblement $\divis(f\omega) = \divis(f) +
\divis(\omega)$.  Cette classe s'appelle la \textbf{classe canonique}
dans $\Pic(C)$ (très souvent notée $K$).  On vient par exemple de voir
que la classe canonique de $\mathbb{P}^1$ est de degré $-2$.

\textbf{Exemple :} Soit $C$ la courbe d'équation $y^2 = h(x)$ où $h(t)
\in k[t]$ est de degré $3$ (c'est-à-dire, $C$ la complétée projective
de cette courbe affine, complétée d'équation $Z Y^2 = Z^3 h(X/Z)$ si
$X,Y,Z$ sont les coordonnées homogènes avec $y = Y/Z$ et $x = X/Z$).
Soit $h(t) = (t-\lambda_1) (t-\lambda_2) (t-\lambda_3)$ la
factorisation de $h$ sur $k^{\alg}$.  Outre les points affines, la
courbe $C$ a un unique point à l'infini noté $O$ (en coordonnées
homogènes, $X=Z=0$).  Le diviseur de la fonction $y$ sur $C$ est
$(P_1) + (P_2) + (P_3) - 3(O)$ où $P_i$ est le point de coordonnées
affines $(\lambda_i,0)$ (ce sont les trois points où $y$ s'annule,
alors que $O$ est le point où $y$ a un pôle triple).  Le diviseur de
$x-\lambda_i$ est $2(P_i) - 2(O)$, d'où il résulte que $dx$ a un
ordre $1$ en chaque $P_i$ et $-3$ en $O$, et $0$ partout ailleurs.
Autrement dit, le diviseur de $dx$ est le même que celui de $y$, ou,
si on veut, la différentielle $\omega := dx/y$ a un ordre $0$ partout.
Ceci signifie que la classe canonique $K$ sur $C$ est \emph{nulle}.



%
\subsection{Le théorème de Riemann-Roch}

\begin{defn}
Un diviseur $D$ sur une courbe $C$ est dit \textbf{effectif}, noté $D
\geq 0$, lorsque $D$ est combinaison de points à coefficients
positifs : $D = \sum n_P (P)$ avec $n_P \geq 0$ pour tout $P$.

Si $D = \sum n_P (P)$ est un diviseur (non nécessairement effectif)
sur une courbe $C$, on note $\mathscr{L}(D)$ ou parfois
$\mathcal{O}(D)$ le $k$-espace vectoriel $\{f \in k(C) : \divis(f)+D
\geq 0\}$ des fonctions rationnelles sur $C$ vérifiant $\ord_P(f) \geq
-n_P$ pour tout point $P$ de $C$.  (S'il faut lui donner un nom, c'est
« l'(ensemble des sections globales du) faisceau associé à $D$ ».)
\end{defn}

\begin{rmk}
Si $D$ et $D'$ sont linéairement équivalents, alors $\mathscr{L}(D)
\cong \mathscr{L}(D')$ comme $k$-espaces vectoriels.  En effet, si $D
= D' + \divis(g)$ et $f \in \mathscr{L}(D)$ alors $\divis(fg) + D' =
\divis(f) + D \geq 0$ donc $fg \in \mathscr{L}(D')$ et réciproquement.
On peut donc considérer que $\mathscr{L}(D)$ ne dépend que de la
classe de $D$ dans $\Pic(C)$.

D'autre part, l'ensemble $\{\omega \in \Omega^1_C : \divis(\omega)
\geq 0\}$ (des différentielles « holomorphes ») peut être identifié à
$\mathscr{L}(K)$ pour les mêmes raisons.  (Et plus généralement,
$\mathscr{L}(K-D)$ peut être identifié à $\{\omega \in \Omega^1_C :
\divis(\omega)-D \geq 0\}$.)
\end{rmk}

\begin{prop}
Le $k$-espace vectoriel $\mathscr{L}(D)$ est de dimension finie.
\end{prop}

On note $l(D)$ cette dimension.  Notons par exemple que $l(0) = 1$ (le
diviseur nul, à ne pas confondre avec le diviseur $(0)$
sur $\mathbb{P}^1$ !), puisque $\mathscr{L}(0) = \mathcal{O}(C) = k$
(les seules fonctions régulières partout sont les constantes,
d'après \ref{basic-ord-facts}).

\begin{prop}\label{negative-degree-divisors-have-no-sections}
\begin{itemize}
\item Si $\deg D < 0$ alors $l(D) = 0$.
\item Si $\deg D = 0$ et $l(D) \neq 0$ alors $l(D) = 1$ et $D \sim 0$.
\end{itemize}
\end{prop}
\begin{proof}
Dire que $l(D) \neq 0$ signifie que pour un certain $f$ on a $D' :=
\divis(f) + D \geq 0$.  Or le degré de $\divis(f)$ est nul (et le
degré d'un diviseur effectif $D'$ est évidemment positif), donc le
degré de $D$ est $\geq 0$.  De plus, si le degré de $D$ (donc de $D'$)
est nul, cela signifie que $\divis(f) + D' = 0$, c'est-à-dire $D \sim
0$, qui entraîne $l(D) = 1$.
\end{proof}

\begin{thm}[Riemann-Roch]
Il existe un entier $g \geq 0$, appelé \textbf{genre} de $C$ tel que
pour tout diviseur $D$ on ait, en notant $K$ un diviseur canonique :
\[
l(D) - l(K-D) = \deg D + 1 - g
\]
\end{thm}

\begin{cor}\label{degree-of-canonical-divisor}
\begin{itemize}
\item Pour $K$ un diviseur canonique sur une courbe $C$, on a :
\[
\begin{array}{c}
l(K) = g\\
\deg(K) = 2g-2\\
\end{array}
\]
\item Si $D$ est un diviseur avec $\deg D > 2g-2$, alors $l(D) = \deg
  D + 1 - g$.
\end{itemize}
\end{cor}
\begin{proof}
Pour la première affirmation, appliquer Riemann-Roch à $D=0$ donne
$1-l(K) = 0+1-g$, d'où $l(K) = g$ ; puis à $D=K$ donne $g-1 = \deg K +
1 - g$ d'où $\deg K = 2g-2$.  Pour la seconde affirmation, on utilise
\ref{negative-degree-divisors-have-no-sections} pour conclure que
$l(K-D) = 0$.
\end{proof}

\textbf{Remarque :} Si $C$ est une courbe sur un corps $k$, alors le
genre de $C$ est égal au genre de $C_{k^{\alg}}$.  En effet, un
diviseur canonique $K$ sur $C$ est encore un diviseur canonique quand
on le voit sur $C_{k^{\alg}}$, et son degré, censé valoir $2g-2$ est
le même qu'on le voie d'une façon ou d'une autre.  On dit que le genre
est un \emph{invariant géométrique}.

S'agissant de $\mathbb{P}^1$, on a vu que $\deg(K) = -2$ donc $g=0$.
La réciproque est vraie :
\begin{cor}
Soit $C$ une courbe (lisse !) de genre $0$ sur un corps algébriquement
clos : alors $C$ est isomorphe à $\mathbb{P}^1$.
\end{cor}
\begin{proof}
Soient $P,Q$ deux points distincts de $C$ : on applique Riemann-Roch
au diviseur $D := (P)-(Q)$.  Comme $\deg D = 0 > -2 = 2g-2$, le
corollaire précédent montre que $l(D) = 1$.
Mais \ref{negative-degree-divisors-have-no-sections} montre que $D
\sim 0$, c'est-à-dire qu'il existe $f \in k(C)$ tel que $\divis(f) =
(P) - (Q)$.  En considérant $f$ comme un morphisme $C \to
\mathbb{P}^1$, on voit que $\deg f = 1$
(cf. \ref{principal-divisors-have-degree-zero}), donc $f$ est un
isomorphisme (cf. \ref{degree-one-map-of-curves-is-isomorphism}).
\end{proof}

\emph{Remarque :} Cette démonstration utilise le fait que $k$ est
algébriquement clos pour pouvoir fabriquer le diviseur $(P)-(Q)$ comme
différence de deux diviseurs de degré $1$.  En fait, on peut faire
mieux : il suffit que $C(k)$ soit non-vide (démonstration : si $P \in
C(k)$, Riemann-Roch appliqué au diviseur $(P)$ montre que $l((P)) =
2$, donc il existe une fonction $f$ non-constante, admettant au plus
un pôle simple en $P$, donc admettant effectivement un pôle simple
en $P$ d'après \ref{basic-ord-facts}, et du coup $\divis(f)$, qui doit
être de degré $0$, est de la forme $(P) - (Q)$, et le reste est comme
ci-dessus).  On ne peut pas se dispenser de cette hypothèse $C(k) \neq
\varnothing$ : si $C$ est la conique\footnote{En fait, on peut montrer
  que toute courbe de genre $0$ peut s'écrire comme une conique
  plane.} d'équation projective $t_0^2 + t_1^2 + t_2^2 = 0$ dans
$\mathbb{P}^2$ sur les réels, qui a $C(\mathbb{R}) = \varnothing$,
alors $C$ a pour genre $0$ car le genre est un invariant géométrique
(cf. ci-dessus) et que, sur les complexes, cette conique est isomorphe
au cercle (quitte à changer $t_0$ en $i t_0$) donc à $\mathbb{P}^1$
(cf. introduction et exemples
de \ref{subsection-quasiprojective-varieties-and-morphisms}).
Pourtant, $C$ \emph{n'est pas} isomorphe à $\mathbb{P}^1$ sur les
réels, précisément parce que $C(\mathbb{R}) = \varnothing$ alors que
$\mathbb{P}^1(\mathbb{R}) \neq \varnothing$ !

\begin{cor}
Si $C$ est une courbe, tout ouvert $U$ de $C$ autre que $C$ tout
entier est affine.  (Cf. \ref{approximation-lemma} pour un contexte
utile de ce résultat.)
\end{cor}
\begin{proof}[Démonstration (partielle)]
Le cas $U=\varnothing$ est vrai (on a $U = \Spec 0$ où $0$ désigne
l'anneau nul) mais inintéressant : supposons donc $U$ non vide.

On admet\footnote{Il n'y a pas d'arnaque : c'est là un résultat
  beaucoup plus facile et moins profond que Riemann-Roch ; il s'agit
  de dire que $f$ est un morphisme « fini », donc en particulier
  « affine » c'est-à-dire que l'image réciproque d'un ouvert affine
  est affine.} le résultat suivant : si $f \colon C \to C_0$ est un
morphisme non-constant de courbes, alors l'image réciproque par $f$ de
tout ouvert affine de $C_0$ est affine.

Soit $P$ un point du complémentaire de $U$ : le théorème de
Riemann-Roch, et notamment le corollaire \ref{degree-of-canonical-divisor}, montre que si $n$
est assez grand, alors $l(n(P)) > 1$, autrement dit, il existe une
fonction $f \in k(C)$ non constante et régulière partout sauf en $P$
(où elle ne peut pas être régulière).  En considérant $f$ comme un
morphisme $C \to \mathbb{P}^1$, on voit alors que $U' := C
\setminus\{P\} = f^{-1}(\mathbb{A}^1)$, et d'après le résultat admis,
$U'$ est affine.  Le lemme d'approximation \ref{approximation-lemma}
montre que si $Q_1,\ldots,Q_s$ sont les points de $U'\setminus U$, il
existe une fonction $h$ ayant un pôle d'ordre $1$ en chacun des $Q_i$
et régulière sur tout $U \setminus \{Q_i\}$ ; si de plus on exige que
$h$ ait un zéro d'ordre très élevé (c'est-à-dire supérieur à $s$) en
un quelconque autre point $R$ (ce que le lemme d'approximation permet
toujours de faire), on assure que $h$ aura aussi un pôle en $P$
d'après \ref{principal-divisors-have-degree-zero}.  Autrement dit,
ceci assure que $U = h^{-1}(\mathbb{A}^1)$ (en voyant de nouveau $h$
comme un morphisme $C \to \mathbb{P}^1$), ce qui conclut.
\end{proof}



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\end{document}