summaryrefslogtreecommitdiffstats
path: root/notes-geoalg-2010.tex
diff options
context:
space:
mode:
Diffstat (limited to 'notes-geoalg-2010.tex')
-rw-r--r--notes-geoalg-2010.tex4680
1 files changed, 4680 insertions, 0 deletions
diff --git a/notes-geoalg-2010.tex b/notes-geoalg-2010.tex
new file mode 100644
index 0000000..a43ea85
--- /dev/null
+++ b/notes-geoalg-2010.tex
@@ -0,0 +1,4680 @@
+%% This is a LaTeX document. Hey, Emacs, -*- latex -*- , get it?
+\documentclass[12pt,a4paper]{article}
+\usepackage[francais]{babel}
+\usepackage[utf8]{inputenc}
+\usepackage[T1]{fontenc}
+%\usepackage{ucs}
+\usepackage{times}
+% A tribute to the worthy AMS:
+\usepackage{amsmath}
+\usepackage{amsfonts}
+\usepackage{amssymb}
+\usepackage{amsthm}
+%
+\usepackage{mathrsfs}
+\usepackage{wasysym}
+\usepackage{url}
+%
+\usepackage{graphics}
+\usepackage[usenames,dvipsnames]{xcolor}
+\usepackage{tikz}
+\usetikzlibrary{matrix}
+%
+\theoremstyle{definition}
+\newtheorem{comcnt}{Tout}[subsection]
+\newcommand\thingy{%
+\refstepcounter{comcnt}\smallbreak\noindent\textbf{\thecomcnt.} }
+\newtheorem{defn}[comcnt]{Définition}
+\newtheorem{prop}[comcnt]{Proposition}
+\newtheorem{lem}[comcnt]{Lemme}
+\newtheorem{thm}[comcnt]{Théorème}
+\newtheorem{cor}[comcnt]{Corollaire}
+\newtheorem{rmk}[comcnt]{Remarque}
+\newtheorem{scho}[comcnt]{Scholie}
+\newtheorem{algo}[comcnt]{Algorithme}
+\newtheorem{exmps}[comcnt]{Exemples}
+\newtheorem{princ}[comcnt]{Principe}
+\newcommand{\limp}{\mathrel{\Rightarrow}}
+\newcommand{\liff}{\mathrel{\Longleftrightarrow}}
+\newcommand{\pgcd}{\operatorname{pgcd}}
+\newcommand{\ppcm}{\operatorname{ppcm}}
+\newcommand{\Hom}{\operatorname{Hom}}
+\newcommand{\id}{\operatorname{id}}
+\newcommand{\Frob}{\operatorname{Frob}}
+\newcommand{\Frac}{\operatorname{Frac}}
+\newcommand{\Spec}{\operatorname{Spec}}
+\newcommand{\degtrans}{\operatorname{deg.tr}}
+\newcommand{\Gal}{\operatorname{Gal}}
+\newcommand{\alg}{\operatorname{alg}}
+\newcommand{\init}{\operatorname{in}}
+\newcommand{\ord}{\operatorname{ord}}
+\newcommand{\divis}{\operatorname{div}}
+\newcommand{\Pic}{\operatorname{Pic}}
+\renewcommand{\qedsymbol}{\smiley}
+%
+\DeclareUnicodeCharacter{00A0}{~}
+%
+\DeclareMathSymbol{\tiret}{\mathord}{operators}{"7C}
+\DeclareMathSymbol{\traitdunion}{\mathord}{operators}{"2D}
+%
+\DeclareFontFamily{U}{manual}{}
+\DeclareFontShape{U}{manual}{m}{n}{ <-> manfnt }{}
+\newcommand{\manfntsymbol}[1]{%
+ {\fontencoding{U}\fontfamily{manual}\selectfont\symbol{#1}}}
+\newcommand{\dbend}{\manfntsymbol{127}}% Z-shaped
+\newcommand{\danger}{\noindent\hangindent\parindent\hangafter=-2%
+ \hbox to0pt{\hskip-\hangindent\dbend\hfill}}
+%
+%
+%
+\begin{document}
+\title{\underline{Brouillon} de notes de cours\\de géométrie algébrique}
+\author{David A. Madore}
+\maketitle
+
+\centerline{\textbf{MDI349}}
+
+%
+%
+%
+
+\section*{Conventions}
+
+Sauf précision expresse du contraire, tous les anneaux considérés sont
+commutatifs et ont un élément unité (noté $1$).
+
+Si $k$ est un anneau, une \textbf{$k$-algèbre} (là aussi :
+implicitement commutative) est la donnée d'un morphisme d'anneaux $k
+\buildrel\varphi\over\to A$ (appelé \emph{morphisme structural} de
+l'algèbre). On peut multiplier un élément de $A$ par un élément
+de $k$ avec : $c\cdot x = \varphi(c)\,x \in A$ (pour $c\in k$ et $x\in
+A$).
+
+
+%
+%
+%
+
+\section{Introduction / motivations}
+
+Qu'est-ce que la géométrie algébrique ? En condensé :
+\begin{itemize}
+\item\textbf{But :} Étudier les solutions de systèmes d'équations
+ polynomiales dans un corps ou un anneau quelconque, ou des objets
+ apparentés. (Étudier = étudier leur existence, les compter, les
+ paramétrer, les relier, définir une structure dessus, etc.)
+\item\textbf{Géométrie :} Voir de tels systèmes d'équations comme des
+ objets géo\-mé\-triques, soit plongés dans un espace ambiant (espace
+ affine, espace projectif), soit intrinsèques ; leur appliquer des
+ concepts de géométrie (espace tangent, étude locale de singularités,
+ etc.).
+\item\textbf{Moyens :} L'étude locale de ces objets passe par les
+ fonctions définies dessus, qui sont des anneaux tout à fait
+ généraux, donc l'\emph{algèbre commutative} (étude des anneaux
+ commutatifs et de leurs idéaux).
+\end{itemize}
+
+\smallbreak
+
+Problèmes \emph{géométriques} = étude de solutions sur des corps
+algébriquement clos (e.g., $\mathbb{C}$ : géométrie algébrique
+complexe ; $\bar{\mathbb{F}}_p$) ou « presque » (e.g., $\mathbb{R}$ :
+géométrie algébrique réelle). Problèmes \emph{arithmétiques} = sur
+des corps loin d'être algébriquement clos (e.g., $\mathbb{Q}$ :
+géométrie arithmétique), ou des anneaux plus gé\-né\-raux
+(e.g., $\mathbb{Z}$ : idem, « équations diophantiennes »).
+
+Applications : cryptographie et codage (géométrie sur $\mathbb{F}_q$),
+calcul formel, robotique (géométrie sur $\mathbb{R}$), analyse
+complexe (géométrie sur $\mathbb{C}$), théorie des nombres
+(sur $\mathbb{Q}$, corps de nombres...), etc.
+
+\smallbreak
+
+\textbf{Un exemple :} Pour tout anneau $k$, on définit $C(k) =
+\{(x,y)\in k^2 : x^2+y^2 = 1\}$. Interprétation géométrique : ceci
+est un cercle ! Il est plongé dans le « plan affine » $\mathbb{A}^2$
+défini par $\mathbb{A}^2(k) = k^2$ pour tout anneau $k$.
+
+\begin{itemize}
+\item Sur $\mathbb{R}$, les solutions forment effectivement un cercle,
+ au sens naïf.
+\item (Sur $\mathbb{C}$, les solutions dans $\mathbb{C}^2$ forment une
+ surface, qui ressemblerait plutôt à une sphère privée de deux
+ points.)
+\item Sur $\mathbb{F}_q$, on peut compter les solutions : on peut
+ montrer qu'il y en a $q-1$ ou $q+1$ selon que $q \equiv 1\pmod{4}$
+ ou $q \equiv 3\pmod{4}$ (ou encore $q$ pour $q = 2^r$).
+\item Sur $\mathbb{Q}$, il n'est pas complètement évident de trouver
+ des solutions autres que $(\pm 1,0)$ et $(0,\pm 1)$. Un exemple :
+ $(\frac{4}{5},\frac{3}{5})$ (Pythagore, Euclide...).
+\end{itemize}
+
+Paramétrage des solutions :
+
+\begin{center}
+\begin{tikzpicture}[scale=3]
+\draw[step=.2cm,help lines] (-1.25,-1.25) grid (1.25,1.25);
+\draw[->] (-1.15,0) -- (1.15,0); \draw[->] (0,-1.15) -- (0,1.15);
+\draw (0,0) circle (1cm);
+\draw (1,-1.15) -- (1,1.15);
+\coordinate (P) at (0.8,0.6);
+\coordinate (Q) at (1,0.6666666667);
+\draw (0.8,0) -- (P);
+\draw (-1,0) -- node[sloped,auto] {$\scriptstyle\mathrm{pente}=t$} (Q);
+\fill[black] (P) circle (.5pt);
+\fill[black] (Q) circle (.5pt);
+\fill[black] (-1,0) circle (.5pt);
+\node[anchor=west] at (Q) {$\scriptstyle (1,2t)$};
+\node[anchor=north east] at (-1,0) {$\scriptstyle (-1,0)$};
+\node[anchor=east] at (P) {$\scriptstyle (\frac{1-t^2}{1+t^2},\frac{2t}{1+t^2})$};
+\end{tikzpicture}
+\end{center}
+
+Un petit calcul géométrique (cf. les formules exprimant
+$\cos\theta,\sin\theta$ en fonction de $\tan\frac{\theta}{2}$),
+valable sur tout corps $k$ de caractéristique $\neq 2$ (ou en fait
+tout anneau dans lequel $2$ est inversible\footnote{C'est-à-dire, une
+ $\mathbb{Z}[\frac{1}{2}]$-algèbre, où $\mathbb{Z}[\frac{1}{2}] =
+ \{\frac{a}{2^r}:a\in\mathbb{Z},r\in\mathbb{N}\}$}), permet de
+montrer que toute solution $(x,y) \in C(k)$ autre que $(-1,0)$ peut
+s'écrire de la forme $(\frac{1-t^2}{1+t^2},\frac{2t}{1+t^2})$ avec $t
+\in k$ (uniquement défini, et vérifiant $t^2\neq -1$).
+
+\emph{Remarques :} (a) ceci correspond à un point
+$(\frac{1-t^2}{1+t^2},\frac{2t}{1+t^2}) \in C(k(t))$ où $k(t)$ est le
+corps des fonctions rationnelles à une indéterminée sur $k$ ; (b) ceci
+permet, par exemple, de trouver de nombreuses solutions
+sur $\mathbb{Q}$, ou d'en trouver rapidement sur
+$\mathbb{F}_q$ ($q$ impair) ; (c) on a, en fait, défini un
+« morphisme » d'objets géométriques de la droite affine $\mathbb{A}^1$
+vers le cercle $C$ (privé du point $(-1,0)$).
+
+On peut aussi définir une structure de \emph{groupe} (abélien) sur les
+points de $C(k)$ pour n'importe quel anneau $k$ : si $(x,y) \in C(k)$
+et $(x',y') \in C(k)$, on définit leur composée $(x,y)\star (x',y') =
+(x'',y'')$ par
+\[
+\left\{\begin{array}{c}
+x'' = xx'-yy'\\
+y'' = xy'+yx'\\
+\end{array}\right.
+\]
+(cf. les formules exprimant
+$\cos(\theta+\theta'),\sin(\theta+\theta')$ en fonction de
+$\cos\theta,\sin\theta$ et $\cos\theta',\sin\theta'$). Élément
+neutre : $(1,0)$ ; inverse de $(x,y)$ : $(x,-y)$.
+
+(Les fonctions trigonométriques, ``transcendantes'', servent à motiver
+ces formules, mais les formules sont parfaitement valables sur
+$\mathbb{F}_q$ bien que $\cos\theta,\sin\theta$ n'aient pas de sens !)
+
+\emph{Remarque :} Tout élément $f$ de l'anneau
+$\mathbb{R}[x,y]/(x^2+y^2-1)$ définit une fonction réelle sur le
+cercle $C(\mathbb{R})$ : ces fonctions s'appellent « polynômes
+ trigonométriques ». Tout élément de l'anneau
+$\mathbb{Z}[x,y]/(x^2+y^2-1)$ définit une fonction (à valeurs
+dans $k$) sur \emph{n'importe quel} $C(k)$. On verra aussi plus loin
+qu'un élément de $C(k)$ peut se voir comme un morphisme d'anneaux
+$\mathbb{Z}[x,y]/(x^2+y^2-1) \to k$.
+
+
+%
+%
+%
+
+\section{Prolégomènes d'algèbre commutative}
+
+\subsection{Anneaux réduits, intègres}\label{subsection-reduced-and-integral-rings}
+
+Anneau \textbf{réduit} = anneau dans lequel $x^n = 0$ implique $x =
+0$. En général, un $x$ (dans un anneau $A$) tel que $x^n = 0$ pour un
+certain $n \in \mathbb{N}$ s'appelle un élément \textbf{nilpotent}.
+
+Anneau \textbf{intègre} = anneau non nul dans lequel $xy = 0$ implique
+$x=0$ ou $y=0$ (remarque : la réciproque vaut dans tout anneau). En
+général, un $x$ (dans un anneau $A$) tel qu'il existe $y \neq 0$ tel
+que $xy = 0$ s'appelle un \textbf{diviseur de zéro}.
+
+Élément \textbf{inversible} (ou \emph{unité}) d'un anneau $A$ =
+élément $x$ tel qu'il existe $y$ vérifiant $xy = 1$. L'ensemble
+$A^\times$ ou $\mathbb{G}_m(A)$ des tels éléments forme un
+\emph{groupe}, appelé groupe multiplicatif des inversibles de $A$. Un
+\textbf{corps} est un anneau tel que $A^\times = A\setminus\{0\}$.
+
+Un corps est un anneau intègre. Un anneau intègre est un anneau
+réduit.
+
+\smallbreak
+
+Idéal \textbf{maximal} d'un anneau $A$ = un idéal $\mathfrak{m} \neq
+A$ tel que si $\mathfrak{m} \subseteq \mathfrak{m}'$ (avec
+$\mathfrak{m}'$ un autre idéal) alors soit
+$\mathfrak{m}'=\mathfrak{m}$ soit $\mathfrak{m}'=A$). Propriété
+équivalente : c'est un idéal $\mathfrak{m}$ tel que $A/\mathfrak{m}$
+soit un corps.
+
+Idéal \textbf{premier} d'un anneau $A$ = un idéal $\mathfrak{p} \neq
+A$ tel que si $x,y\not\in\mathfrak{p}$ alors $xy \not\in
+\mathfrak{p}$. Propriété équivalente : c'est un idéal $\mathfrak{p}$
+tel que $A/\mathfrak{p}$ soit intègre.
+
+Idéal \textbf{radical} d'un anneau $A$ = un idéal $\mathfrak{r}$ tel
+que si $x^n \in \mathfrak{r}$ alors $x \in \mathfrak{r}$. Propriété
+équivalente : c'est un idéal $\mathfrak{r}$ tel que $A/\mathfrak{r}$
+soit réduit.
+
+\emph{Exemples :} L'idéal $7\mathbb{Z}$ de $\mathbb{Z}$ est maximal
+(le quotient $\mathbb{Z}/7\mathbb{Z}$ est un corps), donc \textit{a
+ fortiori} premier et radical. L'idéal $0$ de $\mathbb{Z}$ est
+premier mais non maximal (le quotient $\mathbb{Z}/0\mathbb{Z} =
+\mathbb{Z}$ est un anneau intègre mais non un corps). L'idéal
+$6\mathbb{Z}$ de $\mathbb{Z}$ est radical mais n'est pas premier.
+L'idéal $9\mathbb{Z}$ de $\mathbb{Z}$ n'est pas radical.
+
+\smallbreak
+
+Un anneau est un corps ssi son idéal $(0)$ est maximal. Un anneau est
+intègre ssi son idéal $(0)$ est premier. Un anneau est réduit ssi son
+idéal $(0)$ est radical.
+
+Un anneau est dit \textbf{local} lorsqu'il a un unique idéal maximal.
+(En particulier, un corps est un anneau local.) Le quotient d'un
+anneau local par son idéal maximal s'appelle son \emph{corps
+ résiduel}. \emph{Exercice :} l'anneau $A$ des rationnels de la
+forme $\frac{a}{b}$ avec $a,b \in \mathbb{Z}$ et $b$ impair est un
+anneau local dont l'idéal maximal $\mathfrak{m}$ est formé des
+$\frac{a}{b}$ avec $a$ pair. (Quel est le corps résiduel ?)
+
+\smallbreak
+
+On admet le résultat ensembliste suivant :
+\begin{lem}[principe maximal de Hausdorff]
+Soit $\mathscr{F}$ un ensemble de parties d'un ensemble $A$. On
+suppose que $\mathscr{F}$ est non vide et que pour toute partie non
+vide $\mathscr{T}$ de $\mathscr{F}$ totalement ordonnée par
+l'inclusion (c'est-à-dire telle que pour $I,I' \in \mathscr{T}$ on a
+soit $I \subseteq I'$ soit $I \supseteq I'$) la réunion $\bigcup_{I
+ \in \mathscr{T}} I$ soit contenue dans un élément de $\mathscr{F}$.
+Alors il existe dans $\mathscr{F}$ un élément $\mathfrak{M}$ maximal
+pour l'inclusion (c'est-à-dire que si $I \supseteq \mathfrak{M}$ avec
+$I \in \mathscr{F}$ alors $I=\mathfrak{M}$).
+\end{lem}
+
+\begin{prop}\label{existence-maximal-ideals}
+Dans un anneau $A$, tout idéal strict (=autre que $A$) est inclus dans
+un idéal maximal.
+\end{prop}
+\begin{proof}
+Si $I$ est un idéal strict de $A$, on applique le principe maximal de
+Hausdorff à $\mathscr{F}$ l'ensemble des idéaux stricts de $A$
+contenant $I$. Si $\mathscr{T}$ est une chaîne (=partie totalement
+ordonnée pour l'inclusion) de tels idéaux, la réunion $\bigcup_{I \in
+ \mathscr{T}} I$ en est encore un\footnote{La réunion de deux idéaux
+ n'est généralement pas un idéal, car si $x\in I$ et $x' \in I'$, la
+ somme $x+x'$ n'a pas de raison d'appartenir à $I\cup I'$. En
+ revanche, si $\mathscr{T}$ est une famille d'idéaux totalement
+ ordonnée par l'inclusion, alors $\bigcup_{I \in \mathscr{T}} I$ est
+ un idéal : si $x\in I$ et $x' \in I'$, où $I,I'\in \mathscr{T}$, on
+ peut écrire soit $I \subseteq I'$ soit $I'\subseteq I$, et dans un
+ cas comme dans l'autre on a $x+x' \in \bigcup_{I \in \mathscr{T}}
+ I$.} (pour voir que la réunion est encore un idéal strict, remarquer
+que $1$ n'y appartient pas). Le principe maximal de Hausdorff permet
+de conclure.
+\end{proof}
+
+\begin{prop}
+Dans un anneau, l'ensemble des éléments nilpotents est un idéal :
+c'est le plus petit idéal radical. Cet idéal est précisément
+l'intersection des idéaux premiers de l'anneau. On l'appelle le
+\textbf{nilradical} de l'anneau.
+\end{prop}
+\begin{proof}
+L'ensemble des nilpotents est un idéal car si $x^n=0$ et $y^n=0$ alors
+$(x+y)^{2n}=0$ en développant. Il est inclus dans tout idéal radical,
+et il est visiblement lui-même radical : c'est donc le plus petit
+idéal radical. Étant inclus dans tout idéal radical, il est \textit{a
+ fortiori} inclus dans tout idéal premier. Reste à montrer que si
+$z$ est inclus dans tout idéal premier, alors $x$ est nilpotent.
+
+Supposons que $z$ n'est pas nilpotent. Considérons $\mathfrak{p}$ un
+idéal maximal pour l'inclusion parmi les idéaux ne contenant aucun
+$z^n$ : un tel idéal existe d'après le principe maximal de Hausdorff
+(il existe un idéal ne contenant aucun $z^n$, à savoir $\{0\}$).
+Montrons qu'il est premier : si $x,y \not \in \mathfrak{p}$, on veut
+voir que $xy \not\in \mathfrak{p}$. Par maximalité de $\mathfrak{p}$,
+chacun des idéaux\footnote{On rappelle que si $I,J$ sont deux idéaux
+ d'un anneau, l'ensemble $I + J = \{u+v : u\in I, v\in J\}$ est un
+ idéal, c'est l'idéal engendré par $I\cup J$, c'est-à-dire, le plus
+ petit idéal contenant $I$ et $J$ ; on l'appelle idéal somme de $I$
+ et $J$. Dans le cas particulier où $J = (x)$ est engendré par un
+ élément, c'est donc l'idéal engendré par $I\cup\{x\}$.}
+$\mathfrak{p}+(x)$ et $\mathfrak{p}+(y)$ doit rencontrer $\{z^n\}$,
+c'est-à-dire qu'on doit pouvoir trouver deux éléments de la forme
+$f+ax$ et $g+by$ avec $f,g\in\mathfrak{p}$ et $a,b\in A$, qui soient
+des puissances de $z$ ; leur produit est alors aussi une puissance
+de $z$, donc n'est pas dans $\mathfrak{p}$, donc $abxy
+\not\in\mathfrak{p}$ (car les trois autres termes sont
+dans $\mathfrak{p}$), et a plus forte raison $xy \not\in
+\mathfrak{p}$.
+\end{proof}
+
+En appliquant ce résultat à $A/I$, on obtient :
+\begin{prop}
+Si $A$ est un anneau et $I$ un idéal de $A$, l'ensemble des éléments
+tels que $z^n \in I$ pour un certain $n \in \mathbb{N}$ est un idéal :
+c'est le plus petit idéal radical contenant $I$. Cet idéal est
+précisément l'intersection des idéaux premiers de $A$ contenant $I$.
+On l'appelle le \textbf{radical} de l'idéal $I$ et on le note $\surd
+I$.
+\end{prop}
+
+L'intersection des idéaux maximaux d'un anneau s'appelle le
+\textbf{radical de Jacobson} de cet anneau : il est, en général,
+strictement plus grand que le nilradical.
+
+Notons aussi la conséquence facile suivante de la
+proposition \ref{existence-maximal-ideals}.
+\begin{prop}\label{non-invertible-elements-and-maximal-ideals}
+Dans un anneau $A$, l'ensemble des éléments non-inversibles est la
+réunion de tous les idéaux maximaux.
+\end{prop}
+\begin{proof}
+Dire que $x$ est inversible signifie que $x$ engendre l'idéal unité.
+Si c'est le cas, $x$ n'appartient à aucun idéal strict de $A$, et en
+particulier aucun idéal maximal. Réciproquement, si $x$ n'est pas
+inversible, l'idéal $(x)$ qu'il engendre est strict, donc inclus dans
+un idéal maximal $\mathfrak{m}$
+d'après \ref{existence-maximal-ideals}, donc $x$ est bien dans la
+réunion des idéaux maximaux.
+\end{proof}
+
+%
+\subsection{Modules}
+
+Un \textbf{module} $M$ sur un anneau $A$ est un groupe abélien muni
+d'une multiplication externe $A \times M \to M$ vérifiant :
+\begin{itemize}
+\item $a(x+y) = ax + ay$
+\item $1x = x$
+\item $(ab)x = a(bx)$
+\item $(a+b)x = ax + bx$
+\end{itemize}
+(Exercice : $a0 = 0$, $a(-x) = -(ax)$, $0x = x$, $(-a)x = -(ax)$...)
+
+Un \textbf{sous-module} $M'$ d'un module $M$ est un sous-groupe $M'$
+de $M$ tel que $ax \in M'$ dès que $x\in M'$ et $a\in A$.
+
+Tout anneau est un module sur lui-même de façon évidente. Un
+sous-$A$-module de $A$ est la même chose qu'un idéal de $A$. Si $B$
+est une $A$-algèbre, c'est-à-dire si on se donne un morphisme
+d'anneaux $A \buildrel\varphi\over\to B$, on peut voir $B$ comme un
+$A$-module (par $a\cdot b = \varphi(a)\,b$).
+
+Module de type fini = il existe une famille \emph{finie} $(x_i)$
+d'éléments de $M$ qui engendre $M$ comme $A$-module, c'est-à-dire que
+tout $x \in M$ peut s'écrire $\sum_i a_i x_i$ pour certains $a_i \in
+A$.
+
+Module libre = il existe une base $(x_i)$, c'est-à-dire une famille
+(non né\-ces\-sairement finie) telle que tout $x \in M$ peut s'écrire
+\emph{de façon unique} comme $\sum_i a_i x_i$ pour certains $a_i \in
+A$ tous nuls sauf un nombre fini (de façon unique, c'est-à-dire que
+$\sum_i a_i x_i = 0$ implique $a_i = 0$ pour tout $i$).
+
+%
+\subsection{Anneaux noethériens}
+
+Anneau \textbf{noethérien} : c'est un anneau $A$ vérifiant les
+proprités équivalentes suivantes :
+\begin{itemize}
+\item toute suite croissante pour l'inclusion $I_0 \subseteq I_1
+ \subseteq I_2 \subseteq \cdots$ d'idéaux de $A$ stationne
+ (c'est-à-dire est constante à partir d'un certain rang) ;
+\item tout idéal $I$ de $A$ est de type fini : il existe une famille
+ \emph{finie} $(x_i)$ d'éléments de $I$ qui engendre $I$ comme idéal
+ (= comme $A$-module) (c'est-à-dire que tout $x \in I$ peut s'écrire
+ $\sum_i a_i x_i$ pour certains $a_i \in A$) ;
+\item plus précisément, si $I$ est l'idéal engendré par une famille
+ $x_i$ d'éléments, on peut trouver une sous-famille finie des $x_i$
+ qui engendre le même idéal $I$ ;
+\item un sous-module d'un $A$-module de type fini est de type fini.
+\end{itemize}
+
+L'essentiel des anneaux utilisés en géométrie algébrique (en tout cas,
+auxquels on aura affaire) sont noethériens. L'anneau $\mathbb{Z}$ est
+noethérien. Tout corps est un anneau noethérien. Tout quotient d'un
+anneau noethérien est noethérien (attention : il n'est pas vrai qu'un
+sous-anneau d'un anneau noethérien soit toujours noethérien). Et
+surtout :
+\begin{prop}[théorème de la base de Hilbert]
+Si $A$ est un anneau noethérien, alors l'anneau $A[t]$ des polynômes à
+une indéterminée sur $A$ est noethérien.
+\end{prop}
+\begin{proof}
+Soit $I \subseteq A[t]$ un idéal. Supposons par l'absurde que $I$
+n'est psa de type fini. On construit par récurrence une suite
+$f_0,f_1,f_2,\ldots$ d'éléments de $I$ comme suit. Si
+$f_0,\ldots,f_{r-1}$ ont déjà été choisis, comme l'idéal
+$(f_0,\ldots,f_{r-1})$ qu'ils engendrent n'est pas $I$, on peut
+choisir $f_r$ de plus petit degré possible parmi les éléments de $I$
+non dans $(f_0,\ldots,f_{r-1})$.
+
+Appelons $c_i$ le coefficient dominant de $f_i$. Comme $A$ est
+supposé noethérien, il existe $m$ tel que $c_0,\ldots,c_{m-1}$
+engendrent l'idéal $J$ engendré par tous les $c_i$. Montrons qu'en
+fait $f_0,\ldots,f_{m-1}$ engendrent $I$ (ce qui constitue une
+contradiction).
+
+On peut écrire $c_m = a_0 c_0 + \cdots + a_{m-1} c_{m-1}$. Par
+ailleurs, le degré de $f_m$ est supérieur ou égal au degré de chacun
+de $f_0,\ldots,f_{m-1}$ par minimalité de ces derniers. On peut donc
+construire le polynôme $g = \sum_{i=0}^{m-1} a_i f_i t^{\deg f_m -
+ \deg f_i}$, qui a les mêmes degré et coefficient dominant que $f_m$,
+et qui appartient à $(f_0,\ldots,f_{m-1})$. Alors, $f_m - g$ est de
+degré strictement plus petit que $f_m$, il appartient à $I$ mais pas
+à $(f_0,\ldots,f_{m-1})$ : ceci contredit la minimalité dans le choix
+de $f_m$.
+\end{proof}
+
+En itérant ce résultat, on voit que si $A$ est noethérien, alors
+$A[t_1,\ldots,t_d]$ l'est pour tout $d\in\mathbb{N}$. Comme un
+quotient d'un anneau noethérien est encore noethérien :
+
+\begin{defn}\label{finite-type-algebras}
+Une $A$-algèbre $B$ est dite \textbf{de type fini} (comme $A$-algèbre)
+lorsqu'il existe $x_1,\ldots,x_d \in B$ (qu'on dit \emph{engendrer}
+$B$ comme $A$-algèbre) tel que tout élément de $B$ s'écrive
+$f(x_1,\ldots,x_d)$ pour un certain polynôme $f \in
+A[t_1,\ldots,t_d]$.
+\end{defn}
+
+\danger\textbf{Attention :} Cela ne signifie pas que $B$ soit de type
+fini comme $A$-module. Lorsque c'est le cas, on dit que $B$ est une
+$A$-algèbre \emph{finie}, ce qui est plus fort car cela signifie que
+$f$ serait de degré $1$. (Par exemple, $k[t]$ est une $k$-algèbre de
+type fini, engendrée par $t$, mais pas finie.)
+
+Dire que $B$ est une $A$-algèbre de type fini engendrée par
+$x_1,\ldots,x_d$ signifie donc que le morphisme $\xi\colon
+A[t_1,\ldots,t_d] \to B$ défini par $f \mapsto f(x_1,\ldots,x_d)$ est
+\emph{surjectif}. Par conséquent, si $I$ désigne le noyau de ce
+morphisme (c'est-à-dire l'ensemble des $f \in A[t_1,\ldots,t_d]$ qui
+s'annulent en $(x_1,\ldots,x_d)$) alors $\xi$ définit un isomorphisme
+$A[t_1,\ldots,t_d]/I \buildrel\sim\over\to B$. On peut donc dire :
+une $A$-algèbre de type fini est un quotient de $A[t_1,\ldots,t_d]$
+(pour un certain $d$).
+
+\begin{cor}\label{finite-type-algebras-are-noetherian}
+Une algèbre de type fini sur un anneau noethérien, et en particulier
+sur un corps ou sur $\mathbb{Z}$, est un anneau noethérien.
+\end{cor}
+
+%
+\subsection{Notes sur les morphismes}\label{subsection-note-morphisms}
+
+Si $A,B$ sont deux $k$-algèbres (où $k$ est un anneau), c'est-à-dire
+qu'on se donne deux morphismes $\varphi_A \colon k\to A$ et $\varphi_B
+\colon k\to B$, on note $\Hom_k(A,B)$ (ou bien
+$\Hom_{k\traitdunion\mathrm{Alg}}(A,B)$ s'il y a
+ambiguïté\footnote{Par exemple pour bien distinguer de l'ensemble
+ $\Hom_{k\traitdunion\mathrm{Mod}}(A,B)$ des applications
+ $k$-linéaires, ou morphismes de $k$-modules, entre $A$ et $B$ vus
+ comme des $k$-modules.}) l'ensemble des morphismes de $k$-algèbres
+$A\to B$, c'est-à-dire l'ensemble des morphismes d'anneaux
+$A\buildrel\psi\over\to B$ « au-dessus de $k$ », ou faisant commuter
+le diagramme :
+\begin{center}
+\begin{tikzpicture}[auto]
+\matrix(diag)[matrix of math nodes,column sep=2.5em,row sep=5ex]{
+A&&B\\&k&\\};
+\draw[->] (diag-2-2) -- node{$\varphi_A$} (diag-1-1);
+\draw[->] (diag-2-2) -- node[swap]{$\varphi_B$} (diag-1-3);
+\draw[->] (diag-1-1) -- node{$\psi$} (diag-1-3);
+\end{tikzpicture}
+\end{center}
+
+Remarque : une $\mathbb{Z}$-algèbre est la même chose qu'un anneau, et
+un morphisme de $\mathbb{Z}$-algèbres qu'un morphisme d'anneaux.
+
+\begin{prop}
+\begin{itemize}
+\item $\Hom_k(k,A)$ est un singleton pour toute $k$-algèbre $A$.
+\item $\Hom_k(k[t],A)$ est en bijection avec $A$ en envoyant
+ $\psi\colon k[t]\to A$ sur $\psi(t)$.
+\item De même, $\Hom_k(k[t_1,\ldots,t_d],A)$ est en bijection avec
+ l'ensemble $A^d$ (en envoyant $\psi$ sur
+ $(\psi(t_1),\ldots,\psi(t_d))$).
+\item Si $I$ est un idéal de $R$, alors $\Hom_k(R/I, A)$ est en
+ bijection avec le sous-ensemble de $\Hom_k(R,A)$ formé des
+ $\psi\colon R\to A$ qui s'annulent sur $I$ (la bijection envoyant
+ $\hat\psi \colon R/I \to A$ sur $\psi \colon R\to A$ composé de
+ $\hat\psi$ avec la surjection canonique $R \to R/I$).
+\item (En particulier,) si $I = (f_1,\ldots,f_r)$ est un idéal de
+ $k[t_1,\ldots,t_d]$ et si $R = k[t_1,\ldots,t_d]/I$, alors
+ $\Hom_k(R, A)$ est en bijection avec l'ensemble $\{(x_1,\ldots,x_d)
+ \in A^d :\penalty0 (\forall j)\,f_j(x_1,\ldots,x_d) = 0\}$ (noté
+ $Z(I)(A)$).
+\end{itemize}
+\end{prop}
+
+À titre d'exemple, dans l'introduction on avait posé $C(T) =
+\{(x,y)\in T^2 : x^2+y^2 = 1\}$ pour tout anneau $T$. Un élément de
+$C(T)$ peut donc se voir comme un morphisme
+$\mathbb{Z}[x,y]/(x^2+y^2-1) \to T$.
+
+\textbf{Exercice :} Si on note $k[x,x^{-1}] = k[x,y]/(xy-1)$, à quoi
+peut-on identifier l'ensemble $\Hom_k(k[x,x^{-1}], A)$ ?
+
+\smallbreak
+
+Si $\beta\colon B \to B'$, on définit une application
+$\Hom_k(A,\beta)\colon \Hom_k(A,B) \to \Hom_k(A,B')$ par $\psi \mapsto
+\beta\circ\psi$ ; si $\alpha \colon A' \to A$ (attention au sens de la
+flèche !), on définit de même une application $\Hom_k(\alpha,B) \colon
+\Hom_k(A,B) \to \Hom_k(A',B)$ par $\psi \mapsto \psi\circ\alpha$. Ces
+applications $\Hom_k(A,\beta)$ et $\Hom_k(\alpha,B)$ commutent au sens
+où $\Hom_k(\alpha,B') \circ \Hom_k(A,\beta) = \Hom_k(A',\beta) \circ
+\Hom_k(\alpha,B) \penalty0\colon \Hom_k(A,B) \to \Hom_k(A',B')$ (c'est
+trivial : composer $\psi$ à droite par $\alpha$ puis à gauche
+par $\beta$ revient à le composer à gauche par $\beta$ puis à droite
+par $\alpha$). De façon à peine moins triviale :
+
+\begin{prop}[lemme de Yoneda]
+Soient $B,B'$ deux $k$-algèbres. On suppose que pour toute
+$k$-algèbre $A$ on se donne une application $\beta_A\colon \Hom_k(A,B)
+\to \Hom_k(A,B')$ telle que si $\alpha\colon A'\to A$ alors
+$\Hom_k(\alpha,B') \circ \beta_A = \beta_{A'} \circ \Hom_k(\alpha,B)$.
+Alors il existe un unique morphisme $\beta\colon B \to B'$ de
+$k$-algèbres tel que $\beta_A = \Hom_k(A,\beta)$ pour toute
+$k$-algèbre $A$.
+
+Dans l'autre sens : si $A,A'$ sont deux $k$-algèbres, et si pour toute
+$k$-algèbre $B$ on se donne une application $\alpha_B\colon
+\Hom_k(A,B) \to \Hom_k(A',B)$ telle que $\alpha_{B'} \circ
+\Hom_k(A,\beta) = \Hom_k(A',\beta) \circ \alpha_B$, alors il existe un
+unique morphisme $\alpha\colon A'\to A$ de $k$-algèbres tel que
+$\alpha_B = \Hom_k(\alpha,B)$ pour toute $k$-algèbre $B$.
+\end{prop}
+\begin{proof}
+Prendre pour $\beta$ l'image de l'identité $\id_B$ par $\beta_B$, ou
+pour $\alpha$ l'image de l'identité $\id_A$ par $\alpha_A$.
+\end{proof}
+
+%
+\subsection{Localisation}
+
+On dit qu'une partie $S$ d'un anneau $A$ est \emph{multiplicative}
+lorsque $1\in S$ et $s,s'\in S \limp ss'\in S$. Par exemple, le
+complémentaire d'un idéal premier est, par définition,
+multiplicative ; en particulier, dans un anneau intègre, l'ensemble
+des éléments non nuls est une partie multiplicative.
+
+Dans ces conditions, on construit un anneau noté $A[S^{-1}]$ (ou
+$S^{-1}A$) de la façon suivante : ses éléments sont notés $a/s$ avec
+$a\in A$ et $s \in S$, où on identifie\footnote{Ce racourci de langage
+ signifie qu'on considère la relation d'équivalence $\sim$ sur
+ $A\times S$ définie par $(a,s) \sim (a',s')$ lorsqu'il existe $t \in
+ S$ tel que $t(a's-as') = 0$, on appelle $A[S^{-1}]$ le quotient
+ $(A\times S)/\sim$, et on note $a/s$ la classe de $(a,s)$ pour cette
+ relation ; il faudrait encore vérifier que toutes les opérations
+ proposées ensuite sont bien définies.} $a/s = a'/s'$ lorsqu'il
+existe $t \in S$ tel que $t(a's-as') = 0$. L'addition est définie par
+$(a/s)+(a'/s') = (a's+as')/(ss')$ (le zéro par $0/1$, l'opposé par
+$-(a/s) = (-a)/s$) et la multiplication par $(a/s)\cdot (a'/s') =
+(aa')/(ss')$ (l'unité par $1/1$). Cet anneau est muni d'un morphisme
+naturel $A \buildrel\iota\over\to A[S^{-1}]$ donné par $a \mapsto
+a/1$. On l'appelle le \textbf{localisé} de $A$ inversant la partie
+multiplicative $S$. Si $A$ est une $k$-algèbre (pour un certain
+anneau $k$) alors $A[S^{-1}]$ est une $k$-algèbre de façon évidente
+(en composant le morphisme structural $k\to A$ par le morphisme
+naturel $A \to A[S^{-1}]$).
+
+\begin{prop}\label{properties-localization}
+\begin{itemize}
+\item Le morphisme naturel $A \buildrel\iota\over\to A[S^{-1}]$ est
+ injectif si et seulement si $S$ ne contient aucun diviseur de zéro.
+ (Extrême inverse : si $S$ contient $0$, alors $A[S^{-1}]$ est
+ l'anneau nul.)
+\item Tout idéal $J$ de $A[S^{-1}]$ est de la forme $J = I[S^{-1}] :=
+ \{a/s : a\in I,\penalty0 s \in S\}$ où $I$ est l'image réciproque
+ dans $A$ (par le morphisme naturel $\iota\colon A \to A[S^{-1}]$) de
+ l'idéal $J$ considéré. Autrement dit, $J \mapsto \iota^{-1}(J)$
+ définit une injection des idéaux de $A[S^{-1}]$ dans ceux de $A$.
+\item Un idéal $I$ de $A$ est de la forme $\iota^{-1}(J)$ pour un
+ idéal $J$ de $A[S^{-1}]$ (né\-ces\-sai\-rement $J = I[S^{-1}]$ d'après le
+ point précédent) ssi aucun élément de $S$ n'est diviseur de zéro
+ dans $A/I$.
+\item En particulier, $\mathfrak{p} \mapsto \iota^{-1}(\mathfrak{p})$
+ définit une bijection entre les idéaux premiers de $A[S^{-1}]$ et
+ ceux de $A$ ne rencontrant pas $S$.
+\item Si $A$ est une $k$-algèbre, $\Hom_k(A[S^{-1}],B)$ s'identifie,
+ via $\Hom_k(\iota,B)\colon\penalty0 \Hom_k(A[S^{-1}],B) \to
+ \Hom_k(A,B)$, au sous-ensemble de $\Hom_k(A,B)$ formé des morphismes
+ $\psi\colon A\to B$ tels que $\psi(s)$ soit inversible pour
+ tout $s\in S$.
+\end{itemize}
+\end{prop}
+
+Cas particuliers importants : si $\mathfrak{p}$ est premier et $S =
+A\setminus\mathfrak{p}$ est son com\-plé\-men\-taire, on note
+$A_{\mathfrak{p}} = A[S^{-1}]$ ; c'est un anneau local (dont l'idéal
+maximal est $\mathfrak{p}[S^{-1}] = \{a/s : a\in \mathfrak{p}, s
+\not\in \mathfrak{p}\}$) : on l'appelle le localisé de $A$
+\textbf{en} $\mathfrak{p}$. Si $A$ est un anneau intègre et $S = A
+\setminus\{0\}$ l'ensemble des éléments non nuls de $A$, on note
+$\Frac(A) = A[S^{-1}]$ : c'est un corps, appelé \textbf{corps des
+ fractions} de $A$. Par exemple, $\Frac(\mathbb{Z}) = \mathbb{Q}$ et
+$\Frac(k[t]) = k(t)$ pour $k$ un corps.
+
+Toute partie $\Sigma$ de $A$ engendre une partie multiplicative $S$
+(c'est l'intersection de toutes les parties multiplicatives
+contenant $\Sigma$, ou simplement l'ensemble de tous les produits
+possibles d'éléments de $\Sigma$) : on note généralement
+$A[\Sigma^{-1}]$ pour $A[S^{-1}]$. En particulier, lorsque $\Sigma$
+est le singleton d'un élément $\sigma$, on note $A[\sigma^{-1}]$ ou
+$A[\frac{1}{\sigma}]$.
+
+\begin{prop}\label{localization-inverting-one-element}
+Si $A$ est un anneau et $f\in A$ alors $A[\frac{1}{f}] \cong
+A[z]/(zf-1)$ (ici, $A[z]$ est l'anneau des polynômes en une
+indéterminée) par un isomorphisme envoyant $\frac{a}{f^n}$ sur la
+classe de $a z^n$.
+\end{prop}
+\begin{proof}
+Considérons le morphisme $A[z] \to A[\frac{1}{f}]$ envoyant $z$
+sur $\frac{1}{f}$, c'est-à-dire $h \mapsto h(\frac{1}{f})$ (pour $h
+\in A[z]$). Il est évident qu'il est surjectif ($a z^n$ s'envoie
+sur $\frac{a}{f^n}$) et que son noyau contient $zf-1$. Tout revient
+donc à montrer que si $h \in A[z]$ est dans le noyau, i.e., vérifie
+$h(\frac{1}{f}) = 0 \in A[\frac{1}{f}]$, alors $h$ est dans l'idéal
+engendré par $zf-1$. Mettons $h = c_0 + c_1 z + \cdots + c_n z^n$ :
+la condition $h(\frac{1}{z}) = 0$ signifie $(c_0 f^n + c_1 f^{n-1} +
+\cdots + c_n)/f^n = 0 \in A[\frac{1}{f}]$, c'est-à-dire qu'il existe
+$k$ tel que $c_0 f^{n+k} + c_1 f^{n+k-1} + \cdots + c_n f^k = 0$.
+Cherchons une écriture $h(z) = q(z)\,(1-zf)$ où $q \in A[z]$, disons
+$q(z) = d_0 + d_1 z + \cdots + d_N z^N$. En identifiant les
+coefficients, on trouve $c_0 = d_0$, $c_1 = d_1 - d_0 f$, $c_2 = d_2 -
+d_1 f$, etc., c'est-à-dire $d_0 = c_0$, $d_1 = c_0 f + c_1$, et
+généralement $d_r = c_0 f^r + \cdots + c_{r-1} f + c_r$ en convenant
+$c_i = 0$ si $i>n$. Pour que ceci définisse bien un polynôme $q$, il
+faut et il suffit que $d_r$ soit nul à partir d'un certain rang (à
+savoir $N+1$ avec les notations précédentes). Or la condition qu'on a
+trouvé s'exprime précisément par le fait que $d_{n+k} = 0$ ainsi que
+tous les $d_i$ ultérieurs.
+\end{proof}
+
+%
+\subsection{TODO}
+
+Lemme de Nakayama ?
+
+Produit tensoriel ? (Sous quelle forme ?)
+
+
+%
+%
+%
+
+\section{Variétés algébriques affines sur un corps algé\-bri\-que\-ment clos}
+
+Pour le moment, $k$ est un corps, qui sera bientôt algébriquement
+clos.
+
+%
+\subsection{Une question d'idéaux maximaux}
+
+On commence par une remarque : si $x = (x_1,\ldots,x_d)$ est un point
+de $k^d$, on dispose d'un \emph{morphisme d'évaluation en $x$},
+$k[t_1,\ldots,t_d] \to k$, donné par $f \mapsto f(x_1,\ldots,x_d)$
+(pour $f$ un polynôme à $d$ indéterminées), qui à $f$ associe sa
+valeur en $d$. Ce morphisme est évidemment surjectif (tout $c \in k$
+est l'image du polynôme constant $c$). Si on appelle $\mathfrak{m}_x$
+son noyau, c'est-à-dire, l'ensemble (donc l'idéal) des polynômes $f$
+s'annulant en $x$, alors l'évaluation définit un isomorphisme
+$k[t_1,\ldots,t_d]/\mathfrak{m}_x \buildrel\sim\over\to k$. Par
+conséquent, $\mathfrak{m}_x$ est un idéal \emph{maximal}
+de $k[t_1,\ldots,t_d]$. Notons que $\mathfrak{m}_x$ est l'idéal
+$(t_1-x_1,\ldots,t_d-x_d)$ engendré par tous les $t_i - x_i$.
+
+Si $k$ n'est pas algébriquement clos, il n'est pas vrai que tout idéal
+maximal de $k[t_1,\ldots,t_d]$ soit de la forme $\mathfrak{m}_x$ pour
+un certain $x \in k^d$ (par exemple, si $k = \mathbb{R}$, l'idéal
+qu'on pourrait noter $\mathfrak{m}_{\{\pm i\}}$ de $\mathbb{R}[t]$ et
+formé des $f \in \mathbb{R}[t]$ tels que $f(i) = 0$, ou, de façon
+équivalente, $f(-i) = 0$, c'est-à-dire l'idéal engendré par $t^2+1$,
+n'est pas de cette forme, et d'ailleurs le quotient
+$\mathbb{R}[t]/(t^2+1)$ est isomorphe à $\mathbb{C}$ et pas
+à $\mathbb{R}$). En revanche, si $k$ \emph{est} algébriquement clos,
+on va voir ci-dessous que tout idéal maximal de $k[t_1,\ldots,t_d]$
+est l'idéal $\mathfrak{m}_x$ des polynômes s'annulant en un certain
+point $x$.
+
+%
+\subsection{Correspondance entre fermés de Zariski et idéaux}
+
+\textbf{Comment associer une partie de $k^d$ à un idéal de
+ $k[t_1,\ldots,t_d]$ ?}
+
+Si $\mathscr{F}$ est une partie de $k[t_1,\ldots,t_d]$, on définit un
+ensemble $Z(\mathscr{F}) = \{(x_1,\ldots,x_d) \in k^d :\penalty0
+(\forall f\in \mathscr{F})\, f(x_1,\ldots,x_d) = 0\}$ (on devrait
+plutôt noter $Z(\mathscr{F})(k)$, surtout si $k$
+n'est pas algébriquement clos, mais il le sera bientôt). Plus
+généralement, pour toute $k$-algèbre $A$, on définit
+$Z(\mathscr{F})(A) = \{(x_1,\ldots,x_d) \in A^d :\penalty0 (\forall
+f\in \mathscr{F})\, f(x_1,\ldots,x_d) = 0\}$.
+
+Remarques évidentes : si $\mathscr{F} \subseteq \mathscr{F}'$ alors
+$Z(\mathscr{F}) \supseteq Z(\mathscr{F}')$ (la fonction $Z$ est
+« décroissante pour l'inclusion ») ; on a $Z(\mathscr{F}) = \bigcap_{f\in
+ \mathscr{F}} Z(f)$ (où $Z(f)$ est un racourci de notation pour
+$Z(\{f\})$). Plus intéressant : si $I$ est l'idéal engendré par
+$\mathscr{F}$ alors $Z(I) = Z(\mathscr{F})$. On peut donc se
+contenter de regarder les $Z(I)$ avec $I$ idéal
+de $k[t_1,\ldots,t_d]$. Encore un peu mieux : si $\surd I = \{f :
+(\exists n)\,f^n\in I\}$ désigne le radical de l'idéal $I$, on a
+$Z(\surd I) = Z(I)$ ; on peut donc se contenter de considérer les
+$Z(I)$ avec $I$ idéal radical.
+
+On appellera \textbf{fermé de Zariski} dans $k^d$ une partie $E$ de
+$k^d$ vérifiant le premier point, c'est-à-dire de la forme
+$Z(\mathscr{F})$ pour une certaine partie $\mathscr{F}$
+de $k[t_1,\ldots,t_d]$, dont on a vu qu'on pouvait supposer qu'il
+s'agit d'un idéal radical.
+
+Le vide est un fermé de Zariski ($Z(1) = \varnothing$) ; l'ensemble
+$k^d$ tout entier est un fermé de Zariski ($Z(0) = k^d$) ; tout
+singleton est un fermé de Zariski ($Z(\mathfrak{m}_x) = \{x\}$, par
+exemple en voyant $\mathfrak{m}_x$ comme $(t_1-x_1,\ldots,t_d-x_d)$).
+Si $(E_i)_{i\in \Lambda}$ sont des fermés de Zariski, alors
+$\bigcap_{i\in \Lambda} E_i$ est un fermé de Zariski : plus
+précisément, si $(I_i)_{i\in \Lambda}$ sont des idéaux
+de $k[t_1,\ldots,t_d]$, alors $Z(\sum_{i\in\Lambda} I_i) =
+\bigcap_{i\in\Lambda} Z(I_i)$. Si $E,E'$ sont des fermés de Zariski,
+alors $E \cup E'$ est un fermé de Zariski : plus précisément, si
+$I,I'$ sont des idéaux de $k[t_1,\ldots,t_d]$, alors $Z(I\cap I') =
+Z(I) \cup Z(I')$ (l'inclusion $\supseteq$ est évidente ; pour l'autre
+inclusion, si $x \in Z(I\cap I')$ mais $x \not\in Z(I)$, il existe
+$f\in I$ tel que $f(x) \neq 0$, et alors pour tout $f' \in I'$ on a
+$f(x)\,f'(x) = 0$ puisque $ff' \in I\cap I'$, donc $f'(x) = 0$, ce qui
+prouve $x \in Z(I')$).
+
+\medbreak
+
+\textbf{Comment associer un idéal de $k[t_1,\ldots,t_d]$ à une partie
+ de $k^d$ ?}
+
+Réciproquement, si $E$ est une partie de $k^d$, on note
+$\mathfrak{I}(E) = \{f\in k[t_1,\ldots,t_d] :\penalty0 (\forall
+(x_1,\ldots,x_d)\in E)\, f(x_1,\ldots,x_d)=0\}$. Vérification
+facile : c'est un idéal de $k[t_1,\ldots,t_d]$, et même un idéal
+radical. Remarque évidente : si $E \subseteq E'$ alors
+$\mathfrak{I}(E) \supseteq \mathfrak{I}(E')$ ; on a $\mathfrak{I}(E) =
+\bigcap_{x\in E} \mathfrak{m}_x$ (où $\mathfrak{m}_x$ désigne l'idéal
+maximal $\mathfrak{I}(\{x\})$ des polynômes s'annulant en $x$), et en
+particulier $\mathfrak{I}(E) \neq k[t_1,\ldots,t_d]$ dès que $E \neq
+\varnothing$.
+
+On a de façon triviale $\mathfrak{I}(\varnothing) =
+k[t_1,\ldots,t_d]$. De façon moins évidente, si $k$ est infini (ce
+qui est en particulier le cas lorsque $k$ est algébriquement clos), on
+a $\mathfrak{I}(k^d) = (0)$ (démonstration par récurrence sur $d$,
+laissée en exercice).
+
+\danger Sur un corps fini $\mathbb{F}_q$, on a
+$\mathfrak{I}({\mathbb{F}_q}^d) \neq (0)$. Par exemple, si $t$ est
+une des in\-dé\-ter\-mi\-nées, le polynôme $t^q-t$ s'annule en tout
+point de ${\mathbb{F}_q}^d$.
+
+\medbreak
+
+\textbf{Le rapport entre ces deux fonctions}
+
+On a $E \subseteq Z(\mathscr{F})$ ssi $\mathscr{F} \subseteq
+\mathfrak{I}(E)$ (les deux signifiant « tout polynôme dans
+ $\mathscr{F}$ s'annule en tout point de $E$ »). En particulier, en
+appliquant ceci à $\mathscr{F} = \mathfrak{I}(E)$, on a $E \subseteq
+Z(\mathfrak{I}(E))$ pour toute partie $E$ de $k^d$ ; et en
+l'appliquant à $E = Z(\mathscr{F})$, on a $\mathscr{F} \subseteq
+\mathfrak{I}(Z(\mathscr{F}))$. De $E \subseteq Z(\mathfrak{I}(E))$ on
+déduit $\mathfrak{I}(E) \supseteq \mathfrak{I}(Z(\mathfrak{I}(E)))$
+(car $\mathfrak{I}$ est décroissante), mais par ailleurs
+$\mathfrak{I}(E) \subseteq \mathfrak{I}(Z(\mathfrak{I}(E)))$ en
+appliquant l'autre inclusion à $\mathfrak{I}(E)$ : donc
+$\mathfrak{I}(E) = \mathfrak{I}(Z(\mathfrak{I}(E)))$ pour toute partie
+$E$ de $k^d$ ; de même, $Z(\mathscr{F}) =
+Z(\mathfrak{I}(Z(\mathscr{F})))$ pour tout ensemble $\mathscr{F}$ de
+polynômes. On a donc prouvé :
+
+\begin{prop}
+Avec les notations ci-dessus :
+\begin{itemize}
+\item Une partie $E$ de $k^d$ vérifie $E = Z(\mathfrak{I}(E))$ si et
+ seulement si elle est de la forme $Z(\mathscr{F})$ pour un
+ certain $\mathscr{F}$ (=: c'est un fermé de Zariski), et dans ce cas
+ on peut prendre $\mathscr{F} = \mathfrak{I}(E)$, qui est un idéal
+ radical.
+\item Une partie $I$ de $k[t_1,\ldots,t_d]$ vérifie $I =
+ \mathfrak{I}(Z(I))$ si et seulement si elle est de la forme
+ $\mathfrak{I}(E)$ pour un certain $E$, et dans ce cas on peut
+ prendre $E = Z(I)$, et $I$ est un idéal radical
+ de $k[t_1,\ldots,t_d]$.
+\item Les fonctions $\mathfrak{I}$ et $Z$ se restreignent en des
+ bijections décroissantes réci\-proques entre l'ensemble des parties
+ $E$ de $k^d$ vérifiant le premier point ci-dessus et l'ensemble des
+ idéaux radicaux $I$ de $k[t_1,\ldots,t_d]$ vérifiant le second.
+\end{itemize}
+\end{prop}
+
+On a appelé \textbf{fermé de Zariski} une partie $E$ de $k^d$
+vérifiant le premier point, c'est-à-dire de la forme $Z(\mathscr{F})$
+pour une certaine partie $\mathscr{F}$ de $k[t_1,\ldots,t_d]$ : on a
+vu qu'on pouvait supposer qu'il s'agit d'un idéal radical, et on vient
+de voir qu'on peut écrire précisément $E = Z(I)$ où $I =
+\mathfrak{I}(E)$. (On ne donne pas de nom particulier aux idéaux
+vérifiant le second point (=être dans l'image de la
+fonction $\mathfrak{I}$), mais on va voir que pour $k$ algébriquement
+clos il s'agit de tous les idéaux radicaux.)
+
+\medbreak
+
+\textbf{Fermés irréductibles et idéaux premiers}
+
+On dit qu'un fermé de Zariski $E \subseteq k^d$ non vide est
+\textbf{irréductible} lorsqu'on ne peut pas écrire $E = E' \cup E''$,
+où $E',E''$ sont deux fermés de Zariski (forcément contenus
+dans $E$...), sauf si $E'=E$ ou $E''=E$.
+
+\emph{Contre-exemple :} $Z(xy)$ (dans le plan $k^2$ de
+coordonnées $x,y$) n'est pas ir\-ré\-duc\-tible, car $Z(xy) = \{(x,y)
+\in k^2 : xy=0\} = \{(x,y) \in k^2 :
+x=0\penalty0\ \textrm{ou}\penalty0\ y=0\} = Z(x) \cup Z(y)$ est
+réunion de $Z(x)$ (l'axe des ordonnées) et $Z(y)$ (l'axe des
+abscisses) qui sont tous tous les deux strictement plus petits
+que $Z(xy)$.
+
+\begin{prop}\label{closed-irreducible-iff-prime-ideal}
+Un fermé de Zariski $E \subseteq k^d$ est irréductible si, et
+seulement si, l'idéal $\mathfrak{I}(E)$ est premier.
+\end{prop}
+\begin{proof}
+Supposons $\mathfrak{I}(E)$ premier : on veut montrer que $E$ est
+irréductible. Supposons $E = E' \cup E''$ comme ci-dessus (on a vu
+que $E = Z(\mathfrak{I}(E))$, $E' = Z(\mathfrak{I}(E'))$ et $E'' =
+Z(\mathfrak{I}(E''))$) : on veut montrer que $E' = E$ ou $E'' = E$.
+Supposons le contraire, c'est-à-dire $\mathfrak{I}(E) \neq
+\mathfrak{I}(E')$ et $\mathfrak{I}(E) \neq \mathfrak{I}(E'')$. Il
+existe alors $f' \in \mathfrak{I}(E') \setminus \mathfrak{I}(E)$ et
+$f'' \in \mathfrak{I}(E'') \setminus \mathfrak{I}(E)$. On a alors
+$f'f'' \not\in \mathfrak{I}(E)$ car $\mathfrak{I}(E)$ est premier, et
+pourtant $f'f''$ s'annule sur $E'$ et $E''$ donc sur $E$, une
+contradiction.
+
+Réciproquement, supposons $E$ irréductible : on veut montrer que
+$\mathfrak{I}(E)$ est premier. Soient $f',f''$ tels que $f'f'' \in
+\mathfrak{I}(E)$ : posons $E' = Z(\mathfrak{I}(E) + (f'))$ et $E'' =
+Z(\mathfrak{I}(E) + (f''))$. On a $E' \subseteq E$ et $E'' \subseteq
+E$ puisque $E = Z(\mathfrak{I}(E))$, et en fait $E' = E \cap Z(f')$ et
+$E'' = E \cap Z(f'')$ ; on a par ailleurs $E = E' \cup E''$ (car si $x
+\in E$ alors $f'(x)\,f''(x) = 0$ donc soit $f'(x)=0$ soit $f''(x)=0$,
+et dans le premier cas $x \in E'$ et dans le second $x \in E''$).
+Puisqu'on a supposé $E$ irréductible, on a, disons, $E' = E$,
+c'est-à-dire $E \subseteq Z(f')$, ce qui signifie $f' \in
+\mathfrak{I}(E)$. Ceci montre bien que $\mathfrak{I}(E)$ est premier.
+\end{proof}
+
+%
+\subsection{Le Nullstellensatz}
+
+(Nullstellensatz, littéralement, « théorème du lieu d'annulation », ou
+« théorème des zéros de Hilbert ».)
+
+On suppose maintenant que $k$ est algébriquement clos !
+
+\begin{prop}[Nullstellensatz faible]
+Soit $k$ un corps algébriquement clos. Si $I$ est un idéal de
+$k[t_1,\ldots,t_d]$ tel que $Z(I) = \varnothing$, alors $I =
+k[t_1,\ldots,t_d]$.
+\end{prop}
+\begin{proof}[Démonstration dans le cas particulier où $k$ est indénombrable.]
+Supposons par contraposée $I \subsetneq k[t_1,\ldots,t_d]$. Alors il
+existe un idéal maximal $\mathfrak{m}$ tel que $I \subseteq
+\mathfrak{m}$, et on a $Z(\mathfrak{m}) \subseteq Z(I)$. On va
+montrer $Z(\mathfrak{m}) \neq \varnothing$.
+
+Soit $K = k[t_1,\ldots,t_d]/\mathfrak{m}$. Il s'agit d'un corps, qui
+est de dimension au plus dénombrable (=il a une famille génératrice
+dénombrable, à savoir les images des monômes dans les $t_i$) sur $k$.
+Mais $K$ ne peut pas contenir d'élément transcendant $\tau$ sur $k$
+car, $k$ ayant été supposé indénombrable, la famille des
+$\frac{1}{\tau - x}$ pour $x\in k$ serait linéairement indépendante
+(par décomposition en élément simples) dans $k(\tau)$ donc dans $K$.
+Donc $K$ est algébrique sur $k$. Comme $k$ était supposé
+algébriquement clos, on a en fait $K=k$. Les classes des
+indéterminées $t_1,\ldots,t_d$ définissent alors des éléments
+$x_1,\ldots,x_d \in k$, et pour tout $f \in \mathfrak{m}$, on a
+$f(x_1,\ldots,x_d) = 0$. Autrement dit, $(x_1,\ldots,x_d) \in
+Z(\mathfrak{m})$, ce qui conclut.
+\end{proof}
+
+En fait, dans le cours de cette démonstration, on a montré (dans le
+cas particulier où on s'est placé, mais c'est vrai en général) :
+\begin{prop}[{idéaux maximaux de $k[t_1,\ldots,t_d]$}]\label{maximal-ideals-of-polynomial-algebras}
+Soit $k$ un corps algé\-bri\-que\-ment clos. Tout idéal maximal
+$\mathfrak{m}$ de $k[t_1,\ldots,t_d]$ est de la forme
+$\mathfrak{m}_{(x_1,\ldots,x_d)} := \{f : f(x_1,\ldots,x_d) = 0\}$
+pour un certain $(x_1,\ldots,x_d) \in k^d$.
+\end{prop}
+\begin{proof}
+En fait, on a prouvé que si $\mathfrak{m}$ est un idéal maximal, il
+existe $(x_1,\ldots,x_d) \in k^d$ tels que $(x_1,\ldots,x_d) \in
+Z(\mathfrak{m})$, ce qui donne $\mathfrak{m} \subseteq
+\mathfrak{I}(\{(x_1,\ldots,x_d)\})$, mais par maximalité de
+$\mathfrak{m}$ ceci est en fait une égalité.
+\end{proof}
+
+En particulier, le corps quotient $k[t_1,\ldots,t_d]/\mathfrak{m}$ est
+isomorphe à $k$, l'isomorphisme étant donnée par l'évaluation au point
+$(x_1,\ldots,x_d)$ tel que ci-dessus.
+
+\begin{thm}[Nullstellensatz = théorème des zéros de Hilbert]
+Soit $I$ un idéal de $k[t_1,\ldots,t_d]$ (toujours avec $k$ un corps
+algébriquement clos) : alors $\mathfrak{I}(Z(I)) = \surd I$ (le
+radical de $I$).
+\end{thm}
+\begin{proof}
+On sait que $\surd I \subseteq \mathfrak{I}(Z(I))$ et il s'agit de
+montrer la réciproque. Soit $f \in \mathfrak{I}(Z(I))$ : on veut
+prouver $f\in \surd I$. On vérifie facilement que ceci revient à
+montrer que l'idéal $I[\frac{1}{f}]$
+de $k[t_1,\ldots,t_d,\frac{1}{f}]$ est l'idéal unité. Or
+$k[t_1,\ldots,t_d,\frac{1}{f}] = k[t_1,\ldots,t_d,z]/(zf-1)$
+d'après \ref{localization-inverting-one-element}. Soit $J$ l'idéal
+engendré par $I$ et $zf-1$ dans $k[t_1,\ldots,t_d,z]$ : on voit que
+$Z(J) = \varnothing$ (dans $k^{d+1}$), car on ne peut pas avoir
+simultanément $f(x_1,\ldots,x_d) = 0$ et $z\,f(x_1,\ldots,x_d) = 1$,
+donc le Nullstellensatz faible entraîne $J = k[t_1,\ldots,t_d,z]$ :
+ceci donne $I[\frac{1}{f}] = k[t_1,\ldots,t_d,\frac{1}{f}]$.
+\end{proof}
+
+\begin{scho}
+Si $k$ est un corps algébriquement clos, les fonctions $I \mapsto
+Z(I)$ et $E \mapsto \mathfrak{I}(E)$ définissent des bijections
+réci\-proques, décroissantes pour l'inclusion, entre les idéaux radicaux
+de $k[t_1,\ldots,t_d]$ d'une part, et les fermés de Zariski de $k^d$
+d'autre part.
+
+Ces bijections mettent les \emph{points} (c'est-à-dire les singletons)
+de $k^d$ en correspondance avec les idéaux maximaux de
+$k[t_1,\ldots,t_d]$ (ils ont tous pour quotient $k$), et les
+\emph{fermés irréductibles} en correspondance avec les idéaux
+premiers.
+\end{scho}
+
+%
+\subsection{L'anneau d'un fermé de Zariski}
+
+Si $X$ est un fermé de Zariski dans $k^d$ avec $k$ algébriquement
+clos, on a vu qu'il existe un unique idéal radical $I$
+de $k[t_1,\ldots,t_d]$, à savoir l'idéal $I = \mathfrak{I}(X)$ des
+polynômes s'annulant sur $X$, tel que $X = Z(I)$. Le quotient
+$k[t_1,\ldots,t_d] / I$ (qui est donc un anneau réduit, et intègre ssi
+$X$ est irréductible) s'appelle l'\emph{anneau des fonctions
+ régulières} sur $X$ et se note $\mathcal{O}(X)$.
+
+Pourquoi fonctions régulières ? On peut considérer un élément $f \in
+\mathcal{O}(X)$ comme une fonction $X \to k$ de la façon suivante : si
+$\tilde f \in k[t_1,\ldots,t_d]$ est un représentant de $f$
+(modulo $I$) et si $x = (x_1,\ldots,x_d) \in X$, la valeur de $\tilde
+f(x_1,\ldots,x_d)$ ne dépend pas du choix de $\tilde f$ représentant
+$f$ puisque tout élément de $I$ s'annule en $x$ ; on peut donc appeler
+$f(x)$ cette valeur. Inversement, un $f \in \mathcal{O}(X)$ est
+complètement déterminé par sa valeur sur chaque point $x$ de $X$
+(rappel : $k$ est algébriquement clos ici, et c'est important !) ; en
+effet, si $f$ s'annule en tout $x \in X$, tout élément de
+$k[t_1,\ldots,t_d]$ représentant $f$ s'annule en tout $x \in X$,
+c'est-à-dire appartient à $\mathfrak{I}(X)$, ce qui signifie justement
+$f = 0$ dans $\mathcal{O}(X)$. Moralité : on peut bien considérer les
+éléments de $\mathcal{O}(X)$ comme des fonctions. Ces fonctions sont,
+tout simplement, les restrictions à $X$ des fonctions polynomiales
+sur $k^d$.
+
+Dans le cas où $X = k^d$ tout entier (donc $I = (0)$), évidemment,
+$\mathcal{O}(X) = k[t_1,\ldots,t_d]$.
+
+On définit un fermé de Zariski de $X$ comme un fermé de Zariski
+de $k^d$ qui se trouve être inclus dans $X$. La bonne nouvelle est
+que la correspondance entre fermés de Zariski de $k^d$ et idéaux de
+$k[t_1,\ldots,t_d]$ se généralise presque mot pour mot à une
+correspondance entre fermés de Zariski de $X$ et idéaux
+de $\mathcal{O}(X)$ :
+
+\begin{prop}
+Avec les notations ci-dessus :
+\begin{itemize}
+\item Tout fermé de Zariski de $X$ est de la forme $Z(\mathscr{F}) :=
+ \{x\in X :\penalty0 {(\forall f\in \mathscr{F})}\penalty100\, f(x) =
+ 0\}$ pour un certain ensemble $\mathscr{F}$ d'éléments
+ de $\mathcal{O}(X)$.
+\item En posant $\mathfrak{I}(E) := \{f\in \mathcal{O}(X) :\penalty0
+ {(\forall x\in E)}\penalty100\, f(x)=0\}$, les fonctions $I \mapsto
+ Z(I)$ et $E \mapsto \mathfrak{I}(E)$ définissent des bijections
+ réci\-proques, décroissantes pour l'inclusion, entre les idéaux
+ radicaux de $\mathcal{O}(X)$ d'une part, et les fermés de Zariski de
+ $X$ d'autre part : on a $\mathfrak{I}(Z(I)) = \surd I$ pour tout
+ idéal $I$ de $\mathcal{O}(X)$.
+\item Ces bijections mettent les \emph{points} (c'est-à-dire les
+ singletons) de $X$ en correspondance avec les idéaux maximaux de
+ $\mathcal{O}(X)$ (qui sont donc tous de la forme $\mathfrak{m}_x :=
+ \{f \in \mathcal{O}(X) : f(x)=0\}$ pour un $x\in X$) ; et les
+ \emph{fermés irréductibles} en correspondance avec les idéaux
+ premiers.
+\end{itemize}
+\end{prop}
+
+\smallbreak
+
+Soulignons en particulier que si $X'$ est un fermé de Zariski de $X$
+(disons défini comme $X' = Z(I)$ où $I$ est un idéal radical
+de $\mathcal{O}(X)$), alors la surjection canonique $\mathcal{O}(X)
+\to \mathcal{O}(X)/I$ est un morphisme d'anneaux $\mathcal{O}(X) \to
+\mathcal{O}(X')$ qu'il faut interpréter comme envoyant une fonction
+régulière $f$ sur $X$ sur sa \emph{restriction} à $X'$, parfois
+notée $f|_{X'}$.
+
+%
+\subsection{Points à valeurs dans une $k$-algèbre}
+
+On reprend la même situation : $I$ est un idéal radical de
+$k[t_1,\ldots,t_d]$ et $X = Z(I)$ est le fermé de Zariski qu'il
+définit (et $\mathcal{O}(X) = k[t_1,\ldots,t_d] / I$ l'anneau des
+fonctions régulières sur $X$.
+
+On a pour l'instant considéré $X$ comme un sous-ensemble de $k^d$,
+mais on souhaite changer progressivement de point de vue ; notamment,
+l'ensemble pré\-cé\-dem\-ment noté $X$ aura de plus en plus tendance à être
+noté $X(k)$, en appliquant la définition suivante :
+
+Pour toute $k$-algèbre $A$, on note $X(A)$ ou $Z(I)(A)$ (et on appelle
+ensemble des \textbf{$A$-points} de $X$) l'ensemble
+$\{(x_1,\ldots,x_d) \in A^d :\penalty0 (\forall f \in I)\,
+f(x_1,\ldots,x_d) = 0\}$ des points de $A^d$ vérifiant les équations
+définissant $X$. L'ensemble $X(k)$ est donc celui qu'on a
+pré\-cé\-dem\-ment considéré sous le nom de $X$.
+
+Le cas particulier de l'espace affine tout entier (soit $I = (0)$)
+sera noté $\mathbb{A}^d$ (normalement on devrait écrire
+$\mathbb{A}^d_k$, mais c'est rarement important) : ainsi,
+$\mathbb{A}^d(A) = A^d$ pour toute $k$-algèbre $A$.
+
+Si $A \buildrel\varphi\over\to A'$ est un morphisme de $k$-algèbres,
+on a une application $X(\varphi) \colon X(A) \to X(A')$ qui à
+$(x_1,\ldots,x_d) \in X(A)$ associe
+$(\varphi(x_1),\ldots,\varphi(x_d)) \in X(A')$. (Par ailleurs,
+$X(\psi\circ\varphi) = X(\psi)\circ X(\varphi)$.) On aura de plus en
+plus tendance à considérer que $X$ ``est'' la donnée de ces ensembles
+$X(A)$ pour toute $k$-algèbre $A$ et de ces applications $X(\varphi)$
+pour tout morphisme de $k$-algèbres $\varphi$ : la collection de ces
+données s'appelle le \textbf{foncteur des points} de $X$.
+
+\begin{rmk}
+D'après ce qu'on a expliqué en \ref{subsection-note-morphisms}, pour
+toute $k$-algèbre $A$, l'ensemble $\Hom_{k}(\mathcal{O}(X), A)$ des
+morphismes de $k$-algèbres de $\mathcal{O}(X)$ vers $A$ est en
+bijection avec $X(A)$ (la bijection envoyant un morphisme $\psi\colon
+\mathcal{O}(X) \to A$ sur le $d$-uplet $(\psi(t_1),\ldots,\psi(t_d))$
+où $t_1,\ldots,t_d$ sont les classes des indéterminées dans le
+quotient $\mathcal{O}(X) = k[t_1,\ldots,t_d]/I$). On aura tendance à
+utiliser cette bijection tacitement, et à considérer que les éléments
+de $X(A)$ ``sont'' des morphismes d'anneaux $\mathcal{O}(X) \to A$.
+
+En particulier, les $k$-points de $X$ (c'est-à-dire l'ensemble
+précédemment noté $X$ et maintenant de préférence $X(k)$) peuvent être
+identifiés avec les éléments de $\Hom_{k}(\mathcal{O}(X), k)$, le
+point $x \in X$ étant identifié avec le morphisme $f \mapsto f(x)$
+d'évaluation en $x$. La classification des idéaux maximaux
+de $\mathcal{O}(X)$ signifie donc que (pour $k$ algébriquement clos,
+insistons !) tout idéal maximal de $\mathcal{O}(X)$ est l'ensemble des
+fonctions régulières s'annulant en un $k$-point de $X$.
+\end{rmk}
+
+%
+\subsection{Morphismes de variétés algébriques affines}\label{subsection-morphisms-of-affine-algebraic-varieties}
+
+On appelle provisoirement \textbf{variété algébrique affine}
+dans $k^d$ (toujours avec $k$ algébriquement clos) un fermé de Zariski
+$X$ de $k^d$. Pourquoi cette terminologie redondante ? Le terme
+« fermé de Zariski » insiste sur $X$ en tant que plongée dans l'espace
+affine $\mathbb{A}^d$. Le terme de « variété algébrique affine »
+insiste sur l'aspect intrinsèque de $X$, muni de ses propres fermés de
+Zariski et de ses propres fonctions régulières, qu'on va maintenant
+présenter. On a vu ci-dessus comment associer à $X$ un anneau
+$\mathcal{O}(X)$ des fonctions régulières, et, pour chaque
+$k$-algèbre, on a identifié l'ensemble $X(A)$ des $A$-points de $X$
+avec $\Hom_k(\mathcal{O}(X), A)$.
+
+On veut maintenant définir des morphismes entre ces variétés
+algébriques. Une fonction régulière doit être la même chose qu'un
+morphisme vers la droite affine. On définit donc :
+\begin{itemize}
+\item un morphisme [de $k$-variétés algébriques affines] $f$ de $X$
+ vers l'espace affine $\mathbb{A}^e$ de dimension $e$ est la donnée
+ de $e$ fonctions régulières sur $X$, c'est-à-dire d'un $e$-uplet
+ d'éléments de $\mathcal{O}(X)$,
+\item un morphisme [de $k$-variétés algébriques affines] $f$ de $X$
+ vers le fermé de Zariski $Y = Z(J)$ défini dans l'espace
+ affine $\mathbb{A}^e$ par un idéal $J = (g_1,\ldots,g_r)$ est la
+ donnée d'un $e$-uplet $(f_1,\ldots,f_e) \in \mathcal{O}(X)^e$ comme
+ ci-dessus, vérifiant de plus les contraintes $g_j(f_1,\ldots,f_e) =
+ 0$ pour tout $j$ (cela revient à demander $g_j(f_1(x),\ldots,f_e(x))
+ = 0$ pour tout $j$ et tout $x\in X$) ;
+\item on dit qu'un morphisme comme ci-dessus envoie le point $x \in X$
+ sur le point $(f_1(x),\ldots,f_e(x)) \in Y$ (c'est-à-dire, le point
+ $(f_1(x),\ldots,f_e(x)) \in k^e$, qui se trouve appartenir à $Y$) ;
+ en pariculier, il définit une fonction $X(k) \to Y(k)$, et plus
+ généralement $X(A) \to Y(A)$ pour toute $k$-algèbre $A$ ;
+\item d'après ce qu'on a dit sur les fonctions régulières (un $f \in
+ \mathcal{O}(X)$ est déterminé par ses valeurs sur $X(k)$, $k$ étant
+ algébriquement clos), un morphisme $f \colon X\to Y$ est déterminé
+ par ses valeurs sur $X(k)$ (toujours : $k$ étant algébriquement
+ clos) ;
+\item on définit la composée d'un morphisme $f \colon X \to Y$ comme
+ ci-dessus (représenté par $f_1,\ldots,f_e \in \mathcal{O}(X)$ si $Y
+ \subseteq \mathbb{A}^e$) et d'un morphisme $g \colon Y \to Z$
+ (représenté par $g_1,\ldots,g_s \in \mathcal{O}(Y)$ si $Z \subseteq
+ \mathbb{A}^s$) de la façon suivante : si $\tilde g_1,\ldots,\tilde
+ g_s \in k[u_1,\ldots,u_e]$ relèvent $g_1,\ldots,g_s$, on représente
+ $g\circ f$ par les éléments $\tilde g_1(f_1,\ldots,f_e), \ldots,
+ \penalty-100 \tilde g_s(f_1,\ldots,f_e) \penalty-50 \in
+ \mathcal{O}(X)$ ; on a, heureusement, $(g\circ f)(x) = g(f(x))$ pour
+ tout $x \in X(k)$ (ou même tout $x \in X(A)$).
+\end{itemize}
+
+Pour dire les choses autrement, un morphisme $X \to \mathbb{A}^e$ est
+la donnée d'un $e$-uplet d'éléments de $\mathcal{O}(X)$, c'est-à-dire
+un élément de $\mathbb{A}^e(\mathcal{O}(X))$, et un morphise $X \to Y$
+où $Y = Z(g_1,\ldots,g_r)$ est la donné d'un élément de
+$Y(\mathcal{O}(X))$. Ceci est encore équivalent à un morphisme de
+$k$-algèbres $f^* \colon \mathcal{O}(Y) \to \mathcal{O}(X)$, d'où la
+philosophie suivante :
+
+\begin{center}
+Un morphisme de $k$-variétés algébriques affines $f\colon X \to Y$ est
+``la même chose'' qu'un morphisme de $k$-algèbres $f^*\colon
+\mathcal{O}(Y) \to \mathcal{O}(X)$.
+\end{center}
+
+Concrètement, avec les notations ci-dessus, le morphisme
+$\mathcal{O}(Y) \buildrel f^*\over \to \mathcal{O}(X)$ serait celui
+qui envoie un élément $h \in \mathcal{O}(Y)$ sur $h(f_1,\ldots,f_e)
+\in \mathcal{O}(X)$. Réciproquement, donné un morphisme
+$\varphi\colon \mathcal{O}(Y) \to \mathcal{O}(X)$ d'anneaux, le
+morphisme $X \to Y$ qui lui correspond est celui qui à un point $x \in
+X$ associe le $y \in Y$ défini par $h(y) = \varphi(h)(x)$ pour tout $h
+\in \mathcal{O}(Y)$.
+
+\smallbreak
+
+Il faut bien se rendre compte que le meme objet --- un morphisme $f
+\colon X \to Y$ de $k$-variétés algébriques --- peut être représenté
+par différentes données plus ou moins équivalentes :
+\begin{itemize}
+\item ($Y$ étant plongé dans $\mathbb{A}^e$ comme
+ $Z(g_1,\ldots,g_r)$,) $e$ éléments de $\mathcal{O}(X)$ vérifiant les
+ équations $g_j(f_1,\ldots,f_e) = 0$ pour tout $j$,
+\item ($Y$ étant plongé dans $\mathbb{A}^e$ comme $Z(g_1,\ldots,g_r)$,
+ et $X$ dans $\mathbb{A}^d$ comme $Z(I)$,) $e$ éléments $\tilde
+ f_1,\ldots,\tilde f_e \in k[t_1,\ldots,t_d]$, vus modulo $I$,
+ définissant une fonction polynomiale $\mathbb{A}^d \to \mathbb{A}^e$
+ telle qu'il se trouve que $g_j(\tilde f_1,\ldots,\tilde f_e) \in I$
+ pour tout $j$,
+\item ($Y$ étant plongé dans $\mathbb{A}^e$ comme $Z(g_1,\ldots,g_r)$,
+ et $X$ dans $\mathbb{A}^d$ comme $Z(I)$, et en utilisant le fait que
+ $k$ est algébriquement clos,) une fonction de $X(k)$ vers $Y(k)$ qui
+ se trouve être la restriction d'une fonction polynomiale $k^d \to
+ k^e$ (c'est-à-dire donnée par $x \mapsto \tilde f_1(x),\ldots,\tilde
+ f_e(x)$ pour certains $\tilde f_1,\ldots,\tilde f_e \in
+ k[t_1,\ldots,t_d]$) qui se trouve avoir envoyer $X(k)$ dans $Y(k)$,
+\item un élément de $Y(\mathcal{O}(X))$,
+\item un morphisme d'anneaux $\mathcal{O}(Y) \to \mathcal{O}(X)$,
+\item pour chaque $k$-algèbre $A$, une application $X(A) \buildrel
+ f(A)\over\to Y(A)$ telle que : si $A \buildrel\psi\over\to A'$ est
+ un morphisme de $k$-algèbres, alors les deux composées $X(A)
+ \buildrel X(\psi)\over\to X(A') \buildrel f(A')\over\to Y(A')$ et
+ $X(A) \buildrel f(A)\over\to Y(A) \buildrel Y(\psi)\over\to Y(A')$
+ coïncident (cf. lemme de Yoneda).
+\end{itemize}
+On aura tendance à confondre silencieusement tout ou partie de ces
+objets. Par ailleurs, on a tendance à appeler $x \mapsto
+(f_1(x),\ldots,f_e(x))$ le morphisme, comme s'il s'agissait simplement
+d'une application (il faut considérer ça comme une application de
+$X(k)$ vers $Y(k)$ définissant le morphisme ou, mieux, de $X(A)$ vers
+$Y(A)$ pour toute $k$-algèbre $A$).
+
+Certaines de ces présentations ne se généraliseront pas (si $k$ n'est
+pas algébriquement clos, si la variété n'est plus affine...) : la
+dernière est, de ce point de vue, la plus robuste.
+
+\emph{Remarque :} Un morphisme $X \to \mathbb{A}^1$ est la même chose
+qu'une fonction régulière sur $X$ (c'était le point de départ, mais il
+est bon d'insister là-dessus).
+
+\smallbreak
+
+\textbf{Exemples :} Considérons la courbe d'équation $y^2 = x^3$,
+c'est-à-dire $C = Z(g)$ où $g = y^2 - x^3 \in k[x,y]$ (anneau des
+polynômes à deux indéterminées $x,y$ sur un corps algébriquement
+clos $k$), et $\mathbb{A}^1$ la droite affine sur $k$. On a
+$\mathcal{O}(C) = k[x,y]/(y^2-x^3)$ et $\mathcal{O}(\mathbb{A}^1) =
+k[t]$. On définit un morphisme $\mathbb{A}^1 \buildrel f\over\to C$
+par $t \mapsto (t^2,t^3)$ : ce morphisme correspond à un morphisme
+d'anneaux dans l'autre sens, $\mathcal{O}(C) \buildrel f^*\over\to
+\mathcal{O}(\mathbb{A}^1)$, donné par $x \mapsto t^2$ et $y \mapsto
+x^3$. Ce morphisme n'est pas un isomorphisme car $t$ n'est pas dans
+l'image de $f^*$. Ceci, bien que $\mathbb{A}^1(k) \to C(k)$ soit une
+bijection au niveau des $k$-points.
+
+Considérons la courbe $C^\sharp$ (la « cubique gauche » affine)
+d'équations $y = z^3$ et $x = z^2$, c'est-à-dire $C^\sharp =
+Z(x-z^2,\penalty-100 y-z^3)$. On a un morphisme $\mathbb{A}^1 \to
+C^\sharp$ envoyant $t$ sur $(t^2, t^3, t)$ : cette fois, ce morphisme
+est un isomorphisme, et sa réciproque est donnée par $(x,y,z) \mapsto
+z$. L'anneau $\mathcal{O}(C^\sharp) = k[x,y,z]/(x-z^2,\penalty-100
+y-z^3)$ est isomorphe à $k[t]$. Par ailleurs, le morphisme
+$\mathbb{A}^1 \to C$ décrit au paragraphe précédent peut être vu comme
+la composée de l'isomorphisme $\mathbb{A}^1 \to C^\sharp$ et de la
+projection $C^\sharp \to C$ décrite par $(x,y,z) \mapsto (x,y)$.
+
+Sur le cercle $C = Z(x^2+y^2-1)$ (pas le même $C$ que dans les deux
+paragraphes précédents, mais le même que dans l'introduction), si $k$
+est de caractéristique $\neq 5$, on peut définir le morphisme $C \to
+C$ de « rotation d'angle $\arctan\frac{3}{4}$ » (terminologie abusive
+si $k$ n'est pas un corps contenant $\mathbb{R}$) ou « multiplication
+ par le point $(\frac{4}{5},\frac{3}{5})$ » par $(x,y) \mapsto
+(\frac{4}{5}x - \frac{3}{5}y, \frac{3}{5}x + \frac{4}{5}y)$. On
+pourrait définir l'opération de composition $C \times C \to C$ par
+$((x,y),(x',y')) \mapsto (xx'-yy', xy'+yx')$ mais il faudrait pour
+cela avoir défini le produit de deux variétés (pour donner un sens à
+$C \times C$), ce qu'on n'a pas encore fait.
+
+\smallbreak
+
+Si $X'$ est un fermé de Zariski de $X$, on a expliqué qu'il y avait
+naturellement un morphisme d'anneaux $\mathcal{O}(X) \to
+\mathcal{O}(X')$ (consistant à restreindre à $X'$ une fonction
+régulière sur $X$) : le morphisme de variétés algébriques $X' \to X$
+qui lui est associé est tout simplement le morphisme d'inclusion de
+$X'$ dans $X$, qu'on appelle \textbf{immersion fermée} ou
+\textbf{plongement} de la sous-variété fermée $X'$ dans $X$.
+
+De façon très liée, si $f \colon X\to Y$ est un morphisme de
+$k$-variétés on peut, dans ce contexte, définir la restriction de $f$
+à $X'$ (parfois notée $f|_{X'}$) comme la composée $X' \to X \to Y$ où
+$X' \to X$ est l'immersion de $X'$ dans $X$ ; si on voit $f$ comme
+défini par $e$ fonctions régulières sur $X$ (c'est-à-dire $Y$ plongé
+dans $\mathbb{A}^e$), les fonctions définissant $f|_{X'}$ sont
+simplement $f_1|_{X'},\ldots,f_e|_{X'}$.
+
+\medbreak
+
+\textbf{Variétés algébriques affines abstraites, et le spectre d'une
+ algèbre.}
+
+\textbf{Note :} On considère que deux variétés algébriques (affines)
+sont « la même » lorsqu'elle sont isomorphes, alors que deux fermés de
+Zariski sont « le même » lorsqu'ils sont égaux dans le $\mathbb{A}^d$
+dans lequel ils vivent. Par exemple, la cubique gauche $C^\sharp$
+décrite ci-dessus, en tant que fermé de Zariski, n'est pas une droite,
+mais en tant que variété algébrique affine c'est juste $\mathbb{A}^1$
+puisqu'on a montré qu'elle lui était isomorphe. Ou, si on préfère, un
+fermé de Zariski de $\mathbb{A}^d$ est la donnée d'une variété
+algébrique affine \emph{plus} un plongement de celle-ci
+dans $\mathbb{A}^d$.
+
+Dans cette optique, si $R$ est une $k$-algèbre de type fini (on
+rappelle, cf. \ref{finite-type-algebras}, que cela signifie que $R$
+est engendrée en tant qu'algèbre par un nombre fini d'éléments
+$x_1,\ldots,x_d$, autrement dit que $R$ peut se voir comme le quotient
+de $k[t_1,\ldots,t_d]$ par un idéal $(f_1,\ldots,f_r)$ de ce dernier)
+et si $R$ est réduite, alors on peut voir $R$ comme l'anneau
+$\mathcal{O}(X)$ pour une certaine variété algébrique $X$, à savoir le
+$X = Z(f_1,\ldots,f_r)$ défini par les équations
+$f_1=0,\ldots,\penalty-100 f_r=0$ dans $\mathbb{A}^d$. Cette variété
+est unique en ce sens que toutes les variétés $X$ telles que
+$\mathcal{O}(X) = R$ sont isomorphes (puisque leurs $\mathcal{O}(X)$
+sont isomorphes, justement). On peut donc donner un nom à $X$ : c'est
+le \textbf{spectre} de $R$, noté $\Spec R$. (Par exemple, $\Spec k[t]
+= \mathbb{A}^1_k$ et plus généralement $\Spec k[t_1,\ldots,t_d] =
+\mathbb{A}^d_k$. Et bien sûr, $\Spec k$ est vu comme un point, ou,
+pour être plus explicite, un $k$-point.)
+
+(\emph{Avertissement 1 :} Tout le monde est d'accord sur l'identité de
+$\Spec R$ en tant qu'objet géométrique, en l'occurrence, une variété
+algébrique affine ; par exemple, $\Spec k[x,y]/(x^2+y^2-1)$ est
+indubitablement une vision idéalisée du « cercle unité ». Néanmoins,
+il existe différentes façons de formaliser la notion de variété
+algébrique : comme nous nous sommes placés sur $k$ un corps
+algébriquement clos, nous avons vu $\Spec R$ plutôt comme l'ensemble
+des idéaux maximaux de $R$ ; une description qui marche mieux en
+général, et qu'on retrouve souvent, consiste à formaliser $\Spec R$
+comme l'ensemble des idéaux \emph{premiers} de $R$ ; enfin, une autre
+description, tout à fait générale, consiste à voir $\Spec R$ par ce
+qu'on a appelé son foncteur des points, c'est-à-dire la donnée pour
+chaque $k$-algèbre $A$ de l'ensemble $(\Spec R)(A) = \Hom_k(R,A)$, et
+pour chaque morphisme de $k$-algèbres $\varphi\colon A \to A'$, de
+l'application $(\Spec R)(\varphi) \colon \Hom_k(R,A) \to \Hom_k(R,A')$
+qui s'en déduit.)
+
+(\emph{Avertissement 2 :} Les gens savants n'ont pas peur de définir
+$\Spec R$ même si $R$ n'est pas réduite, c'est-à-dire, a des
+nilpotents. Il faut imaginer, par exemple, que si $R = k[\varepsilon]
+:= k[t]/(t^2)$, alors $\Spec R$ est un point « un peu épaissi », ou
+entouré d'un « flou infinitésimal », comparé à $\Spec k$ qui est un
+point sans ornement de ce genre. Ce point de vue rend plus difficile
+la vision géométrique des choses, mais a des avantages considérables,
+par exemple qu'un morphisme $\Spec k[\varepsilon] \to X$ peut se voir
+comme un vecteur tangent à $X$.)
+
+%
+\subsection{La topologie de Zariski}
+
+On appelle \textbf{ouvert de Zariski} dans $k^d$ (toujours avec $k$ un
+corps algébriquement clos) le complémentaire d'un fermé de Zariski.
+Autrement dit, si $I$ est un idéal de $k[t_1,\ldots,t_d]$, on définit
+$U(I) = \{(x_1,\ldots,x_d) \in k^d :\penalty0 (\exists f\in I)\,
+f(x_1,\ldots,x_d) \neq 0\}$ le complémentaire de $Z(I)$ : un ouvert de
+Zariski de $k^d$ est un ensemble de la forme $U(I)$. Plus
+généralement, si $X$ est une variété algébrique affine, si $I$ est un
+idéal de $\mathcal{O}(X)$, on définit $U(I) = \{(x_1,\ldots,x_d) \in X
+:\penalty0 (\exists f\in I)\, f(x_1,\ldots,x_d) \neq 0\}$ le
+complémentaire de $Z(I)$ : on appelle ces ensembles ouverts de Zariski
+de $X$. (Pour l'instant, on les voit comme des ensembles de
+$k$-points, on verra plus loin comment définir leurs $A$-points, leurs
+morphismes, etc.)
+
+Étant donné qu'une intersection quelconque ou une réunion finie de
+fermés sont des fermés, dualement, \emph{une réunion quelconque ou une
+ intersection finie d'ouverts sont des ouverts} (par ailleurs,
+l'ensemble vide et l'ensemble plein sont des ouverts) --- ces
+propriétés sont constitutives de la notion de \emph{topologie}, en
+l'occurrence la \textbf{topologie de Zariski} (sur l'ensemble $k^d$ ou
+$X(k)$).
+
+\smallbreak
+
+Si $X'$ est un fermé de Zariski de $X$, alors les fermés et ouverts de
+Zariski de $X'$ sont précisément les intersections avec $X'$ des
+fermés et ouverts de Zariski de $X$. (On dit que la topologie de $X'$
+est \emph{induite} par celle de $X$.)
+
+\smallbreak
+
+Si $I$ est engendré par les éléments $f_1,\ldots,f_r$, on peut écrire
+$U(I) = D(f_1) \cup \cdots \cup D(f_r)$ où $D(f_i) := U(\{f_i\})$ est
+l'ouvert où $f_i$ ne s'annule pas. Les $D(f)$ s'appellent parfois
+\emph{ouverts principaux}, on verra plus loin pourquoi il est utile de
+les distinguer ; ceci montre qu'ils forment une \emph{base d'ouverts}
+(un ensemble d'ouverts stable par intersections fines est dit former
+une base d'ouverts pour une topologie lorsque tout ouvert est une
+réunion d'une sous-famille d'entre eux).
+
+\begin{prop}\label{covering-by-principal-open-sets}
+Si $X$ est une variété algébrique affine et $f_i \in \mathcal{O}(X)$
+(pour $i \in \Lambda$ disons), alors $\bigcup_{i\in\Lambda} D(f_i) =
+X$ si et seulement si les $f_i$ engendrent l'idéal unité
+dans $\mathcal{O}(X)$ (c'est-à-dire ssi il existe des $g_i$, tous nuls
+sauf un nombre fini, tels que $\sum_{i\in\Lambda} g_i f_i = 1$).
+\end{prop}
+\begin{proof}
+Dire $\bigcup_{i\in\Lambda} D(f_i) = X$ équivaut à
+$\bigcap_{i\in\Lambda} Z(f_i) = \varnothing$, c'est-à-dire encore
+$Z(\{f_i\}) = \varnothing$, soit encore $Z(I) = \varnothing$ où $I$
+est l'idéal engendré par les $f_i$, et l'énoncé découle du
+Nullstellensatz faible.
+\end{proof}
+
+On aura besoin pour la suite de remarquer que $D(f) \cap D(f') =
+D(ff')$.
+
+\smallbreak
+
+Un peu de vocabulaire de topologie : dans ce qui suit, on suppose que
+$X$ est un ensemble muni d'une topologie (c'est-à-dire un ensemble de
+parties de $X$ dites « ouvertes » contenant $\varnothing$ et $X$ et
+telles qu'une réunion quelconque ou une intersection finie d'ouverts
+sont des ouverts), sachant qu'on s'intéresse évidemment au cas de la
+topologie de Zariski.
+
+Si $x \in U \subseteq V$ avec $U$ ouvert (et $V$ une partie quelconque
+de $X$), on dit que $V$ est un \textbf{voisinage} de $x$. (Un
+voisinage ouvert de $x$ est donc tout simplement la même chose qu'un
+ouvert contenant $x$.)
+
+Si $E \subseteq X$ est une partie quelconque, l'intersection de tous
+les fermés (=complémentaires des ouverts) contenant $E$, c'est-à-dire
+le plus petit fermé contenant $E$, s'appelle \textbf{adhérence}
+de $E$, parfois notée $\overline{E}$. Il s'agit de l'ensemble des $x
+\in X$ tels que tout voisinage de $x$ rencontre $E$. Lorsque
+l'adhérence de $E$ est $X$ tout entier, on dit que $E$ est
+\textbf{dense} dans $X$.
+
+On dit que $X$ est \textbf{irréductible} lorsque toute écriture $X =
+F' \cup F''$ avec $F',F''$ fermés impose $F' = X$ ou $F'' = X$ ; de
+façon équivalente, cela signifie que tout ouvert non vide de $X$ est
+dense.
+
+On dit que $X$ est \textbf{connexe} lorsque ($X$ est non vide et que)
+$\varnothing$ et $X$ sont les seuls ensembles à la fois ouverts et
+fermés dans $X$. (« Irréductible » est plus fort que « connexe », car
+si $X$ est irréductible, tout ouvert non vide est dense, et en
+particulier le seul ouvert fermé non vide est $X$ tout entier.)
+
+On dit que $X$ est \textbf{quasi-compact} lorsque dès qu'on a une
+écriture $X = \bigcup_{i\in \Lambda} U_i$ avec $U_i$ ouverts
+(autrement dit, un recouvrement ouvert de $X$), il existe $\Xi
+\subseteq \Lambda$ fini tel que $X = \bigcup_{i\in\Xi} U_i$.
+
+\smallbreak
+
+Dans le cas de la topologie de Zariski sur une variété algébrique
+affine $X$ sur un corps algébriquement clos $k$ (c'est-à-dire,
+sur $X(k)$) :
+\begin{itemize}
+\item $X$ est irréductible ssi $\mathcal{O}(X)$ est intègre
+ (cf. \ref{closed-irreducible-iff-prime-ideal}),
+\item $X$ est toujours quasi-compact (découle
+ de \ref{covering-by-principal-open-sets} : si $f_i$ engendrent
+ l'idéal unité, un sous-ensemble fini d'entre eux l'engendrent ---
+ même sans utiliser le caractère noethérien de l'anneau),
+\item l'adhérence de Zariski d'une partie $E \subseteq X(k)$ est
+ $Z(\mathfrak{I}(E))$ (en effet, ceci est un fermé de Zariski
+ contenant $E$, et si $Z(J) \supseteq E$ est un autre fermé de
+ Zariski contenant $E$ alors on a vu $J \subseteq \mathfrak{I}(E)$
+ donc $Z(J) \supseteq Z(\mathfrak{I}(E))$ --- ceci montre que
+ $Z(\mathfrak{I}(E))$ est bien le plus petit pour l'inclusion fermé
+ de Zariski contenant $E$).
+\end{itemize}
+
+Exemple (idiot) : On suppose $k$ de caractéristique zéro, disons $k =
+\mathbb{C}$ ; quelle est l'adhérence de Zariski de $\mathbb{Z}$ dans
+$\mathbb{A}^1(k)$ ? Réponse : L'ensemble $\mathfrak{I}(\mathbb{Z})$
+des polynômes s'annulant en chaque point de $\mathbb{Z}$ est réduit
+à $(0)$ puisqu'un polynôme en une variable ne peut avoir qu'un nombre
+fini de racines ; donc l'adhérence de Zariski de $\mathbb{Z}$ est
+$Z(\mathfrak{I}(\mathbb{Z})) = \mathbb{A}^1(k)$ tout entier,
+c'est-à-dire que $\mathbb{Z}$ est dense dans la droite affine pour la
+topologie de Zariski. Plus généralement, on peut facilement montrer
+que les seuls fermés de Zariski de $\mathbb{A}^1(k)$ sont la droite
+$\mathbb{A}^1(k)$ tout entière et les parties \emph{finies}.
+
+\medbreak
+
+\textbf{Composantes connexes.}
+
+\begin{prop}
+Si $X$ est une variété algébrique affine, alors $X$ est connexe si et
+seulement si les seuls éléments $e \in \mathcal{O}(X)$ vérifiant $e^2
+= e$ (appelés \textbf{idempotents}) sont $0$ et $1$.
+\end{prop}
+\begin{proof}
+Si $e^2=e$ avec $e \neq 0,1$, alors $e(1-e) = 0$. On a donc $X = Z(e)
+\cup Z(1-e)$ ; et $Z(e) \cap Z(1-e) = \varnothing$ (car $e,1-e$
+engendrent l'idéal unité, si on veut). Donc $Z(e)$ et $Z(1-e)$ sont
+deux fermés complémentaires l'un de l'autre, donc ils sont aussi
+ouverts. Comme $e$ n'est pas nul, $Z(e)$ n'est pas $X$ tout entier,
+et de même pour $Z(1-e)$ car $e \neq 1$ ; donc $Z(e)$ est un ouvert
+fermé autre que $\varnothing$ et $X$, et $X$ n'est pas connexe.
+
+Réciproquement, supposons que $X'$ soit un ouvert fermé dans $X$ autre
+que $\varnothing$ et $X$, et soit $X''$ son complémentaire, qui
+vérifie les mêmes conditions. On peut écrire $X' = Z(I')$ et $X'' =
+Z(I'')$ avec $I',I''$ deux idéaux radicaux stricts
+de $\mathcal{O}(X)$. Puisque $X' \cap X'' = \varnothing$, on a $I' +
+I'' = (1)$ (où $(1)$ désigne l'idéal unité,
+c'est-à-dire $\mathcal{O}(X)$ tout entier) ; il existe donc $e \in I'$
+tel que $1-e \in I''$. Mais alors $e(1-e) \in I' \cap I''$, or $I'
+\cap I'' = (0)$ car $X' \cup X'' = X$. On a donc $e^2 = e$, et $e
+\neq 1$ car $e$ appartient à un idéal strict, et $e \neq 0$ car $1-e
+\neq 1$.
+\end{proof}
+
+On pourrait montrer :
+\begin{prop}
+Toute variété algébrique affine $X$ est réunion d'un nombre fini de
+fermés connexes. De plus, il existe une écriture $X = \bigcup_{i=1}^n
+X_i$ vérifiant $X_i \cap X_j = \varnothing$ pour $i \neq j$, et une
+telle écriture est unique (à l'ordre des facteurs près) : les $X_i$
+s'appellent les \textbf{composantes connexes} de $X$.
+\end{prop}
+
+\medbreak
+
+\textbf{Composantes irréductibles.}
+
+\begin{prop}
+Toute variété algébrique affine $X$ est réunion d'un nombre fini de
+fermés irréductibles. De plus, il existe une écriture $X =
+\bigcup_{i=1}^n X_i$ vérifie $X_i \not\subseteq X_j$ pour $i \neq j$,
+et une telle écriture est unique (à l'ordre des facteurs près) : les
+$X_i$ s'appellent les \textbf{composantes irréductibles} de $X$.
+\end{prop}
+\begin{proof}
+Montrons par l'absurde que $X$ est réunion d'un nombre fini de fermés
+irréductibles : comme $X$ n'est pas lui-même irréductible, on peut
+écrire $X = X_1 \cup X'_1$ avec $X_1$, $X'_1$ fermés stricts dans $X$,
+et l'un d'entre eux ne doit pas être irréductible, disons $X_1$, donc
+on peut écrire $X_1 = X_2 \cup X'_2$, et ainsi de suite. On obtient
+ainsi une suite de fermés strictement décroissante pour l'inclusion $X
+\supsetneq X_1 \supsetneq X_2 \supsetneq\cdots$, qui correspond à une
+suite strictement croissante d'idéaux (radicaux) dans
+$\mathcal{O}(X)$, ce qui est impossible car $\mathcal{O}(X)$ est
+noethérien (cf. \ref{finite-type-algebras-are-noetherian}).
+
+On peut donc écrire $X = \bigcup_{i=1}^n X_i$, et quitte à jeter les
+$X_i$ déjà inclus dans un autre $X_j$ (et à répéter le processus si
+nécessaire), on peut supposer $X_i \not\subseteq X_j$ pour $i \neq j$.
+
+Montrons enfin l'unicité. Si $X = \bigcup_{i=1}^n X_i =
+\bigcup_{j=1}^p Y_j$ sont deux telles écritures, on a $X_i =
+\bigcup_{j=1}^p (X_i \cap Y_j)$. Comme $X_i$ est irréductible, l'un
+des $X_i\cap Y_j$ doit être égal à $X_i$, c'est-à-dire $X_i \subseteq
+Y_j$ ; par symétrie de l'argument, ce $Y_j$ est lui-même inclus dans
+un $X_{i'}$, et comme $X_i \subseteq X_{i'}$, la condition sur la
+décomposition donne $i'=i$, donc $Y_j = X_i$ et on a bien montré que
+chaque $X_i$ est un des $Y_j$ et vice versa.
+\end{proof}
+
+\textbf{Exemple :} $Z(xy) \subseteq \mathbb{A}^2$ a pour composantes
+irréductibles $Z(x)$ et $Z(y)$. En revanche, il est connexe (=sa
+seule composante connexe est lui-même) : en effet, si $U$ est un
+ouvert fermé de $Z(xy)$, quitte à remplacer $U$ par son complémentaire
+on peut supposer que $U$ contient $(0,0)$, et alors $U$ est un ouvert
+fermé rencontrant $Z(x)$ et $Z(y)$ à la fois --- mais comme ceux-ci
+sont irréductibles, et en particulier connexes, $U \cap Z(x) = Z(x)$
+et $U \cap Z(y) = Z(y)$, ce qui montre $U = Z(xy)$.
+
+%
+\subsection{Structure de variété affine d'un ouvert principal}
+
+Pour l'instant, on n'a appelé « variété » qu'un fermé de Zariski. On
+voudrait étendre le terme de sorte qu'au moins les \emph{ouverts} de
+Zariski deviennent des variétés. Pour l'instant, on va regarder le
+cas d'un ouvert principal $D(f) = \{x : f(x) \neq 0\}$ : on souhaite
+définir, si possible en motivant intuitivement, ce que seront les
+fonctions régulières sur $D(f)$ et les morphismes depuis et
+vers $D(f)$.
+
+\smallbreak
+
+\textbf{Motivation.} Partons de l'exemple le plus simple : $U = D(t) =
+\{t : t\neq 0\}$, le complémentaire de l'origine dans $\mathbb{A}^1$.
+On sait qu'un morphisme $X \buildrel f\over\to \mathbb{A}^1$ (si $X$
+est une variété algébrique affine) est la même chose qu'une fonction
+régulière sur $X$, c'est-à-dire, un élément $f$ de $\mathcal{O}(X)$.
+Que doit être un morphisme $X \buildrel f\over\to U$ ? Certainement
+on veut pouvoir le voir (en composant par l'inclusion $U \to
+\mathbb{A}^1$) comme une sorte particulière de morphismes $X \buildrel
+f\over\to \mathbb{A}^1$, donc de fonctions régulières sur $X$ :
+essentiellement, celles qui « évitent zéro » (ou « ne prennent pas la
+ valeur zéro »). Or dire que $f(x) \neq 0$ pour tout $x \in X(k)$
+(pour $k$ algébriquement clos !) signifie $f \not\in \mathfrak{m}_x$
+pour tout idéal maximal $\mathfrak{m}_x$ (on sait d'après les
+résultats autour du Nullstellensatz
+(cf. \ref{maximal-ideals-of-polynomial-algebras}) que tout idéal
+maximal de $\mathcal{O}(X)$ est de la forme $\mathfrak{m}_x := \{f :
+f(x) = 0\}$) ; or dire qu'un élément $f$ d'un anneau n'appartient à
+\emph{aucun} idéal maximal signifie qu'il n'appartient à aucun idéal
+strict (cf. \ref{existence-maximal-ideals}), donc que l'idéal qu'il
+engendre est l'idéal unité, c'est-à-dire que $f$ est
+\emph{inversible}. \underline{Moralité :} les morphismes $X \to U$
+devraient être les éléments inversibles de $\mathcal{O}(X)$.
+
+A contrario, quels devraient être les fonctions régulières sur $U$ ?
+On veut au moins avoir l'inclusion $U \to \mathbb{A}^1$, qui
+déterminerait une fonction régulière $t$ sur $U$, et plus généralement
+tout élément de $k[t]$, comme il détermine un morphisme $\mathbb{A}^1
+\to \mathbb{A}^1$, devrait déterminer une fonction régulière sur $U$.
+Mais il y a plus : d'après ce qu'on a dit ci-dessus, si on souhaite
+que $U$ se comporte comme une variété algébrique affine, l'identité $U
+\to U$, c'est-à-dire l'élément $t$, devrait être un élément
+\emph{inversible} de $\mathcal{O}(U)$. Il faut donc trouver une façon
+de rendre $t$ inversible : or on en a trouvé une, c'est la
+localisation. On va donc poser $\mathcal{O}(U) = k[t][\frac{1}{t}] =:
+k[t,t^{-1}]$, l'anneau des fractions rationnelles de la forme
+$\frac{f}{t^s}$ avec $f \in k[t]$ et $s\in \mathbb{N}$. Cet anneau
+est d'ailleurs isomorphe (via $t \mapsto x$ et $t^{-1} \mapsto y$) à
+$k[x,y]/(xy-1)$, l'anneau de l'hyperbole d'équation $xy=1$ : or il
+semble naturel de considérer $U$ (la droite privée d'un point) comme
+la projection $(x,y) \mapsto x$ de cette hyperbole $Z(xy-1)$. Ceci
+est cohérent avec ce qu'on a décidé ci-dessus : les morphismes
+$k[t,t^{-1}] \to A$, pour toute $k$-algèbre $A$, s'identifient aux
+éléments inversibles de $A$.
+
+Toute cette motivation semble justifier d'identifier l'ouvert $U =
+D(t) = \{t : t\neq 0\}$ de $\mathbb{A}^1$ avec la variété algébrique
+affine $\Spec k[t,t^{-1}]$ associée à l'anneau $k[t,t{^-1}]$.
+
+Plus généralement, on voudrait adopter le :
+\begin{princ}
+Si $f \in \mathcal{O}(X)$, avec $X$ une variété algébrique affine, on
+considérera $D(f)$ lui-même comme la variété algébrique affine $\Spec
+\mathcal{O}(X)[\frac{1}{f}]$, associé à l'anneau
+$\mathcal{O}(X)[\frac{1}{f}]$ localisé de $\mathcal{O}(X)$
+inversant $f$.
+\end{princ}
+
+(Noter que $R[\frac{1}{f}] = R[z]/(zf-1)$ de façon générale.)
+
+Pour justifier que le principe ci-dessus est sensé, on a besoin d'un
+certains nombre de vérifications de routine, notamment :
+\begin{prop}
+Si $f \in \mathcal{O}(X)$, avec $X$ une variété algébrique affine sur
+un corps algébriquement clos $k$, et si $\iota\colon \mathcal{O}(X)
+\to \mathcal{O}(X)[\frac{1}{f}],\penalty-100\; h \mapsto \frac{h}{1}$
+désigne le morphisme naturel vers le localisé :
+\begin{itemize}
+\item les idéaux maximaux (resp. premiers)
+ de $\mathcal{O}(X)[\frac{1}{f}]$ sont en bijection avec les idéaux
+ maximaux de $\mathcal{O}(X)$ ne contenant pas $f$
+ (cf. \ref{properties-localization}) ; et si $\psi \colon D(f) \to \Spec
+ \mathcal{O}(X)[\frac{1}{f}]$ désigne cette bijection, envoyant un
+ point $x$ de $D(f) \subseteq X$, vu comme idéal maximal
+ $\mathfrak{m}_x$ de $\mathcal{O}(X)$ ne contenant pas $f$, sur le
+ point $\psi(x)$ défini par l'idéal maximal
+ $\iota^{-1}(\mathfrak{m}_x)$, alors :
+\item $\psi$ met en bijection les ouverts de Zariski de $X$ contenus
+ dans $D(f)$ avec les ouverts de Zariski de $X' := \Spec
+ \mathcal{O}(X)[\frac{1}{f}]$, et les ouverts principaux contenus
+ dans $D(f)$ (c'est-à-dire les $D(gf) = D(g)\cap D(f)$) avec les
+ ouverts principaux de $X'$ (et précisément $D(gf)$ avec
+ $D(\iota(g))$), et
+\item si $h \in \mathcal{O}(X)$ et $x \in D(f)$, alors $h(x)$ coïncide
+ avec $\iota(h)(\psi(x))$ (vus comme éléments de $k$).
+\end{itemize}
+\end{prop}
+
+De ce principe découlent :
+\begin{defn}
+Si $f \in \mathcal{O}(X)$, avec $X$ une variété algébrique affine,
+l'anneau $\mathcal{O}(D(f))$ des fonctions régulières sur $D(f)$ sera
+par définition $\mathcal{O}(X)[\frac{1}{f}]$. La \textbf{restriction}
+$h|_{D(f)}$ d'une fonction régulière $h \in \mathcal{O}(X)$ à $D(f)$
+sera par définition $\iota(h) := \frac{h}{1} \in
+\mathcal{O}(X)[\frac{1}{f}]$.
+
+Si $f \in \mathcal{O}(X)$, avec $X$ une variété algébrique affine, et
+$Y$ est une variété algébrique affine, un morphisme $D(f) \to Y$ sera
+identifié à la donnée d'un élément de $Y(\mathcal{O}(X)[\frac{1}{f}])$
+ou d'un morphisme de $k$-algèbres $\mathcal{O}(Y) \to
+\mathcal{O}(X)[\frac{1}{f}]$ (c'est-à-dire, concrètement, si $Y$ est
+vu plongé comme un fermé de Zariski de $\mathbb{A}^e$, comme $e$
+éléments de $\mathcal{O}(X)[\frac{1}{f}]$ vérifiant les équations
+de $Y$).
+
+Si $A$ est une $k$-algèbre, l'ensemble $D(f)(A)$ des $A$-points de
+$D(f)$ sera le sous-ensemble de $X(A)$ formé des $x \in X(A)$ tels que
+$f(x) \in A$ soit inversible. (Et si $A \buildrel\varphi\over\to A'$
+est un morphisme d'anneaux, $U(I)(\varphi)\colon U(I)(A) \to U(I)(A')$
+est la restriction de $X(\varphi)\colon X(A) \to X(A')$ à $U(I)(A)$.)
+
+Si $g \in \mathcal{O}(Y)$, avec $Y$ une variété algébrique affine, et
+$X$ est une variété algébrique affine, un morphisme $X \to D(g)$ sera
+identifié à la donnée d'un morphisme $h\colon X \to Y$ tel que
+l'élément $h^*(g) \in \mathcal{O}(X)$ (c'est-à-dire la composée de
+$h\colon X\to Y$ avec $g \in \mathcal{O}(Y)$ vu comme un morphisme $Y
+\to \mathbb{A}^1$) soit inversible.
+
+Si $f \in \mathcal{O}(X)$, avec $X$ une variété algébrique affine, et
+si $g \in \mathcal{O}(Y)$, avec $Y$ une variété algébrique affine, un
+morphisme $D(f) \to D(g)$ sera identifié à la donnée d'un élément $h$
+de $Y(\mathcal{O}(X)[\frac{1}{f}])$ (ou d'un morphisme $h^* \colon
+\mathcal{O}(Y) \to \mathcal{O}(X)[\frac{1}{f}]$ de $k$-algèbres) tel
+que $h^*(g)$ soit inversible, ou, ce qui revient encore au même, un
+morphisme $\mathcal{O}(Y)[\frac{1}{g}] \to
+\mathcal{O}(X)[\frac{1}{f}]$ de $k$-algèbres.
+\end{defn}
+
+De nouveau, il existe beaucoup de façons de voir la même donnée !
+
+Lorsque $\mathcal{O}(X)$ est intègre (c'est-à-dire que la variété $X$
+est irréductible), on peut voir $\mathcal{O}(D(f))$ de façon simple à
+l'intérieur du corps des fractions de $\mathcal{O}(X)$ : ce sont les
+éléments de $\Frac(\mathcal{O}(X))$ qui peuvent s'écrire comme
+une fraction dont le dénominateur est une puissance de $f$.
+
+
+%
+\subsection{Introduction au recollement}
+
+La proposition suivante peut paraître innocente, mais elle est
+fondamentale :
+
+\begin{prop}
+Si $X$ est une variété algébrique affine recouverte par des $D(f_i)$
+(c'est-à-dire, cf. \ref{covering-by-principal-open-sets}, que les
+$f_i \in \mathcal{O}(X)$, qu'on pourra toujours supposer en nombre
+fini, engendrent l'idéal unité), alors :
+\begin{enumerate}
+\item si une fonction régulière $h \in \mathcal{O}(X)$ a une
+ restriction $h|_{D(f_i)}$ nulle sur chacun des $D(f_i)$ alors $h$
+ est nulle,
+\item donnée une fonction régulière $h_i \in \mathcal{O}(D(f_i)) =
+ \mathcal{O}(X)[\frac{1}{f_i}]$ pour chaque $i$, telles que
+ $h_i|_{D(f_i)\cap D(f_j)} = h_j|_{D(f_i)\cap D(f_j)}$ pour
+ chaque $i,j$ (autrement dit, les $h_i$ coïncident sur leurs
+ intersections ; on rappelle que $D(f_i) \cap D(f_j) = D(f_i f_j)$),
+ il existe une fonction régulière $h \in \mathcal{O}(X)$,
+ nécessairement unique d'après le point précédent, telle que
+ $h|_{D(f_i)} = h_i$ pour tout $i$.
+\end{enumerate}
+\end{prop}
+
+En clair : pour se donner une fonction régulière sur $X$, il suffit de
+se donner sa restriction à des ouverts principaux $D(f_i)$
+recouvrant $X$, et pour que de telles restrictions définissent bien
+une fonction régulière sur tout $X$, c'est-à-dire « se recollent », il
+suffit (comme il faut !) qu'elles soient cohérentes sur les
+intersections de deux d'entre eux. On traduit ce fait en disant que
+la donnée des $\mathcal{O}(D(f))$ (y compris $\mathcal{O}(X)$
+lui-même) et des morphismes de restrictions entre eux forme un
+\textbf{faisceau} (sur la base d'ouverts formée des ouverts
+principaux).
+
+Ceci est la conséquence (reformulation) du résultat purement
+algébrique suivant :
+\begin{prop}
+Soit $R$ un anneau et $f_i \in R$ des éléments engendrant l'idéal
+unité. Alors :
+\begin{enumerate}
+\item si $h \in R$ a une image $\iota_i(h)$ nulle dans chaque
+ $R[\frac{1}{f_i}]$ alors $h$ est nul,
+\item donnée un élément $h_i \in R[\frac{1}{f_i}]$ pour chaque $i$,
+ tels que $\iota_{i,j}(h_i) = \iota_{j,i}(h_j) \in R[\frac{1}{f_i
+ f_j}]$ pour chaque $i,j$ (où on identifie tacitement
+ $R[\frac{1}{f_i f_j}]$ à $R[\frac{1}{f_i}][\frac{1}{f_j}]$ et
+ $R[\frac{1}{f_j}][\frac{1}{f_i}]$), il existe un unique $h \in R$,
+ nécessairement unique d'après le point précédent, tel que
+ $\iota_i(h) = h_i \in R[\frac{1}{f_i}]$ pour tout $i$.
+\end{enumerate}
+\end{prop}
+\begin{proof}[Démonstration du premier point]
+Mettons $\sum g_i f_i = 1$ : on oublie tous les $f_i$ sauf le nombre
+fini d'entre eux qui intervient vraiment dans cette somme. Dire que
+$h$ a une image nulle dans $R[\frac{1}{f_i}]$ signifie qu'il existe
+$N_i$ entier assez grand tel que $f_i^{N_i} h = 0$ ; en élevant
+l'équation $\sum g_i f_i$ à une puissance $N$ assez grande (par
+exemple $\sum N_i$), on peut s'arranger pour que chaque terme du
+développement fasse intervenir un certain $f_i$ à la puissance $N_i$
+au moins. Ceci montre $(\sum g_i f_i)^N\, h = 0$. Or $(\sum g_i
+f_i)^N = 1$, donc $h = 0$.
+\end{proof}
+\begin{proof}[Esquisse de démonstration du second point]
+On écrit $h_i = \frac{p_i}{f_i^{N_i}}$, et de nouveau, en élevant
+$\sum g_i f_i = 1$ à une puissance $N$ assez grande on peut s'arranger
+pour que chaque terme $t_{\cdots} = c_{\cdots} \prod_i f_i^{n_i}$
+fasse intervenir un des $f_i$ à une puissance $n_i$ au moins égale
+à $N_i$ ; on appelle $h$ la somme des $c_{\cdots} p_i f_i^{n_i-N_i}
+\prod_{j\neq i} f_j^{n_j}$ où le facteur $f_i^{N_i}$ correspondant a
+été remplacé par $p_i$ (ce qui vaut donc $t_{\cdots} h_i$ dans
+$R[\frac{1}{f_i}]$ --- on peut donc vérifier que $\iota_i(h) = h_i$).
+\end{proof}
+
+On peut de même fabriquer des morphismes par recollement :
+\begin{cor}
+Si $X$ est une variété algébrique affine recouverte par des $D(f_i)$,
+alors se donner un morphisme $X \to Y$, pour $Y$ une variété
+algébrique affine quelconque, équivaut à se donner des morphismes
+$D(f_i) \to Y$ pour chaque $f_i$, qui coïncident sur les intersections
+$D(f_i) \cap D(f_j)$ (pour chaque $i,j$).
+\end{cor}
+
+Ceci est la clé pour définir les variétés algébriques non
+nécessairement affines, selon le principe général vague suivant :
+\begin{princ}
+Une variété algébrique non nécessairement affine $X$ est obtenue en
+« recollant » des variétés algébriques affines $X_i$ ; une fonction
+régulière sur $X$ est la donnée d'une fonction régulière sur chaque
+$X_i$ qui coïncident aux intersections ; un morphisme de $X$ vers une
+variété algébrique affine $Y$ est, de même, la donnée de morphismes
+$X_i \to Y$ qui se recollent.
+
+On dira que $X$ est \emph{affine} lorsque $X$ est isomorphe à une
+variété algébrique $\Spec R$ avec $R$ algèbre de type finie réduite,
+ou, de façon équivalente, lorsque le morphisme $X \to \Spec
+\mathcal{O}(X)$, où $\mathcal{O}(X)$ est l'anneau des fonctions
+régulières sur $X$, défini naturellement, est, en fait, un
+isomorphisme.
+\end{princ}
+
+
+%
+\subsection{Variétés algébriques quasi-affines}
+
+Une variété algébrique quasi-affine est un ouvert \emph{non
+ nécessairement principal} d'une variété algébrique affine $X$,
+c'est-à-dire, d'un fermé de Zariski dans l'espace affine. Un tel
+ouvert peut s'écrire $U(I) := X \setminus Z(I)$ avec $I$ idéal
+de $\mathcal{O}(X)$, et il est recouvert par des $D(f_i)$ lorsque les
+$f_i$ engendrent l'idéal $\surd I$.
+
+\begin{defn}
+Si $I$ est un idéal de $\mathcal{O}(X)$, avec $X$ une variété
+algébrique affine, une fonction régulière sur $U(I) := X \setminus
+Z(I)$ sera par définition la donnée d'une fonction régulière $h_i$ sur
+chaque $D(f_i)$ où les $f_i \in \mathcal{O}(X)$ engendrent $I$, telles
+que $h_i$ et $h_j$ coïncident sur $D(f_i) \cap D(f_j)$ ; on identifie
+deux telles données lorsqu'elles coïncident sur toutes les
+intersections possibles.
+
+Si $I$ est un idéal de $\mathcal{O}(X)$, avec $X$ une variété
+algébrique affine, et $Y$ est une variété algébrique affine, un
+morphisme $U(I) \to Y$ sera identifié à la donnée d'un morphisme
+$D(f_i) \to Y$ pour chaque $f_i$ où les $f_i \in \mathcal{O}(X)$
+engendrent $I$, qui coïncident sur les $D(f_i) \cap D(f_j)$ ; on
+identifie deux telles données lorsqu'elles coïncident sur toutes les
+intersections possibles.
+
+Si $A$ est une $k$-algèbre, l'ensemble $U(I)(A)$ des $A$-points de
+$U(I)$ sera le sous-ensemble de $X(A)$ formé des $x \in X(A)$ tels que
+les $f(x) \in A$ pour $f \in I$ engendrent l'idéal unité de $A$. (Et
+si $A \buildrel\varphi\over\to A'$ est un morphisme d'anneaux,
+$U(I)(\varphi)\colon U(I)(A) \to U(I)(A')$ est la restriction de
+$X(\varphi)\colon X(A) \to X(A')$ à $U(I)(A)$.)
+
+Si $J$ est un idéal de $\mathcal{O}(Y)$, avec $Y$ une variété
+algébrique affine (et toujours $I$ un idéal de $\mathcal{O}(X)$ comme
+ci-dessus), un morphisme $U(I) \to U(J)$ sera identifié à la donnée
+d'éléments $f_i$ engrendant $I$ et $g_i$ appartenant à $J$, indicés
+par le même ensemble, et de morphismes $h_i \colon D(f_i) \to D(g_i)$,
+tels que $h_i$ et $h_j$ coïncident sur $D(f_i) \cap D(f_j)$ ; on
+identifie deux telles données lorsqu'elles coïncident sur toutes les
+intersections possibles.
+\end{defn}
+
+Entre autres vérifications de cohérence de ces définitions :
+\begin{prop}
+Avec les notations ci-dessus, la donnée d'un morphisme $U(I) \buildrel
+h\over\to U(J)$ équivaut à celle d'une application $U(I)(A) \buildrel
+h(A)\over\to U(J)(A)$ pour chaque $k$-algèbre $A$ telles que : si $A
+\buildrel\psi\over\to A'$ est un morphisme de $k$-algèbres, alors les
+deux composées $U(I)(A) \buildrel U(I)(\psi)\over\to U(I)(A')
+\buildrel h(A')\over\to U(J)(A')$ et $U(I)(A) \buildrel h(A)\over\to
+U(J)(A) \buildrel U(J)(\psi)\over\to U(J)(A')$ coïncident (cf. lemme
+de Yoneda).
+\end{prop}
+
+Lorsque $\mathcal{O}(X)$ est intègre (c'est-à-dire que la variété $X$
+est irréductible), on peut voir $\mathcal{O}(U(I))$ de façon simple à
+l'intérieur du corps des fractions de $\mathcal{O}(X)$ : ce sont les
+éléments de $\Frac(\mathcal{O}(X))$ qui peuvent s'écrire comme une
+fraction dont le dénominateur est une puissance de $f_i$ pour
+n'importe quel $f_i$ d'une famille engendrant $I$.
+
+\smallbreak
+
+Pour tout ouvert $U$, on a un morphisme de variétés algébriques $U \to
+X$ appelé \textbf{immersion ouverte} de $U$ dans $X$.
+
+\medbreak
+
+Pour tout ouvert $U$ d'une $k$-variété algébrique affine $X$, l'anneau
+$\mathcal{O}(U)$ est une $k$-algèbre de type fini, et on a un
+morphisme de variétés algébriques $U \to \Spec \mathcal{O}(U)$ (défini
+en considérant un recouvrement quelconque de $U$ par des $D(f_i)$ et
+en recollant les morphismes $D(f_i) \to \Spec \mathcal{O}(U)$ donnés
+par les $\mathcal{O}(U) \to \mathcal{O}(X)[\frac{1}{f_i}]$) : lorsque
+ce morphisme est un isomorphisme, l'ouvert $U$ est dit \emph{affine}.
+Un ouvert principal est toujours affine. Un ouvert peut être affine
+sans être principal, mais c'est généralement assez difficile à
+détecter. Remarquons cependant si $U = U(\{x,y\}) = D(x) \cup D(y)$
+est le complémentaire de l'origine dans $\mathbb{A}^2$, alors $U$
+n'est pas affine, car $\mathcal{O}(U) = k[x,y]$ (en effet, $k[x,y]$
+est un anneau factoriel, donc une fraction rationnelle en deux
+variables $x,y$ admet une forme simplifiée unique à scalaire près, et
+si elle peut s'écrire avec une puissance de $x$ ou une puissance de
+$y$ comme dénominateurs, il s'agit simplement d'un polynôme), et le
+morphisme $U \to \Spec\mathcal{O}(U)$ est l'immersion ouverte de $U$
+dans $\mathbb{A}^2$, qui n'est pas un isomorphisme.
+
+
+%
+\subsection{Récapitulation : que doit-on savoir sur une variété algébrique ?}
+
+On ne proposera pas de définition générale de ce qu'est une variété
+algébrique. Cependant, il faut au moins savoir les choses suivantes :
+\begin{itemize}
+\item une variété algébrique affine ou quasi-affine sur $k$ est une
+ variété algébrique sur $k$ ; en particulier, pour toute $k$-algèbre
+ $R$ de type fini réduite sur $k$, on a une variété algébrique
+ (affine) $\Spec R$ ;
+\item une variété algébrique a une notion d'\emph{ouverts} (de
+ Zariski) : ces ouverts sont eux-mêmes des variétés algébriques ; ces
+ ouverts vérifient les axiomes d'une topologie, i.e., le vide et le
+ plein sont des ouverts, une réunion quelconque ou une intersection
+ finie d'ouverts sont des ouverts ; de plus, une variété algébrique
+ est quasi-compacte (de tout recouvrement par des ouverts on peut
+ extraire un sous-recouvrement finie) ;
+\item une variété algébrique peut être recouverte par des ouverts
+ \emph{affines} ;
+\item si la variété $X$ est recouverte par des ouverts $U_i$, se
+ donner une fonction régulière sur $X$ (resp. un morphisme de $X$
+ vers une variété $Y$ quelconque) équivaut à se donner une fonction
+ régulière sur chaque $U_i$ (resp. un morphisme de chaque $U_i$
+ vers $Y$) telles que les données coïncident aux intersections $U_i
+ \cap U_j$ ; en particulier, appliquer ce principe à un recouvrement
+ par des ouverts affines permet de ramener l'étude d'une variété
+ quelconque à des variétés affines et à leurs intersections ;
+\item pour chaque $k$-algèbre $A$, on a un ensemble $X(A)$ appelé
+ ensemble des $A$-points de la variété $X$, et pour chaque morphisme
+ $\varphi\colon A\to A'$ de $k$-algèbres une application $X(A) \to
+ X(A')$ telle que $X(\psi\circ\varphi) = X(\psi)\circ X(\varphi)$ si
+ $\varphi\colon A\to A'$ et $\psi\colon A'\to A''$,
+\item les morphismes $X \to Y$ sont exactement les données pour chaque
+ $k$-algèbre d'une application $X(A) \buildrel f(A)\over\to Y(A)$
+ telle que : si $A \buildrel\psi\over\to A'$ est un morphisme de
+ $k$-algèbres, alors les deux composées $X(A) \buildrel
+ X(\psi)\over\to X(A') \buildrel f(A')\over\to Y(A')$ et $X(A)
+ \buildrel f(A)\over\to Y(A) \buildrel Y(\psi)\over\to Y(A')$
+ coïncident ;
+\item si $X$ est affine, les morphismes $X \to Y$ s'identifient avec
+ les éléments de $Y(\mathscr{O}(X))$ (on ne suppose pas ici que $Y$
+ soit affine) ;
+\item si $Y$ est affine, les morphismes $X \to Y$ s'identifient avec
+ les morphismes d'anneaux $\mathcal{O}(Y) \to \mathcal{O}(X)$ (on ne
+ suppose pas que $X$ soit affine), et en particulier les fonctions
+ régulières sur $X$ s'identifient avec les morphismes $X \to
+ \mathbb{A}^1$ ;
+\item sur un corps $k$ algébriquement clos, le Nullstellensatz assure
+ que beaucoup de données se « lisent » sur les $k$-points :
+ notamment, une fonction régulière sur $X$ est déterminée par ses
+ valeurs sur $X(k)$, un morphisme $X \to Y$ est déterminée par la
+ fonction $X(k) \to Y(k)$, un ouvert de $X$ est déterminé par le
+ sous-ensemble $U(k)$ de $X(k)$...
+\end{itemize}
+
+
+%
+%
+%
+
+\section{L'espace projectif et les variétés quasiprojectives}
+
+\subsection{L'espace projectif sur un corps et sur un anneau}
+
+Si $k$ est un corps, on note $\mathbb{P}^d(k)$ l'ensemble des
+$(d+1)$-uplets d'éléments \emph{non tous nuls} de $k$ modulo la
+relation d'équivalence $(x_0,\cdots,x_d) \sim (x'_0,\cdots,x'_d)$ ssi
+les vecteurs $(x_0,\cdots,x_d)$ et $(x'_0,\cdots,x'_d)$ sont
+colinéaires. On note $(x_0:\cdots:x_d)$ (certains auteurs préfèrent
+$[x_0,\ldots,x_d]$) la classe de $(x_0,\ldots,x_d)$ pour cette
+relation d'équivalence. On peut voir $\mathbb{P}^d(k)$ comme
+l'ensemble des droites vectorielles (=passant par l'origine)
+de $k^{d+1}$.
+
+Idée intuitive : tout point de $\mathbb{P}^d$ (sur un corps), selon
+que $x_0 \neq 0$ ou $x_0 = 0$, peut être mis sous la forme
+$(1:x_1:\cdots:x_d)$ (avec $x_1,\ldots,x_d$ quelconques) ou bien
+$(0:x_1:\cdots:x_d)$ (avec $x_1,\ldots,x_d$ non tous nuls). Le point
+$(x_1,\ldots,x_d)$ de $\mathbb{A}^d$ sera identifié au point
+$(1:x_1:\cdots:x_d)$ de $\mathbb{P}^d$, tandis que les points de la
+forme $(0:x_1:\ldots:x_d)$ sont appelés « points à l'infini » (et
+collectivement, « hyperplan à l'infini »). On peut donc écrire
+$\mathbb{P}^d(k) = \mathbb{A}^d(k) \cup \mathbb{P}^{d-1}(k)$ (réunion
+disjointe de l'ensemble $Z(x_0)(k)$ des points où $x_0 \neq 0$ et de
+celui $D(x_0)(k)$ des points où $x_0 = 0$) ; moralement, on aura envie
+que $\mathbb{A}^d$ soit un ouvert dans $\mathbb{P}^d$ et
+$\mathbb{P}^{d-1}$ son fermé complémentaire. Noter que le choix de
+$x_0$ est arbitraire : on peut voir $\mathbb{P}^d$ comme réunion de
+$d+1$ espaces affines $\mathbb{A}^d$ (à savoir
+$D(x_0),\ldots,D(x_d)$).
+
+\smallbreak
+
+Si $A$ est un anneau, on définit $\mathbb{P}^d(A)$ comme l'ensemble
+des classses d'équivalence de matrices $(d+1)\times (d+1)$ à
+coefficients dans $A$, disons $(x_{ij})$ telles que
+\[
+\begin{array}{c}
+\sum_{i=0}^d x_{ii} = 1\\
+(\forall i,i',j,j')\, x_{ij} x_{i'j'} = x_{ij'} x_{i'j}\\
+\end{array}
+\]
+(autrement dit, la matrice a trace $1$ et deux lignes quelconques sont
+« colinéaires » au sens où tout déterminant $2\times 2$ extrait est
+nul), la relation d'équivalence identifiant une matrice $(x_{ij})$
+avec une autre $(x'_{ij})$ lorsque pour tous $i,i',j,j'$ on a $x_{ij}
+x'_{i'j'} = x_{ij'} x'_{i'j}$ (toute ligne de $x$ est colinéaire à
+toute ligne de $x'$ avec la même définition).
+
+Ceci généralise bien la définition sur un corps : si $k$ est un corps,
+pour un élément $(x_0:\cdots:x_d)$ du $\mathbb{P}^d(k)$ précédemment
+défini, il existe $i_0$ tel que $x_{i_0} \neq 0$, et on peut supposer
+$x_{i_0} = 1$, auquel cas on identifie le point avec la matrice
+$x_{ij}$ définie par $x_{ij} = 0$ sauf si $i=0$ auquel cas $x_{i_0,j}
+= x_j$. Inversement, si $(x_{ij})$ est une matrice représentant un
+élément du $\mathbb{P}^d(k)$ défini en deuxième, avec $k$ un corps, on
+peut prendre une ligne quelconque de la matrice dont tous les
+coefficients ne sont pas nuls (il en existe nécessairement une puisque
+la somme des coefficients diagonaux vaut $1$ !) et elle représente un
+point de $\mathbb{P}^d(k)$ défini en premier. Il est facile de
+vérifier que ces deux fonctions sont réciproques.
+
+\emph{Remarque :} Plus généralement, si $x_0,\ldots,x_d \in A$
+engendrent l'idéal unité de $A$ (ceci généralise $d$ éléments non tous
+nuls d'un corps !), disons $\sum_{i=0}^d y_i x_i = 1$, on peut définir
+un élément de $\mathbb{P}^d(A)$ qu'il est naturel de noter
+$(x_0:\cdots:x_d)$, à savoir, en utilisant la définition précédente
+$x_{ij} = y_i x_j$. Sur certains anneaux particuliers (par exemple,
+tout anneau intègre factoriel, par exemple $k[t_1,\ldots,t_s]$, ou
+encore $\mathbb{Z}$), tout élément de $\mathbb{P}^d(A)$ peut, en fait,
+s'écrire sous cette forme, mais ce n'est pas vrai en général
+(quoiqu'il soit un peu difficile de donner un
+contre-exemple\footnote{En voici un : si $A = \mathbb{Z}[\sqrt{-5}]$
+ est l'anneau des complexes de la forme $a+b\sqrt{-5}$ (ce sont des
+ entiers algébriques), la matrice $2\times 2$ dont la première ligne
+ est $(3,\;1+\sqrt{-5})$ et la seconde $(-1+\sqrt{-5},\;-2)$ est de
+ trace $1$ et déterminant nul, elle définit donc un point
+ de $\mathbb{P}^1(A)$ qu'il n'est pas possible d'exprimer sous la
+ forme $(x_0:\cdots:x_d)$ pour $x_0,\ldots,x_d \in A$ engendrant
+ l'idéal unité.}).
+
+
+%
+\subsection{Polynômes homogènes, fermés et ouverts de Zariski de $\mathbb{P}^d$,
+ Nullstellensatz projectif}
+
+On veut voir $\mathbb{P}^d$ comme une variété algébrique (au moins
+pour $k$ algébriquement clos pour le moment). Il faudra une notion
+d'ouverts et une notion de fonctions régulières.
+
+On dit qu'un $f \in k[t_0,\ldots,t_d]$ est \textbf{homogène de
+ degré $\ell$} lorsque tous les monômes qui le constituent ont le
+même degré total $\ell$. L'intérêt de cette remarque est que si
+$(x_0:\cdots:x_d) \in \mathbb{P}^d(k)$ avec $k$ un corps, et $f \in
+k[t_0,\ldots,t_d]$ est homogène, le fait que $f(x_0,\ldots,x_d) = 0$
+ou $\neq 0$ ne dépend pas du choix du représentant choisi de
+$(x_0:\cdots:x_d)$. On peut donc définir $Z(f) = \{(x_0:\cdots:x_d)
+\in \mathbb{P}^d(k) : f(x_0,\ldots,x_d) = 0\}$ (il faudrait noter
+$Z_{\mathbb{P}^d}(f)$, mais bon...) et $D(f)$ son complémentaire.
+Ceci signifie en fait $Z(f)(k)$ : pour $Z(f)(A)$, il faut le définir
+comme l'ensemble des matrices $(x_{ij})$ de $\mathbb{P}^d(A)$ comme
+précédemment telles que $f(x_{i0},\ldots,x_{id})=0$ pour tout $i$, et
+pour $D(f)(A)$ ce sera l'ensemble des matrices $(x_{ij})$
+de $\mathbb{P}^d(A)$ comme précédemment telles que les
+$f(x_{i0},\ldots,x_{id})$ engendrent l'idéal unité.
+
+On apppelle \textbf{partie homogène de degré $\ell$} d'un polynôme $f
+\in k[t_0,\ldots,t_d]$ la somme de tous ses monômes de degré
+total $\ell$. Évidemment, tout polynôme est la somme de ses parties
+homogènes. Le produit de deux polynômes homogènes de degrés
+respectifs $\ell$ et $\ell'$ est homogène de degré $\ell+\ell'$.
+
+On dit qu'un idéal $I$ de $k[t_0,\ldots,t_d]$ est \textbf{homogène}
+lorsqu'il peut être engendré par des polynômes homogènes (cela ne
+signifie pas, évidemment, qu'il ne contient que des polynômes
+homogènes, ni même que \emph{tout} ensemble de générateurs de $I$ soit
+constitué de polynômes homogènes). De façon équivalente, il s'agit
+d'un idéal tel que pour tout $f\in I$, toute partie homogène de $f$
+est encore dans $I$. (Démonstration de l'équivalence : si toute
+partie homogène d'un élément de $I$ appartient encore à $I$, en
+prenant un ensemble quelconque de générateurs de $I$, les parties
+homogènes de ceux-ci appartiennent encore à $I$ et sont encore
+génératrices puisqu'elles engendrent les générateurs choisis, donc $I$
+admet bien un ensemble de générateurs homogènes ; réciproquement, si
+$I$ est engendré par $f_1,\ldots,f_r$ homogènes de degrés
+$\ell_1,\ldots,\ell_r$ et si $h$ appartient à $I$, disons $h = \sum_i
+g_i f_i$, alors pour tout $\ell$, la partie homogène de degré $\ell$
+de $h$ est $h^{[\ell]} = \sum_i g_i^{[\ell-\ell_i]} f_i$ où
+$g_i^{[\ell-\ell_i]}$ désigne la partie homogène de degré
+$\ell-\ell_i$ de $g_i$, donc $h^{[\ell]}$ appartient aussi à $I$.)
+
+(Concrètement, dire que $I$ est homogène signifie --- au moins lorsque
+$I$ est radical et que $k$ est algébriquement clos --- que le fermé
+\emph{affine} qu'il définit dans $\mathbb{A}^{d+1}$ est un
+\emph{cône}, c'est-à-dire stable par homothéties. L'ensemble $Z(I)$
+défini ci-dessus va être ce cône vu comme un ensemble de droites
+vectorielles donc comme un objet géométrique dans $\mathbb{P}^d$.)
+
+Pour $I$ idéal homogène de $k[t_0,\ldots,t_d]$, on définit $Z(I)$
+comme l'intersection des $Z(f)$ pour $f\in I$ homogène, ou simplement,
+d'après ce qui précède, l'intersection des $Z(f)$ pour $f$ parcourant
+un ensemble de générateurs homogènes de $I$. Les $Z(I)$ s'appellent
+les fermés [de Zariski] de $\mathbb{P}^d$. Inversement, si $E$ est
+une partie de $\mathbb{P}^d$, on appelle $\mathfrak{I}(E)$ l'idéal
+(par définition homogène) engendré par les polynômes homogènes $f$
+s'annulant en tout point de $E$ (c'est-à-dire tels que $Z(f) \supseteq
+E$).
+
+\begin{thm}
+Si $k$ est un corps algébriquement clos :
+\begin{itemize}
+\item (Nullstellensatz faible projectif.) Pour $I$ un idéal homogène
+ de $k[t_0,\ldots,t_d]$, on a $Z(I) = \varnothing$ dans
+ $\mathbb{P}^d$ ssi il existe un entier naturel $\ell$ tel que $I$
+ contienne tous les monômes en $t_0,\ldots,t_d$ de degré total $\ell$
+ (et, par conséquent, de tout degré plus grand). Un tel idéal
+ s'appelle \textbf{irrelevant} [avec un bel anglicisme].
+\item (Nullstellensatz projectif.) Les fonctions $I \mapsto Z(I)$ et
+ $E \mapsto \mathfrak{I}(E)$ définissent des bijections réciproques,
+ décroissantes pour l'inclusion, entre les idéaux homogènes radicaux
+ de $k[t_0,\ldots,t_d]$ autres que $(t_0,\ldots,t_d)$ d'une part, et
+ les fermés de Zariski de $\mathbb{P}^d(k)$ d'autre part.
+\item Ces bijections mettent en corrrespondance les idéaux homogènes
+ premiers de $k[t_0,\ldots,t_d]$ avec les fermés irréductibles
+ de $\mathbb{P}^d$.
+\end{itemize}
+\end{thm}
+
+\begin{rmk}
+Pour qu'un idéal homogène $I$ de $k[t_0,\ldots,t_d]$ contienne tous
+les monômes à partir d'un certain degré total $\ell$ (c'est-à-dire,
+qu'il soit irrelevant), il faut et il suffit qu'il contienne tous les
+$t_i^n$ à partir d'un certain $n$. (En effet, un sens est trivial, et
+pour l'autre sens, si $I$ contient tous les $t_i^n$, alors il contient
+tout monôme de degré $(d+1)n$, puisqu'un tel monôme contient au moins
+un $t_i$ à la puissance $n$.) Comme il n'y a qu'un nombre fini des
+$t_i$, on peut aussi intervertir les quantificateurs : c'est encore la
+même chose que de dire que pour chaque $i$, l'idéal $I$ contient une
+certaine puissance $t_i^{n_i}$ de $t_i$.
+\end{rmk}
+
+
+%
+\subsection{Fonctions régulières sur l'espace projectif}
+
+On veut voir $D(t_0) = \{t_0\neq 0\}$ comme un espace
+affine $\mathbb{A}^d$ dans $\mathbb{P}^d$ (ici sur $k$). On sait
+quelles sont les fonctions régulières dessus : ce sont les polynômes
+sur $k$ en $d$ variables, qu'on doit ici considérer comme
+$\frac{t_1}{t_0},\ldots,\frac{t_d}{t_0}$. De façon équivalente, il
+s'agit de fractions rationnelles de la forme $\frac{h}{t_0^\ell}$ avec
+$h \in k[t_0,\ldots,t_d]$ homogène de degré $\ell$. Plus
+généralement, on veut définir les fonctions régulières sur $D(f)$
+dans $\mathbb{P}^d$ (où $f$ est homogène de degré $D$, disons) comme
+les fractions rationnelles de la forme $\frac{h}{f^r}$ avec $h$
+homogène de degré $rD$ (ce qui assure que (1) l'évaluation d'une telle
+fonction sur un élément de $\mathbb{P}^d(k)$ a un sens lorsque cet
+élément appartient à $D(f)$, et (2) elle ne dépend pas du représentant
+choisi).
+
+De façon peut-être surprenante, on en arrive donc à ce que les
+fonctions régulières sur $\mathbb{P}^d$ \emph{tout entier} sont
+uniquement les constantes. De fait, on pourrait montrer que c'est
+inévitable avec les exigences qu'on a sur les variétés
+algébriques\footnote{Ou encore : puisqu'une fonction régulière sur
+ $\mathbb{P}^d$ est censée être la même chose qu'un morphisme
+ $\mathbb{P}^d \to \mathbb{A}^1$, la seule façon de définir une
+ application $\mathbb{P}^d(A) \to \mathbb{A}^1(A)$ pour toute
+ $k$-algèbre $A$, de façon compatible aux changements d'anneaux $A
+ \to A'$, consiste à prendre la fonction constante valant un élément
+ de $k$, toujours le même.} : notamment, si on recouvre
+$\mathbb{P}^d$ par les $d+1$ ouverts affines $D(t_i)$ (pour
+$i=0,\ldots,d$), la seule façon de se donner une fonction régulière
+sur chacune qui coïncident aux intersections est d'avoir une constante
+(toujours la même) sur chaque ouvert.
+
+Ceci ne constitue pas une contradiction (mais prouve que
+$\mathbb{P}^d$ ne saurait être affine). Cependant, pour garder
+l'information des polynômes homogènes non constants, il est utile de
+définir aussi :
+\begin{defn}
+Si $\ell \in \mathbb{Z}$, une \textbf{section de $\mathcal{O}(\ell)$}
+sur $D(f)$ dans $\mathbb{P}^d$ (où $f$ est un polynôme homogène de
+degré $D$) est, par définition, une fraction rationnelle de la forme
+$\frac{h}{f^r}$ avec $h$ homogène de degré $rD+\ell$. (Quand $\ell =
+0$, il s'agit donc simplement d'une fonction régulière.)
+\end{defn}
+En particulier, les sections globales de $\mathcal{O}(\ell)$,
+c'est-à-dire, sur $\mathbb{P}^d$ tout entier, n'existent pas si
+$\ell<0$, et sont les polynômes homogènes de degré $\ell$ en
+$t_0,\ldots,t_d$ si $\ell \geq 0$ (pour $\ell=0$, il n'y a que les
+constantes).
+
+\medbreak
+
+Un morphisme $\mathbb{P}^d \buildrel f\over\to \mathbb{P}^e$ est la
+donnée de $e+1$ polynômes $(f_0,\ldots,f_e) \in k[t_0,\ldots,t_d]$ en
+$d+1$ variables, homogènes de même degré $\ell$, qui ne s'annulent
+jamais simultanément sur un corps $k$ algébriquement clos,
+c'est-à-dire, pour éviter de dépendre de cette hypothèse, que
+$f_0,\ldots,f_e$ engendrent un idéal irrelevant dans
+$k[t_0,\ldots,t_d]$. Évidemment, si $f_0,\ldots,f_e$ vérifient
+certaines équations homogènes $g_j(f_0,\ldots,f_e) = 0$ (avec $g_j \in
+k[u_0,\ldots,u_e]$ homogène), on pourra considérer le morphisme $f$
+comme allant de $\mathbb{P}^d$ vers la variété projective
+(cf. ci-dessous pour ce terme) $Y = Z(J)$ où $J$ est l'idéal homogène
+engendré par les $g_j$.
+
+
+%
+\subsection{Variétés projectives}
+
+On appelle \textbf{variété projective} un fermé de Zariski $X$ de
+$\mathbb{P}^d$, c'est-à-dire un $Z(I)$ pour $I = \mathfrak{I}(X)$ un
+certain idéal homogène radical de $k[t_0,\ldots,t_d]$ différent de
+$(t_0,\ldots,t_d)$. Pour définir la structure de variété, on remarque
+d'abord que comme $I$ est homogène, on peut définir la notion de
+« partie de degré $\ell$ » d'un élément de $k[t_0,\ldots,t_d]/I$ comme
+la classe modulo $I$ de la partie de degré $\ell$ de n'importe lequel
+de ses représentants ; et d'élément homogène de degré $\ell$ dans
+$k[t_0,\ldots,t_d]/I$ (un élément représenté par un polynôme homogène
+de degré $\ell$, ou égal à sa partie homogène de degré $\ell$).
+
+On appelle \textbf{anneau gradué (naïf) de $X$ dans $\mathbb{P}^d$}
+l'anneau $k[t_0,\ldots,t_d]/I$ (« gradué » signifiant qu'on s'est
+donné cette notion d'éléments homogènes de degré $\ell$ pour
+chaque $\ell$ avec la décomposition en parties correspondantes, et que
+le produit d'un élément homogène de degré $\ell$ et d'un élément de
+degré $\ell'$ est, comme pour les polynômes, homogène de
+degré $\ell+\ell'$). On appelle \emph{irrelevant} un idéal de
+$k[t_0,\ldots,t_d]/I$ contenant tous les éléments homogène de degré
+suffisamment grand, ou, de façon équivalente, dont l'image réciproque
+dans $k[t_0,\ldots,t_d]$ est irrelevante. On peut établir une
+correspondance entre fermés de Zariski de $X$ et idéaux homogènes
+radicaux non-irrelevants de $k[t_0,\ldots,t_d]/I$ analogue au
+Nullstellensatz. Pour $f \in k[t_0,\ldots,t_d]/I$ on peut définir
+l'ouvert principal $D(f)$ (intersection de $D(\tilde f)$, pour $\tilde
+f \in k[t_0,\ldots,t_d]$ relevant $f$, avec $X$) ; les $D(f_i)$
+recouvrent $X$ lorsque les $f_i$ engendrent un idéal irrelevant
+de $k[t_0,\ldots,t_d]/I$ (résultat analogue
+à \ref{covering-by-principal-open-sets} et qui découle de façon
+analogue du Nullstellensatz projectif).
+
+\underline{Mais, une déception :} comme le mot « naïf » utilisé
+ci-dessus, le laisse penser, l'anneau $k[t_0,\ldots,t_d]/I$ souffre de
+plusieurs problèmes :
+\begin{itemize}
+\item Il ne dépend pas que de $X$ mais aussi de son plongement
+ dans $\mathbb{P}^d$ (même si c'est un peu difficile à illustrer à ce
+ stade, faute de savoir quels sont les morphismes entre variétés
+ projectives abstraites ; mais si on admet que $\mathbb{P}^1$ est
+ isomorphe à une conique plane telle que celle d'équation homogène
+ $x^2 + y^2 - z^2 = 0$ dans $\mathbb{P}^2$ sur un corps de
+ caractéristique $\neq 2$, on se rend compte que dans le premier cas
+ $k[t_0,t_1]$ n'a que deux éléments homogènes de degré $1$
+ linéairement indépendants à savoir $t_0$ et $t_1$, alors que dans le
+ second $k[x,y]/(x^2+y^2-z^2)$ en a trois, à savoir $x,y,z$, puisque
+ leur relation n'apparaît qu'en degré $2$).
+\item Les éléments homogènes de degré zéro de $k[t_0,\ldots,t_d]/I$,
+ c'est-à-dire, les constantes, ne sont pas, en général, les seules
+ fonctions régulières sur $X$ (car si $X$ n'est pas connexe, penser
+ par exemple à $Z(t_0 t_1)$, qui définit la réunion des deux points
+ ``$0$'' ($t_1=0$) et ``$\infty$'' ($t_0=0$) dans $\mathbb{P}^1$,
+ alors manifestement les fonctions valant une valeur sur un point et
+ une autre sur l'autre doivent être régulières). Plus généralement,
+ le problème est que les éléments de degré donné de
+ $k[t_0,\ldots,t_d]/I$ ne vérifient pas la propriété de recollement
+ (=ne forment pas un « faisceau »). On pourrait corriger ce problème
+ pour construire l'anneau gradué qu'on notera $\bigoplus_{\ell}
+ \mathcal{O}(\ell)(X)$, mais il faut travailler un peu. (On peut
+ cependant montrer que, pour $\ell$ suffisamment grand, les éléments
+ de $k[t_0,\ldots,t_d]/I$ sont « les bons », et notamment, se
+ recollent.)
+\item Même une fois ces problèmes pris en compte ou corrigés, les
+ morphismes $X \to \mathbb{P}^e$ ne seront toujours pas définis
+ simplement par la donnée de $e+1$ éléments de $k[t_0,\ldots,t_d]/I$,
+ homogènes de même degré $\ell$, engendrant l'idéal irrelevant.
+\end{itemize}
+
+\underline{Conclusion :} pour définir proprement les constructions sur
+une variété projectives, on ne peut généralement pas se contenter de
+reprendre le travail du cadre affine en remplaçant « affine » par
+« projectif » et les anneaux par des anneaux gradués : il faut
+généralement travailler \emph{localement}, c'est-à-dire, à partir des
+variétés affines dont la variété projective est la réunion.
+
+
+%
+\subsection{Le lien affine-projectif}\label{subsection-affine-vs-projective}
+
+On a déjà signalé que $\mathbb{P}^d$ est la réunion des $d+1$ ouverts
+$D(t_0),\ldots,D(t_d)$, qu'on veut considérer comme $d+1$ espaces
+affines, ou $d+1$ copies de l'espace affine $\mathbb{A}^d$. Il faut
+considérer que les coordonnées affines sur $D(t_i)$ sont les
+$\frac{t_j}{t_i}$ avec $j\neq i$ (ce qui fait $d$ coordonnées).
+Notamment :
+\begin{itemize}
+\item Si $f \in k[t_0,\ldots,t_d]$ est homogène de degré $\ell$,
+ l'intersection de $Z(f) \subseteq \mathbb{P}^d$ avec $D(t_i)$ est
+ donnée par $Z(\frac{f}{t_i^\ell}) \subseteq \mathbb{A}^d$ en voyant
+ $\frac{f}{t_i^\ell}$ comme un polynôme en les $\frac{t_j}{t_i}$.
+\item Plus généralement, si $X = Z(I) \subseteq \mathbb{P}^d$ est la
+ variété projective définie par un idéal homogène $I$ de
+ $k[t_0,\ldots,t_d]$, l'intersection de $X$ avec $D(t_i)$ est la
+ variété affine $Z(I_{t_i}) \subseteq \mathbb{A}^d$ où $I_{t_i}$ est
+ l'idéal engendré par les $\frac{f_j}{t_i^{\ell_j}}$ pour $f_j$
+ parcourant des générateurs homogènes de $I$ et $\ell_j = \deg f_j$
+ (l'idéai $I_{t_i}$ ne dépend pas du choix des $f_j$).
+\item Bon à savoir : si $I$ est un idéal homogène de
+ $k[t_0,\ldots,t_d]$, alors
+ $k[\frac{t_0}{t_i},\ldots,\frac{t_d}{t_i}]/I_{t_i}$, où $I_{t_i}$
+ est défini ci-dessus, est l'ensemble des éléments homogènes de degré
+ zéro de $(k[t_0,\ldots,t_d]/I)[\frac{1}{\bar t_i}]$. L'un ou
+ l'autre, donc, est vu comme l'ensemble des fonctions régulières sur
+ $Z(I) \cap D(t_i)$.
+\item Une fonction régulière sur $X = Z(I)$ est la donnée d'une
+ fonction régulière sur chaque $X \cap D(t_i)$ qui coïncident sur les
+ intersections. C'est-à-dire : pour chaque $i$ on se donne un
+ élément $h_i$ de $(k[t_0,\ldots,t_d]/I)[\frac{1}{\bar t_i}]$
+ homogène de degré zéro, tel que pour tous $i$ et $j$ les éléments
+ $h_i$ et $h_j$ correspondants coïcident dans
+ $(k[t_0,\ldots,t_d]/I)[\frac{1}{\bar t_i \bar t_j}]$. On note
+ $\mathcal{O}(X)$ l'ensemble des fonctions régulières sur $X$.
+ Concrètement, si $k$ est algébriquement clos, on peut donc voir une
+ fonction régulière sur $X$ comme une fonction sur $X(k)$ (à valeurs
+ dans $k$) qui sur chaque ouvert affine $X \cap D(t_i)$ est une
+ fonction régulière sur cette variété, c'est-à-dire la restriction
+ d'une fonction polynomiale en les variables $\frac{t_j}{t_i}$
+ (pour $j\neq i$). En fait, les seules fonctions régulières sur une
+ variété projective sont les fonctions constantes sur chaque
+ composante connexe (mais ce n'est pas évident).
+\item Une « section globale de $\mathcal{O}(\ell)$ sur $X$ » est la
+ donnée pour chaque $i$ d'un élément $h_i$ de
+ $(k[t_0,\ldots,t_d]/I)[\frac{1}{\bar t_i}]$ homogène de
+ degré $\ell$, tels que pour tous $i$ et $j$ les éléments $h_i$ et
+ $h_j$ correspondants coïcident dans
+ $(k[t_0,\ldots,t_d]/I)[\frac{1}{\bar t_i \bar t_j}]$. On note
+ $\mathcal{O}(\ell)(X)$ l'ensemble de ces sections : tout élément
+ homogène de degré $\ell$ de $k[t_0,\ldots,t_d]/I$ définit un élément
+ de $\mathcal{O}(\ell)(X)$ (mais il peut y en avoir d'autres, comme
+ on l'a signalé déjà pour $\ell=0$).
+\item On pourrait également définir les morphismes $X \to
+ \mathbb{P}^e$ (donc resp. aussi $X \to Y$ avec $Y$ variété
+ projective vue comme $Z(J)$ dans $\mathbb{P}^e$) selon ce procédé :
+ avec les notations précédentes, ce serait la donnée de $d+1$
+ morphismes $X \cap D(t_i) \to \mathbb{P}^e$ (resp. $X \cap D(t_i)
+ \to Y$) qui se recollent, or $X \cap D(t_i)$ est affine donc un
+ morphisme $X \cap D(t_i) \to \mathbb{P}^e$ est la même chose qu'un
+ élément de $\mathbb{P}^e(\mathcal{O}(X\cap D(t_i)))$ où
+ $\mathcal{O}(X\cap D(t_i)) = (k[t_0,\ldots,t_d]/I)[\frac{1}{\bar
+ t_i}]$ comme on vient de l'expliquer (resp. un élément de
+ $Y(\mathcal{O}(X\cap D(t_i)))$, c'est-à-dire un élément de
+ $\mathbb{P}^e(\mathcal{O}(X\cap D(t_i)))$ qui vérifie les équations
+ de $Y$). Ce n'est probablement pas la façon la plus simple de
+ procéder !
+\end{itemize}
+
+\medbreak
+
+Inversement, donnée une variété affine $X = Z(I)$ où $I$ est un idéal
+(radical...) de $k[\tau_1,\ldots,\tau_d]$, on peut définir une variété
+projective $X^+ = Z(I^+)$ dont l'idéal $I^+$ est engendré par les $f^+
+:= t_0^{\deg f} f(\frac{t_1}{t_0},\ldots,\frac{t_d}{t_0}) \in
+k[t_0,\ldots,t_d]$ pour tous les $f\in I$ (c'est-à-dire les polynômes
+homogénéisés) : il s'agit précisément de l'adhérence de $X$
+dans $\mathbb{P}^d$. Malheureusement, il ne suffit pas en général de
+prendre un ensemble de générateurs de $I$ pour que leurs homogénéisés
+engendrent $I^+$ (penser à $I = (\tau_2-\tau_1^2,\; \tau_3-\tau_1^3)$
+qui contient $\tau_3-\tau_1\tau_2$ alors que $(t_0 t_2 - t_1^2,\; t_0
+t_3 - t_1^3)$ ne contient pas $t_0 t_3-t_1 t_2$, il faut le mettre
+explicitement dans $I^+$). Il y a cependant un cas favorable :
+lorsque $X = Z(f)$ est une hypersurface, alors $X^+ = Z(f^+)$.
+
+
+%
+\subsection{Variétés quasiprojectives, morphismes}\label{subsection-quasiprojective-varieties-and-morphisms}
+
+Variété quasiprojective = ouvert d'une variété projective =
+intersection d'un ouvert et d'un fermé de $\mathbb{P}^d$.
+
+Si $X$ et $Y$ sont des variétés quasiprojectives, un morphisme $X
+\buildrel h\over\to Y$ est la donnée d'un recouvrement de $X$ par des
+ouverts affines $X\cap U_i$, d'ouverts affines $Y\cap V_i$ de $Y$
+indicés par le même ensemble d'indice, et d'un morphisme de variétés
+algébriques affines $X \cap U_i \buildrel h_i\over\to Y\cap V_i$ pour
+chaque $i$, tels que les morphismes $h_i$ et $h_j$ coïncident sur $X
+\cap U_i \cap U_j$ (ce qui sous-entend, pour commencer, qu'ils
+arrivent tous deux dans $Y \cap V_i \cap V_j$). Remarquons qu'on peut
+supposer que les $U_i$ et $V_i$ sont des ouverts principaux,
+c'est-à-dire qu'ils sont de la forme $D(f_i)$ et $D(g_i)$ avec
+$f_i,g_i$ dans les anneaux gradués naïfs de $X$ et $Y$ (ou, pour
+simplifier, de variétés projectives dont $X$ et $Y$ sont des ouverts).
+
+De façon plus concrète, sur un corps algébriquement clos, un morphisme
+$X \buildrel h\over\to Y$ se voit comme une fonction $X(k) \to Y(k)$
+qui est « localement un morphisme », c'est-à-dire que pour tout point
+$x$ de $X(k)$ il y a un voisinage (au sens de Zariski) de $x$ dans $X$
+et de $h(x)$ dans $Y$ tel que la restriction de $h$ à ces voisinages
+soit un morphisme de variétés algébriques affines (donc, concrètement,
+soit définie par des fonctions polynomiales à ceci près qu'on autorise
+les dénomiateurs).
+
+\medbreak
+
+On peut également donner une description « globale » des morphismes,
+mais elle est peu maniable :
+\begin{itemize}
+\item Si $X$ est $Z(I)$ (où $I$ est un idéal
+ homogène\footnote{Attention, ce genre d'écriture, ici comme
+ ailleurs, sous-entend toujours que l'idéal $I$ est radical, sauf
+ si on est prêt à considérer $X$ comme un schéma et pas juste comme
+ une variété, ce qui dépasse le cadre de ce cours.} de
+ $k[t_0,\ldots,t_d]$), un morphisme $X \to \mathbb{P}^e$ peut se
+ décrire comme une matrice rectangulaire avec $e+1$ colonnes (le
+ nombre de lignes n'étant pas spécifié) dont les entrées sont dans
+ $k[t_0,\ldots,t_d]/I$ et (a) engendrent un idéal irrelevant dans cet
+ anneau, (b) sont toutes de même degré (ou si on préfère : toutes de
+ même degré sur chaque ligne), et (c) dont tous les mineurs $2\times
+ 2$ s'annulent (cf. la définition de $\mathbb{P}^e(A)$ pour $A$ un
+ anneau).
+\item Si $X$ est un ouvert \emph{dense} de $Z(I)$ comme ci-dessus
+ (rappel : ceci est automatiquement le cas pour un ouvert non vide si
+ $I$ est premier donc $Z(I)$ irréductible), ce qu'on peut toujours
+ supposer, même description en remplaçant la condition (a) que les
+ entrées de la matrice engendrent un idéal irrelevant par celle que
+ les $D(f)$ correspondant recouvrent l'ouvert $X$ (pour un ouvert
+ strict, cela peut se traduire en disant que l'idéal engendré par les
+ éléments de la matrice engendrent un idéal dont le radical contient
+ l'idéal $I$).
+\item Un morphisme vers une variété projective $Y$ de $\mathbb{P}^e$
+ est un morphisme vers $\mathbb{P}^e$ comme ci-dessus avec la
+ condition supplémentaire que chaque ligne vérifie les équations
+ de $Y$.
+\item Enfin, pour un morphisme vers un ouvert d'une variété
+ projective, on demande en plus que tous les éléments obtenus en
+ appliquant une des équations de l'ouvert (i.e., un des générateurs
+ de $J'$ si l'ouvert est le complémentaire de $Z(J')$) à une des
+ lignes de la matrice engendre un idéal vérifiant la même condition
+ qu'en.
+\end{itemize}
+
+\medbreak
+
+\textbf{Exemples :}
+
+¶ On reprend l'exemple donné dans l'introduction, mais rendu
+projectif. Soit $C^+$ le cercle, cette fois projectif, d'équation
+$x^2 + y^2 = z^2$ (équation homogénéisée de $x^2 + y^2 = 1$) dans
+$\mathbb{P}^2$ de coordonnées homogènes $(z:x:y)$ (sur un corps $k$ de
+caractéristique $\neq 2$), et soit le $\mathbb{P}^1$ de coordonnées
+$(t_0:t_1)$. On définit un morphisme $\mathbb{P}^1 \to C^+$ par
+$(t_0:t_1) \mapsto (t_0^2+t_1^2 : t_0^2-t_1^2 : 2t_0t_1)$ (c'est bien
+l'homogénéisation de $t \mapsto
+(\frac{1-t^2}{1+t^2},\frac{2t}{1+t^2})$) : tout d'abord il est clair
+que ces équations définissent un morphisme $\mathbb{P}^1 \to
+\mathbb{P}^2$ car $t_0^2+t_1^2 , t_0^2-t_1^2 , 2t_0t_1$ engendrent
+tous les monômes de degré $2$ donc un idéal irrelevant ; ensuite,
+comme $(t_0^2-t_1^2)^2 + (2t_0t_1)^2 = (t_0^2+t_1^2)^2$, ce morphisme
+arrive bien dans $C^+$.
+
+Dans l'autre sens : on définit un morphisme $C^+ \to \mathbb{P}^1$ de
+la façon suivante : a priori on veut lui donner l'équation $(z:x:y)
+\mapsto (x+z:y)$, mais ceci ne définit un morphisme que sur l'ouvert
+complémentaire de $Z(x+z,y)$ (c'est-à-dire du point
+$(z:x:y)=(1:-1:0)$). Il faut donc trouver une autre équation, ou
+plutôt une autre forme, sur un ouvert qui contienne ce point. Ce
+n'est pas difficile : en se disant que de façon assez générale on a
+$(x+z:y) = ((x+z)(x-z):y(x-z)) = (x^2-z^2:y(x-z)) = (-y^2:y(x-z)) =
+(y:z-x)$, on va considérer $(z:x:y) \mapsto (y:z-x)$, qui est, cette
+fois, défini sur le complémentaire de $Z(y,z-x)$, c'est-à-dire de du
+point $(z:x:y) = (1:1:0)$. Le calcul qu'on vient de faire montre que
+$(x+z:y) = (y:z-x)$ sur l'intersection des deux ouverts, donc ces deux
+équations se recollent bien en un unique morphisme.
+
+La composée des morphismes qu'on vient de définir est l'identité :
+dans le sens $\mathbb{P}^1 \to C^+ \to \mathbb{P}^1$, c'est clair car
+l'identité s'obtient bien en recollant $(t_0:t_1) \mapsto (2t_0^2 :
+2t_0 t_1)$ et $(t_0:t_1) \mapsto (2t_0 t_1 : 2t_1^2)$. Dans le sens
+$C^+ \to \mathbb{P}^1 \to C^+$, on peut faire des calculs dans
+$k[x,y,z]/(x^2+y^2-z^2)$, mais le plus simple est sans doute de se
+dire que sur une variété irréductible, pour montrer l'égalité de deux
+morphismes vers une variété quasiprojective quelconque, il suffit de
+la montrer sur un ouvert non vide quelconque (puisque cet ouvert est
+dense), et le calcul est alors simplifié.
+
+\smallbreak
+
+¶ Appelons maintenant $C^\sharp$ la variété d'équations $x_0 x_2 =
+x_1^2, \penalty-100\; x_1 x_3 = x_2^2, \penalty-100\; x_0 x_3 = x_1
+x_2$ dans $\mathbb{P}^3$ de coordonnées homogènes $(x_0:x_1:x_2:x_3)$,
+et considérons le $\mathbb{P}^1$ de coordonnées homogènes $(t_0:t_1)$.
+On définit un morphisme $\mathbb{P}^1 \to C^\sharp$ par $(t_0:t_1)
+\mapsto (t_0^3: t_0^2 t_1: t_0 t_1^2: t_1^3)$ : ceci définit bien un
+morphisme vers $\mathbb{P}^3$ car l'idéal engendré par $(t_0^3, t_0^2
+t_1, t_0 t_1^2, t_1^3)$ est irrelevant (ce sont tous les monômes de
+degré $3$ !), et il tombe bien dans $C^\sharp$ car $(t_0^3, t_0^2 t_1,
+t_0 t_1^2, t_1^3)$ vérifient les équations de $C^\sharp$.
+
+Réciproquement, définissons un morphisme $C^\sharp \to \mathbb{P}^1$ :
+il sera donné par les équations $(x_0:\cdots:x_3) \mapsto (x_0:x_1)$
+et $(x_0:\cdots:x_3) \mapsto (x_2:x_3)$. Le fait que ces équations se
+recollent bien est assuré par l'équation $x_0 x_3 = x_1 x_2$
+sur $C^\sharp$ ; le morphisme est alors défini sur tout $C^\sharp$
+puisque $(x_0,x_1,x_2,x_3)$ engendrent un idéal irrelevant. De
+nouveau, on peut vérifier que la composée dans les deux sens est
+l'identité.
+
+\smallbreak
+
+¶ Un exemple avec des variétés ouvertes : $\mathbb{A}^{d+1}
+\setminus\{(0,0)\} \to \mathbb{P}^d$ donné par $(x_0,\ldots,x_d)
+\mapsto (x_0:\cdots:x_d)$.
+
+\medbreak
+
+\begin{thm}\label{projective-to-affine-morphisms-are-constant}
+Tout morphisme d'une variété projective connexe vers une variété
+affine est constant. (En particulier, toute fonction régulière sur
+une variété projective, c'est-à-dire morphisme vers $\mathbb{A}^1$,
+est constant sur chaque composante connexe.)
+\end{thm}
+
+
+%
+\subsection{Le polynôme de Hilbert-Samuel}
+
+\begin{thm}\label{hilbert-samuel-polynomial}
+Soit $X$ une variété projective dans $\mathbb{P}^d$ (sur un
+corps $k$). Alors pour tout $\ell\in\mathbb{Z}$, le $k$-espace
+vectoriel $\mathcal{O}(\ell)(X)$, également noté
+$H^0(X,\mathcal{O}(\ell))$, des sections globales de
+$\mathcal{O}(\ell)$ sur $X$, est de dimension finie. Pour $\ell$
+assez grand, il s'identifie à l'espace des éléments de degré $\ell$ de
+$k[t_0,\ldots,t_d]/I$ si $I = \mathfrak{I}(X)$. Pour $\ell$ assez
+grand, sa dimension est une fonction \emph{polynomiale} de $\ell$ : on
+appelle \textbf{polynôme de Hilbert-Samuel} de $X$
+(dans $\mathbb{P}^d$) le polynôme auquel elle est égale pour $\ell$
+assez grand.
+\end{thm}
+
+Le terme dominant du polynôme de Hilbert-Samuel est très
+significatif : son degré $d$ sera la \emph{dimension} de $X$ (ceci
+peut servir de définition pour $X$ projectif), et le coefficient
+devant $\ell^d$ est de la forme $\frac{n_X}{\ell!}$ où $n_X$ est un
+entier, appelé \emph{degré} de $X$.
+
+\medbreak
+
+\textbf{Exemple :} Pour $\mathbb{P}^d$, l'espace $H^0(\mathbb{P}^d,
+\mathcal{O}(\ell))$ est l'espace vectoriel des polynômes de
+degré $\ell$ en $d+1$ indéterminées. Pour $\ell\geq 0$, sa dimension
+vaut
+\[
+\frac{(\ell+d)!}{\ell!\,d!}
+\]
+C'est un polynôme de degré $d$ de $\ell$ (donc le polynôme de
+Hilbert-Samuel de $\mathbb{P}^d$), dont le terme dominant vaut
+$\frac{1}{d!}\ell^d$.
+
+Pour le cercle $Z(x^2+y^2-z^2)$ dans $\mathbb{P}^2$, les polynômes de
+degré $\ell$ en $x,y,z$ modulo $z^2$ peuvent se réduire en un polynôme
+de degré $\ell$ en $x,y$, plus $z$ fois un polynôme de degré $\ell-1$
+en $x,y$ : leur dimension est donc $2\ell+1$ (une base est donnée par
+$x^\ell,\penalty100 x^{\ell-1}y,\ldots,\penalty200 y^\ell,\penalty-100
+x^{\ell-1}z,\penalty100 x^{\ell-2}yz,\ldots,\penalty200 y^{\ell-1}z$),
+donc le polynôme de Hilbert-Samuel vaut $2\ell+1$.
+
+
+%
+\subsection{Produit de variétés}
+
+Si $X$ et $Y$ sont deux variétés quasiprojectives sur $k$, on veut que
+leur produit $X\times Y$ vérifie $(X\times Y)(A) = X(A) \times Y(A)$.
+
+Dans l'espace affine, c'est facile : si $X$ est défini par les
+équations $f_1,\ldots,f_r$ en les variables $x_1,\ldots,x_d$ et $Y$
+par les équations $g_1,\ldots,g_s$ en les variables $y_1,\ldots,y_e$,
+alors $X\times Y$ sera défini par les équations $f_1,\ldots,f_r,
+\penalty0 g_1,\ldots,g_s$ en les $d+e$ variables $x_1,\ldots,x_d,
+\penalty0 y_1,\ldots,y_e$. En particulier, $\mathbb{A}^d \times
+\mathbb{A}^e = \mathbb{A}^{d+e}$.
+
+Pour l'espace projectif, c'est plus compliqué, il faut trouver moyen
+de recoller les morceaux : notamment,
+\underline{$\mathbb{P}^1\times\mathbb{P}^1$ n'est pas $\mathbb{P}^2$}
+(tous deux ressemblent à des complétés de $\mathbb{A}^2$, mais,
+moralement, $\mathbb{P}^2$ possède un point à l'infini dans chaque
+direction de droites parallèles, alors que
+$\mathbb{P}^1\times\mathbb{P}^1$ possède un point à l'infini
+$(x,\infty)$ différent pour chaque droite verticale, un $(\infty,y)$
+pour chaque droite horizontale, et un unique point à l'infini
+$(\infty,\infty)$ commun à toutes les autres droites).
+
+On définit\footnote{Façon de parler, puisque, justement, on ne sait
+ pas ce qu'est un produit.} un morphisme $\mathbb{P}^d \times
+\mathbb{P}^e \to \mathbb{P}^{de+d+e}$, dit \textbf{plongement de
+ Segre}, de la façon suivante :
+\[
+((x_0:\cdots:x_d),(y_0:\cdots:y_e)) \mapsto
+(x_0 y_0:x_0 y_1:\cdots:x_0 y_e:x_1 y_0:\cdots:x_d y_e)
+\]
+(faire tous les $(d+1)(e+1)$ produits possibles). Ce morphisme arrive
+dans la variété projective $S$ dont les équations sont tous les
+mineurs $2\times 2$ de la matrice $(d+1)\times (e+1)$ des coordonnées
+homogènes sur $\mathbb{P}^{de+d+e}$. Réciproquement, on a un
+morphisme $S \to \mathbb{P}^d$ donné par $(z_{00}:\cdots:z_{de})
+\mapsto (z_{0j}:\cdots:z_{dj})$ pour n'importe quel $j$ (en les
+considérant tous à la fois ceci se recolle et définit bien un
+morphisme), et de même $S \to \mathbb{P}^e$ par
+$(z_{00}:\cdots:z_{de}) \mapsto (z_{i0}:\cdots:z_{ie})$. Sur un
+corps, au moins, ces deux morphismes définissent bien des bijections
+réciproques $\mathbb{P}^d(k) \times \mathbb{P}^e(k) \to S(k)$ et $S(k)
+\to \mathbb{P}^d(k) \times \mathbb{P}^e(k)$ (car l'annulation des
+mineurs $2\times 2$ traduit le fait que la matrice a rang $1$, donc
+qu'elle peut s'écrire comme le produit d'un vecteur ligne $(x_i)$ et
+d'un vecteur colonne $(y_j)$). On prendra pour définition du produit
+$\mathbb{P}^d \times \mathbb{P}^e$ la variété projective $S$.
+
+(Exemple : le produit $\mathbb{P}^1 \times \mathbb{P}^1$ se voit comme
+la surface d'équation $z_{00} z_{11} = z_{01} z_{10}$
+dans $\mathbb{P}^3$, c'est-à-dire un paraboloïde hyperbolique.)
+
+Plus généralement, si $X$ et $Y$ sont des variétés projectives dans
+$\mathbb{P}^d$ et $\mathbb{P}^e$, on peut définir $X\times Y$ comme un
+fermé dans $S$ : pour chaque équation $f(x_0,\ldots,x_d) = 0$ de $X$,
+on met une équation $f(z_{0j},\ldots,z_{dj}) = 0$ pour chaque $j$, et
+de même pour chaque équation $g(y_0,\ldots,y_e) = 0$ de $Y$, on met
+une équation $g(z_{i0},\cdots,z_{ie}) = 0$ pour chaque $i$.
+
+
+%
+\subsection{La dimension}
+
+\textbf{Rappel :} Si $K$ est un corps contenant un corps $k$, on dit
+que des éléments $x_i$ de $K$ sont \textbf{algébriquement
+ indépendants} (comprendre : « collectivement transcendants »)
+sur $k$ lorsque les seuls polynômes $f \in k[t_1,\ldots,t_d]$ tel que
+$f(x_{i_1},\ldots,x_{i_d}) = 0$ pour certains $i_1,\ldots,i_d$ deux à
+deux distincts sont les polynômes nuls. Ceci est équivalent au fait
+que le sous-corps $k(x_i)$ de $K$ engendré par les $x_i$ avec $k$ est
+isomorphe au corps des fractions rationnelles sur autant
+d'indéterminées que de $x_i$ (il est plus simple de penser au cas où
+les $x_i$ sont en nombre fini, qui nous suffira). On appelle
+\textbf{base de transcendance} de $K$ sur $k$ un ensemble maximal
+d'éléments algébriquement indépendants, c'est-à-dire, un ensemble de
+$x_i$ algébriquement indépendants sur $k$ et tels que $K$ soit
+algébrique sur le sous-corps $k(x_i)$ qu'ils engendrent au-dessus
+de $k$. Une base de transcendance de $K$ sur $k$ existe toujours, et
+toutes ont le même cardinal : on appelle celui-ci \textbf{degré de
+ transcendance} de $K$ sur $k$ et on le note $\degtrans_k(K)$.
+
+Par exemple, $\degtrans_k k(t_1,\ldots,t_d) = d$ (où
+$k(t_1,\ldots,t_d)$ désigne le corps des fractions rationnelles en $d$
+indéterminées sur $k$). Lorsque $K$ est algébrique sur $k$, on a
+$\degtrans_k K = 0$ et réciproquement. Par ailleurs, lorsque $k
+\subseteq K \subseteq L$ sont trois corps, on a toujours $\degtrans_k L
+= \degtrans_k K + \degtrans_K L$.
+
+\begin{defn}\label{definition-rational-function-and-dimension}
+Si $X$ est une variété \emph{irréductible} sur $k$, on appelle
+\textbf{fonction rationnelle} sur $X$ une fonction régulière sur un
+ouvert non-vide=dense quelconque de $X$, en identifiant deux fonctions
+si elles coïncident sur l'intersection de leur domaine de définition ;
+on note $k(X)$ l'ensemble des fonctions régulières sur $X$. Lorsque
+$X$ est une variété affine irréductible, $k(X)$ est le corps des
+fractions (noté $k(X)$) de $\mathcal{O}(X)$ (=l'anneau des fonctions
+régulières sur $X$, qui est intègre). De façon générale, $k(X)$
+coïncide avec $k(U)$ pour n'importe quel ouvert non-vide=dense $U$
+de $X$ (on peut donc définir $k(X) = \Frac \mathcal{O}(U)$ pour $U$ un
+ouvert affine dense de $X$).
+
+On appelle \textbf{dimension de $X$} le degré de transcendance sur $k$
+de $k(X)$.
+\end{defn}
+
+Pour $\mathbb{A}^d$ ou $\mathbb{P}^d$, le corps des fractions
+rationnelles est $k(t_1,\ldots,t_d)$ et
+$k(\frac{t_1}{t_0},\ldots,\frac{t_d}{t_0})$. La dimension de
+$\mathbb{A}^d$ ou $\mathbb{P}^d$ est donc $d$. De façon générale,
+d'après ce qu'on vient de dire, la dimension d'une variété
+irréductible est égale à celle de n'importe lequel de ses ouverts
+non-vides.
+
+(Lorsque $X$ n'est pas irréductible, on appelle dimension de $X$ la
+plus grande dimension d'une composante irréductible de $X$. Parfois
+on convient que la dimension du vide est $-1$.)
+
+\begin{thm}[Hauptidealsatz de Krull]\label{hauptidealsatz}
+Soit $X$ une variété irréductible de dimension $d$ et $f \in
+\mathcal{O}(X)$ un élément qui n'est pas inversible (c'est-à-dire
+$Z(f) \neq\varnothing$) et pas nul. Alors chaque composante
+irréductible de $Z(f)$ est de dimension $d-1$.
+
+Variante projective : si $X$ est une variété irréductible de
+dimension $d$ dans $\mathbb{P}^e$ et $f$ homogène non constant (en
+$e+1$ variables). Alors chaque composante irréductible de $X \cap
+Z(f)$ est de dimension $d-1$, \emph{et de plus $X \cap Z(f)$ n'est pas
+ vide} lorsque $d\geq 1$.
+\end{thm}
+
+\begin{cor}
+Si $f_1,\ldots,f_r$ sont des polynômes homogènes en $e+1$ variables,
+avec $r \leq e$, alors $Z(f_1,\ldots,f_r) \neq \varnothing$,
+c'est-à-dire que sur $k$ corps algébriquement clos, les $r$ équations
+$f_i=0$ ont une solution (non-nulle) commune.
+\end{cor}
+
+De plus, $Z(f_1,\ldots,f_r)$ est de dimension \emph{au moins} $e-r$.
+Il peut évidemment être de dimension plus grande (les $f_i$ pourraient
+être tous égaux, par exemple). Lorsqu'il est exactement de dimension
+$e-r$, on dit que les $f_i$ sont \emph{en intersection complète}
+(projective, globale). Lorsque c'est le cas, on peut être plus
+précis : le terme dominant de la fonction de Hilbert-Samuel de
+$Z(f_1,\ldots,f_r)$ est $\frac{\prod_i \deg f_i}{(e-r)!} \ell^{e-r}$.
+
+\begin{cor}
+Si $X$ est une variété algébrique (quasiprojective) irréductible de
+dimension $d$, alors le seul fermé $Y$ de $X$ tel que $\dim Y = d$ est
+$X$ lui-même. Par ailleurs, il existe toujours des fermés
+irréductibles $Y$ de dimension $d-1$ dans $X$.
+
+(Autrement dit, on peut définir la dimension de $X$ comme $1 +
+\max\dim Y$ où le $\max$ est pris sur tous les fermés irréductibles
+de $X$.)
+\end{cor}
+
+\begin{thm}
+Si $X$ et $Y$ sont des variétés algébriques (quasiprojectives), alors
+$\dim (X\times Y) = \dim X + \dim Y$. (Remarque : si $X$ et $Y$ sont
+irréductibles alors $X \times Y$ l'est.)
+
+Plus généralement : soit $f\colon Z\to X$ un morphisme de variétés
+algébriques (quasiprojectives) irréductibles, surjectif (au sens où
+pour tout $x \in X(k)$, pour $k$ algébriquement clos, il existe $z \in
+Z(k)$ tel que $x = f(z)$, cf. la section suivante), et soit $d = \dim
+X$ et $e = \dim Z$. Alors $e \geq d$, et de plus :
+\begin{itemize}
+\item Si $x \in X$, alors toute composante de $f^{-1}(x)$ (cf. section
+ suivante) est de dimension \emph{au moins} $e-d$.
+\item Il existe un ouvert non vide (donc dense) $U \subseteq X$ tel
+ que $\dim f^{-1}(x) = e - d$ (au sens où toute composante
+ irréductible de $f^{-1}(x)$ a cette dimension) si $x \in U$.
+\end{itemize}
+\end{thm}
+
+
+%
+\subsection{L'image d'un morphisme}\label{image-of-a-morphism}
+
+Si $X \buildrel f\over\to Y$ est un morphisme entre variétés
+quasiprojectives et $Y' \subseteq Y$ un fermé ou un ouvert (ou
+l'intersection d'un fermé et d'un ouvert) dans $Y$, il est facile de
+définir l'\emph{image réciproque} de $Y'$ par $f$ : il suffit de
+« tirer » les équations de $Y'$ de $Y$ à $X$, c'est-à-dire écrire les
+équations $h\circ f = 0$ pour chaque équation $h = 0$ de $Y'$ (et
+pareil avec $\neq 0$ si on a affaire à un ouvert).
+
+Définir l'\emph{image (directe)} d'un $X' \subseteq X$ est plus
+délicat. Quitte à restreindre $f$ à $X'$, on peut supposer $X' = X$,
+et la question devient celle définir l'image de $f$ : notamment, si
+$k$ est algébriquement clos, quel est l'ensemble des $y \in Y(k)$ tels
+qu'il existe $x \in X(k)$ pour lequel $f(x) = y$ ?
+
+\begin{thm}[Chevalley]\label{image-of-a-morphism-chevalley}
+\begin{itemize}
+\item L'image d'un morphisme $X \buildrel f\over\to Y$ entre variété
+ quasiprojectives est localement fermée dans $Y$, au sens suivant :
+ il existe $Y' \subseteq Y$ l'intersection d'un ouvert et d'un fermé
+ dans $Y$ (c'est-à-dire une sous-variété quasiprojective de $Y$)
+ telle que $Y'(k)$ soit l'ensemble des $y \in Y(k)$ pour lesquels il
+ existe $x \in X(k)$ pour lequel $f(x) = y$.
+\item Si $X$ est projective, alors l'image d'un morphisme $X \buildrel
+ f\over\to Y$ est un \emph{fermé} dans $Y$.
+\item Variante : si $X$ est projective et $Y$ quasiprojective, la
+ seconde projection $X\times Y \to Y$ est une application fermée au
+ sens où l'image d'un fermé de $X \times Y$ dans $Y$ est un fermé.
+\end{itemize}
+\end{thm}
+
+
+%
+\subsection{Vecteurs tangents et points lisses}
+\label{subsection-tangent-vectors-and-smooth-points}
+
+Si $X$ est une variété quasiprojective sur un corps (algébriquement
+clos) $k$, on appelle \textbf{vecteur tangent} à $X$ un élément de
+$X(k[\varepsilon])$ où $k[\varepsilon]$ est la $k$-algèbre
+$k[t]/(t^2)$ (on note $\varepsilon$ la classe de $t$ dans cette
+algèbre, c'est-à-dire que $\varepsilon^2 = 0$). Le \emph{point-base}
+de ce vecteur tangent est l'image de cet élément par l'application
+$X(k[\varepsilon]) \to X(k)$ qui résulte du morphisme d'anneaux
+$k[\varepsilon] \to k$ envoyant $\varepsilon$ sur $0$ ; si $x$ est ce
+point base, on dit aussi qu'on a affaire à un vecteur tangent à $X$
+\emph{en} $x$. L'ensemble des vecteurs tangents à $X$ en $x$ est noté
+$T_x X$ et s'appelle \emph{espace tangent} à $X$ en $x$.
+
+On peut voir les choses plus concrètement en passant en affine :
+l'espace tangent à $X$ en $x$ est le même que l'espace tangent en $x$
+à n'importe quel voisinage affine de $x$, donc on peut faire tout
+calcul en supposant que $X$ est affine. Si $X = Z(f_1,\ldots,f_r)$
+est défini\footnote{Ce genre d'affirmation, ici et ailleurs,
+ sous-entend toujours que l'idéal $(f_1,\ldots,f_r)$ est radical, sauf
+ si on est prêt à considérer $X$ comme un schéma et pas juste comme
+ une variété, ce qui dépasse le cadre de ce cours.} par les équations
+$f_i = 0$ dans $\mathbb{A}^d$ alors un point tangent à $X$ peut
+s'écrire $(x_1+v_1 \varepsilon,\ldots, x_d + v_d\varepsilon)$ où
+$(x_1,\ldots,x_d) \in X(k)$ (i.e. $f_i(x_1,\ldots,x_d) = 0$ pour
+tout $i$) sont les coordonnées du point-base, et où $\sum_{j=1}^d v_j
+\frac{\partial f_i}{\partial t_j}(x_1,\ldots,x_d) = 0$ : autrement
+dit, les $v_i$ appartiennent au noyau de la matrice des dérivées
+partielles des équations de $X$. Ceci permet de dire, en le voyant
+comme le noyau en question, que $T_x X$ est un \emph{espace vectoriel}
+pour chaque $x$ donné (implicitement dans cette affirmation il y a
+celle que la structure d'espace vectoriel ne dépend pas du voisinage
+affine dans lequel on a considéré les coordonnées) ; sa dimension est
+$d - r$ où $r$ est le rang de la matrice des $\frac{\partial
+ f_i}{\partial t_j}(x_1,\ldots,x_d)$.
+
+\medbreak
+
+\begin{prop}
+Si $X$ est une variété irréductible sur un corps $k$ (algébriquement
+clos), pour tout $x \in X(k)$ on a $\dim_k T_x X \geq \dim X$.
+\end{prop}
+
+Un point $x$ tel que l'espace tangent $T_x X$ à $X$ en ce point soit
+d'une dimension (comme espace vectoriel) égale à la dimension de $X$
+(comme variété algébrique), c'est-à-dire la dimension maximale que
+peut avoir cet espace tangent, est appelé un point \textbf{lisse} (ou
+\textbf{régulier}, ou \textbf{nonsingulier}) de $X$. Lorsque tout
+point de $X$ (sur un corps algébriquement clos !) est lisse, on dit
+que $X$ lui-même est lisse (ou régulier) (sur son corps de base).
+
+(Pour une variété réductible, un point situé sur une seule composante
+irréductible est dit lisse lorsqu'il est lisse sur la composante en
+question ; et un point situé sur plusieurs composantes irréductibles à
+la fois n'est jamais lisse --- on peut prendre ça comme définition ou
+le montrer en prenant comme définition de la lissité le fait que la
+dimension de l'espace tangent au point considéré soit égale à la plus
+grande dimension d'une composante irréductible passant par ce point.)
+
+\begin{prop}
+Soit $X$ une variété quasiprojective sur un corps (algébriquement
+clos) $k$ : alors les points lisses de $X(k)$ forment un ouvert de
+Zariski.
+\end{prop}
+\begin{proof}
+L'affirmation est locale, donc on peut supposer $X$ affine. Si $X$
+est de codimension $r$ (c'est-à-dire de dimension $d-r$
+dans $\mathbb{A}^d$), le fait que $x$ soit lisse se traduit par le
+fait que la matrice des dérivées partielles en $x$ des équations
+définissant $X$ est de rang \emph{au moins} $r$ (sachant qu'elle ne
+peut pas être strictement supérieure). Or ceci se traduit par le fait
+qu'il existe un mineur $r\times r$ de cette matrice qui ne s'annule
+pas : la réunion des ouverts définis par tous les mineurs $r\times r$
+(qui sont bien polynomiaux dans les variables) donne bien une
+condition ouverte de Zariski.
+\end{proof}
+
+\begin{rmk}
+\begin{itemize}
+\item D'après \ref{hauptidealsatz}, une hypersurface $Z(f)$
+ dans $\mathbb{A}^d$, pour $f$ non constant, est de dimension $d-1$,
+ donc elle est lisse ssi aucun point de $Z(f)$ n'annule simultanément
+ les $d$ dérivées partielles de $f$. Grâce au Nullstellensatz, ceci
+ peut encore se reformuler en : $Z(f)$ est lisse ssi les polynômes
+ $f$ et $\frac{\partial f}{\partial t_i}$ (soit $d+1$ polynômes au
+ total) engendrent l'idéal unité de $k[t_1,\ldots,t_d]$.
+\item Variante projective : pour $f$ homogène de degré non nul dans
+ $k[t_0,\ldots,t_d]$, on peut montrer que $Z(f) \subseteq
+ \mathbb{P}^d$ est lisse ssi les polynômes $\frac{\partial
+ f}{\partial t_i}$ n'ont aucun zéro commun sur $k$ (algébriquement
+ clos !), car un zéro commun des $\frac{\partial f}{\partial t_i}$
+ est forcément zéro de $f = \sum_{i=0}^d t_i \frac{\partial
+ f}{\partial t_i}$. Grâce au Nullstellensatz projectif, on peut
+ encore reformuler cela en : les $\frac{\partial f}{\partial t_i}$
+ engendrent un idéal irrelevant.
+\item Quand $X = Z(f_1,\ldots,f_r)$ (affine, disons
+ dans $\mathbb{A}^d$) est définie par plusieurs polynômes
+ $f_1,\ldots,f_r$, \emph{si} la matrice $\frac{\partial f_i}{\partial
+ t_j}$ est de rang $r$ en un point de $X = Z(f_1,\ldots,f_r)$, on
+ peut conclure que ce point est lisse et que $X$ est de
+ dimension $d-r$. En revanche, lorsque le rang est plus petit
+ que $r$, on ne peut pas conclure sauf en connaissant la dimension
+ de $X$.
+\end{itemize}
+\end{rmk}
+
+\begin{prop}
+Soit $X$ une variété\footnote{Ici, le mot « variété » est
+ particulièrement important : beaucoup de définitions ou concepts
+ introduits ailleurs fonctionneraient aussi pour un schéma,
+ c'est-à-dire un objet défini par un idéal non radical, mais ici ce
+ n'est pas le cas.} quasiprojective sur un corps (algébriquement
+clos) $k$ : alors il existe un point lisse de $X(k)$ --- par
+conséquent, il existe un ouvert dense de points lisses.
+\end{prop}
+
+Ceci permet parfois de calculer la dimension d'une variété, en
+reformulant en : la dimension d'une variété irréductible $X$ est le
+\emph{minimum} des dimensions des espaces vectoriels $T_x X$ (donc,
+dans $\mathbb{A}^d$, la codimension est le plus grand rang possible
+que prend la matrice des dérivés partielles).
+
+\medbreak
+
+\begin{rmk}
+Dans énormément d'énoncés, on a utilisé des expressions comme « soit
+ $X = Z(I)$ la variété (blabla) », qui sous-entendent que $I$ est un
+idéal \emph{radical} (à savoir $I = \mathfrak{I}(X)$) : ceci est
+nécessaire pour éviter de parler de schémas (qui seraient des objets
+localement comme « $\Spec k[t_1,\ldots,t_d]/I$ » avec $I$ idéal non
+nécessairement radical). L'inconvénient de cette approche est qu'à
+peu près toute manipulation d'équations est subordonnée à la
+vérification du fait que celles-ci engendrent un idéal radical, ce qui
+est souvent fastidieux.
+
+Voici une bonne nouvelle : un « schéma » lisse est nécessairement
+réduit (=est une variété) ; c'est-à-dire, dans un langage qu'on
+comprend, que si $f_1,\ldots,f_r \in k[t_1,\ldots,t_d]$, qui ne sont
+pas supposés \textit{a priori} engendrer un idéal radical, vérifient
+la condition de lissité (=le rang de la matrice $\frac{\partial
+ f_i}{\partial t_j}$ vaut partout au moins $d - \dim X$, donc
+exactement ce nombre, où $X$ est la variété définie par
+$\surd(f_1,\ldots,f_r)$ ; et en particulier s'il vaut partout au moins
+$d-r$), alors automatiquement l'idéal $(f_1,\ldots,f_r)$ est radical.
+
+(Par contre, dans ce contexte, on ne peut pas utiliser la proposition
+précédente.)
+\end{rmk}
+
+\medbreak
+
+\textbf{Un exemple : la cubique gauche.} On reprend l'exemple étudié
+à plusieurs reprises de la cubique gauche, la variété $C$ définie dans
+$\mathbb{P}^3$ par $t_0 t_2 = t_1^2$, $t_1 t_3 = t_2^2$ et $t_0 t_3 =
+t_1 t_2$. Sur l'ouvert affine $D(t_0) = \{t_0\neq 0\}$, ses équations
+deviennent (en posant $\tau_1 = t_1/t_0$, $\tau_2 = t_2/t_0$ et
+$\tau_3 = t_3/t_0$) : $\tau_2 = \tau_1^2$ et $\tau_3 = \tau_1^3$
+(l'équation $\tau_1 \tau_3 = \tau_2^2$ est redondante) ; on peut en
+conclure que la dimension de cet ouvert affine $C \cap D(t_0)$ est au
+moins $3-2 = 1$, en fait il est visiblement isomorphe à $\mathbb{A}^1$
+via le morphisme $\tau \mapsto (\tau,\tau^2,\tau^3)$ considéré dans la
+section \ref{subsection-morphisms-of-affine-algebraic-varieties}. (Attention, on
+ne peut pas conclure directement que la dimension de $C$ est $3$ à
+moins de donner une explication du fait que $C$ est irréductible.)
+Par symétrie des variables (remplacer $t_i$ par $t_{3-i}$ partout
+conserve les mêmes équations), on peut aussi conclure que $C \cap
+D(t_3)$ est de dimension $1$ (et isomorphe à $\mathbb{A}^1$).
+Remarquons par ailleurs que « si $t_0=0$ et $t_3=0$ alors $t_1=0$ et
+ $t_2=0$ aussi d'après les équations de $C$, ce qui n'est pas
+ possible » (plus précisément, l'idéal engendré par $t_0$ et $t_3$ et
+les équations de $C$ contient aussi $t_1^2$ et $t_2^2$, c'est donc un
+idéal irrelevant), ce qui permet de dire que les ovuerts $D(t_0)$ et
+$D(t_3)$ recouvrent $C$. Donc $C$ est bien de dimension $1$.
+S'agissant de la lissité, le fait que $C \cap D(t_0)$ et $C\cap
+D(t_3)$ soient isomorphes à $\mathbb{A}^1$ permet de conclure (car
+$\mathbb{A}^1$ est lisse), mais on peut vouloir le voir sur les
+équations : sur $C \cap D(t_0)$, les dérivées partielles des deux
+équations $\tau_2 = \tau_1^2$ et $\tau_3 = \tau_1^3$ sont $(2\tau_1,
+1, 0)$ et $(3\tau_1^2, 0, 1)$, donc linéairement indépendantes, ce qui
+assure que tout cet ouvert est lisse, et par symétrie des coordonnées,
+c'est aussi le cas pour $C \cap D(t_3)$. On a donc bien affaire à une
+courbe (=variété (irréductible ?) de dimension $1$) lisse
+dans $\mathbb{P}^3$.
+
+Soit dit en passant, on ne peut pas omettre une des trois équations
+utilisées pour définir $C$ : si on omet $t_0 t_2 = t_1^2$, la variété
+ainsi obtenue contiendra toute la droite $\{(t_0:t_1:0:0)\}$
+d'équation $t_2=t_3=0$ (par exemple le point $(1:1:0:0)$), qui n'est
+pas dans $C$, si on omet $t_1 t_3 = t_2^2$ de même (par symétrie) avec
+la droite $\{(0:0:t_2:t_3)\}$ d'équation $t_0=t_1=0$ ; et si on omet
+$t_0 t_3 = t_1 t_2$, la variété contient toute la droite
+$\{(t_0:0:0:t_3)\}$ d'équation $t_1=t_2=0$ (par exemple le point
+$(1:0:0:1)$). Il n'est en fait pas possible de définir $C$ avec
+seulement deux équations qui engendrent un idéal radical : en effet,
+premièrement, le polynôme de Hilbert-Samuel de $C$ vaut $3\ell+1$ (car
+il est facile de voir que les équations de $C$ réduisent deux monômes
+$t_0^{d_0} t_1^{d_1} t_2^{d_2} t_3^{d_3}$ exactement lorsqu'ils ont le
+même degré total $d_0+d_1+d_2+d_3$ et le même « degré sur $C$ », $d_1
++ 2d_2 + 3d_3$, donc on est ramené à compter les valeurs possibles de
+$d_1 + 2d_2 + 3d_3$ connaissant $d_0+d_1+d_2+d_3 = \ell$, et ce sont
+tous les entiers entre $0$ et $3\ell$ inclus) ; ceci confirme que la
+dimension de $C$ est $1$ mais aussi que son degré (au sens donné par
+le coefficient dominant du polynôme de Hilbert-Samuel) vaut $3$ : si
+$C$ était définie par deux équations $\mathfrak{I}(C) = (f_1,f_2)$,
+donc en intersection complète, on aurait $\deg f_1 \cdot \deg f_2 =
+3$, ce qui impose soit $\deg f_1 = 1$ soit $\deg f_2 = 3$, donc $C$
+serait une courbe plane, ce qui n'est visiblement pas le cas.
+
+\medbreak
+
+\textbf{Différentielle d'un morphisme.} Si $h\colon X\to Y$ est un
+morphisme entre variétés quasiprojectives sur un corps algébriquement
+clos $k$ et $x \in X(k)$, on a une application $dh_x\colon T_x X \to
+T_{h(x)} Y$ qui est définie formellement par $h(k[\varepsilon]) \colon
+X(k[\varepsilon]) \to Y(k[\varepsilon])$ et plus concrètement, si
+localement $X$ est défini par des équations $f_1=\cdots=f_r = 0$
+dans $\mathbb{A}^d$ (de sorte que $T_x X$ se voit comme l'ensemble des
+$(v_i)$ tels que $\sum_{j=1}^d v_j \frac{\partial f_i}{\partial
+ t_j}(x_1,\ldots,x_d) = 0$) et $Y$ par $g_1=\cdots=g_s = 0$
+dans $\mathbb{A}^e$ (de sorte que $T_y Y$ se voit comme l'ensemble des
+$(w_i)$ tels que $\sum_{j=1}^e w_j \frac{\partial g_i}{\partial
+ u_j}(y_1,\ldots,y_d) = 0$), et le morphisme $h$ par des polynômes
+$(h_1,\ldots,h_e)$ (vérifiant $g_i(h_1,\ldots,h_e) = 0$) envoyant
+$(x_1,\ldots,x_d)$ sur $(h_1(x_1,\ldots,x_d),\ldots,\penalty-100
+h_e(x_1,\ldots,x_d))$, alors $dh_x$ envoie $(v_1,\ldots,v_d)$ sur
+$(w_1,\ldots,w_e)$ où $w_i = \sum_{j=1}^d v_j\frac{\partial
+ h_i}{\partial t_j}$ (et la condition souhaitée, $\sum_{i=1}^e w_j
+\frac{\partial g_i}{\partial u_j}(y_1,\ldots,y_d) = 0$ est une
+conséquence de la formule des dérivées composées appliquée à
+$g_i(h_1,\ldots,h_e) = 0$ : on a $\sum_{j=1}^e \frac{\partial
+ g_i}{\partial u_j} \frac{\partial h_j}{\partial t_l} = 0$). Cette
+application $dh_x$ est linéaire (pour chaque $x$ donné) : on l'appelle
+différentielle du morphisme $h$ au point $x$.
+
+\textbf{Lissité des morphismes.} On ne définira le concept de
+morphisme lisse entre variétés quasiprojectives $X \to Y$ que lorsque
+$Y$ elle-même est lisse. Plus exactement, on dit qu'un morphisme $X
+\buildrel h\over\to Y$ est \emph{lisse} en un point $x \in X$ tel que
+$Y$ soit lisse en $h(x)$, lorsque $dh_x \colon T_x X \to T_{h(x)} Y$
+est \emph{surjective}. On dit qu'un morphisme $X \to Y$, avec $Y$
+lisse, est lisse (partout) lorsque la différentielle est surjective en
+tout point. Une conséquence importante de la lissité de $h$ est que
+la fibre $h^{-1}(y)$ est elle-même lisse (en tant que variété, un
+fermé à l'intérieur de $X$) pour chaque $y\in Y$.
+
+
+
+%
+%
+%
+
+\section{Géométrie algébrique sur un corps non algébriquement clos}
+
+\subsection{Crash-course de théorie de Galois}
+
+Rappel : corps parfait = corps de caractéristique $0$ \emph{ou} de
+caractéristique $p$ tel que tout élément ait une racine $p$-ième =
+corps tel que tout polynôme irréductible soit à racines simples sur la
+clôture algébrique. Exemples : $\mathbb{R}$, $\mathbb{Q}$,
+$\mathbb{F}_q$ sont parfaits comme l'est tout corps algébriquement
+clos. Contre-exemple : $\mathbb{F}_p(t)$ n'est pas parfait ($t$ n'a
+pas de racine $p$-ième).
+
+Si $k$ est un corps parfait (et qu'on en fixe une fois pour toutes une
+clôture algébrique), on note $\Gal(k)$ ou $\Gamma_k$ et on appelle
+\textbf{groupe de Galois absolu} de $k$ le groupe des automorphismes
+de corps de sa clôture algébrique qui laissent $k$ fixe
+(i.e. $\sigma(x) = x$ pour tout $x\in k$).
+
+\textbf{Exemples :} Si $\Gamma_{\mathbb{R}} = \{\id_{\mathbb{C}},
+(z\mapsto\bar z)\}$ est le groupe cyclique d'ordre $2$. Si $k$ est
+algébriquement clos, $\Gamma_k$ est trivial. Si $k = \mathbb{F}_q$
+est fini, $\Gamma_{\mathbb{F}_q}$ contient au moins toutes les
+puissances $\Frob_q^i \colon x \mapsto x^{q^i}$ du Frobenius
+$\Frob_q\colon x \mapsto x^q$ ; il contient en fait d'autres éléments,
+mais « en gros » il n'y a que les puissances du Frobenius (au sens :
+la restriction de tout $\sigma \in \Gamma_{\mathbb{F}_q}$ à un
+$\mathbb{F}_{q^n}$ est de la forme $\Frob_q^i$ pour un certain $i \in
+\mathbb{Z}$ (qu'on peut voir dans $\mathbb{Z}/n\mathbb{Z}$ si on
+préfère) ; en tout cas, pour voir qu'un élément de $k^{\alg}$ (ou de
+n'importe quoi qui sera considéré plus bas) est fixé/stable par
+$\Gamma_{\mathbb{F}_q}$, il suffit de vérifier qu'il est fixé/stable
+par $\Frob_q$.
+
+\begin{thm}\label{rational-iff-fixed-by-galois}
+Si $k$ est un corps parfait de clôture algébrique $k^{\alg}$, un
+élément $x$ de $k^{\alg}$ appartient à $k$ si [et seulement si, mais
+ ça c'est juste la définition de $\Gamma_k$] on a $\sigma(x) = x$
+pour tout $\sigma \in \Gamma_k$.
+\end{thm}
+
+Slogan : « rationnel = fixé par Galois ».
+
+Si $k \subseteq K$ est une extension algébrique (on note parfois ça
+$K/k$, mauvaise notation car elle fait penser à un quotient), si $k$
+est parfait alors $K$ l'est aussi, et $\Gamma_{K}$ est un sous-groupe
+de $\Gamma_k$. Ce sous-groupe est \emph{distingué} exactement lorsque
+$\sigma(K) = K$ (c'est-à-dire $K$ est \emph{globalement} stable
+par $\sigma$, pas nécessairement fixé point à point) pour tout
+$\sigma\in\Gamma_k$ : dans ce cas on dit que $K$ est une
+\textbf{extension galoisienne} de $k$, et on pose $\Gal(k\subseteq K)
+= \Gamma_k/\Gamma_{K}$, qui s'appelle groupe de Galois de l'extension
+$k \subseteq K$. Il peut se voir comme l'ensemble des automorphismes
+de $K$ laissant $k$ fixe. Remarque : si $\Gamma_k$ est abélien (c'est
+le cas de $\mathbb{F}_q$), \emph{toute} extension algébrique de $k$
+est galoisienne.
+
+\begin{thm}
+\begin{itemize}
+\item Si $k\subseteq K$ est une extension finie (donc algébrique)
+ galoisienne, alors un élément $x$ de $K$ appartient à $k$ si [et
+ seulement si] on a $\sigma(x) = x$ pour tout $\sigma \in
+ \Gal(k\subseteq K)$. De plus, il y a une bijection entre extensions
+ intermédiaires $k \subseteq E \subseteq K$ et sous-groupes de
+ $\Gal(k\subseteq K)$ donnée par $E \mapsto \Gamma_E/\Gamma_K =
+ \Gal(E\subseteq K)$ et réciproquement $H \mapsto \{x \in K
+ :\penalty-100 (\forall \sigma \in H)\, \sigma(x)=x\}$. (Note :
+ l'extension $E \subseteq K$ est toujours galoisienne (on rappelle
+ que $k \subseteq K$ était supposée l'être !), et $k \subseteq E$
+ l'est lorsque $\Gal(E\subseteq K)$ est distingué dans
+ $\Gal(k\subseteq K)$.)
+\item Version absolue : pour $k$ parfait, il y a une bijection entre
+ les extensions finies (et en particulier, algébriques) $k\subseteq
+ K$ de $k$ dans une clôture algébrique $k^{\alg}$ fixée, et les
+ sous-groupes de $\Gamma_k$ qui sont « ouverts » au sens où ils
+ contiennent un $\Gamma_{k'}$ pour $k'$ extension finie de $k$.
+\end{itemize}
+\end{thm}
+
+La première partie du résultat suivant est une conséquence triviale
+de \ref{rational-iff-fixed-by-galois}, la seconde est beaucoup plus
+subtile.
+\begin{thm}
+Pour $k$ parfait :
+\begin{itemize}
+\item Si $x \in \mathbb{A}^d(k^{\alg})$ est fixé par $\Gamma_k$, alors
+ $x \in \mathbb{A}^d(k)$ (au sens où ses coordonnées affines sont
+ dans $k$).
+\item Si $x \in \mathbb{P}^d(k^{\alg})$ est fixé par $\Gamma_k$, alors
+ $x \in \mathbb{P}^d(k)$ (au sens où \emph{il admet} des coordonnées
+ homogènes dans $k$).
+\end{itemize}
+\end{thm}
+
+
+
+\subsection{Variétés sur un corps non algébriquement clos}
+
+Soit $k$ un corps parfait. Si $I$ est un idéal de
+$k[t_1,\ldots,t_d]$, on définit l'idéal $I_{k^{\alg}} := I\cdot
+k^{\alg}[t_1,\ldots,t_d]$ engendré par $I$ dans
+$k^{\alg}[t_1,\ldots,t_d]$.
+
+\begin{prop}
+\begin{itemize}
+\item L'idéal $I_{k^{\alg}}$ est radical si et seulement si $I$ l'est.
+\item Un idéal $J$ de $k^{\alg}[t_1,\ldots,t_d]$ est de la forme
+ $I_{k^{\alg}}$ pour $I$ idéal de $k[t_1,\ldots,t_d]$ si et seulement
+ si $\sigma(J) = J$ pour tout $\sigma \in \Gamma_k$. Lorsque c'est
+ le cas, $I = J \cap k[t_1,\ldots,t_d]$.
+\item Lorsque $J$ est radical, c'est le cas (=$J$ est de la
+ forme $I_{k^{\alg}}$) si et seulement si $\sigma(Z(J)) = Z(J)$ (où
+ ici $Z(J)$ désigne $Z(J)(k^{\alg})$, les $k^{\alg}$-points
+ de $Z(J)$). Remarque : $Z(J)(k^{\alg}) = Z(I)(k^{\alg})$.
+\item On a des bijections réciproques, décroissantes pour l'inclusion,
+ entre idéaux radicaux de $k[t_1,\ldots,t_d]$ et fermés de Zariski de
+ $\mathbb{A}^d(k^{\alg})$ stables par Galois, donnée par $I \mapsto
+ Z(I_{k^{\alg}})(k^{\alg})$ et $E \mapsto \mathfrak{I}(E) \cap
+ k[t_1,\ldots,t_d]$.
+\end{itemize}
+\end{prop}
+
+On qualifiera un fermé de Zariski $X$ de $\mathbb{A}^d(k^{\alg})$
+stable par Galois de $k$-variété algébrique affine (moralité : c'est
+une variété dont les équations peuvent être définies sur $k$), et on
+considère que $Z(I)$ désigne cette variété $X$ (et pas juste
+l'ensemble des points sur $k$). On a alors effectivement un ensemble
+de $k$-points $X(k) = Z(I)(k)$ : concrètement, ce sont les points dont
+les coordonnées affines sont dans $k$, c'est-à-dire, sont fixées par
+Galois ; mais \emph{attention}, cet ensemble peut très bien être vide
+sans que $X$ le soit (car le Nullstellensatz ne fonctionne que sur un
+corps algébriquement clos). Par exemple, $Z(x^2+y^2+1) \subseteq
+\mathbb{A}^2$ définit une variété algébrique affine sur $\mathbb{R}$
+qui n'a aucun $\mathbb{R}$-point.
+
+La même chose fonctionne en projectif : on a des bijections
+réciproques, décroissantes pour l'inclusion, entre idéaux homogènes
+radicaux de $k[t_0,\ldots,t_d]$ autres que $(t_0,\ldots,t_d)$ et
+fermés de Zariski de $\mathbb{P}^d(k^{\alg})$ stables par Galois,
+donnée par $I \mapsto Z(I_{k^{\alg}})(k^{\alg})$ et $E \mapsto
+\mathfrak{I}(E) \cap k[t_0,\ldots,t_d]$.
+
+On appelle variété quasiprojective sur $k$ une variété quasiprojective
+$X$ (dans $\mathbb{P}^d$) sur $k^{\alg}$ qui soit stable par Galois
+(moralité : c'est une variété dont les équations peuvent être définies
+sur $k$). On peut donc définir une action de Galois sur
+$X(k^{\alg})$, et $X(k)$ est l'ensemble des points fixés par Galois
+(et pour toute extension $k'$ de $k$, l'ensemble $X(k')$ est le
+sous-ensemble de $X(k^{\alg})$ fixé par $\Gamma_{k'}$).
+
+Pour éviter les confusions, on note souvent $X_{k^{\alg}}$ la variété
+sur $k^{\alg}$ définie par $X$ (c'est-à-dire celle où on oublie la
+structure sur $k$ / l'action de Galois).
+
+\medbreak
+
+\underline{Attention :} si un idéal $I \subseteq k[t_1,\ldots,t_d]$ est premier
+(cela signifie qu'il est radical et que la variété $X = Z(I) \subseteq
+\mathbb{A}^d$ définie sur $k$ est irréductible au sens où elle n'est
+pas réunion de deux fermés plus petits définis sur $k$), cela
+n'implique pas que $I_{k^{\alg}}$ soit premier, c'est-à-dire que
+$X_{k^{\alg}}$ soit irréductible ; par contre, la réciproque est
+vraie. On dit parfois que $X$ est \emph{absolument irréducible} ou
+\emph{géométriquement irréductible} lorsque $X_{k^{\alg}}$ est
+irréductible. Contre-exemple : $Z(x^2+y^2)$ dans $\mathbb{A}^2$
+sur $\mathbb{R}$ n'est pas absolument irréductible puisque sur
+$\mathbb{C}$ il est réunion des deux droites $Z(x+iy)$ et $Z(x-iy)$,
+mais sur $\mathbb{R}$ il est irréductible car tout fermé défini
+sur $\mathbb{R}$ qui contient une de ces droites doit contenir
+l'autre.
+
+\medbreak
+
+Quant aux idéaux \emph{maximaux} de $k[t_1,\ldots,t_d]$, ils
+correspondent aux \emph{orbites} sous $\Gamma_k$, c'est-à-dire aux
+ensembles (nécessairement finis) de $k^{\alg}$-points tels que
+n'importe lequel puisse être envoyé sur n'importe lequel par un
+élément de $\Gamma_k$ (c'est-à-dire, si on préfère, qu'aucun
+sous-ensemble non-vide n'est stable par $\Gamma_k$). (On peut, si on
+le souhaite, considérer que ce sont là les « points » de l'espace
+affine $\mathbb{A}^d$, auquel cas on les appelle « points fermés »
+pour bien les distinguer des « $k$-points », c'est-à-dire les éléments
+de $k^d$, ou orbites réduites à un seul élément.) Une remarque
+analogue vaut pour des variétés algébriques sur $k$ plus générales :
+les idéaux maximaux de $k[t_1,\ldots,t_d]/I$, pour $I$ idéal radical
+de $k[t_1,\ldots,t_d]$, correspondent aux orbites sous $\Gamma_k$ de
+$Z(I)(k^{\alg})$.
+
+
+
+\subsection{Morphismes entre icelles}
+
+Si $X$ et $Y$ sont deux variétés quasiprojectives sur un corps
+parfait $k$, un morphisme $X_{k^{\alg}} \buildrel f\over\to
+Y_{k^{\alg}}$ sera considéré comme un morphisme $X \to Y$ de
+$k$-variétés lorsqu'il vérifie les conditions équivalentes suivantes :
+\begin{itemize}
+\item Il existe des équations à coefficients dans $k$ définissant $f$.
+\item Le morphisme $f$ commute à l'action de Galois, au sens où
+ $\sigma(f(x)) = f(\sigma(x))$ pour tout $x \in X(k^{\alg})$.
+\end{itemize}
+
+(Cas particulier éclairant : si $f \in \mathbb{F}_{q^n}[t]$, alors
+$f(t)^q = f(t^q)$ si et seulement si $f \in \mathbb{F}_q[t]$.)
+
+En particulier, $f$ définit une application $X(k) \to Y(k)$, mais la
+donnée de celle-ci \emph{ne suffit pas} à caractériser $f$ (penser au
+fait que $X(k)$ peut très bien être vide !).
+
+On peut aussi caractériser les morphismes $X \to Y$ de $k$-variétés
+comme les données pour toute $k$-algèbre $A$ d'un application $X(A)
+\buildrel f(A)\over\to Y(A)$ telle que : si $A \buildrel\psi\over\to
+A'$ est un morphisme de $k$-algèbres, alors les deux composées $X(A)
+\buildrel X(\psi)\over\to X(A') \buildrel f(A')\over\to Y(A')$ et
+$X(A) \buildrel f(A)\over\to Y(A) \buildrel Y(\psi)\over\to Y(A')$
+coïncident (cf. lemme de Yoneda).
+
+\medbreak
+
+Pour les fonctions régulières, on a ce qu'on imagine : un morphisme $X
+\to \mathbb{A}^1$ est la même chose qu'une fonction régulière sur
+$X_{k^{\alg}}$ stable par Galois, et c'est ce qu'on appelle une
+fonction régulière sur $X$. Lorsque $X = Z(I) \subseteq \mathbb{A}^d$
+est affine (avec $I = \mathfrak{I}(X)$ idéal de $k[t_1,\ldots,t_d]$),
+les fonctions régulières sur $X$ sont les éléments de
+$k[t_1,\ldots,t_d]/I$. En général, on peut toujours définir une
+fonction régulière sur $X$ par recollement de fonctions régulières sur
+des ouverts affines (c'est-à-dire : on peut le faire \emph{sur $k$},
+il n'y a pas besoin de passer à la clôture algébrique).
+
+
+
+%
+%
+%
+
+\section{Introduction aux bases de Gröbner}
+
+\subsection{Monômes et idéaux monomiaux}
+
+On appelle \textbf{monôme} de $k[t_1,\ldots,t_d]$ un
+$t_1^{\ell_1}\cdots t_d^{\ell_d}$. On dit qu'un monôme
+$t_1^{\ell_1}\cdots t_d^{\ell_d}$ \textbf{divise} un monôme
+$t_1^{\ell'_1}\cdots t_d^{\ell'_d}$ lorsque $\ell_i \leq \ell'_i$ pour
+tout $i$ (c'est bien la relation de divisibilité dans l'anneau
+factoriel $k[t_1,\ldots,t_d]$, restreinte aux monômes, et le rapport
+est alors lui-même un monôme). Un \textbf{terme} est un monôme
+multiplié par une constante (=élément de $k$) non nulle : on parle
+alors du monôme \emph{de} ce terme. Tout polynôme s'écrit de façon
+unique comme somme de termes dont les monômes sont distincts : ce sont
+les termes de (=intervenant dans) ce polynôme.
+
+Commençons par la remarque suivante, qui est évidente, mais
+essentielle :
+\begin{prop}\label{divisibility-of-monomials}
+Si $s_1,\ldots,s_r$ sont des monômes de $k[t_1,\ldots,t_d]$, alors
+pour chaque terme $c s$ de $g_1 s_1 + \cdots + g_r s_r$ (où
+$g_1,\ldots,g_r \in k[t_1,\ldots,t_d]$) le monôme $s$ de ce terme est
+divisible par l'un des $s_i$.
+\end{prop}
+\begin{proof}
+En développant l'écriture $g_1 s_1 + \cdots + g_r s_r$, puisque la
+somme comporte le terme $c s$, au moins un des facteurs comporte un
+terme dont le monôme est $s$, ce qui montre bien que $s$ est divisible
+par un des $s_i$.
+\end{proof}
+
+\begin{cor}
+Si $s_1,\ldots,s_r$ sont des monômes de $k[t_1,\ldots,t_d]$, l'idéal
+qu'ils engendrent est exactement l'idéal des polynômes dont le monôme
+de chaque terme est divisible par un des $s_i$.
+\end{cor}
+\begin{proof}
+On vient de montrer que si $f$ est dans $(s_1,\ldots,s_r)$ alors le
+monôme de chaque terme de $f$ est divisible par un des $s_i$.
+Réciproquement, si c'est le cas, $f$ est somme de termes multiples
+des $s_i$, qui appartiennent donc à l'idéal engendré par les $s_i$.
+\end{proof}
+
+On appelle \textbf{idéal monomial} un idéal de $k[t_1,\ldots,t_d]$ qui
+peut être engendré par des monômes : le corollaire ci-dessus montre
+que si $I$ est un idéal monomial, alors tout terme d'un élément de $I$
+est encore un élément de $I$. Réciproquement, si $I$ est un idéal tel
+que tout terme d'un élément de $I$ soit un élément de $I$, alors $I$
+est monomial (en effet, on peut choisir un ensemble de générateurs
+de $I$, et les monômes des termes de ces générateurs donnent des
+éléments de $I$ qui engendrent les générateurs choisis, donc
+engendrent $I$).
+
+
+
+%
+\subsection{Ordres admissibles sur les monômes}
+
+On appelle \textbf{ordre admissible} (ou \textbf{ordre monomial}) sur
+les monômes de $k[t_1,\ldots,t_d]$ une relation d'ordre total
+$\preceq$ sur les monômes de ce dernier telle que :
+\begin{itemize}
+\item $1 \preceq s$ pour tout monôme $s$, et
+\item si $s_1 \preceq s_2$ et $s$ est un monôme quelconque, alors $s
+ s_1 \preceq s s_2$.
+\end{itemize}
+(On notera souvent abusivement $c s \preceq c' s'$, lorsque $cs, c's'$
+sont deux termes, pour signifier que leurs monômes vérifient $s
+\preceq s'$.)
+
+\begin{prop}\label{properties-of-admissible-orders}
+Si $\preceq$ est un ordre admissible sur les monômes de
+$k[t_1,\ldots,t_d]$, alors
+\begin{itemize}
+\item si $s_1 | s_2$ alors $s_1 \preceq s_2$,
+\item $\preceq$ est un bon ordre (c'est-à-dire : tout ensemble non
+ vide de monômes a un plus petit élément pour $\preceq$, ou de façon
+ équivalente, il n'y a pas de suite infinie strictement décroissante
+ de monômes pour $\preceq$).
+\end{itemize}
+\end{prop}
+\begin{proof}
+Le premier point est évident : si $s_2 = s s_1$ alors $1 \preceq s$
+entraîne $s_1 \preceq s s_1 = s_2$. Montrons le second : si $S$ est
+un ensemble de monômes, soit $I$ l'idéal qu'ils engendrent ; comme
+$k[t_1,\ldots,t_d]$ est noethérien, il existe un sous-ensemble fini
+$S_0 \subseteq S$ qui engendre le même idéal $I$. Soit $s$ le plus
+petit élément de $S_0$ : on prétend que $s$ est aussi le plus petit
+élément de $S$. En effet, si $s' \in S$ alors $s' \in I$ donc $s'$
+s'écrit comme combinaison d'éléments de $S_0$, mais alors
+d'après \ref{divisibility-of-monomials}, $s'$ est simplement multiple d'un
+élément de $S_0$, et d'après le premier point, $s\preceq s'$, ce qui
+conclut.
+\end{proof}
+
+Lorsque $d=1$, le seul ordre admissible sur les monômes est évidemment
+celui donné par $t^\ell \preceq t^{\ell'}$ ssi $\ell \leq \ell'$.
+
+Une fois fixé un ordre admissible $\preceq$ sur les monômes, si $f \in
+k[t_1,\ldots,t_d]$ est non nul, on note $\init_{\preceq}(f)$ (ou
+simplement $\init(f)$ si l'ordre est sous-entendu) et on appelle
+\textbf{terme initial} (ou \textbf{terme de tête}) de $f$ le terme au
+\emph{plus grand} monôme pour l'ordre en question. (Lorsque $d=1$,
+pour le seul ordre admissible sur les monômes, ceci est simplement le
+terme dominant de $f$.) Si $f=0$ on pose (un peu abusivement)
+$\init(f) = 0$.
+
+\medbreak
+
+Exemples importants d'ordres admissibles sur les monômes : (on
+supposera toujours, quitte à renuméroter les variables, que $t_1
+\preceq t_2 \preceq \cdots \preceq t_d$) :
+
+* L'\textbf{ordre lexicographique (pur)} est défini par $t_1^{\ell_1}
+\cdots t_d^{\ell_d} \mathrel{\preceq_{\mathtt{lex}}} t_1^{\ell'_1}
+\cdots t_d^{\ell'_d}$ ssi $\ell_i < \ell'_i$ pour le \emph{plus
+ grand} $i$ tel que $\ell_i \neq \ell'_i$. Pour cet ordre on a donc
+$1 \preceq t_1 \preceq t_1^2 \preceq t_1^3 \preceq \cdots \preceq t_2
+\preceq t_1 t_2 \preceq t_1^2 t_2 \preceq \cdots \preceq t_2^2 \preceq
+t_1 t_2^2 \preceq \cdots \preceq t_2^3 \preceq \cdots \preceq t_3
+\preceq t_1 t_3 \preceq t_1^2 t_3 \preceq \cdots \preceq t_2 t_3
+\preceq t_1 t_2 t_3 \preceq \cdots \preceq t_3^2 \preceq \cdots
+\preceq t_4 \preceq \cdots$. (Attention, l'ordre donne le poids fort
+à l'exposant de la dernière variable, ce qui correspond à la
+convention faite $t_1 \preceq t_2 \preceq \cdots \preceq t_d$ ; plus
+généralement, tout ordre total sur l'ensemble des variables définit un
+unique ordre lexicographique pur associé.)
+
+\emph{Caractérisation :} Si $\init_{\mathtt{lex}}(f) \in
+k[t_1,\ldots,t_s]$ (pour un $s\leq d$) alors $f \in
+k[t_1,\ldots,t_s]$.
+
+* L'\textbf{ordre lexicographique par degré} ou \textbf{ordre
+ lexicographique gradué} est défini par $t_1^{\ell_1} \cdots
+t_d^{\ell_d} \mathrel{\preceq_{\mathtt{glex}}} t_1^{\ell'_1} \cdots
+t_d^{\ell'_d}$ ssi $\sum \ell_i < \sum \ell'_i$ ou $\sum \ell_i = \sum
+\ell'_i$ et $\ell_i < \ell'_i$ pour le \emph{plus grand} $i$ tel que
+$\ell_i \neq \ell'_i$. Autrement dit, les monômes sont classés par
+degré total en priorité puis, faute de cela, par l'ordre
+lexicographique pur défini ci-dessus. Pour cet ordre, on a donc $1
+\preceq t_1 \preceq t_2 \preceq t_3 \preceq t_4 \preceq \cdots \preceq
+t_1^2 \preceq t_1 t_2 \preceq t_2^2 \preceq t_1 t_3 \preceq t_2 t_3
+\preceq t_3^2 \preceq \cdots \preceq t_1^3 \preceq t_1^2 t_2 \preceq
+t_1 t_2^2 \preceq t_2^3 \preceq t_1^2 t_3 \preceq t_1 t_2 t_3 \preceq
+\cdots$. (Même remarque que ci-dessus : il y a un tel ordre pour
+chaque ordre total sur les variables.)
+
+\emph{Caractérisation :} L'ordre $\mathrel{\preceq_{\mathtt{glex}}}$
+raffine l'ordre partiel donné par le degré total ; et si $f$ homogène
+vérifie $\init_{\mathtt{glex}}(f) \in k[t_1,\ldots,t_s]$ (pour
+un $s\leq d$) alors $f \in k[t_1,\ldots,t_s]$.
+
+* L'\textbf{ordre lexicographique inversé par degré} (ou
+\textbf{...gradué}) est défini par $t_1^{\ell_1} \cdots t_d^{\ell_d}
+\mathrel{\preceq_{\mathtt{grevlex}}} t_1^{\ell'_1} \cdots
+t_d^{\ell'_d}$ ssi $\sum \ell_i < \sum \ell'_i$ ou $\sum \ell_i = \sum
+\ell'_i$ et $\ell_i > \ell'_i$ (attention au sens !) pour le
+\emph{plus petit} $i$ tel que $\ell_i \neq \ell'_i$. Pour cet ordre,
+on a donc $1 \preceq t_1 \preceq t_2 \preceq t_3 \preceq t_4 \preceq
+\cdots \preceq t_1^2 \preceq t_1 t_2 \preceq t_1 t_3 \preceq t_1 t_4
+\preceq \cdots \preceq t_2^2 \preceq t_2 t_3 \preceq \cdots \preceq
+t_3^2 \preceq \cdots \preceq t_1^3 \preceq t_1^2 t_2 \preceq t_1^2 t_3
+\preceq \cdots \preceq t_1 t_2^2 \preceq t_1 t_2 t_3 \preceq \cdots
+\preceq t_2^3 \preceq \cdots$. (Même remarque que ci-dessus : il y a
+un tel ordre pour chaque ordre total sur les variables. De plus,
+$\mathrel{\preceq_{\mathtt{grevlex}}}$ et
+$\mathrel{\preceq_{\mathtt{glex}}}$ coïncident lorsqu'il n'y a que
+deux variables, une fois fixé l'ordre entre celles-ci.)
+
+\emph{Caractérisation :} L'ordre
+$\mathrel{\preceq_{\mathtt{grevlex}}}$ raffine l'ordre partiel donné
+par le degré total ; et si $f$ homogène vérifie
+$\init_{\mathtt{grevlex}}(f) \in (t_1,\ldots,t_s)$ (pour un $s\leq d$)
+alors $f \in (t_1,\ldots,t_s)$.
+
+
+%
+\subsection{Bases de Gröbner}
+
+Si $I$ est un idéal de $k[t_1,\ldots,t_d]$ (et $\preceq$ un ordre
+admissible), on appelle $\init_{\preceq}(I)$ l'idéal engendré par les
+$\init_{\preceq}(f)$ pour tous les $f\in I$ (c'est donc un idéal
+monomial). Attention ! il n'y a aucune raison que prendre les
+$\init_{\preceq}(f)$ pour $f$ parcourant des générateur de $I$ suffise
+à engendrer $\init_{\preceq}(I)$.
+
+\begin{defn}
+Si $I$ est un idéal de $k[t_1,\ldots,t_d]$ et $\preceq$ un ordre
+admissible sur les monômes de ce dernier, on appelle \textbf{base de
+ Gröbner} de $I$ un ensemble $f_1,\ldots,f_r$ d'éléments de $I$ tels
+que $\init_{\preceq}(f_1),\ldots,\init_{\preceq}(f_r)$
+engendrent $\init_{\preceq}(I)$.
+\end{defn}
+
+A priori, rien ne dit que $f_1,\ldots,f_r$ engendrent $I$. C'est
+pourtant le cas :
+\begin{prop}
+Dans les conditions ci-dessus, on a $I = (f_1,\ldots,f_r)$.
+\end{prop}
+\begin{proof}
+On a $I \supseteq (f_1,\ldots,f_r)$ puisque les $f_i$ sont supposés
+dans $I$. Supposons maintenant qu'il n'y ait pas égalité. Soit $h
+\in I$ un polynôme avec le monôme dans $\init(h)$ le plus petit
+possible (pour $\preceq$) tel que $h \not\in (f_1,\ldots,f_r)$.
+Puisque $\init(h) \in \init(I)$, on peut écrire $\init(h) = g_1
+\init(f_1) + \cdots + g_r \init(f_r)$ par l'hypothèse faite sur
+les $f_i$ (pour certains $g_1,\ldots,g_r$).
+D'après \ref{divisibility-of-monomials}, ceci montre que $\init(h) = c s
+\init(f_i)$ pour un certain monôme $s$ et $c$ une constante. On a
+alors $s f_i \in I$, et $\init(c s f_i) = c s \init(f_i) = \init(h)$,
+donc $h - c s f_i$, qui appartient à $I$, a un terme initial de monôme
+strictement plus petit que $h$, donc par minimalité de ce dernier, $h
+- c s f_i \in (f_1,\ldots,f_r)$. Mais alors $h \in (f_1,\ldots,f_r)$,
+une contradiction.
+\end{proof}
+
+Une évidence : tout idéal admet une base de Gröbner. En effet, parmi
+les $\init(f)$ pour $f\in I$ qui engendrent $\init(I)$ on peut
+extraire un ensemble fini engendrant $\init(I)$ --- il s'agit d'une
+base de Gröbner de $I$.
+
+\begin{algo}[algorithme de division]\label{division-algorithm}
+Soient $f,f_1,\ldots,f_r \in k[t_1,\ldots,t_d]$ et $\preceq$ un ordre
+admissible sur les monômes. Alors il existe une écriture
+\[
+f = g_1 f_1 + \cdots + g_r f_r + \rho
+\tag{$*$}
+\]
+où $g_1,\ldots,g_r,\rho \in k[t_1,\ldots,t_d]$, où aucun des monômes
+de $\rho$ n'est divisible par un des $\init(f_i)$, et où $\init(g_i
+f_i) \preceq \init(f)$ pour chaque $i$ ; et on va donner un algorithme
+pour calculer cette écriture ; un tel $\rho$ s'appelle un
+\textbf{reste} de $f$ par rapport au $f_1,\ldots,f_r$ et pour l'ordre
+monomial $\preceq$ (on dit aussi que l'écriture ($*$) s'appelle une
+\textbf{écriture standard} de $f$ par rapport aux $f_1,\ldots,f_r$ et
+pour cet ordre monomial).
+
+Lorsque les $f_1,\ldots,f_r$ forment une base de Gröbner (d'un
+idéal $I = (f_1,\ldots,f_r)$), on a $f \in (f_1,\ldots,f_r)$ si et
+seulement si $\rho = 0$, et $\rho$ est défini de façon unique par $f$.
+\end{algo}
+
+\begin{proof}[Description de l'algorithme]
+Si aucun terme de $f$ n'est divisible par aucun des $\init(f_i)$,
+retourner $\rho = f$ (et tous les $g_i = 0$). Sinon, soit $c s
+\init(f_i)$ (où $c\neq 0$ est une constante et $s$ un monôme) le
+$\preceq$-plus grand terme de $f$ qui soit divisible par un
+des $\init(f_i)$ : on applique récursivement l'algorithme à $f' = f -
+c s f_i$ (qui vérifie $\init(f') \preceq \init(f)$), si $f' = g'_1 f_1
++ \cdots + g'_r f_r + \rho'$ est le résultat, renvoyer $g_j = g'_j$
+sauf $g_i = g'_i + c s$, et $\rho = \rho'$.
+\end{proof}
+
+\begin{proof}
+L'algorithme termine car le $\preceq$-plus grand monôme de $f$
+divisible par un des $\init(f_i)$ décroît strictement à chaque
+itération, or $\preceq$ est un bon ordre
+(cf. \ref{properties-of-admissible-orders}). La propriété sur $\rho$
+est évidente. La propriété $\init(g_j f_j) \preceq \init(f)$ découle
+par induction de $\init(g'_j f_j) \preceq \init(f') \preceq \init(f)$
+et $\init(c s f_i) = c s \init(f_i) = c\init(f)$.
+
+Si $\rho = 0$, le fait que $f \in (f_1,\ldots,f_r)$ est trivial. Si
+$f_1,\ldots,f_r$ forment une base de Gröbner et $f \in
+(f_1,\ldots,f_r)$, comme on a aussi $\rho \in (f_1,\ldots,f_r)$, alors
+$\init(\rho) \in (\init(f_1),\ldots,\init(f_r))$, ce qui vu le fait
+qu'aucun monôme de $\rho$ n'est divisible par un des $\init(f_i)$,
+n'est possible que si $\rho = 0$ (cf. \ref{divisibility-of-monomials}) ; de
+même, si $\rho$ et $\rho'$ sont deux restes différents du même $f$,
+disons $f = g_1 f_1 + \cdots + g_r f_r + \rho$ et $f = g'_1 f_1 +
+\cdots + g'_r f_r + \rho'$, alors $(g'_1-g_1) f_1 + \cdots +
+(g'_r-g_r) f_r + (\rho'-\rho)$ est une écriture standard de $0$, donc
+$\rho'=\rho$.
+\end{proof}
+
+\textbf{Moralité :} Connaître une base de Gröbner d'un idéal $I$
+permet de répondre à la question de savoir si $f\in I$ pour un idéal
+donné. Mieux, si $(f_1,\ldots,f_r)$ est cette base de Gröbner,
+l'ensemble des classes des monômes qui ne sont divisibles par aucun
+des $\init(f_i)$ constitue une base de $k[t_1,\ldots,t_d]/I$, ce qui,
+avec l'algorithme de division, permet de calculer dans l'anneau en
+question.
+
+Lorsque $f_1,\ldots,f_r$ ne forment pas une base de Gröbner, on peut
+très bien avoir $\rho \neq 0$ et pourtant que $\rho$
+(c'est-à-dire, $f$) appartienne à l'idéal $(f_1,\ldots,f_r)$. Par
+exemple, pour deux polynômes, $g_1 f_1 + g_2 f_2$ pourrait avoir un
+coefficient initial beaucoup plus petit que ceux de $f_1,f_2$ à cause
+d'une annulation entre ceux-ci (dans ce cas, l'algorithme de division
+appliqué à $g_1 f_1 + g_2 f_2$ par rapport à $f_1,f_2$ donnerait $g_1
+f_1 + g_2 f_2$ lui-même comme reste, bien que ce polynôme appartienne
+à $(f_1,f_2)$). L'algorithme de Buchberger pour calculer les bases de
+Gröbner se fonde sur l'idée qu'il suffit d'éviter ce phénomène.
+
+
+%
+\subsection{L'algorithme de Buchberger}
+
+Soient $f_1,\ldots,f_r\in k[t_1,\ldots,t_d]$ : pour chaque
+couple $(i,j)$ (où $i \neq j$), on définit le \textbf{polynôme de
+ syzygie} entre $f_i$ et $f_j$ :
+\[
+\begin{array}{c}
+f_{i,j} = c_{j,i} s_{j,i} f_i - c_{i,j} s_{i,j} f_j\\
+\hbox{où~}
+c_{i,j} s_{i,j} = \init(f_i)/\pgcd(\init(f_i),\init(f_j))
+\end{array}
+\]
+Le pgcd (unitaire) de deux termes $c s$ et $c' s'$ étant défini comme
+le plus grand monôme (pour n'importe quel ordre admissible, ou pour
+l'ordre partiel de divisibilité) parmi les monômes qui divisent à la
+fois $s$ et $s'$ (c'est-à-dire $t_1^{\min(\ell_1,\ell'_1)} \cdots
+t_d^{\min(\ell_d,\ell'_d)}$ si $s = t_1^{\ell_1} \cdots t_d^{\ell_d}$
+et $s' = t_1^{\ell'_1} \cdots t_d^{\ell'_d}$). Remarquons que
+$c_{i,j} s_{i,j} f_i$ et $c_{j,i} s_{j,i} f_j$ ont le même terme
+initial, de sorte que celui de $f_{i,j}$ a un monôme strictement plus
+petit. (Bien sûr, $f_{i,i} = 0$ pour tout $i$, donc on ne s'intéresse
+qu'aux $f_{i,j}$ pour $i\neq j$.)
+
+On appelle \textbf{module des relations} entre $f_1,\ldots,f_r$
+l'ensemble (qui est un sous-module de $(k[t_1,\ldots,t_d])^r$, d'où le
+terme) des $(g_1,\ldots,g_r)$ tels que $g_1 f_1 + \cdots + g_r f_r =
+0$, ces $(g_1,\ldots,g_r)$ étant appelés des \textbf{relations} entre
+les $f_i$ (relation non-triviale si les $g_i$ ne sont pas tous nuls).
+
+Soit $\rho_{i,j}$ le reste (au sens de \ref{division-algorithm})
+de $f_{i,j}$ par rapport aux $f_1,\ldots,f_r$ (pour un ordre
+monomial $\preceq$) : si les $f_1,\ldots,f_r$ forment une base de
+Gröbner alors $\rho_{i,j} = 0$ puisque $f_{i,j} \in (f_1,\ldots,f_r)$.
+Ce qui est plus surprenant est que la réciproque est également vraie :
+
+\begin{thm}[critère de Buchberger]
+Avec les notations ci-dessus, on a $\rho_{i,j} = 0$ pour tous $i,j$ si
+et seulement $f_1,\ldots,f_r$ forment une base de Gröbner (de l'idéal
+qu'ils engendrent).
+
+(Spears-Schreyer) De plus, lorsque c'est le cas, les relations
+$c_{j,i} s_{j,i} f_i - c_{i,j} s_{i,j} f_j - \sum_u g^{(i,j)}_u f_u$,
+où $f_{i,j} = g^{(i,j)}_1 f_1 + \cdots + g^{(i,j)}_r f_r$ est une
+écriture standard de $f_{i,j}$, engendrent\footnote{En fait, les
+ relations en question forment elles-même une base de Gröbner du
+ module des relations, si on prend la peine de définir la notion de
+ « base de Gröbner » d'un module et non seulement d'un idéal, pour un
+ ordre admissible sur les monômes de $k[t_1,\ldots,t_d]^r$ qui se
+ déduit facilement de $\preceq$.} le module des relations
+entre $f_1,\ldots,f_r$.
+\end{thm}
+
+\begin{algo}[algorithme de Buchberger]
+Donné $f_1,\ldots,f_r \in k[t_1,\ldots,t_d]$, on peut calculer
+effectivement une base de Gröbner de l'idéal qu'ils engendrent.
+\end{algo}
+\begin{proof}[Description de l'algorithme]
+Calculer les $\rho_{i,j}$ définis plus hauts : si les $\rho_{i,j}$
+sont tous nuls, terminer (les $f_1,\ldots,f_r$ forment une base de
+Gröbner). Si un des $\rho_{i,j}$ est non nul, dès qu'on le trouve,
+ajouter ce $\rho_{i,j}$ parmi les $f_1,\ldots,f_r$ (c'est-à-dire,
+recommencer l'algorithme avec $f_1,\ldots,f_r,\rho_{i,j}$).
+\end{proof}
+\begin{proof}
+L'algorithme termine car l'idéal engendré par
+$\init(f_1),\ldots,\init(f_r)$ ne cesse de croître strictement : le
+processus doit donc terminer, ce qui ne peut se produire que parce que
+tous les $\rho_{i,j}$ sont tous nuls, et le critère précédent permet
+de dire qu'on a bien une base de Gröbner.
+\end{proof}
+
+\medbreak
+
+\textbf{Bases de Gröbner réduites.}
+
+\begin{defn}
+Une base de Gröbner $f_1,\ldots,f_r$ est dite \textbf{réduite}
+lorsque, pour $i\neq j$, le monôme du terme $\init(f_i)$ ne divise
+aucun des monômes apparaissant dans $f_j$, et si, de plus, chacun des
+termes $\init(f_i)$ est unitaire (=la constante devant le monôme
+est $1$).
+\end{defn}
+
+On peut facilement calculer une base de Gröbner réduite à partir d'une
+base de Gröbner, en soustrayant, pour chaque $f_j$, chaque terme
+divisible par un des $\init(f_i)$ (et en commençant par le plus grand
+pour l'ordre monomial), le multiple de $f_i$ qui permet de l'annuler,
+et en répétant cette opération aussi souvent que nécessaire (il est
+clair que cela termine). Il faut, bien sûr, retirer tous les éléments
+nuls, puis normaliser à $1$ la constante devant le monôme initial de
+chaque $f_i$.
+
+\begin{prop}
+Pour un idéal $I$ de $k[t_1,\ldots,t_d]$ et un ordre
+admissible $\preceq$, il existe une unique base de Gröbner réduite (on
+l'appelle donc \emph{la} base de Gröbner réduite de $I$ pour cet
+ordre).
+\end{prop}
+
+
+%
+\subsection{Bases de Gröbner et élimination}
+
+\begin{prop}
+Soit $I$ un idéal de $k[t_1,\ldots,t_d]$ et $s\leq d$ : si
+$f_1,\ldots,f_r$ est une base de Gröbner de $I$ pour
+l'ordre $\mathrel{\preceq_{\mathtt{lex}}}$ (où on est convenu que $t_1
+\preceq t_2 \preceq \cdots \preceq t_d$), alors ceux des $f_i$ qui
+appartiennent à $k[t_1,\ldots,t_s]$ forment une base de Gröbner de $I
+\cap k[t_1,\ldots,t_s]$.
+\end{prop}
+
+(En fait, il suffit que l'ordre $\preceq$ utilisé vérifie la
+propriété : si $\init_{\preceq}(f) \in k[t_1,\ldots,t_s]$ alors $f \in
+k[t_1,\ldots,t_s]$. Une façon parfois plus efficace que l'ordre
+lexicographique pur, \emph{si on connaît $s$ à l'avance}, consiste à
+prendre l'ordre sur le degré total en les seules variables
+$t_1,\ldots,t_s$ comme premier critère de comparaison, et en cas
+d'égalité comparer avec $\mathrel{\preceq_{\mathtt{grevlex}}}$.)
+
+\begin{prop}
+Soit $I$ un idéal de $k[t_1,\ldots,t_d]$ et $s \leq d$. Alors $Z(I
+\cap k[t_1,\ldots,t_s])$ est l'adhérence de Zariski dans
+$\mathbb{A}^s$ de la projection (c'est-à-dire l'image au sens
+de \ref{image-of-a-morphism} par le morphisme $\mathbb{A}^d \to
+\mathbb{A}^s$ qui projette sur les $s$ premières coordonnées
+c'est-à-dire $(x_1,\ldots,x_d) \mapsto (x_1,\ldots,x_d)$) de $Z(I)$.
+\end{prop}
+
+
+
+%
+%
+%
+
+\section{Les courbes}
+
+\subsection{Corps des fonctions et morphismes vers $\mathbb{P}^1$}
+
+\begin{defn}
+On appelle \textbf{courbe (projective lisse)} sur un corps $k$ une
+variété algébrique projective lisse géométriquement
+irréductible\footnote{C'est-à-dire qu'elle est irréductible quand on
+ la voit sur la clôture algébrique $k^{\alg}$ de $k$.} de
+dimension $1$ sur $k$. Lorsque la variété n'est pas supposée lisse,
+on parle de courbe « non nécessairement lisse ».
+\end{defn}
+
+Les fermés de Zariski d'une courbe qui ne sont pas la courbe tout
+entière sont de dimension zéro (cf. \ref{hauptidealsatz}) donc sont
+(sur $k^{\alg}$) des réunions finies de points.
+
+Si $C$ est une courbe non nécessairement lisse, on note $k(C)$ le
+corps des fonctions rationnelles sur $C$
+(cf. \ref{definition-rational-function-and-dimension}). Rappelons
+qu'il s'agit des fonctions régulières sur un ouvert non-vide (=dense)
+de $C$, définies sur $k$ (où on identifie deux fonctions quand elles
+coïncident sur l'intersection des ouverts sur lesquels elles sont
+données) ; on l'appelle simplement \textbf{corps des fonctions}
+de $C$. On a $k(C) = \Frac(\mathcal{O}(U))$ pour n'importe quel
+ouvert affine\footnote{\label{footnote-affine}En fait, on verra que
+ tout ouvert de $C$ différent de $C$ est automatiquement affine.}
+non-vide (=dense) de $C$. On appelle évidemment \textbf{constantes}
+les éléments de $k$ vus dans $k(C)$.
+
+On note aussi $k^{\alg}(C)$ le corps des fonctions rationnelles
+sur $C_{k^{\alg}}$, c'est-à-dire après passage à la clôture algébrique
+$k^{\alg}$ de $k$. On voit $k(C)$ à l'intérieur de $k^{\alg}(C)$ ;
+pour $k$ parfait, le corps $k(C)$ est simplement le corps des éléments
+de $k^{\alg}(C)$ fixés par le groupe de Galois absolu de $k$.
+
+Le degré de transcendance de $k(C)$ (ou $k^{\alg}(C)$) sur $k$
+(ou $k^{\alg}$, s'agissant de $k^{\alg}(C)$) est $1$ : c'est-à-dire
+qu'il existe des éléments de $k(C)$ n'appartenant pas à $k^{\alg}$, et
+que deux tels éléments sont toujours algébriques l'un par rapport à
+l'autre.
+
+\textbf{Exemple :} $\mathbb{P}^1$ sur $k$ est une courbe sur $k$, son
+corps des fonctions est $k(\mathbb{P}^1) = k(t)$ où $t$ est un
+paramètre affine quelconque sur $\mathbb{P}^1$ ; et on a bien sûr
+$k^{\alg}(\mathbb{P}^1) = k^{\alg}(t)$.
+
+\medbreak
+
+\begin{defn}
+Soit $X$ une variété quasiprojective irréductible (non nécessairement
+lisse), et $P$ un $k^{\alg}$-point de $X$, on note $\mathcal{O}_{X,P}$
+et on appelle \textbf{anneau local de $X$ en $P$} le sous-anneau de
+$k(X)$ formé des fonctions rationnelles qui sont données sur un ouvert
+contenant $P$. Ces fonctions sont dites \textbf{régulières en $P$}.
+\end{defn}
+
+Grâce au recollement on peut affirmer que, si $U$ est la réunion de
+tous les ouverts sur lesquels $f$ peut être donnée comme une fonction
+régulière, on peut effectivement représenter $f$ comme une fonction
+régulière sur tout $U$ : on appelle $U$ \textbf{l'ouvert de
+ régularité} de $f$ (ou parfois l'ouvert de définition).
+
+On peut décrire $\mathcal{O}_{X,P}$ autrement : si $U$ est un ouvert
+affine contenant $P$, et $\mathfrak{m}_P$ l'idéal maximal de
+$\mathcal{O}(U)$ des fonctions s'annulant en $P$, alors
+$\mathcal{O}_{X,P}$ est le \emph{localisé} de $\mathcal{O}(U)$ en
+l'idéal $\mathfrak{m}_P$ (c'est-à-dire inversant toutes les fonctions
+qui ne sont pas dans $\mathfrak{m}_P$, cf. les remarques suivant
+\ref{properties-localization}). Il s'agit bien d'un anneau local au sens
+définit en \ref{subsection-reduced-and-integral-rings}.
+
+\medbreak
+
+Le fait suivant peut sembler clair, mais il joue un rôle
+crucial\footnote{Pour voir qu'il n'est pas vrai de façon plus
+ générale, penser à la fonction rationnelle $x/y$ sur $\mathbb{P}^2$,
+ où $x,y$ sont deux des trois coordonnées homogènes : ni elle ni son
+ inverse ne sont régulières au point $x=y=0$.} pour expliquer
+pourquoi la dimension $1$ est particulièrement simple :
+\begin{prop}
+Si $C$ est une courbe non nécessairement lisse, et $P$ un
+$k^{\alg}$-point \emph{lisse} de $C$, alors pour tout $f \in k(C)$ non
+nul on a $f \in \mathcal{O}_{C,P}$ ou bien $f^{-1} \in
+\mathcal{O}_{C,P}$.
+
+Autrement dit : pour $f$ une fonction rationnelle sur une courbe $C$
+et $P$ un point lisse sur $C$, si $f$ n'est pas régulière en $P$ alors
+$f^{-1}$ l'est.
+\end{prop}
+
+Pour $C$ une courbe (lisse), on peut considérer une fonction
+rationnelle $f \in k(C)$ comme une fonction régulière $U \to
+\mathbb{A}^1$ sur son ouvert $U$ de régularité (l'ensemble des points
+où $f$ est régulière). La proposition affirme donc que les ouverts de
+régularité $U$ de $f$ et $U'$ de $f^{-1}$ recouvrent $C$. Les
+morphismes $U \to \mathbb{P}^1$ et $U' \to \mathbb{P}^1$ définis par
+$P \mapsto (1:f(P))$ et $P \mapsto (f^{-1}(P):1)$ se recollent et
+définissent donc un morphisme $C \to \mathbb{P}^1$ qu'on veut
+identifier à $f$. Réciproquement, tout morphisme $C \to \mathbb{P}^1$
+qui n'est pas constamment égal à $\infty$ (=le point complémentaire
+de $\mathbb{A}^1$) définit une fonction régulière sur l'ouvert $U =
+f^{-1}(\mathbb{A}^1)$ de $C$. On a donc expliqué pourquoi :
+\begin{prop}\label{rational-function-on-a-curve-is-regular}
+Si $C$ est une courbe (lisse), les fonctions rationnelles sur $C$
+s'identifient (comme expliqué ci-dessus) aux morphismes $C \to
+\mathbb{P}^1$ non constamment égaux à $\infty$.
+
+Plus généralement, tout morphisme d'un ouvert non-vide de $C$ vers une
+variété \emph{projective} $Y$ s'étend à $C$ tout entier.
+\end{prop}
+
+\bigbreak
+
+\thingy\textbf{Une remarque sur Galois.}\label{remark-on-galois} Quand on considère les points
+d'une variété sur un corps $k$ parfait non algébriquement clos, il est
+parfois préférable de considérer les $k^{\alg}$-points séparément
+(qu'on peut appeler \emph{points géométriques} pour insister), parfois
+il est préférable de considérer ensemble tous les $k^{\alg}$-points
+qui s'envoie les uns sur les autres par l'action du groupe de Galois
+absolu $\Gal(k)$ de $k$, c'est-à-dire les « orbites galoisiennes » de
+points géométriques, qu'on appelle aussi \emph{points fermés}. Par
+exemple, pour droite affine $\mathbb{A}^1$ réelle, les
+$\mathbb{C}$-points $i$ et $-i$ constituent collectivement un point
+fermé, défini par l'équation $t^2+1$. L'intérêt des points fermés est
+qu'ils correspondent aux idéaux maximaux (sur $k$) pour une variété
+affine sur $k$ (exemple : l'idéal des polynômes réels s'annulant en
+$i$ est le même que celui des polynômes réels s'annulant en $-i$,
+c'est l'idéal engendré par $t^2+1$). On appelle \emph{degré} d'un
+point fermé le nombre de points géométriques qui le constitue : c'est
+aussi le degré (=la dimension comme $k$-espace vectoriel) du corps
+résiduel $\kappa(P) = \mathcal{O}(X)/\mathfrak{m}_P$ si $X$ est affine
+et $\mathfrak{m}_P$ l'idéal correspondant au point fermé $P$.
+Certains résultats s'énoncent mieux en parlant d'un point fermé de
+degré $n$, d'autres en parlant de $n$ points géométriques (constituant
+une orbite galoisienne).
+
+
+
+%
+\subsection{Valuation d'une fonction en un point}
+
+Soit $C$ une courbe (non nécessairement lisse) et $P$ un
+$k^{\alg}$-point lisse sur $C$. On appelle $\mathfrak{m}_P$ l'idéal
+dans $\mathcal{O}_{C,P}$ formé des fonctions s'annulant en $P$.
+
+\begin{prop}\label{properties-valuation}
+Avec les notations ci-dessus, il existe une unique fonction $\ord_P
+\colon k(C) \to \mathbb{Z} \cup \{+\infty\}$ vérifiant :
+\begin{itemize}
+\item si $\ord_P(f) = +\infty$ ssi $f=0$, et $\ord_P(c) = 0$ pour tout
+ $c \in k^\times$,
+\item si $f,g \in k(C)$, on a $\ord_P(f+g) \geq
+ \min(\ord_P(f),\ord_P(g))$ (note : ceci implique qu'il y a égalité
+ si $\ord_P(f) \neq \ord_P(g)$),
+\item si $f,g \in k(C)$, on a $\ord_P(fg) = \ord_P(f) + \ord_P(g)$,
+\item on a $\ord_P(f) \geq 0$ ssi $f \in \mathcal{O}_{C,P}$ (i.e.,
+ $f$ est régulière en $P$), et $\ord_P(f) > 0$ ssi $f \in
+ \mathfrak{m}_P$ (i.e., $f$ s'annule en $P$),
+\item il existe des $f$ tels que $\ord_P(f) = 1$.
+\end{itemize}
+\end{prop}
+
+Cette fonction s'appelle la \textbf{valuation en $P$} ou
+l'\textbf{ordre (du zéro) en $P$}. Lorsque $\ord_P(f) = v > 0$, on
+dit que $f$ a un zéro d'ordre $v$ en $P$ ; lorsque $\ord_P(f) = (-v) <
+0$, on dit que $f$ a un pôle d'ordre $v$ en $P$ ; lorsque $\ord_P(f) =
+0$, on dit que $f$ est inversible en $P$ (cela signifie bien que $f$
+est inversible dans $\mathcal{O}_{C,P}$) ; lorsque $\ord_P(f) = 1$, on
+dit que $f$ est une \textbf{uniformisante} en $P$ (il n'est pas
+difficile de voir que cela signifie que $f$ engendre
+l'idéal $\mathfrak{m}_P$).
+
+\textbf{Exemple :} Si on voit $k(t)$ comme $k(\mathbb{P}^1)$, alors
+\begin{itemize}
+\item pour $P \in \mathbb{A}^1(k) = k$, la valuation en $P$ est bien
+ l'ordre d'annulation en $P$ de la fraction rationnelle $f$ (en
+ particulier, si $f$ est un polynôme, $\ord_P(f)$ est la multiplicité
+ de $(t-P)$ dans la décomposition en facteurs irréductibles de $f$ ;
+ et si $P = 0$, c'est ce qu'on appelle souvent, sans autre précision,
+ la valuation d'un polynôme) ;
+\item pour $P = \infty$, la valuation en $\infty$ d'un polynôme est
+ l'opposé de son degré, et la valuatin en $\infty$ d'une fraction
+ rationnelle $f$ est le degré de son dénominateur moins le degré de
+ son numérateur ;
+\item pour $P \in \mathbb{A}^1(k^{alg}) = k^{\alg}$, la valuation en
+ $P$ d'un polynôme $f$ est la multiplicité de $\mu_P$ dans la
+ décomposition en facteurs irréductibles de celui-ci, où $\mu_P$ est
+ le polynôme minimal de $P$ (par exemple, sur les réels,
+ $\ord_i(t^2+1) = 1$), et pour une fraction rationnelle on peut bien
+ sûr le calculer comme l'ordre du numérateur moins celui du
+ dénominateur.
+\end{itemize}
+
+Remarquons que $\ord_P(f)$ est le même que $f$ soit considéré comme
+vivant dans $k(C)$ ou dans $k^{\alg}(C)$ (à cause de l'unicité
+affirmée pour la fonction $\ord_P$). Par ailleurs, pour $f \in k(C)$,
+on a $\ord_P(f) = \ord_{\sigma(P)}(f)$ pour tout $\sigma \in \Gal(k)$
+(le groupe de Galois absolu de $k$), autrement dit, $\ord_P(f)$ ne
+dépend que de l'orbite de $P$ par $\Gal(k)$ (c'est-à-dire, du point
+fermé défini par $P$).
+
+\begin{prop}
+Soit $C$ une courbe (lisse) sur un corps $k$. Alors toute fonction
+$k(C) \to \mathbb{Z} \cup \{+\infty\}$ vérifiant les trois premières
+et la dernière des propriétés énumérées pour $\ord_P$
+en \ref{properties-valuation} est de la forme $\ord_P$ pour un certain
+$P \in C(k^{\alg})$.
+\end{prop}
+
+Les $\ord_P$ sont distinctes lorsque les points $P$ ne sont pas
+conjugués par Galois (cf. ci-dessus) : on va voir un résultat plus
+précis affirmant qu'elles sont, en fait, aussi indépendantes que
+possible (\ref{approximation-lemma} ci-dessous).
+
+\begin{prop}\label{basic-ord-facts}
+Soit $C$ une courbe (lisse) sur un corps $k$ :
+\begin{itemize}
+\item Pour tout $f \in k(C)$, il n'y a qu'un nombre fini de $P \in
+ C(k^{\alg})$ tels que $\ord_P(f) \neq 0$.
+\item Si $\ord_P(f) \geq 0$ pour tout $f$, alors $f \in k$ (la
+ fonction est constante).
+\end{itemize}
+\end{prop}
+\begin{proof}
+La première affirmation vient de ce que tout fermé de Zariski d'une
+courbe est fini. La seconde découle de ce que toute fonction
+régulière (ce qu'est un $f$ comme annoncé) sur une variété projective
+connexe est constante
+(cf. \ref{projective-to-affine-morphisms-are-constant}).
+\end{proof}
+
+\begin{prop}[lemme d'approximation]\label{approximation-lemma}
+Soit $C$ une courbe sur un corps $k$ et $U$ un ouvert
+affine\footnote{Cf. note \ref{footnote-affine}.} de $C$. Soient
+$Q_1,\ldots,Q_s$ des points dans $U$ dont aucun n'est image d'un autre
+sous l'action de Galois (=dont les orbites sous $\Gal(k)$ sont deux à
+deux disjointes, =dont les idéaux maximaux $\mathfrak{m}_{Q_i}$ sont
+deux à deux distincts, =définissant des points fermés deux à deux
+distincts), et $f_1,\ldots,f_s \in k(C)$ et $v_1,\ldots,v_s \in
+\mathbb{Z}$. Alors il existe $f \in k(C)$ telle que
+\[
+\begin{array}{cl}
+\ord_{Q_i}(f-f_i) \geq v_i&\hbox{~pour tout $i$}\\
+\ord_{P}(f) \geq 0&\hbox{~pour tout $P \in U \setminus \{\sigma(Q_i)\}$}\\
+\end{array}
+\]
+\end{prop}
+
+\emph{Moralité :} On peut toujours trouver une fonction $f$ qui
+approche les fonctions $f_i$ spécifiées à l'ordre $v_i$ spécifié aux
+points $Q_i$ spécifiés, et qui soit régulière à tout point de $U$ sauf
+évidemment ceux pour lesquels la condition imposée demande qu'ils ne
+le soient pas.
+
+\emph{Remarque :} Ce résultat recouvre l'existence des polynômes
+interpolateurs de Lagrange (pour $C = \mathbb{P}^1$ et $U =
+\mathbb{A}^1$, les $f_i$ des polynômes ayant les développements de
+Taylor souhaités aux ordres $v_i$, le résultat montre qu'il existe un
+polynôme $f$ ayant les développements spécifiés aux ordres spécifiés).
+
+\begin{proof}[Idée de démonstration]
+Pour $Q \in U$, si $\mathfrak{m}_{Q}$ désigne l'idéal des fonctions de
+$\mathcal{O}(U)$ s'annulant en $Q$, i.e., telles que $\ord_Q(h) \geq
+1$, le point clé est que $\mathfrak{m}_Q \neq \mathfrak{m}_{Q'}$ si
+$Q$ et $Q'$ ne sont pas conjugués par Galois, donc il existe une
+fonction $h \in \mathcal{O}(U)$ telle que $\ord_Q(h) \geq 1$ et
+$\ord_{Q'}(h) = 0$, et, quitte à diviser par une constante, autant
+supposer $h(Q') = 1$, et une autre $h'$ telle que $h'(Q) = 1$ et
+$\ord_{Q'}(h') \geq 1$. Quitte à multiplier de telles fonctions entre
+elles et à les elever à des puissances assez grandes, on peut obtenir
+des $h_i$ telles que $h_i(Q_i) = 1$ et $\ord_{Q_j}(h_i) \geq
+\min(1,v_i)$ si $j\neq i$. Lorsque les $f_i$ sont dans
+$\mathcal{O}(U)$, poser $f = \sum_i f_i h_i$ convient. Sinon, on met
+les $f_i$ sur un même dénominateur et en cherchant $h$ comme une
+fraction sur le dénominateur en question on se ramène à un problème
+d'approximation sur le numérateur.
+\end{proof}
+
+\begin{prop}\label{dimension-of-space-of-jets}
+Soit $P$ un $k^{\alg}$-point lisse d'une courbe $C$ non nécessairement
+lisse sur un corps $k$, et pour $v\geq 0$ soit $\mathfrak{m}^v_P = \{f
+\in k(C) : \ord_P(f) \geq v\}$ (idéal de $\mathcal{O}_{C,P}$). Alors
+$\mathcal{O}_{C,P} / \mathfrak{m}^v_P$ est un espace vectoriel de
+dimension $v$ sur le corps $\kappa(P) := \mathcal{O}_{C,P} /
+\mathfrak{m}_P$, donc $dv$ sur $k$, où $d$ est le degré de $P$,
+c'est-à-dire (pour $k$ parfait) le nombre de conjugués de $P$ sous
+l'action de Galois.
+\end{prop}
+\begin{proof}
+Il existe une uniformisante $t$ de $C$ en $P$ : il n'est pas difficile
+de voir que $1,t,t^2,\ldots,t^{v-1}$ forment une base de
+$\mathcal{O}_{C,P} / \mathfrak{m}^v_P$ sur $\kappa(P)$
+(cf. \ref{remark-on-galois} pour la dimension de $\kappa(P)$ sur $k$).
+\end{proof}
+
+
+
+%
+\subsection{Morphismes entre courbes}
+
+\begin{prop}\label{non-constant-morphisms-of-curves-are-surjective}
+Tout morphisme entre courbes non nécessairement lisses est soit
+constant ou surjectif.
+\end{prop}
+\begin{proof}
+Soit $h \colon C' \to C$ un tel morphisme. Puisque $C'$ est
+projective, l'image de $h$ est un fermé dans $C$
+(cf. \ref{image-of-a-morphism-chevalley}). Si c'est $C$, le morphisme
+est surjectif. Sinon, c'est un ensemble fini, et comme $C'$ est
+connexe, il est réduit à un point, donc $h$ est constant.
+\end{proof}
+
+Si $h\colon C' \to C$ est un morphisme non constant de courbes
+sur $k$, à tout $f \in k(C)$, vu comme un morphisme $C \to
+\mathbb{P}^1$ (non constamment égal à $\infty$), on peut associer
+$h^*(f) := h\circ f \colon C' \to \mathbb{P}^1$ vu comme un élément de
+$k(C')$ (car il est n'est pas constant égal à $\infty$). (Si on
+préfère, pour $U$ ouvert affine de $C$, le morphisme d'algèbres $h^*
+\colon \mathcal{O}(U) \to \mathcal{O}(h^{-1}(U))$ donne un $h^* \colon
+k(C) \to k(C')$ entre les corps des fractions ; ceci fonctionne même
+si $C,C'$ ne sont pas supposées lisses.) Il s'agit d'un morphisme de
+$k$-algèbres qui sont des corps, donc automatiquement injectif :
+c'est-à-dire que $h^*$ plonge $k(C)$ comme un sous-corps de $k(C')$
+(en commutant à l'action du groupe de Galois, et en particulier en
+préservant $k$). Avec ce plongement, $k(C')$ est une extension
+\emph{algébrique} de $k(C)$ (car tous deux ont le même degré de
+transcendance, $1$, sur $k$), et $k(C')$ est engendré en tant que
+corps, sur $k$ donc sur $k(C)$, par un nombre fini d'éléments : ceci
+montre que $k(C')$ est une \emph{extension finie} de $k(C)$
+(c'est-à-dire, de dimension finie comme $k(C)$-espace vectoriel), et
+son degré (=sa dimension comme $k(C)$-espace vectoriel) s'appelle le
+\textbf{degré} de $h$, noté $\deg h$. Lorsque $h$ est un morphisme
+constant, on pose $\deg h = 0$.
+
+\textbf{Exemple :} Si $h \in k[t]$, on peut voir $h$ comme un
+morphisme $\mathbb{P}^1 \to \mathbb{P}^1$ (par $(t_0:t_1) \mapsto
+(t_0^{\deg h} : t_0^{\deg h}\,h(t_1/t_0))$,
+cf. \ref{subsection-affine-vs-projective} ; ou, de façon équivalente,
+en considérant $h$ comme un élément de $k(t) = k(\mathbb{P}^1)$ qui
+définit donc un morphisme $\mathbb{P}^1 \to \mathbb{P}^1$).
+L'inclusion $h^*$ est celle qui considère $k(u)$ pour $u = h(t)$ comme
+un sous-corps de $k(t)$. Manifestement, le polynôme minimal de $t$
+sur $k(u)$ est justement $h(x)-u$ (écrit en l'indéterminée $x$), qui
+est de degré $\deg h$, donc le degré de $h$ en tant que polynôme ou en
+tant que morphisme est le même !
+
+\textbf{Fonctorialité :} Si $C'' \buildrel h'\over\to C' \buildrel
+h\over\to C$ sont deux morphismes entre courbes, on a $(h'\circ h)^* =
+h^* \circ h^{\prime*}$, c'est-à-dire que $k(C)$ se voit à l'intérieur
+de $k(C')$ quand celui-ci se voit à l'intérieur de $k(C'')$. Grâce à
+la composition des degrés dans les extensions de corps, on a $\deg
+(h'\circ h) = \deg(h') \cdot \deg(h)$.
+
+\begin{prop}\label{function-map-on-curves-is-fully-faithful}
+Si $C, C'$ sont deux courbes sur $k$, où $C$ peut ne pas être lisse
+(mais $C'$ est tenue de l'être), et si $\iota\colon k(C) \to k(C')$
+est une inclusion fixant $k$ du corps $k(C)$ dans $k(C')$, alors il
+existe un unique morphisme $h\colon C' \to C$ de courbes sur $k$ tel
+que $\iota = h^*$.
+\end{prop}
+\begin{proof}[Esquisse de démonstration]
+Si $C \subseteq \mathbb{P}^d$, on peut considérer les rapports
+$t_1/t_0, \ldots, t_d/t_0$ de coordonnées homogènes sur $\mathbb{P}^d$
+comme des éléments de $k(C)$. Leurs images par $\iota$ dans $k(C')$
+définissent un morphisme d'un ouvert non vide de $C'$
+vers $\mathbb{P}^d$, donc de tout $C'$ vers $\mathbb{P}^d$
+(cf. \ref{rational-function-on-a-curve-is-regular}), et comme ces
+fonctions vérifient les équations de $C$ dans $\mathbb{P}^d$, on a un
+morphisme $C' \buildrel h\over\to C$, qui vérifie $h^* = \iota$. De
+plus, une fois $C$ plongé dans $\mathbb{P}^d$ comme on l'a fait,
+c'était le seul morphisme possible, donc on a bien l'unicité.
+\end{proof}
+
+\begin{cor}\label{degree-one-map-of-curves-is-isomorphism}
+Si $C, C'$ sont deux courbes (lisses) sur $k$ et $h\colon C'\to C$ un
+morphisme de degré $1$, alors $h$ est un isomorphisme.
+\end{cor}
+\begin{proof}
+Dire que $h$ est un morphisme de degré $1$ signifie que $h^*$ est un
+isomorphisme de $k(C)$ avec $k(C')$. Son isomorphisme réciproque peut
+lui-même s'écrire sous la forme $g^*$ d'après la proposition qui
+précède, et les relations de fonctorialité $(h\circ g)^* = g^* \circ
+h^*$ et $(g \circ h)^* = h^* \circ g^*$ ainsi que l'unicité du
+morphisme dans la proposition montrent que $h \circ g = \id_{C'}$ et
+$g \circ h = \id_C$.
+\end{proof}
+
+\medbreak
+
+Revenons brièvement sur le corps des fonctions d'une courbe.
+
+On sait que $k(C)$ est engendré (en tant que corps)\footnote{Ceci
+ signifie qu'il existe $x_1,\ldots,x_r \in k(C)$ tels que tout
+ sous-corps de $k(C)$ contenant $k$ et $x_1,\ldots,x_r$ soit $k(C)$
+ tout entier.} par un nombre fini d'éléments au-dessus de $k$ (en
+effet, si $U$ est un ouvert affine non-vide de $C$, alors
+$\mathcal{O}(U)$ est une $k$-algèbre de type fini, et si
+$x_1,\ldots,x_r$ en sont des générateurs, ils engendrent aussi $k(C) =
+\Frac(\mathcal{O}(U))$ en tant que corps sur $k$). D'autre part,
+remarquons que $k^{\alg} \cap k(C) = k$ (ce qui est clair si on a
+décrit $k(C)$ comme les éléments de $k^{\alg}(C)$ fixes par Galois),
+c'est-à-dire que tout élément de $k(C)$ algébrique sur $k$ est en fait
+dans $k(C)$. Ces remarques sont pertinentes car :
+\begin{prop}
+Soit $K$ un corps contenant $k$, de degré de transcendance $1$ dessus,
+engendré en tant que corps par un nombre fini d'éléments au-dessus
+de $k$ (ou, de façon équivalente, $K$ est de degré \emph{fini}
+sur $k(t)$ où $t \in K$ est transcendant sur $k$), et tel que $k$ soit
+algébriquement fermé dans $K$. Alors $K$ est le corps des fonctions
+$k(C)$ d'une certaine courbe (lisse) $C$ sur $k$.
+\end{prop}
+
+Le corollaire suivant permet d'oublier les courbes non lisses :
+\begin{cor}
+Soit $C$ une courbe non nécessairement lisse. Alors il existe un
+morphisme $\tilde C \to C$ depuis une courbe lisse $\tilde C$
+vers $C$, unique à isomorphisme unique près de $\tilde C$
+au-dessus\footnote{Ceci signifie que si $\tilde C \buildrel\nu\over\to
+ C$ et $\tilde C' \buildrel\nu'\over\to C$ sont deux morphismes comme
+ expliqué, alors il existe un unique isomorphisme $\tilde C'
+ \buildrel h\over\to \tilde C$ tel que $\nu' = h\circ \nu$.} de $C$,
+qui soit de degré $1$, c'est-à-dire que $\nu^*$ identifie $k(C)$
+à $k(\tilde C)$. La courbe $\tilde C$ s'appelle la
+\textbf{normalisation} de $C$.
+\end{cor}
+\begin{proof}
+La proposition garantit qu'il existe une courbe lisse $\tilde C$ de
+corps des fonctions $k(C)$. Le morphisme identité $k(C) \to k(\tilde
+C)$ donne alors d'après \ref{function-map-on-curves-is-fully-faithful}
+le morphisme $\nu \colon \tilde C \to C$ désiré. L'unicité est
+analogue à \ref{degree-one-map-of-curves-is-isomorphism}.
+\end{proof}
+
+\begin{cor}
+Soit $C$ une courbe (lisse) sur un corps $k$. Si $K$ est un
+sous-corps de $k(C)$ contenant $k$ et tel que $k(C)$ soit fini sur $K$
+(c'est-à-dire, de dimension finie comme $K$-espace vectoriel), alors
+il existe une courbe $C_0$ et un morphisme $h\colon C \to C_0$, unique
+à isomorphisme près de $C_0$ au-dessous de $C$, tel que $h^*$ plonge
+$k(C_0)$ comme le sous-corps $K$ de $k(C)$.
+\end{cor}
+\begin{proof}
+Le corps $K$ est de degré de transcendance $1$ sur $k$ car $k(C)$ est
+algébrique sur $K$ ; et $k$ est algébriquement fermé dans $K$. Le
+point non-évident est que $K$ est engendré par un nombre fini
+d'éléments sur $k$ : mais $K$ contient un élément $t$ transcendant
+sur $k$, et $k(C)$, donc $K$, est de degré fini sur $k(t)$. Ainsi $K$
+peut bien s'écrire comme $k(C_0)$ pour une certaine courbe $C_0$, et
+l'inclusion $K = k(C_0) \to k(C)$ fournit un morphisme $C \to C_0$
+d'après \ref{function-map-on-curves-is-fully-faithful}. De nouveau,
+l'unicité découle aussi
+de \ref{function-map-on-curves-is-fully-faithful} de manière analogue
+à \ref{degree-one-map-of-curves-is-isomorphism}.
+\end{proof}
+
+
+
+%
+\subsection{Ramification d'un morphisme}
+
+\begin{prop}
+Si $h \colon C' \to C$ est un morphisme non constant entre courbes
+sur $k$, pour tout point $P$ de $C'$ (sur $k^{\alg}$), il existe un
+(unique) entier $e_P \geq 1$ tel que $\ord_P h^*(f) = e_P \ord_{h(P)}
+f$ pour tout $f \in k(C)$. On appelle $e_P$ l'\textbf{indice de
+ ramification} de $h$ en $P$.
+\end{prop}
+
+\begin{rmk}\label{ramification-of-functions-as-morphisms}
+Si $h \in k(C)$ n'est pas constant, on peut considérer $h$ comme un
+morphisme $C \to \mathbb{P}^1$ correspondant à l'inclusion $k(t) \cong
+k(h) \subseteq k(C)$. En voyant $h$ comme $h^*(t)$, on voit que $e_P
+= \ord_P h$ pour tout $P$ tel que $h(P)=0$. Si $P$ est tel que $h(P)
+= \infty$ alors $e_P = -\ord_P h$. Enfin, si $h(P)$ n'est ni $0$ ni
+$\infty$ alors $e_P = \ord_P (h-h(P))$.
+\end{rmk}
+
+\begin{prop}
+Pour $h \colon C' \to C$ un morphisme non constant entre courbes
+sur $k$ et $P$ un point de $C'$ (sur $k^{\alg}$), l'indice de
+ramification $e_P$ de $h$ en $P$ vaut $1$ ssi $h$ est lisse en $P$
+(c'est-à-dire que $dh_P \colon T_P C' \to T_P C$ est un
+isomorphisme\footnote{La définition de la lissité demande seulement
+ que $dh_P$ soit surjective, mais comme les espaces au départ et à
+ l'arrivée ont même dimension, c'est alors un isomorphisme.} de
+$k^{\alg}$-espaces vectoriels de dimension $1$,
+cf. \ref{subsection-tangent-vectors-and-smooth-points} \textit{in
+ fine}).
+\end{prop}
+
+\begin{prop}\label{sum-of-ramification-degrees}
+Soit $h \colon C' \to C$ un morphisme non constant entre courbes
+sur $k$. Pour tout point $Q$ de $C$, on a
+\[
+\sum_{h(P)=Q} e_P = \deg h
+\]
+où la somme est prise sur tous les points $P$ de $C'$ (sur $k^{\alg}$)
+tels que $h(P) = Q$.
+\end{prop}
+\begin{proof}[Idée-clé de démonstration]
+Soit $U$ un ouvert affine de $C$ contenant $Q$, et $U' = h^{-1}(U)$
+son image réciproque dans $C'$ (qui est également affine) ; on
+considère la $k$-algèbre $\mathcal{O}(U')/h^*\mathfrak{m}_Q
+\mathcal{O}(U')$ des fonctions sur $U'$ modulo l'idéal
+$h^*\mathfrak{m}_Q$ engendré par les $h\circ f$ avec $f \in
+\mathcal{O}(U)$ : on peut montrer que cette $k$-algèbre
+$\mathcal{O}(U')/h^*\mathfrak{m}_Q \mathcal{O}(U')$ est un $k$-espace
+vectoriel de dimension $\deg h$. Mais le lemme
+d'approximation \ref{approximation-lemma} permet de montrer que cette
+algèbre est le produit d'algèbres $\mathcal{O}(U)/\mathfrak{m}_P
+\mathcal{O}(U)$ où $\mathfrak{m}_P$ parcourt les idéaux maximaux tels
+que $h(P)=Q$ (un seul par orbite sous Galois), et la dimension de ce
+produit est $\sum_{h(P)=Q} e_P$
+d'après \ref{dimension-of-space-of-jets}.
+\end{proof}
+
+\begin{cor}\label{principal-divisors-have-degree-zero}
+Soit $C$ une courbe sur un corps $k$, et soit $f \in k(C)$ non
+constant. Alors
+\[
+\sum_P \ord_P(f) = 0
+\]
+où la somme est prise sur tous les points $P$ de $C$. Plus
+précisément,
+\[
+\begin{array}{c}
+\sum_{P\;:\;\ord_P(f)>0} \ord_P(f) = \deg f\\
+\sum_{P\;:\;\ord_P(f)<0} \ord_P(f) = -\deg f\\
+\end{array}
+\]
+\end{cor}
+\begin{proof}
+On a vu en \ref{ramification-of-functions-as-morphisms} que si $f$ est
+vu comme un morphisme $C \to \mathbb{P}^1$, alors son indice de
+ramification en un point $P$ de $C$ tel que $f(P) = 0$ est $e_P =
+\ord_P(f)$, et en un point $P$ tel que $f(P) = \infty$ est $e_P =
+-\ord_P(f)$. La proposition précédente permet de conclure.
+\end{proof}
+
+
+
+%
+\subsection{Diviseurs sur une courbe}
+
+\begin{defn}
+Soit $C$ une courbe (lisse) sur un corps parfait $k$. On appelle
+\textbf{diviseur} sur $C$ une combinaison linéaire formelle (finie)
+$\sum n_P (P)$, à coefficients dans $\mathbb{Z}$, de $k^{\alg}$-points
+de $C$, qui soit stable par l'action du groupe de Galois
+absolu $\Gal(k)$ (ou, si on préfère, une combinaison linéaire formelle
+de « points fermés » de $C$, chacun étant vu comme la somme d'une
+orbite galoisienne).
+
+On appelle \textbf{degré} du diviseur $\sum n_P (P)$ l'entier $\sum
+n_P$.
+\end{defn}
+
+Si $f \in k(C)$ n'est pas constant, on peut notamment considérer les diviseurs
+\[
+\begin{array}{c}
+f^*((0)) := \sum_{P\;:\;\ord_P(f) > 0} \ord_P(f)\, (P)\\
+f^*((\infty)) := \sum_{P\;:\;\ord_P(f) < 0} -\ord_P(f)\, (P)\\
+f^*((0)-(\infty)) = \divis(f) := \sum_{P\in C} \ord_P(f)\, (P)\\
+\end{array}
+\]
+appelés respectivement \textbf{diviseur des zéros}, \textbf{diviseur
+ des pôles} et \textbf{diviseur principal} définis par $f$
+(différence des deux premiers). Le contenu du
+corollaire \ref{principal-divisors-have-degree-zero} est que ces
+diviseurs ont degré respectivement $\deg f$, $\deg f$ et $0$.
+
+Plus généralement, si $h \colon C' \to C$ est un morphisme non
+constant entre courbes, et $D = \sum_P n_P (P)$ un diviseur sur $C$,
+on définit $h^*(D) = \sum_Q n_{h(P)} e_Q (Q)$ qu'on appelle
+\textbf{image réciproque} (ou \textbf{tiré en arrière}) de $D$
+par $h$ : il est clair que le diviseur des zéros $f^*((0))$ défini
+ci-dessus est bien le tiré en arrière du diviseur $(0)$
+sur $\mathbb{P}^1$ par $f$ vu comme morphisme $C \to \mathbb{P}^1$.
+Il est évident que le tiré en arrière d'un diviseur principal est
+encore principal (en fait, $h^*(\divis(f)) = \divis(h\circ f)$). On
+peut aussi définir l'\textbf{image directe} (ou \textbf{poussé en
+ avant}) par $h$ d'un diviseur $D' = \sum_Q n_Q (Q)$ sur $C'$ comme
+$h_*(D') = \sum_Q n_Q (h(Q))$ : il est aussi vrai, mais un chouïa
+moins évident, que l'image directe d'un diviseur principal est un
+diviseur principal.
+
+\begin{prop}
+Si $h \colon C' \to C$ est un morphisme non constant entre courbes,
+pour tout diviseur $D$ sur $C$ on a
+\[
+\begin{array}{c}
+h_* h^* D = (\deg h)\, D\\
+\end{array}
+\]
+\end{prop}
+\begin{proof}
+C'est une conséquence immédiate de \ref{sum-of-ramification-degrees}
+(et du fait qu'un morphisme non-constants entre courbes est
+surjectif !,
+cf. \ref{non-constant-morphisms-of-curves-are-surjective}).
+\end{proof}
+
+\begin{defn}
+On appelle \textbf{principal} un diviseur (de degré zéro) de la forme
+$\divis(f) := \sum_{P\in C} \ord_P(f)\, (P)$ pour une certaine
+fonction $f \in k(C)$ non constante. Les diviseurs principaux forment
+un sous-groupe du groupe des diviseurs (car $\divis(fg) =
+\divis(f)+\divis(g)$, cf. \ref{properties-valuation}) : on dit que
+deux divieurs sont \textbf{linéairement équivalents} (notation : $D
+\sim D'$) lorsque leur différence est un diviseur principal. Le
+groupe des diviseurs (resp. diviseurs de degré $0$) modulo les
+diviseurs principaux (=modulo équivalence linéaire) s'appelle
+\textbf{groupe de Picard} (resp. groupe de Picard de degré zéro) de la
+courbe $C$, noté $\Pic(C)$ (resp. $\Pic^0(C)$).
+\end{defn}
+
+\textbf{Exemple :} Sur $\mathbb{P}^1$, pour tout diviseur $\sum n_P
+(P)$ de degré zéro, on peut trouver une fraction rationnelle $\prod
+(t-P)^{n_P}$ qui a les ordres $n_P$ à ceux des points $P$ qui sont
+dans $\mathbb{A}^1$, et le degré à l'infini sera automatiquement le
+bon puisque $\sum n_P = 0$. Ceci montre que \emph{tout diviseur de
+ degré zéro sur $\mathbb{P}^1$ est principal}, donc que
+$\Pic^0(\mathbb{P}^1) = 0$, et $\Pic(\mathbb{P}^1) = \mathbb{Z}$.
+
+On a un morphisme de degré $\deg\colon \Pic(C) \to \mathbb{Z}$, dont
+le noyau est $\Pic^0(C)$. Si la courbe $C$ vérifie $C(k) \neq
+\varnothing$, c'est-à-dire qu'il existe $P$ un $k$-point sur $C$,
+alors tout diviseur peut s'écrire comme somme de $n (P)$ et d'un
+diviseur de degré zéro, et il est facile de voir que $\Pic(C) =
+\Pic^0(C) \oplus \mathbb{Z}$ (où $\mathbb{Z}$ désigne
+$\mathbb{Z}\cdot(P)$, le groupe des diviseurs de la forme $n (P)$).
+
+\emph{Attention :} Pour une fois, le slogan « rationnel = fixe par
+ Galois » n'est pas vérifié : quand $C$ est une courbe sur un corps
+$k$ parfait non algébriquement clos, il faut bien distinguer le groupe
+de Picard rationnel $\Pic C$ de $C$, c'est-à-dire les diviseurs
+stables par Galois modulos ceux de la forme $\divis(f)$ avec $f \in
+k(C)$, et le groupe de Picard fixé par Galois noté $(\Pic
+C_{k^{\alg}})^{\Gal(k)}$, c'est-à-dire les classes des diviseurs $D$
+tels que $\sigma(D)$ soit linéairement équivalent à $D$
+(sur $k^{\alg}$) pour tout $\sigma \in \Gal(k)$. Néanmoins, certains
+auteurs appellent (à tort) $\Pic C$ ce deuxième groupe (d'autres
+encore appellent $\Pic C$ tout le groupe de Picard géométrique $\Pic
+C_{k^{\alg}}$) : il faut donc faire attention à qui utilise quoi.
+
+
+
+%
+\subsection{Différentielles}
+
+\begin{prop}
+Soit $C$ une courbe (lisse) sur un corps $k$. Il existe un
+$k(C)$-espace vectoriel de dimension $1$, noté\footnote{Notation
+ abusive, en fait. Une bonne notation serait $\Omega^1_{C/k}
+ \otimes_{\mathcal{O}_C} k(C)$, mais c'est un peu encombrant.}
+$\Omega^1_C$ et appelé \textbf{espace des (formes) différentielles
+ méromorphes} sur $C$, et une application $k$-linéaire $d\colon k(C)
+\to \Omega^1_C$, vérifiant les conditions suivantes :
+\begin{itemize}
+\item on a $dc = 0$ pour $c \in k$,
+\item on a $d(fg) = f\,dg + g\,df$ pour $f,g\in k(C)$,
+\item si $t \in k(C)$ vérifie $\ord_P(t) = 1$ en au moins un
+ point alors $dt \neq 0$,
+\end{itemize}
+et ces conditions caractérisent à isomorphisme près $\Omega^1_C$ muni
+de l'application $d\colon k(C) \to \Omega^1_C$.
+\end{prop}
+
+La moralité est que $\frac{df}{dt}$ a un sens, comme élément de
+$k(C)$, dès que $f$ et $t$ sont deux éléments de $k(C)$ et que $t$ est
+une uniformisante en au moins un point ou simplement\footnote{Si $k$
+ est de caractéristique zéro, cette condition est réalisée dès que
+ $t$ n'est pas constant.} que $dt \neq 0$.
+
+\textbf{Remarque :} On peut relier $\frac{df}{dt} \in k(C)$ à ce qui a
+été fait en \ref{subsection-tangent-vectors-and-smooth-points} de la
+façon suivante : si $Q$ est un point de $C$ tel que $t$ et $f$ soient
+régulières en $Q$, on peut voir $t$ et $f$ comme deux morphismes $U
+\to \mathbb{A}^1$ pour un certain voisinage (affine, disons) $U$
+de $Q$, on a des applications linéaires $dt_Q\colon T_Q C \to
+k^{\alg}$ et $df_Q\colon T_Q C \to k^{\alg}$, et la valeur de
+$\frac{df}{dt}$ en $Q$ est le rapport entre ces deux applications
+linéaires (ceci a bien un sens car ce sont des applications entre
+espaces de dimension $1$).
+
+\begin{prop}\label{order-of-derivative}
+Soit $C$ une courbe (lisse) sur un corps $k$, $P$ un point de $C$ et
+$t$ une uniformisante en $P$ (i.e., $\ord_P(t) = 1$). Pour $f \in
+k(C)$, on a
+\begin{itemize}
+\item $\ord_P(df/dt) = \ord_P(f)-1$ si $\ord_P(f) \neq 0$, et
+\item $\ord_P(df/dt) \geq 0$ si $\ord_P(f) = 0$.
+\end{itemize}
+\end{prop}
+
+(Ces propriétés découlent des propriétés correspondantes des
+polynômes.)
+
+\begin{defn}
+Si $C$ est une courbe (lisse) sur un corps $k$, $P$ un point de $C$
+(sur $k^{\alg}$) et $\omega \in \Omega^1_C$, on définit
+\[
+\ord_P(\omega) = \ord_P(\omega/dt)
+\]
+où $t \in k(C)$ est tel que $\ord_P(t) = 1$ (=est une uniformisante
+en $P$). Cette définition ne dépend pas du choix de $t$.
+
+Si $\omega \neq 0$, le diviseur $\divis(\omega) := \sum_P
+\ord_P(\omega) (P)$ s'appelle \textbf{diviseur canonique} de la forme
+différentielle $\omega$.
+\end{defn}
+
+La définition de $\ord_P(\omega)$ ne dépend pas du choix de $t$, car
+si $t' = u t$ où $\ord_P(u) = 0$, alors $dt'/dt = u + t\,(du/dt)$, et
+$\ord_P(du/dt) \geq 0$ d'après \ref{order-of-derivative} donc
+$\ord_P(t\,(du/dt)) \geq 1$, ce qui assure $\ord_P(dt'/dt) = 0$, et
+donc $\ord_P(\omega/dt') = \ord_P(\omega/dt)$.
+
+La définition qu'on vient de faire permet de reformuler la
+proposition \ref{order-of-derivative} en :
+
+\begin{prop}\label{order-of-differential}
+Soit $C$ une courbe (lisse) sur un corps $k$, et $P$ un point de $C$.
+Pour $f \in k(C)$, on a
+\begin{itemize}
+\item $\ord_P(df) = \ord_P(f)-1$ si $\ord_P(f) \neq 0$, et
+\item $\ord_P(df) \geq 0$ si $\ord_P(f) = 0$.
+\end{itemize}
+\end{prop}
+
+\textbf{Exemple :} Soit $t$ la coordonnée affine sur $\mathbb{A}^1$,
+vue comme élément de $k(\mathbb{P}^1) = k(t)$. Alors $dt$ a pour
+ordre $0$ en tout $P \neq \infty$ (en $P=0$ c'est clair d'après la
+proposition qui précède, et en tout autre $P \in \mathbb{A}^1$ on peut
+remarquer que $dt = d(t-P)$ d'après les règles de calcul, donc de même
+$dt$ est d'ordre $0$) ; en $\infty$, en revanche, son ordre est $-2$
+puisque l'ordre de $t$ est $-1$. On a donc $\divis(dt) = -2(\infty)$.
+
+\medbreak
+
+La classe de $\divis(\omega)$ dans $\Pic(C)$ ne dépend pas du choix
+de $\omega \neq 0$, puisque visiblement $\divis(f\omega) = \divis(f) +
+\divis(\omega)$. Cette classe s'appelle la \textbf{classe canonique}
+dans $\Pic(C)$ (très souvent notée $K$). On vient par exemple de voir
+que la classe canonique de $\mathbb{P}^1$ est de degré $-2$.
+
+\textbf{Exemple :} Soit $C$ la courbe d'équation $y^2 = h(x)$ où $h(t)
+\in k[t]$ est de degré $3$ (c'est-à-dire, $C$ la complétée projective
+de cette courbe affine, complétée d'équation $Z Y^2 = Z^3 h(X/Z)$ si
+$X,Y,Z$ sont les coordonnées homogènes avec $y = Y/Z$ et $x = X/Z$).
+Soit $h(t) = (t-\lambda_1) (t-\lambda_2) (t-\lambda_3)$ la
+factorisation de $h$ sur $k^{\alg}$. Outre les points affines, la
+courbe $C$ a un unique point à l'infini noté $O$ (en coordonnées
+homogènes, $X=Z=0$). Le diviseur de la fonction $y$ sur $C$ est
+$(P_1) + (P_2) + (P_3) - 3(O)$ où $P_i$ est le point de coordonnées
+affines $(\lambda_i,0)$ (ce sont les trois points où $y$ s'annule,
+alors que $O$ est le point où $y$ a un pôle triple). Le diviseur de
+$x-\lambda_i$ est $2(P_i) - 2(O)$, d'où il résulte que $dx$ a un
+ordre $1$ en chaque $P_i$ et $-3$ en $O$, et $0$ partout ailleurs.
+Autrement dit, le diviseur de $dx$ est le même que celui de $y$, ou,
+si on veut, la différentielle $\omega := dx/y$ a un ordre $0$ partout.
+Ceci signifie que la classe canonique $K$ sur $C$ est \emph{nulle}.
+
+
+
+%
+\subsection{Le théorème de Riemann-Roch}
+
+\begin{defn}
+Un diviseur $D$ sur une courbe $C$ est dit \textbf{effectif}, noté $D
+\geq 0$, lorsque $D$ est combinaison de points à coefficients
+positifs : $D = \sum n_P (P)$ avec $n_P \geq 0$ pour tout $P$.
+
+Si $D = \sum n_P (P)$ est un diviseur (non nécessairement effectif)
+sur une courbe $C$, on note $\mathscr{L}(D)$ ou parfois
+$\mathcal{O}(D)$ le $k$-espace vectoriel $\{f \in k(C) : \divis(f)+D
+\geq 0\}$ des fonctions rationnelles sur $C$ vérifiant $\ord_P(f) \geq
+-n_P$ pour tout point $P$ de $C$. (S'il faut lui donner un nom, c'est
+« l'(ensemble des sections globales du) faisceau associé à $D$ ».)
+\end{defn}
+
+\begin{rmk}
+Si $D$ et $D'$ sont linéairement équivalents, alors $\mathscr{L}(D)
+\cong \mathscr{L}(D')$ comme $k$-espaces vectoriels. En effet, si $D
+= D' + \divis(g)$ et $f \in \mathscr{L}(D)$ alors $\divis(fg) + D' =
+\divis(f) + D \geq 0$ donc $fg \in \mathscr{L}(D')$ et réciproquement.
+On peut donc considérer que $\mathscr{L}(D)$ ne dépend que de la
+classe de $D$ dans $\Pic(C)$.
+
+D'autre part, l'ensemble $\{\omega \in \Omega^1_C : \divis(\omega)
+\geq 0\}$ (des différentielles « holomorphes ») peut être identifié à
+$\mathscr{L}(K)$ pour les mêmes raisons. (Et plus généralement,
+$\mathscr{L}(K-D)$ peut être identifié à $\{\omega \in \Omega^1_C :
+\divis(\omega)-D \geq 0\}$.)
+\end{rmk}
+
+\begin{prop}
+Le $k$-espace vectoriel $\mathscr{L}(D)$ est de dimension finie.
+\end{prop}
+
+On note $l(D)$ cette dimension. Notons par exemple que $l(0) = 1$ (le
+diviseur nul, à ne pas confondre avec le diviseur $(0)$
+sur $\mathbb{P}^1$ !), puisque $\mathscr{L}(0) = \mathcal{O}(C) = k$
+(les seules fonctions régulières partout sont les constantes,
+d'après \ref{basic-ord-facts}).
+
+\begin{prop}\label{negative-degree-divisors-have-no-sections}
+\begin{itemize}
+\item Si $\deg D < 0$ alors $l(D) = 0$.
+\item Si $\deg D = 0$ et $l(D) \neq 0$ alors $l(D) = 1$ et $D \sim 0$.
+\end{itemize}
+\end{prop}
+\begin{proof}
+Dire que $l(D) \neq 0$ signifie que pour un certain $f$ on a $D' :=
+\divis(f) + D \geq 0$. Or le degré de $\divis(f)$ est nul (et le
+degré d'un diviseur effectif $D'$ est évidemment positif), donc le
+degré de $D$ est $\geq 0$. De plus, si le degré de $D$ (donc de $D'$)
+est nul, cela signifie que $\divis(f) + D' = 0$, c'est-à-dire $D \sim
+0$, qui entraîne $l(D) = 1$.
+\end{proof}
+
+\begin{thm}[Riemann-Roch]
+Il existe un entier $g \geq 0$, appelé \textbf{genre} de $C$ tel que
+pour tout diviseur $D$ on ait, en notant $K$ un diviseur canonique :
+\[
+l(D) - l(K-D) = \deg D + 1 - g
+\]
+\end{thm}
+
+\begin{cor}\label{degree-of-canonical-divisor}
+\begin{itemize}
+\item Pour $K$ un diviseur canonique sur une courbe $C$, on a :
+\[
+\begin{array}{c}
+l(K) = g\\
+\deg(K) = 2g-2\\
+\end{array}
+\]
+\item Si $D$ est un diviseur avec $\deg D > 2g-2$, alors $l(D) = \deg
+ D + 1 - g$.
+\end{itemize}
+\end{cor}
+\begin{proof}
+Pour la première affirmation, appliquer Riemann-Roch à $D=0$ donne
+$1-l(K) = 0+1-g$, d'où $l(K) = g$ ; puis à $D=K$ donne $g-1 = \deg K +
+1 - g$ d'où $\deg K = 2g-2$. Pour la seconde affirmation, on utilise
+\ref{negative-degree-divisors-have-no-sections} pour conclure que
+$l(K-D) = 0$.
+\end{proof}
+
+\textbf{Remarque :} Si $C$ est une courbe sur un corps $k$, alors le
+genre de $C$ est égal au genre de $C_{k^{\alg}}$. En effet, un
+diviseur canonique $K$ sur $C$ est encore un diviseur canonique quand
+on le voit sur $C_{k^{\alg}}$, et son degré, censé valoir $2g-2$ est
+le même qu'on le voie d'une façon ou d'une autre. On dit que le genre
+est un \emph{invariant géométrique}.
+
+S'agissant de $\mathbb{P}^1$, on a vu que $\deg(K) = -2$ donc $g=0$.
+La réciproque est vraie :
+\begin{cor}
+Soit $C$ une courbe (lisse !) de genre $0$ sur un corps algébriquement
+clos : alors $C$ est isomorphe à $\mathbb{P}^1$.
+\end{cor}
+\begin{proof}
+Soient $P,Q$ deux points distincts de $C$ : on applique Riemann-Roch
+au diviseur $D := (P)-(Q)$. Comme $\deg D = 0 > -2 = 2g-2$, le
+corollaire précédent montre que $l(D) = 1$.
+Mais \ref{negative-degree-divisors-have-no-sections} montre que $D
+\sim 0$, c'est-à-dire qu'il existe $f \in k(C)$ tel que $\divis(f) =
+(P) - (Q)$. En considérant $f$ comme un morphisme $C \to
+\mathbb{P}^1$, on voit que $\deg f = 1$
+(cf. \ref{principal-divisors-have-degree-zero}), donc $f$ est un
+isomorphisme (cf. \ref{degree-one-map-of-curves-is-isomorphism}).
+\end{proof}
+
+\emph{Remarque :} Cette démonstration utilise le fait que $k$ est
+algébriquement clos pour pouvoir fabriquer le diviseur $(P)-(Q)$ comme
+différence de deux diviseurs de degré $1$. En fait, on peut faire
+mieux : il suffit que $C(k)$ soit non-vide (démonstration : si $P \in
+C(k)$, Riemann-Roch appliqué au diviseur $(P)$ montre que $l((P)) =
+2$, donc il existe une fonction $f$ non-constante, admettant au plus
+un pôle simple en $P$, donc admettant effectivement un pôle simple
+en $P$ d'après \ref{basic-ord-facts}, et du coup $\divis(f)$, qui doit
+être de degré $0$, est de la forme $(P) - (Q)$, et le reste est comme
+ci-dessus). On ne peut pas se dispenser de cette hypothèse $C(k) \neq
+\varnothing$ : si $C$ est la conique\footnote{En fait, on peut montrer
+ que toute courbe de genre $0$ peut s'écrire comme une conique
+ plane.} d'équation projective $t_0^2 + t_1^2 + t_2^2 = 0$ dans
+$\mathbb{P}^2$ sur les réels, qui a $C(\mathbb{R}) = \varnothing$,
+alors $C$ a pour genre $0$ car le genre est un invariant géométrique
+(cf. ci-dessus) et que, sur les complexes, cette conique est isomorphe
+au cercle (quitte à changer $t_0$ en $i t_0$) donc à $\mathbb{P}^1$
+(cf. introduction et exemples
+de \ref{subsection-quasiprojective-varieties-and-morphisms}).
+Pourtant, $C$ \emph{n'est pas} isomorphe à $\mathbb{P}^1$ sur les
+réels, précisément parce que $C(\mathbb{R}) = \varnothing$ alors que
+$\mathbb{P}^1(\mathbb{R}) \neq \varnothing$ !
+
+\begin{cor}
+Si $C$ est une courbe, tout ouvert $U$ de $C$ autre que $C$ tout
+entier est affine. (Cf. \ref{approximation-lemma} pour un contexte
+utile de ce résultat.)
+\end{cor}
+\begin{proof}[Démonstration (partielle)]
+Le cas $U=\varnothing$ est vrai (on a $U = \Spec 0$ où $0$ désigne
+l'anneau nul) mais inintéressant : supposons donc $U$ non vide.
+
+On admet\footnote{Il n'y a pas d'arnaque : c'est là un résultat
+ beaucoup plus facile et moins profond que Riemann-Roch ; il s'agit
+ de dire que $f$ est un morphisme « fini », donc en particulier
+ « affine » c'est-à-dire que l'image réciproque d'un ouvert affine
+ est affine.} le résultat suivant : si $f \colon C \to C_0$ est un
+morphisme non-constant de courbes, alors l'image réciproque par $f$ de
+tout ouvert affine de $C_0$ est affine.
+
+Soit $P$ un point du complémentaire de $U$ : le théorème de
+Riemann-Roch, et notamment le corollaire \ref{degree-of-canonical-divisor}, montre que si $n$
+est assez grand, alors $l(n(P)) > 1$, autrement dit, il existe une
+fonction $f \in k(C)$ non constante et régulière partout sauf en $P$
+(où elle ne peut pas être régulière). En considérant $f$ comme un
+morphisme $C \to \mathbb{P}^1$, on voit alors que $U' := C
+\setminus\{P\} = f^{-1}(\mathbb{A}^1)$, et d'après le résultat admis,
+$U'$ est affine. Le lemme d'approximation \ref{approximation-lemma}
+montre que si $Q_1,\ldots,Q_s$ sont les points de $U'\setminus U$, il
+existe une fonction $h$ ayant un pôle d'ordre $1$ en chacun des $Q_i$
+et régulière sur tout $U \setminus \{Q_i\}$ ; si de plus on exige que
+$h$ ait un zéro d'ordre très élevé (c'est-à-dire supérieur à $s$) en
+un quelconque autre point $R$ (ce que le lemme d'approximation permet
+toujours de faire), on assure que $h$ aura aussi un pôle en $P$
+d'après \ref{principal-divisors-have-degree-zero}. Autrement dit,
+ceci assure que $U = h^{-1}(\mathbb{A}^1)$ (en voyant de nouveau $h$
+comme un morphisme $C \to \mathbb{P}^1$), ce qui conclut.
+\end{proof}
+
+
+
+%
+%
+%
+\end{document}