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La \defin[Church-Turing (thèse de)]{thèse de Church-Turing} affirme, au moins informellement, que tout ce qui est effectivement calculable par un algorithme\footnote{Voire, dans - certaines variantes, physiquement calculable dans notre Univers.} -est calculable par n'importe laquelle de ces notions formelles -d'algorithmes, qu'on peut rassembler sous le nom commun de + certaines variantes de la thèse, tout ce qui est physiquement + calculable dans notre Univers (y compris par des processus + quantiques).} est calculable par n'importe laquelle de ces notions +formelles d'algorithmes, qu'on peut rassembler sous le nom commun de \defin[calculable (fonction)]{calculabilité au sens de Church-Turing}, ou « calculabilité » tout court. @@ -5739,7 +5740,7 @@ entiers, chaînes de caractère, tableaux, etc., de taille arbitraire c'est-à-dire équivalents dans leur pouvoir de calcul à la calculabilité de Church-Turing. Pour imaginer intuitivement la calculabilité, on peut donc choisir le langage qu'on préfère et -imaginer qu'on programme dedans. Essentiellement, pour qu'un langage +imaginer qu'on programme dedans. Dans la pratique, pour qu'un langage soit Turing-complet, il lui suffit d'être capable de manipuler des entiers de taille arbitraire, de les comparer et de calculer les opérations arithmétiques dessus, et d'effectuer des tests et des @@ -5756,28 +5757,64 @@ pour arguër qu'il existe un algorithme qui décide si un entier naturel $n$ est premier ou non, il suffit de dire qu'on peut calculer tous les produits $pq$ avec $2\leq p,q\leq n-1$ et tester si l'un d'eux est égal à $n$, peu importe que cet algorithme soit absurdement -inefficace. De même, nos algorithmes sont capables de manipuler des -entiers arbitrairement grands : ceci permet de dire, par exemple, que -toute chaîne binaire peut être considérée comme un entier, peu importe -le fait que cet entier ait peut-être des milliards de chiffres (dans -les langages informatiques réels, on a rarement envie de considérer -toute donnée comme un entier, mais en calculabilité on peut se -permettre de le faire). - -Notamment, plutôt que de considérer des « mots » (éléments -de $\Sigma^*$ avec $\Sigma$ un alphabet fini) et « langages » (parties -de $\Sigma^*$), il sera plus pratique de remplacer l'ensemble -$\Sigma^*$ des mots par l'ensemble des entiers naturels, quitte à -choisir un codage (calculable !) des mots par des entiers. (À titre -d'exemple, on obtient une bijection de l'ensemble $\{0,1\}^*$ des mots -sur l'alphabet à deux lettres avec $\mathbb{N}$ de la façon suivante : -ajouter un $1$ au début du mot, lire celui-ci comme un nombre binaire, -et soustraire $1$. Plus généralement, une fois choisi un ordre total -sur l'alphabet fini $\Sigma$, on peut trier les mots par ordre de -taille, et, à taille donnée, par ordre lexicographique, et leur -associer les entiers naturels dans le même ordre : il n'est pas -difficile de montrer que cela donne bien une bijection calculable -entre $\Sigma^*$ et $\mathbb{N}$.) +inefficace. + +De même, nos algorithmes sont capables de manipuler des entiers +arbitrairement grands : ceci permet de dire, par exemple, que toute +chaîne binaire peut être considérée comme un entier, peu importe le +fait que cet entier ait peut-être des milliards de chiffres ; dans les +langages informatiques réels, on a rarement envie de considérer toute +donnée comme un entier, mais en calculabilité on peut se permettre de +le faire. + +\thingy\label{computability-all-data-are-integers} Soulignons et +développons le point esquissé au paragraphe précédent : plutôt que de +travailler avec des « mots » (éléments de $\Sigma^*$ avec $\Sigma$ un +alphabet fini), en calculabilité, il est possible, dès que cela est +commode, de remplacer ceux-ci par des entiers naturels. + +Il suffit pour cela de choisir un « codage », parfois appelé +\defin{codage de Gödel} permettant de représenter un élément de +$\Sigma^*$ par un entier naturel : la chose importante est que la +conversion d'un mot en entier ou d'un entier en mot soit calculable +par un algorithme (même très inefficace), si bien que toute +manipulation algorithmique sur des mots puisse être convertie en +manipulation sur des entiers. Il est commode pour simplifier les +raisonnements (quoique pas indispensable) de supposer que le codage +est bijectif, c'est-à-dire qu'on dispose d'une bijection $\mathbb{N} +\to \Sigma^*$ algorithmiquement calculable et dont la réciproque l'est +aussi. + +Il existe toutes sortes de manières d'obtenir un tel codage. La plus +simple est sans doute la suivante : une fois choisi un ordre total +arbitraire sur l'alphabet (fini !) $\Sigma$, on peut énumérer les mots +sur $\Sigma$ par ordre de taille et, pour une taille donnée, par ordre +lexicographique (par exemple : $\varepsilon, a, b,\penalty0 aa, ab, +ba, bb, aaa, aab...$ sur l'alphabet $\{a,b\}$) ; cette énumération est +visiblement faisable algorithmiquement, et quitte à numéroter au fur +et à mesure qu'on énumère, on obtient un codage comme souhaité (par +exemple $0 \leftrightarrow\varepsilon$, $1 \leftrightarrow a$, $2 +\leftrightarrow b$, $3 \leftrightarrow ab$, etc.). Insistons sur le +fait que ce n'est là qu'une possibilité parmi d'autres et que les +détails du codage sont sans importance tant qu'il est calculable ; +l'important est que ce soit faisable en théorie et donc qu'on peut +considérer qu'au lieu de mots on a affaire à des entiers naturels. + +Il va de soi que la concaténation de deux mots, la longueur d'un mot, +le miroir d'un mot, sont tous calculables algorithmiquement. + +On peut considérer que, dans cette partie, le terme de +\index{langage}« langage » désigne non plus une partie de $\Sigma^*$ +mais une partie de $\mathbb{N}$. + +{\footnotesize (Le remplacement des mots par des entiers naturels en + utilisant un codage comme on vient de le dire est assez standard en + calculabilité. Il ne doit pas dérouter : on peut imaginer qu'on a + affaire à $\Sigma^*$ à chaque fois qu'il est question + de $\mathbb{N}$ ci-dessous, et on a toujours affaire à la théorie + des langages. Le point central est justement que cela n'a pas + d'importance ; comme $\mathbb{N}$ est un objet mathématiquement plus + simple, c'est surtout pour cela qu'il est utilisé à la place.)\par} \medbreak @@ -5786,25 +5823,28 @@ effectue un calcul utile doit certainement terminer en temps fini. Néanmoins, même si on voudrait ne s'intéresser qu'à ceux-ci, il n'est pas possible d'ignorer le « problème » des algorithmes qui ne terminent jamais (et ne fournissent donc aucun résultat). C'est le -point central de la calculabilité (et du théorème de Turing -ci-dessous) qu'on ne peut pas se débarrasser des algorithmes qui ne -terminent pas : on ne peut pas, par exemple, formaliser une notion -suffisante\footnote{Tout dépend, évidemment, de ce qu'on appelle - « suffisant » : il existe bien des notions de calculabilité, plus - faibles que celle de Church-Turing, où tout calcul termine, voir par - exemple la notion de fonction « primitive récursive » ou le langage - « BlooP » de Hofstadter ; mais de telles notions ne peuvent pas - disposer d'une machine universelle comme expliqué plus loin (en - raison d'un argument diagonal), donc elles sont nécessairement - incomplètes en un certain sens.} de calculabilité dans laquelle tout -algorithme termine toujours ; ni développer un langage de -programmation suffisamment général dans lequel il est impossible qu'un -programme « plante » indéfiniment ou parte en boucle infinie. (Cette -subtilité est d'ailleurs sans doute en partie responsable de la -difficulté historique à dégager la bonne notion d'« algorithme » : on -a commencé par développer des notions d'algorithmes terminant -forcément, comme les fonctions primitives récursives, et on se rendait -bien compte que ces notions étaient forcément toujours incomplètes.) +point central de la calculabilité (et du théorème de +Turing \ref{undecidability-of-halting-problem} ci-dessous) qu'on ne +peut pas se débarrasser des algorithmes qui ne terminent pas : on ne +peut pas, par exemple, formaliser une notion suffisante\footnote{Tout + dépend, évidemment, de ce qu'on appelle « suffisant » : il existe + bien des notions de calculabilité, plus faibles que celle de + Church-Turing, où tout calcul termine, voir par exemple la notion de + fonction « primitive récursive » ou le langage « BlooP » de + Hofstadter ; mais de telles notions ne peuvent pas disposer d'une + machine universelle comme expliqué plus loin (en raison d'un + argument diagonal), donc elles sont nécessairement incomplètes en un + certain sens.} de calculabilité dans laquelle tout algorithme +termine toujours ; ni développer un langage de programmation +suffisamment général dans lequel il est impossible qu'un programme +« plante » indéfiniment ou parte en boucle infinie. + +{\footnotesize (Cette subtilité est d'ailleurs sans doute en partie + responsable de la difficulté historique à dégager la bonne notion + d'« algorithme » : on a commencé par développer des notions + d'algorithmes terminant forcément, comme les fonctions primitives + récursives, et on se rendait bien compte que ces notions étaient + forcément toujours incomplètes.)\par} \bigbreak @@ -5815,13 +5855,13 @@ On dit qu'une fonction $f\colon\mathbb{N}\to\mathbb{N}$ est algorithme qui prend en entrée $n\in\mathbb{N}$, termine toujours en temps fini, et calcule (renvoie) $f(n)$. -On dit qu'un ensemble $A \subseteq \mathbb{N}$ (« langage ») est -\defin{décidable} (ou \index{calculable - (langage)|see{décidable}}« calculable » ou \index{récursif - (langage)|see{décidable}}« récursif ») lorsque sa fonction -indicatrice $\mathbf{1}_A \colon \mathbb{N} \to \mathbb{N}$ (valant -$1$ sur $A$ et $0$ sur son complémentaire) est calculable. Autrement -dit : lorsqu'il existe un algorithme qui prend en entrée +On dit qu'un ensemble $A \subseteq \mathbb{N}$ (un « langage », +cf. \ref{computability-all-data-are-integers}) est \defin{décidable} +(ou \index{calculable (langage)|see{décidable}}« calculable » ou +\index{récursif (langage)|see{décidable}}« récursif ») lorsque sa +fonction indicatrice $\mathbf{1}_A \colon \mathbb{N} \to \mathbb{N}$ +(valant $1$ sur $A$ et $0$ sur son complémentaire) est calculable. +Autrement dit : lorsqu'il existe un algorithme qui prend en entrée $n\in\mathbb{N}$, termine toujours en temps fini, et renvoie « oui » ($1$) si $n\in A$, « non » ($0$) si $n\not\in A$ (on dira que l'algorithme « décide » $A$). @@ -5832,10 +5872,14 @@ définie sur une partie de $\mathbb{N}$, appelé ensemble de définition de $f$) est \defin[calculable partielle (fonction)]{calculable partielle} (ou « récursive partielle ») lorsqu'il existe un algorithme qui prend en entrée $n\in\mathbb{N}$, termine en temps fini -ssi $f(n)$ est définie, et dans ce cas calcule (renvoie) $f(n)$. (Une -fonction calculable est donc simplement une fonction calculable -partielle qui est toujours définie : on dira parfois « calculable -totale » pour souligner ce fait.) +si et seulement si $f(n)$ est définie, et dans ce cas calcule +(renvoie) $f(n)$. (Une fonction calculable est donc simplement une +fonction calculable partielle qui est toujours définie : on dira +parfois « calculable totale » pour souligner ce fait.) + +On utilisera la notation $f(n)\downarrow$ pour signifier le fait que +la fonction calculable partielle $f$ est définie en $n$, c'est-à-dire, +que l'algorithme en question termine. On dit qu'un ensemble $A \subseteq \mathbb{N}$ est \defin{semi-décidable} (ou \index{semi-calculable @@ -5844,11 +5888,12 @@ On dit qu'un ensemble $A \subseteq \mathbb{N}$ est lorsque la fonction partielle $\mathbb{N}\dasharrow\mathbb{N}$ définie exactement sur $A$ et y valant $1$, est calculable partielle. Autrement dit : lorsqu'il existe un algorithme qui prend en entrée -$n\in\mathbb{N}$, termine en temps fini ssi $n \in A$, et renvoie -« oui » ($1$) dans ce cas\footnote{En fait, la valeur renvoyée n'a pas - d'importance ; on peut aussi définir un ensemble semi-décidable - comme l'ensemble de définition d'une fonction calculable partielle.} -(on dira que l'algorithme « semi-décide » $A$). +$n\in\mathbb{N}$, termine en temps fini si et seulement si $n \in A$, +et renvoie « oui » ($1$) dans ce cas\footnote{En fait, la valeur + renvoyée n'a pas d'importance ; on peut aussi définir un ensemble + semi-décidable comme l'ensemble de définition d'une fonction + calculable partielle.} (on dira que l'algorithme +« semi-décide » $A$). \end{defn} On s'est limité ici à des fonctions d'une seule variable (entière), @@ -5894,10 +5939,14 @@ affaire à un seul paramètre entier. parfaits, des nombres premiers, sont décidables, c'est-à-dire qu'il est algorithmique de savoir si un nombre est pair, parfait, ou premier. Quitte éventuellement à coder les mots d'un alphabet fini -comme des entiers naturels (cf. plus haut), tout langage rationnel, et -même tout langage défini par une grammaire hors contexte, est -décidable. On verra plus bas des exemples d'ensembles qui ne le sont -pas, et qui sont ou ne sont pas semi-décidables. +comme des entiers naturels +(cf. \ref{computability-all-data-are-integers}), tout langage +rationnel, et même tout langage défini par une grammaire hors +contexte, est décidable (cf. \ref{rational-languages-are-recognizable} +et \ref{algebraic-languages-are-decidable}). + +On verra plus bas des exemples d'ensembles qui ne le sont pas, et qui +sont ou ne sont pas semi-décidables. \medbreak @@ -5906,8 +5955,8 @@ servent à donner des exemples du genre de manipulation qu'on peut faire avec la notion de calculabilité et d'algorithme : \begin{prop}\label{decidable-iff-semidecidable-and-complement} -Un ensemble $A \subseteq \mathbb{N}$ est décidable ssi $A$ et -$\mathbb{N}\setminus A$ sont tous les deux semi-décidables. +Un ensemble $A \subseteq \mathbb{N}$ est décidable si et seulement si +$A$ et $\mathbb{N}\setminus A$ sont tous les deux semi-décidables. \end{prop} \begin{proof} Il est évident qu'un ensemble décidable est semi-décidable (si un @@ -5928,10 +5977,12 @@ de décider algorithmiquement si $n \in A$ ou $n \not\in A$. \end{proof} \begin{prop} -Un ensemble $A \subseteq \mathbb{N}$ non vide est semi-décidable ssi -il existe une fonction calculable $f \colon \mathbb{N} \to \mathbb{N}$ -dont l'image ($f(\mathbb{N})$) vaut $A$ (on dit aussi que $A$ est -« calculablement énumérable » ou « récursivement énumérable »). +Un ensemble $A \subseteq \mathbb{N}$ non vide est semi-décidable si et +seulement si il existe une fonction calculable $f \colon \mathbb{N} +\to \mathbb{N}$ dont l'image ($f(\mathbb{N})$) vaut $A$ (on dit aussi +que $A$ est « \defin{calculablement énumérable} » ou +« \index{récursivement énumérable|see{calculablement + énumérable}}récursivement énumérable »). \end{prop} \begin{proof} Montrons qu'un ensemble semi-décidable non vide est calculablement @@ -5957,7 +6008,7 @@ termine jamais puisqu'il effectue une boucle infinie à la recherche d'un tel $k$). \end{proof} -{\footnotesize\thingy\textbf{Clarification :} Les deux démonstrations +{\footnotesize\thingy\textbf{Éclaircissement :} Les deux démonstrations ci-dessus font appel à la notion intuitive d'« étape » de l'exécution d'un algorithme. Un peu plus précisément, pour chaque entier $m$ et chaque algorithme $T$, il est possible d'« exécuter au @@ -5975,8 +6026,8 @@ d'un tel $k$). de $T$ résultat.\par} {\footnotesize\thingy\textbf{Complément/exercice :} Un ensemble $A - \subseteq \mathbb{N}$ infini est décidable ssi il existe une - fonction calculable $f \colon \mathbb{N} \to \mathbb{N}$ + \subseteq \mathbb{N}$ infini est décidable si et seulement si il + existe une fonction calculable $f \colon \mathbb{N} \to \mathbb{N}$ \underline{strictement croissante} dont l'image vaut $A$. (Esquisse : si $A$ est décidable, on peut trouver son $n$-ième élément par ordre croissant en testant l'appartenance à $A$ de tous @@ -5990,28 +6041,33 @@ d'un tel $k$). l'ensemble et jeter toute valeur qui n'est pas strictement plus grande que toutes les précédentes).\par} -\bigbreak +\subsection{Machine universelle, et problème de l'arrêt} \thingy\textbf{Codage et machine universelle.} Les algorithmes sont eux-mêmes représentables par des mots sur un alphabet fini donc, si on -préfère, par des entiers naturels : on parle aussi de \defin{codage - de Gödel} des algorithmes/programmes par des entiers. On obtient -donc une énumération $\varphi_0, \varphi_1, \varphi_2, -\varphi_3\ldots$ de toutes les fonctions calculables partielles (la -fonction $\varphi_e$ étant la fonction que calcule l'algorithme [codé - par l'entier] $e$, avec la convention que si cet algorithme est -syntaxiquement invalide ou erroné pour une raison quelconque, la -fonction $\varphi_e$ est simplement non-définie partout). Les détails -de cette énumération dépendent de la formalisation utilisée pour la -calculabilité. +préfère (cf. \ref{computability-all-data-are-integers}), par des +entiers naturels : on parle aussi de \defin{codage de Gödel} des +algorithmes/programmes par des entiers. On obtient donc une +énumération $\varphi_0, \varphi_1, \varphi_2, \varphi_3\ldots$ de +toutes les fonctions calculables partielles (la fonction $\varphi_e$ +étant la fonction que calcule l'algorithme [codé par l'entier] $e$, +avec la convention que si cet algorithme est syntaxiquement invalide +ou erroné pour une raison quelconque, la fonction $\varphi_e$ est +simplement non-définie partout). Les détails de cette énumération +dépendent de la formalisation utilisée pour la calculabilité et ne +sont pas importants\footnote{Par exemple, ceux qui aiment le langage + Java, peuvent considérer que $\varphi_e$ désigne le résultat de + l'exécution du programme Java représenté par le mot codé par $e$, si + ce programme est valable (remplacer Java par tout autre langage + préféré).}. Un point crucial dans cette numérotation des algorithmes est l'existence d'une \defin[universelle (machine)]{machine universelle}, c'est-à-dire d'un algorithme $U$ qui prend en entrée un entier $e$ (codant un algorithme $T$) et un entier $n$, et effectue la même chose que $T$ sur l'entrée $n$ (i.e., $U$ termine sur les entrées $e$ et $n$ -ssi $T$ termine sur l'entrée $n$, et, dans ce cas, renvoie la même -valeur). +si et seulement si $T$ termine sur l'entrée $n$, et, dans ce cas, +renvoie la même valeur). Informatiquement, ceci représente le fait que les programmes informatiques sont eux-mêmes représentables informatiquement : dans un @@ -6043,14 +6099,15 @@ programmation demande un minimum d'efforts). fonctions calculables partielles. $\bullet$ Le \emph{théorème de la forme normale de Kleene} assure qu'il existe un ensemble \underline{décidable} $\mathscr{T} \subseteq \mathbb{N}^4$ tel que - $\varphi_e(n)$ soit défini ssi il existe $m,v$ tels que $(e,n,m,v) - \in \mathscr{T}$, et dans ce cas $\varphi_e(n) = v$ (pour s'en - convaincre, il suffit de définir $\mathscr{T}$ comme l'ensemble des - $(e,n,m,v)$ tels que le $e$-ième algorithme exécuté sur l'entrée $n$ - termine en au plus $m$ étapes et renvoie le résultat $v$ : le fait - qu'on dispose d'une machine universelle et qu'on puisse exécuter $m$ - étapes d'un algorithme assure que cet ensemble est bien décidable — - il est même « primitif récursif »). $\bullet$ Le \emph{théorème + $\varphi_e(n)$ soit défini si et seulement si il existe $m,v$ tels + que $(e,n,m,v) \in \mathscr{T}$, et dans ce cas $\varphi_e(n) = v$ + (pour s'en convaincre, il suffit de définir $\mathscr{T}$ comme + l'ensemble des $(e,n,m,v)$ tels que le $e$-ième algorithme exécuté + sur l'entrée $n$ termine en au plus $m$ étapes et renvoie le + résultat $v$ : le fait qu'on dispose d'une machine universelle et + qu'on puisse exécuter $m$ étapes d'un algorithme assure que cet + ensemble est bien décidable — il est même « primitif + récursif »). $\bullet$ Le \index{s-m-n (théorème)}\emph{théorème s-m-n} assure qu'il existe une fonction calculable $s$ telle que $\varphi_{s(e,\underline{m})}(\underline{n}) = \varphi_e(\underline{m},\underline{n})$ (intuitivement, donné un @@ -6068,8 +6125,8 @@ programmation demande un minimum d'efforts). La machine universelle n'a rien de « magique » : elle se contente de suivre les instructions de l'algorithme $T$ qu'on lui fournit, et -termine ssi $T$ termine. Peut-on savoir à l'avance si $T$ terminera ? -C'est le fameux « problème de l'arrêt ». +termine si et seulement si $T$ termine. Peut-on savoir à l'avance si +$T$ terminera ? C'est le fameux « problème de l'arrêt ». \smallbreak @@ -6101,7 +6158,7 @@ que c'est cet ensemble-là qui la fait fonctionner. rien au résultat comme on peut le voir en appliquant le théorème s-m-n.)\par} -\begin{thm}[Turing]\index{Turing (théorème de)} +\begin{thm}[Turing]\index{Turing (théorème de)}\label{undecidability-of-halting-problem} Le problème de l'arrêt est semi-décidable mais non décidable. \end{thm} \begin{proof} @@ -6136,16 +6193,17 @@ lui-même, donc on regarde la diagonale de la fonction de deux variables $(e,n) \mapsto \varphi_e(n)$ ; en modifiant les valeurs sur cette diagonale, on produit une fonction qui ne peut pas se trouver dans une ligne $\varphi_p$.) Une variante facile du même argument -permet de fabriquer des ensembles non semi-décidables (voir le -« bonus » ci-dessous), ou bien on peut appliquer ce qui précède : +permet de fabriquer des ensembles non semi-décidables (voir +\ref{example-set-of-total-functions} ci-dessous), ou bien on peut +appliquer ce qui précède : \begin{cor} Le complémentaire du problème de l'arrêt n'est pas semi-décidable. \end{cor} \begin{proof} On a vu que le problème de l'arrêt n'est pas décidable, et qu'un -ensemble est décidable ssi il est semi-décidable et que son -complémentaire l'est aussi : comme le problème de l'arrêt est bien +ensemble est décidable si et seulement si il est semi-décidable et que +son complémentaire l'est aussi : comme le problème de l'arrêt est bien semi-décidable, son complémentaire ne l'est pas. \end{proof} @@ -6180,31 +6238,32 @@ directement : pour montrer qu'un certain ensemble $A$ (un un algorithme décidant $A$ existait, on pourrait s'en servir pour construire un algorithme résolvant le problème de l'arrêt. -{\footnotesize\thingy\textbf{Bonus / exemple(s) :} L'ensemble des $e - \in \mathbb{N}$ tels que la fonction calculable partielle - $\varphi_e$ soit \underline{totale} (i.e., définie sur - tout $\mathbb{N}$) n'est pas semi-décidable. En effet, s'il - l'était, d'après ce qu'on a vu, il serait « calculablement - énumérable », c'est-à-dire qu'il existerait une fonction calculable - $f\colon\mathbb{N}\to\mathbb{N}$ dont l'image soit exactement - l'ensemble des $e$ pour lesquels $\varphi_e$ est totale, i.e., toute - fonction calculable totale s'écrirait sous la forme $\varphi_{f(k)}$ - pour un certain $k$. Mais la fonction $n \mapsto \varphi_{f(n)}(n) - + 1$ est calculable totale, donc il devrait exister un $m$ tel que - cette fonction s'écrive $\varphi_{f(m)}$, c'est-à-dire - $\varphi_{f(m)}(n) = \varphi_{f(n)}(n) + 1$, et on aurait alors en - particulier $\varphi_{f(m)}(m) = \varphi_{f(m)}(m) + 1$, une +{\footnotesize\thingy\label{example-set-of-total-functions}\textbf{Bonus + / exemple(s) :} L'ensemble des $e \in \mathbb{N}$ tels que la + fonction calculable partielle $\varphi_e$ soit \underline{totale} + (i.e., définie sur tout $\mathbb{N}$) n'est pas semi-décidable. En + effet, s'il l'était, d'après ce qu'on a vu, il serait + « calculablement énumérable », c'est-à-dire qu'il existerait une + fonction calculable $f\colon\mathbb{N}\to\mathbb{N}$ dont l'image + soit exactement l'ensemble des $e$ pour lesquels $\varphi_e$ est + totale, i.e., toute fonction calculable totale s'écrirait sous la + forme $\varphi_{f(k)}$ pour un certain $k$. Mais la fonction $n + \mapsto \varphi_{f(n)}(n) + 1$ est calculable totale, donc il + devrait exister un $m$ tel que cette fonction s'écrive + $\varphi_{f(m)}$, c'est-à-dire $\varphi_{f(m)}(n) = + \varphi_{f(n)}(n) + 1$, et on aurait alors en particulier + $\varphi_{f(m)}(m) = \varphi_{f(m)}(m) + 1$, une contradiction. $\bullet$ Son complémentaire, c'est-à-dire l'ensemble des $e \in \mathbb{N}$ tels que la fonction calculable partielle $\varphi_e$ \underline{ne soit pas} totale, n'est pas non plus semi-décidable. En effet, supposons qu'il existe un algorithme qui, - donné $e$, termine ssi $\varphi_e$ n'est pas totale. Donnés $e$ et - $m$, considérons l'algorithme qui prend une entrée $n$, - \emph{ignore} celle-ci, et effectue le calcul $\varphi_e(m)$ : ceci - définit une fonction calculable partielle (soit totale et constante, - soit définie nulle part !) $\varphi_{s(e,m)}$ où $s$ est calculable - (on applique ici le théorème s-m-n) — en appliquant à $s(e,m)$ - l'algorithme supposé semi-décider si une fonction récursive + donné $e$, termine si et seulement si $\varphi_e$ n'est pas totale. + Donnés $e$ et $m$, considérons l'algorithme qui prend une entrée + $n$, \emph{ignore} celle-ci, et effectue le calcul $\varphi_e(m)$ : + ceci définit une fonction calculable partielle (soit totale et + constante, soit définie nulle part !) $\varphi_{s(e,m)}$ où $s$ est + calculable (on applique ici le théorème s-m-n) — en appliquant à + $s(e,m)$ l'algorithme supposé semi-décider si une fonction récursive partielle est non-totale, on voit qu'ici il semi-décide si $\varphi_e(m)$ est non-défini, autrement dit on semi-décide le complémentaire du problème de l'arrêt, et on a vu que ce n'était pas |