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\title{THL (Théorie des langages)\\Notes de cours \textcolor{red}{provisoires}}
\author{David A. Madore}
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\section{Alphabets, mots et langages}

\subsection{Introduction, alphabets, mots et longueur}

\thingy L'objet de ces notes, au confluent des mathématiques et de
l'informatique, est l'étude des \textbf{langages} : un langage étant
un ensemble de \textbf{mots}, eux-mêmes suites finies de
\textbf{lettres} choisies dans un \textbf{alphabet}, on va commencer
par définir ces différents termes avant de décrire plus précisément
l'objet de l'étude.

\thingy Le point de départ est donc ce que les mathématiciens
appelleront un \textbf{alphabet}, et qui correspond pour les
informaticiens à un \textbf{jeu de caractères}.  Il s'agit d'un
ensemble \emph{fini}, sans structure particulière, dont les éléments
s'appellent \textbf{lettres}, ou encore \textbf{caractères} dans une
terminologie plus informatique.

Les exemples mathématiques seront souvent donnés sur un alphabet tel
que l'alphabet à deux lettres $\{a,b\}$ ou à trois lettres
$\{a,b,c\}$.  On pourra aussi considérer l'alphabet $\{0,1\}$ appelé
\textbf{binaire} (puisque l'alphabet n'a pas de structure
particulière, cela ne fait guère de différence par rapport à n'importe
quel autre alphabet à deux lettres).  Dans un contexte informatique,
des jeux de caractères (=alphabets) souvent importants sont ASCII,
Latin-1 ou Unicode : en plus de former un ensemble, ces jeux de
caractère attribuent un numéro à chacun de leurs éléments (par
exemple, la lettre A majuscule porte le numéro 65 dans ces trois jeux
de caractères), mais cette structure supplémentaire ne nous
intéressera pas ici.  Dans tous les cas, il est important pour la
théorie que l'alphabet soit \emph{fini}.

L'alphabet sera généralement fixé une fois pour toutes dans la
discussion, et désigné par la lettre $\Sigma$ (sigma majuscule).

\thingy Un \textbf{mot} sur l'alphabet $\Sigma$ est une suite finie de
lettres (éléments de $\Sigma$) ; dans la terminologie informatique, on
parle plutôt de \textbf{chaîne de caractères}, qui est une suite finie
(=liste) de caractères.  Le mot est désigné en écrivant les lettres
les unes à la suite des autres : autrement dit, si $x_1,\ldots,x_n \in
\Sigma$ sont des lettres, le mot formé par la suite finie
$x_1,\ldots,x_n$ est simplement écrit $x_1\cdots x_n$.  À titre
d'exemple, $abbcab$ est un mot sur l'alphabet $\Sigma = \{a,b,c,d\}$,
et \texttt{foobar} est un mot (=chaîne de caractères) sur l'alphabet
ASCII.  (Dans un contexte informatique, il est fréquent d'utiliser une
sorte de guillemet pour délimiter les chaînes de caractères : on
écrira donc \texttt{\char`\"foobar\char`\"} pour parler du mot en
question.  Dans ces notes, nous utiliserons peu cette convention.)

L'ensemble des mots sur un alphabet $\Sigma$ est généralement
désigné $\Sigma^*$ (on verra que l'étoile fait partie d'un usage plus
général qui sera défini ci-dessous).  Par exemple, si $\Sigma =
\{0,1\}$, alors $\Sigma^*$ est l'ensemble (infini !) dont les éléments
sont toutes les suites finies binaires (=suites finies de $0$ et
de $1$).

\thingy Le nombre $n$ de lettres dans un mot $w \in \Sigma^*$ est
appelé la \textbf{longueur} du mot, et généralement notée $|w|$ ou
bien $\ell(w)$ : autrement dit, si $x_1,\ldots,x_n \in \Sigma$, alors
la longueur $\ell(x_1\cdots x_n)$ du mot $x_1\cdots x_n$, vaut $n$.
Ceci coïncide bien avec la notion usuelle de longueur d'une chaîne de
caractères en informatique.  À titre d'exemple, sur l'alphabet
$\Sigma=\{a,b,c,d\}$, la longueur du mot $abbcab$ vaut $6$ (on écrira
$|abbcab|=6$ ou bien $\ell(abbcab)=6$).

\thingy Quel que soit l'alphabet, il existe un unique mot de
longueur $0$, c'est-à-dire un unique mot n'ayant aucune lettre, appelé
le \textbf{mot vide} (ou la \textbf{chaîne [de caractères] vide}).
Étant donné qu'il n'est pas commode de désigner un objet par une
absence de symbole, on introduit un symbole spécial, généralement
$\varepsilon$, pour désigner ce mot vide : on a donc
$|\varepsilon|=0$.  On souligne que le symbole $\varepsilon$
\underline{ne fait pas partie} de l'alphabet $\Sigma$, c'est un
symbole \emph{spécial} qui a été introduit pour désigner le mot vide.
(Lorsque les mots sont délimités par des guillemets, comme il est
usage pour les chaînes de caractères en informatique, le mot vide n'a
pas besoin d'un symbole spécial : il s'écrit juste
\texttt{\char`\"\char`\"} — sans aucun caractère entre les
guillemets.)

{\footnotesize Lorsque l'alphabet $\Sigma$ est \emph{vide},
  c'est-à-dire $\Sigma=\varnothing$, alors le mot vide est le seul mot
  qui existe : on a $\Sigma^*=\{\varepsilon\}$ dans ce cas.  C'est la
  seule situation où l'ensemble $\Sigma^*$ des mots est un ensemble
  fini.  Dans la suite, nous négligerons parfois ce cas particulier,
  qu'on pourra oublier : c'est-à-dire que nous ferons parfois
  l'hypothèse tacite que $\Sigma \neq \varnothing$.\par}

La notation $\Sigma^+$ est parfois utilisée pour désigner l'ensemble
des mots \emph{non vides} sur l'alphabet $\Sigma$ (par opposition à
$\Sigma^*$ qui désigne l'ensemble de tous les mots, y compris le mot
vide).

\thingy Les mots d'une seule lettre sont naturellement en
correspondance avec les lettres elles-mêmes : on identifiera souvent
tacitement, quoique un peu abusivement, une lettre $x\in\Sigma$ et le
mot de longueur $1$ formé de la seule lettre $x$.  (En informatique,
cette identification entre \emph{caractères} et \emph{chaînes de
  caractères de longueur $1$} est faite par certains langages de
programmation, mais pas par tous : \textit{caveat programmator}.)
Ceci permet d'écrire par exemple $\Sigma \subseteq \Sigma^*$ ou bien
$|x|=1 \liff x\in\Sigma$.

\thingy\label{number-of-words-of-length-n} Si le cardinal de
l'alphabet $\Sigma$ vaut $\#\Sigma = N$, alors, pour chaque $n$, le
nombre de mots de longueur exactement $n$ est égal à $N^n$
(combinatoire classique).  Le nombre de mots de longueur $\leq n$ vaut
donc $1 + N + \cdots + N^n = \frac{N^{n+1}-1}{N-1}$ (somme d'une série
géométrique).


\subsection{Concaténation de mots, préfixes, suffixes, facteurs, sous-mots}

\thingy Si $u := x_1\cdots x_m$ et $v := y_1\cdots y_n$ sont deux
mots, de longueurs respectives $m$ et $n$, sur un même
alphabet $\Sigma$, alors on définit un mot $uv := x_1\cdots x_m
y_1\cdots y_n$ de longueur $m+n$, dont les lettres sont obtenues en
mettant bout à bout celles de $u$ puis celles de $v$ (dans cet ordre),
et on l'appelle \textbf{concaténation} (ou, si cela ne prête pas à
confusion, simplement \textbf{produit}) des mots $u$ et $v$.  (Dans un
contexte informatique, on parle de concaténation de chaînes de
caractères.)

\thingy Parmi les propriétés de la concaténation, signalons les faits
suivants :
\begin{itemize}
\item le mot vide $\varepsilon$ est « \textbf{neutre} » pour la
  concaténation, ce qui signifie par définition : $\varepsilon w = w
  \varepsilon = w$ quel que soit le mot $w \in \Sigma^*$ ;
\item la concaténation est « \textbf{associative} », ce qui signifie
  par définition : $u(vw) = (uv)w$ quels que soient les mots $u,v,w
  \in \Sigma^*$.
\end{itemize}

On peut traduire de façon savante ces deux propriétés en une phrase :
l'ensemble $\Sigma^*$ est un \textbf{monoïde}, d'élément
neutre $\varepsilon$, pour la concaténation (cela signifie exactement
ce qui vient d'être dit).

\thingy On a par ailleurs $|uv| = |u| + |v|$ (la longueur de la
concaténation de deux mots est la somme des concaténations), et on
rappelle par ailleurs que $|\varepsilon| = 0$ ; on peut traduire cela
de manière savante : la longueur est un \textbf{morphisme de monoïdes}
entre le monoïde $\Sigma^*$ des mots (pour la concaténation) et le
monoïde $\mathbb{N}$ des entiers naturels (pour l'addition) (cela
signifie exactement ce qui vient d'être dit).

{\footnotesize\thingy \textbf{Complément :} Le monoïde $\Sigma^*$
  possède la propriété suivante par rapport à l'ensemble $\Sigma$ : si
  $M$ est un monoïde quelconque (c'est-à-dire un ensemble muni d'une
  opération binaire associative $\cdot$ et d'un élément $e$ neutre
  pour cette opération), et si $\psi\colon \Sigma\to M$ est une
  application quelconque, alors il existe un unique morphisme de
  monoïdes $\hat\psi\colon \Sigma^* \to M$ (c'est-à-dire une
  application préservant le neutre et l'opération binaire) tel que
  $\hat\psi(x) = \psi(x)$ si $x\in\Sigma$.  (Démonstration : on a
  nécessairement $\hat\psi(x_1\cdots x_n) = \psi(x_1)\cdots
  \psi(x_n)$, or ceci définit bien un morphisme comme annoncé.)  On
  dit qu'il s'agit là d'une propriété « universelle », et plus
  précisément que $\Sigma^*$ est le \textbf{monoïde libre} sur
  l'ensemble $\Sigma$.  Par exemple, le morphisme « longueur »
  $\ell\colon\Sigma^*\to\mathbb{N}$ est le $\ell = \hat\psi$ obtenu en
  appliquant cette propriété à la fonction $\psi(x) = 1$ pour
  tout $x\in\Sigma$.\par}

\thingy\label{powers-of-a-word} Lorsque $w \in \Sigma^*$ et $r \in
\mathbb{N}$, on définit un mot $w^r$ comme la concaténation de $r$
facteurs tous égaux au mot $w$, autrement dit, comme la répétition $r$
fois du mot $w$.  Formellement, on définit par récurrence :
\begin{itemize}
\item $w^0 = \varepsilon$ (le mot vide),
\item $w^{r+1} = w^r w$.
\end{itemize}
(Ces définitions valent, d'ailleurs, dans n'importe quel monoïde.  On
peut constater que $w^r w^s = w^{r+s}$ quels que soient
$r,s\in\mathbb{N}$.)  On a bien sûr $|w^r| = r|w|$.

Cette définition sert notamment à désigner de façon concise les mots
comportant des répétitions d'une même lettre : par exemple, le mot
$aaaaa$ peut s'écrire tout simplement $a^5$, et le mot $aaabb$ peut
s'écrire $a^3 b^2$.  (De même que pour le mot vide, il faut souligner
que ces exposants ne font pas partie de l'alphabet.)

\thingy Lorsque $u,v,w \in \Sigma^*$ vérifient $w = uv$, autrement dit
lorsque le mot $w$ est la concaténation des deux mots $u$ et $v$, on
dira également :
\begin{itemize}
\item que $u$ est un \textbf{préfixe} de $w$, ou
\item que $v$ est un \textbf{suffixe} de $w$.
\end{itemize}

De façon équivalente, si $w = x_1\cdots x_n$ (où $x_1,\ldots,x_n \in
\Sigma$) est un mot de longueur $n$, et si $0\leq k\leq n$ est un
entier quelconque compris entre $0$ et $n$, on dira que $u :=
x_1\cdots x_k$ (c'est-à-dire, le mot formé des $k$ premières lettres
de $w$, dans le même ordre) est le \textbf{préfixe de longueur $k$}
de $w$, et que $v := x_{k+1}\cdots x_n$ (mot formé des $n-k$ dernières
lettres de $w$, dans le même ordre) est le \textbf{suffixe de
  longueur $n-k$} de $w$.  Il est clair qu'il s'agit bien là de
l'unique façon d'écrire $w = uv$ avec $|u|=k$ et $|v|=n-k$, ce qui
fait le lien avec la définition donnée au paragraphe précédent ;
parfois on dira que $v$ est le suffixe \textbf{correspondant} à $u$ ou
que $u$ est le préfixe correspondant à $v$ (dans le mot $w$).

Le mot vide est préfixe et suffixe de n'importe quel mot.  Le mot $w$
lui-même est aussi un préfixe et un suffixe de lui-même.  Entre les
deux, pour n'importe quelle longueur $k$ donnée, il existe un unique
préfixe et un unique suffixe de longueur $k$.  (Il peut tout à fait se
produire que le préfixe et le suffixe de longueur $k$ soient égaux
pour d'autres $k$ que $0$ et $|w|$, comme le montre l'exemple qui
suit.)

À titre d'exemple, le mot $abbcab$ sur l'alphabet $\Sigma=\{a,b,c,d\}$
a les sept préfixes suivants, rangés par ordre croissant de longueur :
$\varepsilon$ (le mot vide), $a$, $ab$, $abb$, $abbc$, $abbca$ et
$abbcab$ lui-même ; il a les sept suffixes suivants, rangés par ordre
croissant de longueur : $\varepsilon$ (le mot vide), $b$, $ab$, $cab$,
$bcab$, $bbcab$ et $abbcab$ lui-même.  Le suffixe correspondant au
préfixe $abb$ est $bcab$ puisque $abbcab = (abb)(bcab)$.

\thingy Comme généralisation à la fois de la notion de préfixe et de
celle de suffixe, on a la notion de facteur : si $u_0,v,u_1 \in
\Sigma^*$ sont trois mots quelconques sur un même alphabet $\Sigma$,
et si $w = u_0 v u_1$ est leur concaténation, on dira que $v$ est un
\textbf{facteur} de $w$.  Alors qu'un préfixe ou suffixe du mot $w$
est déterminé simplement par sa longueur, un facteur est déterminé par
sa longueur et l'emplacement à partir duquel il commence.

À titre d'exemple, les facteurs du mot $abbcab$ sont : $\varepsilon$
(le mot vide), $a$, $b$, $c$, $ab$, $bb$, $bc$, $ca$, $abb$, $bbc$,
$bca$, $cab$, $abbc$, $bbca$, $bcab$, $abbca$, $bbcab$ et $abbcab$
lui-même.

Dans un contexte informatique, ce que nous appelons ici « facteur »
est souvent appelé « sous-chaîne [de caractères] ».  Il ne faut
cependant pas confondre ce concept avec celui de sous-mot défini
ci-dessous.

\thingy Si $u_0,\ldots,u_r$ et $v_1,\ldots,v_r$ sont des mots sur un
même alphabet $\Sigma$, on dira que $v := v_1\cdots v_r$ est un
\textbf{sous-mot} du mot $w := u_0 v_1 u_1 v_2 \cdots u_{r-1} v_r
u_r$.  En plus clair, cela signifie que $v$ est obtenu en ne gardant
que certaines lettres du mot $w$ (celles des $v_i$), dans le même
ordre, mais en en effaçant d'autres (celles des $u_i$) ; à la
différence du concept de facteur, celui de sous-mot n'exige pas que
les lettres gardées soient consécutives.

À titre d'exemple, le mot $acb$ est un sous-mot du mot $abbcab$
(obtenu en gardant les lettres soulignées ici :
$\underline{a}bb\underline{c}a\underline{b}$ ; pour se rattacher à la
définition ci-dessus, on pourra prendre $u_0 = \varepsilon$ et $v_1 =
a$ et $u_1 = bb$ et $v_2 = c$ et $u_2 = a$ et $v_3 = b$ et $u_3 =
\varepsilon$).


\subsection{Langages et opérations sur les langages}

\thingy Un \textbf{langage} $L$ sur l'alphabet $\Sigma$ est simplement
un ensemble de mots sur $\Sigma$.  Autrement dit, il s'agit d'un
sous-ensemble (=une partie) de l'ensemble $\Sigma^*$ de tous les mots
sur $\Sigma^*$ : en symboles, $L \subseteq \Sigma^*$.  On souligne
qu'on ne demande pas que $L$ soit fini (mais il peut l'être).

\thingy À titre d'exemple, l'ensemble $\{d,dc,dcc,dccc,dcccc,\ldots\}
= \{dc^r \colon r\in\mathbb{N}\}$ des mots formés d'un $d$ suivi d'un
nombre quelconque (éventuellement nul) de $c$ est un langage sur
l'alphabet $\Sigma = \{a,b,c,d\}$.  On verra plus loin que ce langage
est « rationnel » (et pourra être désigné par l'expression rationnelle
$dc*$).

Voici quelques autres exemples de langages :
\begin{itemize}
\item Le langage (fini) $\{foo,bar,baz\}$ formé des seuls trois mots
  $foo$, $bar$, $baz$ sur l'alphabet $\Sigma = \{a,b,f,o,r,z\}$.
\item Le langage (fini) formé des mots de longueur exactement $42$ sur
  l'alphabet $\Sigma = \{p,q,r\}$.  Comme on l'a vu
  en \ref{number-of-words-of-length-n}, cet ensemble a pour cardinal
  exactement $3^{42}$.
\item Le langage (fini) formé du seul mot vide (=mot de longueur
  exactement $0$) sur l'alphabet, disons, $\Sigma = \{p,q,r\}$.  Ce
  langage $\{\varepsilon\}$ a pour cardinal $1$ (ou $3^0$ si on veut).
  Il ne faut pas le confondre avec le suivant :
\item Le langage vide, qui ne contient aucun mot (sur un alphabet
  quelconque).  Ce langage a pour cardinal $0$.
\item Le langage sur l'alphabet $\Sigma=\{a,b\}$ formé des mots qui
  commencent par trois $a$ consécutifs : ou, si on préfère, qui ont le
  mot $aaa$ comme préfixe.
\item Le langage sur l'alphabet $\Sigma=\{a,b\}$ formé des mots qui
  contiennent trois $a$ consécutifs ; ou, si on préfère, qui ont $aaa$
  comme facteur.
\item Le langage sur l'alphabet $\Sigma=\{a,b\}$ formé des mots qui
  contiennent au moins trois $a$, non nécessairement consécutifs ; ou,
  si on préfère, qui ont $aaa$ comme sous-mot.
\item Le langage sur l'alphabet $\Sigma=\{a\}$ formé de tous les mots
  dont la longueur est un nombre premier ($L = \{aa, aaa, a^5, a^7,
  a^{11},\ldots\}$).  Ce langage est infini.
\item Le langage sur l'alphabet $\Sigma=\{0,1\}$ formé de tous les
  mots commençant par un $1$ et qui, interprétés comme un nombre écrit
  en binaire, désignent un nombre premier ($L = \{10, 11, 101, 111,
  1011, \ldots\}$).
\item Le langage sur l'alphabet Unicode formé de tous les mots qui
  constituent un document XML bien-formé d'après la spécification
  XML 1.0.
\end{itemize}

\thingy On pourrait aussi considérer un langage (sur
l'alphabet $\Sigma$) comme une \emph{propriété} des mots (sur
l'alphabet en question).  Précisément, si $P$ est une propriété qu'un
mot $w \in \Sigma^*$ peut ou ne pas avoir, on considère le langage
$L_P = \{w \in \Sigma^* : w \text{~a la propriété~} P\}$, et
inversement, si $L \subseteq \Sigma^*$ est un langage, on considère la
propriété « appartenir à $L$ » : en identifiant la propriété et le
langage qu'on vient d'associer l'un à l'autre (par exemple, le langage
des mots commençant par $a$ et la propriété « commencer par $a$ »), un
langage pourrait être considéré comme une propriété des mots.

{\footnotesize(Ceci n'a rien de spécifique aux langages : une partie
  d'un ensemble $E$ quelconque peut être identifiée à une propriété
  que les éléments de $E$ peuvent ou ne pas avoir, à savoir,
  appartenir à la partie en question.)\par}

On évitera de faire cette identification pour ne pas introduire de
confusion, mais il est utile de la garder à l'esprit : par exemple,
dans un langage de programmation fonctionnel, un « langage » au sens
de ces notes peut être considéré comme une fonction (pure,
c'est-à-dire, déterministe et sans effet de bord) prenant en entrée
une chaîne de caractères et renvoyant un booléen.

\thingy Si $L_1$ et $L_2$ sont deux langages sur un même
alphabet $\Sigma$ (autrement dit, $L_1,L_2 \subseteq \Sigma^*$), on
peut former les langages \textbf{union} $L_1\cup L_2$ et
\textbf{intersection} $L_1\cap L_2$ qui sont simplement les opérations
ensemblistes usuelles (entre parties de $\Sigma^*$).

Les opérations correspondantes sur les propriétés de mots sont
respectivement le « ou logique » (=disjonction) et le « et logique »
(=conjonction) : à titre d'exemple, sur $\Sigma = \{a,b\}$ si $L_1$
est le langage des mots commençant par $a$ et $L_2$ le langage des
mots finissant par $b$, alors $L_1 \cup L_2$ est le langage des mots
commençant par $a$ \emph{ou bien} finissant par $b$, tandis que $L_1
\cap L_2$ est le langage des mots commençant par $a$ \emph{et}
finissant par $b$.

\thingy Si $L$ est un langage sur l'alphabet $\Sigma$, autrement dit
$L \subseteq \Sigma^*$, on peut former le langage $\Sigma^*\setminus
L$, parfois noté simplement $\overline L$ si ce n'est pas ambigu, dit
\textbf{complémentaire} de $L$, et qui est simplement l'ensemble des
mots sur $\Sigma$ \emph{n'appartenant pas} à $L$.  L'opération
correspondante sur les propriétés de mots est la négation logique.

À titre d'exemple, sur $\Sigma=\{a,b\}$, si $L$ est le langage des
mots commençant par $a$, alors $\overline{L}$ est le langage des mots
ne commençant pas par $a$, c'est-à-dire, la réunion de
$\{\varepsilon\}$ et du langage des mots commençant par $b$ (car sur
$\Sigma=\{a,b\}$, un mot ne commençant pas par $a$ est vide ou bien
commence par $b$).

\thingy Si $L_1$ et $L_2$ sont deux langages sur un même
alphabet $\Sigma$ (autrement dit, $L_1,L_2 \subseteq \Sigma^*$), on
peut former le langage \textbf{concaténation} $L_1 L_2$ : il est
défini comme l'ensemble des mots $w$ qui peuvent s'écrire comme
concaténation d'un mot $w_1$ de $L_1$ et d'un mot $w_2$ de $L_2$, soit
\[
\begin{aligned}
L_1 L_2 &= \{w_1 w_2 : w_1 \in L_1,\, w_2 \in L_2\}\\
 &= \{w \in \Sigma^* : \exists w_1 \in L_1\, \exists w_2 \in L_2\,(w = w_1 w_2)\}\\
\end{aligned}
\]

\thingy Si $L$ est un langage sur l'alphabet $\Sigma$, autrement dit
$L \subseteq \Sigma^*$, et si $r \in \mathbb{N}$, on peut définir un
langage $L^r$, par analogie avec \ref{powers-of-a-word}, comme le
langage $L^r = \{w_1\cdots w_r : w_1,\ldots,w_r \in L\}$ formé des
concaténation de $r$ mots appartenant à $L$, ou si on préfère, par
récurrence :
\begin{itemize}
\item $L^0 = \{\varepsilon\}$,
\item $L^{r+1} = L^r L$.
\end{itemize}

\emph{Attention}, $L^r$ n'est pas le langage $\{w^r : w\in L\}$ formé
des répétitions $r$ fois ($w^r$) des mots $w$ de $L$ : c'est le
langage des concaténations de $r$ mots appartenant à $L$ \emph{mais
  ces mots peuvent être différents}.  À titre d'exemple, si $L =
\{a,b\}$ alors $L^r$ est le langage formé des $2^r$ mots de longueur
exactement $r$ sur $\Sigma = \{a,b\}$, ce n'est pas l'ensemble à deux
éléments $\{a^r, b^r\}$ formé des seuls deux mots $a^r = aaa\cdots a$
et $b^r = bbb\cdots b$.

On définit enfin l'\textbf{étoile de Kleene} $L^*$ sur le langage $L$
comme le langage formé des concaténations d'un nombre
\emph{quelconque} de mots appartenant à $L$, c'est-à-dire
\[
\begin{aligned}
L^* &= \bigcup_{r=0}^{+\infty} L^r\\
&= \{w_1\cdots w_r : r\in\mathbb{N},\, w_1,\ldots,w_r\in L\}\\
\end{aligned}
\]

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\end{document}