%% This is a LaTeX document. Hey, Emacs, -*- latex -*- , get it? \documentclass[12pt,a4paper]{article} \usepackage[francais]{babel} \usepackage[utf8]{inputenc} \usepackage[T1]{fontenc} %\usepackage{ucs} \usepackage{times} % A tribute to the worthy AMS: \usepackage{amsmath} \usepackage{amsfonts} \usepackage{amssymb} \usepackage{amsthm} % \usepackage{mathrsfs} \usepackage{wasysym} \usepackage{url} % \usepackage{graphics} \usepackage[usenames,dvipsnames]{xcolor} \usepackage{tikz} \usetikzlibrary{matrix} % \theoremstyle{definition} \newtheorem{comcnt}{Tout}[subsection] \newcommand\thingy{% \refstepcounter{comcnt}\smallbreak\noindent\textbf{\thecomcnt.} } \newtheorem{defn}[comcnt]{Définition} \newtheorem{prop}[comcnt]{Proposition} \newtheorem{lem}[comcnt]{Lemme} \newtheorem{thm}[comcnt]{Théorème} \newtheorem{cor}[comcnt]{Corollaire} \newtheorem{rmk}[comcnt]{Remarque} \newtheorem{scho}[comcnt]{Scholie} \newtheorem{algo}[comcnt]{Algorithme} \newtheorem{exmps}[comcnt]{Exemples} \newtheorem{princ}[comcnt]{Principe} \newcommand{\limp}{\mathrel{\Rightarrow}} \newcommand{\liff}{\mathrel{\Longleftrightarrow}} \newcommand{\pgcd}{\operatorname{pgcd}} \newcommand{\ppcm}{\operatorname{ppcm}} \newcommand{\Hom}{\operatorname{Hom}} \newcommand{\id}{\operatorname{id}} \newcommand{\Frob}{\operatorname{Frob}} \newcommand{\Frac}{\operatorname{Frac}} \newcommand{\Spec}{\operatorname{Spec}} \newcommand{\degtrans}{\operatorname{deg.tr}} \newcommand{\Gal}{\operatorname{Gal}} \newcommand{\alg}{\operatorname{alg}} \newcommand{\init}{\operatorname{in}} \newcommand{\ord}{\operatorname{ord}} \newcommand{\divis}{\operatorname{div}} \newcommand{\Pic}{\operatorname{Pic}} \renewcommand{\qedsymbol}{\smiley} % \DeclareUnicodeCharacter{00A0}{~} % \DeclareMathSymbol{\tiret}{\mathord}{operators}{"7C} \DeclareMathSymbol{\traitdunion}{\mathord}{operators}{"2D} % \DeclareFontFamily{U}{manual}{} \DeclareFontShape{U}{manual}{m}{n}{ <-> manfnt }{} \newcommand{\manfntsymbol}[1]{% {\fontencoding{U}\fontfamily{manual}\selectfont\symbol{#1}}} \newcommand{\dbend}{\manfntsymbol{127}}% Z-shaped \newcommand{\danger}{\noindent\hangindent\parindent\hangafter=-2% \hbox to0pt{\hskip-\hangindent\dbend\hfill}} % % % \begin{document} \title{\underline{Brouillon} de notes de cours\\de géométrie algébrique} \author{David A. Madore} \maketitle \centerline{\textbf{MDI349}} % % % \section*{Conventions} Sauf précision expresse du contraire, tous les anneaux considérés sont commutatifs et ont un élément unité (noté $1$). Si $k$ est un anneau, une \textbf{$k$-algèbre} (là aussi : implicitement commutative) est la donnée d'un morphisme d'anneaux $k \buildrel\varphi\over\to A$ (appelé \emph{morphisme structural} de l'algèbre). On peut multiplier un élément de $A$ par un élément de $k$ avec : $c\cdot x = \varphi(c)\,x \in A$ (pour $c\in k$ et $x\in A$). % % % \section{Introduction / motivations} Qu'est-ce que la géométrie algébrique ? En condensé : \begin{itemize} \item\textbf{But :} Étudier les solutions de systèmes d'équations polynomiales dans un corps ou un anneau quelconque, ou des objets apparentés. (Étudier = étudier leur existence, les compter, les paramétrer, les relier, définir une structure dessus, etc.) \item\textbf{Géométrie :} Voir de tels systèmes d'équations comme des objets géo\-mé\-triques, soit plongés dans un espace ambiant (espace affine, espace projectif), soit intrinsèques ; leur appliquer des concepts de géométrie (espace tangent, étude locale de singularités, etc.). \item\textbf{Moyens :} L'étude locale de ces objets passe par les fonctions définies dessus, qui sont des anneaux tout à fait généraux, donc l'\emph{algèbre commutative} (étude des anneaux commutatifs et de leurs idéaux). \end{itemize} \smallbreak Problèmes \emph{géométriques} = étude de solutions sur des corps algébriquement clos (e.g., $\mathbb{C}$ : géométrie algébrique complexe ; $\bar{\mathbb{F}}_p$) ou « presque » (e.g., $\mathbb{R}$ : géométrie algébrique réelle). Problèmes \emph{arithmétiques} = sur des corps loin d'être algébriquement clos (e.g., $\mathbb{Q}$ : géométrie arithmétique), ou des anneaux plus gé\-né\-raux (e.g., $\mathbb{Z}$ : idem, « équations diophantiennes »). Applications : cryptographie et codage (géométrie sur $\mathbb{F}_q$), calcul formel, robotique (géométrie sur $\mathbb{R}$), analyse complexe (géométrie sur $\mathbb{C}$), théorie des nombres (sur $\mathbb{Q}$, corps de nombres...), etc. \smallbreak \textbf{Un exemple :} Pour tout anneau $k$, on définit $C(k) = \{(x,y)\in k^2 : x^2+y^2 = 1\}$. Interprétation géométrique : ceci est un cercle ! Il est plongé dans le « plan affine » $\mathbb{A}^2$ défini par $\mathbb{A}^2(k) = k^2$ pour tout anneau $k$. \begin{itemize} \item Sur $\mathbb{R}$, les solutions forment effectivement un cercle, au sens naïf. \item (Sur $\mathbb{C}$, les solutions dans $\mathbb{C}^2$ forment une surface, qui ressemblerait plutôt à une sphère privée de deux points.) \item Sur $\mathbb{F}_q$, on peut compter les solutions : on peut montrer qu'il y en a $q-1$ ou $q+1$ selon que $q \equiv 1\pmod{4}$ ou $q \equiv 3\pmod{4}$ (ou encore $q$ pour $q = 2^r$). \item Sur $\mathbb{Q}$, il n'est pas complètement évident de trouver des solutions autres que $(\pm 1,0)$ et $(0,\pm 1)$. Un exemple : $(\frac{4}{5},\frac{3}{5})$ (Pythagore, Euclide...). \end{itemize} Paramétrage des solutions : \begin{center} \begin{tikzpicture}[scale=3] \draw[step=.2cm,help lines] (-1.25,-1.25) grid (1.25,1.25); \draw[->] (-1.15,0) -- (1.15,0); \draw[->] (0,-1.15) -- (0,1.15); \draw (0,0) circle (1cm); \draw (1,-1.15) -- (1,1.15); \coordinate (P) at (0.8,0.6); \coordinate (Q) at (1,0.6666666667); \draw (0.8,0) -- (P); \draw (-1,0) -- node[sloped,auto] {$\scriptstyle\mathrm{pente}=t$} (Q); \fill[black] (P) circle (.5pt); \fill[black] (Q) circle (.5pt); \fill[black] (-1,0) circle (.5pt); \node[anchor=west] at (Q) {$\scriptstyle (1,2t)$}; \node[anchor=north east] at (-1,0) {$\scriptstyle (-1,0)$}; \node[anchor=east] at (P) {$\scriptstyle (\frac{1-t^2}{1+t^2},\frac{2t}{1+t^2})$}; \end{tikzpicture} \end{center} Un petit calcul géométrique (cf. les formules exprimant $\cos\theta,\sin\theta$ en fonction de $\tan\frac{\theta}{2}$), valable sur tout corps $k$ de caractéristique $\neq 2$ (ou en fait tout anneau dans lequel $2$ est inversible\footnote{C'est-à-dire, une $\mathbb{Z}[\frac{1}{2}]$-algèbre, où $\mathbb{Z}[\frac{1}{2}] = \{\frac{a}{2^r}:a\in\mathbb{Z},r\in\mathbb{N}\}$.}), permet de montrer que toute solution $(x,y) \in C(k)$ autre que $(-1,0)$ peut s'écrire de la forme $(\frac{1-t^2}{1+t^2},\frac{2t}{1+t^2})$ avec $t \in k$ (uniquement défini, et vérifiant $t^2\neq -1$). \emph{Remarques :} (a) ceci correspond à un point $(\frac{1-t^2}{1+t^2},\frac{2t}{1+t^2}) \in C(k(t))$ où $k(t)$ est le corps des fonctions rationnelles à une indéterminée sur $k$ ; (b) ceci permet, par exemple, de trouver de nombreuses solutions sur $\mathbb{Q}$, ou d'en trouver rapidement sur $\mathbb{F}_q$ ($q$ impair) ; (c) on a, en fait, défini un « morphisme » d'objets géométriques de la droite affine $\mathbb{A}^1$ vers le cercle $C$ (privé du point $(-1,0)$). On peut aussi définir une structure de \emph{groupe} (abélien) sur les points de $C(k)$ pour n'importe quel anneau $k$ : si $(x,y) \in C(k)$ et $(x',y') \in C(k)$, on définit leur composée $(x,y)\star (x',y') = (x'',y'')$ par \[ \left\{\begin{array}{c} x'' = xx'-yy'\\ y'' = xy'+yx'\\ \end{array}\right. \] (cf. les formules exprimant $\cos(\theta+\theta'),\sin(\theta+\theta')$ en fonction de $\cos\theta,\sin\theta$ et $\cos\theta',\sin\theta'$). Élément neutre : $(1,0)$ ; inverse de $(x,y)$ : $(x,-y)$. (Les fonctions trigonométriques, ``transcendantes'', servent à motiver ces formules, mais les formules sont parfaitement valables sur $\mathbb{F}_q$ bien que $\cos\theta,\sin\theta$ n'aient pas de sens !) \emph{Remarque :} Tout élément $f$ de l'anneau $\mathbb{R}[x,y]/(x^2+y^2-1)$ définit une fonction réelle sur le cercle $C(\mathbb{R})$ : ces fonctions s'appellent « polynômes trigonométriques ». Tout élément de l'anneau $\mathbb{Z}[x,y]/(x^2+y^2-1)$ définit une fonction (à valeurs dans $k$) sur \emph{n'importe quel} $C(k)$. On verra aussi plus loin qu'un élément de $C(k)$ peut se voir comme un morphisme d'anneaux $\mathbb{Z}[x,y]/(x^2+y^2-1) \to k$. % % % \section{Prolégomènes d'algèbre commutative} \subsection{Anneaux réduits, intègres}\label{subsection-reduced-and-integral-rings} Anneau \textbf{réduit} = anneau dans lequel $x^n = 0$ implique $x = 0$. En général, un $x$ (dans un anneau $A$) tel que $x^n = 0$ pour un certain $n \in \mathbb{N}$ s'appelle un élément \textbf{nilpotent}. Anneau \textbf{intègre} = anneau non nul dans lequel $xy = 0$ implique $x=0$ ou $y=0$ (remarque : la réciproque vaut dans tout anneau). En général, un $x$ (dans un anneau $A$) tel qu'il existe $y \neq 0$ tel que $xy = 0$ s'appelle un \textbf{diviseur de zéro}. Élément \textbf{inversible} (ou \emph{unité}) d'un anneau $A$ = élément $x$ tel qu'il existe $y$ vérifiant $xy = 1$. L'ensemble $A^\times$ ou $\mathbb{G}_m(A)$ des tels éléments forme un \emph{groupe}, appelé groupe multiplicatif des inversibles de $A$. Un \textbf{corps} est un anneau tel que $A^\times = A\setminus\{0\}$. Un corps est un anneau intègre. Un anneau intègre est un anneau réduit. \smallbreak Idéal \textbf{maximal} d'un anneau $A$ = un idéal $\mathfrak{m} \neq A$ tel que si $\mathfrak{m} \subseteq \mathfrak{m}'$ (avec $\mathfrak{m}'$ un autre idéal) alors soit $\mathfrak{m}'=\mathfrak{m}$ soit $\mathfrak{m}'=A$). Propriété équivalente : c'est un idéal $\mathfrak{m}$ tel que $A/\mathfrak{m}$ soit un corps. Idéal \textbf{premier} d'un anneau $A$ = un idéal $\mathfrak{p} \neq A$ tel que si $x,y\not\in\mathfrak{p}$ alors $xy \not\in \mathfrak{p}$. Propriété équivalente : c'est un idéal $\mathfrak{p}$ tel que $A/\mathfrak{p}$ soit intègre. Idéal \textbf{radical} d'un anneau $A$ = un idéal $\mathfrak{r}$ tel que si $x^n \in \mathfrak{r}$ alors $x \in \mathfrak{r}$. Propriété équivalente : c'est un idéal $\mathfrak{r}$ tel que $A/\mathfrak{r}$ soit réduit. \emph{Exemples :} L'idéal $7\mathbb{Z}$ de $\mathbb{Z}$ est maximal (le quotient $\mathbb{Z}/7\mathbb{Z}$ est un corps), donc \textit{a fortiori} premier et radical. L'idéal $0$ de $\mathbb{Z}$ est premier mais non maximal (le quotient $\mathbb{Z}/0\mathbb{Z} = \mathbb{Z}$ est un anneau intègre mais non un corps). L'idéal $6\mathbb{Z}$ de $\mathbb{Z}$ est radical mais n'est pas premier. L'idéal $9\mathbb{Z}$ de $\mathbb{Z}$ n'est pas radical. \smallbreak Un anneau est un corps ssi son idéal $(0)$ est maximal. Un anneau est intègre ssi son idéal $(0)$ est premier. Un anneau est réduit ssi son idéal $(0)$ est radical. Un anneau est dit \textbf{local} lorsqu'il a un unique idéal maximal. (En particulier, un corps est un anneau local.) Le quotient d'un anneau local par son idéal maximal s'appelle son \emph{corps résiduel}. \emph{Exercice :} l'anneau $A$ des rationnels de la forme $\frac{a}{b}$ avec $a,b \in \mathbb{Z}$ et $b$ impair est un anneau local dont l'idéal maximal $\mathfrak{m}$ est formé des $\frac{a}{b}$ avec $a$ pair. (Quel est le corps résiduel ?) \smallbreak On admet le résultat ensembliste suivant : \begin{lem}[principe maximal de Hausdorff] Soit $\mathscr{F}$ un ensemble de parties d'un ensemble $A$. On suppose que $\mathscr{F}$ est non vide et que pour toute partie non vide $\mathscr{T}$ de $\mathscr{F}$ totalement ordonnée par l'inclusion (c'est-à-dire telle que pour $I,I' \in \mathscr{T}$ on a soit $I \subseteq I'$ soit $I \supseteq I'$) la réunion $\bigcup_{I \in \mathscr{T}} I$ soit contenue dans un élément de $\mathscr{F}$. Alors il existe dans $\mathscr{F}$ un élément $\mathfrak{M}$ maximal pour l'inclusion (c'est-à-dire que si $I \supseteq \mathfrak{M}$ avec $I \in \mathscr{F}$ alors $I=\mathfrak{M}$). \end{lem} \begin{prop}\label{existence-maximal-ideals} Dans un anneau $A$, tout idéal strict (=autre que $A$) est inclus dans un idéal maximal. \end{prop} \begin{proof} Si $I$ est un idéal strict de $A$, on applique le principe maximal de Hausdorff à $\mathscr{F}$ l'ensemble des idéaux stricts de $A$ contenant $I$. Si $\mathscr{T}$ est une chaîne (=partie totalement ordonnée pour l'inclusion) de tels idéaux, la réunion $\bigcup_{I \in \mathscr{T}} I$ en est encore un\footnote{La réunion de deux idéaux n'est généralement pas un idéal, car si $x\in I$ et $x' \in I'$, la somme $x+x'$ n'a pas de raison d'appartenir à $I\cup I'$. En revanche, si $\mathscr{T}$ est une famille d'idéaux totalement ordonnée par l'inclusion, alors $\bigcup_{I \in \mathscr{T}} I$ est un idéal : si $x\in I$ et $x' \in I'$, où $I,I'\in \mathscr{T}$, on peut écrire soit $I \subseteq I'$ soit $I'\subseteq I$, et dans un cas comme dans l'autre on a $x+x' \in \bigcup_{I \in \mathscr{T}} I$.} (pour voir que la réunion est encore un idéal strict, remarquer que $1$ n'y appartient pas). Le principe maximal de Hausdorff permet de conclure. \end{proof} \begin{prop} Dans un anneau, l'ensemble des éléments nilpotents est un idéal : c'est le plus petit idéal radical. Cet idéal est précisément l'intersection des idéaux premiers de l'anneau. On l'appelle le \textbf{nilradical} de l'anneau. \end{prop} \begin{proof} L'ensemble des nilpotents est un idéal car si $x^n=0$ et $y^n=0$ alors $(x+y)^{2n}=0$ en développant. Il est inclus dans tout idéal radical, et il est visiblement lui-même radical : c'est donc le plus petit idéal radical. Étant inclus dans tout idéal radical, il est \textit{a fortiori} inclus dans tout idéal premier. Reste à montrer que si $z$ est inclus dans tout idéal premier, alors $x$ est nilpotent. Supposons que $z$ n'est pas nilpotent. Considérons $\mathfrak{p}$ un idéal maximal pour l'inclusion parmi les idéaux ne contenant aucun $z^n$ : un tel idéal existe d'après le principe maximal de Hausdorff (il existe un idéal ne contenant aucun $z^n$, à savoir $\{0\}$). Montrons qu'il est premier : si $x,y \not \in \mathfrak{p}$, on veut voir que $xy \not\in \mathfrak{p}$. Par maximalité de $\mathfrak{p}$, chacun des idéaux\footnote{On rappelle que si $I,J$ sont deux idéaux d'un anneau, l'ensemble $I + J = \{u+v : u\in I, v\in J\}$ est un idéal, c'est l'idéal engendré par $I\cup J$, c'est-à-dire, le plus petit idéal contenant $I$ et $J$ ; on l'appelle idéal somme de $I$ et $J$. Dans le cas particulier où $J = (x)$ est engendré par un élément, c'est donc l'idéal engendré par $I\cup\{x\}$.} $\mathfrak{p}+(x)$ et $\mathfrak{p}+(y)$ doit rencontrer $\{z^n\}$, c'est-à-dire qu'on doit pouvoir trouver deux éléments de la forme $f+ax$ et $g+by$ avec $f,g\in\mathfrak{p}$ et $a,b\in A$, qui soient des puissances de $z$ ; leur produit est alors aussi une puissance de $z$, donc n'est pas dans $\mathfrak{p}$, donc $abxy \not\in\mathfrak{p}$ (car les trois autres termes sont dans $\mathfrak{p}$), et a plus forte raison $xy \not\in \mathfrak{p}$. \end{proof} En appliquant ce résultat à $A/I$, on obtient : \begin{prop} Si $A$ est un anneau et $I$ un idéal de $A$, l'ensemble des éléments tels que $z^n \in I$ pour un certain $n \in \mathbb{N}$ est un idéal : c'est le plus petit idéal radical contenant $I$. Cet idéal est précisément l'intersection des idéaux premiers de $A$ contenant $I$. On l'appelle le \textbf{radical} de l'idéal $I$ et on le note $\surd I$. \end{prop} L'intersection des idéaux maximaux d'un anneau s'appelle le \textbf{radical de Jacobson} de cet anneau : il est, en général, strictement plus grand que le nilradical. Notons aussi la conséquence facile suivante de la proposition \ref{existence-maximal-ideals}. \begin{prop}\label{non-invertible-elements-and-maximal-ideals} Dans un anneau $A$, l'ensemble des éléments non-inversibles est la réunion de tous les idéaux maximaux. \end{prop} \begin{proof} Dire que $x$ est inversible signifie que $x$ engendre l'idéal unité. Si c'est le cas, $x$ n'appartient à aucun idéal strict de $A$, et en particulier aucun idéal maximal. Réciproquement, si $x$ n'est pas inversible, l'idéal $(x)$ qu'il engendre est strict, donc inclus dans un idéal maximal $\mathfrak{m}$ d'après \ref{existence-maximal-ideals}, donc $x$ est bien dans la réunion des idéaux maximaux. \end{proof} % \subsection{Modules} Un \textbf{module} $M$ sur un anneau $A$ est un groupe abélien muni d'une multiplication externe $A \times M \to M$ vérifiant : \begin{itemize} \item $a(x+y) = ax + ay$ \item $1x = x$ \item $(ab)x = a(bx)$ \item $(a+b)x = ax + bx$ \end{itemize} (Exercice : $a0 = 0$, $a(-x) = -(ax)$, $0x = x$, $(-a)x = -(ax)$...) Un \textbf{sous-module} $M'$ d'un module $M$ est un sous-groupe $M'$ de $M$ tel que $ax \in M'$ dès que $x\in M'$ et $a\in A$. Tout anneau est un module sur lui-même de façon évidente. Un sous-$A$-module de $A$ est la même chose qu'un idéal de $A$. Si $B$ est une $A$-algèbre, c'est-à-dire si on se donne un morphisme d'anneaux $A \buildrel\varphi\over\to B$, on peut voir $B$ comme un $A$-module (par $a\cdot b = \varphi(a)\,b$). Module de type fini = il existe une famille \emph{finie} $(x_i)$ d'éléments de $M$ qui engendre $M$ comme $A$-module, c'est-à-dire que tout $x \in M$ peut s'écrire $\sum_i a_i x_i$ pour certains $a_i \in A$. Module libre = il existe une base $(x_i)$, c'est-à-dire une famille (non né\-ces\-sairement finie) telle que tout $x \in M$ peut s'écrire \emph{de façon unique} comme $\sum_i a_i x_i$ pour certains $a_i \in A$ tous nuls sauf un nombre fini (de façon unique, c'est-à-dire que $\sum_i a_i x_i = 0$ implique $a_i = 0$ pour tout $i$). % \subsection{Anneaux noethériens} Anneau \textbf{noethérien} : c'est un anneau $A$ vérifiant les proprités équivalentes suivantes : \begin{itemize} \item toute suite croissante pour l'inclusion $I_0 \subseteq I_1 \subseteq I_2 \subseteq \cdots$ d'idéaux de $A$ stationne (c'est-à-dire est constante à partir d'un certain rang) ; \item tout idéal $I$ de $A$ est de type fini : il existe une famille \emph{finie} $(x_i)$ d'éléments de $I$ qui engendre $I$ comme idéal (= comme $A$-module) (c'est-à-dire que tout $x \in I$ peut s'écrire $\sum_i a_i x_i$ pour certains $a_i \in A$) ; \item plus précisément, si $I$ est l'idéal engendré par une famille $x_i$ d'éléments, on peut trouver une sous-famille finie des $x_i$ qui engendre le même idéal $I$ ; \item un sous-module d'un $A$-module de type fini est de type fini. \end{itemize} L'essentiel des anneaux utilisés en géométrie algébrique (en tout cas, auxquels on aura affaire) sont noethériens. L'anneau $\mathbb{Z}$ est noethérien. Tout corps est un anneau noethérien. Tout quotient d'un anneau noethérien est noethérien (attention : il n'est pas vrai qu'un sous-anneau d'un anneau noethérien soit toujours noethérien). Et surtout : \begin{prop}[théorème de la base de Hilbert] Si $A$ est un anneau noethérien, alors l'anneau $A[t]$ des polynômes à une indéterminée sur $A$ est noethérien. \end{prop} \begin{proof} Soit $I \subseteq A[t]$ un idéal. Supposons par l'absurde que $I$ n'est psa de type fini. On construit par récurrence une suite $f_0,f_1,f_2,\ldots$ d'éléments de $I$ comme suit. Si $f_0,\ldots,f_{r-1}$ ont déjà été choisis, comme l'idéal $(f_0,\ldots,f_{r-1})$ qu'ils engendrent n'est pas $I$, on peut choisir $f_r$ de plus petit degré possible parmi les éléments de $I$ non dans $(f_0,\ldots,f_{r-1})$. Appelons $c_i$ le coefficient dominant de $f_i$. Comme $A$ est supposé noethérien, il existe $m$ tel que $c_0,\ldots,c_{m-1}$ engendrent l'idéal $J$ engendré par tous les $c_i$. Montrons qu'en fait $f_0,\ldots,f_{m-1}$ engendrent $I$ (ce qui constitue une contradiction). On peut écrire $c_m = a_0 c_0 + \cdots + a_{m-1} c_{m-1}$. Par ailleurs, le degré de $f_m$ est supérieur ou égal au degré de chacun de $f_0,\ldots,f_{m-1}$ par minimalité de ces derniers. On peut donc construire le polynôme $g = \sum_{i=0}^{m-1} a_i f_i t^{\deg f_m - \deg f_i}$, qui a les mêmes degré et coefficient dominant que $f_m$, et qui appartient à $(f_0,\ldots,f_{m-1})$. Alors, $f_m - g$ est de degré strictement plus petit que $f_m$, il appartient à $I$ mais pas à $(f_0,\ldots,f_{m-1})$ : ceci contredit la minimalité dans le choix de $f_m$. \end{proof} En itérant ce résultat, on voit que si $A$ est noethérien, alors $A[t_1,\ldots,t_d]$ l'est pour tout $d\in\mathbb{N}$. Comme un quotient d'un anneau noethérien est encore noethérien : \begin{defn}\label{finite-type-algebras} Une $A$-algèbre $B$ est dite \textbf{de type fini} (comme $A$-algèbre) lorsqu'il existe $x_1,\ldots,x_d \in B$ (qu'on dit \emph{engendrer} $B$ comme $A$-algèbre) tel que tout élément de $B$ s'écrive $f(x_1,\ldots,x_d)$ pour un certain polynôme $f \in A[t_1,\ldots,t_d]$. \end{defn} \danger\textbf{Attention :} Cela ne signifie pas que $B$ soit de type fini comme $A$-module. Lorsque c'est le cas, on dit que $B$ est une $A$-algèbre \emph{finie}, ce qui est plus fort car cela signifie que $f$ serait de degré $1$. (Par exemple, $k[t]$ est une $k$-algèbre de type fini, engendrée par $t$, mais pas finie.) Dire que $B$ est une $A$-algèbre de type fini engendrée par $x_1,\ldots,x_d$ signifie donc que le morphisme $\xi\colon A[t_1,\ldots,t_d] \to B$ défini par $f \mapsto f(x_1,\ldots,x_d)$ est \emph{surjectif}. Par conséquent, si $I$ désigne le noyau de ce morphisme (c'est-à-dire l'ensemble des $f \in A[t_1,\ldots,t_d]$ qui s'annulent en $(x_1,\ldots,x_d)$) alors $\xi$ définit un isomorphisme $A[t_1,\ldots,t_d]/I \buildrel\sim\over\to B$. On peut donc dire : une $A$-algèbre de type fini est un quotient de $A[t_1,\ldots,t_d]$ (pour un certain $d$). \begin{cor}\label{finite-type-algebras-are-noetherian} Une algèbre de type fini sur un anneau noethérien, et en particulier sur un corps ou sur $\mathbb{Z}$, est un anneau noethérien. \end{cor} % \subsection{Notes sur les morphismes}\label{subsection-note-morphisms} Si $A,B$ sont deux $k$-algèbres (où $k$ est un anneau), c'est-à-dire qu'on se donne deux morphismes $\varphi_A \colon k\to A$ et $\varphi_B \colon k\to B$, on note $\Hom_k(A,B)$ (ou bien $\Hom_{k\traitdunion\mathrm{Alg}}(A,B)$ s'il y a ambiguïté\footnote{Par exemple pour bien distinguer de l'ensemble $\Hom_{k\traitdunion\mathrm{Mod}}(A,B)$ des applications $k$-linéaires, ou morphismes de $k$-modules, entre $A$ et $B$ vus comme des $k$-modules.}) l'ensemble des morphismes de $k$-algèbres $A\to B$, c'est-à-dire l'ensemble des morphismes d'anneaux $A\buildrel\psi\over\to B$ « au-dessus de $k$ », ou faisant commuter le diagramme : \begin{center} \begin{tikzpicture}[auto] \matrix(diag)[matrix of math nodes,column sep=2.5em,row sep=5ex]{ A&&B\\&k&\\}; \draw[->] (diag-2-2) -- node{$\varphi_A$} (diag-1-1); \draw[->] (diag-2-2) -- node[swap]{$\varphi_B$} (diag-1-3); \draw[->] (diag-1-1) -- node{$\psi$} (diag-1-3); \end{tikzpicture} \end{center} Remarque : une $\mathbb{Z}$-algèbre est la même chose qu'un anneau, et un morphisme de $\mathbb{Z}$-algèbres qu'un morphisme d'anneaux. \begin{prop} \begin{itemize} \item $\Hom_k(k,A)$ est un singleton pour toute $k$-algèbre $A$. \item $\Hom_k(k[t],A)$ est en bijection avec $A$ en envoyant $\psi\colon k[t]\to A$ sur $\psi(t)$. \item De même, $\Hom_k(k[t_1,\ldots,t_d],A)$ est en bijection avec l'ensemble $A^d$ (en envoyant $\psi$ sur $(\psi(t_1),\ldots,\psi(t_d))$). \item Si $I$ est un idéal de $R$, alors $\Hom_k(R/I, A)$ est en bijection avec le sous-ensemble de $\Hom_k(R,A)$ formé des $\psi\colon R\to A$ qui s'annulent sur $I$ (la bijection envoyant $\hat\psi \colon R/I \to A$ sur $\psi \colon R\to A$ composé de $\hat\psi$ avec la surjection canonique $R \to R/I$). \item (En particulier,) si $I = (f_1,\ldots,f_r)$ est un idéal de $k[t_1,\ldots,t_d]$ et si $R = k[t_1,\ldots,t_d]/I$, alors $\Hom_k(R, A)$ est en bijection avec l'ensemble $\{(x_1,\ldots,x_d) \in A^d :\penalty0 (\forall j)\,f_j(x_1,\ldots,x_d) = 0\}$ (noté $Z(I)(A)$). \end{itemize} \end{prop} À titre d'exemple, dans l'introduction on avait posé $C(T) = \{(x,y)\in T^2 : x^2+y^2 = 1\}$ pour tout anneau $T$. Un élément de $C(T)$ peut donc se voir comme un morphisme $\mathbb{Z}[x,y]/(x^2+y^2-1) \to T$. \textbf{Exercice :} Si on note $k[x,x^{-1}] = k[x,y]/(xy-1)$, à quoi peut-on identifier l'ensemble $\Hom_k(k[x,x^{-1}], A)$ ? \smallbreak Si $\beta\colon B \to B'$, on définit une application $\Hom_k(A,\beta)\colon \Hom_k(A,B) \to \Hom_k(A,B')$ par $\psi \mapsto \beta\circ\psi$ ; si $\alpha \colon A' \to A$ (attention au sens de la flèche !), on définit de même une application $\Hom_k(\alpha,B) \colon \Hom_k(A,B) \to \Hom_k(A',B)$ par $\psi \mapsto \psi\circ\alpha$. Ces applications $\Hom_k(A,\beta)$ et $\Hom_k(\alpha,B)$ commutent au sens où $\Hom_k(\alpha,B') \circ \Hom_k(A,\beta) = \Hom_k(A',\beta) \circ \Hom_k(\alpha,B) \penalty0\colon \Hom_k(A,B) \to \Hom_k(A',B')$ (c'est trivial : composer $\psi$ à droite par $\alpha$ puis à gauche par $\beta$ revient à le composer à gauche par $\beta$ puis à droite par $\alpha$). De façon à peine moins triviale : \begin{prop}[lemme de Yoneda] Soient $B,B'$ deux $k$-algèbres. On suppose que pour toute $k$-algèbre $A$ on se donne une application $\beta_A\colon \Hom_k(A,B) \to \Hom_k(A,B')$ telle que si $\alpha\colon A'\to A$ alors $\Hom_k(\alpha,B') \circ \beta_A = \beta_{A'} \circ \Hom_k(\alpha,B)$. Alors il existe un unique morphisme $\beta\colon B \to B'$ de $k$-algèbres tel que $\beta_A = \Hom_k(A,\beta)$ pour toute $k$-algèbre $A$. Dans l'autre sens : si $A,A'$ sont deux $k$-algèbres, et si pour toute $k$-algèbre $B$ on se donne une application $\alpha_B\colon \Hom_k(A,B) \to \Hom_k(A',B)$ telle que $\alpha_{B'} \circ \Hom_k(A,\beta) = \Hom_k(A',\beta) \circ \alpha_B$, alors il existe un unique morphisme $\alpha\colon A'\to A$ de $k$-algèbres tel que $\alpha_B = \Hom_k(\alpha,B)$ pour toute $k$-algèbre $B$. \end{prop} \begin{proof} Prendre pour $\beta$ l'image de l'identité $\id_B$ par $\beta_B$, ou pour $\alpha$ l'image de l'identité $\id_A$ par $\alpha_A$. \end{proof} % \subsection{Localisation} On dit qu'une partie $S$ d'un anneau $A$ est \emph{multiplicative} lorsque $1\in S$ et $s,s'\in S \limp ss'\in S$. Par exemple, le complémentaire d'un idéal premier est, par définition, multiplicative ; en particulier, dans un anneau intègre, l'ensemble des éléments non nuls est une partie multiplicative. Dans ces conditions, on construit un anneau noté $A[S^{-1}]$ (ou $S^{-1}A$) de la façon suivante : ses éléments sont notés $a/s$ avec $a\in A$ et $s \in S$, où on identifie\footnote{Ce racourci de langage signifie qu'on considère la relation d'équivalence $\sim$ sur $A\times S$ définie par $(a,s) \sim (a',s')$ lorsqu'il existe $t \in S$ tel que $t(a's-as') = 0$, on appelle $A[S^{-1}]$ le quotient $(A\times S)/\sim$, et on note $a/s$ la classe de $(a,s)$ pour cette relation ; il faudrait encore vérifier que toutes les opérations proposées ensuite sont bien définies.} $a/s = a'/s'$ lorsqu'il existe $t \in S$ tel que $t(a's-as') = 0$. L'addition est définie par $(a/s)+(a'/s') = (a's+as')/(ss')$ (le zéro par $0/1$, l'opposé par $-(a/s) = (-a)/s$) et la multiplication par $(a/s)\cdot (a'/s') = (aa')/(ss')$ (l'unité par $1/1$). Cet anneau est muni d'un morphisme naturel $A \buildrel\iota\over\to A[S^{-1}]$ donné par $a \mapsto a/1$. On l'appelle le \textbf{localisé} de $A$ inversant la partie multiplicative $S$. Si $A$ est une $k$-algèbre (pour un certain anneau $k$) alors $A[S^{-1}]$ est une $k$-algèbre de façon évidente (en composant le morphisme structural $k\to A$ par le morphisme naturel $A \to A[S^{-1}]$). \begin{prop}\label{properties-localization} \begin{itemize} \item Le morphisme naturel $A \buildrel\iota\over\to A[S^{-1}]$ est injectif si et seulement si $S$ ne contient aucun diviseur de zéro. (Extrême inverse : si $S$ contient $0$, alors $A[S^{-1}]$ est l'anneau nul.) \item Tout idéal $J$ de $A[S^{-1}]$ est de la forme $J = I[S^{-1}] := \{a/s : a\in I,\penalty0 s \in S\}$ où $I$ est l'image réciproque dans $A$ (par le morphisme naturel $\iota\colon A \to A[S^{-1}]$) de l'idéal $J$ considéré. Autrement dit, $J \mapsto \iota^{-1}(J)$ définit une injection des idéaux de $A[S^{-1}]$ dans ceux de $A$. \item Un idéal $I$ de $A$ est de la forme $\iota^{-1}(J)$ pour un idéal $J$ de $A[S^{-1}]$ (né\-ces\-sai\-rement $J = I[S^{-1}]$ d'après le point précédent) ssi aucun élément de $S$ n'est diviseur de zéro dans $A/I$. \item En particulier, $\mathfrak{p} \mapsto \iota^{-1}(\mathfrak{p})$ définit une bijection entre les idéaux premiers de $A[S^{-1}]$ et ceux de $A$ ne rencontrant pas $S$. \item Si $A$ est une $k$-algèbre, $\Hom_k(A[S^{-1}],B)$ s'identifie, via $\Hom_k(\iota,B)\colon\penalty0 \Hom_k(A[S^{-1}],B) \to \Hom_k(A,B)$, au sous-ensemble de $\Hom_k(A,B)$ formé des morphismes $\psi\colon A\to B$ tels que $\psi(s)$ soit inversible pour tout $s\in S$. \end{itemize} \end{prop} Cas particuliers importants : si $\mathfrak{p}$ est premier et $S = A\setminus\mathfrak{p}$ est son com\-plé\-men\-taire, on note $A_{\mathfrak{p}} = A[S^{-1}]$ ; c'est un anneau local (dont l'idéal maximal est $\mathfrak{p}[S^{-1}] = \{a/s : a\in \mathfrak{p}, s \not\in \mathfrak{p}\}$) : on l'appelle le localisé de $A$ \textbf{en} $\mathfrak{p}$. Si $A$ est un anneau intègre et $S = A \setminus\{0\}$ l'ensemble des éléments non nuls de $A$, on note $\Frac(A) = A[S^{-1}]$ : c'est un corps, appelé \textbf{corps des fractions} de $A$. Par exemple, $\Frac(\mathbb{Z}) = \mathbb{Q}$ et $\Frac(k[t]) = k(t)$ pour $k$ un corps. Toute partie $\Sigma$ de $A$ engendre une partie multiplicative $S$ (c'est l'intersection de toutes les parties multiplicatives contenant $\Sigma$, ou simplement l'ensemble de tous les produits possibles d'éléments de $\Sigma$) : on note généralement $A[\Sigma^{-1}]$ pour $A[S^{-1}]$. En particulier, lorsque $\Sigma$ est le singleton d'un élément $\sigma$, on note $A[\sigma^{-1}]$ ou $A[\frac{1}{\sigma}]$. \begin{prop}\label{localization-inverting-one-element} Si $A$ est un anneau et $f\in A$ alors $A[\frac{1}{f}] \cong A[z]/(zf-1)$ (ici, $A[z]$ est l'anneau des polynômes en une indéterminée) par un isomorphisme envoyant $\frac{a}{f^n}$ sur la classe de $a z^n$. \end{prop} \begin{proof} Considérons le morphisme $A[z] \to A[\frac{1}{f}]$ envoyant $z$ sur $\frac{1}{f}$, c'est-à-dire $h \mapsto h(\frac{1}{f})$ (pour $h \in A[z]$). Il est évident qu'il est surjectif ($a z^n$ s'envoie sur $\frac{a}{f^n}$) et que son noyau contient $zf-1$. Tout revient donc à montrer que si $h \in A[z]$ est dans le noyau, i.e., vérifie $h(\frac{1}{f}) = 0 \in A[\frac{1}{f}]$, alors $h$ est dans l'idéal engendré par $zf-1$. Mettons $h = c_0 + c_1 z + \cdots + c_n z^n$ : la condition $h(\frac{1}{z}) = 0$ signifie $(c_0 f^n + c_1 f^{n-1} + \cdots + c_n)/f^n = 0 \in A[\frac{1}{f}]$, c'est-à-dire qu'il existe $k$ tel que $c_0 f^{n+k} + c_1 f^{n+k-1} + \cdots + c_n f^k = 0$. Cherchons une écriture $h(z) = q(z)\,(1-zf)$ où $q \in A[z]$, disons $q(z) = d_0 + d_1 z + \cdots + d_N z^N$. En identifiant les coefficients, on trouve $c_0 = d_0$, $c_1 = d_1 - d_0 f$, $c_2 = d_2 - d_1 f$, etc., c'est-à-dire $d_0 = c_0$, $d_1 = c_0 f + c_1$, et généralement $d_r = c_0 f^r + \cdots + c_{r-1} f + c_r$ en convenant $c_i = 0$ si $i>n$. Pour que ceci définisse bien un polynôme $q$, il faut et il suffit que $d_r$ soit nul à partir d'un certain rang (à savoir $N+1$ avec les notations précédentes). Or la condition qu'on a trouvé s'exprime précisément par le fait que $d_{n+k} = 0$ ainsi que tous les $d_i$ ultérieurs. \end{proof} % \subsection{TODO} Lemme de Nakayama ? Produit tensoriel ? (Sous quelle forme ?) % % % \section{Variétés algébriques affines sur un corps algé\-bri\-que\-ment clos} Pour le moment, $k$ est un corps, qui sera bientôt algébriquement clos. % \subsection{Une question d'idéaux maximaux} On commence par une remarque : si $x = (x_1,\ldots,x_d)$ est un point de $k^d$, on dispose d'un \emph{morphisme d'évaluation en $x$}, $k[t_1,\ldots,t_d] \to k$, donné par $f \mapsto f(x_1,\ldots,x_d)$ (pour $f$ un polynôme à $d$ indéterminées), qui à $f$ associe sa valeur en $d$. Ce morphisme est évidemment surjectif (tout $c \in k$ est l'image du polynôme constant $c$). Si on appelle $\mathfrak{m}_x$ son noyau, c'est-à-dire, l'ensemble (donc l'idéal) des polynômes $f$ s'annulant en $x$, alors l'évaluation définit un isomorphisme $k[t_1,\ldots,t_d]/\mathfrak{m}_x \buildrel\sim\over\to k$. Par conséquent, $\mathfrak{m}_x$ est un idéal \emph{maximal} de $k[t_1,\ldots,t_d]$. Notons que $\mathfrak{m}_x$ est l'idéal $(t_1-x_1,\ldots,t_d-x_d)$ engendré par tous les $t_i - x_i$. Si $k$ n'est pas algébriquement clos, il n'est pas vrai que tout idéal maximal de $k[t_1,\ldots,t_d]$ soit de la forme $\mathfrak{m}_x$ pour un certain $x \in k^d$ (par exemple, si $k = \mathbb{R}$, l'idéal qu'on pourrait noter $\mathfrak{m}_{\{\pm i\}}$ de $\mathbb{R}[t]$ et formé des $f \in \mathbb{R}[t]$ tels que $f(i) = 0$, ou, de façon équivalente, $f(-i) = 0$, c'est-à-dire l'idéal engendré par $t^2+1$, n'est pas de cette forme, et d'ailleurs le quotient $\mathbb{R}[t]/(t^2+1)$ est isomorphe à $\mathbb{C}$ et pas à $\mathbb{R}$). En revanche, si $k$ \emph{est} algébriquement clos, on va voir ci-dessous que tout idéal maximal de $k[t_1,\ldots,t_d]$ est l'idéal $\mathfrak{m}_x$ des polynômes s'annulant en un certain point $x$. % \subsection{Correspondance entre fermés de Zariski et idéaux} \textbf{Comment associer une partie de $k^d$ à un idéal de $k[t_1,\ldots,t_d]$ ?} Si $\mathscr{F}$ est une partie de $k[t_1,\ldots,t_d]$, on définit un ensemble $Z(\mathscr{F}) = \{(x_1,\ldots,x_d) \in k^d :\penalty0 (\forall f\in \mathscr{F})\, f(x_1,\ldots,x_d) = 0\}$ (on devrait plutôt noter $Z(\mathscr{F})(k)$, surtout si $k$ n'est pas algébriquement clos, mais il le sera bientôt). Plus généralement, pour toute $k$-algèbre $A$, on définit $Z(\mathscr{F})(A) = \{(x_1,\ldots,x_d) \in A^d :\penalty0 (\forall f\in \mathscr{F})\, f(x_1,\ldots,x_d) = 0\}$. Remarques évidentes : si $\mathscr{F} \subseteq \mathscr{F}'$ alors $Z(\mathscr{F}) \supseteq Z(\mathscr{F}')$ (la fonction $Z$ est « décroissante pour l'inclusion ») ; on a $Z(\mathscr{F}) = \bigcap_{f\in \mathscr{F}} Z(f)$ (où $Z(f)$ est un racourci de notation pour $Z(\{f\})$). Plus intéressant : si $I$ est l'idéal engendré par $\mathscr{F}$ alors $Z(I) = Z(\mathscr{F})$. On peut donc se contenter de regarder les $Z(I)$ avec $I$ idéal de $k[t_1,\ldots,t_d]$. Encore un peu mieux : si $\surd I = \{f : (\exists n)\,f^n\in I\}$ désigne le radical de l'idéal $I$, on a $Z(\surd I) = Z(I)$ ; on peut donc se contenter de considérer les $Z(I)$ avec $I$ idéal radical. On appellera \textbf{fermé de Zariski} dans $k^d$ une partie $E$ de $k^d$ vérifiant le premier point, c'est-à-dire de la forme $Z(\mathscr{F})$ pour une certaine partie $\mathscr{F}$ de $k[t_1,\ldots,t_d]$, dont on a vu qu'on pouvait supposer qu'il s'agit d'un idéal radical. Le vide est un fermé de Zariski ($Z(1) = \varnothing$) ; l'ensemble $k^d$ tout entier est un fermé de Zariski ($Z(0) = k^d$) ; tout singleton est un fermé de Zariski ($Z(\mathfrak{m}_x) = \{x\}$, par exemple en voyant $\mathfrak{m}_x$ comme $(t_1-x_1,\ldots,t_d-x_d)$). Si $(E_i)_{i\in \Lambda}$ sont des fermés de Zariski, alors $\bigcap_{i\in \Lambda} E_i$ est un fermé de Zariski : plus précisément, si $(I_i)_{i\in \Lambda}$ sont des idéaux de $k[t_1,\ldots,t_d]$, alors $Z(\sum_{i\in\Lambda} I_i) = \bigcap_{i\in\Lambda} Z(I_i)$. Si $E,E'$ sont des fermés de Zariski, alors $E \cup E'$ est un fermé de Zariski : plus précisément, si $I,I'$ sont des idéaux de $k[t_1,\ldots,t_d]$, alors $Z(I\cap I') = Z(I) \cup Z(I')$ (l'inclusion $\supseteq$ est évidente ; pour l'autre inclusion, si $x \in Z(I\cap I')$ mais $x \not\in Z(I)$, il existe $f\in I$ tel que $f(x) \neq 0$, et alors pour tout $f' \in I'$ on a $f(x)\,f'(x) = 0$ puisque $ff' \in I\cap I'$, donc $f'(x) = 0$, ce qui prouve $x \in Z(I')$). \medbreak \textbf{Comment associer un idéal de $k[t_1,\ldots,t_d]$ à une partie de $k^d$ ?} Réciproquement, si $E$ est une partie de $k^d$, on note $\mathfrak{I}(E) = \{f\in k[t_1,\ldots,t_d] :\penalty0 (\forall (x_1,\ldots,x_d)\in E)\, f(x_1,\ldots,x_d)=0\}$. Vérification facile : c'est un idéal de $k[t_1,\ldots,t_d]$, et même un idéal radical. Remarque évidente : si $E \subseteq E'$ alors $\mathfrak{I}(E) \supseteq \mathfrak{I}(E')$ ; on a $\mathfrak{I}(E) = \bigcap_{x\in E} \mathfrak{m}_x$ (où $\mathfrak{m}_x$ désigne l'idéal maximal $\mathfrak{I}(\{x\})$ des polynômes s'annulant en $x$), et en particulier $\mathfrak{I}(E) \neq k[t_1,\ldots,t_d]$ dès que $E \neq \varnothing$. On a de façon triviale $\mathfrak{I}(\varnothing) = k[t_1,\ldots,t_d]$. De façon moins évidente, si $k$ est infini (ce qui est en particulier le cas lorsque $k$ est algébriquement clos), on a $\mathfrak{I}(k^d) = (0)$ (démonstration par récurrence sur $d$, laissée en exercice). \danger Sur un corps fini $\mathbb{F}_q$, on a $\mathfrak{I}({\mathbb{F}_q}^d) \neq (0)$. Par exemple, si $t$ est une des in\-dé\-ter\-mi\-nées, le polynôme $t^q-t$ s'annule en tout point de ${\mathbb{F}_q}^d$. \medbreak \textbf{Le rapport entre ces deux fonctions} On a $E \subseteq Z(\mathscr{F})$ ssi $\mathscr{F} \subseteq \mathfrak{I}(E)$ (les deux signifiant « tout polynôme dans $\mathscr{F}$ s'annule en tout point de $E$ »). En particulier, en appliquant ceci à $\mathscr{F} = \mathfrak{I}(E)$, on a $E \subseteq Z(\mathfrak{I}(E))$ pour toute partie $E$ de $k^d$ ; et en l'appliquant à $E = Z(\mathscr{F})$, on a $\mathscr{F} \subseteq \mathfrak{I}(Z(\mathscr{F}))$. De $E \subseteq Z(\mathfrak{I}(E))$ on déduit $\mathfrak{I}(E) \supseteq \mathfrak{I}(Z(\mathfrak{I}(E)))$ (car $\mathfrak{I}$ est décroissante), mais par ailleurs $\mathfrak{I}(E) \subseteq \mathfrak{I}(Z(\mathfrak{I}(E)))$ en appliquant l'autre inclusion à $\mathfrak{I}(E)$ : donc $\mathfrak{I}(E) = \mathfrak{I}(Z(\mathfrak{I}(E)))$ pour toute partie $E$ de $k^d$ ; de même, $Z(\mathscr{F}) = Z(\mathfrak{I}(Z(\mathscr{F})))$ pour tout ensemble $\mathscr{F}$ de polynômes. On a donc prouvé : \begin{prop} Avec les notations ci-dessus : \begin{itemize} \item Une partie $E$ de $k^d$ vérifie $E = Z(\mathfrak{I}(E))$ si et seulement si elle est de la forme $Z(\mathscr{F})$ pour un certain $\mathscr{F}$ (=: c'est un fermé de Zariski), et dans ce cas on peut prendre $\mathscr{F} = \mathfrak{I}(E)$, qui est un idéal radical. \item Une partie $I$ de $k[t_1,\ldots,t_d]$ vérifie $I = \mathfrak{I}(Z(I))$ si et seulement si elle est de la forme $\mathfrak{I}(E)$ pour un certain $E$, et dans ce cas on peut prendre $E = Z(I)$, et $I$ est un idéal radical de $k[t_1,\ldots,t_d]$. \item Les fonctions $\mathfrak{I}$ et $Z$ se restreignent en des bijections décroissantes réci\-proques entre l'ensemble des parties $E$ de $k^d$ vérifiant le premier point ci-dessus et l'ensemble des idéaux radicaux $I$ de $k[t_1,\ldots,t_d]$ vérifiant le second. \end{itemize} \end{prop} On a appelé \textbf{fermé de Zariski} une partie $E$ de $k^d$ vérifiant le premier point, c'est-à-dire de la forme $Z(\mathscr{F})$ pour une certaine partie $\mathscr{F}$ de $k[t_1,\ldots,t_d]$ : on a vu qu'on pouvait supposer qu'il s'agit d'un idéal radical, et on vient de voir qu'on peut écrire précisément $E = Z(I)$ où $I = \mathfrak{I}(E)$. (On ne donne pas de nom particulier aux idéaux vérifiant le second point (=être dans l'image de la fonction $\mathfrak{I}$), mais on va voir que pour $k$ algébriquement clos il s'agit de tous les idéaux radicaux.) \medbreak \textbf{Fermés irréductibles et idéaux premiers} On dit qu'un fermé de Zariski $E \subseteq k^d$ non vide est \textbf{irréductible} lorsqu'on ne peut pas écrire $E = E' \cup E''$, où $E',E''$ sont deux fermés de Zariski (forcément contenus dans $E$...), sauf si $E'=E$ ou $E''=E$. \emph{Contre-exemple :} $Z(xy)$ (dans le plan $k^2$ de coordonnées $x,y$) n'est pas ir\-ré\-duc\-tible, car $Z(xy) = \{(x,y) \in k^2 : xy=0\} = \{(x,y) \in k^2 : x=0\penalty0\ \textrm{ou}\penalty0\ y=0\} = Z(x) \cup Z(y)$ est réunion de $Z(x)$ (l'axe des ordonnées) et $Z(y)$ (l'axe des abscisses) qui sont tous les deux strictement plus petits que $Z(xy)$. \begin{prop}\label{closed-irreducible-iff-prime-ideal} Un fermé de Zariski $E \subseteq k^d$ est irréductible si, et seulement si, l'idéal $\mathfrak{I}(E)$ est premier. \end{prop} \begin{proof} Supposons $\mathfrak{I}(E)$ premier : on veut montrer que $E$ est irréductible. Supposons $E = E' \cup E''$ comme ci-dessus (on a vu que $E = Z(\mathfrak{I}(E))$, $E' = Z(\mathfrak{I}(E'))$ et $E'' = Z(\mathfrak{I}(E''))$) : on veut montrer que $E' = E$ ou $E'' = E$. Supposons le contraire, c'est-à-dire $\mathfrak{I}(E) \neq \mathfrak{I}(E')$ et $\mathfrak{I}(E) \neq \mathfrak{I}(E'')$. Il existe alors $f' \in \mathfrak{I}(E') \setminus \mathfrak{I}(E)$ et $f'' \in \mathfrak{I}(E'') \setminus \mathfrak{I}(E)$. On a alors $f'f'' \not\in \mathfrak{I}(E)$ car $\mathfrak{I}(E)$ est premier, et pourtant $f'f''$ s'annule sur $E'$ et $E''$ donc sur $E$, une contradiction. Réciproquement, supposons $E$ irréductible : on veut montrer que $\mathfrak{I}(E)$ est premier. Soient $f',f''$ tels que $f'f'' \in \mathfrak{I}(E)$ : posons $E' = Z(\mathfrak{I}(E) + (f'))$ et $E'' = Z(\mathfrak{I}(E) + (f''))$. On a $E' \subseteq E$ et $E'' \subseteq E$ puisque $E = Z(\mathfrak{I}(E))$, et en fait $E' = E \cap Z(f')$ et $E'' = E \cap Z(f'')$ ; on a par ailleurs $E = E' \cup E''$ (car si $x \in E$ alors $f'(x)\,f''(x) = 0$ donc soit $f'(x)=0$ soit $f''(x)=0$, et dans le premier cas $x \in E'$ et dans le second $x \in E''$). Puisqu'on a supposé $E$ irréductible, on a, disons, $E' = E$, c'est-à-dire $E \subseteq Z(f')$, ce qui signifie $f' \in \mathfrak{I}(E)$. Ceci montre bien que $\mathfrak{I}(E)$ est premier. \end{proof} % \subsection{Le Nullstellensatz} (Nullstellensatz, littéralement, « théorème du lieu d'annulation », ou « théorème des zéros de Hilbert ».) On suppose maintenant que $k$ est algébriquement clos ! \begin{prop}[Nullstellensatz faible] Soit $k$ un corps algébriquement clos. Si $I$ est un idéal de $k[t_1,\ldots,t_d]$ tel que $Z(I) = \varnothing$, alors $I = k[t_1,\ldots,t_d]$. \end{prop} \begin{proof}[Démonstration dans le cas particulier où $k$ est indénombrable.] Supposons par contraposée $I \subsetneq k[t_1,\ldots,t_d]$. Alors il existe un idéal maximal $\mathfrak{m}$ tel que $I \subseteq \mathfrak{m}$, et on a $Z(\mathfrak{m}) \subseteq Z(I)$. On va montrer $Z(\mathfrak{m}) \neq \varnothing$. Soit $K = k[t_1,\ldots,t_d]/\mathfrak{m}$. Il s'agit d'un corps, qui est de dimension au plus dénombrable (=il a une famille génératrice dénombrable, à savoir les images des monômes dans les $t_i$) sur $k$. Mais $K$ ne peut pas contenir d'élément transcendant $\tau$ sur $k$ car, $k$ ayant été supposé indénombrable, la famille des $\frac{1}{\tau - x}$ pour $x\in k$ serait linéairement indépendante (par décomposition en élément simples) dans $k(\tau)$ donc dans $K$. Donc $K$ est algébrique sur $k$. Comme $k$ était supposé algébriquement clos, on a en fait $K=k$. Les classes des indéterminées $t_1,\ldots,t_d$ définissent alors des éléments $x_1,\ldots,x_d \in k$, et pour tout $f \in \mathfrak{m}$, on a $f(x_1,\ldots,x_d) = 0$. Autrement dit, $(x_1,\ldots,x_d) \in Z(\mathfrak{m})$, ce qui conclut. \end{proof} En fait, dans le cours de cette démonstration, on a montré (dans le cas particulier où on s'est placé, mais c'est vrai en général) : \begin{prop}[{idéaux maximaux de $k[t_1,\ldots,t_d]$}]\label{maximal-ideals-of-polynomial-algebras} Soit $k$ un corps algé\-bri\-que\-ment clos. Tout idéal maximal $\mathfrak{m}$ de $k[t_1,\ldots,t_d]$ est de la forme $\mathfrak{m}_{(x_1,\ldots,x_d)} := \{f : f(x_1,\ldots,x_d) = 0\}$ pour un certain $(x_1,\ldots,x_d) \in k^d$. \end{prop} \begin{proof} En fait, on a prouvé que si $\mathfrak{m}$ est un idéal maximal, il existe $(x_1,\ldots,x_d) \in k^d$ tels que $(x_1,\ldots,x_d) \in Z(\mathfrak{m})$, ce qui donne $\mathfrak{m} \subseteq \mathfrak{I}(\{(x_1,\ldots,x_d)\})$, mais par maximalité de $\mathfrak{m}$ ceci est en fait une égalité. \end{proof} En particulier, le corps quotient $k[t_1,\ldots,t_d]/\mathfrak{m}$ est isomorphe à $k$, l'isomorphisme étant donnée par l'évaluation au point $(x_1,\ldots,x_d)$ tel que ci-dessus. \begin{thm}[Nullstellensatz = théorème des zéros de Hilbert] Soit $I$ un idéal de $k[t_1,\ldots,t_d]$ (toujours avec $k$ un corps algébriquement clos) : alors $\mathfrak{I}(Z(I)) = \surd I$ (le radical de $I$). \end{thm} \begin{proof} On sait que $\surd I \subseteq \mathfrak{I}(Z(I))$ et il s'agit de montrer la réciproque. Soit $f \in \mathfrak{I}(Z(I))$ : on veut prouver $f\in \surd I$. On vérifie facilement que ceci revient à montrer que l'idéal $I[\frac{1}{f}]$ de $k[t_1,\ldots,t_d,\frac{1}{f}]$ est l'idéal unité. Or $k[t_1,\ldots,t_d,\frac{1}{f}] = k[t_1,\ldots,t_d,z]/(zf-1)$ d'après \ref{localization-inverting-one-element}. Soit $J$ l'idéal engendré par $I$ et $zf-1$ dans $k[t_1,\ldots,t_d,z]$ : on voit que $Z(J) = \varnothing$ (dans $k^{d+1}$), car on ne peut pas avoir simultanément $f(x_1,\ldots,x_d) = 0$ et $z\,f(x_1,\ldots,x_d) = 1$, donc le Nullstellensatz faible entraîne $J = k[t_1,\ldots,t_d,z]$ : ceci donne $I[\frac{1}{f}] = k[t_1,\ldots,t_d,\frac{1}{f}]$. \end{proof} \begin{scho} Si $k$ est un corps algébriquement clos, les fonctions $I \mapsto Z(I)$ et $E \mapsto \mathfrak{I}(E)$ définissent des bijections réci\-proques, décroissantes pour l'inclusion, entre les idéaux radicaux de $k[t_1,\ldots,t_d]$ d'une part, et les fermés de Zariski de $k^d$ d'autre part. Ces bijections mettent les \emph{points} (c'est-à-dire les singletons) de $k^d$ en correspondance avec les idéaux maximaux de $k[t_1,\ldots,t_d]$ (ils ont tous pour quotient $k$), et les \emph{fermés irréductibles} en correspondance avec les idéaux premiers. \end{scho} % \subsection{L'anneau d'un fermé de Zariski} Si $X$ est un fermé de Zariski dans $k^d$ avec $k$ algébriquement clos, on a vu qu'il existe un unique idéal radical $I$ de $k[t_1,\ldots,t_d]$, à savoir l'idéal $I = \mathfrak{I}(X)$ des polynômes s'annulant sur $X$, tel que $X = Z(I)$. Le quotient $k[t_1,\ldots,t_d] / I$ (qui est donc un anneau réduit, et intègre ssi $X$ est irréductible) s'appelle l'\emph{anneau des fonctions régulières} sur $X$ et se note $\mathcal{O}(X)$. Pourquoi fonctions régulières ? On peut considérer un élément $f \in \mathcal{O}(X)$ comme une fonction $X \to k$ de la façon suivante : si $\tilde f \in k[t_1,\ldots,t_d]$ est un représentant de $f$ (modulo $I$) et si $x = (x_1,\ldots,x_d) \in X$, la valeur de $\tilde f(x_1,\ldots,x_d)$ ne dépend pas du choix de $\tilde f$ représentant $f$ puisque tout élément de $I$ s'annule en $x$ ; on peut donc appeler $f(x)$ cette valeur. Inversement, un $f \in \mathcal{O}(X)$ est complètement déterminé par sa valeur sur chaque point $x$ de $X$ (rappel : $k$ est algébriquement clos ici, et c'est important !) ; en effet, si $f$ s'annule en tout $x \in X$, tout élément de $k[t_1,\ldots,t_d]$ représentant $f$ s'annule en tout $x \in X$, c'est-à-dire appartient à $\mathfrak{I}(X)$, ce qui signifie justement $f = 0$ dans $\mathcal{O}(X)$. Moralité : on peut bien considérer les éléments de $\mathcal{O}(X)$ comme des fonctions. Ces fonctions sont, tout simplement, les restrictions à $X$ des fonctions polynomiales sur $k^d$. Dans le cas où $X = k^d$ tout entier (donc $I = (0)$), évidemment, $\mathcal{O}(X) = k[t_1,\ldots,t_d]$. On définit un fermé de Zariski de $X$ comme un fermé de Zariski de $k^d$ qui se trouve être inclus dans $X$. La bonne nouvelle est que la correspondance entre fermés de Zariski de $k^d$ et idéaux de $k[t_1,\ldots,t_d]$ se généralise presque mot pour mot à une correspondance entre fermés de Zariski de $X$ et idéaux de $\mathcal{O}(X)$ : \begin{prop} Avec les notations ci-dessus : \begin{itemize} \item Tout fermé de Zariski de $X$ est de la forme $Z(\mathscr{F}) := \{x\in X :\penalty0 {(\forall f\in \mathscr{F})}\penalty100\, f(x) = 0\}$ pour un certain ensemble $\mathscr{F}$ d'éléments de $\mathcal{O}(X)$. \item En posant $\mathfrak{I}(E) := \{f\in \mathcal{O}(X) :\penalty0 {(\forall x\in E)}\penalty100\, f(x)=0\}$, les fonctions $I \mapsto Z(I)$ et $E \mapsto \mathfrak{I}(E)$ définissent des bijections réci\-proques, décroissantes pour l'inclusion, entre les idéaux radicaux de $\mathcal{O}(X)$ d'une part, et les fermés de Zariski de $X$ d'autre part : on a $\mathfrak{I}(Z(I)) = \surd I$ pour tout idéal $I$ de $\mathcal{O}(X)$. \item Ces bijections mettent les \emph{points} (c'est-à-dire les singletons) de $X$ en correspondance avec les idéaux maximaux de $\mathcal{O}(X)$ (qui sont donc tous de la forme $\mathfrak{m}_x := \{f \in \mathcal{O}(X) : f(x)=0\}$ pour un $x\in X$) ; et les \emph{fermés irréductibles} en correspondance avec les idéaux premiers. \end{itemize} \end{prop} \smallbreak Soulignons en particulier que si $X'$ est un fermé de Zariski de $X$ (disons défini comme $X' = Z(I)$ où $I$ est un idéal radical de $\mathcal{O}(X)$), alors la surjection canonique $\mathcal{O}(X) \to \mathcal{O}(X)/I$ est un morphisme d'anneaux $\mathcal{O}(X) \to \mathcal{O}(X')$ qu'il faut interpréter comme envoyant une fonction régulière $f$ sur $X$ sur sa \emph{restriction} à $X'$, parfois notée $f|_{X'}$. % \subsection{Points à valeurs dans une $k$-algèbre} On reprend la même situation : $I$ est un idéal radical de $k[t_1,\ldots,t_d]$ et $X = Z(I)$ est le fermé de Zariski qu'il définit (et $\mathcal{O}(X) = k[t_1,\ldots,t_d] / I$ l'anneau des fonctions régulières sur $X$. On a pour l'instant considéré $X$ comme un sous-ensemble de $k^d$, mais on souhaite changer progressivement de point de vue ; notamment, l'ensemble pré\-cé\-dem\-ment noté $X$ aura de plus en plus tendance à être noté $X(k)$, en appliquant la définition suivante : Pour toute $k$-algèbre $A$, on note $X(A)$ ou $Z(I)(A)$ (et on appelle ensemble des \textbf{$A$-points} de $X$) l'ensemble $\{(x_1,\ldots,x_d) \in A^d :\penalty0 (\forall f \in I)\, f(x_1,\ldots,x_d) = 0\}$ des points de $A^d$ vérifiant les équations définissant $X$. L'ensemble $X(k)$ est donc celui qu'on a pré\-cé\-dem\-ment considéré sous le nom de $X$. Le cas particulier de l'espace affine tout entier (soit $I = (0)$) sera noté $\mathbb{A}^d$ (normalement on devrait écrire $\mathbb{A}^d_k$, mais c'est rarement important) : ainsi, $\mathbb{A}^d(A) = A^d$ pour toute $k$-algèbre $A$. Si $A \buildrel\varphi\over\to A'$ est un morphisme de $k$-algèbres, on a une application $X(\varphi) \colon X(A) \to X(A')$ qui à $(x_1,\ldots,x_d) \in X(A)$ associe $(\varphi(x_1),\ldots,\varphi(x_d)) \in X(A')$. (Par ailleurs, $X(\psi\circ\varphi) = X(\psi)\circ X(\varphi)$.) On aura de plus en plus tendance à considérer que $X$ ``est'' la donnée de ces ensembles $X(A)$ pour toute $k$-algèbre $A$ et de ces applications $X(\varphi)$ pour tout morphisme de $k$-algèbres $\varphi$ : la collection de ces données s'appelle le \textbf{foncteur des points} de $X$. \begin{rmk} D'après ce qu'on a expliqué en \ref{subsection-note-morphisms}, pour toute $k$-algèbre $A$, l'ensemble $\Hom_{k}(\mathcal{O}(X), A)$ des morphismes de $k$-algèbres de $\mathcal{O}(X)$ vers $A$ est en bijection avec $X(A)$ (la bijection envoyant un morphisme $\psi\colon \mathcal{O}(X) \to A$ sur le $d$-uplet $(\psi(t_1),\ldots,\psi(t_d))$ où $t_1,\ldots,t_d$ sont les classes des indéterminées dans le quotient $\mathcal{O}(X) = k[t_1,\ldots,t_d]/I$). On aura tendance à utiliser cette bijection tacitement, et à considérer que les éléments de $X(A)$ ``sont'' des morphismes d'anneaux $\mathcal{O}(X) \to A$. En particulier, les $k$-points de $X$ (c'est-à-dire l'ensemble précédemment noté $X$ et maintenant de préférence $X(k)$) peuvent être identifiés avec les éléments de $\Hom_{k}(\mathcal{O}(X), k)$, le point $x \in X$ étant identifié avec le morphisme $f \mapsto f(x)$ d'évaluation en $x$. La classification des idéaux maximaux de $\mathcal{O}(X)$ signifie donc que (pour $k$ algébriquement clos, insistons !) tout idéal maximal de $\mathcal{O}(X)$ est l'ensemble des fonctions régulières s'annulant en un $k$-point de $X$. \end{rmk} % \subsection{Morphismes de variétés algébriques affines}\label{subsection-morphisms-of-affine-algebraic-varieties} On appelle provisoirement \textbf{variété algébrique affine} dans $k^d$ (toujours avec $k$ algébriquement clos) un fermé de Zariski $X$ de $k^d$. Pourquoi cette terminologie redondante ? Le terme « fermé de Zariski » insiste sur $X$ en tant que plongée dans l'espace affine $\mathbb{A}^d$. Le terme de « variété algébrique affine » insiste sur l'aspect intrinsèque de $X$, muni de ses propres fermés de Zariski et de ses propres fonctions régulières, qu'on va maintenant présenter. On a vu ci-dessus comment associer à $X$ un anneau $\mathcal{O}(X)$ des fonctions régulières, et, pour chaque $k$-algèbre, on a identifié l'ensemble $X(A)$ des $A$-points de $X$ avec $\Hom_k(\mathcal{O}(X), A)$. On veut maintenant définir des morphismes entre ces variétés algébriques. Une fonction régulière doit être la même chose qu'un morphisme vers la droite affine. On définit donc : \begin{itemize} \item un morphisme [de $k$-variétés algébriques affines] $f$ de $X$ vers l'espace affine $\mathbb{A}^e$ de dimension $e$ est la donnée de $e$ fonctions régulières sur $X$, c'est-à-dire d'un $e$-uplet d'éléments de $\mathcal{O}(X)$, \item un morphisme [de $k$-variétés algébriques affines] $f$ de $X$ vers le fermé de Zariski $Y = Z(J)$ défini dans l'espace affine $\mathbb{A}^e$ par un idéal $J = (g_1,\ldots,g_r)$ est la donnée d'un $e$-uplet $(f_1,\ldots,f_e) \in \mathcal{O}(X)^e$ comme ci-dessus, vérifiant de plus les contraintes $g_j(f_1,\ldots,f_e) = 0$ pour tout $j$ (cela revient à demander $g_j(f_1(x),\ldots,f_e(x)) = 0$ pour tout $j$ et tout $x\in X$) ; \item on dit qu'un morphisme comme ci-dessus envoie le point $x \in X$ sur le point $(f_1(x),\ldots,f_e(x)) \in Y$ (c'est-à-dire, le point $(f_1(x),\ldots,f_e(x)) \in k^e$, qui se trouve appartenir à $Y$) ; en pariculier, il définit une fonction $X(k) \to Y(k)$, et plus généralement $X(A) \to Y(A)$ pour toute $k$-algèbre $A$ ; \item d'après ce qu'on a dit sur les fonctions régulières (un $f \in \mathcal{O}(X)$ est déterminé par ses valeurs sur $X(k)$, $k$ étant algébriquement clos), un morphisme $f \colon X\to Y$ est déterminé par ses valeurs sur $X(k)$ (toujours : $k$ étant algébriquement clos) ; \item on définit la composée d'un morphisme $f \colon X \to Y$ comme ci-dessus (représenté par $f_1,\ldots,f_e \in \mathcal{O}(X)$ si $Y \subseteq \mathbb{A}^e$) et d'un morphisme $g \colon Y \to Z$ (représenté par $g_1,\ldots,g_s \in \mathcal{O}(Y)$ si $Z \subseteq \mathbb{A}^s$) de la façon suivante : si $\tilde g_1,\ldots,\tilde g_s \in k[u_1,\ldots,u_e]$ relèvent $g_1,\ldots,g_s$, on représente $g\circ f$ par les éléments $\tilde g_1(f_1,\ldots,f_e), \ldots, \penalty-100 \tilde g_s(f_1,\ldots,f_e) \penalty-50 \in \mathcal{O}(X)$ ; on a, heureusement, $(g\circ f)(x) = g(f(x))$ pour tout $x \in X(k)$ (ou même tout $x \in X(A)$). \end{itemize} Pour dire les choses autrement, un morphisme $X \to \mathbb{A}^e$ est la donnée d'un $e$-uplet d'éléments de $\mathcal{O}(X)$, c'est-à-dire un élément de $\mathbb{A}^e(\mathcal{O}(X))$, et un morphise $X \to Y$ où $Y = Z(g_1,\ldots,g_r)$ est la donné d'un élément de $Y(\mathcal{O}(X))$. Ceci est encore équivalent à un morphisme de $k$-algèbres $f^* \colon \mathcal{O}(Y) \to \mathcal{O}(X)$, d'où la philosophie suivante : \begin{center} Un morphisme de $k$-variétés algébriques affines $f\colon X \to Y$ est ``la même chose'' qu'un morphisme de $k$-algèbres $f^*\colon \mathcal{O}(Y) \to \mathcal{O}(X)$. \end{center} Concrètement, avec les notations ci-dessus, le morphisme $\mathcal{O}(Y) \buildrel f^*\over \to \mathcal{O}(X)$ serait celui qui envoie un élément $h \in \mathcal{O}(Y)$ sur $h(f_1,\ldots,f_e) \in \mathcal{O}(X)$. Réciproquement, donné un morphisme $\varphi\colon \mathcal{O}(Y) \to \mathcal{O}(X)$ d'anneaux, le morphisme $X \to Y$ qui lui correspond est celui qui à un point $x \in X$ associe le $y \in Y$ défini par $h(y) = \varphi(h)(x)$ pour tout $h \in \mathcal{O}(Y)$. \smallbreak Il faut bien se rendre compte que le meme objet --- un morphisme $f \colon X \to Y$ de $k$-variétés algébriques --- peut être représenté par différentes données plus ou moins équivalentes : \begin{itemize} \item ($Y$ étant plongé dans $\mathbb{A}^e$ comme $Z(g_1,\ldots,g_r)$,) $e$ éléments de $\mathcal{O}(X)$ vérifiant les équations $g_j(f_1,\ldots,f_e) = 0$ pour tout $j$, \item ($Y$ étant plongé dans $\mathbb{A}^e$ comme $Z(g_1,\ldots,g_r)$, et $X$ dans $\mathbb{A}^d$ comme $Z(I)$,) $e$ éléments $\tilde f_1,\ldots,\tilde f_e \in k[t_1,\ldots,t_d]$, vus modulo $I$, définissant une fonction polynomiale $\mathbb{A}^d \to \mathbb{A}^e$ telle qu'il se trouve que $g_j(\tilde f_1,\ldots,\tilde f_e) \in I$ pour tout $j$, \item ($Y$ étant plongé dans $\mathbb{A}^e$ comme $Z(g_1,\ldots,g_r)$, et $X$ dans $\mathbb{A}^d$ comme $Z(I)$, et en utilisant le fait que $k$ est algébriquement clos,) une fonction de $X(k)$ vers $Y(k)$ qui se trouve être la restriction d'une fonction polynomiale $k^d \to k^e$ (c'est-à-dire donnée par $x \mapsto \tilde f_1(x),\ldots,\tilde f_e(x)$ pour certains $\tilde f_1,\ldots,\tilde f_e \in k[t_1,\ldots,t_d]$) qui se trouve avoir envoyer $X(k)$ dans $Y(k)$, \item un élément de $Y(\mathcal{O}(X))$, \item un morphisme d'anneaux $\mathcal{O}(Y) \to \mathcal{O}(X)$, \item pour chaque $k$-algèbre $A$, une application $X(A) \buildrel f(A)\over\to Y(A)$ telle que : si $A \buildrel\psi\over\to A'$ est un morphisme de $k$-algèbres, alors les deux composées $X(A) \buildrel X(\psi)\over\to X(A') \buildrel f(A')\over\to Y(A')$ et $X(A) \buildrel f(A)\over\to Y(A) \buildrel Y(\psi)\over\to Y(A')$ coïncident (cf. lemme de Yoneda). \end{itemize} On aura tendance à confondre silencieusement tout ou partie de ces objets. Par ailleurs, on a tendance à appeler $x \mapsto (f_1(x),\ldots,f_e(x))$ le morphisme, comme s'il s'agissait simplement d'une application (il faut considérer ça comme une application de $X(k)$ vers $Y(k)$ définissant le morphisme ou, mieux, de $X(A)$ vers $Y(A)$ pour toute $k$-algèbre $A$). Certaines de ces présentations ne se généraliseront pas (si $k$ n'est pas algébriquement clos, si la variété n'est plus affine...) : la dernière est, de ce point de vue, la plus robuste. \emph{Remarque :} Un morphisme $X \to \mathbb{A}^1$ est la même chose qu'une fonction régulière sur $X$ (c'était le point de départ, mais il est bon d'insister là-dessus). \smallbreak \textbf{Exemples :} Considérons la courbe d'équation $y^2 = x^3$, c'est-à-dire $C = Z(g)$ où $g = y^2 - x^3 \in k[x,y]$ (anneau des polynômes à deux indéterminées $x,y$ sur un corps algébriquement clos $k$), et $\mathbb{A}^1$ la droite affine sur $k$. On a $\mathcal{O}(C) = k[x,y]/(y^2-x^3)$ et $\mathcal{O}(\mathbb{A}^1) = k[t]$. On définit un morphisme $\mathbb{A}^1 \buildrel f\over\to C$ par $t \mapsto (t^2,t^3)$ : ce morphisme correspond à un morphisme d'anneaux dans l'autre sens, $\mathcal{O}(C) \buildrel f^*\over\to \mathcal{O}(\mathbb{A}^1)$, donné par $x \mapsto t^2$ et $y \mapsto t^3$. Ce morphisme n'est pas un isomorphisme car $t$ n'est pas dans l'image de $f^*$. Ceci, bien que $\mathbb{A}^1(k) \to C(k)$ soit une bijection au niveau des $k$-points. Considérons la courbe $C^\sharp$ (la « cubique gauche » affine) d'équations $y = z^3$ et $x = z^2$, c'est-à-dire $C^\sharp = Z(x-z^2,\penalty-100 y-z^3)$. On a un morphisme $\mathbb{A}^1 \to C^\sharp$ envoyant $t$ sur $(t^2, t^3, t)$ : cette fois, ce morphisme est un isomorphisme, et sa réciproque est donnée par $(x,y,z) \mapsto z$. L'anneau $\mathcal{O}(C^\sharp) = k[x,y,z]/(x-z^2,\penalty-100 y-z^3)$ est isomorphe à $k[t]$. Par ailleurs, le morphisme $\mathbb{A}^1 \to C$ décrit au paragraphe précédent peut être vu comme la composée de l'isomorphisme $\mathbb{A}^1 \to C^\sharp$ et de la projection $C^\sharp \to C$ décrite par $(x,y,z) \mapsto (x,y)$. Sur le cercle $C = Z(x^2+y^2-1)$ (pas le même $C$ que dans les deux paragraphes précédents, mais le même que dans l'introduction), si $k$ est de caractéristique $\neq 5$, on peut définir le morphisme $C \to C$ de « rotation d'angle $\arctan\frac{3}{4}$ » (terminologie abusive si $k$ n'est pas un corps contenant $\mathbb{R}$) ou « multiplication par le point $(\frac{4}{5},\frac{3}{5})$ » par $(x,y) \mapsto (\frac{4}{5}x - \frac{3}{5}y, \frac{3}{5}x + \frac{4}{5}y)$. On pourrait définir l'opération de composition $C \times C \to C$ par $((x,y),(x',y')) \mapsto (xx'-yy', xy'+yx')$ mais il faudrait pour cela avoir défini le produit de deux variétés (pour donner un sens à $C \times C$), ce qu'on n'a pas encore fait. \smallbreak Si $X'$ est un fermé de Zariski de $X$, on a expliqué qu'il y avait naturellement un morphisme d'anneaux $\mathcal{O}(X) \to \mathcal{O}(X')$ (consistant à restreindre à $X'$ une fonction régulière sur $X$) : le morphisme de variétés algébriques $X' \to X$ qui lui est associé est tout simplement le morphisme d'inclusion de $X'$ dans $X$, qu'on appelle \textbf{immersion fermée} ou \textbf{plongement} de la sous-variété fermée $X'$ dans $X$. De façon très liée, si $f \colon X\to Y$ est un morphisme de $k$-variétés on peut, dans ce contexte, définir la restriction de $f$ à $X'$ (parfois notée $f|_{X'}$) comme la composée $X' \to X \to Y$ où $X' \to X$ est l'immersion de $X'$ dans $X$ ; si on voit $f$ comme défini par $e$ fonctions régulières sur $X$ (c'est-à-dire $Y$ plongé dans $\mathbb{A}^e$), les fonctions définissant $f|_{X'}$ sont simplement $f_1|_{X'},\ldots,f_e|_{X'}$. \medbreak \textbf{Variétés algébriques affines abstraites, et le spectre d'une algèbre.} \textbf{Note :} On considère que deux variétés algébriques (affines) sont « la même » lorsqu'elle sont isomorphes, alors que deux fermés de Zariski sont « le même » lorsqu'ils sont égaux dans le $\mathbb{A}^d$ dans lequel ils vivent. Par exemple, la cubique gauche $C^\sharp$ décrite ci-dessus, en tant que fermé de Zariski, n'est pas une droite, mais en tant que variété algébrique affine c'est juste $\mathbb{A}^1$ puisqu'on a montré qu'elle lui était isomorphe. Ou, si on préfère, un fermé de Zariski de $\mathbb{A}^d$ est la donnée d'une variété algébrique affine \emph{plus} un plongement de celle-ci dans $\mathbb{A}^d$. Dans cette optique, si $R$ est une $k$-algèbre de type fini (on rappelle, cf. \ref{finite-type-algebras}, que cela signifie que $R$ est engendrée en tant qu'algèbre par un nombre fini d'éléments $x_1,\ldots,x_d$, autrement dit que $R$ peut se voir comme le quotient de $k[t_1,\ldots,t_d]$ par un idéal $(f_1,\ldots,f_r)$ de ce dernier) et si $R$ est réduite, alors on peut voir $R$ comme l'anneau $\mathcal{O}(X)$ pour une certaine variété algébrique $X$, à savoir le $X = Z(f_1,\ldots,f_r)$ défini par les équations $f_1=0,\ldots,\penalty-100 f_r=0$ dans $\mathbb{A}^d$. Cette variété est unique en ce sens que toutes les variétés $X$ telles que $\mathcal{O}(X) = R$ sont isomorphes (puisque leurs $\mathcal{O}(X)$ sont isomorphes, justement). On peut donc donner un nom à $X$ : c'est le \textbf{spectre} de $R$, noté $\Spec R$. (Par exemple, $\Spec k[t] = \mathbb{A}^1_k$ et plus généralement $\Spec k[t_1,\ldots,t_d] = \mathbb{A}^d_k$. Et bien sûr, $\Spec k$ est vu comme un point, ou, pour être plus explicite, un $k$-point.) (\emph{Avertissement 1 :} Tout le monde est d'accord sur l'identité de $\Spec R$ en tant qu'objet géométrique, en l'occurrence, une variété algébrique affine ; par exemple, $\Spec k[x,y]/(x^2+y^2-1)$ est indubitablement une vision idéalisée du « cercle unité ». Néanmoins, il existe différentes façons de formaliser la notion de variété algébrique : comme nous nous sommes placés sur $k$ un corps algébriquement clos, nous avons vu $\Spec R$ plutôt comme l'ensemble des idéaux maximaux de $R$ ; une description qui marche mieux en général, et qu'on retrouve souvent, consiste à formaliser $\Spec R$ comme l'ensemble des idéaux \emph{premiers} de $R$ ; enfin, une autre description, tout à fait générale, consiste à voir $\Spec R$ par ce qu'on a appelé son foncteur des points, c'est-à-dire la donnée pour chaque $k$-algèbre $A$ de l'ensemble $(\Spec R)(A) = \Hom_k(R,A)$, et pour chaque morphisme de $k$-algèbres $\varphi\colon A \to A'$, de l'application $(\Spec R)(\varphi) \colon \Hom_k(R,A) \to \Hom_k(R,A')$ qui s'en déduit.) (\emph{Avertissement 2 :} Les gens savants n'ont pas peur de définir $\Spec R$ même si $R$ n'est pas réduite, c'est-à-dire, a des nilpotents. Il faut imaginer, par exemple, que si $R = k[\varepsilon] := k[t]/(t^2)$, alors $\Spec R$ est un point « un peu épaissi », ou entouré d'un « flou infinitésimal », comparé à $\Spec k$ qui est un point sans ornement de ce genre. Ce point de vue rend plus difficile la vision géométrique des choses, mais a des avantages considérables, par exemple qu'un morphisme $\Spec k[\varepsilon] \to X$ peut se voir comme un vecteur tangent à $X$.) % \subsection{La topologie de Zariski} On appelle \textbf{ouvert de Zariski} dans $k^d$ (toujours avec $k$ un corps algébriquement clos) le complémentaire d'un fermé de Zariski. Autrement dit, si $I$ est un idéal de $k[t_1,\ldots,t_d]$, on définit $U(I) = \{(x_1,\ldots,x_d) \in k^d :\penalty0 (\exists f\in I)\, f(x_1,\ldots,x_d) \neq 0\}$ le complémentaire de $Z(I)$ : un ouvert de Zariski de $k^d$ est un ensemble de la forme $U(I)$. Plus généralement, si $X$ est une variété algébrique affine, si $I$ est un idéal de $\mathcal{O}(X)$, on définit $U(I) = \{(x_1,\ldots,x_d) \in X :\penalty0 (\exists f\in I)\, f(x_1,\ldots,x_d) \neq 0\}$ le complémentaire de $Z(I)$ : on appelle ces ensembles ouverts de Zariski de $X$. (Pour l'instant, on les voit comme des ensembles de $k$-points, on verra plus loin comment définir leurs $A$-points, leurs morphismes, etc.) Étant donné qu'une intersection quelconque ou une réunion finie de fermés sont des fermés, dualement, \emph{une réunion quelconque ou une intersection finie d'ouverts sont des ouverts} (par ailleurs, l'ensemble vide et l'ensemble plein sont des ouverts) --- ces propriétés sont constitutives de la notion de \emph{topologie}, en l'occurrence la \textbf{topologie de Zariski} (sur l'ensemble $k^d$ ou $X(k)$). \smallbreak Si $X'$ est un fermé de Zariski de $X$, alors les fermés et ouverts de Zariski de $X'$ sont précisément les intersections avec $X'$ des fermés et ouverts de Zariski de $X$. (On dit que la topologie de $X'$ est \emph{induite} par celle de $X$.) \smallbreak Si $I$ est engendré par les éléments $f_1,\ldots,f_r$, on peut écrire $U(I) = D(f_1) \cup \cdots \cup D(f_r)$ où $D(f_i) := U(\{f_i\})$ est l'ouvert où $f_i$ ne s'annule pas. Les $D(f)$ s'appellent parfois \emph{ouverts principaux}, on verra plus loin pourquoi il est utile de les distinguer ; ceci montre qu'ils forment une \emph{base d'ouverts} (un ensemble d'ouverts stable par intersections finies est dit former une base d'ouverts pour une topologie lorsque tout ouvert est une réunion d'une sous-famille d'entre eux). \begin{prop}\label{covering-by-principal-open-sets} Si $X$ est une variété algébrique affine et $f_i \in \mathcal{O}(X)$ (pour $i \in \Lambda$ disons), alors $\bigcup_{i\in\Lambda} D(f_i) = X$ si et seulement si les $f_i$ engendrent l'idéal unité dans $\mathcal{O}(X)$ (c'est-à-dire ssi il existe des $g_i$, tous nuls sauf un nombre fini, tels que $\sum_{i\in\Lambda} g_i f_i = 1$). \end{prop} \begin{proof} Dire $\bigcup_{i\in\Lambda} D(f_i) = X$ équivaut à $\bigcap_{i\in\Lambda} Z(f_i) = \varnothing$, c'est-à-dire encore $Z(\{f_i\}) = \varnothing$, soit encore $Z(I) = \varnothing$ où $I$ est l'idéal engendré par les $f_i$, et l'énoncé découle du Nullstellensatz faible. \end{proof} On aura besoin pour la suite de remarquer que $D(f) \cap D(f') = D(ff')$. \smallbreak Un peu de vocabulaire de topologie : dans ce qui suit, on suppose que $X$ est un ensemble muni d'une topologie (c'est-à-dire un ensemble de parties de $X$ dites « ouvertes » contenant $\varnothing$ et $X$ et telles qu'une réunion quelconque ou une intersection finie d'ouverts sont des ouverts), sachant qu'on s'intéresse évidemment au cas de la topologie de Zariski. Si $x \in U \subseteq V$ avec $U$ ouvert (et $V$ une partie quelconque de $X$), on dit que $V$ est un \textbf{voisinage} de $x$. (Un voisinage ouvert de $x$ est donc tout simplement la même chose qu'un ouvert contenant $x$.) Si $E \subseteq X$ est une partie quelconque, l'intersection de tous les fermés (=complémentaires des ouverts) contenant $E$, c'est-à-dire le plus petit fermé contenant $E$, s'appelle \textbf{adhérence} de $E$, parfois notée $\overline{E}$. Il s'agit de l'ensemble des $x \in X$ tels que tout voisinage de $x$ rencontre $E$. Lorsque l'adhérence de $E$ est $X$ tout entier, on dit que $E$ est \textbf{dense} dans $X$. On dit que $X$ est \textbf{irréductible} lorsque toute écriture $X = F' \cup F''$ avec $F',F''$ fermés impose $F' = X$ ou $F'' = X$ ; de façon équivalente, cela signifie que tout ouvert non vide de $X$ est dense. On dit que $X$ est \textbf{connexe} lorsque ($X$ est non vide et que) $\varnothing$ et $X$ sont les seuls ensembles à la fois ouverts et fermés dans $X$. (« Irréductible » est plus fort que « connexe », car si $X$ est irréductible, tout ouvert non vide est dense, et en particulier le seul ouvert fermé non vide est $X$ tout entier.) On dit que $X$ est \textbf{quasi-compact} lorsque dès qu'on a une écriture $X = \bigcup_{i\in \Lambda} U_i$ avec $U_i$ ouverts (autrement dit, un recouvrement ouvert de $X$), il existe $\Xi \subseteq \Lambda$ fini tel que $X = \bigcup_{i\in\Xi} U_i$. \smallbreak Dans le cas de la topologie de Zariski sur une variété algébrique affine $X$ sur un corps algébriquement clos $k$ (c'est-à-dire, sur $X(k)$) : \begin{itemize} \item $X$ est irréductible ssi $\mathcal{O}(X)$ est intègre (cf. \ref{closed-irreducible-iff-prime-ideal}), \item $X$ est toujours quasi-compact (découle de \ref{covering-by-principal-open-sets} : si $f_i$ engendrent l'idéal unité, un sous-ensemble fini d'entre eux l'engendrent --- même sans utiliser le caractère noethérien de l'anneau), \item l'adhérence de Zariski d'une partie $E \subseteq X(k)$ est $Z(\mathfrak{I}(E))$ (en effet, ceci est un fermé de Zariski contenant $E$, et si $Z(J) \supseteq E$ est un autre fermé de Zariski contenant $E$ alors on a vu $J \subseteq \mathfrak{I}(E)$ donc $Z(J) \supseteq Z(\mathfrak{I}(E))$ --- ceci montre que $Z(\mathfrak{I}(E))$ est bien le plus petit pour l'inclusion fermé de Zariski contenant $E$). \end{itemize} Exemple (idiot) : On suppose $k$ de caractéristique zéro, disons $k = \mathbb{C}$ ; quelle est l'adhérence de Zariski de $\mathbb{Z}$ dans $\mathbb{A}^1(k)$ ? Réponse : L'ensemble $\mathfrak{I}(\mathbb{Z})$ des polynômes s'annulant en chaque point de $\mathbb{Z}$ est réduit à $(0)$ puisqu'un polynôme en une variable ne peut avoir qu'un nombre fini de racines ; donc l'adhérence de Zariski de $\mathbb{Z}$ est $Z(\mathfrak{I}(\mathbb{Z})) = \mathbb{A}^1(k)$ tout entier, c'est-à-dire que $\mathbb{Z}$ est dense dans la droite affine pour la topologie de Zariski. Plus généralement, on peut facilement montrer que les seuls fermés de Zariski de $\mathbb{A}^1(k)$ sont la droite $\mathbb{A}^1(k)$ tout entière et les parties \emph{finies}. \medbreak \textbf{Composantes connexes.} \begin{prop} Si $X$ est une variété algébrique affine, alors $X$ est connexe si et seulement si les seuls éléments $e \in \mathcal{O}(X)$ vérifiant $e^2 = e$ (appelés \textbf{idempotents}) sont $0$ et $1$. \end{prop} \begin{proof} Si $e^2=e$ avec $e \neq 0,1$, alors $e(1-e) = 0$. On a donc $X = Z(e) \cup Z(1-e)$ ; et $Z(e) \cap Z(1-e) = \varnothing$ (car $e,1-e$ engendrent l'idéal unité, si on veut). Donc $Z(e)$ et $Z(1-e)$ sont deux fermés complémentaires l'un de l'autre, donc ils sont aussi ouverts. Comme $e$ n'est pas nul, $Z(e)$ n'est pas $X$ tout entier, et de même pour $Z(1-e)$ car $e \neq 1$ ; donc $Z(e)$ est un ouvert fermé autre que $\varnothing$ et $X$, et $X$ n'est pas connexe. Réciproquement, supposons que $X'$ soit un ouvert fermé dans $X$ autre que $\varnothing$ et $X$, et soit $X''$ son complémentaire, qui vérifie les mêmes conditions. On peut écrire $X' = Z(I')$ et $X'' = Z(I'')$ avec $I',I''$ deux idéaux radicaux stricts de $\mathcal{O}(X)$. Puisque $X' \cap X'' = \varnothing$, on a $I' + I'' = (1)$ (où $(1)$ désigne l'idéal unité, c'est-à-dire $\mathcal{O}(X)$ tout entier) ; il existe donc $e \in I'$ tel que $1-e \in I''$. Mais alors $e(1-e) \in I' \cap I''$, or $I' \cap I'' = (0)$ car $X' \cup X'' = X$. On a donc $e^2 = e$, et $e \neq 1$ car $e$ appartient à un idéal strict, et $e \neq 0$ car $1-e \neq 1$. \end{proof} On pourrait montrer : \begin{prop} Toute variété algébrique affine $X$ est réunion d'un nombre fini de fermés connexes. De plus, il existe une écriture $X = \bigcup_{i=1}^n X_i$ vérifiant $X_i \cap X_j = \varnothing$ pour $i \neq j$, et une telle écriture est unique (à l'ordre des facteurs près) : les $X_i$ s'appellent les \textbf{composantes connexes} de $X$. \end{prop} \medbreak \textbf{Composantes irréductibles.} \begin{prop} Toute variété algébrique affine $X$ est réunion d'un nombre fini de fermés irréductibles. De plus, il existe une écriture $X = \bigcup_{i=1}^n X_i$ vérifie $X_i \not\subseteq X_j$ pour $i \neq j$, et une telle écriture est unique (à l'ordre des facteurs près) : les $X_i$ s'appellent les \textbf{composantes irréductibles} de $X$. \end{prop} \begin{proof} Montrons par l'absurde que $X$ est réunion d'un nombre fini de fermés irréductibles : comme $X$ n'est pas lui-même irréductible, on peut écrire $X = X_1 \cup X'_1$ avec $X_1$, $X'_1$ fermés stricts dans $X$, et l'un d'entre eux ne doit pas être irréductible, disons $X_1$, donc on peut écrire $X_1 = X_2 \cup X'_2$, et ainsi de suite. On obtient ainsi une suite de fermés strictement décroissante pour l'inclusion $X \supsetneq X_1 \supsetneq X_2 \supsetneq\cdots$, qui correspond à une suite strictement croissante d'idéaux (radicaux) dans $\mathcal{O}(X)$, ce qui est impossible car $\mathcal{O}(X)$ est noethérien (cf. \ref{finite-type-algebras-are-noetherian}). On peut donc écrire $X = \bigcup_{i=1}^n X_i$, et quitte à jeter les $X_i$ déjà inclus dans un autre $X_j$ (et à répéter le processus si nécessaire), on peut supposer $X_i \not\subseteq X_j$ pour $i \neq j$. Montrons enfin l'unicité. Si $X = \bigcup_{i=1}^n X_i = \bigcup_{j=1}^p Y_j$ sont deux telles écritures, on a $X_i = \bigcup_{j=1}^p (X_i \cap Y_j)$. Comme $X_i$ est irréductible, l'un des $X_i\cap Y_j$ doit être égal à $X_i$, c'est-à-dire $X_i \subseteq Y_j$ ; par symétrie de l'argument, ce $Y_j$ est lui-même inclus dans un $X_{i'}$, et comme $X_i \subseteq X_{i'}$, la condition sur la décomposition donne $i'=i$, donc $Y_j = X_i$ et on a bien montré que chaque $X_i$ est un des $Y_j$ et vice versa. \end{proof} \textbf{Exemple :} $Z(xy) \subseteq \mathbb{A}^2$ a pour composantes irréductibles $Z(x)$ et $Z(y)$. En revanche, il est connexe (=sa seule composante connexe est lui-même) : en effet, si $U$ est un ouvert fermé de $Z(xy)$, quitte à remplacer $U$ par son complémentaire on peut supposer que $U$ contient $(0,0)$, et alors $U$ est un ouvert fermé rencontrant $Z(x)$ et $Z(y)$ à la fois --- mais comme ceux-ci sont irréductibles, et en particulier connexes, $U \cap Z(x) = Z(x)$ et $U \cap Z(y) = Z(y)$, ce qui montre $U = Z(xy)$. % \subsection{Structure de variété affine d'un ouvert principal} Pour l'instant, on n'a appelé « variété » qu'un fermé de Zariski. On voudrait étendre le terme de sorte qu'au moins les \emph{ouverts} de Zariski deviennent des variétés. Pour l'instant, on va regarder le cas d'un ouvert principal $D(f) = \{x : f(x) \neq 0\}$ : on souhaite définir, si possible en motivant intuitivement, ce que seront les fonctions régulières sur $D(f)$ et les morphismes depuis et vers $D(f)$. \smallbreak \textbf{Motivation.} Partons de l'exemple le plus simple : $U = D(t) = \{t : t\neq 0\}$, le complémentaire de l'origine dans $\mathbb{A}^1$. On sait qu'un morphisme $X \buildrel f\over\to \mathbb{A}^1$ (si $X$ est une variété algébrique affine) est la même chose qu'une fonction régulière sur $X$, c'est-à-dire, un élément $f$ de $\mathcal{O}(X)$. Que doit être un morphisme $X \buildrel f\over\to U$ ? Certainement on veut pouvoir le voir (en composant par l'inclusion $U \to \mathbb{A}^1$) comme une sorte particulière de morphismes $X \buildrel f\over\to \mathbb{A}^1$, donc de fonctions régulières sur $X$ : essentiellement, celles qui « évitent zéro » (ou « ne prennent pas la valeur zéro »). Or dire que $f(x) \neq 0$ pour tout $x \in X(k)$ (pour $k$ algébriquement clos !) signifie $f \not\in \mathfrak{m}_x$ pour tout idéal maximal $\mathfrak{m}_x$ (on sait d'après les résultats autour du Nullstellensatz (cf. \ref{maximal-ideals-of-polynomial-algebras}) que tout idéal maximal de $\mathcal{O}(X)$ est de la forme $\mathfrak{m}_x := \{f : f(x) = 0\}$) ; or dire qu'un élément $f$ d'un anneau n'appartient à \emph{aucun} idéal maximal signifie qu'il n'appartient à aucun idéal strict (cf. \ref{existence-maximal-ideals}), donc que l'idéal qu'il engendre est l'idéal unité, c'est-à-dire que $f$ est \emph{inversible}. \underline{Moralité :} les morphismes $X \to U$ devraient être les éléments inversibles de $\mathcal{O}(X)$. A contrario, quels devraient être les fonctions régulières sur $U$ ? On veut au moins avoir l'inclusion $U \to \mathbb{A}^1$, qui déterminerait une fonction régulière $t$ sur $U$, et plus généralement tout élément de $k[t]$, comme il détermine un morphisme $\mathbb{A}^1 \to \mathbb{A}^1$, devrait déterminer une fonction régulière sur $U$. Mais il y a plus : d'après ce qu'on a dit ci-dessus, si on souhaite que $U$ se comporte comme une variété algébrique affine, l'identité $U \to U$, c'est-à-dire l'élément $t$, devrait être un élément \emph{inversible} de $\mathcal{O}(U)$. Il faut donc trouver une façon de rendre $t$ inversible : or on en a trouvé une, c'est la localisation. On va donc poser $\mathcal{O}(U) = k[t][\frac{1}{t}] =: k[t,t^{-1}]$, l'anneau des fractions rationnelles de la forme $\frac{f}{t^s}$ avec $f \in k[t]$ et $s\in \mathbb{N}$. Cet anneau est d'ailleurs isomorphe (via $t \mapsto x$ et $t^{-1} \mapsto y$) à $k[x,y]/(xy-1)$, l'anneau de l'hyperbole d'équation $xy=1$ : or il semble naturel de considérer $U$ (la droite privée d'un point) comme la projection $(x,y) \mapsto x$ de cette hyperbole $Z(xy-1)$. Ceci est cohérent avec ce qu'on a décidé ci-dessus : les morphismes $k[t,t^{-1}] \to A$, pour toute $k$-algèbre $A$, s'identifient aux éléments inversibles de $A$. Toute cette motivation semble justifier d'identifier l'ouvert $U = D(t) = \{t : t\neq 0\}$ de $\mathbb{A}^1$ avec la variété algébrique affine $\Spec k[t,t^{-1}]$ associée à l'anneau $k[t,t{^-1}]$. Plus généralement, on voudrait adopter le : \begin{princ} Si $f \in \mathcal{O}(X)$, avec $X$ une variété algébrique affine, on considérera $D(f)$ lui-même comme la variété algébrique affine $\Spec \mathcal{O}(X)[\frac{1}{f}]$, associé à l'anneau $\mathcal{O}(X)[\frac{1}{f}]$ localisé de $\mathcal{O}(X)$ inversant $f$. \end{princ} (Noter que $R[\frac{1}{f}] = R[z]/(zf-1)$ de façon générale.) Pour justifier que le principe ci-dessus est sensé, on a besoin d'un certains nombre de vérifications de routine, notamment : \begin{prop} Si $f \in \mathcal{O}(X)$, avec $X$ une variété algébrique affine sur un corps algébriquement clos $k$, et si $\iota\colon \mathcal{O}(X) \to \mathcal{O}(X)[\frac{1}{f}],\penalty-100\; h \mapsto \frac{h}{1}$ désigne le morphisme naturel vers le localisé : \begin{itemize} \item les idéaux maximaux (resp. premiers) de $\mathcal{O}(X)[\frac{1}{f}]$ sont en bijection avec les idéaux maximaux de $\mathcal{O}(X)$ ne contenant pas $f$ (cf. \ref{properties-localization}) ; et si $\psi \colon D(f) \to \Spec \mathcal{O}(X)[\frac{1}{f}]$ désigne cette bijection, envoyant un point $x$ de $D(f) \subseteq X$, vu comme idéal maximal $\mathfrak{m}_x$ de $\mathcal{O}(X)$ ne contenant pas $f$, sur le point $\psi(x)$ défini par l'idéal maximal $\iota^{-1}(\mathfrak{m}_x)$, alors : \item $\psi$ met en bijection les ouverts de Zariski de $X$ contenus dans $D(f)$ avec les ouverts de Zariski de $X' := \Spec \mathcal{O}(X)[\frac{1}{f}]$, et les ouverts principaux contenus dans $D(f)$ (c'est-à-dire les $D(gf) = D(g)\cap D(f)$) avec les ouverts principaux de $X'$ (et précisément $D(gf)$ avec $D(\iota(g))$), et \item si $h \in \mathcal{O}(X)$ et $x \in D(f)$, alors $h(x)$ coïncide avec $\iota(h)(\psi(x))$ (vus comme éléments de $k$). \end{itemize} \end{prop} De ce principe découlent : \begin{defn} Si $f \in \mathcal{O}(X)$, avec $X$ une variété algébrique affine, l'anneau $\mathcal{O}(D(f))$ des fonctions régulières sur $D(f)$ sera par définition $\mathcal{O}(X)[\frac{1}{f}]$. La \textbf{restriction} $h|_{D(f)}$ d'une fonction régulière $h \in \mathcal{O}(X)$ à $D(f)$ sera par définition $\iota(h) := \frac{h}{1} \in \mathcal{O}(X)[\frac{1}{f}]$. Si $f \in \mathcal{O}(X)$, avec $X$ une variété algébrique affine, et $Y$ est une variété algébrique affine, un morphisme $D(f) \to Y$ sera identifié à la donnée d'un élément de $Y(\mathcal{O}(X)[\frac{1}{f}])$ ou d'un morphisme de $k$-algèbres $\mathcal{O}(Y) \to \mathcal{O}(X)[\frac{1}{f}]$ (c'est-à-dire, concrètement, si $Y$ est vu plongé comme un fermé de Zariski de $\mathbb{A}^e$, comme $e$ éléments de $\mathcal{O}(X)[\frac{1}{f}]$ vérifiant les équations de $Y$). Si $A$ est une $k$-algèbre, l'ensemble $D(f)(A)$ des $A$-points de $D(f)$ sera le sous-ensemble de $X(A)$ formé des $x \in X(A)$ tels que $f(x) \in A$ soit inversible. (Et si $A \buildrel\varphi\over\to A'$ est un morphisme d'anneaux, $U(I)(\varphi)\colon U(I)(A) \to U(I)(A')$ est la restriction de $X(\varphi)\colon X(A) \to X(A')$ à $U(I)(A)$.) Si $g \in \mathcal{O}(Y)$, avec $Y$ une variété algébrique affine, et $X$ est une variété algébrique affine, un morphisme $X \to D(g)$ sera identifié à la donnée d'un morphisme $h\colon X \to Y$ tel que l'élément $h^*(g) \in \mathcal{O}(X)$ (c'est-à-dire la composée de $h\colon X\to Y$ avec $g \in \mathcal{O}(Y)$ vu comme un morphisme $Y \to \mathbb{A}^1$) soit inversible. Si $f \in \mathcal{O}(X)$, avec $X$ une variété algébrique affine, et si $g \in \mathcal{O}(Y)$, avec $Y$ une variété algébrique affine, un morphisme $D(f) \to D(g)$ sera identifié à la donnée d'un élément $h$ de $Y(\mathcal{O}(X)[\frac{1}{f}])$ (ou d'un morphisme $h^* \colon \mathcal{O}(Y) \to \mathcal{O}(X)[\frac{1}{f}]$ de $k$-algèbres) tel que $h^*(g)$ soit inversible, ou, ce qui revient encore au même, un morphisme $\mathcal{O}(Y)[\frac{1}{g}] \to \mathcal{O}(X)[\frac{1}{f}]$ de $k$-algèbres. \end{defn} De nouveau, il existe beaucoup de façons de voir la même donnée ! Lorsque $\mathcal{O}(X)$ est intègre (c'est-à-dire que la variété $X$ est irréductible), on peut voir $\mathcal{O}(D(f))$ de façon simple à l'intérieur du corps des fractions de $\mathcal{O}(X)$ : ce sont les éléments de $\Frac(\mathcal{O}(X))$ qui peuvent s'écrire comme une fraction dont le dénominateur est une puissance de $f$. % \subsection{Introduction au recollement} La proposition suivante peut paraître innocente, mais elle est fondamentale : \begin{prop} Si $X$ est une variété algébrique affine recouverte par des $D(f_i)$ (c'est-à-dire, cf. \ref{covering-by-principal-open-sets}, que les $f_i \in \mathcal{O}(X)$, qu'on pourra toujours supposer en nombre fini, engendrent l'idéal unité), alors : \begin{enumerate} \item si une fonction régulière $h \in \mathcal{O}(X)$ a une restriction $h|_{D(f_i)}$ nulle sur chacun des $D(f_i)$ alors $h$ est nulle, \item donnée une fonction régulière $h_i \in \mathcal{O}(D(f_i)) = \mathcal{O}(X)[\frac{1}{f_i}]$ pour chaque $i$, telles que $h_i|_{D(f_i)\cap D(f_j)} = h_j|_{D(f_i)\cap D(f_j)}$ pour chaque $i,j$ (autrement dit, les $h_i$ coïncident sur leurs intersections ; on rappelle que $D(f_i) \cap D(f_j) = D(f_i f_j)$), il existe une fonction régulière $h \in \mathcal{O}(X)$, nécessairement unique d'après le point précédent, telle que $h|_{D(f_i)} = h_i$ pour tout $i$. \end{enumerate} \end{prop} En clair : pour se donner une fonction régulière sur $X$, il suffit de se donner sa restriction à des ouverts principaux $D(f_i)$ recouvrant $X$, et pour que de telles restrictions définissent bien une fonction régulière sur tout $X$, c'est-à-dire « se recollent », il suffit (comme il faut !) qu'elles soient cohérentes sur les intersections de deux d'entre eux. On traduit ce fait en disant que la donnée des $\mathcal{O}(D(f))$ (y compris $\mathcal{O}(X)$ lui-même) et des morphismes de restrictions entre eux forme un \textbf{faisceau} (sur la base d'ouverts formée des ouverts principaux). Ceci est la conséquence (reformulation) du résultat purement algébrique suivant : \begin{prop} Soit $R$ un anneau et $f_i \in R$ des éléments engendrant l'idéal unité. Alors : \begin{enumerate} \item si $h \in R$ a une image $\iota_i(h)$ nulle dans chaque $R[\frac{1}{f_i}]$ alors $h$ est nul, \item donnée un élément $h_i \in R[\frac{1}{f_i}]$ pour chaque $i$, tels que $\iota_{i,j}(h_i) = \iota_{j,i}(h_j) \in R[\frac{1}{f_i f_j}]$ pour chaque $i,j$ (où on identifie tacitement $R[\frac{1}{f_i f_j}]$ à $R[\frac{1}{f_i}][\frac{1}{f_j}]$ et $R[\frac{1}{f_j}][\frac{1}{f_i}]$), il existe un unique $h \in R$, nécessairement unique d'après le point précédent, tel que $\iota_i(h) = h_i \in R[\frac{1}{f_i}]$ pour tout $i$. \end{enumerate} \end{prop} \begin{proof}[Démonstration du premier point] Mettons $\sum g_i f_i = 1$ : on oublie tous les $f_i$ sauf le nombre fini d'entre eux qui intervient vraiment dans cette somme. Dire que $h$ a une image nulle dans $R[\frac{1}{f_i}]$ signifie qu'il existe $N_i$ entier assez grand tel que $f_i^{N_i} h = 0$ ; en élevant l'équation $\sum g_i f_i$ à une puissance $N$ assez grande (par exemple $\sum N_i$), on peut s'arranger pour que chaque terme du développement fasse intervenir un certain $f_i$ à la puissance $N_i$ au moins. Ceci montre $(\sum g_i f_i)^N\, h = 0$. Or $(\sum g_i f_i)^N = 1$, donc $h = 0$. \end{proof} \begin{proof}[Esquisse de démonstration du second point] On écrit $h_i = \frac{p_i}{f_i^{N_i}}$, et de nouveau, en élevant $\sum g_i f_i = 1$ à une puissance $N$ assez grande on peut s'arranger pour que chaque terme $t_{\cdots} = c_{\cdots} \prod_i f_i^{n_i}$ fasse intervenir un des $f_i$ à une puissance $n_i$ au moins égale à $N_i$ ; on appelle $h$ la somme des $c_{\cdots} p_i f_i^{n_i-N_i} \prod_{j\neq i} f_j^{n_j}$ où le facteur $f_i^{N_i}$ correspondant a été remplacé par $p_i$ (ce qui vaut donc $t_{\cdots} h_i$ dans $R[\frac{1}{f_i}]$ --- on peut donc vérifier que $\iota_i(h) = h_i$). \end{proof} On peut de même fabriquer des morphismes par recollement : \begin{cor} Si $X$ est une variété algébrique affine recouverte par des $D(f_i)$, alors se donner un morphisme $X \to Y$, pour $Y$ une variété algébrique affine quelconque, équivaut à se donner des morphismes $D(f_i) \to Y$ pour chaque $f_i$, qui coïncident sur les intersections $D(f_i) \cap D(f_j)$ (pour chaque $i,j$). \end{cor} Ceci est la clé pour définir les variétés algébriques non nécessairement affines, selon le principe général vague suivant : \begin{princ} Une variété algébrique non nécessairement affine $X$ est obtenue en « recollant » des variétés algébriques affines $X_i$ ; une fonction régulière sur $X$ est la donnée d'une fonction régulière sur chaque $X_i$ qui coïncident aux intersections ; un morphisme de $X$ vers une variété algébrique affine $Y$ est, de même, la donnée de morphismes $X_i \to Y$ qui se recollent. On dira que $X$ est \emph{affine} lorsque $X$ est isomorphe à une variété algébrique $\Spec R$ avec $R$ algèbre de type finie réduite, ou, de façon équivalente, lorsque le morphisme $X \to \Spec \mathcal{O}(X)$, où $\mathcal{O}(X)$ est l'anneau des fonctions régulières sur $X$, défini naturellement, est, en fait, un isomorphisme. \end{princ} % \subsection{Variétés algébriques quasi-affines} Une variété algébrique quasi-affine est un ouvert \emph{non nécessairement principal} d'une variété algébrique affine $X$, c'est-à-dire, d'un fermé de Zariski dans l'espace affine. Un tel ouvert peut s'écrire $U(I) := X \setminus Z(I)$ avec $I$ idéal de $\mathcal{O}(X)$, et il est recouvert par des $D(f_i)$ lorsque les $f_i$ engendrent l'idéal $\surd I$. \begin{defn} Si $I$ est un idéal de $\mathcal{O}(X)$, avec $X$ une variété algébrique affine, une fonction régulière sur $U(I) := X \setminus Z(I)$ sera par définition la donnée d'une fonction régulière $h_i$ sur chaque $D(f_i)$ où les $f_i \in \mathcal{O}(X)$ engendrent $I$, telles que $h_i$ et $h_j$ coïncident sur $D(f_i) \cap D(f_j)$ ; on identifie deux telles données lorsqu'elles coïncident sur toutes les intersections possibles. Si $I$ est un idéal de $\mathcal{O}(X)$, avec $X$ une variété algébrique affine, et $Y$ est une variété algébrique affine, un morphisme $U(I) \to Y$ sera identifié à la donnée d'un morphisme $D(f_i) \to Y$ pour chaque $f_i$ où les $f_i \in \mathcal{O}(X)$ engendrent $I$, qui coïncident sur les $D(f_i) \cap D(f_j)$ ; on identifie deux telles données lorsqu'elles coïncident sur toutes les intersections possibles. Si $A$ est une $k$-algèbre, l'ensemble $U(I)(A)$ des $A$-points de $U(I)$ sera le sous-ensemble de $X(A)$ formé des $x \in X(A)$ tels que les $f(x) \in A$ pour $f \in I$ engendrent l'idéal unité de $A$. (Et si $A \buildrel\varphi\over\to A'$ est un morphisme d'anneaux, $U(I)(\varphi)\colon U(I)(A) \to U(I)(A')$ est la restriction de $X(\varphi)\colon X(A) \to X(A')$ à $U(I)(A)$.) Si $J$ est un idéal de $\mathcal{O}(Y)$, avec $Y$ une variété algébrique affine (et toujours $I$ un idéal de $\mathcal{O}(X)$ comme ci-dessus), un morphisme $U(I) \to U(J)$ sera identifié à la donnée d'éléments $f_i$ engrendant $I$ et $g_i$ appartenant à $J$, indicés par le même ensemble, et de morphismes $h_i \colon D(f_i) \to D(g_i)$, tels que $h_i$ et $h_j$ coïncident sur $D(f_i) \cap D(f_j)$ ; on identifie deux telles données lorsqu'elles coïncident sur toutes les intersections possibles. \end{defn} Entre autres vérifications de cohérence de ces définitions : \begin{prop} Avec les notations ci-dessus, la donnée d'un morphisme $U(I) \buildrel h\over\to U(J)$ équivaut à celle d'une application $U(I)(A) \buildrel h(A)\over\to U(J)(A)$ pour chaque $k$-algèbre $A$ telles que : si $A \buildrel\psi\over\to A'$ est un morphisme de $k$-algèbres, alors les deux composées $U(I)(A) \buildrel U(I)(\psi)\over\to U(I)(A') \buildrel h(A')\over\to U(J)(A')$ et $U(I)(A) \buildrel h(A)\over\to U(J)(A) \buildrel U(J)(\psi)\over\to U(J)(A')$ coïncident (cf. lemme de Yoneda). \end{prop} Lorsque $\mathcal{O}(X)$ est intègre (c'est-à-dire que la variété $X$ est irréductible), on peut voir $\mathcal{O}(U(I))$ de façon simple à l'intérieur du corps des fractions de $\mathcal{O}(X)$ : ce sont les éléments de $\Frac(\mathcal{O}(X))$ qui peuvent s'écrire comme une fraction dont le dénominateur est une puissance de $f_i$ pour n'importe quel $f_i$ d'une famille engendrant $I$. \smallbreak Pour tout ouvert $U$, on a un morphisme de variétés algébriques $U \to X$ appelé \textbf{immersion ouverte} de $U$ dans $X$. \medbreak Pour tout ouvert $U$ d'une $k$-variété algébrique affine $X$, l'anneau $\mathcal{O}(U)$ est une $k$-algèbre de type fini, et on a un morphisme de variétés algébriques $U \to \Spec \mathcal{O}(U)$ (défini en considérant un recouvrement quelconque de $U$ par des $D(f_i)$ et en recollant les morphismes $D(f_i) \to \Spec \mathcal{O}(U)$ donnés par les $\mathcal{O}(U) \to \mathcal{O}(X)[\frac{1}{f_i}]$) : lorsque ce morphisme est un isomorphisme, l'ouvert $U$ est dit \emph{affine}. Un ouvert principal est toujours affine. Un ouvert peut être affine sans être principal, mais c'est généralement assez difficile à détecter. Remarquons cependant si $U = U(\{x,y\}) = D(x) \cup D(y)$ est le complémentaire de l'origine dans $\mathbb{A}^2$, alors $U$ n'est pas affine, car $\mathcal{O}(U) = k[x,y]$ (en effet, $k[x,y]$ est un anneau factoriel, donc une fraction rationnelle en deux variables $x,y$ admet une forme simplifiée unique à scalaire près, et si elle peut s'écrire avec une puissance de $x$ ou une puissance de $y$ comme dénominateurs, il s'agit simplement d'un polynôme), et le morphisme $U \to \Spec\mathcal{O}(U)$ est l'immersion ouverte de $U$ dans $\mathbb{A}^2$, qui n'est pas un isomorphisme. % \subsection{Récapitulation : que doit-on savoir sur une variété algébrique ?} On ne proposera pas de définition générale de ce qu'est une variété algébrique. Cependant, il faut au moins savoir les choses suivantes : \begin{itemize} \item une variété algébrique affine ou quasi-affine sur $k$ est une variété algébrique sur $k$ ; en particulier, pour toute $k$-algèbre $R$ de type fini réduite sur $k$, on a une variété algébrique (affine) $\Spec R$ ; \item une variété algébrique a une notion d'\emph{ouverts} (de Zariski) : ces ouverts sont eux-mêmes des variétés algébriques ; ces ouverts vérifient les axiomes d'une topologie, i.e., le vide et le plein sont des ouverts, une réunion quelconque ou une intersection finie d'ouverts sont des ouverts ; de plus, une variété algébrique est quasi-compacte (de tout recouvrement par des ouverts on peut extraire un sous-recouvrement finie) ; \item une variété algébrique peut être recouverte par des ouverts \emph{affines} ; \item si la variété $X$ est recouverte par des ouverts $U_i$, se donner une fonction régulière sur $X$ (resp. un morphisme de $X$ vers une variété $Y$ quelconque) équivaut à se donner une fonction régulière sur chaque $U_i$ (resp. un morphisme de chaque $U_i$ vers $Y$) telles que les données coïncident aux intersections $U_i \cap U_j$ ; en particulier, appliquer ce principe à un recouvrement par des ouverts affines permet de ramener l'étude d'une variété quelconque à des variétés affines et à leurs intersections ; \item pour chaque $k$-algèbre $A$, on a un ensemble $X(A)$ appelé ensemble des $A$-points de la variété $X$, et pour chaque morphisme $\varphi\colon A\to A'$ de $k$-algèbres une application $X(A) \to X(A')$ telle que $X(\psi\circ\varphi) = X(\psi)\circ X(\varphi)$ si $\varphi\colon A\to A'$ et $\psi\colon A'\to A''$, \item les morphismes $X \to Y$ sont exactement les données pour chaque $k$-algèbre d'une application $X(A) \buildrel f(A)\over\to Y(A)$ telle que : si $A \buildrel\psi\over\to A'$ est un morphisme de $k$-algèbres, alors les deux composées $X(A) \buildrel X(\psi)\over\to X(A') \buildrel f(A')\over\to Y(A')$ et $X(A) \buildrel f(A)\over\to Y(A) \buildrel Y(\psi)\over\to Y(A')$ coïncident ; \item si $X$ est affine, les morphismes $X \to Y$ s'identifient avec les éléments de $Y(\mathscr{O}(X))$ (on ne suppose pas ici que $Y$ soit affine) ; \item si $Y$ est affine, les morphismes $X \to Y$ s'identifient avec les morphismes d'anneaux $\mathcal{O}(Y) \to \mathcal{O}(X)$ (on ne suppose pas que $X$ soit affine), et en particulier les fonctions régulières sur $X$ s'identifient avec les morphismes $X \to \mathbb{A}^1$ ; \item sur un corps $k$ algébriquement clos, le Nullstellensatz assure que beaucoup de données se « lisent » sur les $k$-points : notamment, une fonction régulière sur $X$ est déterminée par ses valeurs sur $X(k)$, un morphisme $X \to Y$ est déterminée par la fonction $X(k) \to Y(k)$, un ouvert de $X$ est déterminé par le sous-ensemble $U(k)$ de $X(k)$... \end{itemize} % % % \section{L'espace projectif et les variétés quasiprojectives} \subsection{L'espace projectif sur un corps et sur un anneau} Si $k$ est un corps, on note $\mathbb{P}^d(k)$ l'ensemble des $(d+1)$-uplets d'éléments \emph{non tous nuls} de $k$ modulo la relation d'équivalence $(x_0,\cdots,x_d) \sim (x'_0,\cdots,x'_d)$ ssi les vecteurs $(x_0,\cdots,x_d)$ et $(x'_0,\cdots,x'_d)$ sont colinéaires. On note $(x_0:\cdots:x_d)$ (certains auteurs préfèrent $[x_0,\ldots,x_d]$) la classe de $(x_0,\ldots,x_d)$ pour cette relation d'équivalence. On peut voir $\mathbb{P}^d(k)$ comme l'ensemble des droites vectorielles (=passant par l'origine) de $k^{d+1}$. Idée intuitive : tout point de $\mathbb{P}^d$ (sur un corps), selon que $x_0 \neq 0$ ou $x_0 = 0$, peut être mis sous la forme $(1:x_1:\cdots:x_d)$ (avec $x_1,\ldots,x_d$ quelconques) ou bien $(0:x_1:\cdots:x_d)$ (avec $x_1,\ldots,x_d$ non tous nuls). Le point $(x_1,\ldots,x_d)$ de $\mathbb{A}^d$ sera identifié au point $(1:x_1:\cdots:x_d)$ de $\mathbb{P}^d$, tandis que les points de la forme $(0:x_1:\ldots:x_d)$ sont appelés « points à l'infini » (et collectivement, « hyperplan à l'infini »). On peut donc écrire $\mathbb{P}^d(k) = \mathbb{A}^d(k) \cup \mathbb{P}^{d-1}(k)$ (réunion disjointe de l'ensemble $Z(x_0)(k)$ des points où $x_0 \neq 0$ et de celui $D(x_0)(k)$ des points où $x_0 = 0$) ; moralement, on aura envie que $\mathbb{A}^d$ soit un ouvert dans $\mathbb{P}^d$ et $\mathbb{P}^{d-1}$ son fermé complémentaire. Noter que le choix de $x_0$ est arbitraire : on peut voir $\mathbb{P}^d$ comme réunion de $d+1$ espaces affines $\mathbb{A}^d$ (à savoir $D(x_0),\ldots,D(x_d)$). \smallbreak Si $A$ est un anneau, on définit $\mathbb{P}^d(A)$ comme l'ensemble des classses d'équivalence de matrices $(d+1)\times (d+1)$ à coefficients dans $A$, disons $(x_{ij})$ telles que \[ \begin{array}{c} \sum_{i=0}^d x_{ii} = 1\\ (\forall i,i',j,j')\, x_{ij} x_{i'j'} = x_{ij'} x_{i'j}\\ \end{array} \] (autrement dit, la matrice a trace $1$ et deux lignes quelconques sont « colinéaires » au sens où tout déterminant $2\times 2$ extrait est nul), la relation d'équivalence identifiant une matrice $(x_{ij})$ avec une autre $(x'_{ij})$ lorsque pour tous $i,i',j,j'$ on a $x_{ij} x'_{i'j'} = x_{ij'} x'_{i'j}$ (toute ligne de $x$ est colinéaire à toute ligne de $x'$ avec la même définition). Ceci généralise bien la définition sur un corps : si $k$ est un corps, pour un élément $(x_0:\cdots:x_d)$ du $\mathbb{P}^d(k)$ précédemment défini, il existe $i_0$ tel que $x_{i_0} \neq 0$, et on peut supposer $x_{i_0} = 1$, auquel cas on identifie le point avec la matrice $x_{ij}$ définie par $x_{ij} = 0$ sauf si $i=0$ auquel cas $x_{i_0,j} = x_j$. Inversement, si $(x_{ij})$ est une matrice représentant un élément du $\mathbb{P}^d(k)$ défini en deuxième, avec $k$ un corps, on peut prendre une ligne quelconque de la matrice dont tous les coefficients ne sont pas nuls (il en existe nécessairement une puisque la somme des coefficients diagonaux vaut $1$ !) et elle représente un point de $\mathbb{P}^d(k)$ défini en premier. Il est facile de vérifier que ces deux fonctions sont réciproques. \emph{Remarque :} Plus généralement, si $x_0,\ldots,x_d \in A$ engendrent l'idéal unité de $A$ (ceci généralise $d$ éléments non tous nuls d'un corps !), disons $\sum_{i=0}^d y_i x_i = 1$, on peut définir un élément de $\mathbb{P}^d(A)$ qu'il est naturel de noter $(x_0:\cdots:x_d)$, à savoir, en utilisant la définition précédente $x_{ij} = y_i x_j$. Sur certains anneaux particuliers (par exemple, tout anneau intègre factoriel, par exemple $k[t_1,\ldots,t_s]$, ou encore $\mathbb{Z}$), tout élément de $\mathbb{P}^d(A)$ peut, en fait, s'écrire sous cette forme, mais ce n'est pas vrai en général (quoiqu'il soit un peu difficile de donner un contre-exemple\footnote{En voici un : si $A = \mathbb{Z}[\sqrt{-5}]$ est l'anneau des complexes de la forme $a+b\sqrt{-5}$ (ce sont des entiers algébriques), la matrice $2\times 2$ dont la première ligne est $(3,\;1+\sqrt{-5})$ et la seconde $(-1+\sqrt{-5},\;-2)$ est de trace $1$ et déterminant nul, elle définit donc un point de $\mathbb{P}^1(A)$ qu'il n'est pas possible d'exprimer sous la forme $(x_0:\cdots:x_d)$ pour $x_0,\ldots,x_d \in A$ engendrant l'idéal unité.}). % \subsection{Polynômes homogènes, fermés et ouverts de Zariski de $\mathbb{P}^d$, Nullstellensatz projectif} On veut voir $\mathbb{P}^d$ comme une variété algébrique (au moins pour $k$ algébriquement clos pour le moment). Il faudra une notion d'ouverts et une notion de fonctions régulières. On dit qu'un $f \in k[t_0,\ldots,t_d]$ est \textbf{homogène de degré $\ell$} lorsque tous les monômes qui le constituent ont le même degré total $\ell$. L'intérêt de cette remarque est que si $(x_0:\cdots:x_d) \in \mathbb{P}^d(k)$ avec $k$ un corps, et $f \in k[t_0,\ldots,t_d]$ est homogène, le fait que $f(x_0,\ldots,x_d) = 0$ ou $\neq 0$ ne dépend pas du choix du représentant choisi de $(x_0:\cdots:x_d)$. On peut donc définir $Z(f) = \{(x_0:\cdots:x_d) \in \mathbb{P}^d(k) : f(x_0,\ldots,x_d) = 0\}$ (il faudrait noter $Z_{\mathbb{P}^d}(f)$, mais bon...) et $D(f)$ son complémentaire. Ceci signifie en fait $Z(f)(k)$ : pour $Z(f)(A)$, il faut le définir comme l'ensemble des matrices $(x_{ij})$ de $\mathbb{P}^d(A)$ comme précédemment telles que $f(x_{i0},\ldots,x_{id})=0$ pour tout $i$, et pour $D(f)(A)$ ce sera l'ensemble des matrices $(x_{ij})$ de $\mathbb{P}^d(A)$ comme précédemment telles que les $f(x_{i0},\ldots,x_{id})$ engendrent l'idéal unité. On apppelle \textbf{partie homogène de degré $\ell$} d'un polynôme $f \in k[t_0,\ldots,t_d]$ la somme de tous ses monômes de degré total $\ell$. Évidemment, tout polynôme est la somme de ses parties homogènes. Le produit de deux polynômes homogènes de degrés respectifs $\ell$ et $\ell'$ est homogène de degré $\ell+\ell'$. On dit qu'un idéal $I$ de $k[t_0,\ldots,t_d]$ est \textbf{homogène} lorsqu'il peut être engendré par des polynômes homogènes (cela ne signifie pas, évidemment, qu'il ne contient que des polynômes homogènes, ni même que \emph{tout} ensemble de générateurs de $I$ soit constitué de polynômes homogènes). De façon équivalente, il s'agit d'un idéal tel que pour tout $f\in I$, toute partie homogène de $f$ est encore dans $I$. (Démonstration de l'équivalence : si toute partie homogène d'un élément de $I$ appartient encore à $I$, en prenant un ensemble quelconque de générateurs de $I$, les parties homogènes de ceux-ci appartiennent encore à $I$ et sont encore génératrices puisqu'elles engendrent les générateurs choisis, donc $I$ admet bien un ensemble de générateurs homogènes ; réciproquement, si $I$ est engendré par $f_1,\ldots,f_r$ homogènes de degrés $\ell_1,\ldots,\ell_r$ et si $h$ appartient à $I$, disons $h = \sum_i g_i f_i$, alors pour tout $\ell$, la partie homogène de degré $\ell$ de $h$ est $h^{[\ell]} = \sum_i g_i^{[\ell-\ell_i]} f_i$ où $g_i^{[\ell-\ell_i]}$ désigne la partie homogène de degré $\ell-\ell_i$ de $g_i$, donc $h^{[\ell]}$ appartient aussi à $I$.) (Concrètement, dire que $I$ est homogène signifie --- au moins lorsque $I$ est radical et que $k$ est algébriquement clos --- que le fermé \emph{affine} qu'il définit dans $\mathbb{A}^{d+1}$ est un \emph{cône}, c'est-à-dire stable par homothéties. L'ensemble $Z(I)$ défini ci-dessus va être ce cône vu comme un ensemble de droites vectorielles donc comme un objet géométrique dans $\mathbb{P}^d$.) Pour $I$ idéal homogène de $k[t_0,\ldots,t_d]$, on définit $Z(I)$ comme l'intersection des $Z(f)$ pour $f\in I$ homogène, ou simplement, d'après ce qui précède, l'intersection des $Z(f)$ pour $f$ parcourant un ensemble de générateurs homogènes de $I$. Les $Z(I)$ s'appellent les fermés [de Zariski] de $\mathbb{P}^d$. Inversement, si $E$ est une partie de $\mathbb{P}^d$, on appelle $\mathfrak{I}(E)$ l'idéal (par définition homogène) engendré par les polynômes homogènes $f$ s'annulant en tout point de $E$ (c'est-à-dire tels que $Z(f) \supseteq E$). \begin{thm} Si $k$ est un corps algébriquement clos : \begin{itemize} \item (Nullstellensatz faible projectif.) Pour $I$ un idéal homogène de $k[t_0,\ldots,t_d]$, on a $Z(I) = \varnothing$ dans $\mathbb{P}^d$ ssi il existe un entier naturel $\ell$ tel que $I$ contienne tous les monômes en $t_0,\ldots,t_d$ de degré total $\ell$ (et, par conséquent, de tout degré plus grand). Un tel idéal s'appelle \textbf{irrelevant} [avec un bel anglicisme]. \item (Nullstellensatz projectif.) Les fonctions $I \mapsto Z(I)$ et $E \mapsto \mathfrak{I}(E)$ définissent des bijections réciproques, décroissantes pour l'inclusion, entre les idéaux homogènes radicaux de $k[t_0,\ldots,t_d]$ autres que $(t_0,\ldots,t_d)$ d'une part, et les fermés de Zariski de $\mathbb{P}^d(k)$ d'autre part. \item Ces bijections mettent en corrrespondance les idéaux homogènes premiers de $k[t_0,\ldots,t_d]$ avec les fermés irréductibles de $\mathbb{P}^d$. \end{itemize} \end{thm} \begin{rmk} Pour qu'un idéal homogène $I$ de $k[t_0,\ldots,t_d]$ contienne tous les monômes à partir d'un certain degré total $\ell$ (c'est-à-dire, qu'il soit irrelevant), il faut et il suffit qu'il contienne tous les $t_i^n$ à partir d'un certain $n$. (En effet, un sens est trivial, et pour l'autre sens, si $I$ contient tous les $t_i^n$, alors il contient tout monôme de degré $(d+1)n$, puisqu'un tel monôme contient au moins un $t_i$ à la puissance $n$.) Comme il n'y a qu'un nombre fini des $t_i$, on peut aussi intervertir les quantificateurs : c'est encore la même chose que de dire que pour chaque $i$, l'idéal $I$ contient une certaine puissance $t_i^{n_i}$ de $t_i$. \end{rmk} % \subsection{Fonctions régulières sur l'espace projectif} On veut voir $D(t_0) = \{t_0\neq 0\}$ comme un espace affine $\mathbb{A}^d$ dans $\mathbb{P}^d$ (ici sur $k$). On sait quelles sont les fonctions régulières dessus : ce sont les polynômes sur $k$ en $d$ variables, qu'on doit ici considérer comme $\frac{t_1}{t_0},\ldots,\frac{t_d}{t_0}$. De façon équivalente, il s'agit de fractions rationnelles de la forme $\frac{h}{t_0^\ell}$ avec $h \in k[t_0,\ldots,t_d]$ homogène de degré $\ell$. Plus généralement, on veut définir les fonctions régulières sur $D(f)$ dans $\mathbb{P}^d$ (où $f$ est homogène de degré $D$, disons) comme les fractions rationnelles de la forme $\frac{h}{f^r}$ avec $h$ homogène de degré $rD$ (ce qui assure que (1) l'évaluation d'une telle fonction sur un élément de $\mathbb{P}^d(k)$ a un sens lorsque cet élément appartient à $D(f)$, et (2) elle ne dépend pas du représentant choisi). De façon peut-être surprenante, on en arrive donc à ce que les fonctions régulières sur $\mathbb{P}^d$ \emph{tout entier} sont uniquement les constantes. De fait, on pourrait montrer que c'est inévitable avec les exigences qu'on a sur les variétés algébriques\footnote{Ou encore : puisqu'une fonction régulière sur $\mathbb{P}^d$ est censée être la même chose qu'un morphisme $\mathbb{P}^d \to \mathbb{A}^1$, la seule façon de définir une application $\mathbb{P}^d(A) \to \mathbb{A}^1(A)$ pour toute $k$-algèbre $A$, de façon compatible aux changements d'anneaux $A \to A'$, consiste à prendre la fonction constante valant un élément de $k$, toujours le même.} : notamment, si on recouvre $\mathbb{P}^d$ par les $d+1$ ouverts affines $D(t_i)$ (pour $i=0,\ldots,d$), la seule façon de se donner une fonction régulière sur chacune qui coïncident aux intersections est d'avoir une constante (toujours la même) sur chaque ouvert. Ceci ne constitue pas une contradiction (mais prouve que $\mathbb{P}^d$ ne saurait être affine). Cependant, pour garder l'information des polynômes homogènes non constants, il est utile de définir aussi : \begin{defn} Si $\ell \in \mathbb{Z}$, une \textbf{section de $\mathcal{O}(\ell)$} sur $D(f)$ dans $\mathbb{P}^d$ (où $f$ est un polynôme homogène de degré $D$) est, par définition, une fraction rationnelle de la forme $\frac{h}{f^r}$ avec $h$ homogène de degré $rD+\ell$. (Quand $\ell = 0$, il s'agit donc simplement d'une fonction régulière.) \end{defn} En particulier, les sections globales de $\mathcal{O}(\ell)$, c'est-à-dire, sur $\mathbb{P}^d$ tout entier, n'existent pas si $\ell<0$, et sont les polynômes homogènes de degré $\ell$ en $t_0,\ldots,t_d$ si $\ell \geq 0$ (pour $\ell=0$, il n'y a que les constantes). \medbreak Un morphisme $\mathbb{P}^d \buildrel f\over\to \mathbb{P}^e$ est la donnée de $e+1$ polynômes $(f_0,\ldots,f_e) \in k[t_0,\ldots,t_d]$ en $d+1$ variables, homogènes de même degré $\ell$, qui ne s'annulent jamais simultanément sur un corps $k$ algébriquement clos, c'est-à-dire, pour éviter de dépendre de cette hypothèse, que $f_0,\ldots,f_e$ engendrent un idéal irrelevant dans $k[t_0,\ldots,t_d]$. Évidemment, si $f_0,\ldots,f_e$ vérifient certaines équations homogènes $g_j(f_0,\ldots,f_e) = 0$ (avec $g_j \in k[u_0,\ldots,u_e]$ homogène), on pourra considérer le morphisme $f$ comme allant de $\mathbb{P}^d$ vers la variété projective (cf. ci-dessous pour ce terme) $Y = Z(J)$ où $J$ est l'idéal homogène engendré par les $g_j$. % \subsection{Variétés projectives} On appelle \textbf{variété projective} un fermé de Zariski $X$ de $\mathbb{P}^d$, c'est-à-dire un $Z(I)$ pour $I = \mathfrak{I}(X)$ un certain idéal homogène radical de $k[t_0,\ldots,t_d]$ différent de $(t_0,\ldots,t_d)$. Pour définir la structure de variété, on remarque d'abord que comme $I$ est homogène, on peut définir la notion de « partie de degré $\ell$ » d'un élément de $k[t_0,\ldots,t_d]/I$ comme la classe modulo $I$ de la partie de degré $\ell$ de n'importe lequel de ses représentants ; et d'élément homogène de degré $\ell$ dans $k[t_0,\ldots,t_d]/I$ (un élément représenté par un polynôme homogène de degré $\ell$, ou égal à sa partie homogène de degré $\ell$). On appelle \textbf{anneau gradué (naïf) de $X$ dans $\mathbb{P}^d$} l'anneau $k[t_0,\ldots,t_d]/I$ (« gradué » signifiant qu'on s'est donné cette notion d'éléments homogènes de degré $\ell$ pour chaque $\ell$ avec la décomposition en parties correspondantes, et que le produit d'un élément homogène de degré $\ell$ et d'un élément de degré $\ell'$ est, comme pour les polynômes, homogène de degré $\ell+\ell'$). On appelle \emph{irrelevant} un idéal de $k[t_0,\ldots,t_d]/I$ contenant tous les éléments homogène de degré suffisamment grand, ou, de façon équivalente, dont l'image réciproque dans $k[t_0,\ldots,t_d]$ est irrelevante. On peut établir une correspondance entre fermés de Zariski de $X$ et idéaux homogènes radicaux non-irrelevants de $k[t_0,\ldots,t_d]/I$ analogue au Nullstellensatz. Pour $f \in k[t_0,\ldots,t_d]/I$ on peut définir l'ouvert principal $D(f)$ (intersection de $D(\tilde f)$, pour $\tilde f \in k[t_0,\ldots,t_d]$ relevant $f$, avec $X$) ; les $D(f_i)$ recouvrent $X$ lorsque les $f_i$ engendrent un idéal irrelevant de $k[t_0,\ldots,t_d]/I$ (résultat analogue à \ref{covering-by-principal-open-sets} et qui découle de façon analogue du Nullstellensatz projectif). \underline{Mais, une déception :} comme le mot « naïf » utilisé ci-dessus, le laisse penser, l'anneau $k[t_0,\ldots,t_d]/I$ souffre de plusieurs problèmes : \begin{itemize} \item Il ne dépend pas que de $X$ mais aussi de son plongement dans $\mathbb{P}^d$ (même si c'est un peu difficile à illustrer à ce stade, faute de savoir quels sont les morphismes entre variétés projectives abstraites ; mais si on admet que $\mathbb{P}^1$ est isomorphe à une conique plane telle que celle d'équation homogène $x^2 + y^2 - z^2 = 0$ dans $\mathbb{P}^2$ sur un corps de caractéristique $\neq 2$, on se rend compte que dans le premier cas $k[t_0,t_1]$ n'a que deux éléments homogènes de degré $1$ linéairement indépendants à savoir $t_0$ et $t_1$, alors que dans le second $k[x,y]/(x^2+y^2-z^2)$ en a trois, à savoir $x,y,z$, puisque leur relation n'apparaît qu'en degré $2$). \item Les éléments homogènes de degré zéro de $k[t_0,\ldots,t_d]/I$, c'est-à-dire, les constantes, ne sont pas, en général, les seules fonctions régulières sur $X$ (car si $X$ n'est pas connexe, penser par exemple à $Z(t_0 t_1)$, qui définit la réunion des deux points ``$0$'' ($t_1=0$) et ``$\infty$'' ($t_0=0$) dans $\mathbb{P}^1$, alors manifestement les fonctions valant une valeur sur un point et une autre sur l'autre doivent être régulières). Plus généralement, le problème est que les éléments de degré donné de $k[t_0,\ldots,t_d]/I$ ne vérifient pas la propriété de recollement (=ne forment pas un « faisceau »). On pourrait corriger ce problème pour construire l'anneau gradué qu'on notera $\bigoplus_{\ell} \mathcal{O}(\ell)(X)$, mais il faut travailler un peu. (On peut cependant montrer que, pour $\ell$ suffisamment grand, les éléments de $k[t_0,\ldots,t_d]/I$ sont « les bons », et notamment, se recollent.) \item Même une fois ces problèmes pris en compte ou corrigés, les morphismes $X \to \mathbb{P}^e$ ne seront toujours pas définis simplement par la donnée de $e+1$ éléments de $k[t_0,\ldots,t_d]/I$, homogènes de même degré $\ell$, engendrant l'idéal irrelevant. \end{itemize} \underline{Conclusion :} pour définir proprement les constructions sur une variété projectives, on ne peut généralement pas se contenter de reprendre le travail du cadre affine en remplaçant « affine » par « projectif » et les anneaux par des anneaux gradués : il faut généralement travailler \emph{localement}, c'est-à-dire, à partir des variétés affines dont la variété projective est la réunion. % \subsection{Le lien affine-projectif}\label{subsection-affine-vs-projective} On a déjà signalé que $\mathbb{P}^d$ est la réunion des $d+1$ ouverts $D(t_0),\ldots,D(t_d)$, qu'on veut considérer comme $d+1$ espaces affines, ou $d+1$ copies de l'espace affine $\mathbb{A}^d$. Il faut considérer que les coordonnées affines sur $D(t_i)$ sont les $\frac{t_j}{t_i}$ avec $j\neq i$ (ce qui fait $d$ coordonnées). Notamment : \begin{itemize} \item Si $f \in k[t_0,\ldots,t_d]$ est homogène de degré $\ell$, l'intersection de $Z(f) \subseteq \mathbb{P}^d$ avec $D(t_i)$ est donnée par $Z(\frac{f}{t_i^\ell}) \subseteq \mathbb{A}^d$ en voyant $\frac{f}{t_i^\ell}$ comme un polynôme en les $\frac{t_j}{t_i}$. \item Plus généralement, si $X = Z(I) \subseteq \mathbb{P}^d$ est la variété projective définie par un idéal homogène $I$ de $k[t_0,\ldots,t_d]$, l'intersection de $X$ avec $D(t_i)$ est la variété affine $Z(I_{t_i}) \subseteq \mathbb{A}^d$ où $I_{t_i}$ est l'idéal engendré par les $\frac{f_j}{t_i^{\ell_j}}$ pour $f_j$ parcourant des générateurs homogènes de $I$ et $\ell_j = \deg f_j$ (l'idéai $I_{t_i}$ ne dépend pas du choix des $f_j$). \item Bon à savoir : si $I$ est un idéal homogène de $k[t_0,\ldots,t_d]$, alors $k[\frac{t_0}{t_i},\ldots,\frac{t_d}{t_i}]/I_{t_i}$, où $I_{t_i}$ est défini ci-dessus, est l'ensemble des éléments homogènes de degré zéro de $(k[t_0,\ldots,t_d]/I)[\frac{1}{\bar t_i}]$. L'un ou l'autre, donc, est vu comme l'ensemble des fonctions régulières sur $Z(I) \cap D(t_i)$. \item Une fonction régulière sur $X = Z(I)$ est la donnée d'une fonction régulière sur chaque $X \cap D(t_i)$ qui coïncident sur les intersections. C'est-à-dire : pour chaque $i$ on se donne un élément $h_i$ de $(k[t_0,\ldots,t_d]/I)[\frac{1}{\bar t_i}]$ homogène de degré zéro, tel que pour tous $i$ et $j$ les éléments $h_i$ et $h_j$ correspondants coïcident dans $(k[t_0,\ldots,t_d]/I)[\frac{1}{\bar t_i \bar t_j}]$. On note $\mathcal{O}(X)$ l'ensemble des fonctions régulières sur $X$. Concrètement, si $k$ est algébriquement clos, on peut donc voir une fonction régulière sur $X$ comme une fonction sur $X(k)$ (à valeurs dans $k$) qui sur chaque ouvert affine $X \cap D(t_i)$ est une fonction régulière sur cette variété, c'est-à-dire la restriction d'une fonction polynomiale en les variables $\frac{t_j}{t_i}$ (pour $j\neq i$). En fait, les seules fonctions régulières sur une variété projective sont les fonctions constantes sur chaque composante connexe (mais ce n'est pas évident). \item Une « section globale de $\mathcal{O}(\ell)$ sur $X$ » est la donnée pour chaque $i$ d'un élément $h_i$ de $(k[t_0,\ldots,t_d]/I)[\frac{1}{\bar t_i}]$ homogène de degré $\ell$, tels que pour tous $i$ et $j$ les éléments $h_i$ et $h_j$ correspondants coïcident dans $(k[t_0,\ldots,t_d]/I)[\frac{1}{\bar t_i \bar t_j}]$. On note $\mathcal{O}(\ell)(X)$ l'ensemble de ces sections : tout élément homogène de degré $\ell$ de $k[t_0,\ldots,t_d]/I$ définit un élément de $\mathcal{O}(\ell)(X)$ (mais il peut y en avoir d'autres, comme on l'a signalé déjà pour $\ell=0$). \item On pourrait également définir les morphismes $X \to \mathbb{P}^e$ (donc resp. aussi $X \to Y$ avec $Y$ variété projective vue comme $Z(J)$ dans $\mathbb{P}^e$) selon ce procédé : avec les notations précédentes, ce serait la donnée de $d+1$ morphismes $X \cap D(t_i) \to \mathbb{P}^e$ (resp. $X \cap D(t_i) \to Y$) qui se recollent, or $X \cap D(t_i)$ est affine donc un morphisme $X \cap D(t_i) \to \mathbb{P}^e$ est la même chose qu'un élément de $\mathbb{P}^e(\mathcal{O}(X\cap D(t_i)))$ où $\mathcal{O}(X\cap D(t_i)) = (k[t_0,\ldots,t_d]/I)[\frac{1}{\bar t_i}]$ comme on vient de l'expliquer (resp. un élément de $Y(\mathcal{O}(X\cap D(t_i)))$, c'est-à-dire un élément de $\mathbb{P}^e(\mathcal{O}(X\cap D(t_i)))$ qui vérifie les équations de $Y$). Ce n'est probablement pas la façon la plus simple de procéder ! \end{itemize} \medbreak Inversement, donnée une variété affine $X = Z(I)$ où $I$ est un idéal (radical...) de $k[\tau_1,\ldots,\tau_d]$, on peut définir une variété projective $X^+ = Z(I^+)$ dont l'idéal $I^+$ est engendré par les $f^+ := t_0^{\deg f} f(\frac{t_1}{t_0},\ldots,\frac{t_d}{t_0}) \in k[t_0,\ldots,t_d]$ pour tous les $f\in I$ (c'est-à-dire les polynômes homogénéisés) : il s'agit précisément de l'adhérence de $X$ dans $\mathbb{P}^d$. Malheureusement, il ne suffit pas en général de prendre un ensemble de générateurs de $I$ pour que leurs homogénéisés engendrent $I^+$ (penser à $I = (\tau_2-\tau_1^2,\; \tau_3-\tau_1^3)$ qui contient $\tau_3-\tau_1\tau_2$ alors que $(t_0 t_2 - t_1^2,\; t_0 t_3 - t_1^3)$ ne contient pas $t_0 t_3-t_1 t_2$, il faut le mettre explicitement dans $I^+$). Il y a cependant un cas favorable : lorsque $X = Z(f)$ est une hypersurface, alors $X^+ = Z(f^+)$. % \subsection{Variétés quasiprojectives, morphismes}\label{subsection-quasiprojective-varieties-and-morphisms} Variété quasiprojective = ouvert d'une variété projective = intersection d'un ouvert et d'un fermé de $\mathbb{P}^d$. Si $X$ et $Y$ sont des variétés quasiprojectives, un morphisme $X \buildrel h\over\to Y$ est la donnée d'un recouvrement de $X$ par des ouverts affines $X\cap U_i$, d'ouverts affines $Y\cap V_i$ de $Y$ indicés par le même ensemble d'indice, et d'un morphisme de variétés algébriques affines $X \cap U_i \buildrel h_i\over\to Y\cap V_i$ pour chaque $i$, tels que les morphismes $h_i$ et $h_j$ coïncident sur $X \cap U_i \cap U_j$ (ce qui sous-entend, pour commencer, qu'ils arrivent tous deux dans $Y \cap V_i \cap V_j$). Remarquons qu'on peut supposer que les $U_i$ et $V_i$ sont des ouverts principaux, c'est-à-dire qu'ils sont de la forme $D(f_i)$ et $D(g_i)$ avec $f_i,g_i$ dans les anneaux gradués naïfs de $X$ et $Y$ (ou, pour simplifier, de variétés projectives dont $X$ et $Y$ sont des ouverts). De façon plus concrète, sur un corps algébriquement clos, un morphisme $X \buildrel h\over\to Y$ se voit comme une fonction $X(k) \to Y(k)$ qui est « localement un morphisme », c'est-à-dire que pour tout point $x$ de $X(k)$ il y a un voisinage (au sens de Zariski) de $x$ dans $X$ et de $h(x)$ dans $Y$ tel que la restriction de $h$ à ces voisinages soit un morphisme de variétés algébriques affines (donc, concrètement, soit définie par des fonctions polynomiales à ceci près qu'on autorise les dénomiateurs). \medbreak On peut également donner une description « globale » des morphismes, mais elle est peu maniable : \begin{itemize} \item Si $X$ est $Z(I)$ (où $I$ est un idéal homogène\footnote{Attention, ce genre d'écriture, ici comme ailleurs, sous-entend toujours que l'idéal $I$ est radical, sauf si on est prêt à considérer $X$ comme un schéma et pas juste comme une variété, ce qui dépasse le cadre de ce cours.} de $k[t_0,\ldots,t_d]$), un morphisme $X \to \mathbb{P}^e$ peut se décrire comme une matrice rectangulaire avec $e+1$ colonnes (le nombre de lignes n'étant pas spécifié) dont les entrées sont dans $k[t_0,\ldots,t_d]/I$ et (a) engendrent un idéal irrelevant dans cet anneau, (b) sont toutes de même degré (ou si on préfère : toutes de même degré sur chaque ligne), et (c) dont tous les mineurs $2\times 2$ s'annulent (cf. la définition de $\mathbb{P}^e(A)$ pour $A$ un anneau). \item Si $X$ est un ouvert \emph{dense} de $Z(I)$ comme ci-dessus (rappel : ceci est automatiquement le cas pour un ouvert non vide si $I$ est premier donc $Z(I)$ irréductible), ce qu'on peut toujours supposer, même description en remplaçant la condition (a) que les entrées de la matrice engendrent un idéal irrelevant par celle que les $D(f)$ correspondant recouvrent l'ouvert $X$ (pour un ouvert strict, cela peut se traduire en disant que l'idéal engendré par les éléments de la matrice engendrent un idéal dont le radical contient l'idéal $I$). \item Un morphisme vers une variété projective $Y$ de $\mathbb{P}^e$ est un morphisme vers $\mathbb{P}^e$ comme ci-dessus avec la condition supplémentaire que chaque ligne vérifie les équations de $Y$. \item Enfin, pour un morphisme vers un ouvert d'une variété projective, on demande en plus que tous les éléments obtenus en appliquant une des équations de l'ouvert (i.e., un des générateurs de $J'$ si l'ouvert est le complémentaire de $Z(J')$) à une des lignes de la matrice engendre un idéal vérifiant la même condition qu'en. \end{itemize} \medbreak \textbf{Exemples :} ¶ On reprend l'exemple donné dans l'introduction, mais rendu projectif. Soit $C^+$ le cercle, cette fois projectif, d'équation $x^2 + y^2 = z^2$ (équation homogénéisée de $x^2 + y^2 = 1$) dans $\mathbb{P}^2$ de coordonnées homogènes $(z:x:y)$ (sur un corps $k$ de caractéristique $\neq 2$), et soit le $\mathbb{P}^1$ de coordonnées $(t_0:t_1)$. On définit un morphisme $\mathbb{P}^1 \to C^+$ par $(t_0:t_1) \mapsto (t_0^2+t_1^2 : t_0^2-t_1^2 : 2t_0t_1)$ (c'est bien l'homogénéisation de $t \mapsto (\frac{1-t^2}{1+t^2},\frac{2t}{1+t^2})$) : tout d'abord il est clair que ces équations définissent un morphisme $\mathbb{P}^1 \to \mathbb{P}^2$ car $t_0^2+t_1^2 , t_0^2-t_1^2 , 2t_0t_1$ engendrent tous les monômes de degré $2$ donc un idéal irrelevant ; ensuite, comme $(t_0^2-t_1^2)^2 + (2t_0t_1)^2 = (t_0^2+t_1^2)^2$, ce morphisme arrive bien dans $C^+$. Dans l'autre sens : on définit un morphisme $C^+ \to \mathbb{P}^1$ de la façon suivante : a priori on veut lui donner l'équation $(z:x:y) \mapsto (x+z:y)$, mais ceci ne définit un morphisme que sur l'ouvert complémentaire de $Z(x+z,y)$ (c'est-à-dire du point $(z:x:y)=(1:-1:0)$). Il faut donc trouver une autre équation, ou plutôt une autre forme, sur un ouvert qui contienne ce point. Ce n'est pas difficile : en se disant que de façon assez générale on a $(x+z:y) = ((x+z)(x-z):y(x-z)) = (x^2-z^2:y(x-z)) = (-y^2:y(x-z)) = (y:z-x)$, on va considérer $(z:x:y) \mapsto (y:z-x)$, qui est, cette fois, défini sur le complémentaire de $Z(y,z-x)$, c'est-à-dire de du point $(z:x:y) = (1:1:0)$. Le calcul qu'on vient de faire montre que $(x+z:y) = (y:z-x)$ sur l'intersection des deux ouverts, donc ces deux équations se recollent bien en un unique morphisme. La composée des morphismes qu'on vient de définir est l'identité : dans le sens $\mathbb{P}^1 \to C^+ \to \mathbb{P}^1$, c'est clair car l'identité s'obtient bien en recollant $(t_0:t_1) \mapsto (2t_0^2 : 2t_0 t_1)$ et $(t_0:t_1) \mapsto (2t_0 t_1 : 2t_1^2)$. Dans le sens $C^+ \to \mathbb{P}^1 \to C^+$, on peut faire des calculs dans $k[x,y,z]/(x^2+y^2-z^2)$, mais le plus simple est sans doute de se dire que sur une variété irréductible, pour montrer l'égalité de deux morphismes vers une variété quasiprojective quelconque, il suffit de la montrer sur un ouvert non vide quelconque (puisque cet ouvert est dense), et le calcul est alors simplifié. \smallbreak ¶ Appelons maintenant $C^\sharp$ la variété d'équations $x_0 x_2 = x_1^2, \penalty-100\; x_1 x_3 = x_2^2, \penalty-100\; x_0 x_3 = x_1 x_2$ dans $\mathbb{P}^3$ de coordonnées homogènes $(x_0:x_1:x_2:x_3)$, et considérons le $\mathbb{P}^1$ de coordonnées homogènes $(t_0:t_1)$. On définit un morphisme $\mathbb{P}^1 \to C^\sharp$ par $(t_0:t_1) \mapsto (t_0^3: t_0^2 t_1: t_0 t_1^2: t_1^3)$ : ceci définit bien un morphisme vers $\mathbb{P}^3$ car l'idéal engendré par $(t_0^3, t_0^2 t_1, t_0 t_1^2, t_1^3)$ est irrelevant (ce sont tous les monômes de degré $3$ !), et il tombe bien dans $C^\sharp$ car $(t_0^3, t_0^2 t_1, t_0 t_1^2, t_1^3)$ vérifient les équations de $C^\sharp$. Réciproquement, définissons un morphisme $C^\sharp \to \mathbb{P}^1$ : il sera donné par les équations $(x_0:\cdots:x_3) \mapsto (x_0:x_1)$ et $(x_0:\cdots:x_3) \mapsto (x_2:x_3)$. Le fait que ces équations se recollent bien est assuré par l'équation $x_0 x_3 = x_1 x_2$ sur $C^\sharp$ ; le morphisme est alors défini sur tout $C^\sharp$ puisque $(x_0,x_1,x_2,x_3)$ engendrent un idéal irrelevant. De nouveau, on peut vérifier que la composée dans les deux sens est l'identité. \smallbreak ¶ Un exemple avec des variétés ouvertes : $\mathbb{A}^{d+1} \setminus\{(0,0)\} \to \mathbb{P}^d$ donné par $(x_0,\ldots,x_d) \mapsto (x_0:\cdots:x_d)$. \medbreak \begin{thm}\label{projective-to-affine-morphisms-are-constant} Tout morphisme d'une variété projective connexe vers une variété affine est constant. (En particulier, toute fonction régulière sur une variété projective, c'est-à-dire morphisme vers $\mathbb{A}^1$, est constante sur chaque composante connexe.) \end{thm} % \subsection{Le polynôme de Hilbert-Samuel} \begin{thm}\label{hilbert-samuel-polynomial} Soit $X$ une variété projective dans $\mathbb{P}^d$ (sur un corps $k$). Alors pour tout $\ell\in\mathbb{Z}$, le $k$-espace vectoriel $\mathcal{O}(\ell)(X)$, également noté $H^0(X,\mathcal{O}(\ell))$, des sections globales de $\mathcal{O}(\ell)$ sur $X$, est de dimension finie. Pour $\ell$ assez grand, il s'identifie à l'espace des éléments de degré $\ell$ de $k[t_0,\ldots,t_d]/I$ si $I = \mathfrak{I}(X)$. Pour $\ell$ assez grand, sa dimension est une fonction \emph{polynomiale} de $\ell$ : on appelle \textbf{polynôme de Hilbert-Samuel} de $X$ (dans $\mathbb{P}^d$) le polynôme auquel elle est égale pour $\ell$ assez grand. \end{thm} Le terme dominant du polynôme de Hilbert-Samuel est très significatif : son degré $d$ sera la \emph{dimension} de $X$ (ceci peut servir de définition pour $X$ projectif), et le coefficient devant $\ell^d$ est de la forme $\frac{n_X}{\ell!}$ où $n_X$ est un entier, appelé \emph{degré} de $X$. \medbreak \textbf{Exemple :} Pour $\mathbb{P}^d$, l'espace $H^0(\mathbb{P}^d, \mathcal{O}(\ell))$ est l'espace vectoriel des polynômes de degré $\ell$ en $d+1$ indéterminées. Pour $\ell\geq 0$, sa dimension vaut \[ \frac{(\ell+d)!}{\ell!\,d!} \] C'est un polynôme de degré $d$ de $\ell$ (donc le polynôme de Hilbert-Samuel de $\mathbb{P}^d$), dont le terme dominant vaut $\frac{1}{d!}\ell^d$. Pour le cercle $Z(x^2+y^2-z^2)$ dans $\mathbb{P}^2$, les polynômes de degré $\ell$ en $x,y,z$ modulo $z^2$ peuvent se réduire en un polynôme de degré $\ell$ en $x,y$, plus $z$ fois un polynôme de degré $\ell-1$ en $x,y$ : leur dimension est donc $2\ell+1$ (une base est donnée par $x^\ell,\penalty100 x^{\ell-1}y,\ldots,\penalty200 y^\ell,\penalty-100 x^{\ell-1}z,\penalty100 x^{\ell-2}yz,\ldots,\penalty200 y^{\ell-1}z$), donc le polynôme de Hilbert-Samuel vaut $2\ell+1$. % \subsection{Produit de variétés} Si $X$ et $Y$ sont deux variétés quasiprojectives sur $k$, on veut que leur produit $X\times Y$ vérifie $(X\times Y)(A) = X(A) \times Y(A)$. Dans l'espace affine, c'est facile : si $X$ est défini par les équations $f_1,\ldots,f_r$ en les variables $x_1,\ldots,x_d$ et $Y$ par les équations $g_1,\ldots,g_s$ en les variables $y_1,\ldots,y_e$, alors $X\times Y$ sera défini par les équations $f_1,\ldots,f_r, \penalty0 g_1,\ldots,g_s$ en les $d+e$ variables $x_1,\ldots,x_d, \penalty0 y_1,\ldots,y_e$. En particulier, $\mathbb{A}^d \times \mathbb{A}^e = \mathbb{A}^{d+e}$. Pour l'espace projectif, c'est plus compliqué, il faut trouver moyen de recoller les morceaux : notamment, \underline{$\mathbb{P}^1\times\mathbb{P}^1$ n'est pas $\mathbb{P}^2$} (tous deux ressemblent à des complétés de $\mathbb{A}^2$, mais, moralement, $\mathbb{P}^2$ possède un point à l'infini dans chaque direction de droites parallèles, alors que $\mathbb{P}^1\times\mathbb{P}^1$ possède un point à l'infini $(x,\infty)$ différent pour chaque droite verticale, un $(\infty,y)$ pour chaque droite horizontale, et un unique point à l'infini $(\infty,\infty)$ commun à toutes les autres droites). On définit\footnote{Façon de parler, puisque, justement, on ne sait pas ce qu'est un produit.} un morphisme $\mathbb{P}^d \times \mathbb{P}^e \to \mathbb{P}^{de+d+e}$, dit \textbf{plongement de Segre}, de la façon suivante : \[ ((x_0:\cdots:x_d),(y_0:\cdots:y_e)) \mapsto (x_0 y_0:x_0 y_1:\cdots:x_0 y_e:x_1 y_0:\cdots:x_d y_e) \] (faire tous les $(d+1)(e+1)$ produits possibles). Ce morphisme arrive dans la variété projective $S$ dont les équations sont tous les mineurs $2\times 2$ de la matrice $(d+1)\times (e+1)$ des coordonnées homogènes sur $\mathbb{P}^{de+d+e}$. Réciproquement, on a un morphisme $S \to \mathbb{P}^d$ donné par $(z_{00}:\cdots:z_{de}) \mapsto (z_{0j}:\cdots:z_{dj})$ pour n'importe quel $j$ (en les considérant tous à la fois ceci se recolle et définit bien un morphisme), et de même $S \to \mathbb{P}^e$ par $(z_{00}:\cdots:z_{de}) \mapsto (z_{i0}:\cdots:z_{ie})$. Sur un corps, au moins, ces deux morphismes définissent bien des bijections réciproques $\mathbb{P}^d(k) \times \mathbb{P}^e(k) \to S(k)$ et $S(k) \to \mathbb{P}^d(k) \times \mathbb{P}^e(k)$ (car l'annulation des mineurs $2\times 2$ traduit le fait que la matrice a rang $1$, donc qu'elle peut s'écrire comme le produit d'un vecteur ligne $(x_i)$ et d'un vecteur colonne $(y_j)$). On prendra pour définition du produit $\mathbb{P}^d \times \mathbb{P}^e$ la variété projective $S$. (Exemple : le produit $\mathbb{P}^1 \times \mathbb{P}^1$ se voit comme la surface d'équation $z_{00} z_{11} = z_{01} z_{10}$ dans $\mathbb{P}^3$, c'est-à-dire un paraboloïde hyperbolique.) Plus généralement, si $X$ et $Y$ sont des variétés projectives dans $\mathbb{P}^d$ et $\mathbb{P}^e$, on peut définir $X\times Y$ comme un fermé dans $S$ : pour chaque équation $f(x_0,\ldots,x_d) = 0$ de $X$, on met une équation $f(z_{0j},\ldots,z_{dj}) = 0$ pour chaque $j$, et de même pour chaque équation $g(y_0,\ldots,y_e) = 0$ de $Y$, on met une équation $g(z_{i0},\cdots,z_{ie}) = 0$ pour chaque $i$. % \subsection{La dimension} \textbf{Rappel :} Si $K$ est un corps contenant un corps $k$, on dit que des éléments $x_i$ de $K$ sont \textbf{algébriquement indépendants} (comprendre : « collectivement transcendants ») sur $k$ lorsque les seuls polynômes $f \in k[t_1,\ldots,t_d]$ tel que $f(x_{i_1},\ldots,x_{i_d}) = 0$ pour certains $i_1,\ldots,i_d$ deux à deux distincts sont les polynômes nuls. Ceci est équivalent au fait que le sous-corps $k(x_i)$ de $K$ engendré par les $x_i$ avec $k$ est isomorphe au corps des fractions rationnelles sur autant d'indéterminées que de $x_i$ (il est plus simple de penser au cas où les $x_i$ sont en nombre fini, qui nous suffira). On appelle \textbf{base de transcendance} de $K$ sur $k$ un ensemble maximal d'éléments algébriquement indépendants, c'est-à-dire, un ensemble de $x_i$ algébriquement indépendants sur $k$ et tels que $K$ soit algébrique sur le sous-corps $k(x_i)$ qu'ils engendrent au-dessus de $k$. Une base de transcendance de $K$ sur $k$ existe toujours, et toutes ont le même cardinal : on appelle celui-ci \textbf{degré de transcendance} de $K$ sur $k$ et on le note $\degtrans_k(K)$. Par exemple, $\degtrans_k k(t_1,\ldots,t_d) = d$ (où $k(t_1,\ldots,t_d)$ désigne le corps des fractions rationnelles en $d$ indéterminées sur $k$). Lorsque $K$ est algébrique sur $k$, on a $\degtrans_k K = 0$ et réciproquement. Par ailleurs, lorsque $k \subseteq K \subseteq L$ sont trois corps, on a toujours $\degtrans_k L = \degtrans_k K + \degtrans_K L$. \begin{defn}\label{definition-rational-function-and-dimension} Si $X$ est une variété \emph{irréductible} sur $k$, on appelle \textbf{fonction rationnelle} sur $X$ une fonction régulière sur un ouvert non-vide=dense quelconque de $X$, en identifiant deux fonctions si elles coïncident sur l'intersection de leur domaine de définition ; on note $k(X)$ l'ensemble des fonctions régulières sur $X$. Lorsque $X$ est une variété affine irréductible, $k(X)$ est le corps des fractions (noté $k(X)$) de $\mathcal{O}(X)$ (=l'anneau des fonctions régulières sur $X$, qui est intègre). De façon générale, $k(X)$ coïncide avec $k(U)$ pour n'importe quel ouvert non-vide=dense $U$ de $X$ (on peut donc définir $k(X) = \Frac \mathcal{O}(U)$ pour $U$ un ouvert affine dense de $X$). On appelle \textbf{dimension de $X$} le degré de transcendance sur $k$ de $k(X)$. \end{defn} Pour $\mathbb{A}^d$ ou $\mathbb{P}^d$, le corps des fractions rationnelles est $k(t_1,\ldots,t_d)$ et $k(\frac{t_1}{t_0},\ldots,\frac{t_d}{t_0})$. La dimension de $\mathbb{A}^d$ ou $\mathbb{P}^d$ est donc $d$. De façon générale, d'après ce qu'on vient de dire, la dimension d'une variété irréductible est égale à celle de n'importe lequel de ses ouverts non-vides. (Lorsque $X$ n'est pas irréductible, on appelle dimension de $X$ la plus grande dimension d'une composante irréductible de $X$. Parfois on convient que la dimension du vide est $-1$.) \begin{thm}[Hauptidealsatz de Krull]\label{hauptidealsatz} Soit $X$ une variété irréductible de dimension $d$ et $f \in \mathcal{O}(X)$ un élément qui n'est pas inversible (c'est-à-dire $Z(f) \neq\varnothing$) et pas nul. Alors chaque composante irréductible de $Z(f)$ est de dimension $d-1$. Variante projective : si $X$ est une variété irréductible de dimension $d$ dans $\mathbb{P}^e$ et $f$ homogène non constant (en $e+1$ variables). Alors chaque composante irréductible de $X \cap Z(f)$ est de dimension $d-1$, \emph{et de plus $X \cap Z(f)$ n'est pas vide} lorsque $d\geq 1$. \end{thm} \begin{cor} Si $f_1,\ldots,f_r$ sont des polynômes homogènes en $e+1$ variables, avec $r \leq e$, alors $Z(f_1,\ldots,f_r) \neq \varnothing$, c'est-à-dire que sur $k$ corps algébriquement clos, les $r$ équations $f_i=0$ ont une solution (non-nulle) commune. \end{cor} De plus, $Z(f_1,\ldots,f_r)$ est de dimension \emph{au moins} $e-r$. Il peut évidemment être de dimension plus grande (les $f_i$ pourraient être tous égaux, par exemple). Lorsqu'il est exactement de dimension $e-r$, on dit que les $f_i$ sont \emph{en intersection complète} (projective, globale). Lorsque c'est le cas, on peut être plus précis : le terme dominant de la fonction de Hilbert-Samuel de $Z(f_1,\ldots,f_r)$ est $\frac{\prod_i \deg f_i}{(e-r)!} \ell^{e-r}$. \begin{cor} Si $X$ est une variété algébrique (quasiprojective) irréductible de dimension $d$, alors le seul fermé $Y$ de $X$ tel que $\dim Y = d$ est $X$ lui-même. Par ailleurs, il existe toujours des fermés irréductibles $Y$ de dimension $d-1$ dans $X$. Par conséquent, on peut définir la dimension de $X$ comme $1 + \max\dim Y$ où le $\max$ est pris sur tous les fermés irréductibles de $X$ (et cette définition récursive a bien un sens !). \end{cor} \begin{thm} Si $X$ et $Y$ sont des variétés algébriques (quasiprojectives), alors $\dim (X\times Y) = \dim X + \dim Y$. (Remarque : si $X$ et $Y$ sont irréductibles alors $X \times Y$ l'est.) Plus généralement : soit $f\colon Z\to X$ un morphisme de variétés algébriques (quasiprojectives) irréductibles, surjectif (au sens où pour tout $x \in X(k)$, pour $k$ algébriquement clos, il existe $z \in Z(k)$ tel que $x = f(z)$, cf. la section suivante), et soit $d = \dim X$ et $e = \dim Z$. Alors $e \geq d$, et de plus : \begin{itemize} \item Si $x \in X$, alors toute composante de $f^{-1}(x)$ (cf. section suivante) est de dimension \emph{au moins} $e-d$. \item Il existe un ouvert non vide (donc dense) $U \subseteq X$ tel que $\dim f^{-1}(x) = e - d$ (au sens où toute composante irréductible de $f^{-1}(x)$ a cette dimension) si $x \in U$. \end{itemize} \end{thm} % \subsection{L'image d'un morphisme}\label{image-of-a-morphism} Si $X \buildrel f\over\to Y$ est un morphisme entre variétés quasiprojectives et $Y' \subseteq Y$ un fermé ou un ouvert (ou l'intersection d'un fermé et d'un ouvert) dans $Y$, il est facile de définir l'\emph{image réciproque} de $Y'$ par $f$ : il suffit de « tirer » les équations de $Y'$ de $Y$ à $X$, c'est-à-dire écrire les équations $h\circ f = 0$ pour chaque équation $h = 0$ de $Y'$ (et pareil avec $\neq 0$ si on a affaire à un ouvert). Définir l'\emph{image (directe)} d'un $X' \subseteq X$ est plus délicat. Quitte à restreindre $f$ à $X'$, on peut supposer $X' = X$, et la question devient celle de définir l'image de $f$ : notamment, si $k$ est algébriquement clos, quel est l'ensemble des $y \in Y(k)$ tels qu'il existe $x \in X(k)$ pour lequel $f(x) = y$ ? \begin{thm}[Chevalley]\label{image-of-a-morphism-chevalley} \begin{itemize} \item L'image d'un morphisme $X \buildrel f\over\to Y$ entre variété quasiprojectives est « constructible » dans $Y$, au sens suivant : il existe $Y'_1,\ldots,Y'_s \subseteq Y$, chacun intersections d'un ouvert et d'un fermé dans $Y$ (c'est-à-dire que chaque $Y'_i$ est une sous-variété quasiprojective de $Y$), tels que, pour $y \in Y(k)$, on ait $\exists i (y \in Y'_i(k))$ si et seulement si il existe $x \in X(k)$ pour lequel $f(x) = y$. \item Si $X$ est projective, alors l'image d'un morphisme $X \buildrel f\over\to Y$ est un \emph{fermé} dans $Y$. \item Variante : si $X$ est projective et $Y$ quasiprojective, la seconde projection $X\times Y \to Y$ est une application fermée au sens où l'image d'un fermé de $X \times Y$ dans $Y$ est un fermé. \end{itemize} \end{thm} % \subsection{Vecteurs tangents et points lisses} \label{subsection-tangent-vectors-and-smooth-points} Si $X$ est une variété quasiprojective sur un corps (algébriquement clos) $k$, on appelle \textbf{vecteur tangent} à $X$ un élément de $X(k[\varepsilon])$ où $k[\varepsilon]$ est la $k$-algèbre $k[t]/(t^2)$ (on note $\varepsilon$ la classe de $t$ dans cette algèbre, c'est-à-dire que $\varepsilon^2 = 0$). Le \emph{point-base} de ce vecteur tangent est l'image de cet élément par l'application $X(k[\varepsilon]) \to X(k)$ qui résulte du morphisme d'anneaux $k[\varepsilon] \to k$ envoyant $\varepsilon$ sur $0$ ; si $x$ est ce point base, on dit aussi qu'on a affaire à un vecteur tangent à $X$ \emph{en} $x$. L'ensemble des vecteurs tangents à $X$ en $x$ est noté $T_x X$ et s'appelle \emph{espace tangent} à $X$ en $x$. On peut voir les choses plus concrètement en passant en affine : l'espace tangent à $X$ en $x$ est le même que l'espace tangent en $x$ à n'importe quel voisinage affine de $x$, donc on peut faire tout calcul en supposant que $X$ est affine. Si $X = Z(f_1,\ldots,f_r)$ est défini\footnote{Ce genre d'affirmation, ici et ailleurs, sous-entend toujours que l'idéal $(f_1,\ldots,f_r)$ est radical, sauf si on est prêt à considérer $X$ comme un schéma et pas juste comme une variété, ce qui dépasse le cadre de ce cours.} par les équations $f_i = 0$ dans $\mathbb{A}^d$ alors un point tangent à $X$ peut s'écrire $(x_1+v_1 \varepsilon,\ldots, x_d + v_d\varepsilon)$ où $(x_1,\ldots,x_d) \in X(k)$ (i.e. $f_i(x_1,\ldots,x_d) = 0$ pour tout $i$) sont les coordonnées du point-base, et où $\sum_{j=1}^d v_j \frac{\partial f_i}{\partial t_j}(x_1,\ldots,x_d) = 0$ : autrement dit, les $v_i$ appartiennent au noyau de la matrice des dérivées partielles des équations de $X$. Ceci permet de dire, en le voyant comme le noyau en question, que $T_x X$ est un \emph{espace vectoriel} pour chaque $x$ donné (implicitement dans cette affirmation il y a celle que la structure d'espace vectoriel ne dépend pas du voisinage affine dans lequel on a considéré les coordonnées) ; sa dimension est $d - r$ où $r$ est le rang de la matrice des $\frac{\partial f_i}{\partial t_j}(x_1,\ldots,x_d)$. \medbreak \begin{prop} Si $X$ est une variété irréductible sur un corps $k$ (algébriquement clos), pour tout $x \in X(k)$ on a $\dim_k T_x X \geq \dim X$. \end{prop} Un point $x$ tel que l'espace tangent $T_x X$ à $X$ en ce point soit d'une dimension (comme espace vectoriel) égale à la dimension de $X$ (comme variété algébrique), c'est-à-dire la dimension minimale que peut avoir cet espace tangent, est appelé un point \textbf{lisse} (ou \textbf{régulier}, ou \textbf{nonsingulier}) de $X$. Lorsque tout point de $X$ (sur un corps algébriquement clos !) est lisse, on dit que $X$ lui-même est lisse (ou régulier) (sur son corps de base). (Pour une variété réductible, un point situé sur une seule composante irréductible est dit lisse lorsqu'il est lisse sur la composante en question ; et un point situé sur plusieurs composantes irréductibles à la fois n'est jamais lisse --- on peut prendre ça comme définition ou le montrer en prenant comme définition de la lissité le fait que la dimension de l'espace tangent au point considéré soit égale à la plus grande dimension d'une composante irréductible passant par ce point.) \begin{prop} Soit $X$ une variété quasiprojective sur un corps (algébriquement clos) $k$ : alors les points lisses de $X(k)$ forment un ouvert de Zariski. \end{prop} \begin{proof} L'affirmation est locale, donc on peut supposer $X$ affine. Si $X$ est de codimension $r$ (c'est-à-dire de dimension $d-r$ dans $\mathbb{A}^d$), le fait que $x$ soit lisse se traduit par le fait que la matrice des dérivées partielles en $x$ des équations définissant $X$ est de rang \emph{au moins} $r$ (sachant qu'elle ne peut pas être strictement supérieure). Or ceci se traduit par le fait qu'il existe un mineur $r\times r$ de cette matrice qui ne s'annule pas : la réunion des ouverts définis par tous les mineurs $r\times r$ (qui sont bien polynomiaux dans les variables) donne bien une condition ouverte de Zariski. \end{proof} \begin{rmk} \begin{itemize} \item D'après \ref{hauptidealsatz}, une hypersurface $Z(f)$ dans $\mathbb{A}^d$, pour $f$ non constant, est de dimension $d-1$, donc elle est lisse ssi aucun point de $Z(f)$ n'annule simultanément les $d$ dérivées partielles de $f$. Grâce au Nullstellensatz, ceci peut encore se reformuler en : $Z(f)$ est lisse ssi les polynômes $f$ et $\frac{\partial f}{\partial t_i}$ (soit $d+1$ polynômes au total) engendrent l'idéal unité de $k[t_1,\ldots,t_d]$. \item Variante projective : pour $f$ homogène de degré non nul dans $k[t_0,\ldots,t_d]$, on peut montrer que $Z(f) \subseteq \mathbb{P}^d$ est lisse ssi les polynômes $\frac{\partial f}{\partial t_i}$ n'ont aucun zéro commun sur $k$ (algébriquement clos !), car un zéro commun des $\frac{\partial f}{\partial t_i}$ est forcément zéro de $f = \sum_{i=0}^d t_i \frac{\partial f}{\partial t_i}$. Grâce au Nullstellensatz projectif, on peut encore reformuler cela en : les $\frac{\partial f}{\partial t_i}$ engendrent un idéal irrelevant. \item Quand $X = Z(f_1,\ldots,f_r)$ (affine, disons dans $\mathbb{A}^d$) est définie par plusieurs polynômes $f_1,\ldots,f_r$, \emph{si} la matrice $\frac{\partial f_i}{\partial t_j}$ est de rang $r$ en un point de $X = Z(f_1,\ldots,f_r)$, on peut conclure que ce point est lisse et que $X$ est de dimension $d-r$. En revanche, lorsque le rang est plus petit que $r$, on ne peut pas conclure sauf en connaissant la dimension de $X$. \end{itemize} \end{rmk} \begin{prop} Soit $X$ une variété\footnote{Ici, le mot « variété » est particulièrement important : beaucoup de définitions ou concepts introduits ailleurs fonctionneraient aussi pour un schéma, c'est-à-dire un objet défini par un idéal non radical, mais ici ce n'est pas le cas.} quasiprojective sur un corps (algébriquement clos) $k$ : alors il existe un point lisse de $X(k)$ --- par conséquent, il existe un ouvert dense de points lisses. \end{prop} Ceci permet parfois de calculer la dimension d'une variété, en reformulant en : la dimension d'une variété irréductible $X$ est le \emph{minimum} des dimensions des espaces vectoriels $T_x X$ (donc, dans $\mathbb{A}^d$, la codimension est le plus grand rang possible que prend la matrice des dérivés partielles). \medbreak \begin{rmk} Dans énormément d'énoncés, on a utilisé des expressions comme « soit $X = Z(I)$ la variété (blabla) », qui sous-entendent que $I$ est un idéal \emph{radical} (à savoir $I = \mathfrak{I}(X)$) : ceci est nécessaire pour éviter de parler de schémas (qui seraient des objets localement comme « $\Spec k[t_1,\ldots,t_d]/I$ » avec $I$ idéal non nécessairement radical). L'inconvénient de cette approche est qu'à peu près toute manipulation d'équations est subordonnée à la vérification du fait que celles-ci engendrent un idéal radical, ce qui est souvent fastidieux. Voici une bonne nouvelle : un « schéma » lisse est nécessairement réduit (=est une variété) ; c'est-à-dire, dans un langage qu'on comprend, que si $f_1,\ldots,f_r \in k[t_1,\ldots,t_d]$, qui ne sont pas supposés \textit{a priori} engendrer un idéal radical, vérifient la condition de lissité (=le rang de la matrice $\frac{\partial f_i}{\partial t_j}$ vaut partout au moins $d - \dim X$, donc exactement ce nombre, où $X$ est la variété définie par $\surd(f_1,\ldots,f_r)$ ; et en particulier s'il vaut partout au moins $d-r$), alors automatiquement l'idéal $(f_1,\ldots,f_r)$ est radical. (Par contre, dans ce contexte, on ne peut pas utiliser la proposition précédente.) \end{rmk} \medbreak \textbf{Un exemple : la cubique gauche.} On reprend l'exemple étudié à plusieurs reprises de la cubique gauche, la variété $C$ définie dans $\mathbb{P}^3$ par $t_0 t_2 = t_1^2$, $t_1 t_3 = t_2^2$ et $t_0 t_3 = t_1 t_2$. Sur l'ouvert affine $D(t_0) = \{t_0\neq 0\}$, ses équations deviennent (en posant $\tau_1 = t_1/t_0$, $\tau_2 = t_2/t_0$ et $\tau_3 = t_3/t_0$) : $\tau_2 = \tau_1^2$ et $\tau_3 = \tau_1^3$ (l'équation $\tau_1 \tau_3 = \tau_2^2$ est redondante) ; on peut en conclure que la dimension de cet ouvert affine $C \cap D(t_0)$ est au moins $3-2 = 1$, en fait il est visiblement isomorphe à $\mathbb{A}^1$ via le morphisme $\tau \mapsto (\tau,\tau^2,\tau^3)$ considéré dans la section \ref{subsection-morphisms-of-affine-algebraic-varieties}. (Attention, on ne peut pas conclure directement que la dimension de $C$ est $3$ à moins de donner une explication du fait que $C$ est irréductible.) Par symétrie des variables (remplacer $t_i$ par $t_{3-i}$ partout conserve les mêmes équations), on peut aussi conclure que $C \cap D(t_3)$ est de dimension $1$ (et isomorphe à $\mathbb{A}^1$). Remarquons par ailleurs que « si $t_0=0$ et $t_3=0$ alors $t_1=0$ et $t_2=0$ aussi d'après les équations de $C$, ce qui n'est pas possible » (plus précisément, l'idéal engendré par $t_0$ et $t_3$ et les équations de $C$ contient aussi $t_1^2$ et $t_2^2$, c'est donc un idéal irrelevant), ce qui permet de dire que les ovuerts $D(t_0)$ et $D(t_3)$ recouvrent $C$. Donc $C$ est bien de dimension $1$. S'agissant de la lissité, le fait que $C \cap D(t_0)$ et $C\cap D(t_3)$ soient isomorphes à $\mathbb{A}^1$ permet de conclure (car $\mathbb{A}^1$ est lisse), mais on peut vouloir le voir sur les équations : sur $C \cap D(t_0)$, les dérivées partielles des deux équations $\tau_2 = \tau_1^2$ et $\tau_3 = \tau_1^3$ sont $(2\tau_1, 1, 0)$ et $(3\tau_1^2, 0, 1)$, donc linéairement indépendantes, ce qui assure que tout cet ouvert est lisse, et par symétrie des coordonnées, c'est aussi le cas pour $C \cap D(t_3)$. On a donc bien affaire à une courbe (=variété (irréductible ?) de dimension $1$) lisse dans $\mathbb{P}^3$. Soit dit en passant, on ne peut pas omettre une des trois équations utilisées pour définir $C$ : si on omet $t_0 t_2 = t_1^2$, la variété ainsi obtenue contiendra toute la droite $\{(t_0:t_1:0:0)\}$ d'équation $t_2=t_3=0$ (par exemple le point $(1:1:0:0)$), qui n'est pas dans $C$, si on omet $t_1 t_3 = t_2^2$ de même (par symétrie) avec la droite $\{(0:0:t_2:t_3)\}$ d'équation $t_0=t_1=0$ ; et si on omet $t_0 t_3 = t_1 t_2$, la variété contient toute la droite $\{(t_0:0:0:t_3)\}$ d'équation $t_1=t_2=0$ (par exemple le point $(1:0:0:1)$). Il n'est en fait pas possible de définir $C$ avec seulement deux équations qui engendrent un idéal radical : en effet, premièrement, le polynôme de Hilbert-Samuel de $C$ vaut $3\ell+1$ (car il est facile de voir que les équations de $C$ réduisent deux monômes $t_0^{d_0} t_1^{d_1} t_2^{d_2} t_3^{d_3}$ exactement lorsqu'ils ont le même degré total $d_0+d_1+d_2+d_3$ et le même « degré sur $C$ », $d_1 + 2d_2 + 3d_3$, donc on est ramené à compter les valeurs possibles de $d_1 + 2d_2 + 3d_3$ connaissant $d_0+d_1+d_2+d_3 = \ell$, et ce sont tous les entiers entre $0$ et $3\ell$ inclus) ; ceci confirme que la dimension de $C$ est $1$ mais aussi que son degré (au sens donné par le coefficient dominant du polynôme de Hilbert-Samuel) vaut $3$ : si $C$ était définie par deux équations $\mathfrak{I}(C) = (f_1,f_2)$, donc en intersection complète, on aurait $\deg f_1 \cdot \deg f_2 = 3$, ce qui impose soit $\deg f_1 = 1$ soit $\deg f_2 = 3$, donc $C$ serait une courbe plane, ce qui n'est visiblement pas le cas. \medbreak \textbf{Différentielle d'un morphisme.} Si $h\colon X\to Y$ est un morphisme entre variétés quasiprojectives sur un corps algébriquement clos $k$ et $x \in X(k)$, on a une application $dh_x\colon T_x X \to T_{h(x)} Y$ qui est définie formellement par $h(k[\varepsilon]) \colon X(k[\varepsilon]) \to Y(k[\varepsilon])$ et plus concrètement, si localement $X$ est défini par des équations $f_1=\cdots=f_r = 0$ dans $\mathbb{A}^d$ (de sorte que $T_x X$ se voit comme l'ensemble des $(v_i)$ tels que $\sum_{j=1}^d v_j \frac{\partial f_i}{\partial t_j}(x_1,\ldots,x_d) = 0$) et $Y$ par $g_1=\cdots=g_s = 0$ dans $\mathbb{A}^e$ (de sorte que $T_y Y$ se voit comme l'ensemble des $(w_i)$ tels que $\sum_{j=1}^e w_j \frac{\partial g_i}{\partial u_j}(y_1,\ldots,y_d) = 0$), et le morphisme $h$ par des polynômes $(h_1,\ldots,h_e)$ (vérifiant $g_i(h_1,\ldots,h_e) = 0$) envoyant $(x_1,\ldots,x_d)$ sur $(h_1(x_1,\ldots,x_d),\ldots,\penalty-100 h_e(x_1,\ldots,x_d))$, alors $dh_x$ envoie $(v_1,\ldots,v_d)$ sur $(w_1,\ldots,w_e)$ où $w_i = \sum_{j=1}^d v_j\frac{\partial h_i}{\partial t_j}$ (et la condition souhaitée, $\sum_{i=1}^e w_j \frac{\partial g_i}{\partial u_j}(y_1,\ldots,y_d) = 0$ est une conséquence de la formule des dérivées composées appliquée à $g_i(h_1,\ldots,h_e) = 0$ : on a $\sum_{j=1}^e \frac{\partial g_i}{\partial u_j} \frac{\partial h_j}{\partial t_l} = 0$). Cette application $dh_x$ est linéaire (pour chaque $x$ donné) : on l'appelle différentielle du morphisme $h$ au point $x$. \textbf{Lissité des morphismes.} On ne définira le concept de morphisme lisse entre variétés quasiprojectives $X \to Y$ que lorsque $Y$ elle-même est lisse. Plus exactement, on dit qu'un morphisme $X \buildrel h\over\to Y$ est \emph{lisse} en un point $x \in X$ tel que $Y$ soit lisse en $h(x)$, lorsque $dh_x \colon T_x X \to T_{h(x)} Y$ est \emph{surjective}. On dit qu'un morphisme $X \to Y$, avec $Y$ lisse, est lisse (partout) lorsque la différentielle est surjective en tout point. Une conséquence importante de la lissité de $h$ est que la fibre $h^{-1}(y)$ est elle-même lisse (en tant que variété, un fermé à l'intérieur de $X$) pour chaque $y\in Y$. % % % \section{Géométrie algébrique sur un corps non algébriquement clos} \subsection{Crash-course de théorie de Galois} Rappel : corps parfait = corps de caractéristique $0$ \emph{ou} de caractéristique $p$ tel que tout élément ait une racine $p$-ième = corps tel que tout polynôme irréductible soit à racines simples sur la clôture algébrique. Exemples : $\mathbb{R}$, $\mathbb{Q}$, $\mathbb{F}_q$ sont parfaits comme l'est tout corps algébriquement clos. Contre-exemple : $\mathbb{F}_p(t)$ n'est pas parfait ($t$ n'a pas de racine $p$-ième). Si $k$ est un corps parfait (et qu'on en fixe une fois pour toutes une clôture algébrique), on note $\Gal(k)$ ou $\Gamma_k$ et on appelle \textbf{groupe de Galois absolu} de $k$ le groupe des automorphismes de corps de sa clôture algébrique qui laissent $k$ fixe (i.e. $\sigma(x) = x$ pour tout $x\in k$). \textbf{Exemples :} $\Gamma_{\mathbb{R}} = \{\id_{\mathbb{C}}, (z\mapsto\bar z)\}$ est le groupe cyclique d'ordre $2$. Si $k$ est algébriquement clos, $\Gamma_k$ est trivial. Si $k = \mathbb{F}_q$ est fini, $\Gamma_{\mathbb{F}_q}$ contient au moins toutes les puissances $\Frob_q^i \colon x \mapsto x^{q^i}$ du Frobenius $\Frob_q\colon x \mapsto x^q$ ; il contient en fait d'autres éléments, mais « en gros » il n'y a que les puissances du Frobenius (au sens : la restriction de tout $\sigma \in \Gamma_{\mathbb{F}_q}$ à un $\mathbb{F}_{q^n}$ est de la forme $\Frob_q^i$ pour un certain $i \in \mathbb{Z}$ (qu'on peut voir dans $\mathbb{Z}/n\mathbb{Z}$ si on préfère) ; en tout cas, pour voir qu'un élément de $k^{\alg}$ (ou de n'importe quoi qui sera considéré plus bas) est fixé/stable par $\Gamma_{\mathbb{F}_q}$, il suffit de vérifier qu'il est fixé/stable par $\Frob_q$. \begin{thm}\label{rational-iff-fixed-by-galois} Si $k$ est un corps parfait de clôture algébrique $k^{\alg}$, un élément $x$ de $k^{\alg}$ appartient à $k$ si [et seulement si, mais ça c'est juste la définition de $\Gamma_k$] on a $\sigma(x) = x$ pour tout $\sigma \in \Gamma_k$. \end{thm} Slogan : « rationnel = fixé par Galois ». Si $k \subseteq K$ est une extension algébrique (on note parfois ça $K/k$, mauvaise notation car elle fait penser à un quotient), si $k$ est parfait alors $K$ l'est aussi, et $\Gamma_{K}$ est un sous-groupe de $\Gamma_k$. Ce sous-groupe est \emph{distingué} exactement lorsque $\sigma(K) = K$ (c'est-à-dire $K$ est \emph{globalement} stable par $\sigma$, pas nécessairement fixé point à point) pour tout $\sigma\in\Gamma_k$ : dans ce cas on dit que $K$ est une \textbf{extension galoisienne} de $k$, et on pose $\Gal(k\subseteq K) = \Gamma_k/\Gamma_{K}$, qui s'appelle groupe de Galois de l'extension $k \subseteq K$. Il peut se voir comme l'ensemble des automorphismes de $K$ laissant $k$ fixe. Remarque : si $\Gamma_k$ est abélien (c'est le cas de $\mathbb{F}_q$), \emph{toute} extension algébrique de $k$ est galoisienne. \begin{thm} \begin{itemize} \item Si $k\subseteq K$ est une extension finie (donc algébrique) galoisienne, alors un élément $x$ de $K$ appartient à $k$ si [et seulement si] on a $\sigma(x) = x$ pour tout $\sigma \in \Gal(k\subseteq K)$. De plus, il y a une bijection entre extensions intermédiaires $k \subseteq E \subseteq K$ et sous-groupes de $\Gal(k\subseteq K)$ donnée par $E \mapsto \Gamma_E/\Gamma_K = \Gal(E\subseteq K)$ et réciproquement $H \mapsto \{x \in K :\penalty-100 (\forall \sigma \in H)\, \sigma(x)=x\}$. (Note : l'extension $E \subseteq K$ est toujours galoisienne (on rappelle que $k \subseteq K$ était supposée l'être !), et $k \subseteq E$ l'est lorsque $\Gal(E\subseteq K)$ est distingué dans $\Gal(k\subseteq K)$.) \item Version absolue : pour $k$ parfait, il y a une bijection entre les extensions finies (et en particulier, algébriques) $k\subseteq K$ de $k$ dans une clôture algébrique $k^{\alg}$ fixée, et les sous-groupes de $\Gamma_k$ qui sont « ouverts » au sens où ils contiennent un $\Gamma_{k'}$ pour $k'$ extension finie de $k$. \end{itemize} \end{thm} La première partie du résultat suivant est une conséquence triviale de \ref{rational-iff-fixed-by-galois}, la seconde est beaucoup plus subtile. \begin{thm} Pour $k$ parfait : \begin{itemize} \item Si $x \in \mathbb{A}^d(k^{\alg})$ est fixé par $\Gamma_k$, alors $x \in \mathbb{A}^d(k)$ (au sens où ses coordonnées affines sont dans $k$). \item Si $x \in \mathbb{P}^d(k^{\alg})$ est fixé par $\Gamma_k$, alors $x \in \mathbb{P}^d(k)$ (au sens où \emph{il admet} des coordonnées homogènes dans $k$). \end{itemize} \end{thm} \subsection{Variétés sur un corps non algébriquement clos} Soit $k$ un corps parfait. Si $I$ est un idéal de $k[t_1,\ldots,t_d]$, on définit l'idéal $I_{k^{\alg}} := I\cdot k^{\alg}[t_1,\ldots,t_d]$ engendré par $I$ dans $k^{\alg}[t_1,\ldots,t_d]$. \begin{prop} \begin{itemize} \item L'idéal $I_{k^{\alg}}$ est radical si et seulement si $I$ l'est. \item Un idéal $J$ de $k^{\alg}[t_1,\ldots,t_d]$ est de la forme $I_{k^{\alg}}$ pour $I$ idéal de $k[t_1,\ldots,t_d]$ si et seulement si $\sigma(J) = J$ pour tout $\sigma \in \Gamma_k$. Lorsque c'est le cas, $I = J \cap k[t_1,\ldots,t_d]$. \item Lorsque $J$ est radical, c'est le cas (=$J$ est de la forme $I_{k^{\alg}}$) si et seulement si $\sigma(Z(J)) = Z(J)$ (où ici $Z(J)$ désigne $Z(J)(k^{\alg})$, les $k^{\alg}$-points de $Z(J)$). Remarque : $Z(J)(k^{\alg}) = Z(I)(k^{\alg})$. \item On a des bijections réciproques, décroissantes pour l'inclusion, entre idéaux radicaux de $k[t_1,\ldots,t_d]$ et fermés de Zariski de $\mathbb{A}^d(k^{\alg})$ stables par Galois, donnée par $I \mapsto Z(I_{k^{\alg}})(k^{\alg})$ et $E \mapsto \mathfrak{I}(E) \cap k[t_1,\ldots,t_d]$. \end{itemize} \end{prop} On qualifiera un fermé de Zariski $X$ de $\mathbb{A}^d(k^{\alg})$ stable par Galois de $k$-variété algébrique affine (moralité : c'est une variété dont les équations peuvent être définies sur $k$), et on considère que $Z(I)$ désigne cette variété $X$ (et pas juste l'ensemble des points sur $k$). On a alors effectivement un ensemble de $k$-points $X(k) = Z(I)(k)$ : concrètement, ce sont les points dont les coordonnées affines sont dans $k$, c'est-à-dire, sont fixées par Galois ; mais \emph{attention}, cet ensemble peut très bien être vide sans que $X$ le soit (car le Nullstellensatz ne fonctionne que sur un corps algébriquement clos). Par exemple, $Z(x^2+y^2+1) \subseteq \mathbb{A}^2$ définit une variété algébrique affine sur $\mathbb{R}$ qui n'a aucun $\mathbb{R}$-point. La même chose fonctionne en projectif : on a des bijections réciproques, décroissantes pour l'inclusion, entre idéaux homogènes radicaux de $k[t_0,\ldots,t_d]$ autres que $(t_0,\ldots,t_d)$ et fermés de Zariski de $\mathbb{P}^d(k^{\alg})$ stables par Galois, donnée par $I \mapsto Z(I_{k^{\alg}})(k^{\alg})$ et $E \mapsto \mathfrak{I}(E) \cap k[t_0,\ldots,t_d]$. On appelle variété quasiprojective sur $k$ une variété quasiprojective $X$ (dans $\mathbb{P}^d$) sur $k^{\alg}$ qui soit stable par Galois (moralité : c'est une variété dont les équations peuvent être définies sur $k$). On peut donc définir une action de Galois sur $X(k^{\alg})$, et $X(k)$ est l'ensemble des points fixés par Galois (et pour toute extension $k'$ de $k$, l'ensemble $X(k')$ est le sous-ensemble de $X(k^{\alg})$ fixé par $\Gamma_{k'}$). Pour éviter les confusions, on note souvent $X_{k^{\alg}}$ la variété sur $k^{\alg}$ définie par $X$ (c'est-à-dire celle où on oublie la structure sur $k$ / l'action de Galois). \medbreak \underline{Attention :} si un idéal $I \subseteq k[t_1,\ldots,t_d]$ est premier (cela signifie qu'il est radical et que la variété $X = Z(I) \subseteq \mathbb{A}^d$ définie sur $k$ est irréductible au sens où elle n'est pas réunion de deux fermés plus petits définis sur $k$), cela n'implique pas que $I_{k^{\alg}}$ soit premier, c'est-à-dire que $X_{k^{\alg}}$ soit irréductible ; par contre, la réciproque est vraie. On dit parfois que $X$ est \emph{absolument irréductible} ou \emph{géométriquement irréductible} lorsque $X_{k^{\alg}}$ est irréductible. Contre-exemple : $Z(x^2+y^2)$ dans $\mathbb{A}^2$ sur $\mathbb{R}$ n'est pas absolument irréductible puisque sur $\mathbb{C}$ il est réunion des deux droites $Z(x+iy)$ et $Z(x-iy)$, mais sur $\mathbb{R}$ il est irréductible car tout fermé défini sur $\mathbb{R}$ qui contient une de ces droites doit contenir l'autre. \medbreak Quant aux idéaux \emph{maximaux} de $k[t_1,\ldots,t_d]$, ils correspondent aux \emph{orbites} sous $\Gamma_k$, c'est-à-dire aux ensembles (nécessairement finis) de $k^{\alg}$-points tels que n'importe lequel puisse être envoyé sur n'importe lequel par un élément de $\Gamma_k$ (c'est-à-dire, si on préfère, qu'aucun sous-ensemble non-vide n'est stable par $\Gamma_k$). (On peut, si on le souhaite, considérer que ce sont là les « points » de l'espace affine $\mathbb{A}^d$, auquel cas on les appelle « points fermés » pour bien les distinguer des « $k$-points », c'est-à-dire les éléments de $k^d$, ou orbites réduites à un seul élément.) Une remarque analogue vaut pour des variétés algébriques sur $k$ plus générales : les idéaux maximaux de $k[t_1,\ldots,t_d]/I$, pour $I$ idéal radical de $k[t_1,\ldots,t_d]$, correspondent aux orbites sous $\Gamma_k$ de $Z(I)(k^{\alg})$. \subsection{Morphismes entre icelles} Si $X$ et $Y$ sont deux variétés quasiprojectives sur un corps parfait $k$, un morphisme $X_{k^{\alg}} \buildrel f\over\to Y_{k^{\alg}}$ sera considéré comme un morphisme $X \to Y$ de $k$-variétés lorsqu'il vérifie les conditions équivalentes suivantes : \begin{itemize} \item Il existe des équations à coefficients dans $k$ définissant $f$. \item Le morphisme $f$ commute à l'action de Galois, au sens où $\sigma(f(x)) = f(\sigma(x))$ pour tout $x \in X(k^{\alg})$. \end{itemize} (Cas particulier éclairant : si $f \in \mathbb{F}_{q^n}[t]$, alors $f(t)^q = f(t^q)$ si et seulement si $f \in \mathbb{F}_q[t]$.) En particulier, $f$ définit une application $X(k) \to Y(k)$, mais la donnée de celle-ci \emph{ne suffit pas} à caractériser $f$ (penser au fait que $X(k)$ peut très bien être vide !). On peut aussi caractériser les morphismes $X \to Y$ de $k$-variétés comme les données pour toute $k$-algèbre $A$ d'un application $X(A) \buildrel f(A)\over\to Y(A)$ telle que : si $A \buildrel\psi\over\to A'$ est un morphisme de $k$-algèbres, alors les deux composées $X(A) \buildrel X(\psi)\over\to X(A') \buildrel f(A')\over\to Y(A')$ et $X(A) \buildrel f(A)\over\to Y(A) \buildrel Y(\psi)\over\to Y(A')$ coïncident (cf. lemme de Yoneda). \medbreak Pour les fonctions régulières, on a ce qu'on imagine : un morphisme $X \to \mathbb{A}^1$ est la même chose qu'une fonction régulière sur $X_{k^{\alg}}$ stable par Galois, et c'est ce qu'on appelle une fonction régulière sur $X$. Lorsque $X = Z(I) \subseteq \mathbb{A}^d$ est affine (avec $I = \mathfrak{I}(X)$ idéal de $k[t_1,\ldots,t_d]$), les fonctions régulières sur $X$ sont les éléments de $k[t_1,\ldots,t_d]/I$. En général, on peut toujours définir une fonction régulière sur $X$ par recollement de fonctions régulières sur des ouverts affines (c'est-à-dire : on peut le faire \emph{sur $k$}, il n'y a pas besoin de passer à la clôture algébrique). % % % \section{Introduction aux bases de Gröbner} \subsection{Monômes et idéaux monomiaux} On appelle \textbf{monôme} de $k[t_1,\ldots,t_d]$ un $t_1^{\ell_1}\cdots t_d^{\ell_d}$. On dit qu'un monôme $t_1^{\ell_1}\cdots t_d^{\ell_d}$ \textbf{divise} un monôme $t_1^{\ell'_1}\cdots t_d^{\ell'_d}$ lorsque $\ell_i \leq \ell'_i$ pour tout $i$ (c'est bien la relation de divisibilité dans l'anneau factoriel $k[t_1,\ldots,t_d]$, restreinte aux monômes, et le rapport est alors lui-même un monôme). Un \textbf{terme} est un monôme multiplié par une constante (=élément de $k$) non nulle : on parle alors du monôme \emph{de} ce terme. Tout polynôme s'écrit de façon unique comme somme de termes dont les monômes sont distincts : ce sont les termes de (=intervenant dans) ce polynôme. Commençons par la remarque suivante, qui est évidente, mais essentielle : \begin{prop}\label{divisibility-of-monomials} Si $s_1,\ldots,s_r$ sont des monômes de $k[t_1,\ldots,t_d]$, alors pour chaque terme $c s$ de $g_1 s_1 + \cdots + g_r s_r$ (où $g_1,\ldots,g_r \in k[t_1,\ldots,t_d]$) le monôme $s$ de ce terme est divisible par l'un des $s_i$. \end{prop} \begin{proof} En développant l'écriture $g_1 s_1 + \cdots + g_r s_r$, puisque la somme comporte le terme $c s$, au moins un des facteurs comporte un terme dont le monôme est $s$, ce qui montre bien que $s$ est divisible par un des $s_i$. \end{proof} \begin{cor} Si $s_1,\ldots,s_r$ sont des monômes de $k[t_1,\ldots,t_d]$, l'idéal qu'ils engendrent est exactement l'idéal des polynômes dont le monôme de chaque terme est divisible par un des $s_i$. \end{cor} \begin{proof} On vient de montrer que si $f$ est dans $(s_1,\ldots,s_r)$ alors le monôme de chaque terme de $f$ est divisible par un des $s_i$. Réciproquement, si c'est le cas, $f$ est somme de termes multiples des $s_i$, qui appartiennent donc à l'idéal engendré par les $s_i$. \end{proof} On appelle \textbf{idéal monomial} un idéal de $k[t_1,\ldots,t_d]$ qui peut être engendré par des monômes : le corollaire ci-dessus montre que si $I$ est un idéal monomial, alors tout terme d'un élément de $I$ est encore un élément de $I$. Réciproquement, si $I$ est un idéal tel que tout terme d'un élément de $I$ soit un élément de $I$, alors $I$ est monomial (en effet, on peut choisir un ensemble de générateurs de $I$, et les monômes des termes de ces générateurs donnent des éléments de $I$ qui engendrent les générateurs choisis, donc engendrent $I$). % \subsection{Ordres admissibles sur les monômes} On appelle \textbf{ordre admissible} (ou \textbf{ordre monomial}) sur les monômes de $k[t_1,\ldots,t_d]$ une relation d'ordre total $\preceq$ sur les monômes de ce dernier telle que : \begin{itemize} \item $1 \preceq s$ pour tout monôme $s$, et \item si $s_1 \preceq s_2$ et $s$ est un monôme quelconque, alors $s s_1 \preceq s s_2$. \end{itemize} (On notera souvent abusivement $c s \preceq c' s'$, lorsque $cs, c's'$ sont deux termes, pour signifier que leurs monômes vérifient $s \preceq s'$.) \begin{prop}\label{properties-of-admissible-orders} Si $\preceq$ est un ordre admissible sur les monômes de $k[t_1,\ldots,t_d]$, alors \begin{itemize} \item si $s_1 | s_2$ alors $s_1 \preceq s_2$, \item $\preceq$ est un bon ordre (c'est-à-dire : tout ensemble non vide de monômes a un plus petit élément pour $\preceq$, ou de façon équivalente, il n'y a pas de suite infinie strictement décroissante de monômes pour $\preceq$). \end{itemize} \end{prop} \begin{proof} Le premier point est évident : si $s_2 = s s_1$ alors $1 \preceq s$ entraîne $s_1 \preceq s s_1 = s_2$. Montrons le second : si $S$ est un ensemble de monômes, soit $I$ l'idéal qu'ils engendrent ; comme $k[t_1,\ldots,t_d]$ est noethérien, il existe un sous-ensemble fini $S_0 \subseteq S$ qui engendre le même idéal $I$. Soit $s$ le plus petit élément de $S_0$ : on prétend que $s$ est aussi le plus petit élément de $S$. En effet, si $s' \in S$ alors $s' \in I$ donc $s'$ s'écrit comme combinaison d'éléments de $S_0$, mais alors d'après \ref{divisibility-of-monomials}, $s'$ est simplement multiple d'un élément de $S_0$, et d'après le premier point, $s\preceq s'$, ce qui conclut. \end{proof} Lorsque $d=1$, le seul ordre admissible sur les monômes est évidemment celui donné par $t^\ell \preceq t^{\ell'}$ ssi $\ell \leq \ell'$. Une fois fixé un ordre admissible $\preceq$ sur les monômes, si $f \in k[t_1,\ldots,t_d]$ est non nul, on note $\init_{\preceq}(f)$ (ou simplement $\init(f)$ si l'ordre est sous-entendu) et on appelle \textbf{terme initial} (ou \textbf{terme de tête}) de $f$ le terme au \emph{plus grand} monôme pour l'ordre en question. (Lorsque $d=1$, pour le seul ordre admissible sur les monômes, ceci est simplement le terme dominant de $f$.) Si $f=0$ on pose (un peu abusivement) $\init(f) = 0$. \medbreak Exemples importants d'ordres admissibles sur les monômes : (on supposera toujours, quitte à renuméroter les variables, que $t_1 \preceq t_2 \preceq \cdots \preceq t_d$) : * L'\textbf{ordre lexicographique (pur)} est défini par $t_1^{\ell_1} \cdots t_d^{\ell_d} \mathrel{\preceq_{\mathtt{lex}}} t_1^{\ell'_1} \cdots t_d^{\ell'_d}$ ssi $\ell_i < \ell'_i$ pour le \emph{plus grand} $i$ tel que $\ell_i \neq \ell'_i$. Pour cet ordre on a donc $1 \preceq t_1 \preceq t_1^2 \preceq t_1^3 \preceq \cdots \preceq t_2 \preceq t_1 t_2 \preceq t_1^2 t_2 \preceq \cdots \preceq t_2^2 \preceq t_1 t_2^2 \preceq \cdots \preceq t_2^3 \preceq \cdots \preceq t_3 \preceq t_1 t_3 \preceq t_1^2 t_3 \preceq \cdots \preceq t_2 t_3 \preceq t_1 t_2 t_3 \preceq \cdots \preceq t_3^2 \preceq \cdots \preceq t_4 \preceq \cdots$. (Attention, l'ordre donne le poids fort à l'exposant de la dernière variable, ce qui correspond à la convention faite $t_1 \preceq t_2 \preceq \cdots \preceq t_d$ ; plus généralement, tout ordre total sur l'ensemble des variables définit un unique ordre lexicographique pur associé.) \emph{Caractérisation :} Si $\init_{\mathtt{lex}}(f) \in k[t_1,\ldots,t_s]$ (pour un $s\leq d$) alors $f \in k[t_1,\ldots,t_s]$. * L'\textbf{ordre lexicographique par degré} ou \textbf{ordre lexicographique gradué} est défini par $t_1^{\ell_1} \cdots t_d^{\ell_d} \mathrel{\preceq_{\mathtt{glex}}} t_1^{\ell'_1} \cdots t_d^{\ell'_d}$ ssi $\sum \ell_i < \sum \ell'_i$ ou $\sum \ell_i = \sum \ell'_i$ et $\ell_i < \ell'_i$ pour le \emph{plus grand} $i$ tel que $\ell_i \neq \ell'_i$. Autrement dit, les monômes sont classés par degré total en priorité puis, faute de cela, par l'ordre lexicographique pur défini ci-dessus. Pour cet ordre, on a donc $1 \preceq t_1 \preceq t_2 \preceq t_3 \preceq t_4 \preceq \cdots \preceq t_1^2 \preceq t_1 t_2 \preceq t_2^2 \preceq t_1 t_3 \preceq t_2 t_3 \preceq t_3^2 \preceq \cdots \preceq t_1^3 \preceq t_1^2 t_2 \preceq t_1 t_2^2 \preceq t_2^3 \preceq t_1^2 t_3 \preceq t_1 t_2 t_3 \preceq \cdots$. (Même remarque que ci-dessus : il y a un tel ordre pour chaque ordre total sur les variables.) \emph{Caractérisation :} L'ordre $\mathrel{\preceq_{\mathtt{glex}}}$ raffine l'ordre partiel donné par le degré total ; et si $f$ homogène vérifie $\init_{\mathtt{glex}}(f) \in k[t_1,\ldots,t_s]$ (pour un $s\leq d$) alors $f \in k[t_1,\ldots,t_s]$. * L'\textbf{ordre lexicographique inversé par degré} (ou \textbf{...gradué}) est défini par $t_1^{\ell_1} \cdots t_d^{\ell_d} \mathrel{\preceq_{\mathtt{grevlex}}} t_1^{\ell'_1} \cdots t_d^{\ell'_d}$ ssi $\sum \ell_i < \sum \ell'_i$ ou $\sum \ell_i = \sum \ell'_i$ et $\ell_i > \ell'_i$ (attention au sens !) pour le \emph{plus petit} $i$ tel que $\ell_i \neq \ell'_i$. Pour cet ordre, on a donc $1 \preceq t_1 \preceq t_2 \preceq t_3 \preceq t_4 \preceq \cdots \preceq t_1^2 \preceq t_1 t_2 \preceq t_1 t_3 \preceq t_1 t_4 \preceq \cdots \preceq t_2^2 \preceq t_2 t_3 \preceq \cdots \preceq t_3^2 \preceq \cdots \preceq t_1^3 \preceq t_1^2 t_2 \preceq t_1^2 t_3 \preceq \cdots \preceq t_1 t_2^2 \preceq t_1 t_2 t_3 \preceq \cdots \preceq t_2^3 \preceq \cdots$. (Même remarque que ci-dessus : il y a un tel ordre pour chaque ordre total sur les variables. De plus, $\mathrel{\preceq_{\mathtt{grevlex}}}$ et $\mathrel{\preceq_{\mathtt{glex}}}$ coïncident lorsqu'il n'y a que deux variables, une fois fixé l'ordre entre celles-ci.) \emph{Caractérisation :} L'ordre $\mathrel{\preceq_{\mathtt{grevlex}}}$ raffine l'ordre partiel donné par le degré total ; et si $f$ homogène vérifie $\init_{\mathtt{grevlex}}(f) \in (t_1,\ldots,t_s)$ (pour un $s\leq d$) alors $f \in (t_1,\ldots,t_s)$. % \subsection{Bases de Gröbner} Si $I$ est un idéal de $k[t_1,\ldots,t_d]$ (et $\preceq$ un ordre admissible), on appelle $\init_{\preceq}(I)$ l'idéal engendré par les $\init_{\preceq}(f)$ pour tous les $f\in I$ (c'est donc un idéal monomial). Attention ! il n'y a aucune raison que prendre les $\init_{\preceq}(f)$ pour $f$ parcourant des générateurs de $I$ suffise à engendrer $\init_{\preceq}(I)$. \begin{defn} Si $I$ est un idéal de $k[t_1,\ldots,t_d]$ et $\preceq$ un ordre admissible sur les monômes de ce dernier, on appelle \textbf{base de Gröbner} de $I$ un ensemble $f_1,\ldots,f_r$ d'éléments de $I$ tels que $\init_{\preceq}(f_1),\ldots,\init_{\preceq}(f_r)$ engendrent $\init_{\preceq}(I)$. \end{defn} A priori, rien ne dit que $f_1,\ldots,f_r$ engendrent $I$. C'est pourtant le cas : \begin{prop} Dans les conditions ci-dessus, on a $I = (f_1,\ldots,f_r)$. \end{prop} \begin{proof} On a $I \supseteq (f_1,\ldots,f_r)$ puisque les $f_i$ sont supposés dans $I$. Supposons maintenant qu'il n'y ait pas égalité. Soit $h \in I$ un polynôme avec le monôme dans $\init(h)$ le plus petit possible (pour $\preceq$) tel que $h \not\in (f_1,\ldots,f_r)$. Puisque $\init(h) \in \init(I)$, on peut écrire $\init(h) = g_1 \init(f_1) + \cdots + g_r \init(f_r)$ par l'hypothèse faite sur les $f_i$ (pour certains $g_1,\ldots,g_r$). D'après \ref{divisibility-of-monomials}, ceci montre que $\init(h) = c s \init(f_i)$ pour un certain monôme $s$ et $c$ une constante. On a alors $s f_i \in I$, et $\init(c s f_i) = c s \init(f_i) = \init(h)$, donc $h - c s f_i$, qui appartient à $I$, a un terme initial de monôme strictement plus petit que $h$, donc par minimalité de ce dernier, $h - c s f_i \in (f_1,\ldots,f_r)$. Mais alors $h \in (f_1,\ldots,f_r)$, une contradiction. \end{proof} Une évidence : tout idéal admet une base de Gröbner. En effet, parmi les $\init(f)$ pour $f\in I$ qui engendrent $\init(I)$ on peut extraire un ensemble fini engendrant $\init(I)$ --- il s'agit d'une base de Gröbner de $I$. \begin{algo}[algorithme de division]\label{division-algorithm} Soient $f,f_1,\ldots,f_r \in k[t_1,\ldots,t_d]$ et $\preceq$ un ordre admissible sur les monômes. Alors il existe une écriture \[ f = g_1 f_1 + \cdots + g_r f_r + \rho \tag{$*$} \] où $g_1,\ldots,g_r,\rho \in k[t_1,\ldots,t_d]$, où aucun des monômes de $\rho$ n'est divisible par un des $\init(f_i)$, et où $\init(g_i f_i) \preceq \init(f)$ pour chaque $i$ ; et on va donner un algorithme pour calculer cette écriture ; un tel $\rho$ s'appelle un \textbf{reste} de $f$ par rapport au $f_1,\ldots,f_r$ et pour l'ordre monomial $\preceq$ (on dit aussi que l'écriture ($*$) s'appelle une \textbf{écriture standard} de $f$ par rapport aux $f_1,\ldots,f_r$ et pour cet ordre monomial). Lorsque les $f_1,\ldots,f_r$ forment une base de Gröbner (d'un idéal $I = (f_1,\ldots,f_r)$), on a $f \in (f_1,\ldots,f_r)$ si et seulement si $\rho = 0$, et $\rho$ est défini de façon unique par $f$. \end{algo} \begin{proof}[Description de l'algorithme] Si aucun terme de $f$ n'est divisible par aucun des $\init(f_i)$, retourner $\rho = f$ (et tous les $g_i = 0$). Sinon, soit $c s \init(f_i)$ (où $c\neq 0$ est une constante et $s$ un monôme) le $\preceq$-plus grand terme de $f$ qui soit divisible par un des $\init(f_i)$ : on applique récursivement l'algorithme à $f' = f - c s f_i$ (qui vérifie $\init(f') \preceq \init(f)$), si $f' = g'_1 f_1 + \cdots + g'_r f_r + \rho'$ est le résultat, renvoyer $g_j = g'_j$ sauf $g_i = g'_i + c s$, et $\rho = \rho'$. \end{proof} \begin{proof} L'algorithme termine car le $\preceq$-plus grand monôme de $f$ divisible par un des $\init(f_i)$ décroît strictement à chaque itération, or $\preceq$ est un bon ordre (cf. \ref{properties-of-admissible-orders}). La propriété sur $\rho$ est évidente. La propriété $\init(g_j f_j) \preceq \init(f)$ découle par induction de $\init(g'_j f_j) \preceq \init(f') \preceq \init(f)$ et $\init(c s f_i) = c s \init(f_i) = c\init(f)$. Si $\rho = 0$, le fait que $f \in (f_1,\ldots,f_r)$ est trivial. Si $f_1,\ldots,f_r$ forment une base de Gröbner et $f \in (f_1,\ldots,f_r)$, comme on a aussi $\rho \in (f_1,\ldots,f_r)$, alors $\init(\rho) \in (\init(f_1),\ldots,\init(f_r))$, ce qui vu le fait qu'aucun monôme de $\rho$ n'est divisible par un des $\init(f_i)$, n'est possible que si $\rho = 0$ (cf. \ref{divisibility-of-monomials}) ; de même, si $\rho$ et $\rho'$ sont deux restes différents du même $f$, disons $f = g_1 f_1 + \cdots + g_r f_r + \rho$ et $f = g'_1 f_1 + \cdots + g'_r f_r + \rho'$, alors $(g'_1-g_1) f_1 + \cdots + (g'_r-g_r) f_r + (\rho'-\rho)$ est une écriture standard de $0$, donc $\rho'=\rho$. \end{proof} \textbf{Moralité :} Connaître une base de Gröbner d'un idéal $I$ permet de répondre à la question de savoir si $f\in I$ pour un idéal donné. Mieux, si $(f_1,\ldots,f_r)$ est cette base de Gröbner, l'ensemble des classes des monômes qui ne sont divisibles par aucun des $\init(f_i)$ constitue une base de $k[t_1,\ldots,t_d]/I$, ce qui, avec l'algorithme de division, permet de calculer dans l'anneau en question. Lorsque $f_1,\ldots,f_r$ ne forment pas une base de Gröbner, on peut très bien avoir $\rho \neq 0$ et pourtant que $\rho$ (c'est-à-dire, $f$) appartienne à l'idéal $(f_1,\ldots,f_r)$. Par exemple, pour deux polynômes, $g_1 f_1 + g_2 f_2$ pourrait avoir un terme initial beaucoup plus petit que ceux de $f_1,f_2$ à cause d'une annulation entre ceux-ci (dans ce cas, l'algorithme de division appliqué à $g_1 f_1 + g_2 f_2$ par rapport à $f_1,f_2$ donnerait $g_1 f_1 + g_2 f_2$ lui-même comme reste, bien que ce polynôme appartienne à $(f_1,f_2)$). L'algorithme de Buchberger pour calculer les bases de Gröbner se fonde sur l'idée qu'il suffit d'éviter ce phénomène. % \subsection{L'algorithme de Buchberger} Soient $f_1,\ldots,f_r\in k[t_1,\ldots,t_d]$ : pour chaque couple $(i,j)$ (où $i \neq j$), on définit le \textbf{polynôme de syzygie} entre $f_i$ et $f_j$ : \[ \begin{array}{c} f_{i,j} = c_{j,i} s_{j,i} f_i - c_{i,j} s_{i,j} f_j\\ \hbox{où~} c_{i,j} s_{i,j} = \init(f_i)/\pgcd(\init(f_i),\init(f_j)) \end{array} \] Le pgcd (unitaire) de deux termes $c s$ et $c' s'$ étant défini comme le plus grand monôme (pour n'importe quel ordre admissible, ou pour l'ordre partiel de divisibilité) parmi les monômes qui divisent à la fois $s$ et $s'$ (c'est-à-dire $t_1^{\min(\ell_1,\ell'_1)} \cdots t_d^{\min(\ell_d,\ell'_d)}$ si $s = t_1^{\ell_1} \cdots t_d^{\ell_d}$ et $s' = t_1^{\ell'_1} \cdots t_d^{\ell'_d}$). Remarquons que $c_{i,j} s_{i,j} f_i$ et $c_{j,i} s_{j,i} f_j$ ont le même terme initial, de sorte que celui de $f_{i,j}$ a un monôme strictement plus petit. (Bien sûr, $f_{i,i} = 0$ pour tout $i$, donc on ne s'intéresse qu'aux $f_{i,j}$ pour $i\neq j$.) On appelle \textbf{module des relations} entre $f_1,\ldots,f_r$ l'ensemble (qui est un sous-module de $(k[t_1,\ldots,t_d])^r$, d'où le terme) des $(g_1,\ldots,g_r)$ tels que $g_1 f_1 + \cdots + g_r f_r = 0$, ces $(g_1,\ldots,g_r)$ étant appelés des \textbf{relations} entre les $f_i$ (relation non-triviale si les $g_i$ ne sont pas tous nuls). Soit $\rho_{i,j}$ le reste (au sens de \ref{division-algorithm}) de $f_{i,j}$ par rapport aux $f_1,\ldots,f_r$ (pour un ordre monomial $\preceq$) : si les $f_1,\ldots,f_r$ forment une base de Gröbner alors $\rho_{i,j} = 0$ puisque $f_{i,j} \in (f_1,\ldots,f_r)$. Ce qui est plus surprenant est que la réciproque est également vraie : \begin{thm}[critère de Buchberger] Avec les notations ci-dessus, on a $\rho_{i,j} = 0$ pour tous $i,j$ si et seulement $f_1,\ldots,f_r$ forment une base de Gröbner (de l'idéal qu'ils engendrent). (Spears-Schreyer) De plus, lorsque c'est le cas, les relations $c_{j,i} s_{j,i} f_i - c_{i,j} s_{i,j} f_j - \sum_u g^{(i,j)}_u f_u$, où $f_{i,j} = g^{(i,j)}_1 f_1 + \cdots + g^{(i,j)}_r f_r$ est une écriture standard de $f_{i,j}$, engendrent\footnote{En fait, les relations en question forment elles-même une base de Gröbner du module des relations, si on prend la peine de définir la notion de « base de Gröbner » d'un module et non seulement d'un idéal, pour un ordre admissible sur les monômes de $k[t_1,\ldots,t_d]^r$ qui se déduit facilement de $\preceq$.} le module des relations entre $f_1,\ldots,f_r$. \end{thm} \begin{algo}[algorithme de Buchberger] Donné $f_1,\ldots,f_r \in k[t_1,\ldots,t_d]$, on peut calculer effectivement une base de Gröbner de l'idéal qu'ils engendrent. \end{algo} \begin{proof}[Description de l'algorithme] Calculer les $\rho_{i,j}$ définis plus hauts : si les $\rho_{i,j}$ sont tous nuls, terminer (les $f_1,\ldots,f_r$ forment une base de Gröbner). Si un des $\rho_{i,j}$ est non nul, dès qu'on le trouve, ajouter ce $\rho_{i,j}$ parmi les $f_1,\ldots,f_r$ (c'est-à-dire, recommencer l'algorithme avec $f_1,\ldots,f_r,\rho_{i,j}$). \end{proof} \begin{proof} L'algorithme termine car l'idéal engendré par $\init(f_1),\ldots,\init(f_r)$ ne cesse de croître strictement : le processus doit donc terminer, ce qui ne peut se produire que parce que tous les $\rho_{i,j}$ sont tous nuls, et le critère précédent permet de dire qu'on a bien une base de Gröbner. \end{proof} \medbreak \textbf{Bases de Gröbner réduites.} \begin{defn} Une base de Gröbner $f_1,\ldots,f_r$ est dite \textbf{réduite} lorsque, pour $i\neq j$, le monôme du terme $\init(f_i)$ ne divise aucun des monômes apparaissant dans $f_j$, et si, de plus, chacun des termes $\init(f_i)$ est unitaire (=la constante devant le monôme est $1$). \end{defn} On peut facilement calculer une base de Gröbner réduite à partir d'une base de Gröbner, en soustrayant, pour chaque $f_j$, chaque terme divisible par un des $\init(f_i)$ (et en commençant par le plus grand pour l'ordre monomial), le multiple de $f_i$ qui permet de l'annuler, et en répétant cette opération aussi souvent que nécessaire (il est clair que cela termine). Il faut, bien sûr, retirer tous les éléments nuls, puis normaliser à $1$ la constante devant le monôme initial de chaque $f_i$. \begin{prop} Pour un idéal $I$ de $k[t_1,\ldots,t_d]$ et un ordre admissible $\preceq$, il existe une unique base de Gröbner réduite (on l'appelle donc \emph{la} base de Gröbner réduite de $I$ pour cet ordre). \end{prop} % \subsection{Bases de Gröbner et élimination} \begin{prop} Soit $I$ un idéal de $k[t_1,\ldots,t_d]$ et $s\leq d$ : si $f_1,\ldots,f_r$ est une base de Gröbner de $I$ pour l'ordre $\mathrel{\preceq_{\mathtt{lex}}}$ (où on est convenu que $t_1 \preceq t_2 \preceq \cdots \preceq t_d$), alors ceux des $f_i$ qui appartiennent à $k[t_1,\ldots,t_s]$ forment une base de Gröbner de $I \cap k[t_1,\ldots,t_s]$. \end{prop} (En fait, il suffit que l'ordre $\preceq$ utilisé vérifie la propriété : si $\init_{\preceq}(f) \in k[t_1,\ldots,t_s]$ alors $f \in k[t_1,\ldots,t_s]$. Une façon parfois plus efficace que l'ordre lexicographique pur, \emph{si on connaît $s$ à l'avance}, consiste à prendre l'ordre sur le degré total en les seules variables $t_1,\ldots,t_s$ comme premier critère de comparaison, et en cas d'égalité comparer avec $\mathrel{\preceq_{\mathtt{grevlex}}}$.) \begin{prop} Soit $I$ un idéal de $k[t_1,\ldots,t_d]$ et $s \leq d$. Alors $Z(I \cap k[t_1,\ldots,t_s])$ est l'adhérence de Zariski dans $\mathbb{A}^s$ de la projection (c'est-à-dire l'image au sens de \ref{image-of-a-morphism} par le morphisme $\mathbb{A}^d \to \mathbb{A}^s$ qui projette sur les $s$ premières coordonnées c'est-à-dire $(x_1,\ldots,x_d) \mapsto (x_1,\ldots,x_d)$) de $Z(I)$. \end{prop} % % % \section{Les courbes} \subsection{Corps des fonctions et morphismes vers $\mathbb{P}^1$} \begin{defn} On appelle \textbf{courbe (projective lisse)} sur un corps $k$ une variété algébrique projective lisse géométriquement irréductible\footnote{C'est-à-dire qu'elle est irréductible quand on la voit sur la clôture algébrique $k^{\alg}$ de $k$.} de dimension $1$ sur $k$. Lorsque la variété n'est pas supposée lisse, on parle de courbe « non nécessairement lisse ». \end{defn} Les fermés de Zariski d'une courbe qui ne sont pas la courbe tout entière sont de dimension zéro (cf. \ref{hauptidealsatz}) donc sont (sur $k^{\alg}$) des réunions finies de points. Si $C$ est une courbe non nécessairement lisse, on note $k(C)$ le corps des fonctions rationnelles sur $C$ (cf. \ref{definition-rational-function-and-dimension}). Rappelons qu'il s'agit des fonctions régulières sur un ouvert non-vide (=dense) de $C$, définies sur $k$ (où on identifie deux fonctions quand elles coïncident sur l'intersection des ouverts sur lesquels elles sont données) ; on l'appelle simplement \textbf{corps des fonctions} de $C$. On a $k(C) = \Frac(\mathcal{O}(U))$ pour n'importe quel ouvert affine\footnote{\label{footnote-affine}En fait, on verra que tout ouvert de $C$ différent de $C$ est automatiquement affine.} non-vide (=dense) de $C$. On appelle évidemment \textbf{constantes} les éléments de $k$ vus dans $k(C)$. On note aussi $k^{\alg}(C)$ le corps des fonctions rationnelles sur $C_{k^{\alg}}$, c'est-à-dire après passage à la clôture algébrique $k^{\alg}$ de $k$. On voit $k(C)$ à l'intérieur de $k^{\alg}(C)$ ; pour $k$ parfait, le corps $k(C)$ est simplement le corps des éléments de $k^{\alg}(C)$ fixés par le groupe de Galois absolu de $k$. Le degré de transcendance de $k(C)$ (ou $k^{\alg}(C)$) sur $k$ (ou $k^{\alg}$, s'agissant de $k^{\alg}(C)$) est $1$ : c'est-à-dire qu'il existe des éléments de $k(C)$ n'appartenant pas à $k^{\alg}$, et que deux tels éléments sont toujours algébriques l'un par rapport à l'autre. \textbf{Exemple :} $\mathbb{P}^1$ sur $k$ est une courbe sur $k$, son corps des fonctions est $k(\mathbb{P}^1) = k(t)$ où $t$ est un paramètre affine quelconque sur $\mathbb{P}^1$ ; et on a bien sûr $k^{\alg}(\mathbb{P}^1) = k^{\alg}(t)$. \medbreak \begin{defn} Soit $X$ une variété quasiprojective irréductible (non nécessairement lisse), et $P$ un $k^{\alg}$-point de $X$, on note $\mathcal{O}_{X,P}$ et on appelle \textbf{anneau local de $X$ en $P$} le sous-anneau de $k(X)$ formé des fonctions rationnelles qui sont données sur un ouvert contenant $P$. Ces fonctions sont dites \textbf{régulières en $P$}. \end{defn} Grâce au recollement on peut affirmer que, si $U$ est la réunion de tous les ouverts sur lesquels $f$ peut être donnée comme une fonction régulière, on peut effectivement représenter $f$ comme une fonction régulière sur tout $U$ : on appelle $U$ \textbf{l'ouvert de régularité} de $f$ (ou parfois l'ouvert de définition). On peut décrire $\mathcal{O}_{X,P}$ autrement : si $U$ est un ouvert affine contenant $P$, et $\mathfrak{m}_P$ l'idéal maximal de $\mathcal{O}(U)$ des fonctions s'annulant en $P$, alors $\mathcal{O}_{X,P}$ est le \emph{localisé} de $\mathcal{O}(U)$ en l'idéal $\mathfrak{m}_P$ (c'est-à-dire inversant toutes les fonctions qui ne sont pas dans $\mathfrak{m}_P$, cf. les remarques suivant \ref{properties-localization}). Il s'agit bien d'un anneau local au sens définit en \ref{subsection-reduced-and-integral-rings}. \medbreak Le fait suivant peut sembler clair, mais il joue un rôle crucial\footnote{Pour voir qu'il n'est pas vrai de façon plus générale, penser à la fonction rationnelle $x/y$ sur $\mathbb{P}^2$, où $x,y$ sont deux des trois coordonnées homogènes : ni elle ni son inverse ne sont régulières au point $x=y=0$.} pour expliquer pourquoi la dimension $1$ est particulièrement simple : \begin{prop} Si $C$ est une courbe non nécessairement lisse, et $P$ un $k^{\alg}$-point \emph{lisse} de $C$, alors pour tout $f \in k(C)$ non nul on a $f \in \mathcal{O}_{C,P}$ ou bien $f^{-1} \in \mathcal{O}_{C,P}$. Autrement dit : pour $f$ une fonction rationnelle sur une courbe $C$ et $P$ un point lisse sur $C$, si $f$ n'est pas régulière en $P$ alors $f^{-1}$ l'est. \end{prop} Pour $C$ une courbe (lisse), on peut considérer une fonction rationnelle $f \in k(C)$ comme une fonction régulière $U \to \mathbb{A}^1$ sur son ouvert $U$ de régularité (l'ensemble des points où $f$ est régulière). La proposition affirme donc que les ouverts de régularité $U$ de $f$ et $U'$ de $f^{-1}$ recouvrent $C$. Les morphismes $U \to \mathbb{P}^1$ et $U' \to \mathbb{P}^1$ définis par $P \mapsto (1:f(P))$ et $P \mapsto (f^{-1}(P):1)$ se recollent et définissent donc un morphisme $C \to \mathbb{P}^1$ qu'on veut identifier à $f$. Réciproquement, tout morphisme $C \to \mathbb{P}^1$ qui n'est pas constamment égal à $\infty$ (=le point complémentaire de $\mathbb{A}^1$) définit une fonction régulière sur l'ouvert $U = f^{-1}(\mathbb{A}^1)$ de $C$. On a donc expliqué pourquoi : \begin{prop}\label{rational-function-on-a-curve-is-regular} Si $C$ est une courbe (lisse), les fonctions rationnelles sur $C$ s'identifient (comme expliqué ci-dessus) aux morphismes $C \to \mathbb{P}^1$ non constamment égaux à $\infty$. Plus généralement, tout morphisme d'un ouvert non-vide de $C$ vers une variété \emph{projective} $Y$ s'étend à $C$ tout entier. \end{prop} \bigbreak \thingy\textbf{Une remarque sur Galois.}\label{remark-on-galois} Quand on considère les points d'une variété sur un corps $k$ parfait non algébriquement clos, il est parfois préférable de considérer les $k^{\alg}$-points séparément (qu'on peut appeler \emph{points géométriques} pour insister), parfois il est préférable de considérer ensemble tous les $k^{\alg}$-points qui s'envoie les uns sur les autres par l'action du groupe de Galois absolu $\Gal(k)$ de $k$, c'est-à-dire les « orbites galoisiennes » de points géométriques, qu'on appelle aussi \emph{points fermés}. Par exemple, pour droite affine $\mathbb{A}^1$ réelle, les $\mathbb{C}$-points $i$ et $-i$ constituent collectivement un point fermé, défini par l'équation $t^2+1$. L'intérêt des points fermés est qu'ils correspondent aux idéaux maximaux (sur $k$) pour une variété affine sur $k$ (exemple : l'idéal des polynômes réels s'annulant en $i$ est le même que celui des polynômes réels s'annulant en $-i$, c'est l'idéal engendré par $t^2+1$). On appelle \emph{degré} d'un point fermé le nombre de points géométriques qui le constitue : c'est aussi le degré (=la dimension comme $k$-espace vectoriel) du corps résiduel $\kappa(P) = \mathcal{O}(X)/\mathfrak{m}_P$ si $X$ est affine et $\mathfrak{m}_P$ l'idéal correspondant au point fermé $P$. Certains résultats s'énoncent mieux en parlant d'un point fermé de degré $n$, d'autres en parlant de $n$ points géométriques (constituant une orbite galoisienne). % \subsection{Valuation d'une fonction en un point} Soit $C$ une courbe (non nécessairement lisse) et $P$ un $k^{\alg}$-point lisse sur $C$. On appelle $\mathfrak{m}_P$ l'idéal dans $\mathcal{O}_{C,P}$ formé des fonctions s'annulant en $P$. \begin{prop}\label{properties-valuation} Avec les notations ci-dessus, il existe une unique fonction $\ord_P \colon k(C) \to \mathbb{Z} \cup \{+\infty\}$ vérifiant : \begin{itemize} \item si $\ord_P(f) = +\infty$ ssi $f=0$, et $\ord_P(c) = 0$ pour tout $c \in k^\times$, \item si $f,g \in k(C)$, on a $\ord_P(f+g) \geq \min(\ord_P(f),\ord_P(g))$ (note : ceci implique qu'il y a égalité si $\ord_P(f) \neq \ord_P(g)$), \item si $f,g \in k(C)$, on a $\ord_P(fg) = \ord_P(f) + \ord_P(g)$, \item on a $\ord_P(f) \geq 0$ ssi $f \in \mathcal{O}_{C,P}$ (i.e., $f$ est régulière en $P$), et $\ord_P(f) > 0$ ssi $f \in \mathfrak{m}_P$ (i.e., $f$ s'annule en $P$), \item il existe des $f$ tels que $\ord_P(f) = 1$. \end{itemize} \end{prop} Cette fonction s'appelle la \textbf{valuation en $P$} ou l'\textbf{ordre (du zéro) en $P$}. Lorsque $\ord_P(f) = v > 0$, on dit que $f$ a un zéro d'ordre $v$ en $P$ ; lorsque $\ord_P(f) = (-v) < 0$, on dit que $f$ a un pôle d'ordre $v$ en $P$ ; lorsque $\ord_P(f) = 0$, on dit que $f$ est inversible en $P$ (cela signifie bien que $f$ est inversible dans $\mathcal{O}_{C,P}$) ; lorsque $\ord_P(f) = 1$, on dit que $f$ est une \textbf{uniformisante} en $P$ (il n'est pas difficile de voir que cela signifie que $f$ engendre l'idéal $\mathfrak{m}_P$). \textbf{Exemple :} Si on voit $k(t)$ comme $k(\mathbb{P}^1)$, alors \begin{itemize} \item pour $P \in \mathbb{A}^1(k) = k$, la valuation en $P$ est bien l'ordre d'annulation en $P$ de la fraction rationnelle $f$ (en particulier, si $f$ est un polynôme, $\ord_P(f)$ est la multiplicité de $(t-P)$ dans la décomposition en facteurs irréductibles de $f$ ; et si $P = 0$, c'est ce qu'on appelle souvent, sans autre précision, la valuation d'un polynôme) ; \item pour $P = \infty$, la valuation en $\infty$ d'un polynôme est l'opposé de son degré, et la valuatin en $\infty$ d'une fraction rationnelle $f$ est le degré de son dénominateur moins le degré de son numérateur ; \item pour $P \in \mathbb{A}^1(k^{alg}) = k^{\alg}$, la valuation en $P$ d'un polynôme $f$ est la multiplicité de $\mu_P$ dans la décomposition en facteurs irréductibles de celui-ci, où $\mu_P$ est le polynôme minimal de $P$ (par exemple, sur les réels, $\ord_i(t^2+1) = 1$), et pour une fraction rationnelle on peut bien sûr le calculer comme l'ordre du numérateur moins celui du dénominateur. \end{itemize} Remarquons que $\ord_P(f)$ est le même que $f$ soit considéré comme vivant dans $k(C)$ ou dans $k^{\alg}(C)$ (à cause de l'unicité affirmée pour la fonction $\ord_P$). Par ailleurs, pour $f \in k(C)$, on a $\ord_P(f) = \ord_{\sigma(P)}(f)$ pour tout $\sigma \in \Gal(k)$ (le groupe de Galois absolu de $k$), autrement dit, $\ord_P(f)$ ne dépend que de l'orbite de $P$ par $\Gal(k)$ (c'est-à-dire, du point fermé défini par $P$). \begin{prop} Soit $C$ une courbe (lisse) sur un corps $k$. Alors toute fonction $k(C) \to \mathbb{Z} \cup \{+\infty\}$ vérifiant les trois premières et la dernière des propriétés énumérées pour $\ord_P$ en \ref{properties-valuation} est de la forme $\ord_P$ pour un certain $P \in C(k^{\alg})$. \end{prop} Les $\ord_P$ sont distinctes lorsque les points $P$ ne sont pas conjugués par Galois (cf. ci-dessus) : on va voir un résultat plus précis affirmant qu'elles sont, en fait, aussi indépendantes que possible (\ref{approximation-lemma} ci-dessous). \begin{prop}\label{basic-ord-facts} Soit $C$ une courbe (lisse) sur un corps $k$ : \begin{itemize} \item Pour tout $f \in k(C)$, il n'y a qu'un nombre fini de $P \in C(k^{\alg})$ tels que $\ord_P(f) \neq 0$. \item Si $\ord_P(f) \geq 0$ pour tout $P \in C(k^{\alg})$, alors $f \in k$ (la fonction est constante). \end{itemize} \end{prop} \begin{proof} La première affirmation vient de ce que tout fermé de Zariski d'une courbe est fini. La seconde découle de ce que toute fonction régulière (ce qu'est un $f$ comme annoncé) sur une variété projective connexe est constante (cf. \ref{projective-to-affine-morphisms-are-constant}). \end{proof} \begin{prop}[lemme d'approximation]\label{approximation-lemma} Soit $C$ une courbe sur un corps $k$ et $U$ un ouvert affine\footnote{Cf. note \ref{footnote-affine}.} de $C$. Soient $Q_1,\ldots,Q_s$ des points dans $U$ dont aucun n'est image d'un autre sous l'action de Galois (=dont les orbites sous $\Gal(k)$ sont deux à deux disjointes, =dont les idéaux maximaux $\mathfrak{m}_{Q_i}$ sont deux à deux distincts, =définissant des points fermés deux à deux distincts), et $f_1,\ldots,f_s \in k(C)$ et $v_1,\ldots,v_s \in \mathbb{Z}$. Alors il existe $f \in k(C)$ telle que \[ \begin{array}{cl} \ord_{Q_i}(f-f_i) \geq v_i&\hbox{~pour tout $i$}\\ \ord_{P}(f) \geq 0&\hbox{~pour tout $P \in U \setminus \{\sigma(Q_i)\}$}\\ \end{array} \] \end{prop} \emph{Moralité :} On peut toujours trouver une fonction $f$ qui approche les fonctions $f_i$ spécifiées à l'ordre $v_i$ spécifié aux points $Q_i$ spécifiés, et qui soit régulière à tout point de $U$ sauf évidemment ceux pour lesquels la condition imposée demande qu'ils ne le soient pas. \emph{Remarque :} Ce résultat recouvre l'existence des polynômes interpolateurs de Lagrange (pour $C = \mathbb{P}^1$ et $U = \mathbb{A}^1$, les $f_i$ des polynômes ayant les développements de Taylor souhaités aux ordres $v_i$, le résultat montre qu'il existe un polynôme $f$ ayant les développements spécifiés aux ordres spécifiés). \begin{proof}[Idée de démonstration] Pour $Q \in U$, si $\mathfrak{m}_{Q}$ désigne l'idéal des fonctions de $\mathcal{O}(U)$ s'annulant en $Q$, i.e., telles que $\ord_Q(h) \geq 1$, le point clé est que $\mathfrak{m}_Q \neq \mathfrak{m}_{Q'}$ si $Q$ et $Q'$ ne sont pas conjugués par Galois, donc il existe une fonction $h \in \mathcal{O}(U)$ telle que $\ord_Q(h) \geq 1$ et $\ord_{Q'}(h) = 0$, et, quitte à diviser par une constante, autant supposer $h(Q') = 1$, et une autre $h'$ telle que $h'(Q) = 1$ et $\ord_{Q'}(h') \geq 1$. Quitte à multiplier de telles fonctions entre elles et à les elever à des puissances assez grandes, on peut obtenir des $h_i$ telles que $h_i(Q_i) = 1$ et $\ord_{Q_j}(h_i) \geq \min(1,v_i)$ si $j\neq i$. Lorsque les $f_i$ sont dans $\mathcal{O}(U)$, poser $f = \sum_i f_i h_i$ convient. Sinon, on met les $f_i$ sur un même dénominateur et en cherchant $h$ comme une fraction sur le dénominateur en question on se ramène à un problème d'approximation sur le numérateur. \end{proof} \begin{prop}\label{dimension-of-space-of-jets} Soit $P$ un $k^{\alg}$-point lisse d'une courbe $C$ non nécessairement lisse sur un corps $k$, et pour $v\geq 0$ soit $\mathfrak{m}^v_P = \{f \in k(C) : \ord_P(f) \geq v\}$ (idéal de $\mathcal{O}_{C,P}$). Alors $\mathcal{O}_{C,P} / \mathfrak{m}^v_P$ est un espace vectoriel de dimension $v$ sur le corps $\kappa(P) := \mathcal{O}_{C,P} / \mathfrak{m}_P$, donc $dv$ sur $k$, où $d$ est le degré de $P$, c'est-à-dire (pour $k$ parfait) le nombre de conjugués de $P$ sous l'action de Galois. \end{prop} \begin{proof} Il existe une uniformisante $t$ de $C$ en $P$ : il n'est pas difficile de voir que $1,t,t^2,\ldots,t^{v-1}$ forment une base de $\mathcal{O}_{C,P} / \mathfrak{m}^v_P$ sur $\kappa(P)$ (cf. \ref{remark-on-galois} pour la dimension de $\kappa(P)$ sur $k$). \end{proof} % \subsection{Morphismes entre courbes} \begin{prop}\label{non-constant-morphisms-of-curves-are-surjective} Tout morphisme entre courbes non nécessairement lisses est soit constant ou surjectif. \end{prop} \begin{proof} Soit $h \colon C' \to C$ un tel morphisme. Puisque $C'$ est projective, l'image de $h$ est un fermé dans $C$ (cf. \ref{image-of-a-morphism-chevalley}). Si c'est $C$, le morphisme est surjectif. Sinon, c'est un ensemble fini, et comme $C'$ est connexe, il est réduit à un point, donc $h$ est constant. \end{proof} Si $h\colon C' \to C$ est un morphisme non constant de courbes sur $k$, à tout $f \in k(C)$, vu comme un morphisme $C \to \mathbb{P}^1$ (non constamment égal à $\infty$), on peut associer $h^*(f) := h\circ f \colon C' \to \mathbb{P}^1$ vu comme un élément de $k(C')$ (car il est n'est pas constant égal à $\infty$). (Si on préfère, pour $U$ ouvert affine de $C$, le morphisme d'algèbres $h^* \colon \mathcal{O}(U) \to \mathcal{O}(h^{-1}(U))$ donne un $h^* \colon k(C) \to k(C')$ entre les corps des fractions ; ceci fonctionne même si $C,C'$ ne sont pas supposées lisses.) Il s'agit d'un morphisme de $k$-algèbres qui sont des corps, donc automatiquement injectif : c'est-à-dire que $h^*$ plonge $k(C)$ comme un sous-corps de $k(C')$ (en commutant à l'action du groupe de Galois, et en particulier en préservant $k$). Avec ce plongement, $k(C')$ est une extension \emph{algébrique} de $k(C)$ (car tous deux ont le même degré de transcendance, $1$, sur $k$), et $k(C')$ est engendré en tant que corps, sur $k$ donc sur $k(C)$, par un nombre fini d'éléments : ceci montre que $k(C')$ est une \emph{extension finie} de $k(C)$ (c'est-à-dire, de dimension finie comme $k(C)$-espace vectoriel), et son degré (=sa dimension comme $k(C)$-espace vectoriel) s'appelle le \textbf{degré} de $h$, noté $\deg h$. Lorsque $h$ est un morphisme constant, on pose $\deg h = 0$. \textbf{Exemple :} Si $h \in k[t]$, on peut voir $h$ comme un morphisme $\mathbb{P}^1 \to \mathbb{P}^1$ (par $(t_0:t_1) \mapsto (t_0^{\deg h} : t_0^{\deg h}\,h(t_1/t_0))$, cf. \ref{subsection-affine-vs-projective} ; ou, de façon équivalente, en considérant $h$ comme un élément de $k(t) = k(\mathbb{P}^1)$ qui définit donc un morphisme $\mathbb{P}^1 \to \mathbb{P}^1$). L'inclusion $h^*$ est celle qui considère $k(u)$ pour $u = h(t)$ comme un sous-corps de $k(t)$. Manifestement, le polynôme minimal de $t$ sur $k(u)$ est justement $h(x)-u$ (écrit en l'indéterminée $x$), qui est de degré $\deg h$, donc le degré de $h$ en tant que polynôme ou en tant que morphisme est le même ! \textbf{Fonctorialité :} Si $C'' \buildrel h'\over\to C' \buildrel h\over\to C$ sont deux morphismes entre courbes, on a $(h'\circ h)^* = h^* \circ h^{\prime*}$, c'est-à-dire que $k(C)$ se voit à l'intérieur de $k(C')$ quand celui-ci se voit à l'intérieur de $k(C'')$. Grâce à la composition des degrés dans les extensions de corps, on a $\deg (h'\circ h) = \deg(h') \cdot \deg(h)$. \begin{prop}\label{function-map-on-curves-is-fully-faithful} Si $C, C'$ sont deux courbes sur $k$, où $C$ peut ne pas être lisse (mais $C'$ est tenue de l'être), et si $\iota\colon k(C) \to k(C')$ est une inclusion fixant $k$ du corps $k(C)$ dans $k(C')$, alors il existe un unique morphisme $h\colon C' \to C$ de courbes sur $k$ tel que $\iota = h^*$. \end{prop} \begin{proof}[Esquisse de démonstration] Si $C \subseteq \mathbb{P}^d$, on peut considérer les rapports $t_1/t_0, \ldots, t_d/t_0$ de coordonnées homogènes sur $\mathbb{P}^d$ comme des éléments de $k(C)$. Leurs images par $\iota$ dans $k(C')$ définissent un morphisme d'un ouvert non vide de $C'$ vers $\mathbb{P}^d$, donc de tout $C'$ vers $\mathbb{P}^d$ (cf. \ref{rational-function-on-a-curve-is-regular}), et comme ces fonctions vérifient les équations de $C$ dans $\mathbb{P}^d$, on a un morphisme $C' \buildrel h\over\to C$, qui vérifie $h^* = \iota$. De plus, une fois $C$ plongé dans $\mathbb{P}^d$ comme on l'a fait, c'était le seul morphisme possible, donc on a bien l'unicité. \end{proof} \begin{cor}\label{degree-one-map-of-curves-is-isomorphism} Si $C, C'$ sont deux courbes (lisses) sur $k$ et $h\colon C'\to C$ un morphisme de degré $1$, alors $h$ est un isomorphisme. \end{cor} \begin{proof} Dire que $h$ est un morphisme de degré $1$ signifie que $h^*$ est un isomorphisme de $k(C)$ avec $k(C')$. Son isomorphisme réciproque peut lui-même s'écrire sous la forme $g^*$ d'après la proposition qui précède, et les relations de fonctorialité $(h\circ g)^* = g^* \circ h^*$ et $(g \circ h)^* = h^* \circ g^*$ ainsi que l'unicité du morphisme dans la proposition montrent que $h \circ g = \id_{C'}$ et $g \circ h = \id_C$. \end{proof} \medbreak Revenons brièvement sur le corps des fonctions d'une courbe. On sait que $k(C)$ est engendré (en tant que corps)\footnote{Ceci signifie qu'il existe $x_1,\ldots,x_r \in k(C)$ tels que tout sous-corps de $k(C)$ contenant $k$ et $x_1,\ldots,x_r$ soit $k(C)$ tout entier.} par un nombre fini d'éléments au-dessus de $k$ (en effet, si $U$ est un ouvert affine non-vide de $C$, alors $\mathcal{O}(U)$ est une $k$-algèbre de type fini, et si $x_1,\ldots,x_r$ en sont des générateurs, ils engendrent aussi $k(C) = \Frac(\mathcal{O}(U))$ en tant que corps sur $k$). D'autre part, remarquons que $k^{\alg} \cap k(C) = k$ (ce qui est clair si on a décrit $k(C)$ comme les éléments de $k^{\alg}(C)$ fixes par Galois), c'est-à-dire que tout élément de $k(C)$ algébrique sur $k$ est en fait dans $k(C)$. Ces remarques sont pertinentes car : \begin{prop} Soit $K$ un corps contenant $k$, de degré de transcendance $1$ dessus, engendré en tant que corps par un nombre fini d'éléments au-dessus de $k$ (ou, de façon équivalente, $K$ est de degré \emph{fini} sur $k(t)$ où $t \in K$ est transcendant sur $k$), et tel que $k$ soit algébriquement fermé dans $K$. Alors $K$ est le corps des fonctions $k(C)$ d'une certaine courbe (lisse) $C$ sur $k$. \end{prop} Le corollaire suivant permet d'oublier les courbes non lisses : \begin{cor} Soit $C$ une courbe non nécessairement lisse. Alors il existe un morphisme $\tilde C \to C$ depuis une courbe lisse $\tilde C$ vers $C$, unique à isomorphisme unique près de $\tilde C$ au-dessus\footnote{Ceci signifie que si $\tilde C \buildrel\nu\over\to C$ et $\tilde C' \buildrel\nu'\over\to C$ sont deux morphismes comme expliqué, alors il existe un unique isomorphisme $\tilde C' \buildrel h\over\to \tilde C$ tel que $\nu' = h\circ \nu$.} de $C$, qui soit de degré $1$, c'est-à-dire que $\nu^*$ identifie $k(C)$ à $k(\tilde C)$. La courbe $\tilde C$ s'appelle la \textbf{normalisation} de $C$. \end{cor} \begin{proof} La proposition garantit qu'il existe une courbe lisse $\tilde C$ de corps des fonctions $k(C)$. Le morphisme identité $k(C) \to k(\tilde C)$ donne alors d'après \ref{function-map-on-curves-is-fully-faithful} le morphisme $\nu \colon \tilde C \to C$ désiré. L'unicité est analogue à \ref{degree-one-map-of-curves-is-isomorphism}. \end{proof} \begin{cor} Soit $C$ une courbe (lisse) sur un corps $k$. Si $K$ est un sous-corps de $k(C)$ contenant $k$ et tel que $k(C)$ soit fini sur $K$ (c'est-à-dire, de dimension finie comme $K$-espace vectoriel), alors il existe une courbe $C_0$ et un morphisme $h\colon C \to C_0$, unique à isomorphisme près de $C_0$ au-dessous de $C$, tel que $h^*$ plonge $k(C_0)$ comme le sous-corps $K$ de $k(C)$. \end{cor} \begin{proof} Le corps $K$ est de degré de transcendance $1$ sur $k$ car $k(C)$ est algébrique sur $K$ ; et $k$ est algébriquement fermé dans $K$. Le point non-évident est que $K$ est engendré par un nombre fini d'éléments sur $k$ : mais $K$ contient un élément $t$ transcendant sur $k$, et $k(C)$, donc $K$, est de degré fini sur $k(t)$. Ainsi $K$ peut bien s'écrire comme $k(C_0)$ pour une certaine courbe $C_0$, et l'inclusion $K = k(C_0) \to k(C)$ fournit un morphisme $C \to C_0$ d'après \ref{function-map-on-curves-is-fully-faithful}. De nouveau, l'unicité découle aussi de \ref{function-map-on-curves-is-fully-faithful} de manière analogue à \ref{degree-one-map-of-curves-is-isomorphism}. \end{proof} % \subsection{Ramification d'un morphisme} \begin{prop} Si $h \colon C' \to C$ est un morphisme non constant entre courbes sur $k$, pour tout point $P$ de $C'$ (sur $k^{\alg}$), il existe un (unique) entier $e_P \geq 1$ tel que $\ord_P h^*(f) = e_P \ord_{h(P)} f$ pour tout $f \in k(C)$. On appelle $e_P$ l'\textbf{indice de ramification} de $h$ en $P$. \end{prop} \begin{rmk}\label{ramification-of-functions-as-morphisms} Si $h \in k(C)$ n'est pas constant, on peut considérer $h$ comme un morphisme $C \to \mathbb{P}^1$ correspondant à l'inclusion $k(t) \cong k(h) \subseteq k(C)$. En voyant $h$ comme $h^*(t)$, on voit que $e_P = \ord_P h$ pour tout $P$ tel que $h(P)=0$. Si $P$ est tel que $h(P) = \infty$ alors $e_P = -\ord_P h$. Enfin, si $h(P)$ n'est ni $0$ ni $\infty$ alors $e_P = \ord_P (h-h(P))$. \end{rmk} \begin{prop} Pour $h \colon C' \to C$ un morphisme non constant entre courbes sur $k$ et $P$ un point de $C'$ (sur $k^{\alg}$), l'indice de ramification $e_P$ de $h$ en $P$ vaut $1$ ssi $h$ est lisse en $P$ (c'est-à-dire que $dh_P \colon T_P C' \to T_{h(P)} C$ est un isomorphisme\footnote{La définition de la lissité demande seulement que $dh_P$ soit surjective, mais comme les espaces au départ et à l'arrivée ont même dimension, c'est alors un isomorphisme.} de $k^{\alg}$-espaces vectoriels de dimension $1$, cf. \ref{subsection-tangent-vectors-and-smooth-points} \textit{in fine}). \end{prop} \begin{prop}\label{sum-of-ramification-degrees} Soit $h \colon C' \to C$ un morphisme non constant entre courbes sur $k$. Pour tout point $Q$ de $C$, on a \[ \sum_{h(P)=Q} e_P = \deg h \] où la somme est prise sur tous les points $P$ de $C'$ (sur $k^{\alg}$) tels que $h(P) = Q$. \end{prop} \begin{proof}[Idée-clé de démonstration] Soit $U$ un ouvert affine de $C$ contenant $Q$, et $U' = h^{-1}(U)$ son image réciproque dans $C'$ (qui est également affine) ; on considère la $k$-algèbre $\mathcal{O}(U')/h^*\mathfrak{m}_Q \mathcal{O}(U')$ des fonctions sur $U'$ modulo l'idéal $h^*\mathfrak{m}_Q$ engendré par les $h\circ f$ avec $f \in \mathcal{O}(U)$ : on peut montrer que cette $k$-algèbre $\mathcal{O}(U')/h^*\mathfrak{m}_Q \mathcal{O}(U')$ est un $k$-espace vectoriel de dimension $\deg h$. Mais le lemme d'approximation \ref{approximation-lemma} permet de montrer que cette algèbre est le produit d'algèbres $\mathcal{O}(U)/\mathfrak{m}_P \mathcal{O}(U)$ où $\mathfrak{m}_P$ parcourt les idéaux maximaux tels que $h(P)=Q$ (un seul par orbite sous Galois), et la dimension de ce produit est $\sum_{h(P)=Q} e_P$ d'après \ref{dimension-of-space-of-jets}. \end{proof} \begin{cor}\label{principal-divisors-have-degree-zero} Soit $C$ une courbe sur un corps $k$, et soit $f \in k(C)$ non constant. Alors \[ \sum_P \ord_P(f) = 0 \] où la somme est prise sur tous les points $P$ de $C$. Plus précisément, \[ \begin{array}{c} \sum_{P\;:\;\ord_P(f)>0} \ord_P(f) = \deg f\\ \sum_{P\;:\;\ord_P(f)<0} \ord_P(f) = -\deg f\\ \end{array} \] \end{cor} \begin{proof} On a vu en \ref{ramification-of-functions-as-morphisms} que si $f$ est vu comme un morphisme $C \to \mathbb{P}^1$, alors son indice de ramification en un point $P$ de $C$ tel que $f(P) = 0$ est $e_P = \ord_P(f)$, et en un point $P$ tel que $f(P) = \infty$ est $e_P = -\ord_P(f)$. La proposition précédente permet de conclure. \end{proof} % \subsection{Diviseurs sur une courbe} \begin{defn} Soit $C$ une courbe (lisse) sur un corps parfait $k$. On appelle \textbf{diviseur} sur $C$ une combinaison linéaire formelle (finie) $\sum n_P (P)$, à coefficients dans $\mathbb{Z}$, de $k^{\alg}$-points de $C$, qui soit stable par l'action du groupe de Galois absolu $\Gal(k)$ (ou, si on préfère, une combinaison linéaire formelle de « points fermés » de $C$, chacun étant vu comme la somme d'une orbite galoisienne). On appelle \textbf{degré} du diviseur $\sum n_P (P)$ l'entier $\sum n_P$. \end{defn} Si $f \in k(C)$ n'est pas constant, on peut notamment considérer les diviseurs \[ \begin{array}{c} f^*((0)) := \sum_{P\;:\;\ord_P(f) > 0} \ord_P(f)\, (P)\\ f^*((\infty)) := \sum_{P\;:\;\ord_P(f) < 0} -\ord_P(f)\, (P)\\ f^*((0)-(\infty)) = \divis(f) := \sum_{P\in C} \ord_P(f)\, (P)\\ \end{array} \] appelés respectivement \textbf{diviseur des zéros}, \textbf{diviseur des pôles} et \textbf{diviseur principal} définis par $f$ (différence des deux premiers). Le contenu du corollaire \ref{principal-divisors-have-degree-zero} est que ces diviseurs ont degré respectivement $\deg f$, $\deg f$ et $0$. Plus généralement, si $h \colon C' \to C$ est un morphisme non constant entre courbes, et $D = \sum_P n_P (P)$ un diviseur sur $C$, on définit $h^*(D) = \sum_Q n_{h(Q)} e_Q (Q)$ qu'on appelle \textbf{image réciproque} (ou \textbf{tiré en arrière}) de $D$ par $h$ : il est clair que le diviseur des zéros $f^*((0))$ défini ci-dessus est bien le tiré en arrière du diviseur $(0)$ sur $\mathbb{P}^1$ par $f$ vu comme morphisme $C \to \mathbb{P}^1$. Il est évident que le tiré en arrière d'un diviseur principal est encore principal (en fait, $h^*(\divis(f)) = \divis(f\circ h)$). On peut aussi définir l'\textbf{image directe} (ou \textbf{poussé en avant}) par $h$ d'un diviseur $D' = \sum_Q n_Q (Q)$ sur $C'$ comme $h_*(D') = \sum_Q n_Q (h(Q))$ : il est aussi vrai, mais un chouïa moins évident, que l'image directe d'un diviseur principal est un diviseur principal. \begin{prop} Si $h \colon C' \to C$ est un morphisme non constant entre courbes, pour tout diviseur $D$ sur $C$ on a \[ \begin{array}{c} h_* h^* D = (\deg h)\, D\\ \end{array} \] \end{prop} \begin{proof} C'est une conséquence immédiate de \ref{sum-of-ramification-degrees} (et du fait qu'un morphisme non-constants entre courbes est surjectif !, cf. \ref{non-constant-morphisms-of-curves-are-surjective}). \end{proof} \begin{defn} On appelle \textbf{principal} un diviseur (de degré zéro) de la forme $\divis(f) := \sum_{P\in C} \ord_P(f)\, (P)$ pour une certaine fonction $f \in k(C)$ non constante. Les diviseurs principaux forment un sous-groupe du groupe des diviseurs (car $\divis(fg) = \divis(f)+\divis(g)$, cf. \ref{properties-valuation}) : on dit que deux divieurs sont \textbf{linéairement équivalents} (notation : $D \sim D'$) lorsque leur différence est un diviseur principal. Le groupe des diviseurs (resp. diviseurs de degré $0$) modulo les diviseurs principaux (=modulo équivalence linéaire) s'appelle \textbf{groupe de Picard} (resp. groupe de Picard de degré zéro) de la courbe $C$, noté $\Pic(C)$ (resp. $\Pic^0(C)$). \end{defn} \textbf{Exemple :} Sur $\mathbb{P}^1$, pour tout diviseur $\sum n_P (P)$ de degré zéro, on peut trouver une fraction rationnelle $\prod (t-P)^{n_P}$ qui a les ordres $n_P$ à ceux des points $P$ qui sont dans $\mathbb{A}^1$, et le degré à l'infini sera automatiquement le bon puisque $\sum n_P = 0$. Ceci montre que \emph{tout diviseur de degré zéro sur $\mathbb{P}^1$ est principal}, donc que $\Pic^0(\mathbb{P}^1) = 0$, et $\Pic(\mathbb{P}^1) = \mathbb{Z}$. On a un morphisme de degré $\deg\colon \Pic(C) \to \mathbb{Z}$, dont le noyau est $\Pic^0(C)$. Si la courbe $C$ vérifie $C(k) \neq \varnothing$, c'est-à-dire qu'il existe $P$ un $k$-point sur $C$, alors tout diviseur peut s'écrire comme somme de $n (P)$ et d'un diviseur de degré zéro, et il est facile de voir que $\Pic(C) = \Pic^0(C) \oplus \mathbb{Z}$ (où $\mathbb{Z}$ désigne $\mathbb{Z}\cdot(P)$, le groupe des diviseurs de la forme $n (P)$). \emph{Attention :} Pour une fois, le slogan « rationnel = fixe par Galois » n'est pas vérifié : quand $C$ est une courbe sur un corps $k$ parfait non algébriquement clos, il faut bien distinguer le groupe de Picard rationnel $\Pic C$ de $C$, c'est-à-dire les diviseurs stables par Galois modulos ceux de la forme $\divis(f)$ avec $f \in k(C)$, et le groupe de Picard fixé par Galois noté $(\Pic C_{k^{\alg}})^{\Gal(k)}$, c'est-à-dire les classes des diviseurs $D$ tels que $\sigma(D)$ soit linéairement équivalent à $D$ (sur $k^{\alg}$) pour tout $\sigma \in \Gal(k)$. Néanmoins, certains auteurs appellent (à tort) $\Pic C$ ce deuxième groupe (d'autres encore appellent $\Pic C$ tout le groupe de Picard géométrique $\Pic C_{k^{\alg}}$) : il faut donc faire attention à qui utilise quoi. % \subsection{Différentielles} \begin{prop} Soit $C$ une courbe (lisse) sur un corps $k$. Il existe un $k(C)$-espace vectoriel de dimension $1$, noté\footnote{Notation abusive, en fait. Une bonne notation serait $\Omega^1_{C/k} \otimes_{\mathcal{O}_C} k(C)$, mais c'est un peu encombrant.} $\Omega^1_C$ et appelé \textbf{espace des (formes) différentielles méromorphes} sur $C$, et une application $k$-linéaire $d\colon k(C) \to \Omega^1_C$, vérifiant les conditions suivantes : \begin{itemize} \item on a $dc = 0$ pour $c \in k$, \item on a $d(fg) = f\,dg + g\,df$ pour $f,g\in k(C)$, \item si $t \in k(C)$ vérifie $\ord_P(t) = 1$ en au moins un point alors $dt \neq 0$, \end{itemize} et ces conditions caractérisent à isomorphisme près $\Omega^1_C$ muni de l'application $d\colon k(C) \to \Omega^1_C$. \end{prop} La moralité est que $\frac{df}{dt}$ a un sens, comme élément de $k(C)$, dès que $f$ et $t$ sont deux éléments de $k(C)$ et que $t$ est une uniformisante en au moins un point ou simplement\footnote{Si $k$ est de caractéristique zéro, cette condition est réalisée dès que $t$ n'est pas constant.} que $dt \neq 0$. \textbf{Remarque :} On peut relier $\frac{df}{dt} \in k(C)$ à ce qui a été fait en \ref{subsection-tangent-vectors-and-smooth-points} de la façon suivante : si $Q$ est un point de $C$ tel que $t$ et $f$ soient régulières en $Q$, on peut voir $t$ et $f$ comme deux morphismes $U \to \mathbb{A}^1$ pour un certain voisinage (affine, disons) $U$ de $Q$, on a des applications linéaires $dt_Q\colon T_Q C \to k^{\alg}$ et $df_Q\colon T_Q C \to k^{\alg}$, et la valeur de $\frac{df}{dt}$ en $Q$ est le rapport entre ces deux applications linéaires (ceci a bien un sens car ce sont des applications entre espaces de dimension $1$). \begin{prop}\label{order-of-derivative} Soit $C$ une courbe (lisse) sur un corps $k$, $P$ un point de $C$ et $t$ une uniformisante en $P$ (i.e., $\ord_P(t) = 1$). Pour $f \in k(C)$, on a \begin{itemize} \item $\ord_P(df/dt) = \ord_P(f)-1$ si $\ord_P(f) \neq 0$, et \item $\ord_P(df/dt) \geq 0$ si $\ord_P(f) = 0$. \end{itemize} \end{prop} (Ces propriétés découlent des propriétés correspondantes des polynômes.) \begin{defn} Si $C$ est une courbe (lisse) sur un corps $k$, $P$ un point de $C$ (sur $k^{\alg}$) et $\omega \in \Omega^1_C$, on définit \[ \ord_P(\omega) = \ord_P(\omega/dt) \] où $t \in k(C)$ est tel que $\ord_P(t) = 1$ (=est une uniformisante en $P$). Cette définition ne dépend pas du choix de $t$. Si $\omega \neq 0$, le diviseur $\divis(\omega) := \sum_P \ord_P(\omega) (P)$ s'appelle \textbf{diviseur canonique} de la forme différentielle $\omega$. \end{defn} La définition de $\ord_P(\omega)$ ne dépend pas du choix de $t$, car si $t' = u t$ où $\ord_P(u) = 0$, alors $dt'/dt = u + t\,(du/dt)$, et $\ord_P(du/dt) \geq 0$ d'après \ref{order-of-derivative} donc $\ord_P(t\,(du/dt)) \geq 1$, ce qui assure $\ord_P(dt'/dt) = 0$, et donc $\ord_P(\omega/dt') = \ord_P(\omega/dt)$. La définition qu'on vient de faire permet de reformuler la proposition \ref{order-of-derivative} en : \begin{prop}\label{order-of-differential} Soit $C$ une courbe (lisse) sur un corps $k$, et $P$ un point de $C$. Pour $f \in k(C)$, on a \begin{itemize} \item $\ord_P(df) = \ord_P(f)-1$ si $\ord_P(f) \neq 0$, et \item $\ord_P(df) \geq 0$ si $\ord_P(f) = 0$. \end{itemize} \end{prop} \textbf{Exemple :} Soit $t$ la coordonnée affine sur $\mathbb{A}^1$, vue comme élément de $k(\mathbb{P}^1) = k(t)$. Alors $dt$ a pour ordre $0$ en tout $P \neq \infty$ (en $P=0$ c'est clair d'après la proposition qui précède, et en tout autre $P \in \mathbb{A}^1$ on peut remarquer que $dt = d(t-P)$ d'après les règles de calcul, donc de même $dt$ est d'ordre $0$) ; en $\infty$, en revanche, son ordre est $-2$ puisque l'ordre de $t$ est $-1$. On a donc $\divis(dt) = -2(\infty)$. \medbreak La classe de $\divis(\omega)$ dans $\Pic(C)$ ne dépend pas du choix de $\omega \neq 0$, puisque visiblement $\divis(f\omega) = \divis(f) + \divis(\omega)$. Cette classe s'appelle la \textbf{classe canonique} dans $\Pic(C)$ (très souvent notée $K$). On vient par exemple de voir que la classe canonique de $\mathbb{P}^1$ est de degré $-2$. \textbf{Exemple :} Soit $C$ la courbe d'équation $y^2 = h(x)$ où $h(t) \in k[t]$ est de degré $3$ (c'est-à-dire, $C$ la complétée projective de cette courbe affine, complétée d'équation $Z Y^2 = Z^3 h(X/Z)$ si $X,Y,Z$ sont les coordonnées homogènes avec $y = Y/Z$ et $x = X/Z$). Soit $h(t) = (t-\lambda_1) (t-\lambda_2) (t-\lambda_3)$ la factorisation de $h$ sur $k^{\alg}$. Outre les points affines, la courbe $C$ a un unique point à l'infini noté $O$ (en coordonnées homogènes, $X=Z=0$). Le diviseur de la fonction $y$ sur $C$ est $(P_1) + (P_2) + (P_3) - 3(O)$ où $P_i$ est le point de coordonnées affines $(\lambda_i,0)$ (ce sont les trois points où $y$ s'annule, alors que $O$ est le point où $y$ a un pôle triple). Le diviseur de $x-\lambda_i$ est $2(P_i) - 2(O)$, d'où il résulte que $dx$ a un ordre $1$ en chaque $P_i$ et $-3$ en $O$, et $0$ partout ailleurs. Autrement dit, le diviseur de $dx$ est le même que celui de $y$, ou, si on veut, la différentielle $\omega := dx/y$ a un ordre $0$ partout. Ceci signifie que la classe canonique $K$ sur $C$ est \emph{nulle}. % \subsection{Le théorème de Riemann-Roch} \begin{defn} Un diviseur $D$ sur une courbe $C$ est dit \textbf{effectif}, noté $D \geq 0$, lorsque $D$ est combinaison de points à coefficients positifs : $D = \sum n_P (P)$ avec $n_P \geq 0$ pour tout $P$. Si $D = \sum n_P (P)$ est un diviseur (non nécessairement effectif) sur une courbe $C$, on note $\mathscr{L}(D)$ ou parfois $\mathcal{O}(D)$ le $k$-espace vectoriel $\{f \in k(C) : \divis(f)+D \geq 0\}$ des fonctions rationnelles sur $C$ vérifiant $\ord_P(f) \geq -n_P$ pour tout point $P$ de $C$. (S'il faut lui donner un nom, c'est « l'(ensemble des sections globales du) faisceau associé à $D$ ».) \end{defn} \begin{rmk} Si $D$ et $D'$ sont linéairement équivalents, alors $\mathscr{L}(D) \cong \mathscr{L}(D')$ comme $k$-espaces vectoriels. En effet, si $D = D' + \divis(g)$ et $f \in \mathscr{L}(D)$ alors $\divis(fg) + D' = \divis(f) + D \geq 0$ donc $fg \in \mathscr{L}(D')$ et réciproquement. On peut donc considérer que $\mathscr{L}(D)$ ne dépend que de la classe de $D$ dans $\Pic(C)$. D'autre part, l'ensemble $\{\omega \in \Omega^1_C : \divis(\omega) \geq 0\}$ (des différentielles « holomorphes ») peut être identifié à $\mathscr{L}(K)$ pour les mêmes raisons. (Et plus généralement, $\mathscr{L}(K-D)$ peut être identifié à $\{\omega \in \Omega^1_C : \divis(\omega)-D \geq 0\}$.) \end{rmk} \begin{prop} Le $k$-espace vectoriel $\mathscr{L}(D)$ est de dimension finie. \end{prop} On note $l(D)$ cette dimension. Notons par exemple que $l(0) = 1$ (le diviseur nul, à ne pas confondre avec le diviseur $(0)$ sur $\mathbb{P}^1$ !), puisque $\mathscr{L}(0) = \mathcal{O}(C) = k$ (les seules fonctions régulières partout sont les constantes, d'après \ref{basic-ord-facts}). \begin{prop}\label{negative-degree-divisors-have-no-sections} \begin{itemize} \item Si $\deg D < 0$ alors $l(D) = 0$. \item Si $\deg D = 0$ et $l(D) \neq 0$ alors $l(D) = 1$ et $D \sim 0$. \end{itemize} \end{prop} \begin{proof} Dire que $l(D) \neq 0$ signifie que pour un certain $f$ on a $D' := \divis(f) + D \geq 0$. Or le degré de $\divis(f)$ est nul (et le degré d'un diviseur effectif $D'$ est évidemment positif), donc le degré de $D$ est $\geq 0$. De plus, si le degré de $D$ (donc de $D'$) est nul, cela signifie que $\divis(f) + D = 0$, c'est-à-dire $D \sim 0$, qui entraîne $l(D) = 1$. \end{proof} \begin{thm}[Riemann-Roch] Il existe un entier $g \geq 0$, appelé \textbf{genre} de $C$ tel que pour tout diviseur $D$ on ait, en notant $K$ un diviseur canonique : \[ l(D) - l(K-D) = \deg D + 1 - g \] \end{thm} \begin{cor}\label{degree-of-canonical-divisor} \begin{itemize} \item Pour $K$ un diviseur canonique sur une courbe $C$, on a : \[ \begin{array}{c} l(K) = g\\ \deg(K) = 2g-2\\ \end{array} \] \item Si $D$ est un diviseur avec $\deg D > 2g-2$, alors $l(D) = \deg D + 1 - g$. \end{itemize} \end{cor} \begin{proof} Pour la première affirmation, appliquer Riemann-Roch à $D=0$ donne $1-l(K) = 0+1-g$, d'où $l(K) = g$ ; puis à $D=K$ donne $g-1 = \deg K + 1 - g$ d'où $\deg K = 2g-2$. Pour la seconde affirmation, on utilise \ref{negative-degree-divisors-have-no-sections} pour conclure que $l(K-D) = 0$. \end{proof} \textbf{Remarque :} Si $C$ est une courbe sur un corps $k$, alors le genre de $C$ est égal au genre de $C_{k^{\alg}}$. En effet, un diviseur canonique $K$ sur $C$ est encore un diviseur canonique quand on le voit sur $C_{k^{\alg}}$, et son degré, censé valoir $2g-2$ est le même qu'on le voie d'une façon ou d'une autre. On dit que le genre est un \emph{invariant géométrique}. S'agissant de $\mathbb{P}^1$, on a vu que $\deg(K) = -2$ donc $g=0$. La réciproque est vraie : \begin{cor} Soit $C$ une courbe (lisse !) de genre $0$ sur un corps algébriquement clos : alors $C$ est isomorphe à $\mathbb{P}^1$. \end{cor} \begin{proof} Soient $P,Q$ deux points distincts de $C$ : on applique Riemann-Roch au diviseur $D := (P)-(Q)$. Comme $\deg D = 0 > -2 = 2g-2$, le corollaire précédent montre que $l(D) = 1$. Mais \ref{negative-degree-divisors-have-no-sections} montre que $D \sim 0$, c'est-à-dire qu'il existe $f \in k(C)$ tel que $\divis(f) = (P) - (Q)$. En considérant $f$ comme un morphisme $C \to \mathbb{P}^1$, on voit que $\deg f = 1$ (cf. \ref{principal-divisors-have-degree-zero}), donc $f$ est un isomorphisme (cf. \ref{degree-one-map-of-curves-is-isomorphism}). \end{proof} \emph{Remarque :} Cette démonstration utilise le fait que $k$ est algébriquement clos pour pouvoir fabriquer le diviseur $(P)-(Q)$ comme différence de deux diviseurs de degré $1$. En fait, on peut faire mieux : il suffit que $C(k)$ soit non-vide (démonstration : si $P \in C(k)$, Riemann-Roch appliqué au diviseur $(P)$ montre que $l((P)) = 2$, donc il existe une fonction $f$ non-constante, admettant au plus un pôle simple en $P$, donc admettant effectivement un pôle simple en $P$ d'après \ref{basic-ord-facts}, et du coup $\divis(f)$, qui doit être de degré $0$, est de la forme $(P) - (Q)$, et le reste est comme ci-dessus). On ne peut pas se dispenser de cette hypothèse $C(k) \neq \varnothing$ : si $C$ est la conique\footnote{En fait, on peut montrer que toute courbe de genre $0$ peut s'écrire comme une conique plane.} d'équation projective $t_0^2 + t_1^2 + t_2^2 = 0$ dans $\mathbb{P}^2$ sur les réels, qui a $C(\mathbb{R}) = \varnothing$, alors $C$ a pour genre $0$ car le genre est un invariant géométrique (cf. ci-dessus) et que, sur les complexes, cette conique est isomorphe au cercle (quitte à changer $t_0$ en $i t_0$) donc à $\mathbb{P}^1$ (cf. introduction et exemples de \ref{subsection-quasiprojective-varieties-and-morphisms}). Pourtant, $C$ \emph{n'est pas} isomorphe à $\mathbb{P}^1$ sur les réels, précisément parce que $C(\mathbb{R}) = \varnothing$ alors que $\mathbb{P}^1(\mathbb{R}) \neq \varnothing$ ! \begin{cor} Si $C$ est une courbe, tout ouvert $U$ de $C$ autre que $C$ tout entier est affine. (Cf. \ref{approximation-lemma} pour un contexte utile de ce résultat.) \end{cor} \begin{proof}[Démonstration (partielle)] Le cas $U=\varnothing$ est vrai (on a $U = \Spec 0$ où $0$ désigne l'anneau nul) mais inintéressant : supposons donc $U$ non vide. On admet\footnote{Il n'y a pas d'arnaque : c'est là un résultat beaucoup plus facile et moins profond que Riemann-Roch ; il s'agit de dire que $f$ est un morphisme « fini », donc en particulier « affine » c'est-à-dire que l'image réciproque d'un ouvert affine est affine.} le résultat suivant : si $f \colon C \to C_0$ est un morphisme non-constant de courbes, alors l'image réciproque par $f$ de tout ouvert affine de $C_0$ est affine. Soit $P$ un point du complémentaire de $U$ : le théorème de Riemann-Roch, et notamment le corollaire \ref{degree-of-canonical-divisor}, montre que si $n$ est assez grand, alors $l(n(P)) > 1$, autrement dit, il existe une fonction $f \in k(C)$ non constante et régulière partout sauf en $P$ (où elle ne peut pas être régulière). En considérant $f$ comme un morphisme $C \to \mathbb{P}^1$, on voit alors que $U' := C \setminus\{P\} = f^{-1}(\mathbb{A}^1)$, et d'après le résultat admis, $U'$ est affine. Le lemme d'approximation \ref{approximation-lemma} montre que si $Q_1,\ldots,Q_s$ sont les points de $U'\setminus U$, il existe une fonction $h$ ayant un pôle d'ordre $1$ en chacun des $Q_i$ et régulière sur tout $U \setminus \{Q_i\}$ ; si de plus on exige que $h$ ait un zéro d'ordre très élevé (c'est-à-dire supérieur à $s$) en un quelconque autre point $R$ (ce que le lemme d'approximation permet toujours de faire), on assure que $h$ aura aussi un pôle en $P$ d'après \ref{principal-divisors-have-degree-zero}. Autrement dit, ceci assure que $U = h^{-1}(\mathbb{A}^1)$ (en voyant de nouveau $h$ comme un morphisme $C \to \mathbb{P}^1$), ce qui conclut. \end{proof} % % % \end{document}